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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

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par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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Paragraphe 2 : Les relations de pouvoir entre les ex-combattants

Les institutions consacrent des rapports asymétriques de pouvoir entre les ex-combattants d'une part à travers la primauté des Fronts rebelles sur les Mouvements d'autodéfense (A), et d'autre part à travers la capacité distributive des élites au sein de chacune de ses structures (B).

A. La primauté des Fronts sur les Mouvements

La mise en oeuvre de la politique de réinsertion des ex-combattants touaregs a fait apparaître d'énormes disparités entre les dix sept (17) structures en termes de ressources politiques. Ces disproportions résultent en partie des institutions, c'est-à-dire des normes à partir desquelles les différentes structures armées ont été classées sur un continuum. Ces normes reposent sur le poids des Fronts et Mouvements, lui-même déterminé à partir de la puissance militaire et de l'effectif théorique.

En fait, ces normes dissimulent un autre critère de classification qui aurait donné des résultats différents, s'il avait été pris en compte. Il s'agit de la distinction entre les organisations rebelles, appelées Fronts et les organisations communautaires d'auto défense appelées Mouvements. Du point de vue de l'Etat, les Fronts sont considérés comme les plus dangereux car, en tant que rébellion, ils s'attaquent aux intérêts de l'Etat et défendent des revendications politiques et identitaires qui menacent l'unité nationale et l'intégrité territoriale.

Quand aux Mouvements d'auto défense, ils apparaissent plutôt comme des alliés du pouvoir contre les rébellions, même s'ils lui disputent le monopole de la violence sur son territoire, critère essentiel de l'Etat selon Max Weber. En effet, les Mouvements d'auto défense ont fortement contribué à affaiblir les rébellions armées touarègues et toubous. C'est pourquoi, dès les Accords du 9 octobre 1994, la CRA tenait fermement au désarmement des Comités d'auto

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défense de Tassara dans l'Azawak1. Le désarmement de ces Mouvements fut un des points de discorde entre les parties pendant cette période.

Il faut dire que l'implication de ces Mouvements d'auto défense dans la politique de réinsertion des ex-combattants relève d'un paradoxe car les communautés concernées n'ont jamais pris les armes contre l'Etat. En plus, ces Mouvements n'étaient pas constitués de personnes désoeuvrées et sans perspective à l'image de la majorité des combattants touaregs et toubous. Aussi bien dans les communautés arabes que peulh, les combattants de ces milices étaient des citoyens ordinaires qui vaquaient à des occupations précises. Leur « réinsertion » ne fait donc pas sens.

Dans l'Azawak, l'explication de leur implication réside dans le fait que la rébellion touarègue a fait de leur désarmement une condition essentielle de son propre désarmement. Et ces miliciens ont négocié en retour des prestations de la part de l'État. Ce schéma a été reproduit à l'Est avec les milices arabe et peulh opérant dans cette zone. Mais certains ex-rebelles touaregs contestent énergiquement l'attribution des postes aux milices arabes.

Pour Goumour Ibrahim, Chef du MRLN, « le vrai vol dans tout ce processus, c'est le fait qu'on ait donné des postes aux miliciens Arabes. C'est nous qui avons fait la rébellion, et c'est d'autres qui bénéficient des retombées de notre combat. En fait, le Gouvernement voulait simplement récompenser ses alliés »2. Si dans l'Azawak, les Touaregs et les Arabes se sont réellement affrontés, il n'en est pas de même à l'Est. En effet, selon les rebelles toubous, les Arabes de N'guigmi se sont constitués en une milice fictive avec leur consentement bien après les Accords de Paix, tout juste pour bénéficier des mêmes avantages que leurs frères de l'Azawak.

C'est du moins ce que nous a confié Moustapha Issoufou, Cadre du FDR : «Nous n'avons jamais eu de conflit avec les Arabes de N'guigmi avec lesquels nous avons beaucoup de liens socioculturels. Certains d'entre eux nous ont approché pour nous faire savoir qu'ils voulaient constituer une milice afin de bénéficier des avantages du processus de paix, et nous n'avons pas opposé de résistance. Nous nous sommes affrontés avec les Arabes Mohamides qui sont Tchadiens. Avec les miliciens Peulh, nous nous sommes affrontés, mais de façon très modérée »3.

Le processus de paix était d'abord une affaire entre le Gouvernement et les Fronts rebelles. Mais dans la définition de critères et des modalités de réinsertion, cette suprématie des Fronts sur les Mouvements s'est quelque peu atténuée. Avec l'adoption des critères de détermination des poids des structures basées sur l'armement, on s'est rendu compte que certains Mouvements d'auto défense étaient plus puissants que beaucoup des Fronts rebelles.

En conséquence de quoi, certains de ces Mouvements ont été paradoxalement mieux « servis » que ces Fronts rebelles. A titre d'illustration, deux des Mouvements Arabes de l'Azawak, à savoir le CAD (5,58%) et le CVT (7,76%), étaient militairement plus forts que certains Fronts touaregs comme le FPLN (2,8%), l'ARLN (3,35%), le MRLN (5,45%), le FFL (4,12%) et les FAR/ORA (2,11%). Les Mouvements sont d'autant plus été avantagés par ces normes de répartition que celles-ci donnaient moins de poids aux effectifs des structures (80% armement, 20% effectif).

Le continuum de pouvoir entre structures armées qui crée une inégalité entre celles-ci est donc une conséquence des institutions, des normes retenues pour attribuer les quotas. Mais dans

1 Voir HCRP, Note sur la question de la rébellion armée, mars 1995, p. 4.

2 Entretien à Niamey le 25 septembre 2008.

3 Entretien à Niamey le 2 octobre 2008.

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la mise en oeuvre de la politique de réinsertion, cette asymétrie théorique de pouvoir engendrée par les institutions fut minimisée par l'intervention d'autres variables. Il s'agit des stratégies des acteurs. La réinsertion des Chefs et Cadres a permis à ces derniers d'investir les sphères du pouvoir et, à certains devenus entrepreneurs politiques efficaces, d'accumuler un capital social (P. Bourdieu) considérable.

La réinsertion des élites, étant laissée à l'application du Chef de l'Etat, le degré de proximité avec ce dernier était devenu une ressource valorisée. En plus des Chefs ou Cadres occupant des postes ministériels, quatre (4) Chefs occupent des fonctions politiques à la Présidence de la République1. Mohamed Anacko par exemple, l'actuel Haut Commissaire, était avant sa nomination en 2005 à ce poste, Conseiller à la Présidence avec rang de ministre. Aujourd'hui, à la tête du HCRP, il devient le Chef le plus influent sur la politique de gestion post conflit en général, et la politique de réinsertion des ex-combattants en particulier.

L'impact de ces luttes de positionnement a été de rompre, dans une certaine mesure, les hiérarchies établies par le poids des Fronts et Mouvements. D'ailleurs, depuis quelques années, le HCRP ne travaille plus avec les poids des différentes structures déterminés pour servir de critère de répartition des postes. Pour la réinsertion socio-économique des ex-combattants dans l'Aïr et l'Azawak par exemple, chaque Front ou Mouvement dispose d'un quota de 220 ex-combattants. De même pour la réinsertion des 250 Cadres en 2006, chaque structure était invitée à fournir une liste de 14 ex-combattants.

Cette rupture avec les normes est le résultat des stratégies de certains Chefs qui, s'estimant «lésés» par les institutions, ont toujours plaidé pour un traitement égal dans le partage des avantages. Outre les ressources liées à la position politique qu'ils occupent, le réalisme politique de certains Chefs et Cadres les a conduits à s'engager activement dans les partis politiques. Ainsi, en plus des ressources liées à leur statut d'ancien Chef de guerre, bénéficiant de poste politique à vie, certains ont accru leur capacité d'influence en intégrant le « système » des partis politiques.

Il est bien connu qu'au Niger comme ailleurs en Afrique, selon des lois non écrites, la distribution des postes politiques importants s'est toujours faite sur la base de l'équilibre ethno régional. Tous les Gouvernements tentent d'apparaître comme un échantillon de la nation. Si au temps des régimes autoritaires, ce dosage ethno régional se faisait par pure cooptation, avec l'avènement de la démocratie, il est réalisé à partir des logiques internes aux partis politiques composant la coalition au pouvoir.

A ces deux critères s'est ajouté l'exigence pour tout régime politique de respecter le quota accordé aux représentants de l'ex-Rébellion depuis les Accords de Paix2. De ce point de vue, le cumul de ces trois ressources par un acteur devient une source d'influence potentielle qui peut se traduire en pouvoir réel lorsqu'elle est savamment mobilisée par celui-ci. Parmi les élites de la Rébellion, certains se sont avérés être de vrais entrepreneurs politiques.

1 Il s'agit de Alhadi Alhadji (FPLN), Maazou Boukar (Milice Peulh) et Ali Sidi Adam (FARS) tous les trois Conseillers à la Présidence et de Goumour Ibrahim (MRLN), Chargé de mission à la Présidence. Voir supra tableau N°3, première partie, chapitre 2.

2 C'est du moins ce qu'en pensent les anciens Chefs rebelles touaregs. Si les décideurs politiques respectent ces quotas, c'est moins parce qu'ils les considèrent comme une clause des Accords de paix que pour améliorer la légitimité de leurs partis auprès des ex-combattants et sympathisants de la rébellion. C'est pourquoi d'ailleurs ils tentent d'enrôler les anciens rebelles dans leurs partis afin de les assimiler à la logique partisane.

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On peut citer deux exemples. Celui d'abord de Issa Lamine, Chef du FDR, actuel ministre de la Santé Publique et militant actif de la Convention Démocratique et Sociale (CDS Rahama). Il cumule trois ressources : Chef de la seule rébellion armée de l'est du pays, représentant de cette région et d'un groupe ethnique minoritaire (les Toubous), membre du Bureau Politique National du deuxième parti membre de la coalition au pouvoir.

Il en est de même pour le Chef de l'ORA, Rhissa Ag Boula. Celui-ci avait milité dans le Mouvement National pour la Société de Développement (MNSD Nassara), le parti au pouvoir depuis 1999. Sa présence au Gouvernement sept (7) durant (1997-2004) s'expliquait aussi par ses ressources politiques incontestables : il était assurément le plus charismatique des Chefs rebelles touaregs, il incarnait les intérêts de la région d'Agadez et enfin, défendait les couleurs du parti au pouvoir dans cette même région.

Toutes ces logiques stratégiques des acteurs ont finalement rompu les disparités établies à partir de la puissance militaire des Fronts et Mouvements. Ceci confirme une fois encore, qu'en temps de paix, les rapports de forces au sein et entre les structures armées changent. Ces développements montrent également que les institutions interagissent toujours avec d'autres variables explicatives pour engendrer des résultats politiques. L'analyse des pouvoirs conférés aux élites par les institutions procède de cette même logique.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo