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La problématique de la gestion post conflit au Niger. Analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants Touaregs

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par Abdoul Karim SAIDOU
Université de Ouagadougou (Burkina Faso) - Diplôme d'études approfondies en droit public et science politique 2009
  

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Section 2 : Le double impact de la dynamique d'institutionnalisation

L'analyse du processus d'institutionnalisation induit par la logique de reproduction de la politique de réinsertion montre qu'il a eu un impact double et ambivalent. Il a d'abord engendré des dynamiques de stabilisation à travers une fonction tribunitienne (Paragraphe 1), mais a produit en même temps des effets pervers par la consolidation d'une culture politique aristocratique (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le développement d'une fonction tribunitienne

Les ex-combattants ont été intégrés au système politique par le processus de leur réinsertion à travers un cadre institutionnel qui canalise leur propension à la violence (A) et une recomposition du champ politique induite par la reconversion politique des élites (B).

1 Selon Chipkaou Oumarou, Directeur des Affaires Economiques, Sociales et Culturelles (DAES/C) au HCRP, « toute la complexité de cette clause réside dans cette question : à partir de quel critère peut-on estimer que l'Etat a satisfait cette clause du «développement» ? En d'autres termes, quel indicateurpermet de certifier que le Nord est «développé» ?

2 Cette controverse est la suivante : selon certains ex-rebelles, dans l'esprit des Accords de Paix, le Gouvernement doit «développer» les zones touchées par le conflit (Aïr, Azawak, Manga et Kawar) et non pas la zone pastorale dans son ensemble. Pour eux, le concept zone pastorale a été inventé pour détourner le programme vers d'autres zones du Sud ; surtout quand on sait que l'écrasante majorité de la population pastorale du Niger réside à Tillabéri et Maradi. La population pastorale du Niger était estimée en 1997 à 3.364.507 habitants dont 1.235 611 à Tillabéri, 1.005.827 à Maradi contre 310.079 à Agadez et 108.666 à Tahoua. Voir HCRP, Programme de développement de la Ione pastorale (résumé), septembre 2000, p. 6.

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A. La canalisation des frustrations des ex-combattants

La science politique doit la notion de fonction tribunitienne aux travaux de George Lavau sur le Parti Communiste Français. Son analyse est résumée par A. Loada et L.M. Ibriga en ces termes : «Ce parti, à l'instar des tribuns de la plèbe à Rome, intégrerait de façon latente, inattendue au système capitaliste et de « démocratie bourgeoise» qu'il combat les couches et classes défavorisées qu'il représente et défend. Ce faisant, le PCF renforce indirectement le système en lui permettant de fonctionner avec les groupes défavorisés et mal intégrés et en canalisant leur potentiel subversif au profit de revendications plus limitées, compatibles avec la survie du système »1.

L'expérience de la réinsertion des ex-combattants touaregs montre que les institutions de gestion post conflit, notamment le HCRP, ont rempli cette fonction latente à l'égard des anciens guérilleros touaregs. Cette fonction d'intégration a été remplie non seulement par le HCRP, mais aussi par le mécanisme de self help propre aux Touaregs. Le HCRP offre aux ex-combattants un cadre d'expression, d'articulation de leurs revendications dont le contenu s'avère souvent incompatible avec la logique des autres institutions étatiques.

La recherche de l'adéquation entre ces revendications et les normes du système politique exige cependant un important travail politique de la part du HCRP. C'est ainsi que celui-ci remplit une fonction d'agrégation des demandes qui se présente sous un double angle. Dans un premier temps, ce travail politique a consisté à filtrer les exigences articulées par les ex-combattants afin de les rendre compatibles les unes des autres. Et en second lieu, ces demandes sont traduites dans un langage politique adapté au système politique. On peut illustrer ce processus par le traitement de la réinsertion des Chefs et Cadres où le HCRP s'est efforcé de rendre compatibles les exigences articulées par ceux-ci avec les principes de l'État2. Les nominations à des postes purement politiques (Conseiller, Chargé de mission etc.) avaient servi à concilier leurs inputs avec les normes en vigueur.

De par sa vocation, le HCRP s'est toujours montré hostile aux solutions militaires pour régler les problèmes de la gestion post conflit, contrairement aux institutions régaliennes (Ministère de l'Intérieur, Ministère de la Défense Nationale, FAN). L'institution privilégie le dialogue avec tout individu ou groupe armé défendant des revendications politiques. Le HCRP a toujours privilégié un « règlement politique» face à des mouvements insurrectionnels, là où d'autres institutions auraient invoqué la loi, c'est-à-dire la répression. Les institutions de l'État, imbues des valeurs bureaucratiques, ignorent dans leur logique toute notion de discrimination positive.

Le HCRP est la courroie de transmission qui permet aux inputs des ex-combattants d'intégrer l'agenda institutionnel du système. Cette fonction a contribué à canaliser le potentiel de violence des ex-combattants, car ces derniers se sont approprié les mécanismes du HCRP pour faire admettre leurs demandes dans la « boite noire » du système politique. Plusieurs cas concourent à démontrer la vertu pacificatrice de cette fonction tribunitienne. Le HCRP a eu à maintes reprises à ramener dans le processus de paix des groupes dissidents. Ce fut le cas en 1996 avec la CRA de Mohamed Akotey et en novembre 1997 de l'UFRA de Mohamed Anacko.

1 Augustin Loada et Ibriga Luc Marius, Droit constitutionnel et institutions politiques, Ouagadougou, UFR/SJP, Université de Ouagadougou, 2007, p. 288.

2 Il suffit pour cela de se rappeler des doléances irréalistes et fantaisistes comme «Villa + Voiture + 7 millions» introduites par un Cadre de l'ex-Rébellion.

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Depuis lors, les ex-combattants se sont parfaitement accommodés du cadre institutionnel

de gestion post conflit pour faire valoir leurs intérêts. Le traitement apporté aux ex-combattants révoqués au sein des FNIS illustre cette procédure d'étiquetage qui consiste en « la désignation d'un enjeu comme relevant d'une autorité publique... »1, impliquant donc la production de outputs. Les ex-combattants avaient vainement tenté d'introduire ce problème au niveau du Ministère de l'Intérieur. Le «système» de ce Ministère est tel que ce type de revendications n'est pas susceptible d'admission, à fortiori de traitement devant aboutir à des décisions. Il a fallu l'intervention du HCRP qui s'est employé à traduire ces revendications dans un langage politique. Ce travail cognitif d'interprétation du réel consiste à analyser les problèmes des révoqués comme une menace pour la sécurité du pays.

Cette question a été érigée en un problème politique qui touche à l'unité nationale et à

l'intégrité du territoire. A travers une argumentation solide, et puisant aussi bien dans les Accords de Paix que la constitution du pays, le HCRP était parvenu à faire de ce problème une partie intégrante du processus de paix. C'est à ce prix que ces problèmes des ex-combattants au sein des FNIS ont été soumis et traités par le Chef de l'Etat lui-même en juin 2006.

En 2007, nous avons rencontré au HCRP un ex-combattant révoqué des USS du Manga (Est) qui estimait être victime d'une injustice. Son réflexe a été de parcourir des centaines de

kilomètres pour venir s'adresser au HCRP et faire valoir ses droits. Sur place à Niamey, il tenta vainement d'intégrer le « système » du Ministère de l'Intérieur dont relève son corps. C'est au HCRP qu'il trouva un accueil, un cadre d'expression pour soumettre ses doléances. Ce cas n'est pas isolé. Il témoigne de la singularité du rôle politique latent que le HCRP joue dans le système politique nigérien. Le problème d'insécurité au nord Tillabéri offre également un bel exemple de cette fonction d'intégration des groupes à potentiel violent dans le système politique.

Les populations peulh de Tillabéri qui se battaient contre les touaregs maliens n'ont

jamais été reconnues comme des milices par le Ministère de l'Intérieur qui, dans sa logique, ne reconnaît à aucun groupe le droit de s'auto défendre et prône une politique de fermeté à l'égard de toute milice. Toute autre est l'approche du HCRP. Les deux logiques se sont confrontées lors d'une réunion au HCRP sur l'organisation d'un forum de réconciliation avec la partie malienne en 2006.

Le représentant du Ministère de l'Intérieur récusa le terme « milice » employé pour

désigner les organisations d'auto défense peulh qui, selon lui, n'ont aucune existence officielle. Le Haut Commissaire Mohamed Anacko fit valoir l'approche du HCRP qui peut se résumer en ceci : Il faut accepter de reconnaître les milices armées et dialoguer avec elles pour restaurer la paix. On ne peut pas fermer lesyeux sur des faits, qu'ils soient officiellement reconnus ou non, ces groupes sont armés. Ilfaut regarder la réalité en face. Cette controverse traduit toute la quintessence de la fonction tribunitienne. En ce sens, le HCRP intègre les groupes armés dans le système en les reconnaissant d'abord comme interlocuteurs et en engageant un dialogue avec eux.

Pendant que le Ministère de l'Intérieur cherche fermement à désarmer les milices peulhs au nom du principe wébérien du monopole de la violence par l'Etat, le HCRP leur propose une

1 Guy Hermet et al, Dictionnaire de la science politique..., op cit, p. 241.

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réinsertion socio-économique en échange de leur désarmement sur le modèle initié avec les rébellions armées1. Mais ces actions n'épuisent pas les fonctions latentes du HCRP.

Cette institution offre aux ex-combattants beaucoup de services, notamment ceux résidant à Niamey. C'est ainsi que ces derniers utilisent souvent les locaux de HCRP pour tenir leurs rencontres et évaluer le processus de paix. Beaucoup d'ex-combattants utilisent également les services du HCRP pour des affaires privées, qui pour faire saisir des documents au Secrétariat, qui pour faire des photocopies, ou encore passer des coups de téléphone.

En poste au HCRP entre 2006 et 2008, nous avons eu personnellement à saisir à maintes occasions les documents d'un Cadre de la Rébellion travaillant dans le privé dont l'entreprise ne dispose pas de Secrétariat. Il faut noter aussi que les rencontres des Chefs de Fronts et Mouvements organisées dans les locaux du HCRP périodiquement sont bien « arrosées »2. A ces gratifications matérielles s'ajoutent des gratifications symboliques. Il arrive, en effet, que le HCRP délivre à certains ex-combattants des attestations certifiant qu'ils ont oeuvré pour la consolidation de la paix et l'unité nationale au Niger.

Mais les Chefs des Fronts et Mouvements, à leur tour aussi, travaillent à la canalisation de la violence de leurs combattants à travers les solidarités communautaires. Il est bien connu que les touaregs constituent une société fortement intégrée et solidaire qui est un bel exemple de communauté (M. Weber). Grâce à cette solidarité, les élites touarègues bien positionnées dans les sphères du pouvoir soutiennent leurs combattants et proches en difficulté à travers plusieurs prestations.

Il est un fait empirique que bon nombre d'anciens Chefs rebelles accueillent chez eux nombreux des leurs qui sont dans la nécessité. Beaucoup d'ex-combattants apprécient leurs anciens Chefs sur la base de leur capacité à redistribuer. Expliquant l'émergence du MNJ, F. Deycard soutient que « les solidarités familiales ont modéré les mécontentements, mais l'absence des perspectives de progression sociale de combattants de la première heure, alors qu'ils se montraient dé<4 peu satis faits de la qualité des postes réservés, a produit un fort sentiment de frustration »3. C'est aussi le sens qu'il faut donner à la requête du FLAA en 2006 qui demandait que les 25 500 000 F CFA destinés à ses dix sept (17) Cadres soient partagés entre plusieurs personnes en difficultés (martyrs, victimes de guerre, femmes, etc.).

Ces gestes de solidarité, de redistribution des richesses, ont fortement contribué à contenir les frustrations des ex-combattants. Et de façon latente, ces prestations sociales ont facilité leur intégration dans le système qu'ils ont combattu. Cette fonction tribunitienne porte donc en elle une dynamique de stabilisation du système politique. Il en est de même de la reconversion des élites politiques.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus