WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

( Télécharger le fichier original )
par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. La capacité distributive des élites

La capacité distributive désigne « le contrôle de l'attribution d'emploi, de prébendes ou de privilèges »1. Ce concept traduit parfaitement le pouvoir de médiation dont avaient bénéficié les Chefs et Cadres dans le processus de réinsertion des ex-combattants. Cette capacité distributive apparaît comme une véritable ressource politique pour ces acteurs. Elle a consisté à leur accorder la faculté exclusive d'identifier leurs combattants et d'en transmettre les listes au HCRP dans toutes les étapes de la politique.

C'était à eux qu'il appartenait d'établir la liste nominative de leurs combattants destinés à une prestation quelconque (intégration, réinsertion socio-économique, etc.). L'authenticité de ces listes est ainsi certifiée par la signature du Chef de Front ou de Mouvement. Il s'agit là d'une institution, d'une norme de travail entre le HCRP et les différentes structures armées. Cette loi non écrite a eu pour implication d'établir des rapports de pouvoir asymétriques entre les Chefs et leurs combattants.

En effet, c'est grace à cette capacité distributive que les élites ont pu se constituer une clientèle. Ils ont ainsi intégré beaucoup de personnes totalement étrangères à la rébellion ou, en tout cas, ne répondant à aucune acceptation de la notion de combattant2. A ce stade de la politique, les ressources politiques des combattants au sens actif du terme qui reposaient sur les capacités militaires s'étaient vues supplantées par d'autres ressources qui reposent sur le degré de parenté avec le Chef de Front ou Mouvement et/ou sur le niveau d'instruction. Ce changement

1 Op cit, p. 59.

2 Beaucoup d'ex-combattants font valoir que le combattant n'est pas seulement celui qui se bat sur le terrain, la notion recouvre tous ceux qui, d'une façon ou d'une autre, ont contribué à la défense de la cause touarègue. Il peut s'agir par exemple des agents de renseignements, des bailleurs de fonds, des rédacteurs de tracts etc.

85

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

de rapport de forces internes à ces structures rend compte de la nature dynamique du phénomène du pouvoir.1

Comme le constate Frédéric Deycard, «pour les chefs de front, les nominations sont vite devenues un moyen d'asseoir leur pouvoir sur leurs tribus et sur leurs hommes. Le processus d'intégration leur a en effet donné un rôle central, puisqu'ils sont chargés de l'élaboration des listes des noms. Ces listes sont rapidement devenues l'enjeu des négociations au sein des tribus et entre fronts, chacun jouant de son influence pour négocier l'ajout d'un nom et le faire valider auprès des instances en charge de l'organisation de l'intégration.»2.

Mais outre la souplesse de la notion de combattant, d'autres facteurs ont expliqué l'attribution des postes à des non-combattants. D'abord, au regard des modalités de détermination des quotas, certaines structures ont pu acquérir plus de quotas qu'ils n'ont de combattants, particulièrement grâce à la puissance de leur armement. Ces places vacantes ont été ainsi attribuées et même vendues à des non-combattants selon plusieurs témoignages.

Une autre explication de ce phénomène réside dans le fait que certaines structures n'avaient pas dans leurs rangs des éléments instruits capables d'occuper certains postes à elles attribués (officiers, fonction publique, université, etc.). Les Chefs ont alors fait appel, en toute indépendance, à d'autres nigériens ressortissants ou non de leur région. En outre, il faut souligner que beaucoup de combattants sont rentrés en Libye après les Accords de Paix. C'est le cas des combattants des FARS, le Front le plus puissant dont environ 70% des combattants sont rentrés en Libye. Ces départs, ou du moins ces retours s'expliquent par des logiques à la fois utilitaires et axiologiques.

La logique utilitaire procède d'une rationalité en finalité8 car, établis en Libye depuis des années et bénéficiant d'une situation matérielle meilleure dans ce pays, ces combattants ne pouvaient accepter l'offre de l'Etat qu'ils estimaient dérisoire. La logique axiologique se rapporte à une rationalité en valeur qui résulte d'une forte intégration de l'individu dans sa communauté. Pour beaucoup, la lutte armée n'était pas un acte intéressé, elle s'inscrit plutôt dans l'accomplissement d'un rôle sociologique.

Bref, tous ces facteurs ont accru la capacité distributive des Chefs qui ont eu les mains libres pour déterminer leurs « combattants » et faire de bons « investissements » selon le mot d'un responsable de la Milice Peulh. La conséquence de cette gestion patrimoniale a été également d'exclure certains combattants au sens strict du terme. En effet, il y a eu certains combattants qui ont eu maille à partir avec leur «hiérarchie» ou «Etat-major» et ont été ainsi exclus du processus par les Chefs. Ces derniers ont la capacité de modifier à tout moment les listes qu'ils transmettent au HCRP. Ce sont les Chefs qui définissent le combattant. Et pendant tout le processus, ils ont fait et défait les combattants au gré de leurs humeurs et de leurs intérêts4. C'est ainsi qu'en 2006,

1 Ce phénomène est aussi réel dans le champ des relations internationales où comme le soutient P. de Senerclens, « la puissance se comptabilise alors en termes de divisions, de chars, d'avions, d'artillerie, mais aussi de stratégies, de ressources économiques, de logistique, de commandement et de géographie. En temps de paix, lorsque les risques d'un engagement militaire, lorsque le recours à la guerre n'est plus d'actualité, ces facteurs de puissances peuvent devenir d'un faible apport», in P. de Senerclens, La politique internationale, Paris, Arman Colin (compact), 11è édition, 2002, p. 32.

2 F. Deycard, « Le Niger entre deux feux. La nouvelle rébellion du MNJ face à Niamey » in Politique africaine, n°108, décembre 2007, p. 134.

3 La distinction entre rationalité en finalité et rationalité en valeur est de Max Weber. Voir R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire critique de sociologie, Paris, PUF, 2004, pp.471-488.

4 Certains ex-combattants en brouille avec leurs Chefs et exclus du processus par ces derniers étaient obligés de prendre contact directement avec les agents du HCRP à Niamey. Pour justifier leur qualité de combattant, ils

86

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

lorsque la réunion des Chefs et Cadres du 15 juin 2006 décida de remplacer les emplois promis à 300 ex-combattants dans les Sociétés d'Etat par des pécules (1 500 000 F CFA chacun), les listes ont automatiquement changé. En fait, ces ex-combattants devaient bénéficier des emplois subalternes dans les Sociétés d'Etat (gardiens, planton, etc.), ce qui était peu attrayant. La promesse de l'argent frais aiguisa les appétits, les Chefs firent ainsi bénéficier à leurs proches les pécules au détriment des vrais combattants qui attendaient ces prestations depuis dix (10) ans.

D'ailleurs, la décision d'octroyer des pécules en lieu et place des emplois a été fortement influencée par les Chefs de Fronts et de Mouvements. L'approche du HCRP a consisté dans un premier temps à concevoir un programme de réinsertion socio-économique au profit de ces ex-combattants1 ; programme qui n'a pu être exécuté, faute de financement. Ensuite, le HCRP a cherché des opportunités d'emplois pour ces ex-combattants dans les sociétés exploitant les ressources minières dans le Nord à l'exemple de Areva. Des démarches auprès de cette société avaient même été engagées à cet effet par le Haut Commissaire.

Cette institution qui donne carte blanche aux Chefs fut également appliquée dans le traitement des problèmes de révocations d'ex-combattants au sein des FNIS. Lorsqu'il fut décidé de réintégrer, si possible, les ex-combattants « révoqués pourfautes mineures», c'était aux Chefs qu'il fut demandé de transmettre les listes de leurs éléments. Dans la correspondance que le HCRP adressa aux Fronts et Mouvements en 2006, on pouvait lire : « ... vous voudrez bien me faire parvenir pour examen la liste des éléments des USS révoqués dont vous estimez que la réintégration est souhaitable2 avec les motifs et dates des actes ».

En termes clairs, le Chef a la possibilité d'exclure, selon ses humeurs, certains des éléments de sa structure concernés par la révocation. Il peut ainsi faire réintégrer celui qui est coupable de la pire des fautes et refuser celui qui en a commis la plus légère. Dans le fond, cette norme de travail donne une partie de l'explication de la résurgence de la rébellion depuis début 2007 avec l'avènement du MNJ. L'émergence de cette nouvelle rébellion a été précipitée par les conflits internes au FLAA qui était divisé en deux parties rivales : le clan de Rhissa Ag Boula, Chef de Front et celui des Frères Alambo (Boubacar et Aghali3).

Ce dernier clan s'estimait marginalisé dans la réinsertion, arguant que Rhissa Ag Boula se taillait la part belle sans que l'Etat n'intervienne pour l'en empêcher. La faction Alambo fut, en effet, exclue dans le traitement des 300 ex-combattants initialement destinés aux Sociétés d'Etat (soit 25 500 000 F par structure) et également pour la réinsertion socio-économique dans l'Aïr et l'Azawak où le FLAA avait un quota de 220 places.

En signe de protestation, les Alambo adressèrent une lettre au HCRP signé par 146 ex-combattants (n'est ce pas l'embryon du MNJ ?) demandant à l'Etat de prendre des dispositions pour arrêter la gestion patrimoniale de leur Front par Rhissa Ag Boula. Les tentatives de

présentent souvent les armes ou tout autre matériel de guerre qu'ils détiennent (radio de transmission par exemple) et tentent de les échanger contre une prestation quelconque du HCRP.

1 Voir HCRP, Programme de réinsertion socio-économique de trois cent (300) ex-combattants initialement prévus dans les Sociétés et les Projets de Développement, février 2006.

2 Souligné par nous.

3 Aghali Alambo est le chef du MNJ. Son frère Boubacar a trouvé la mort dans l'attaque la plus sanglante qu'ils ont menée contre les FAN le 22 juin 2007 à Tizerzet.

87

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

médiation du Haut Commissaire ne donnèrent aucun résultat1. Aghali Alambo finit par rejoindre son frère qui avait déjà pris le maquis. Ainsi, la rupture entre les deux factions rivales du FLAA fut la goûte d'eau qui fit déborder le vase. L'explication de ce conflit interne réside fondamentalement dans l'institution qui donne au Chef de Front le pouvoir discrétionnaire de partager seul le « gâteau ».

Mais pourquoi l'Etat, à travers le HCRP, n'a-t-il pas tenté de pénétrer ces Fronts et Mouvements afin de traiter directement avec les combattants ? Pour le Colonel Laouel Chékou Koré, ancien Haut Commissaire, « il était pratiquement impossible de connaître ni le nombre, ni l'identité des combattants sans la médiation des Chefs »2. En plus, selon cet officier, l'Etat a dû fermer les yeux sur les logiques internes aux Fronts afin de créer un cadre apaisé pour le processus de paix.

Les institutions, en rendant certaines options possibles et d'autres impossibles ou difficiles, structurent les choix et les comportements des acteurs. Les comportements de type clientéliste des Chefs rebelles témoignent éloquemment de la pertinence de cette hypothèse. De même, les institutions, en limitant les options et marges de manoeuvre de la faction Alambo ont conduit celle-ci à recourir aux armes. Selon certaines sources, Aghali Alambo aurait même tenté vainement de rencontrer le Chef de l'Etat sur cette question.

Les institutions donnent aux acteurs l'information fiable qui autorise le calcul rationnel. Le Chef de Front a l'intime conviction que seule sa signature fait autorité au HCRP, il peut ainsi faire fi des réactions de ses rivaux. Les Alambo avaient, en effet, transmis une liste pour les dix sept (17) ex-combattants devant bénéficier des pécules, contre la liste « officielle » transmise par le Chef de Front. C'était finalement celle-ci qui fut admise. D'ailleurs, Rhissa Ag Boula, contrairement à son habitude, se déplaça en personne au HCRP pour rappeler que le FLAA n'a qu'un seul Chef...

1 Une des pistes envisagée était de proposer à Aghali Alambo, qui fut sous-préfet de Tchirozérine suite aux Accords de Paix, un poste politique comme Conseiller à la Primature. Quand à son frère Boubacar accusé d'être responsable de la mort d'éléments des FDS, le HCRP envisageait de lui faire accorder une amnistie.

2 Entretien à Niamey, 26 mars 2008.

88

La problématique de la gestion post conflit au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs

Aofit 2009

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo