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La protection de la santé comme limite à  la liberté d'entreprendre

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par Thomas BERTRAND
Université Montesquieu Bordeaux 4 - Master 2 droit de la coopération économique et des affaires internationales 2012
  

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B - Les limitations à la publicité ou propagande en faveur du tabac et des boissons alcoolisées

Nous l'avons montré précédemment, la commercialisation du tabac est bien plus restreinte que celle des boissons alcoolisées. L'étude des règles encadrant la publicité desdits produits nous démontre encore une fois la véracité de cette affirmation. Nous passons ainsi d'un régime d'interdiction de principe de la publicité ou propagande en faveur du tabac (1), à un régime strictement encadré concernant la publicité de l'alcool, qui n'est autorisée que dans des situations limitativement énumérée par le législateur (2).

1 - L'interdiction de principe de la publicité ou propagande en faveur du tabac

Principe. L'art. L. 3511-3 du CSP pose le principe de l'interdiction de la propagande ou de la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac et des produits du tabac. Il s'agit là d'un principe qui va limiter les activités économiques à la fois des publicitaires, des fabriquant et des commerçants de tabac.

A ce sujet, le Conseil constitutionnel a considéré que l'encadrement de la publicité du tabac, fondé sur des exigences de protection de la santé, « ne porte pas à la liberté d'entreprendre une atteinte qui serait contraire à la Constitution. »208 En l'espèce, les auteurs de la saisine avaient opposé à l'encadrement de la publicité la liberté d'entreprendre « au motif que son exercice implique le pouvoir de soumettre les produits du tabac aux lois du marché et de la concurrence » et « que cela suppose une information du consommateur et une possibilité de diffusion des produits. »

Par ailleurs, la Cour de cassation considère que la protection de la santé est un motif légitime de restriction de la publicité commerciale en tant que forme de liberté d'expression protégée par l'article 10§1, Conv. EDH.209 On notera complémentairement que dans un contexte économique, la publicité « commerciale » ne peut être analysée qu'en tant que forme de la liberté d'expression mais aussi en tant que mise en oeuvre de la liberté d'entreprendre, car la

208 CC, 90-283 DC, 08 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme

209 Crim. 19 nov. 1997, D. 1998. JR 59

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publicité fait partie intégrante de la stratégie commerciale des acteurs économiques. Ainsi dans ce cas, la liberté d'expression protégée par la Conv. EDH peut constituer un moyen juridique de niveau européen de défense de la liberté d'entreprendre des acteurs économiques. Mais que recouvre la notion de publicité ou propagande ?

Définition. Premièrement, la jurisprudence définit la publicité ou propagande illicite en faveur du tabac comme « toute diffusion d'écrit, d'image ou de photographie participant à la promotion du tabac ou des produits du tabac pour inciter à l'achat » et quel qu'en soit l'auteur.210 La jurisprudence précisera par la suite qu' « il est indifférent que certaines des inscriptions figurent à l'intérieur des paquets, la publicité illicite ne visant pas seulement l'incitation au premier achat, mais aussi l'incitation à consommer toujours plus une fois le paquet acheté et ouvert. »211

Deuxièmement, selon l'article 3511-4 du CSP, la publicité ou propagande indirecte en faveur du tabac est celle qui d'une part est faite en faveur d'un organisme, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac et qui d'autre rappelle par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, le tabac ou un produit du tabac.

On a donc une définition très large de la publicité ou propagande en faveur du tabac, ce qui ouvre de larges possibilités d'interdictions. Toutefois, certaines exceptions permettent dans certains cas d'admettre ce type de publicité ou propagande.

