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La concupiscence chez Saint Augustin

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par Fabrice Coupechoux
Université de Rennes 1 - Master 2007
  

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b) L'outil conceptuel

Les Confessions donc est un témoignage et une oeuvre apologétique. Mais pas seulement. En vérité plus que tout autre caractère, celui qui marque le plus la postérité de l'oeuvre est qu'il s'agit, à n'en point douter, du premier ouvrage de philosophie systématique chrétienne. Le livre X à cet égard en est symptomatique. Loin de se complaire à son examen personnel et à louer Dieu, Augustin cherche à expliquer, marqué qu'il était sans doute par la rhétorique d'Ambroise, qui introduisit le plus sûrement la réflexion grecque aux sentiments chrétiens, à travers un certain platonisme explicatif, à rationaliser ce qui s'offrait à son esprit comme une évidence. L'évidence que lorsqu'il péchât il était sous

l'emprise de la concupiscence, que le rejet de celle-ci implique de se tourner vers Dieu et de rejeter les biens terrestres aboutissant aux mauvaises passions : la chair, l'orgueil... l'amène, au sein du livre X des Confessions à conceptualiser la concupiscence, à véritablement l'expliquer, ne se contentant plus de la décrire. Ce faisant, utilise t'il la distinction entre la concupiscence des yeux, la concupiscence de la chair et l'orgueil de la richesse, héritée de la première épître de Jean pour mettre à jour le concept-clé de concupiscence. Il ne s'agit plus pour Augustin de parler du passé, mais de voir dans le présent, dans l'éternité ce qu'implique la concupiscence.

C'est la force de la culture grecque et latine qui l'éloigna de la bible, lorsqu'il fût manichéen, voyant, dans le catholicisme « une religion de bonnes femmes », très peu enclin à admettre, à l'époque, la possibilité de lecture des écrits bibliques regorgeant de nombreuses métaphores et de se simples histoires paraboliques, plein qu'il était de cette éducation qui fit de lui, dans ses premières années de vie d'adulte un professeur remarquable de rhétorique. Cependant, au fur et à mesure qu'il se convainquit de la beauté et de la grandeur du christianisme, dans sa simplicité même, il découvrit que ses erreurs passées venaient de la primauté chez lui de l'orgueil, une de ses concupiscences, qui, avec la concupiscence de la chair, qui l'empêchait de concevoir le célibat, inhérent, selon lui, à la conversion au christianisme. Loin de la vérité, obsédé aussi par le bien et le mal, Augustin, tout au long des Confessions, nous l'avons vu, s'interroge sur ses errements et le pousse au livre X à établir ce qu'est le véritable bien, la vérité, comment l'atteindre. C'est donc par son éducation latine qu'il fût jeune écarté du christianisme et, au sein de ce dixième livre, c'est en rationalisent la question de la concupiscence, du bien, de la vérité qu'Augustin en quelque sorte effectue cette transition de la philosophie grecque au savoir chrétien.

Pour illustrer nos propos, attardons nous un instant sur ce texte :

« C'est pourquoi j'ai considéré mes faiblesses de pécheur dans les trois concupiscences, et j'ai invoqué votre droite pour ma guérison. Car le coeur blessé, j 'ai vu votre splendeur et, forcé de reculer, j 'ai dit : « Qui peut atteindre jusque là ? J'ai été rejeté loin de l'aspect de vos yeux ». Vous êtes la vérité qui préside à toutes choses. Et moi, dans mon avarice, je ne voulais pas vous perdre, mais je voulais posséder à la fois, vous et le mensonge. C'est ainsi que personne ne peut mentir au point de ne pas savoir lui-même ce qui est vrai. Voilà pourquoi je vous ai perdu, car vous n'admettez pas qu'on vous possède avec le mensonge. » (Livre X, ch.XLI)

C'est donc, la recherche de la vérité, du salut, l'abandon des erreurs passées qui le poussent à réfléchir sur la concupiscence en philosophe.

Dans ce livre X, en philosophe, Augustin établit avec rigueur un système dans lequel, l'idée « On ne trouve le bonheur qu'en Dieu »16 s'associe à celle

que « Le bonheur est inséparable de la vérité, guide toute la réflexion »17. Ainsi, fait-il dans la connaissance de Dieu et la fusion avec lui le bien suprême. Cette réflexion, éminemment importante, sur le bien suprême aura une grande postérité, puisque Descartes, Leibniz ou Spinoza s'en feront écho dans leurs oeuvres, poussant ce dernier, dans son Traité sur la réforme de l'entendement à parler du souverain bien comme l'état qui consiste à « arriver à jouir de cette nature supérieure » qui est « la connaissance de l'union qu'a l'âme pensante avec la nature entière »18, appelant à abandonner ces faux biens que sont le plaisir, l'honneur et la richesse. Lointain précurseur donc, Augustin, par son traitement de la concupiscence, n'eut jamais d'autres ambitions que d'accéder à cette connaissance de la vérité, passant par la connaissance de Dieu et l'abandon des biens qui attachent l'homme au monde.

Ce faisant, il établit une hiérarchie des passions éloignant de Dieu à partir des trois concupiscences héritées de la première épître de Jean. A la concupiscence de la chair, `concupiscentia carnis', Augustin associe la volupté (XXX) qui attache l'homme aux femmes par l'attirance sexuelle, l'intempérance, qui consiste en l'ivrognerie ou en la gourmandise (XXXI), les plaisirs de l'odorat (XXXII), les plaisirs de l'ouïe (XXIII). Comme Paul, qui dans son épître aux Galates énumérait les passions attachées à la convoitise de la chair, Augustin fait un panorama de celles-ci mais, contrairement à l'apôtre il rationalise cette énumération, ne se servant d'elles non pas comme exemples mais comme des réalités à traiter dans le cadre de la démonstration du caractère mauvais de la concupiscence de la chair. A la concupiscence des yeux, cette `concupiscentia occulorum' du texte biblique, il associe la curiosité (XXXV), voyant toute expérience qui est l'oeuvre des sens comme cette concupiscence des yeux. L'oeil, nous le savons depuis les tragédies grecques, à travers ce devin qui vit la chute d'OEdipe bien qu'aveugle, est le symbole de l'attachement de l'homme aux perceptions des sens qui le pousse, métaphoriquement parlant, à être aveuglé ou extralucide. C'est de cet héritage que vient, pour Augustin, l'association de la concupiscence des yeux à toute expérience sensuelle trompeuse qui pousse parfois, loin de Dieu, à être berné par de fausses vérités et à adorer de faux dieux, tout en adorant les spectacles et à tenter Dieu par la demande d'oracles. Enfin, pour parachever, son analyse des passions mauvaises à l'aune du texte de l'épître de Jean, Augustin étudie cette `superbia vitae', l'orgueil dont il est dit que « l'amour de la gloire est habile à se déguiser » (XXXVIII). Pour Augustin, plus que toute autre, c'est la concupiscence de l'orgueil qu'il est impératif de rejeter, pour vivre au sein des disciples du Christ en toute humilité non feinte -car il y a de l'orgueil à faire croire que l'on vit humblement sans que ce soit véritablement le cas- ; c'est aussi cette concupiscence qui pousse l'homme sacrilège à se croire l'égal de Dieu.

De cette analyse ressort que pour Augustin, l'homme constamment soumis à la tentation, comme il le souligne par l'analyse du rêve qui soumet l'homme, inconsciemment, aux affres de la concupiscence, ne laissant jamais l'humain en

parfait repos : « ces fictions ont un tel pouvoir sur mon âme, sur ma chair, que toutes fausses qu'elles sont, elles suggèrent à mon sommeil ce que les réalités ne peuvent me suggérer quand je suis éveillé ». (XXX). Un double mouvement parcourt cette fin du livre X des Confession : l'homme doit se débarrasser des passions mauvaises -et Augustin les énumère- et faire passer le sien chemin sur la voie qui mène à Dieu, la voie de la vérité. Seul compte alors l'amour qui mène à Dieu, opposé à la concupiscence. Ce constat, Pascal, lui-même au sein des Provinciales, le fera sien en opposant l'amour que Dieu répand dans l'âme tandis que la concupiscence la sollicite19.

Par cette analyse de la concupiscence, c'est aussi l'occasion d'affranchir le christianisme du néoplatonisme auquel il était souvent associé, chez Ambroise notamment. Se dessine l'autonomie de la recherche de la vérité par la voie chrétienne, la seule possible pour Augustin, allant à l'encontre du néoplatonisme, c'est-à-dire ce platonisme revisité qui expose qu'il faut reconnaître comme source d'une procession universelle un Principe absolument ineffable, nommé symboliquement « l'Un » ou « le Bien ». Il faut admettre à l'origine de toute pensée une sorte de coïncidence mystique, tout aussi inexprimable, avec ce centre universel. L'effort philosophique consiste à rejoindre par le circuit dialectique cette racine éternelle de l'âme, sans aucune confusion d'essence ni abolition de sujet spirituel. On voit que la philosophie est ici avant tout la conscience méthodique de la religion. Le néo-platonisme affirme que la voie de l'homme vers ce bien implique un médiateur qui partage des qualités avec l'homme ainsi qu'avec celui-ci. Alors que le néo-platonisme appelle de ses voeux un homme débarrassé de sa mortalité, Augustin montre que pécheur l'homme ne peut pas être immortel et fait de l'abandon de la concupiscence, à la façon de Jésus Christ, le seul médiateur, la voie vers la vérité, vers Dieu. Ainsi, si la pensée augustinienne accueillit un temps le néo-platonisme, héritant des analyses d'Ambroise qui font de celui-ci un complément du christianisme, identifiant le Bien, l'Un à Dieu, elle s'en détourna pour l'abandonner car ne reconnaissant pas la révélation qui, pour Augustin est indispensable à tous les développements de la pensée chrétienne.

Ainsi, dans ce livre X des Confessions, Augustin en même temps qu'il représente un essai de philosophie chrétienne en utilisant les méthodes traditionnelles de la philosophie héritées de la culture grecque par le traitement de la concupiscence, se débarrasse des préceptes nouveaux du platonisme pour affirmer l'indépendance du christianisme et introduire, ce faisant, une philosophie du salut.

De manière générale, que la concupiscence soit pur ressenti et la notion explicative des fautes passées pour Augustin, son désir de fonder le christianisme rationnellement, qui se manifeste au livre X des Confessions, le pousse à considérer la concupiscence non plus comme cette notion si présente

dans les sermons et les lettres des premiers chrétiens et en faire la pierre angulaire de toute une théorie du Salut.

Comme le note Joseph Trabucco, dans sa préface aux Confessions, celles- ci, « on le sait, content une passionnante aventure spirituelle : la quête de Dieu. Une âme à travers les biens créés, d'illusion en illusion, de peine en peine, jusqu'à ce que, l'ayant enfin trouvé, elle s'y repose. D'autres convertis illustres, Pascal, Newman, Maine de Biran, après Augustin, nous décriront, à leur tour, leur itinéraire vers Dieu. Mais c'est Augustin qui le premier, leur a montré la voie. ».20

Plus qu'une simple évocation des événements d'une vie, Les Confessions est le récit de l'aventure intellectuelle et spirituelle, tourmentée et passionnée, d'un esprit éperdument lancé à la recherche de la vérité. L'accueil de la grâce divine par le libre arbitre est au coeur de la destinée, dont ce livre, dans un style à la fois sublime et frémissant, donne le témoignage exceptionnel. Ce livre en comparaison duquel La Cité de Dieu, rédigé en 426, tranchera par son système tout en reprenant les thèmes de ce premier essai de philosophie chrétienne, reprenant notamment le thème central de la concupiscence.

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