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Construction des infrastructures sociales pour les Bakola/ Bagyelli et incidence sur la coexistence avec les Bantou: contribution à  une ethno- anthropologie du conflit

( Télécharger le fichier original )
par Bernard Aristide BITOUGA
Université de Yaoundé I Cameroun - Master en anthropologie 2011
  

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IV-4- INTERPRETATION DES CONFLITS

L'action unidirectionnelle des partenaires au développement dans la prise en charge des Bakola/Bagyelli que nous avons mentionnée parmi les causes des conflits, peut conduire à la mise en place d'un certain nombre de barrières/obstacles à la mobilité sociale des Bagyelli. Les différentes causes des conflits que nous venons de présenter nous permettent d'expliquer le processus de construction des groupes stratégiques au sein des communautés bantoues et bakola. Le refus des Bantou de voir les Pygmées se développer peut être interprété comme une « cristallisation du marché du développement ». En effet, le comportement des Bantou à

Ngoyang ou à Bidjouka trahit l'hypocrisie de ces derniers à l'endroit des Bagyelli. Ayant étéles premiers à avoir goutté aux délices de la modernité, ils veulent continuer à asseoir le

monopole, méme si le discours des Bantou à l'égard des Bakola est tout aussi altruiste. Car il est fréquent de rencontrer des Bantou qui se font les défenseurs de la cause pygmée. Nombreux sont ces Bantou qui pensent que les Pygmées doivent aussi accéder à la modernité. Cette accession à la modernité masque en réalité les véritables enjeux qui sous-tendent l'action altruiste des Bantou à l'endroit des Pygmées.

Ils sont d'avis que les Pygmées se développent, mais à leur façon ; c'est-à-dire en plaçant le Bantou et non le Pygmée au centre des actions de développement à mener sur le terrain. Ce sont eux les Ngoumba(Bidjouka) ou les Ewondo(Ngoyang) qui doivent servir d'interface entre les développeurs et les principaux bénéficiaires que sont les Bakola/Bagyelli. Les Bantou estiment que leurs « protégés », les Pygmées, ne sont pas aptes à pouvoir défendre eux-mêmes leurs intérêts. Les Pygmées ne savent pas ce qu'ils veulent, ils ne savent pas ce qui est bien pour eux. Ce sont les Bantou qui sont habilités à pouvoir véritablement défendre leurs intérêts. Ayant accédé les premiers à l'école occidentale, ce sont les Bantou qui sont les interlocuteurs appropriés quand il s'agit de contribuer à sortir leurs « Pygmées » de la « sauvagerie ». Il n'y a qu'à regarder la multitude d'ONG qui oeuvrent pour la défense de la

cause pygmée. Elles sont pour la grande majorité, au regard de ce qui se vit sur le terrain, des goulots d'étranglement pour ce qui est de l'amélioration des conditions de vie des Pygmées. Mais nous n'allons pas nous attarder sur cet aspect dans le cadre de nos travaux actuels. Très peu de ces ONG sont l'émanation de la volonté des Pygmées eux-mêmes.

Organismes et associations privés de développement présents dans la région

Numéro

Nom de la structure

Droit/Origine

Domaine d'action

Zone d'action

Principales actions menées

1

MUDICUS MUNDI

Espagnole

Santé

Lolodorf et

Ngovayang

-Mise en place

des Comités de
santé

-Equipement et

construction des

centres de santé

2

FEDEC

Néerlandaise

Environnement

Lolodorf

-Suivi évaluation environnementale sur le tracé du pipeline Tchad - Cameroun

3

SAILD

Camerounaise

Autopromotion des pygmées

Lolodorf et

Bipindi

-Autopromotion des Pygmées -Sensibilisation à l'entretien routier

4

PLANET SURVEY

Camerounaise

Environnement- forêt et agriculture

Lolodorf et

Bipindi

Droit à la

citoyenneté -Sensibilisation VIH-SIDA

5

CED/FPP

Camerounaise

Environnement- forêt

Akom II et

Campo

-Cartographie d'occupation de
l'espace

-Droit d'usage

6

CBCS Ngovayang Forest Project

ONG camerounaise

Environnement

et gestion

durable des

ressources naturelles

Massif forestier de
Ngovayang et alentours

-Renforcement des capacités des communautés locales en vue de la gestion durable

 
 
 
 
 

des ressources

naturelles -Amélioration du niveau de vie des populations

7

FONDAF

ONG camerounaise

Education et

formation

Bipindi

Formation

primaire des

pygmées

Bagyelli

8

RAPID

ONG camerounaise

Citoyenneté, habitat,

éducation et

agriculture

Lokoundjé, Bipindi et
Lolodorf

Scolarisation des enfants Bagyelli Formation

agricole des

Bagyelli

Source : Aristide BITOUGA, 2010.

Toutefois, il faut tout de même reconnaître que ces actions de développement en direction des Pygmées ont, d'une manière certaine, contribué à l'émancipation des Bakola/Bagyelli dans les localités visitées. Au-delà de ces quelques avancées remarquables, il convient tout de même de rappeler que ces actions menées par ces ONG sont génératrices de revenus pour leurs différents promoteurs. On peut donc comprendre l'opacité qui entoure le déploiement effectif de ces organisations sur le terrain. Les Bantou, conscients donc des enjeux financiers qui entourent ces projets, sont réticents vis-à-vis de toute forme de projet dans lesquels ils ne se sentent ou ne sont pas impliqués.

Cette réticence a été observée à Ngoyang et à Bidjouka. Pour ce qui est de la construction du foyer pour les enfants Bagyelli, ce sont les Pygmées eux-mêmes, qui, au terme de plusieurs réunions de concertation avec le SAILD, avaient demandé qu'on leur construise une structure pour accueillir leurs enfants afin de lutter contre le phénomène des déperditions scolaires. A Bidjouka-Samalè (Binzambo), ce sont les Pygmées eux-mêmes qui avaient formulé le besoin de partir de la forét pour venir s'installer en bordure de la route. Ils voulaient être au fait de ce qui se passe en route.

Pour ce qui est du cas de Ngoyang, la construction du foyer en elle-même ne causa pas de problème. Tout a commencé à se détériorer quand les Bantou ont voulu se mêler dans la gestion du foyer. Les Ewondo avaient du mal à accepter que seuls les enfants pygmées

aient droit à des repas alors que les leurs fréquentaient la même école et étaient eux aussi soumis au problème de faim. L'Ewondo, forgé dans une société de type égalitaire, supporte très mal voir son frère jouir d'un bien alors que lui ne le possède pas. Cette situation est très mal vécue par celui qui ne peut s'offrir ce dont dispose son frère, et bienvenu le conflit qui, si rien n'est fait pour rétablir l'équilibre, débouchera, à coup sûr bien des fois, sur des tueries ou des meurtres, le recours à la sorcellerie faisant office d'arme redoutable en pareille circonstance. Mais, pour le cas d'espèce, les Bantou se considérant comme supérieurs aux Pygmées auront ici plutôt recours à la force, à la dissuasion, à l'intimidation, au chantage et à l'usurpation pour s'emparer de ce qui ne leur appartient pas.

La théorie du conflit s'inscrit, dans le cadre de notre interprétation, dans la perspective de l'étude des conflits intergroupes. En effet, nous pensons que la seule catégorisation en deux groupes distincts entraîne la discrimination à l'encontre de l'exogroupe, dans le but de différencier son groupe. L'enjeu de la différenciation est une identité collective positive, celle-ci résultant d'une comparaison entre les groupes favorables à l'endogroupe. L'opposition Bantou/Bagyelli est dès lors remise en cause tant il est vrai que nous pensons qu'elle contribue à exacerber les tensions entre ces deux communautés. Turner voit dans le groupe :

Une collection d'individus qui se perçoivent comme membres d'une même catégorie, qui attachent une certaine valeur émotionnelle à cette définition d'euxmêmes et qui ont atteint un certain degré de consensus concernant l'évaluation de leur groupe et de leur appartenance à celui-ci63.

On peut donc, au regard de cette définition de la notion de groupe, affirmer que le groupe existe lorsque les individus ont conscience d'en faire partie ; lorsqu'ils se catégorisent dans ce groupe. La catégorisation sociale est « un outil cognitif qui segmente, classe et ordonne l'environnement social et qui permet aux individus d'entreprendre diverses formes d'actions sociales ». La catégorisation sociale définit la place de chacun dans la société. Dès lors, les groupes sociaux fournissent donc à leurs membres une identification sociale appelée « identité sociale », cette identité sociale elle-méme n'étant que la résultante de la conscience qu'a un individu d'appartenir à un groupe social ainsi que la valeur et la signification émotionnelle que celui-ci attache à cette appartenance. Un Ngyelli qui est considéré par les autres Pygmées comme ayant réussi nous a fait part du combat qui est le sien pour inculquer à ses frères l'idée suivant laquelle ils doivent se battre s'ils veulent être considérés par les Bantou comme des individus à part entière. Il déclare fort à propos :

63 Tajfel, Hand Turner,J.C ;1979 An integrative theory of intergroup conflict. In S. Worchel and W. Austin (eds), The social psychology of intergroup relations (pp.33-48). Pacific Grove, CA/Brooks/Cole.

Comme je vous l'ai dit sur mon histoire, je n'ai pas baissé les bras et je ne compte pas baisser les bras. C'est ma seule leçon. A chaque fois que j'ai l'occasion soit de m'asseoir avec mes petits-frères, soit avec mes propres enfants, je leur dis toujours vous avez une grande lutte à mener contre les Bantou. C'est-à-dire, par le biais de l'école. C'est l'école qui va vous amener à vous faire considérer dans la société parce que, à l'époque ancienne nos grands-parents étaient considérés parce qu'ils étaient chasseurs.

Le système de croyances des individus peut influencer la nature des relations entre deux groupes ou deux communautés. Le premier de ce continuum est appelé « pôle de la mobilité sociale ». Il correspond à la croyance en la flexibilité de la société qui permet à tout individu insatisfait de son appartenance groupale de passer dans un autre groupe plus valorisant. Ce passage est possible grâce au talent, au travail ou encore à la chance. Est opposé à ce pôle celui du « changement social ». Il est caractérisé par la croyance en une stratification entre les groupes fortement marquée. Celle-ci rend impossible, pour un individu seul, de s'extraire de son groupe. La grande majorité des Pygmées rencontrés sur le terrain vivent leur précarité comme un sort qui leur a été réservé par leurs ancêtres. Quand ils parlent du Bantou c'est avec beaucoup de respect, d'admiration qu'ils le font. L'idée d'une quelconque flexibilité de la société n'est pas l'apanage du plus grand nombre. Le manque d'ambition de ces derniers est d'une curiosité étonnante.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon