I.2- PROBLEMATIQUE
Au lendemain de leur liberté institutionnelle et
constitutionnelle, l'indépendance, de nombreux régimes politiques
en Afrique ont basculé dans le désordre social et politique. Pour
pallier cette situation, le système de parti unique fut instauré
avec pour objectif de fédérer la compétence de tous, pour
la création ou la consolidation de l'Etat-Nation. C'est de là
qu'en 1969 un parti unique, le RPT est fondé au Togo et Etienne
Gnassingbé Eyadema est élu à sa tête le 29 novembre
de la même année ; parti qui vient tout récemment
d'être dissout à son 5e congrès extraordinaire, le 14 avril
2012.
Le Togo, à l'instar de bon nombre de pays africains,
étant dans des régimes « monopartisans depuis trois
décennies, avec le prétexte de mettre ensemble les forces
politiques au service du développement » (K. M. Kuakuvi, 2011
: 7), n'a que davantage renforcé sa « résistance du
parti unique dont l'un des piliers les plus solides est l'armée, ce qui
nous conduit tout droit au refus de l'alternance » (K. M. Kuakuvi,
idem), entrainant le pays dans une crise sans fin. En effet, l'alternance
hypothéquée, les centaines de partis politiques que compte le
Togo deviennent des avatars idéologiques, une menace continuelle pour la
stabilité sociale.
Le multipartisme fut alors considéré comme un
risque de ralentissement du progrès social, mieux un gaspillage
d'énergie dans la construction nationale. Il fut alors combattu et
traité comme une véritable nuisance à la cohésion
nationale. Il n'était plus question de la formation d'une équipe
de rechange puisque par définition, celle qui est au pouvoir est la
meilleure. (R. Danioué, 1997 : 156) A cet effet, Godinec rapporte que
Julius Nyerere affirmait en 1963 ceci : « là oil il y a un seul
parti oil ce parti s'identifie à la nation tout entière, les
fondements de la démocratie sont plus solides qu'elles ne le seront
jamais là oil il existe deux partis ou davantage dont chacun
représente seulement une fraction de la communauté ».
(J. Nyerere in Godinec, 1978 : 165)
Mais cette solution n'a pas satisfait les besoins et
libertés de la population togolaise. En effet, pour Massina Palouki
(1997 : 304) :
« le parti unique qui devait servir de lieu
d'expression des différents courants d'opinion, et partant des moyens de
démocratisation du pouvoir, a en fait servi à bâillonner
les opinions différentes de celles émises par les organes
centraux et à renforcer la puissance des gouvernants. »
Le régime du parti unique ressemblait, à ceux
peints par La Bruyère cité par Dumont (1991 : 22) dans lesquels
si « l'on doit se taire sur les puissants, il y a du péril
à en dire du mal pendant qu'ils vivent et de lâcheté quand
ils sont morts ». Les principales caractéristiques du
monopartisme selon Maurice Pierre Roy (les régimes politiques du
tiers monde, 1997) sont les manifestations obligatoires, le poids
croissant de la police, l'altération des libertés fondamentales,
la disparition de toute vie politique pluraliste, d'où l'absence de
démocratie réelle.
Une démocratie forte et durable dépend de
l'existence de partis politiques bien structurés et bien fonctionnels.
Les partis politiques ont un rôle primordial dans la mise en commun de
divers intérêts, le recrutement et la présentation de
candidats, l'élaboration de propositions de politiques concurrentes
donnant au peuple la possibilité de choix. Dans cette délicate
tâche, les partis politiques sont confrontés à beaucoup
d'obstacles, causant leurs impopularités du jour au lendemain, voire
même leurs discrédits. Nous pouvons relevés, la diminution
de leurs membres due à la transhumance politique, les fonctionnements
drastiques imposés souvent par le système de parti, les
méthodes de gestions faibles et peu démocratiques, sont des
situations qui rendent entre autre la vie des partis politiques difficile.
Au Togo, les problèmes auxquels les partis politiques
sont confrontés sont relatifs à ces mêmes
réalités que nous venons d'évoquer. Leur fonctionnement
rencontre depuis l'avènement du multipartisme des difficultés
majeures qui endiguent la vie politique et sociale. L'analyse du fonctionnement
de ces partis politiques demeure tributaire du paradigme
ethnique, malgré tous les garde-fous que la Charte
des partis politiques adoptée en 1991 avait prévus.
Le facteur ethnique entrainant << la dissension
ethnique >> dans nos partis politiques et par là dans notre
pays se trouve être d'origine politique. En d'autres termes, il s'agit
d'une manipulation politique. Pour cela, John Aglo affirme dans une
communication à la (CVJR) que :
<< la thèse qui va être défendue
ici est la suivante : il existe dans notre patrie le Togo des dissensions et
que ces dissensions prennent souvent et non pas toujours des formes ethniques.
Cependant, les vraies causes de ces dissensions ne sont pas à situer ni
dans notre diversité ethnique ni dans notre diversité culturelle.
En d'autres termes, les causes véritables de nos dissensions dites
ethniques ne sont pas ethniques, elles sont ailleurs. Elles sont politiques.
[...J Dès lors, la question qui consiste à savoir quelles sont
les vraies causes de nos dissensions ethniques, devient : « comment la
politique procède ou a procédé pour créer entre
nous de dissensions pouvant avoir un impact si profond et miner de façon
si désastreuse notre vivre-ensemble et nos principes
métaphysiques fondamentaux ? >> (Les dissensions
ethniques au Togo, 2012 : 1)
Le rapport de la MOE-Togo évoque quant à lui que
:
<< selon plusieurs sources d'information, les
allogènes ont été sujets à des pressions de la part
du RPT et des propriétaires terriens afin de voter pour ce parti, l'un
des arguments utilisés étant que si l'UFC remportait la
majorité des sièges, ils seraient renvoyés vers leur
région d'origine, le Nord. >>
Ce fait montre qu'au niveau des fonctionnements des partis
politiques << la conquête et l'exercice du pouvoir >> se
fondent sur l'achat de conscience, sur l'intimidation, et surtout sur la
manipulation de l'outil ethnique ; l'un des paradigmes aujourd'hui de la vie
politique africaine. Dans son oeuvre La politique du ventre
(1989), Jean-François Bayard évoque à cet effet
que, les situations des hommes politiques africains qui ne sont autres que le
reflet du fonctionnement des partis politiques. Des exemples ne manquent pas
pour justifier cette réalité.
En poussant notre curiosité à la
vérification des affirmations soulevées, nous avons
analysé la liste du comité directeur ou du bureau exécutif
de quelques partis politiques.
En prenant le cas du bureau directeur de L'UFC mis sur pied au
congrès du 12 août 2010 composé au total de 33 membres,
nous remarquons que 21 des membres sont du Sud Togo soit 63,63% et parmi 21
membres 14 sont d'Aneho (Guin ou Mina) soit 66,66% des 21 membres. Le Nord,
toutes ethnies confondues compte 12 membres soit 36,37% des 33membres. Ces
chiffres montrent que la structure de ce parti à une dominance des gens
du Sud.
En prenant également la composition du comité
exécutif de l'Alliance Nationale pour le Changement (ANC) parti
créé le 10 octobre 2010, qui s'élève à 17
membres, nous constatons que 5 membres sont du Nord (deux Kabyè, un
Moba, un Kotokoli et un Bassar) soit un pourcentage de 29,41% et les 12 autres
membres soit 70,59% sont du Sud. Dans ces 12 personnes, 10 sont Guin ou Mina
soit un pourcentage de 83,33% par rapport au 12 membres du Sud.
Le CAR quant à lui dispose dans son bureau national
exécutif de 25 membres, dont on peut déterminer l'origine
ethnique comme suit : 18 membres sont du Sud, soit 72% et 7 membres du Nord
soit 28%. Dans ces 18 membres, il y a 11 membres soit 61,11% qui sont de
l'ethnie du président, c'est-à-dire qu'ils osnt Ouatchi et les
38,89% appartiennent à l'ethnie Ewé et Mina. Pour les membres du
Nord 5 sont de la région de Sokodé et les deux autres de la
région des Savanes. Cela montre une disproportionnalité dans la
répartition des postes. Nous pourrions remarquer aussi, qu'après
le départ du président fondateur Me Yawvi Agboyibor qui est
Ouatchi, c'est un autre Ouatchi qui est actuellement président à
savoir Me Dodji Apévon.
La situation de l'ex-RPT est un peu exemplaire sur le plan
structurel. La composition de son comité directeur qui n'est que de 7
membres, tient compte de la diversité ethnique du pays ou comme ils le
disent du << panachage ethnique ». En effet, seul le
secrétaire général du parti est élu sans
distinction. Les autres postes sont sujets à des nominations qui
prennent en considération ce panachage. Ainsi, l'ex-secrétaire
général étant Kabyè, son premier secrétaire
est Moba, son second est Adja et les autres postes se répartissent entre
Koktokoli, Ewé, Guin et Kabyè. Mais malgré cette parfaite
répartition structurelle, un cadre du parti déplore que :
<< l'homme a tendance à faire confiance
à sa cellule de base. Le parti étant dirigé par un
Kabyè et comme les Kabyè lui doivent tout puisqu'ils pensent
qu'il les a sauvés des griffes de Sylvanus Olympio, ils adhèrent
tous à ce parti pour conserver le pouvoir et par gratitude. C'est ce qui
continue aujourd'hui. En plus de cela, c'est mal vu aussi d'être
Kabyè et de ne pas être du RPT ». Dans son
fonctionnement donc, le parti est donc représentatif au niveau des
organes, mais dans le fonctionnement et dans l'activisme, une ethnie en fait sa
chasse gardée.
C'est pour éviter ces dérives de l'ethnicisme
dans les partis politiques que la Loi Fondamentale du Togo en ses articles 6, 7
et 8 donne des orientations. L'article 6 spécifie que le rôle
principal d'un parti politique est de concourir << à la
formation et à l'expression de la volonté politique du peuple
» avec une liberté de se former et d'exercer leurs
activités << dans le respect des lois et
règlements » et l'article 8 ajoute qu'ils << ont le
devoir de contribuer à
l'éducation politique et civique des citoyens,
à la consolidation de la démocratie et à la construction
de l'unité nationale ». Tout cela ne peut se faire si les
partis politiques revêtent un caractère ethnique. C'est ce que
prévoit l'article 7 : les partis politiques << ne peuvent
s'identifier à une région, à une ethnie ou à une
religion ».
La charte des partis politiques de 1991 insiste aussi sur cet
aspect. Il stipule dans son article 6 qu'<< aucun parti politique ne
peut s'identifier à une région, à une ethnie, à une
religion ou à une corporation », sous peine de sanction
évoquée dans l'article 26 comme suit : << sera puni
conformément aux lois en vigueur, tout dirigeant de parti politique qui,
par ses déclarations publiques, écrits ou démarches,
incite à la violence, au tribalisme, au régionalisme, au racisme,
à la xénophobie ou à l'intolérance religieuse
». Mais on constate sur le terrain, fortuitement ou pas, l'opposé
de ces législations.
Les conflits ou les dissensions ethniques émergent
souvent dans les sociétés pluriethniques, lorsque l'Etat semble
être dominé par un groupe particulier, ou lorsque toutes les
instances publiques sont aux mains d'une même ethnie, comme le cas des
responsables de l'armée (cf. annexe III), ou encore lorsque des
communautés marginalisées vivent dans la pauvreté, le
chômage et bien d'autres choses. C'est ce que souligne le rapport
Koffigoh :
<< l'origine ethnique, notamment Kabyè, et
l'appartenance ou l'allégeance au clan Eyadema, plus que toute forme
d'idéologie politique ont constitué les critères
fondamentaux de nomination aux postes les plus importants de l'appareil d'Etat
et en particulier dans l'armée, l'appareil sécuritaire et les
structures de gestion et de contrôle de l'économie. »
(2005 : 35)
Par conséquent, << vu les aspects de
clientélisme, et de tribalisme que le pays a connus et connaît
depuis 1963, (avec ou sans statistiques, parce que les gens nient tout le temps
le tribalisme, alors qu'il suffit de se rendre dans les ministères et
d'ouvrir ses oreilles et ses yeux) » (M Kuakuvi, 2011 : 7), le Togo
n'est pas loin de cette réalité ethnique.
En revenant au parti politique, l'adhésion qui se fait
par rapport au projet de société que propose ce regroupement,
laisse place à deux critères essentiels d'adhésion : les
privilèges et avantages, et l'appartenance ethnique. Certains peuvent
cumuler les deux. Ce qui fait que la constitution des partis politiques
ressemble à une association de ressortissants ethniques qui oeuvre pour
une bonne condition de vie.
La réalité s'apparente à une redevance
que l'on doit à son groupe ethnique en adhérant au parti
politique qui s'y rattache. A cet effet, un membre de l'ex-parti RPT dissout va
jusqu'à déclarer lors d'une émission sur un média
privé que << la dissolution de ce parti sera une
libération pour l'élite kabyè, ayant été
pour la plupart boursier. Car étant kabyè, ne pas appartenir
à ce parti ressemble à une trahison, et par conséquent on
est mal vu, vilipendé ».
Notons par ailleurs que, la structure de certains partis
politiques depuis leur création, n'a pas changé de façon
véritable. C'est soit le même qui est à la tête
entouré de ses familiaux, soit il est parti, mais remplacé par un
individu de la même localité que lui. Tout cela oriente aussi les
activités de ces partis sur le terrain en les poussant à
privilégier une population par rapport à une autre. Les
précédents développements nous ont permis
d'appréhender, de justifier et de mieux comprendre cette situation,
objet de notre étude.
Au vu de tout ceci, l'on peut se demander qu'est ce qui
pourrait expliquer qu'un demisiècle après les
indépendances les dirigeants politiques togolais n'ont pas encore
compris que l'exigence démocratique doit nécessairement subsumer
(sens kantien), c'est-à-dire penser les ethnies comme un tout, une
nation, pour son unification ?
L'influence qu'ont joué et continuent de jouer les
partis politiques, dans la civitas togolaise, montre qu'avec une
volonté bien déterminée, cette situation de
précarité à laquelle est soumise le tissu social ou la
cohésion sociale, c'est-à-dire le risque de
dégénérescence en un affrontement inter ou intra ethnique,
peut être dépassée. Qu'est-ce qui peut expliquer alors
cette persistance vers l'attitude ethniciste des partis politiques ? Comment
aussi, le peuple togolais se fourvoie-t-il sur ces questions de clivages,
jusqu'à les cristalliser comme un agrégat légitime ou
légal ?
Voilà quelques questions qui jalonnent notre
étude et qui corroborent la question principale de notre
problématique à savoir, en quoi l'appartenance à une
ethnie conditionne l'accès à un parti politique et à son
fonctionnement au Togo.
Les réponses à cette question ont
été trouvées suite à la recherche proprement dite
menée sur le terrain. Ainsi l'intention générale, le but
de la recherche, ce que vise cette étude sont traduits en
hypothèses et en objectifs.
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