Exceptions. L'article précité autorise ainsi la publicité ou propagande sur les enseignes des débits de tabac et les affichettes disposées à l'intérieur de ces établissements, non visibles de l'extérieur, à condition que ces enseignes ou ces affichettes soient conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel212. L'arrêté prévoit l'obligation d'inscrire sur les affichettes un message à caractère sanitaire (« Faites-vous aider pour arrêter de fumer, téléphonez au... »). De plus, il interdit sur les affichettes d'autres mentions que la dénomination du produit, sa composition, ses caractéristiques et conditions de vente (à l'exception du prix), le nom et l'adresse du fabricant (et, le cas échéant, du distributeur), ou d'autre représentation graphique ou photographique que celle du produit, de son emballage et

210 Crim. 21 févr. 1996, Bull. crim. no 86

211 Crim. 3 nov. 2010, pourvoi no 09-88.599

212 Arrêté du 31 décembre 1992 fixant les caractéristiques des affichettes relatives à la publicité en faveur du tabac dans les débits de tabac, version consolidée au 14 avril 2006

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de l'emblème de la marque. La restriction est très sévère malgré le fait que ces publicités ne soient autorisées que dans les débits de tabac, c'est à dire généralement qu'à la vue des fumeurs. Ainsi comme nous l'évoquions, la publicité illicite ne vise pas seulement l'incitation au premier achat.

De même, la publicité ou propagande est autorisée dans les publications et communications en ligne éditées par les organisations professionnelles de producteurs, fabricants et distributeurs des produits du tabac et à destination de leurs adhérents. C'est également le cas pour certaines publications professionnelles spécialisées (cf. art. précité)

Enfin, la publicité ou propagande à disposition du public est autorisée lorsqu'elle émane de personnes établies dans un pays n'appartenant pas à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen et à condition qu'elle soit en ligne et qu'elle ne soit pas principalement destinée au marché communautaire (cf. art. précité).

Ainsi, même dans les rares hypothèses d'autorisation de la publicité ou propagande, un strict contrôle sera opéré. Les restrictions sont a contrario moins lourdes concernant la publicité ou propagande en faveur des boissons alcoolisées.

2 - L'exhaustivité des situations autorisant la publicité ou propagande en faveur des boissons alcoolisées

Principe. Sans poser explicitement un principe d'interdiction de la propagande ou de la publicité directe ou indirecte en faveur des boissons alcooliques (dont la fabrication et la vente ne sont pas interdites), l'art. L. 3323-2 du CSP énumère une liste exhaustive de huit situations dans lesquelles elle est autorisée. Au sein de ladite liste, nous évoquerons à titre d'illustration l'autorisation de la publicité dans la presse écrite (à l'exclusion des publications destinées à la jeunesse) par voie de radiodiffusion sonore (pour les catégories de radios et dans les tranches horaires déterminées par décret en Conseil d'État), sous forme d'affiches et d'enseignes à l'intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé et en faveur des musées, universités, confréries ou stages d'initiation oenologique à caractère traditionnel.

Au sujet de cette liste exhaustive, un arrêt récent du Conseil d'Etat a particulièrement attiré notre attention.213 Ainsi, les juges ont considéré qu'impliquerait une violation de l'art. L.

213 CE, 11 juill. 2012, SARL Media Place Partners: req. no 351253

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3323-2 du CSP, la diffusion d'un programme thématique intégralement consacré au vin et à la viticulture, visant à en présenter les mérites et les attraits, au motif que les services de télévision ne sont pas compris dans les autorisations prévues par l'article précité. A première vue, considérant les dispositions de l'article précité, cette décision nous semble logique juridiquement. En revanche, il est fort à parier qu'il s'agisse en l'espèce d'une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression protégée par la Conv. EDH. En effet et de plus, si la protection de la santé est un objectif d'une importance primordiale, il n'en demeure pas moins qu'il serait douteux de croire qu'une telle émission aurait un impact si négatif sur la santé des consommateurs qu'elle justifierait son interdiction ; a fortiori en France, où la culture du vin est importante et dont le prestige est reconnu dans le monde entier. Enfin, la mesure serait bien plus proportionnée au regard de l'objectif de protection de la santé publique, si elle se contentait d'imposer dans ce type de diffusion, l'inclusion de messages à caractère préventif. D'ailleurs, que recouvre la notion de publicité ou propagande ?

