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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

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par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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Paragraphe 2 : La structuration institutionnelle des Accords de Paix

L'hypothèse testée plus haut peut être confrontée à la réalité dans l'analyse de la gestion post-conflit. Celle-ci permet d'identifier le poids des institutions dans la définition des principes de base des Accords de Paix (A) et dans leurs modalités d'application (B).

1 Journal Officiel de la République du Niger, n°3 du 1er février 1994.

2 Journal Officiel de la République du Niger, n°24 du 15 décembre 1994, p. 985.

3 Alexandra Jonsson, « Incrémentalisme » in Laurie Boussaguet et al, Dictionnaire des politiques publiques, op cit, p. 261.

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A. Les principes de base des Accords de Paix

Les Accords de Paix, en ce qu'ils prenaient en compte les revendications de la Rébellion sur la forme de l'Etat, étaient censés consacrer une rupture avec les institutions politiques existantes. L'étude du contenu des Accords de Paix montre à la fois l'effet structurant des institutions existantes, mais aussi des éléments de rupture. Dès la signature de l'Accord du 9 octobre 1994, le Gouvernement obtint de la Rébellion l'acceptation de la décentralisation en lieu et place du « fédéralisme ».

Cet Accord sur la forme de l'Etat fut repris dans les Accords du 24 avril au titre II où les parties réaffirment leur « l'attachement à la constitution du 26 décembre 1992 » et leur l'adhésion aux « déclarations des droits de l'homme de 1948, et la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 ». Il s'agissait d'un pas majeur quand on sait que dans le Programme Cadre de la Résistance (PCR), la Rébellion proposait une forme d'Etat assez atypique. Celle-ci n'était ni une fédération, ni une confédération, encore moins un Etat unitaire décentralisé. Ce qui caractérisait cette forme d'Etat, c'était avant tout une conception fascisante de la nation1.

Dans leur analyse juridique de ce «fédéralisme inédit», Mamadou Dagra et Amadou Tankoano écrivaient : « Le fédéralisme de la rébellion tend à la "purification" ethnique comme en Bosnie. En effet, tant du point de vue du territoire, de la population que du pouvoir politique, il vise à la mise en place d'un Etat à base ethnique dans lequel n'auraient des droits que les "ressortissants" des régions revendiquées. Ainsi, seuls les "autochtones" seraient électeurs et éligibles ; eux seuls seraient bénéficiaires de recrutements aussi bien dans les sociétés minières, l'administration que dans les Forces de Défense et de Sécurité »2.

Ces Accords démontraient l'impact des normes établies d'autant plus que la procédure d'adoption des textes sur la décentralisation suivait les formes classiques d'adoption des lois. Toutefois, les Accords de Paix introduisaient une procédure exceptionnelle consistant en la participation des ex-rebelles dans une commission spéciale de reforme administrative. La politique de réinsertion des ex-combattants, telle qu'elle était esquissée dans les Accords de Paix, reflétait également l'impact des institutions.

Dans le titre V (point D.3) de l'Accord du 24 avril, le Gouvernement s'engageait à « intégrer des éléments démobilisés de l'ORA à tous les niveaux de l'administration publique selon les critères de compétence et les nécessités de l'Etat », « Il en sera de même pour les fonctions politiques». Dans le même sens, le Gouvernement assortit l'intégration des ex-combattants dans les FAN, la Gendarmerie Nationale, les Forces paramilitaires à une «formation appropriée» après avoir souscrit à un « engagement conformément aux dispositions réglementaires ».

Au sein des FAN par exemple, 19 ex-combattants intégrés, déclarés inaptes pour le corps, furent remplacés en 19974. Ces dispositions des Accords de Paix traduisent le souci permanent de l'Etat de préserver les institutions existantes et les normes régissant son fonctionnement. Le Gouvernement n'entendait pas sacrifier les principes de l'Etat de droit sur l'autel du pragmatisme et de la real politik commandés par les circonstances. Mais cette subtilité de la partie

1 Les «régions touarègues» seront dotées de leur propre constitution à laquelle doit se conformer la constitution du Niger. Dans ces régions revendiquées par la Rébellion, « seules les populations touarègues, Kawariennes et Peuls Bororos autochtones seront électrices et éligibles. Les résidents des autres Régions du pays pour des raisons commerciales, administratives et autres ne seront ni électeurs ni éligibles » in CRA, Programme Cadre de la Résistance, p. 9.

2 Mamadou Dagra et Amadou Tankoano, « Le Programme Cadre de Résistance et le Droit» in SNECS, op cit, p. 59.

3 Souligné par nous.

4 HCRP, Estimation du coût du processus de paix, juillet 1998, p. 4.

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gouvernementale répond aussi à une influence diffuse de l'opinion publique nigérienne qui n'a jamais fait mystère de son opposition à toute forme de privilèges aux ex-combattants.

Les revendications politiques de la Rébellion ont suscité au Niger des réactions très vives quand à leur bien-fondé. L'argument d'une marginalisation des Touaregs dans la gestion des affaires publiques et la répartition des investissements de l'Etat a été farouchement combattu. L'idée selon laquelle depuis l'indépendance, les critères d'octroi des ressources étatiques étaient basés sur « le degré de parenté avec les dignitaires du régime et le degré d'éloignement de la souche touareg »1 a été contredite par le Gouvernement et certains auteurs à travers des statistiques fiables2.

Le constat dressé par le Pr André Salifou est significatif à cet effet : « La république du Niger a été proclamée le 18 décembre 1958, et dès le 31 décembre, sur les 12 membres du gouvernement du Niger, on compte dé'à deux touaregs, MM. Zodi Ikhia au ministère de l'Education, de la Jeunesse et des Sports et Mouddour Zakara comme ministre de la Fonction Publique. Et depuis cette date, il y a eu en moyenne deux ministres touaregs dans les 38 gouvernements qui se sont succédés au Niger, ce qui est considérable car cette moyenne est de quatre pour les haoussas qui constituent 50% de la population du Niger tandis que les Touaregs n'en représentent que 8 à 9 %. Mieux, les Touaregs ont représenté 22% de l'équipe gouvernementale. C'est le cas dans le gouvernementformé le 14 novembre 1983 où ils sont 5 sur les 22 ministres »3.

Le Gouvernement courait le risque d'entamer sa propre légitimité en adhérant totalement au principe de discrimination positive revendiqué par la Rébellion. Cependant, en dépit de cette influence des institutions et des facteurs politiques, certains éléments de rupture sont repérables dans les Accords de Paix. C'est ainsi que, contrairement aux normes en vigueur, le Gouvernement s'engageait à réintégrer des éléments de la Rébellion ayant quitté leurs fonctions dans l'administration publique, les sociétés d'Etat et les élèves et étudiants ayant quitté leurs établissements (art 16 Accord du 24 avril).

Les intégrations au sein de tous les corps de l'Etat faisaient aussi dérogation aux lois et règlements en vigueur dans la mesure où les ex-combattants étaient dispensés de passer les concours d'entrée, là où cela était exigé. S'agissant précisément des Forces de Défense et de Sécurité, le Gouvernement s'était engagé à revoir « à la hausse le contingent des recrues ressortissants de la done touchée par le conflit »4 et de « mettre un accent sur le recrutement du personnel local »5 pour ce qui est des agents des Forces paramilitaires.

Aussi, le Gouvernement s'était engagé à «favoriser le développement de l'économie régionale par la mise en oeuvre pour l'ensemble du secteur industriel et minier des mesures incitatives à la création d'emplois en

1 CRA, Programme Cadre de la Résistance, op cit, p. 9.

2 On peut retenir par exemple qu'en 1990, le taux de couverture sanitaire pour le Département d'Agadez (la plus grande région du nord) était de 58,10% avec une population estimée à 228 000 habitants contre : 31,75% pour le département de Diffa (200 000 habitants), 25,56% pour le département de Dosso (1 100 000 habitants), 26,22% pour le département de Maradi (1 500 000 habitants), 23, 10% pour le département de Tahoua (1 400 000 habitants), 28,98% pour le département de Tillabéri (1 422 000 habitants), 26,44% pour le département de Zinder (1 511 000 habitants), 31,31% pour la Communauté Urbaine de Niamey dont la population est le double de celle du département d'Agadez. Voir André Salifou, op cit, p. 99.

3 Ibid, p. 85.

4 Accord du 24 avril 1995, article 17 (Titre IV, point B)

5 L'insistance sur le personnel local rappelle la northernisation policy du Gouvernement Régional du Nord Nigeria dans les années 50 et 60 sous la direction de Sir Ahmadu Bello. Cette politique a consisté à remplacer progressivement, mais systématiquement les agents chrétiens d'origine sudiste par des agents nordistes, musulmans en majorité et d'ethnie haoussa-fulani. Voir Albert Olawale, «Federalism, inter ethnic conflicts and the northernisation policy of the 50s and 60s » in Kunle Omuwo et al (eds), op cit, pp. 51-63.

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faveur des populations locales qui bénéficieront d'une priorité dans le recrutement »1. Ces dispositions tranchent manifestement avec les principes universels jusqu'ici en vigueur en ce qu'elles introduisent la discrimination positive en faveur des ex-rebelles. Une telle rupture était inévitable vu le contexte de la signature de ces Accords de Paix qui sont issus d'un rapport de force.

Le passage de la politique de réinsertion à l'agenda institutionnel est mieux appréhendé par le modèle de la mobilisation externe de mise à l'agenda. Selon ce modèle explicatif, la mise à l'agenda s'effectue « lorsque des groupes organisés parviennent à transformer leurproblème en question d'intérêt public, en constituant une coalition autour de leur cause, et à l'imposer à l'agenda public pour contraindre les autorités publiques à l'inscrire à l'agenda gouvernemental appelant une décision »2.

L'analyse néo-institutionnelle met l'accent sur la notion de critical juncture (point tournant) pour expliquer la naissance des institutions. Selon André Lecours, «les institutions sont le produit de processus historiques concrets, particulièrement ceux marqués par des dynamiques conflictuelles »3. En d'autres termes, l'émergence des institutions doit se comprendre en termes de relation de pouvoir à des moments historiques précis.

De ce point de vue, le Gouvernement ne pouvait éviter de faire certaines concessions à la Rébellion compte tenu des conditions quasi-révolutionnaires de la conclusion des Accords de Paix. Les éléments de continuité et de rupture avec les institutions se vérifient surtout dans les modalités pratiques de l'exécution des Accords de Paix.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway