WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'Eglise catholique et le processus démocratique au Cameroun: une analyse de la participation des archidiocèses de Douala et de Yaoundé

( Télécharger le fichier original )
par Magloire NDONGMO
Université de Douala Cameroun - Master II en sociologie politiique 2013
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

PARTIE 2 :

L'ANALYSE DE LA PARTICIPATION DIFFERNECIEE DE L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LE PROCESSUS DEMOCRATIQUE AU CAMEROUN

CHAPITRE 3 :

ANALYSE DU CONTEXTE DE DEMOCRATISATION ET PROBLEMATIQUE DE L'INTERVENTION DE L'EGLISE DANS LE CHAMP SOCIOPOLITIQUE CAMEROUNAIS

L'objectif de ce chapitre consiste premièrement à faire une présentation analytique du contexte de démocratisation du Cameroun. En effet, l'on ne peut pas prétendre faire une analyse de la participation démocratique de l'Eglise en tant qu'elle est acteur de la société civile sans au préalable mettre en exergue les caractéristiques du champ d'action sur lequel elle se meut et qui sont si importants pour comprendre sa trajectoire dans ce dernier champ. Il convient donc ici, non seulement de présenter une brève histoire de la démocratisation camerounaise, de sa sociogenèse à sa crise actuelle, mais aussi de présenter les formes d'exigences populaires des citoyens camerounais qui ont soif d'un mieux-être, une présentation du contexte politique de lutte pour le changement ainsi que les acteurs qui y sont impliqués. Il s'agit aussi de mettre en lumière les formes de crises qui caractérisent cette démocratisation, notamment les difficultés d'encrage socioculturel de la démocratie camerounaise à mettre en place. Enfin, il s'agit de présenter les spécificités de la démocratisation camerounaise par rapport aux idéaux démocratiques brandis par les pères grecs et occidentaux de la démocratie.

Dans sa seconde articulation, ce chapitre vise, suite à la présentation du contexte de démocratisation, à mettre en exergue les éléments de compréhension de la problématique de l'intervention de l'Eglise Catholique dans le champ sociopolitique, et donc dans le processus démocratiquecamerounais. Il s'agit de présenter une sorte d'histoire politique de l'Eglise Catholique en matière de démocratie, l'évolution de ses positions sur la modernité, sur l'avènement des sociétés pluralistes, sur la politique ; et surtout, de montrer comment l'Eglise passe de la chapelle à l'espace public camerounais.

3.1. L'ANALYSE DU CONTEXTE DE DEMOCRATISATION DU CAMEROUN

Il n'est pas judicieux d'aborder l'analyse du contexte de démocratisation du Cameroun sans commencer par une brève histoire de cette démocratisation ; c'est-à-dire les premiers balbutiements démocratiques qui ont conduit aux formes contemporaines de lutte pour la démocratie camerounaise.

3.1.1. Une brève histoire de la démocratisation du Cameroun

Besoin n'est plus de rappeler que l'entité «Cameroun» est une agglomération des tribus que le projet colonial a réuni sous une entité politique que nous nommons Etat. De nombreux auteurs l'ont fait avant nous142(*). Il convient plutôt de montrer comment lorsque ces petites entités tribales mises ensemble ont perçu les enjeux de leur mise ensemble en face des puissances coloniales, l'esprit d'émancipation a commencé à naître en eux comme c'est le cas d'ailleurs chez tous les peuples qui réalisent en face d'eux une puissance à prétention politico-hégémonique. C'est alors que ceux-ci, face aux pratiques d'oppression coloniale tels que les travaux forcés, ont commencé les mouvements d'émancipation que nous nommons luttes pré-indépendances et qui marquent en réalité la naissance de l'esprit démocratique chez les peuples camerounais ;la démocratie entendue ici comme participation de tous à la gestion des affaires publiques, comme gestion saine de ces affaires, comme respects des libertés des populations, etc.

