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Savoirs et savoir- faire locaux face aux politiques agraires: diagnostic d'un système agraire dans un village Khamou ou du Nord Laos

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par Pierre- Yves Heurtier
Université Aix-Marseille 1 - Master 2 anthropologie sociale et culturelle 2006
  

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4.4. Les difficultés des travaux :

La plupart des familles ne peuvent pas travailler en même temps dans leurs différentes exploitations. Ils auraient pourtant besoin de construire des cabanes à essart et à rizières irriguées, des barrières de protections des rizières irriguées, de reconstruire les canaux d'irrigation et les digues en même temps que de sarcler avant les semis de riz et de maïs.

Dans ces cas, la main d'oeuvre suffisante et l'entraide villageoise manquent cruellement.

Selon les villageois, les travaux les plus pénibles sont les défrichages et sarclages de bambou, épineux, broussailles et hautes herbes qui poussent très rapidement (1 m de hauteur en 1 an). Ils sont conscients que ces types de végétations n'apparaissent qu'avec une friche de courte durée, trois à cinq ans au plus. C'est essentiellement sur les essarts-jardins de maïs, coton, tabac, sésame et légumineuses que l'exploitation est intensive, sédentarisée sur une même parcelle. Seules les périodes de soudures (les paysans qui possèdent deux champs par saison, peuvent choisir de ne rien cultiver sur une des deux parcelles durant la saison sèche) permettent à la parcelle de se reposer et à la végétation de friche courte de repousser.

171 Pa lao en langue lao.

172 La biomasse aérienne accumulée pendant la friche en éléments minéraux est directement exploitables après brûlis par les cultures, même si une large partie est perdue avant le développement des cultures. Durant la friche, l'érosion reste limitée du fait de l'absence de travail du sol, de la couverture arborée permanente qui protège des pluies et de l'enracinement profond des arbres qui retiennent les sols. La friche de longue durée réduit la stock de graines de mauvaises herbes en abaissant leur pouvoir de germination. La fonction de l'écosystème qu'est la friche remplace la circulation superficielle de l'eau par une circulation verticale qui contribue au développement de la biomasse et à la structuration des sols. O. Ducourtieux 2006 : 36.

173 De Rouw 1995 ; Roder et al. 1997a.

Travailler dans ce type de parcelle est éprouvant. D'abord pour la chaleur étouffante de cette période sèche et de l'absence d'ombrage, du manque d'eau potable en quantité suffisante pour s'hydrater aux champs, mais aussi pour les difficultés à couper les graminées à raz le sol, à retirer, sans abîmer le sol, les longs réseaux de racines de surface inutiles au maintient d'un sol peu friable car peu pentu. Il faut atteindre les pieds piquants des broussailles pour les sectionner d'un coup de poignet, se tenir en équilibre avec des nu-pieds sur les parties des pentes friables où logent parfois des insectes, des fourmis, des serpents...

Le travail se fait assez rapidement pour arriver vite au sommet de l'essart, se reposer à l'ombre, boire, fumer ou redescendre se baigner dans la rivière.

Au village, il y aurait beaucoup d'herbes à jachères174 hautes d'un maximum de 3 mètres.

C'est pourquoi il est important, de désherber avant les premières pluies du mois d'avril pour ne pas que les herbes déjà hautes retrouvent une nouvelle vitalité après la saison sèche et n'obligent à un désherbage éreintant et long.

Selon le jeune marié, le plus difficile est le débardage et le brûlis des derniers tas de bois pour faire un champ propre à la culture.

Le mois le plus pénible en terme de chaleur est le mois d'avril qui correspond d'ailleurs au débardage, aux derniers brûlis puis au désherbage.

Dans sa famille, le désherbage s'effectue environ 3 à 4 fois aux mois d'avril (sarclage d'avant semi de riz pluvial qui s'associe au débardage) de juillet et août (sarclage d'après semi).

Ils savent bien qu'un désherbage moins fréquent et rapidement effectué nuirait aux récoltes. Les herbes qui croient rapidement empêcheraient les plants de voir le soleil et donc de se développer.

Pour le travail de désherbage la famille ne possède pas de bêche et faute de posséder des machettes à lames recourbées spécialement conçues pour le désherbage, ils utilisent des machettes à lames droites qui atteignent tout juste sept ans d'utilité, ce qui implique un rachat fréquent des outils de mauvaises qualités.

Avec les machettes à lames droites le travail de désherbage devient éreintant sous la chaleur. Les travailleurs sont obligés de courbés beaucoup plus le dos qu'avec les machettes à lames courbées. La lame droite doit couper les herbes le plus bas possible de la tige portant des coups rapides grâce à un fouetté du poignet. Cette procédure ne peut s'effectuer avec la machette à lame droite qu'en se baissant pour que la lame puisse sectionner d'un coup les tiges.

Le travail de déracinement est tout aussi éprouvant puisqu'il faut couper les racines pour qu'elles meurent. La lame droite abîme plus le sol que ses cousines à lames courbées qui coupent les herbes puis les racines en frôlant parfaitement le sol sans l'abîmer.

Parfois, pour éviter de se fatiguer à des tâches de déracinement, ils laissent les animaux (chèvres et bovidés) entrer dans les parcelles désherbées pour les laisser manger les restes de racines et d'herbes.

Ils pensent perdre du temps lorsqu'ils ont beaucoup de travaux à faire en même dans une courte période avant les pluies et les dates traditionnelles. Selon le jeune marié, ils perdent du temps à cause d'un manque de main d'oeuvre, d'un manque d'entraide, d'un manque de moyens extérieurs aux techniques locales, des mauvaises prévisions météorologiques et de l'histoire de

174 mai hoc en langue lao.

l'essart qui a rendu la terre infertile et ne laisse désormais pousser que des herbes hautes difficiles à maîtriser, demandant un long travail pénible qui empêche pendant ce temps de construire les cabanes d'essarts, les barrières de champs, la rénovation des digues et canaux d'irrigation des rizières...

Monsieur Paeng pense ne pas perdre de temps. S'il en perd, c'est qu'il doit parfois attendre les changements météorologiques durant les périodes climatiques extrêmes, en cas d'insuffisance ou de surabondance de pluie.

Selon lui la météorologie est le facteur primordial jouant sur la réussite des récoltes. Malgré la possession de bonnes terres, la gestion réussi des travaux, « nous dépendons trop de la nature ». Le second facteur se trouve être la qualité des semences. Monsieur Paeng dit que les semences qui viennent de l'étranger ne sont pas de bonnes qualités.

Pour vaincre ces problèmes, il prévoit dans les années à venir de préparer le sol, chose qu'il n'a jamais faite, afin de ne plus dépendre de la nature pour vivre.

Si Monsieur Paeng avait à recommencer sa vie, il choisirait de cultiver des rizières et de planter des arbres pour la rente. Il dit être disponible pour changer de pratique agricole mais attend que les autorités proposent des alternatives.

Les risques les plus fréquents pour sa famille sont de perdre les récoltes pendant la saison des pluies. Après neuf mois de saison sèche étouffante et asséchante, la pluie tombe durant trois mois, en grosse quantité, délavant les sols, créant une érosion régulière sur tout le territoire et emportant les cultures dans des coulées de boues, obligeant très souvent à replanter des semences. Le manque de soleil précédent un trop plein de pluies durant les mois de juillet et août, le climat ne permet pas aux cultures d'essarts de s'épanouir convenablement. Si depuis cinq ans, chaque année, la saison des pluies est en retard, il arrive aussi que des pluies surviennent trop tôt, humidifiant les abattis qui séchaient, ne permettant plus de pouvoir brûler en temps voulu.

Un autre risque provient des animaux domestiques errants sur le territoire à la recherche de quelques plantes comestibles accessibles. Une perte de temps dans une étape du procès agricole ne permet pas de confectionner les protections (barrières, pièges...) contre les animaux en temps voulu. Heureusement pour la famille interrogée, leurs champs se situant à 50 minutes du village, ils sont peu confrontés aux dégradations animales provenant du village trop éloigné. S'ils ne trouvent pas le temps de construire leurs barrières, ils ne les construisent pas.

L'élevage est aussi touché par les risques. Les animaux s'endorment au milieu de la piste ou traverse à n'importe quel moment provoquant ainsi des accidents. Depuis 1995, 11 buffles ont été tués par accidents.

Toujours selon le jeune marié de mauvais outils (la lame qui se détache fréquemment du manche, qui se casse facilement sur du bois dure ou des cailloux pendant le désherbage et qui oblige à l'aiguiser toutes les deux heures) font perdre de la main d'oeuvre qui n'a plus d'outils pour travailler et qui doit utiliser parfois des branches pour ratisser et des machettes à lames droites pour désherber ou rentrer à la maison.

Après observations, la santé des travailleurs paraît être un facteur important de la main
d'oeuvre. Un manque d'accès aux soins peut être à l'origine d'un manque de main d'oeuvre

valide, d'une perte de temps sur le calendrier agricole et donc d'une récolte très mauvaise. 5. Synthèse :

Le bon fonctionnement du système agraire villageois ne semble pas être d'actualité.

Les savoirs et savoir-faire locaux qui semblent adaptés aux conditions climatiques du milieu175 et respecter les forces naturelles auxquelles sont soumis les villageois176 ne résistent pas sous les pressions politiques et socio-économiques177.

La zone d'étude est l'illustration d'un village ciblé pour son développement par les autorités laotiennes qui ont y relocalisé des familles depuis plus de 10 ans.

Comme très souvent deux analyses se confrontent.

Officiellement, les déplacements ont été volontaires, l'entraide entre les différents groupes ethniques a fonctionner, aucun conflit n'a eu lieu, le village de Bouamphanh se serait développé avec des conditions de vie meilleures que dans les villages de départs, des terres fertiles seraient encore libres d'être exploitées, les villageois coopéreraient en grande majorité aux réformes agroforestières et les responsables agroforestiers seraient très tolérants vis à vis des défriches illégales.

Le diagnostic entrepris montre une autre facette de ce beau tableau.

Les aléas climatiques et la géomorphologie des terrains n'offrent aucune garantie aux paysans pour avoir de bonnes récoltes.

La pression démographique n'est pas prise en compte par les autorités qui poursuivent les pressions pour éradiquer les pratiques d'abattis brûlis (1 ha d'essart par famille). Les villageois commencent à ressentir l'éloignement des champs, l'épuisement des ressources forestières et le manque de parcelles fertiles à cause d'une réduction des temps de friches (4 ans en moyenne) et d'une augmentation des temps et des surfaces de culture de maïs.

Des tensions apparaissent avec les écarts sociaux qui grandissent178 et un manque d'intégration des populations allogènes aux prises avec des ségrégations ethniques179.

Le village de Bouamphanh ne semble pas s'être développé au regard des données statistiques de 2001 et des données économiques de 2006.

Malgré la densité démographique, la quantité de travail par actif ne permet pas d'assurer les travaux agricoles. Ce paradoxe s'explique par un assolement dispersé, une volonté politique d'adapter les cultures paysannes aux besoins du marché libéral en privatisant le foncier, en développant une culture de rente de maïs et d'arbres destinés à la vente, accroissant le salariat intra-villageois qui amenuise l'entraide villageoise et ne permet plus aux familles d'avoir assez

175 Voir les sous chapitres : << Choix des parcelles : Appréciation de leur qualité », << L'itinéraire techniques », << Le riz et le maïs », << la météo comme instrument de travail ».

176 Voir les sous chapitres : <<La religion », << les tabous alimentaires », << le calendrier agricole »,

177 Voir les chapitres : << L'environnement socio-économique », << Les raisons du résultat négatif de l'allocation des terres », << Les conséquences de la loi d'allocation des terres », << L'adaptation des paysans aux conséquences négatives de la loi d'allocation des terres », << La situation de Bouamphanh », << L'affaiblissement de l'entraide »,

<< Les outils ».

178 Les nouveaux arrivants sont défavorisés par rapport à leur inexpérience du finage, à leur inaccessibilités aux meilleurs parcelles par rapport aux familles héritières du village ainsi qu'aux familles liées aux autorités.

179 Illustrations des préjugés et ségrégations ethniques dans les sous chapitres : << la langue », << les mariages »,

<< localisation sociale au village », << les élections », << L'organisation du travail : Affaiblissement de l'entraide »...)

de main d'oeuvre disponible pour leurs travaux. Ce manque de main d'oeuvre se ressent essentiellement durant la période des pointes de travail (d'avril à juillet) qui densifie le calendrier agricole et illustre la limite de l'efficacité du système.

Les mauvais résultats de l'allocation foncière, les statistiques laotiennes peu sérieuses et leurs analyses rapides, les changements de termes pour qualifier les mêmes pratiques d'abattis brûlis, la poursuite des coupes massives illégales mais organisées, illustrent les paradoxes politiques dont font preuves les autorités laotiennes. Les premières motivations louables d'éradiquer l'agriculture d'abattis brûlis et de développer les zones rurales ressemblent désormais à « l'arbre qui cache la forêt >>. Le gouvernement laotien souhaite libérer des zones forestières de leurs habitants pour exploiter plus librement les forêts national. Il est aussi très probable que les déplacements de populations montagnardes soient motivées par la volonté d'en faire des citoyens laotiens soumis aux lois nationales. La réduction des pratiques sacrificielles et la fréquentation des chamanes en sont des illustrations. Une perte des particularismes ethniques est en train de s'opérer pour les bienfaits de quelques laotiens au pouvoir.

Ces déplacements près des routes permettent d'amortir les frais d'infrastructures sanitaires et sociales et surtout de mieux contrôler les surfaces défricher.

Les bailleurs de fonds internationaux attendent des résultats de l'économie laotienne et le gouvernement laotien tente de les atteindre rapidement, trop peut être.

Des études récentes commandées par ces organismes d'aides financiers commencent à montrer l'échec des politiques libérales dans un pays longtemps habitué à la gouvernance socialiste, majoritairement agricole et où vivent de nombreux groupes ethniques montagnards.

Il semble que la situation de crise économique et sociale actuelle déteigne sur le milieu naturel local. Les paysans touchés par des pressions foncières importantes se retrouvent avec moins de ressources pour vivre et « apparaissent comme des concurrents des espaces forestiers. La forêt apparaît comme un obstacle au développement agraire et les arbres comme des reliques forestières et des signes de manque d'intensification agricole >>180.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King