Définition. Premièrement, la jurisprudence a défini la publicité ou propagande illicite en faveur des boissons alcooliques comme « tout acte ayant pour effet, quelle qu'en soit la finalité, de rappeler une boisson alcoolique sans satisfaire aux exigences de l'article L. 3323-4 du même code. »214 Il faudra alors s'interroger sur le contenu de cet article pour se rendre compte du degré de limitation contenu dans cette définition qui semble plus restrictive que celle donnée pour la publicité du tabac (promotion du tabac pour inciter à l'achat) dans la mesure où il suffit simplement que la publicité rappelle une boisson alcoolique.

Deuxièmement, selon l'art. L. 3323-3, la publicité ou propagande indirecte en faveur des boissons alcooliques est celle qui d'une part est en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre qu'une boisson alcoolique et qui, d'autre part, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une dénomination, d'une marque, d'un emblème publicitaire ou d'un autre signe distinctif, rappelle une boisson alcoolique.

Ainsi, vu la liste exhaustive contenue dans le CSP, les situations dans lesquelles la publicité des boissons alcoolisées est autorisée sont plus nombreuses que celles autorisant la publicité du tabac. C'est semble-t-il pour cette raison que la définition de la publicité de l'alcool que nous venons d'évoquer est bien plus large que celle du tabac. En effet, face à un principe d'interdiction, ce qui est sensiblement le cas concernant la publicité des boissons alcoolisées,

214 Crim. 3 nov. 2004: Bull. crim. no 268

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plus la définition de la publicité est large, plus les contraintes qui y sont attachées sont élevées. En outre, que nous dit l'art. L. 3323-4 sur le contenu autorisé dans ces publicités ?

Contenu de la publicité. L'art. L. 3323-4 limite la publicité ou propagande en faveur des boissons alcooliques à l'indication du degré volumique d'alcool, l'origine, la dénomination, la composition du produit, le nom et l'adresse du fabricant, les agents et les dépositaires, ainsi que le mode d'élaboration, les modalités de vente et le mode de consommation du produit. De même, cette publicité doit être assortie d'un message à caractère sanitaire précisant que « l'abus d'alcool est dangereux pour la santé. » Cet article constitue une restriction sévère au contenu autorisé dans la publicité desdits produits et a fait l'objet d'une riche jurisprudence. Ainsi nous donnerons quelques illustrations relatives à la publicité du whisky. Tout d'abord, « une illustration publiée dans la presse écrite représentant le conditionnement d'une bouteille de whisky avec, à côté, deux livres aux reliures anciennes (sur lesquels est posée une paire de lunettes rondes cerclées d'une monture métallique, un ruban défait ainsi qu'une enveloppe ouverte), cet ensemble étant accompagné de la mention "le présent n'est rien sans l'héritage du passé", constitue une publicité illicite, dans la mesure où ces éléments ne se rapportent pas aux seules mentions autorisées par la loi. »215 De même, « constitue une publicité illicite une affiche publicitaire dont l'image et le slogan font expressément référence à la virilité de l'Écossais, en relation avec l'alcool, éléments qui ne se rattachent pas à l'une des informations limitativement énumérées par l'art. L. 3323-4 CSP. »216 Les marges de manoeuvre des publicitaires sont ainsi très limitées. Mais le degré de limitation atteint son paroxysme en matière de protection des mineurs.

Protection des mineurs. L'art. L. 3323-5 interdit de « remettre, distribuer ou envoyer à des mineurs des prospectus, buvards, protège-cahiers ou objets quelconques nommant une boisson alcoolique, ou en vantant les mérites ou portant la marque ou le nom du fabricant d'une telle boisson. » La jurisprudence précisera que « la seule remise à un mineur d'un objet quelconque nommant une boisson alcoolique caractérise le délit de l'art. L. 20 [CSP, art. L. 3323-5], sans qu'il soit nécessaire que ledit objet ait été, en outre, donné au mineur à titre définitif »217 Une

215 Civ. 2e, 28 juin 1995, D. 1995. IR 182

216 Crim. 29 nov. 2005, Bull. crim. no 312; AJ pénal 2006. 123, obs. Saas

217 Crim. 28 nov. 1973, D. 1974. 170

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fois de plus, la protection des mineurs constitue l'un des domaines contenant les plus hautes restrictions dans la politique de protection de la santé.

Ainsi, comme nous venons de le voir, la lutte contre les dépendances est source de multiples limites à la liberté d'entreprendre, qui peuvent atteindre des degrés de restriction très élevés. En outre, la lutte contre les dépendances ne concerne pas uniquement les produits du tabac et de l'alcool, qui en sont les figures emblématiques. Ainsi par exemple, la lutte contre les dépendances a pu justifier des limitations à la liberté d'entreprendre dans le secteur des jeux-vidéos, notamment pour prévenir les risques de crises épileptiques.

Plus généralement nous avons donc vu que la protection de la santé pouvait justifier des interdictions de commercialisation de biens ou des strictes conditions de commercialisation de ces derniers allant du monopole à un encadrement comportant des contraintes de divers degrés. Ces mesures constituent de nombreuses limitations à la liberté d'entreprendre mais sont toujours justifiées par la protection de la santé. Pour autant, les quatre catégories de biens que nous avons pris en exemple (choses dangereuses, éléments et produits du corps humain, tabac et alcool) n'avaient pas la même valeur économique marchande ou potentielle. Nous n'avons pas pu constater à ce titre de corrélation entre le degré d'interdiction de commercialisation de ces biens et leur valeur marchande hypothétique. C'est une bonne nouvelle car cela montre que la protection de la santé est dans sa globalité désintéressée de toute logique économique. On peut nuancer ce propos en rappelant que le coût de la sécurité sociale pèse considérablement dans les finances publiques et qu'ainsi par exemple, outre le principe budgétaire de non affectation des ressources publiques, les hautes taxations sur le tabac sont bienvenues concernant le coût engendré par la multiplication des maladies liées à la consommation du tabac.

Enfin, si les principales limites que nous avons analysées résultaient de mesures législatives, il ne faut pas pour autant oublier le pouvoir conféré aux autorités administratives de prendre des actes administratifs fondés sur la protection de l'ordre public. On peut d'ailleurs se référer à l'analyse de M. GUIBAL selon qui « les conditions de la légalité de ces décisions ne se jugent pas par rapport à la liberté qui est en cause ou bien par rapport à un but d'intérêt économique,

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mais par rapport aux justifications qui doivent fonder n'importe quelle mesure de police. »218 En effet, « elles ne sont pas prises par des autorités d'interventionnisme économique, mais par des autorités de police ». C'est ainsi qu'un maire a pu légalement prendre un arrêté temporaire de fermeture d'un commerce de boissons alcoolisées à certaines heures de la nuit pour des motifs de sécurité et de tranquillité publique.219 Une solution similaire, dans un contexte différent, pourrait être retenue pour des motifs de salubrité publique, qui sont liés à la protection de la santé.

Par ailleurs, l'étude, sous le prisme de la liberté d'entreprendre et de la protection de la santé, de la commercialisation des biens ne peut se faire que dans un contexte national. En effet, sous l'impulsion du droit de l'Union européenne, les biens sont amenés à circuler d'un Etat membre à l'autre, et si le principe est la libre circulation, il peut être nuancé pour des motifs de protection de la santé. De ce constat apparaitrons de nouvelles limitations à la liberté d'entreprendre.

218 GUIBAL M., op. cit., note 5

219 CE, 21 janv. 1994, Cne de Dannemarie-les-Lys, req. no 120.043, D. 1994, somm. 112, obs. D. Maillard Desgrées du Loû

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"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe