B. La primauté de la coopération sur le
conflit
Avant la pénétration coloniale, les rapports
entre les différentes communautés ethnolinguistiques occupant
l'espace nigérien étaient dominés par la
complémentarité économique et des brassages culturels. Le
Nord, domaine pastoral par excellence, habité par des peuples nomades
dont les Touaregs, était en parfaite harmonie avec le Sud
sédentaire et agricole. Avant la colonisation, il n'existait pas de
délimitation des zones pastorales et sédentaires. A travers le
prestigieux commerce transsaharien, les Touaregs du Nord fournissaient aux
sédentaires du Sud des produits dont le sel, les dattes et le natron
qu'ils échangeaient contre les céréales.
1 Jan Krzystof Makulski, « Evolution du modèle de
la personnalité des Touaregs Kel-Ahaggar », Africana
Bulletin, n°15, Warszawa, 1971.
2 Les autres groupes ethniques sont les Peulhs (10%), les
Kanouris (4,4%), les Arabes, Toubous et Gourmantchés (1,6%) selon les
données du recensement général de 1988.
3 CRA, Programme Cadre de la
Résistance, p.8.
4 André Salifou, op cit, p. 107.
5 Les données historiques dans cette partie sont en
partie puisées de deux conférences publiques du Pr Djibo Hamani,
à savoir celle du 2 août 2007 à l'Atelier du Partenariat
Stratégique pour la Paix en Afrique (PASPA) sur le thème «
le rôle de l'histoire dans la recherche de la paix» et celle 11
août 2007 à la Journée de Réflexion de l'ANDDH et
Alternative Espace Citoyen sur le thème «les enjeux
stratégique du Sahara à travers l'histoire ».
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
Le commerce transsaharien fut un modèle
d'intégration économique très avancé qui n'avait
rien à envier aux modèles existant ailleurs à cette
période. Le Pr Djibo Hamani, spécialiste de l'Aïr, compare
Agadez, le plus grand carrefour commercial du nord Niger, à Lagos et
Cotonou actuels réunis. On dénombrait plus de 100 000 têtes
de chameaux dans le Sahara en 1913. Les principaux partenaires
économiques des commerçants sahariens étaient des pays
comme la Libye, le Ghana, le Nigeria où les produits du Sahara
étaient de très loin, plus compétitifs que ceux
d'Europe.
La complémentarité économique entre le
Nord et le Sud imposait, par pragmatisme, une coexistence pacifique entre les
Touaregs et les populations sédentaires (Haoussa, Djerma, etc.).
L'histoire de la plupart des groupes ethniques existant dans le Niger actuel a
un lien avec la région de l'Aïr. Les populations haoussa, djerma,
toubou, par exemple, y ont vécu avant et après les Touaregs. Les
traces linguistiques et topographiques sont d'ailleurs actuellement
présentes pour confirmer cette réalité. Depuis des
siècles, l'Aïr a servi de carrefour entre les Etats Sonrhaï,
Haoussa et les pays de la méditerranée et du
Moyen-Orient1.
Les conflits intérieurs au monde touareg étaient
plus fréquents que ceux qui les opposaient aux populations non Touaregs.
Ceci était identique pour les autres groupes ethniques. L'essentiel des
conflits qui ont déchiré l'espace nigérien
n'étaient pas de nature ethnique, mais étaient liés
à l'occupation des zones de pâturages ou de culture et du
contrôle des routes commerciales. Le Pr Djibo Hamani soutient en effet
que « ce fut la pression démographique et la
compétition pour le contrôle des pâturages et des hommes qui
changèrent les conditions de coexistence pacifiques dans le pays
»2.
Les actions de razzias des Touaregs se limitaient à des
zones et régions marginales sur lesquelles les pouvoirs des
sédentaires étaient lâches. Selon Maikorema Zakari, «
les rapports entre les différents peuples de l'espace
nigérien n'ontpas été que conflictuels. Au cours d'une
cohabitation multiséculaire, ces peuples eurent l'occasion de se
connaître, de se brasser, de procéder à des échanges
commerciaux d'autant plus indispensables qu'il s'agissait de Iones aux
économies complémentaires : le pastoralisme domine au Nord et le
travail de la terre au Sud »3.
Aussi, tous les Etats non Touaregs de l'espace nigérien
ont compté parmi leurs sujets des populations Touaregs (Katsina, Gobir,
Damagaram, etc.) et tous les Etats touaregs (Aïr, Azawagh au XIXe
siècle, etc.) ont eu des sujets appartenant à d'autres
ethnies4. D'ailleurs, la plupart des Touaregs Kel Aïr, Kel
Geres du Damergu, de l'imannan, de Taghazar sont issus d'un métissage
avec les Djermas, les Sonraïs, les Haoussas et les Dagras5.
Les Touaregs passaient plus de temps dans le Sud
sédentaire que dans le Nord pastoral. Le métissage socioculturel
qui en a résulté explique pourquoi il est difficile aujourd'hui
de trouver un nigérien qui n'ait pas de lien consanguin avec les
Touaregs de par la généalogie de sa famille. Pour le Pr Kimba
Idrissa, «c'est la situation géographique du nord, Ione
de transit, carrefour entre la méditerranée au nord et le golfe
de Guinée, point de passage des principales routes commerciales
transsahariennes se
1 Interview du Pr Djibo Hamani, Sahel
Dimanche, n°1245 du 20 juillet 2007, p. 11
2 Djibo Hamani, «Une gigantesque falsification de l'histoire
» in SNECS, op cit, p. 30.
3 Op cit, p. 13.
4 République du Niger, Document de Base du
Gouvernement du Niger devant servir aux négociations avec la
rébellion, avril 1994, p. 9.
5 Ibid.
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La problématique de la gestion post conflit
au Niger : analyse de la politique de réinsertion des ex-combattants
touaregs
Aofit 2009
prolongeant jusqu'en pleine zone
forestière, qui fait de l'espace nigérien un
«melting-pot» ou se rencontrèrent et
parfoisfusionnèrent ethnies, cultures, économies du soudan et de
l'Afrique du nord »1.
L'ethnicité à cette époque n'était
pas une source de conflictualité car les groupes ethniques, en plus des
brassages culturels, étaient solidement unis par des liens
économiques ou politiques. En effet, «Quand les
caravanes ne venaient plus du Nord pour alimenter le commerce urbain ou
apporter du sel, et que les grains ne remontaient plus au Sud pour nourrir les
populations, le retour à la paix s'imposait
»2. L'expérience pré coloniale a
ainsi montré que l'ethnicité n'était pas une source
majeure de conflit, elle était plutôt «
étouffée» et «
contenue ». En Afrique, les «
conflits prétendument ethniques étaient en
réalité des conflits sociaux» comme le
soutient le Pr Ki-Zerbo3.
Le Niger pré colonial a même montré des
cas d'assimilation culturelle avec, par exemple, la région de Damagaram
où des populations Kanouris furent pacifiquement assimilées par
les Haoussas. Beaucoup de mécanismes ont été
mobilisés pour pacifier et harmoniser les relations intercommunautaires.
C'est le cas de la parenté à plaisanterie qui relie toutes les
communautés linguistiques du Niger : Peulh/Djerma, Peulh/Arawa,
Djerma/Gobirawa, Touareg/Djerma etc. Cette institution est le témoignage
éloquent de l'ancienneté des relations interethniques qui
contribuent à renforcer la solidarité et
l'interpénétration des cultures4.
Le cas de l'espace nigérien pré colonial infirme
une fois de plus la thèse propagée par l'idéologie
coloniale qui procède de ce que le Pr Basile Guissou appelle «
une vision européocentriste des institutions politiques
africaines précoloniales »5.
L'idéologie coloniale a, en effet, toujours dépeint une Afrique
déchirée par les conflits ethniques. Pour le Pr Ki-Zerbo, «
ily a toujours eu une expérience historique largement
répandue et transcendant les ethnies qui, au fil du temps, a
sculpté la conscience culturelle des uns et des autres. La conscience
culturelle des peuples n'est pas une médaille frappée une fois
pour toute avec arêtes bien circonscrites, mais plutôt un champ de
forces »6. Aucune ethnie n'a pu construire sa
personnalité culturelle encore moins sa personnalité biologique
en vase clos.
S'agissant précisément des Touaregs,
Hélène Claudot écrit que « l'idée
d'une vaste communauté économique africaine entre parfaitement
dans la vision du monde touarègue. Cette compréhension des
nécessités politiques et économiques nécessairement
supra-étatique est profondément ancrée en pays nomade,
notamment chez les anciens noyaux dirigeants écartés du pouvoir
par les autorités coloniales au profit d'éléments plus
dociles, et dont les perspectives se dessinent toujours à
l'échelle des relations inter confédérales et
intercommunautaires plutôt que tribales et locales
»7.
En définitive, cette description des relations entre
Touaregs et non Touaregs dans le Niger pré colonial ne permet pas de
comprendre l'éruption des rebellions touarègues. Celles-ci ont
leurs véritables sources dans le phénomène colonial.
1 Kimba Idrissa, « La dynamique de la gouvernance :
administration, politique et ethnicité » in Kimba Idrissa (dir),
Le Niger: Etat et Démocratie, Paris,
L'Harmattan, 2001, p. 53.
2 Djibo Hamani, Sahel Dimanche, op
cit.
3Joseph Ki-Zerbo, A quand
l'Afrique, Paris, Editions de l'Aube, 2003, p. 61
4 Kimba Idrissa, op cit, p. 57.
5 Basile Guissou, «La chefferie traditionnelle est politique
», http://www.petiteacademie.gov.bf/ cahier/article6.htm
(Consulté le 3 septembre 2008), p. 10.
6 Joseph Ki-Zerbo, Repères pour
l'Afrique, Dakar, Panafrika, 2007, p. 65
7 Hélène Claudot-Hawad « Bandits, rebelles et
partisans... », op cit, p. 148
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touaregs
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