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La concupiscence chez Saint Augustin

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par Fabrice Coupechoux
Université de Rennes 1 - Master 2007
  

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c) Libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi

Parmi les ouvrages de saint Augustin les plus importants, seul La cité de Dieu fait l'objet d'une présentation de ses motifs et de son plan dans les Rétractations, rédigées en 427 : « Rome fut détruite sous le coup de l'invasion des Goths que conduisait Alaric ; ce fut un grand désastre. Les adorateurs d'une multitude de faux dieux - les païens - s'efforçaient de faire retomber ce désastre sur la religion chrétienne et se mirent à blâmer le vrai Dieu avec plus d'âpreté [...] que d'habitude. C'est pourquoi [...], je décidai d'écrire contre leurs blasphèmes ou leurs erreurs les livres de la Cité de Dieu. »

Augustin se plaît à rappeler au lecteur son plan rigoureux : vingt-deux livres, les dix premiers consacrés à la réfutation des Païens idolâtres et de leurs défenseurs, les douze autres à l'origine (XI-XIV), au développement (XVXVIII) et aux fins (XIX-XXII) des deux cités. Il se garde de mentionner les nombreuses digressions qui allongent considérablement son ouvrage. C'est un des rares livres où se vérifie le progrès de sa pensée. Il en commença la rédaction en 412 et, non sans de longues interruptions, il l'acheva au terme de treize longues années, soit en 426.

Si ce n'est pas un ouvrage de circonstance, La Cité de Dieu ne répond pas moins à une demande faite par un des amis de l'auteur, Flavius Marcellinus, haut dignitaire de la chancellerie impériale, encore païen, mais désireux de s'instruire du christianisme. Les événements de la prise de Rome par Alaric en 410 sont

plutôt l'occasion que la cause et, d'emblée, comme le souligne Lucien Jerphagnon, il convient de ne pas identifier Rome à la cité terrestre et l'Église à la cité de Dieu. C'est dès 400 qu'Augustin porte en lui le thème de ce traité : « Deux cités, celle des impies et celle des saints s'avancent depuis l'origine du genre humain, jusqu'à la fin du monde » (La Première Catéchèse, 19, 31). Et un peu plus loin, nous lisons : « Jérusalem, la très illustre Cité de Dieu, dont les citoyens sont des hommes sanctifiés... Le Roi de cette Cité est le Seigneur Jésus- Christ » (20, 32). Et c'est au livre XIV, chapitre 23 de La Cité de Dieu que figure la très dense affirmation : « Deux amours ont bâti deux cités : celle de la terre pour l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu et celle du ciel pour l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi. »

Sur la nature précise de l'ouvrage, les commentateurs s'accordent aujourd'hui à le considérer « non comme un traité de théorie politique, ni comme l'expression d'une philosophie de l'histoire, qui s'efforcerait de cerner un dessein divin dans le cours des événements » (Henry Chadwick). Augustin s'y révèle exégète, philosophe et théologien et s'inspire tour à tour de la Bible, de Cicéron, de Varron, d'Eusèbe, en remontant à Platon, Porphyre et Plotin. Il offre une vision théologique de l'histoire de l'humanité, de l'histoire du péché et du salut, du bonheur et du malheur.

Les destinataires de La Cité de Dieu sont les intellectuels, contemporains d'Augustin, non convertis au christianisme, même si l'auteur donne parfois trop l'impression de s'acharner sur un « paganisme de bibliothèque ». Tel un rhéteur, brillant et prolixe, Augustin passe de la polémique à une démonstration dogmatique : après sa « démolition du paganisme », il entreprend de montrer que seul le christianisme propose la vérité qui satisfait le coeur et l'intelligence, étant le chemin qui libère du mal et de la misère.

La Cité de Dieu, dans le prolongement des Confessions, continue ce travail de saint Augustin d'explication des préceptes du christianisme. Comme ces confessions qui le poussent à rechercher la vérité en Dieu et en porter témoignage au monde, La Cité de Dieu, ouvrage de pure philosophie où le doute n'a plus de place comme dans l'oeuvre précédente, n'en garde pas moins ce trait fondamental des oeuvres augustiniennes qu'elle répond à des attentes actuelles en contredisant les adversaires du moment, les Païens ici et non les Manichéens. Pourtant, si elle prend sa source dans un conflit contemporain à Augustin, opposant Chrétiens et Païens, l'oeuvre diverge grandement des Confessions en ne se basant plus sur la vie exacte de l'auteur. La Cité de Dieu comme nous l'avons vu porte à des considérations théologiques et politiques des problèmes qui auparavant étaient traités dans la perspective d'une réflexion philosophique morale.

Dans ce cadre, même si elle s'inspire des recherches antérieures, représentées par Les Confessions, l'explication de la concupiscence, son interprétation est effectuée d'un point de vue tout à fait original. Il ne s'agit plus

pour Augustin d'étudier la concupiscence dans l'optique qui le poussait à expliquer, précédemment chaque concupiscence une à une, comme outil conceptuel ; il s'agit encore moins d'allier à cette analyse des considérations biographiques. La concupiscence, dans La Cité de Dieu, recouvre un domaine tout à fait original puisque dorénavant, ce qui importe c'est de montrer les conséquences à l'échelle politique de ce « péché qui habite en nous ». Ce faisant il s'arme de nouveaux concepts absolument originaux. Ces concepts, émergeant de la pensée augustinienne pour actualiser la thématique de la concupiscence ne sont autres que la Libido sciendi, la Libido sentiendi et la Libido dominandi. Cette nouvelle conceptualisation est difficilement retranscrite par le français. La libido, dans l'acception qu'en fait Augustin, est semble-t'il cette tendance inhérente à l'homme qui le pousse à satisfaire sa concupiscence. En quelque sorte, la libido est la manifestation en l'homme de la présence de la concupiscence. C'est cette libido qui pousse Freud, au XXème siècle, à considérer la libido de la psychanalyse comme la pulsion de l'homme qui l'amène à interagir avec les autres hommes et le monde. Cependant, tenter de définir la libido ne suffit pas car dans le texte ce terme n'est jamais seul, non accompagné des adjectifs qui le suivent. Par libido sentiendi, il serait difficile de ne voir que la seule concupiscence de la chair, définie auparavant dans Les Confessions ; elle est plus sûrement la tendance à satisfaire les désirs des sens qui se manifeste aussi bien dans la luxure que dans la gourmandise, la paresse ou encore la curiosité qui pousse à aller, par exemple, au théâtre. Plus généralement, la libido sentiendi est la satisfaction des appétits du corps poussée par la concupiscence de la chair certes mais aussi la concupiscence des yeux. La libido sciendi elle semble désigner ce qu'Augustin définissait avant comme la curiosité ou la vanité de l'homme lorsque celui-ci, reposant sur ses doctes connaissances, prétendait appréhender, par sa seule raison, la vérité. Ici, par libido sciendi, Augustin vise les Païens qui, imbus de leur philosophies, se détournaient de Dieu et se perdaient dans les spéculations. Enfin, la libido dominandi n'est rien d'autre la volonté de puissance de domination sur l'autre homme qui pousse à l'orgueil.

Les libidos, en quelque sorte, à bien y regarder n'ont que peu de choses en commun avec les distinctions faites au sein de la première épître de Jean et le livre X des Confessions ; les trois concupiscences se retrouvent toutes à divers degrés dans les trois libidos. S'il est évident que la tripartition de la concupiscence en trois libidos s'inspire de la tripartition première en trois concupiscences, il semble qu'avec La Cité de Dieu, Augustin se réinterroge et pousse à une nouvelle conceptualisation de la concupiscence plus appropriée au domaines politique et théologique. La concupiscence se revoit donc attribuer une unité défaite par son ancienne division qui n'est pas de pure commodité. La concupiscence est absolument le résidu du péché dans l'être humain, mais conceptuellement est différenciée : qu'elle soit étudiée dans le cadre d'une philosophie morale ou une philosophie politique.

La réflexion politique qui est au centre de La cité de Dieu avec la réflexion théologique nous amène à nous questionner sur la nécessité de l'emploi de la thématique de la concupiscence au sein de cet ouvrage. Par delà un travail de philosophe qui fait de la concupiscence l'explication des malheurs qui s'abattent sur Rome, il s'agit de critiquer l'ancienne culture païenne, montrant comme le fit Paul et Tertullien avant lui que la favorisation de la concupiscence est un trait distinctif du paganisme. A travers la libido sentiendi est-il dissimulé une critique des pratiques romaines de l'orgie, des jeux de même que la libido sciendi répond à cette idée qu'on arrive à tout entendre par la raison, sans l'appui de forces extérieures, il s'agit de critiquer le scepticisme et les philosophies néo-platoniciennes ayant la faveur des Romains. De plus, la conceptualisation de la libido dominandi, répond aux souffrances que s'infligent entre eux les romains vainqueurs comme le montre l'analyse des guerres romaines, grecques ou puniques au premier livre de La Cité de Dieu.

La réflexion politique et théologique de la concupiscence est diffuse sur l'ensemble de la colossale oeuvre que constitue La Cité de Dieu, cependant faisant preuve d'un plus grand réalisme qu'auparavant, allant sûrement de pair avec une plus grande maturité, Augustin avec finesse voyant dans la concupiscence un état inhérent à la condition humaine demeure moins stricte qu'auparavant. Pour lui, désormais, il ne s'agit plus de la rejeter totalement comme auparavant mais de montrer que le salut des faibles peut s'en accommoder sans pour autant la favoriser, en la jugulant au maximum, montrant qu'il y a des moments dans la vie où elle est inactive bien que présente, reprenant sa réflexion, initiée au livre X des Confessions, sur la manifestation de la concupiscence dans le sommeil, s'interrogeant « Que si cette rebelle concupiscence, qui habite en nos membres de mort, se meut comme par sa loi propre contre la loi de l'esprit, n'est-elle pas sans faute dans le refus de volonté, puisqu'elle est sans faute dans le sommeil ? » (XXV, Livre 1). Ainsi, la voie du salut n'est pas le rejet de la concupiscence mais de ne pas lui accorder sa volonté. Ainsi, pour Augustin la femme violée n'a pas favorisée la concupiscence car, ayant à subir les violences d'un homme, elle subit la concupiscence d'un autre qui n'est pas de sa volonté.

Cette réflexion sur la concupiscence trouve un développement favorable au sein du Livre XIV de La Cité de Dieu car pour Augustin, de même qu'il ne se plaint pas de vivre dans un corps comme le font les platoniciens, celui qui vit selon Dieu ne vit pas insensiblement sur cette terre comme le voudraient les stoïciens. Ainsi, pour Augustin, nos excès et nos vices n'exigent pas que nous nous élevions contre la nature et la chair, ce qui serait faire injure au Créateur. Ce qui importe, nous le répétons est la qualité de la volonté de l'homme. Les citoyens de la Cité de Dieu n'ont pas pour idéal l'insensibilité stoïcienne : ils souffrent, ils gémissent, ils désirent. Tout ceci amène à Augustin à une analyse psychologique de la libido, en particulier sexuelle, en laquelle il voit une révolte

intérieure à l'homme, causée par la révolte contre Dieu. Il finit par voir dans la honte sexuelle et la désobéissance du désir à la volonté comme les conséquences du premier péché, celui d'Adam tenté par Eve. Analyses hautement originales et propres qui seront destinées à avoir une grande influence en Occident.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille