WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

( Télécharger le fichier original )
par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section 2 : Les relations de pouvoir asymétriques entre acteurs

L'organisation institutionnelle de l'Etat et de toute entité produit des inégalités de pouvoir et de ressources entre acteurs. Pour M. Gazibo et J. Jenson, « c'est l'organisation institutionnelle qui détermine les rapports de force entre acteurs »3. Cette hypothèse de l'institutionnalisme historique est testée dans

1 Les ex-combattants avaient rejeté le montant des subventions (165 000 FCFA par ex-combattant) que le projet leur proposait. Selon le témoignage d'un d'entre eux à cette occasion, en 1995, quand il déposa les armes, alors célibataire, il pouvait accepter cette somme. Mais dix ans après, devenu père de famille, cette subvention est inacceptable.

2 Les anciens rebelles des zones de l'Aïr et de l'Azawak exigeaient un statut d'ancien chef de Front qui leur permette de circuler dans leurs zones comme des «autorités» pour échapper aux contrôles de routines des Forces de Défense et de Sécurité qu'ils qualifient de « tracasseries ».

3Op cit, p. 209.

76

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

les relations institutionnelles entre les acteurs étatiques (Paragraphe 1) et les relations de pouvoir entre les ex-combattants (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les relations entre acteurs étatiques

Les relations au niveau des acteurs étatiques sont examinées d'abord dans l'organisation interne du HCRP (A) et ensuite dans les rapports que celui-ci entretient avec les autres institutions de l'Etat (B).

A. L'organisation interne du HCRP

Au terme de l'arrêté n°005/PRN du 24 février 1994 portant organisation et fonctionnement du HCRP, cette institution est organisé comme suit :

- le Cabinet du Haut Commissaire composé du Chef de Cabinet, de un ou deux Conseillers Techniques et du Secrétariat Particulier ;

- le Secrétariat Général comprenant un Service des Etudes et de la Documentation, un Bureau d'Ordre et un Secrétariat ;

- le Département des Affaires Politiques et Juridiques ;

- le Département des Affaires Economiques et Sociales.

L'arrêté crée également auprès du HCRP une Commission de Restauration de la Paix composée de «personnalités représentatives de la société civile issues de toutes les régions du pays ». Organisé sur le modèle des ministères, le HCRP est avant tout une institution administrative. Le Haut Commissaire qui a rang de ministre, dispose administrativement d'un pouvoir hiérarchique, c'est-à-dire, d'un pouvoir d'injonction institutionnalisé1. De par cette configuration institutionnelle, le Haut Commissaire dispose d'un pouvoir de dernier ressort sur les politiques de l'institution.

Cette suprématie peut être illustrée par le traitement des correspondances. Selon le circuit de transmission des informations, c'est le Secrétaire Général qui examine le premier les correspondances, donne un avis consultatif et transmet au Haut Commissaire à qui il revient de prendre la décision finale. Ce dernier peut éventuellement se faire assister par ses Conseillers ou les Chefs de Départements selon la nature de la question. Le Secrétaire Général assure l'intérim du Haut Commissaire en cas d'absence ou d'empêchement.

Dans le fonctionnement réel de l'institution, les pouvoirs du Haut Commissaire et du Secrétaire Général s'exercent en collaboration avec les Chefs des Départements et le Conseiller Technique. La décision est également influencée par les groupes extérieurs à l'institution, notamment les ressortissants de la politique de réinsertion des ex-combattants. D'où le caractère néo-corporatiste du processus décisionnel. En fait, la détention par le Haut Commissaire des ressources statutaires est contrebalancée par les ressources politiques diverses (informationnelles, statutaires etc.) que détiennent les cadres techniques de l'institution.

L'analyse des politiques publiques distingue trois types de fonctions exercées par l'administration dans l'action publique : la «mise en forme » des normes, la «mise en oeuvre» des

1 Phillipe Braud distingue le pouvoir d'influence qui repose sur la séduction (et exclut la contrainte) et le pouvoir d'injonction. Ce dernier s'appuie sur la menace de sanction et revêt trois modalités : injonction de fait, injonction morale et injonction basée sur la règle de droit. Cette dernière modalité est la forme la plus institutionnalisée. Voir Sociologie politique, op cit, p. 41.

77

La problématique de la gestion post con~lit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

politiques arrêtées et l'intermédiation entre l'État et les groupes d'intérêts.1 L'existence de ces règles pragmatiques réduit considérablement la marge de manoeuvre du politique. Toutefois, en dépit de ces contrepoids, il demeure que l'organisation institutionnelle place le Haut Commissaire au centre de la décision. Cette asymétrie de pouvoir entre acteurs institutionnels internes entraîne des conséquences pratiques en termes de comportements des acteurs.

Ainsi, le Haut Commissaire, en tant que principal décideur, imprime sa marque sur le processus de mise en oeuvre de la politique de réinsertion. Son Cabinet devient le lieu d'articulation des demandes des ex-combattants car étant perçu par ceux-ci comme le lieu stratégique de la décision. Cette réalité est empirique car l'absence du Haut Commissaire peut se savoir à la seule observation du niveau d'affluence des visiteurs dans l'enceinte de l'institution.

D'ailleurs, l'intérim du Haut Commissaire ne traite jamais des questions sensibles, d'où une paralysie de l'institution pendant ses périodes d'absence. Les stratégies des ressortissants ont donc consisté à établir et entretenir de bonnes relations avec les Haut Commissaires afin de sauvegarder le système de décision néo-corporatiste qui s'est établi avec le temps.

Cette stratégie de « séduction » du Haut Commissaire par les ressortissants est d'autant plus aisée que les élites de la Rébellion occupent des postes politiques aussi importants et stratégiques que le sien. C'est le cas des ex-Chefs rebelles siégeant au Gouvernement comme Mohamed Akotey et Issiad Ag Kato, respectivement ministre de l'Environnement et de la Lutte contre la Désertification et ministre des Ressources Animales.

Cependant, par réalisme, et pour se mettre à l'abri des aléas liés au changement de direction à la tête de l'institution, les ex-combattants ont noué des rapports étroits avec les principaux cadres de l'institution. La fidélisation de ces cadres était d'autant plus aisée qu'il y a eu très peu de rotation des agents au sein du HCRP. A titre d'exemple, Mr Sani Gonda et Mr Soumana Souley, respectivement Secrétaire Général et Conseiller Technique du HCRP sont en poste depuis la création de l'institution en 1994.

Ces cadres sont les véritables architectes des politiques du HCRP par leur maîtrise de l'information et leur expérience. Si les successions entre militaires et civils à la tête de l'institution ont eu des impacts en termes de style de commandement, il demeure que l'orientation de la politique de l'institution est restée la même.

En clair, l'organisation institutionnelle, en instituant une asymétrie de pouvoir entre acteurs institutionnels, n'a pas entraîné une monopolisation totale de la décision par le Haut Commissaire. Dans la réalité, c'est surtout la perception des acteurs extérieurs à l'institution qui explique le déploiement des stratégies en direction du Haut Commissaire.

D'autres variables interviennent pour expliquer le niveau d'intérêt inégal que les ex-combattants accordent aux cadres de l'institution. D'abord, par leur origine ethnique, certains cadres sont jugés « peu recommandables», indignes de confiance par certains anciens rebelles. Ces préjugés s'expliquent en réalité, non pas par l'origine ethnique de ces agents, mais par leur conception des Accords de Paix.

Par une démarche manichéenne, les membres du personnel du HCRP sont catégorisés en deux groupes selon qu'ils soient favorables ou non à la discrimination positive. Les ex-combattants désireux de faire aboutir leurs revendications ciblent leur interlocuteur selon la rigidité de ses positions sur la politique de réinsertion, c'est-à-dire selon son degré de sympathie pour la cause touarègue.

1 Philippe Bezez, «Administration» in Laurie Boussaguet et al, op cit, pp. 32-41.

78

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

Ce degré de sympathie est apprécié par la propension à faire de concessions, à passer des compromis, voire à fermer les yeux sur les abus. Le Secrétaire Général Sani Gonda par exemple, malgré l'importance de son poste dans l'organisation institutionnelle, est très peu fréquenté par les ex-combattants à cause de sa fermeté, de son refus de transiger sur des principes. Il en est de même pour le Conseiller Technique Soumana Souley. En 2006, un ex-combattant touareg nous a confié que celui-ci était « responsable de tous les blocages que connaît la réinsertion des ex-combattants depuis le début »1.

Par contre, le Directeur des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C), Chipkaou Oumarou semble plus chanceux. Il est mieux courtisé pour deux raisons. D'abord en raison de la centralité de son poste, ensuite grâce à la souplesse de sa personnalité et de son fair play. De par sa fonction, il s'occupe, entre autres, de l'identification des ex-combattants destinés à la réinsertion socio-économique. C'est lui qui reçoit les listes des ex-combattants établies par les responsables des différentes structures et gère la base de données. Il s'agit d'un poste stratégique dans la mesure où, le plus souvent, au gré des intérêts, ces listes sont modifiées par les responsables des structures concernées.

De tels agissements et abus se seraient heurtés à des rejets complets, n'eut été le fairplay et le sens de modération qui caractérisent le personnage. Mais la complexité du processus décisionnel au HCRP entraîne une diversification des partenaires qui conduit à traiter, malgré soi, avec les autres cadres. En effet, le Secrétaire Général reste formellement incontournable par ses ressources statutaires. A l'exception du Haut Commissaire, aucun cadre ne peut expédier une correspondance à l'extérieur sans son avis, et toutes les correspondances extérieures passent obligatoirement par lui.

Ce contrôle de l'information dans l'administration est une ressource politique importante, surtout lorsqu'il s'agit des questions controversées sur lesquelles les agents ne partagent pas les mêmes opinions. Les cadres reconnus pour leur intransigeance sont souvent contournés malgré leur position statutaire. L'une des stratégies consiste à solliciter directement l'intervention du Haut Commissaire qui peut, à partir de son Cabinet, expédier certaines correspondances.

Un exemple de ces questions controversées était le cas des 33 ex-combattants diplômés de l'Ecole Nationale d'Administration (ENA). Ces derniers avaient sollicité en 2006 une intervention du HCRP pour une intégration directe à la Fonction Publique « dans le cadre de la consolidation de la paix ». Or, de l'avis de la majorité des cadres du HCRP, les Accords de Paix n'ont jamais prévu que les ex-combattants admis dans les écoles professionnelles au titre de l'intégration devaient être intégrés directement à la Fonction Publique après leur formation.

Ce point de vue n'est pas partagé par certains cadres du HCRP qui épousent la position des ex-combattants. Ceux-ci invoquent l'argument que l'intégration reste inachevée tant que les ex-combattants formés n'ont pas bénéficié d'une intégration professionnelle dans un corps de l'Etat. Pour répondre à cette sollicitation, le HCRP est amené à expédier des correspondances aux ministères concernés (Finances, Fonction publique etc.) avec une argumentation solide. Il va de soi qu'une telle démarche n'est pas pour enthousiasmer les cadres défendant l'avis contraire. D'où la nécessité de les contourner...

Ces phénomènes de pouvoir en marge du cadre institutionnel formelle appellent donc à reconnaître le poids des variables extra institutionnelles dans l'explication des comportements des acteurs. Au-delà de l'asymétrie des pouvoirs que consacrent les institutions, les acteurs disposent

1 C'était lors de la réunion des ex-Chefs de Fronts et de Mouvements des 15 et 15 juin 2006 au HCRP à Niamey.

79

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

toujours d'une marge de manoeuvre. La science politique a toujours démontré que les relations de pouvoirs ne sont jamais unidirectionnelles. Les relations que le HCRP entretient avec les institutions extérieures confirment cette réalité.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"