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Le texte promotionnel culturel

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par David LEGOUPIL
Université Paris V René Descartes - Master pro 2 expertise en sémiologie et communication 2007
  

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5. Connivence culturelle, autobiographie nostalgique et esthétique de la pointe: un fragment de TPC à l'écriture très littéraire

Un autre TPC de Jacques s'appuie sur un effet de connivence culturel et montre bien comment l'écriture promotionnelle peut puiser aux ressources de l'écriture littéraire. Recourant au « nous », le texte adopte un registre nostalgique. Il apparaît aussi subrepticement comme un fragment autobiographique, l'ensemble convergeant vers un effet de chute, une esthétique de la pointe sous la forme d'un jeu de mots.

« Bobet, Robic, Coppi, Anquetil, Pélissier, Hassenforder, Merckx nous rappellent sobrement que le Tour était alors uniquement dépassement de soi. Ils étaient comme nos grands frères modèles et notre jeunesse, avec eux, s'est envolée. Au sommet du Ventoux ? » (Jacques, La Victoire à Ventoux, t. p., p. 42)

On trouve, condensés dans ces trois lignes, un maximum d'effets littéraires qui font du TPC de Jacques un objet plaisant pour lui-même et qui, par ricochet, doivent rendre attrayant le spectacle promu. La longue énumération (sept noms) des grands champions du cyclisme des années 60 et 70, introduit le thème de la nostalgie et participe de l'écriture du souvenir, d'inspiration proustienne, comme si le simple fait de les invoquer, avec leurs sonorités variées, «douces » (Pélissier, Bobet, Coppi), « martiales » (Hassenforder) ou « coupantes » (Robic, Anquetil, Merckx), permettait de les faire remonter à la surface de la mémoire81(*).

La connivence culturelle passe, on l'a dit, par l'emploi du « nous », qui induit un univers supposé partagé. Cet univers est celui du cyclisme professionnel contemporain que l'on oppose à celui des années 60-70. Comme dans le TPC sur Giordano Bruno, Jacques crée cette connivence au moyen d'un sous-entendu : « le Tour était alors uniquement dépassement de soi. » Entre les lignes, on devine une allusion au dopage (qui pourtant existait déjà à l'époque présentée par le rédacteur comme l'âge d'or du cyclisme...) voire aux enjeux financiers, beaucoup plus importants aujourd'hui.

La connivence culturelle se prolonge ensuite par une étonnante confidence aux accents autobiographiques et mélancoliques : « Ils étaient comme nos grands frères modèles et notre jeunesse, avec eux, s'est envolée. » Le TPC dévoile joliment une part intime de l'ethos du scripteur et s'écarte ostensiblement de l'écriture promotionnelle. Jacques s'inscrit dans son texte en homme d'âge mûr, parle de sa jeunesse et des modèles que constituaient pour l'adolescent d'alors les grands champions cyclistes. Il évoque par là-même le passage du temps et le vieillissement (« notre jeunesse, avec eux, s'est envolée »).

Pourtant, bien que très littéraire, ce fragment de TPC fonctionne pleinement, à notre avis, d'un point de vue promotionnel. L'évocation de la jeunesse d'une génération désignée par le « nous » (« nos », « notre ») pourrait être excluante, rejetée par des lecteurs plus jeunes. Or, ce ton très personnel et sensible, inattendu dans un TPC, soulève chez le lecteur une forme d'empathie qui dépasse le clivage générationnel et permet même une identification. Ainsi séduit, une bonne part du lectorat peut se sentir dans la situation d'un potentiel spectateur.

La tournure verbale « s'est envolée » est décisive dans l'écriture de ce fragment. Elle constitue un jeu de mots qui établit un double parallèle autour de l'idée d'envol et d'ascension. Parallèle d'abord, entre la jeunesse révolue du scripteur et l'effacement des noms de ces grands champions sur la scène de l'actualité sportive - le thème de l'ascension pris dans une perspective chrétienne étant renforcé par le fait que nombre de ces champions sont aujourd'hui décédés. Parallèle ensuite, qui repose sur une métaphore répandue dans le discours des commentateurs cyclistes : « s'envoler », c'est, pour un grimpeur, mettre à distance ses adversaires, faire la différence dans l'ascension d'un sommet. Ainsi la jeunesse se serait envolée telle un grimpeur.

Finalement, la mélancolie qui sourd de l'évocation nostalgique est désamorcée grâce à la clausule nominale : « Au sommet du Ventoux ? ». La malice reprend le dessus et la jeunesse n'apparaît plus comme définitivement perdue mais comme protégée par un territoire mythologisé de l'enfance : le sommet du Ventoux. Cette dernière phrase, brève, interrogative, clôt très habilement une écriture personnelle tout en renouant le fil de l'écriture promotionnelle. En effet, cette « pointe », comme on disait aux XVII et XVIII ème siècles (dite aussi, plus savamment, apothèse), ferme le texte par un écho ingénieux au titre de la pièce « La Victoire à Ventoux ». La pointe, qui découle, sans rupture, de l'évocation nostalgique opère comme un clin d'oeil au titre, c'est-à-dire au spectacle à promouvoir, objet premier du texte. La chute rappelle aussi (en creux, c'est-à-dire avec la délicatesse de ne pas le reprendre) le jeu de mots que le titre recèle : la victoire avant tout82(*).

* 81 L'intertexte serait ici le célèbre « Noms de pays » dans Du côté de chez Swann.

* 82 Contrairement au rédacteur, l'analyse du discours n'a pas (toujours) ces délicatesses...

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