3.1.1.1. Les luttes indépendantistes camerounaises

Les préoccupations d'une gestion saine et collective de la cité camerounaise ne sont pas nouvelles, ni ne datent du vent de libéralisation des années 90. Déjà avant les indépendances, la soif des camerounais à une prise en main des affaires de leur pays se faisait déjà ressentir à travers de nombreux mouvements protestataires et indépendantistes essentiellement portés par l'UPC143(*).Après l'indépendance, ils ont continué à se faire sentir car les partisans de l'indépendance qui ont évolués par la suite sous la forme des mouvements qu'on a dénommé « maquis », estimaient que l'indépendance n'avait pas été effective. En réalité, selon ces derniers, loin de remettre les affaires du pays entre les mains de ses fils, les colons ont fabriqué de toutes pièces leurs disciples qui continueraient leur politique coloniale après une indépendance proclamée du bout des lèvres. Une telle vision de la réalité camerounaise est aussi soutenue par Segnu Etienne qui affirme à ce sujet :

«(...) La France fut finalement obligée d'accepter d'accorder l'indépendance au Cameroun. Mais elle voulait accorder une indépendance dont elle devait continuer à en avoir le contrôle après avoir mis l'UPC à l'écart. Devant le refus du parti d'accepter une telle indépendance, la France décida de l'éliminer politiquement et militairement. Elle décida aussi d'éliminer physiquement tous ses leaders. »144(*)

Ces mouvements indépendantistes qui ont tant bouleversé la scène sociale camerounaise était une prolongation et une manifestation des mouvements de protestation qui avaient cours ici et là pendant la colonisation ;protestation des indigènes contre le travail forcé145(*), contre leur étrangeté à la gestion des affaires les concernant146(*). Ces formes de protestation populaires vécues de manière disparates, de part et d'autres sur le territoire, devaient s'unifier et se convertir à une aspiration générale des citoyens à une gestion saine et collective des affaire de la cité et donc à leur implication dans ces affaires. Il en découle évidemment, que la soif de la démocratie date de la colonisation même. Ce qui nous permet de comprendre que la démocratie est inscrite en chaque peuple et attend que les conditions soient réunies pour qu'elles se mettent en place. Loin d'être donc le monopole de quelque peuple que ce soit, la démocratie est le commun de tous les peuples.

Parlant de cette sociogenèse du processus de démocratisation du Cameroun, nous pouvons dire qu'il s'enracine dans ces multiples protestations populaires contre la gestion autocratique de leurs affaires, ou contre le travail forcé. Cette soif de la démocratie a été ainsi portée par les « maquis » surtout pendant la période du parti unique, de la monopolisation de la vie par l'UNC d'Ahmadou Ahidjo. Segnu Etienne va dans ce même sens lorsqu'il affirme :

« (...) les Camerounais poursuivirent la lutte même après que la France eu accordé l'indépendance au Cameroun le 1er janvier 1960, Et cette lutte dura encore 11 ans après l'indépendance»147(*)

3.1.1.2. Le monolithisme politique au Cameroun

L'histoire républicaine du Cameroun indépendant peut être subdivisée en deux grandes phases, toutes caractérisées comme nous allons le voir, par le monolithisme politique : une première qui va de 1960 à 1982, et est marquée par la personnalité du Président Ahidjo. L'évolution politique faisait voir ici le passage de l'Etat fédéral(1961) à l'Etat unitaire (1972). La deuxième, quant à elle est marquée par la personnalité du président Paul Biya de 82 à nos jours. Elle fait passer de l'Etat unitaire à la République que nous connaissons de nos jours.

3.1.1.2.1. Le régime politique d'Ahmadou Ahidjo et l'instauration du monolithisme

Pour comprendre l'ouverture du Cameroun au vent des démocraties de l'année 90, il faut partir du régime politique qui était en vogue depuis l'indépendance du Cameroun. Ce Régime politique est caractérisé par la monopolisation par le parti unique de toutes les sphères sociales, et par un encadrement sévère de la population.

L'avènement du parti unique et le monolithisme politique en général commencèrent juste après les indépendances lorsque le Président Ahmadou Ahidjo au nom de son « projet hégémonique»148(*) de « construction nationale » s'engagea dans des stratégies de dissolution de toutes les voix qui ne s'alignaient pas derrière la sienne. J. F. Bayart abonde dans le même sens lorsqu'il écrit ces lignes :

« En rendant plus impératif le thème de construction nationale, elle lui fournit [à Ahidjo un mythe justificateur supplémentaire : aux arguments habituels en faveur du monolithisme(absence de classe sociales, tribalisme), s'ajouta la nécessité de rapprocher les deux Etats fédérés. »149(*)

Il s'agit plus précisément de l'année 1962 où M. Ahidjo prit soin de dissoudre toute opposition et d'écarter ses rivaux potentiels, et surtout ceux qui étaient détenteurs d'une légitimité ou d'un pouvoir politique autonome. Telles étaient les ambitions de M. Ahidjo ; comme écrit L.Tchouabou :

« La stratégie d'Ahidjo devenu président consiste à amener les leaders politiques du Cameroun occidental à entrer dans ses vues. Il obtint une première victoire le 1erseptembre 66 lorsque tous les partis du Cameroun occidental et certains du Cameroun oriental acceptèrent de fusionner pour former l'unique parti l'UNC»150(*)

Par la suite, le multipartisme fut même interdit, et le parti unique fut appelé UNC (Union Nationale Camerounaise)151(*).

Le président Ahidjo venait de mettre sur pied une puissante machine politique qu'il contrôlait. Alors, la machine mise sur pied fit son travail et la répression s'installa dans tout le pays, notamment à l'Ouest du pays où avec l'aide d'un général français réputé pour ses pratique de terroristes152(*), il mit fin à la rébellion de l'UPC ; opposition persistante et qui, comme le soutient Mongo Béti entra dans la lutte armée étant mal organisée, moins équipée en armement153(*). Progressivement, le Régime broyait tout sur son passage : exécution sur la place publique d'opposants et des présumés « bandits », et bien d'autres. Ce qui a amené M. L.Eteki à qualifier ce régime d'Ahidjo, comme celui de Biya de « régimes totalitaires »154(*).

Pendant toute cette période de monolithisme, l'Eglise Catholique profite néanmoins de son prestige pour continuer à remplir ses fonctions tribuniciennes, à travers notamment sa presse écrite l'Effort camerounais et les multiples prises de positions de nombre de ses clercs. C'est le cas de Mgr.Ndongmo qui sera arrêté et condamné pour complicité avec la rébellion armée de l'U.P.C. ;bien que la raison de sa condamnation se trouve ailleurs : ses prises de positions sur les questions sociales dans un pays où le régime répandait la terreur partout. L'analyse de Lazare Tchouabou va dans le même sens parlant d': 

« Un procès qui mit aussi en cause un évêque catholique, l'évêque de Nkongsamba accusé de complicité avec la rébellion mais dont les vraies raisons de l'accusation semblèrent être ses prises de position et ses engagements sur les questions sociales. »155(*)

C'est dans ce contexte d'un contrôle total de la vie du pays que Paul Biya va accéder au pouvoir.

3.1.1.2.2. Le régime politique de Paul Biya et la pérennisation du monolithisme.

La création du poste de premier ministre en 1975 permit la nomination de Paul Biya qui devait succéder à Ahidjo en 1982 après la démission de ce dernier. Celui-ci s'empressa de supprimer ce poste un an après son accession au pouvoir, dans la même perspective d'une monopolisation de la vie politique du pays. Cette période du régime Biya correspond à ce que L. Tchouabouqualifie de « seconde République »156(*). Cette accession de Biya à la tête de la nation semblait apporter des lendemains meilleurs et harmonieux au Cameroun, compte tenu de toutes les situations éprouvantes que le pays avait connues sous Ahidjo. Mais très vite, des figures politiques apparaissent dans ce bel édifice et ce beau montage politique ;tout en se prononçant pour la continuité, Paul Biya place son régime sous des slogans de la rigueur et de la moralisation ; expressions identifiant du régime du Renouveau qui soulevèrent beaucoup d'enthousiasme en ses débuts, mais qui plus tard se sont avérées être des slogans creux et vides. Biya inscrivait également son régime du Renouveau dans un contexte de présidentialisme absolu à la suite de celui d'Ahidjo. Le socio politiste M.E. OwonaNguini affirme notamment à ce sujet :

« C'est d'ailleurs sous le sceau de la continuité gouvernante que le Président-successeur (M. Paul Biya) inscrit sa prestation de serment du 6 Novembre 1982, exprimant sa volonté d'assumer et de s'approprier l'héritage institutionnel et politique de l'Ahidjoïsme gouvernant. »157(*)

C'est pourquoi, après un coup d'Etat manqué contre lui, celui-ci va tout centraliser sur sa personne. Hans de Marie Heungoup affirme d'ailleurs :

« A partir de la tentative de coup d'État du 06 Avril 1984, le champ politique camerounais a connu un recentrage, qui place la présidence au coeur de la production politique. Le repositionnement présidentiel dans le jeu politique commande l'univers des possibles politiques camerounais. Le parti au pouvoir, RDPC, occupe certes une place importante de la vie politique (162/180 à l'assemblée nationale); mais, en réalité, la personne du président transcende ce parti»158(*).

Ensuite, il va décider sans transition de passer de la République Unie à la République du Cameroun. En 1985, il organise à Bamenda un Congrès au cours duquel l'UNC va disparaitre pour donner naissance à un nouveau parti dont il est le fondateur : Le R.D.P.C. (Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais). C'est l'entrée en jeu d'un nouveau parti unique à travers lequel le président va s'évertuer à mettre la main sur l'ensemble de la vie politique et de conduire le pays jusqu'au vent des démocraties de 1990.

3.1.1.3. L'ouverture démocratique de 1990

L'année 1990 marque le début du processus actuel de démocratisation. La chute du mur de Berlin et donc du Communisme entraine sur la scène internationale un grand vent de libéralisation qui ébranle nombre de régimes monolithiques. C'est dans cette mouvance que le Cameroun est aussi bouleversé. Bouleversé pas seulement de l'extérieur, mais aussi de l'intérieur où l'arrestation de plusieurs personnes pour affrontement à l'Etat conduit à une grande mobilisation ; et où malgré l'interdiction du multipartisme, Ni John FruNdi159(*) lance en Mai 1990 à Bamenda un parti politique nommé Social Démocratique Front (S.D.F.).

Le 04 Juillet suivant, le président accepte d'abandonner le monopole politique et une commission de révision de la législation sur la liberté publique est créée par décret le 21 Juillet. Dès le mois de Décembre, l'Assemblée Nationale adopte une série de loi sur la liberté d'association et la création des partis politiques. Cependant, les arrestations d'opposants continuent ;ce qui mobilise des populations et entraine finalement les « villes mortes » que les «commandements opérationnels », nouvelles formes de terreur des populations, viendront tenter de réprimer. Depuis lors, des élections pluralistes ont lieu mais, opposant le RDPC, parti-Etat tout puissant, à des partis ne valant pas son poids. Des réformes politiques et institutionnelles ont eu lieu, des organes de presse créés, ainsi qu'une pléthore de partis politiques.

Ces révisons ainsi faites n'ont pas toujours entrainé les changements qu'elles promettaient. Prenons un exemple, la révision constitutionnelle de 1996 devant marquer un tournant décisif pour la justice camerounaise a créé des institutions qui en principe auraient pu accroître la garantie de la protection de la démocratie, des libertés individuelles et de la bonne gouvernance au Cameroun. Il s'agit en l'occurrence du Conseil constitutionnel, des tribunaux administratifs et de la Chambre des comptes. Ce qui n'a pas été le cas ; comme l'écrivait Junior Etienne Lantier à ce sujet : 

« On constate aisément qu'il s'est agi d'un leurre, pour ne pas dire, d'une tromperie politique. Hormis la chambre des comptes qui a été mise en place et fonctionne, les autres institutions ne sont toujours pas mises en place. Seul le manque de volonté politique peut raisonnablement justifier ce « déni de justice » »160(*).

Telle est en quelque sorte l'image du processus démocratique en cours au Cameroun. Processus qui, depuis 1990, année de ses premiers re-balbutiements continue à balbutier jusqu'aujourd'hui. C'est du moins l'image que M.- L.Eteki-Otabela tente de traduire en ces termes :

« ...De ces semblants d'évolution démocratique : on les a vu à l'oeuvre pendant huit ans dans le cadre du fameux processus de démocratisation, une histoire du vent d'est qui aurait tourné cour côté Sud»161(*).

Ils sont à cette image les différents contextes à l'intérieur desquels se meuvent les acteurs de ce processus démocratique.

3.1.2. LES FACTEURS CONTEXTUELS DU PROCESSUS DE DEMOCRATISATION DU CAMEROUN

Les facteurs structurants de la vie au Cameroun en général et dans les villes de Douala et de Yaoundé en particulier peuvent être regroupés selon quatre dimensions qu'ils convient d'examiner ici les unes après les autres : socioéconomique, culturel, politique et religieux.

3.1.2.1. Le contexte socioéconomique : la prégnance de la précarité économique

L'analyse de la participation de l'Eglise Catholique au processus démocratique camerounais est indissociable du contexte de précarité socioéconomique dans lequel elle se déploie.

L'entrée du Cameroun dans la seconde République a été caractérisée par la sévère crise économique de la fin des années 80. La dégradation économique au début des années 90 n'entraîne pas qu'un recul du PNB global et par tête d'habitant.

Plus précisément, le contexte social et économique de Douala est marqué tout autant par une crise qui se caractérise par un mal être généralisé des populations. Sur le plan économique, le pays a sombré depuis la crise économique de 1986 et ne s'en est jusqu'ici pas relevé véritablement. Les conséquences d'une telle crise ont été aussi larges. M.- L.Eteki-Otabela l'a bien signifié dans son ouvrage consacré au totalitarisme africain : « Ce qu'il est convenu d'appeler la crise économique a entrainéà son tour, des crises sociales et politiques. »162(*)

Il devient évident que le climat social soit généralement peu viable, surtout dans une ville comme Douala où les gens s'attellent au jour le jour à une seule chose : survivre. Les émeutes de février 2008 appelées « émeutes de la faim » ont bien traduit la situation socioéconomique de ces populations qui s'en sortent à peine.

Le système social est aussi marqué par un manque de démocratie, caractérisé par le non-respect des libertés individuelles, au niveau de la famille, de l'école comme de l'entreprise, c'est la loi du plus fort qui règne. C'est la dictature des supérieurs sur ceux qui ne sont rien ou n'ont rien.

Sur le plan socio tribal notons avec la DSRP163(*) du MINEPAT que « Le Cameroun (dont Douala et Yaoundé sont à l'image) est construit sur une mosaïque ethnique et linguistique sur laquelle se superposent d'autres facteurs de divergence (religion, politique, corporation, etc.). La construction d'un Etat - Nation sur cette hétérogénéité s'est souvent heurtée à certaines forces centrifuges et à des velléités de replis identitaires »164(*)

Ainsi, on peut se rendre compte que la vie sociale est fortement caractérisée par ces réalités tribales qui se transposent non seulement au niveau des relations interpersonnelles mais aussi au niveau de l'organisation sociale, l'occupation tribale de l'espace urbain165(*) et par conséquent auront un impact sur le processus de gestion collective de la chose publique que nous nommons démocratie.

Plus préoccupées par des stratégies de survie, les populations de Douala et de Yaoundé développent peu d'intérêt pour les questions de projet commun, en vue de l'édification de la nation. Cependant, notons que cette réalité est plus patente à Douala qu'à Yaoundé, en tant que cette première est la capitale économique et que ses activités quotidiennes sont majoritairement celle de la survie.

3.1.2.2. Le contexte culturel : déficit d'ancrage culturel de la démocratie

Nous n'entendons pas par culture ici la culture générale d'une société, c'est-à-dire « l'esprit d'un peuple »166(*), mais un élément de celui-ci ; celui en rapport avec le politique, à savoir « l'orientation psychologique à l'égard d'objets sociaux (politiques), c'est-à-dire l'intériorisation, parchacun, du système politique (notamment démocratique) dans la psychologie propre»167(*).Il s'agit donc de la culture politique (démocratique) du Cameroun. Plus précisément, il s'agit de s'interroger sur des « fondements culturels de la démocratie »168(*) qui y est en cours de construction.

Il y a donc une crise de cette culture de démocratisation, en raison du manque d'encrage socioculturel de ce qu'il convient de nommer ici démocratie camerounaise. En réalité, l'on peut se poser la question de savoir ce que signifie la démocratie pour les camerounais à cheval entre le modernisme et les traditions ancestrales auxquelles ils restent encore fortement attachés. A cette question J.Nkoyock a répondu à travers sa thèse de doctorat dans laquelle elle dénonce le manque de l'enracinement culturel de la démocratisation africaine et soutient :

«Les mécanismes d'encrage de la vie communautaire autour de l'ethnie dans les société africaines peuvent constituer le tremplin pour la construction de la conscience nationale et la naissance des peuplesen Afrique »169(*)

C'est dans cette perspective qu'elle a écrit « le problème du processus de démocratisation en Afrique doit aller au-delà des débats idéologiques, pour poser le problème de l'apport des sociétés à la promotion de la démocratie »170(*)

Il n'est donc plus à démontrer que le processus de démocratisation camerounaise souffre d'un déficit d'encrage culturel. L'exemple le plus illustratif est la méconnaissance de la démocratie par nombre de nos enquêtés sur le terrain de Douala comme de Yaoundé. Les populations non impliquées au processus, les partis politiques répandant une logique de « politique du ventre »171(*), les élections soudoyées etc., sont tant de preuves qui montrent que la « démocratie camerounaise » est encore à son stade folklorique.

Ils vont dans le même sens ces propos de M.- L.Eteki-Otabela :

« La barbarie de certains régimes africains s'explique par la culture africaine, cette sorte de sacralisation du pouvoir, propre aux sociétés primitives. Dans le cas du Cameroun, on continue depuis 39 ans à décrire l'Etat comme une dictature, plus ou moins autoritaire (les politologues étrangers), ou plus comme un état néocolonial, plus ou moins imposé par un impérialisme étranger (la thèse nationaliste) »172(*).

Cette crise culturelle que connait la démocratisation camerounaise n'est qu'un phénomène sociologique normal, pour reprendre les mots d'Emile Durkheim173(*), en ce sens qu'une Afrique qui s'engage à se renier, à jeter son manteau culturel ne peut se revêtir efficacement de celui d'un autre ; mais se retrouvera ni avec le sien propre ni avec celui de cet autre.De même, le fait d'apporter du jour au lendemain un système politique ne fera pas de lui, tout d'un coup un chantre de ce système. Comme le soutiennent affirme J.P. Cot et J.P.Mounier,

« Il ne suffit pas de transposer les institutions et les grands principes de la démocratie pour obtenir un régime démocratique. Il faut de plus développer les règles opérationnelles du système démocratique : attitudes politiques, relations entre gouvernants et gouvernés. Or cet ensemble culturel est lié au système de croyances et au code de relations personnelles qui caractérisent une société a un moment donné et qui -les anthropologues nous le confirment- évoluent lentement, se transposent avec difficulté»174(*).

Une autre caractéristique du contexte culturel de Douala et de Yaoundé, est l'existence d'une mosaïque de tribus et donc de langues, de manières d'être et d'agir qui ne favorisent pas toujours la mise en place d'un projet commun, et donc d'un Etat démocratique. C'est pourquoi J.Nkoyocka pu écrire :

« Les tentatives des pouvoirs publics de construire une Nation unitaire sur cette hétérogénéité ont développé une profonde désarticulation entre l'Etat et la sociologie locale. Cette extériorité sociologique est caractéristique d'un Etat dont le mode de fonctionnement, le profil des agents et l'idéologie ne sont ni le reflet de la configuration générale du pays, ni la synthèse d'une organisation sociale endogène, ni le résultat d'un ensemble de croyances et de schèmes mentaux locaux»175(*).

C'est tout ceci qui nous amène à parler comme Eteki de « misère de la démocratie au Cameroun »176(*).

En définitive, retenons que la seule culture véritable qui unit les populations dans les villes de Douala est une culture de survie qui n'est pas toujours très favorable au projet d'action collective en faveur de la construction du bien commun, qui constitue l'un des idéaux majeurs de la démocratie.

3.1.2.3. Le contexte politique : déséquilibre du poids politique des acteurs

Le champ politique sur lequel se mène le combat pour la démocratie est très déterminant pour celui-ci. Fortement caractérisé par la suprématie du Parti Etat qui a la primauté du jeu, il n'a pas beaucoup changé avec l'avènement de la libéralisation politique des années 90. Comme l'écrit M.OwonaNguini :

« L'habillage politico-discursif orienté formellement vers un libéralisme centriste, n'a pas fondamentalement mis en question la structuration conservatrice dominante et prépondérante du régime du Renouveau National dirigé par M. Biya. »177(*)

Il s'agit justement de ce régime politique qui y a été mis en place, qui suit la même logique que celui du Parti unique et au sujet duquel le socio politiste M. E.OwonaNguiniaffirme encore :

« Le régime du Renouveau National dont le Président Paul Biya est le chef central est coulé dans le moule politico-historique de l'Etat présidentiel de parti unique d'orientation ultraconservatrice mis en place des années 1960 aux années 1980 au Cameroun. »178(*) 

Il s'agit enfin d'un régime dont la politique de répression selon M. L. Etekiva jusqu'à la destruction de l'identité individuelle des gens ;parce que s'évertuant à tout contrôler et à tout monopoliser, broye finalement tout ce qui se trouve sur son chemin179(*).

La sécurité des acteurs du processus est toujours compromise. C'est le cas des exactions commises par exemple à l'endroit des défenseurs des droits de l'homme comme le montre ce rapport de B.Kenmogne sur la situation des défenseurs des droits de l'homme au Cameroun :

« Les défenseurs des droits de l'homme au Cameroun sont exposés à des agressions, le plus souvent physiques, des menaces et autresactes d'harcèlement multiformes. Les menaces et intimidations sont généralement perpétrées par des personnes inconnues qui peuvent se faire sous forme d'appels téléphoniques anonymes, de messages SMS, avec pour but de faire peur au défenseur. »180(*)

Il est tout de même favorablement marqué par des réformes constitutionnelles qui ont eu lieu selon que Hans de Marie Heungoupaffirme à ce sujet:

« Ce contexte politique est également marqué, au plan national, par la réforme constitutionnelle d'avril 2008 et d'avril 2011, les modifications sur la loi électorale et l'organe en charge des élections (ELECAM), et les échéances électorales d'Octobre 2011 »181(*).

Ce contexte politique est aussi marqué par une floraison de partis politiques dont le poids politique et socioéconomique est infiniment inférieur à celui du Parti Etat et qui s'inscrivent dans une logique des partis de tribu182(*). Il s'agit, à titre d'illustration:

- Du SDF, principal parti d'opposition, entré dans la course au Pouvoir dès la levée du système de parti unique en 1990183(*) ;

- De l'UPC, parti, nationaliste qui a vu le jour dans la mouvance des luttes d'indépendances et qui, supprimé à l'avènement du monopartisme a été réhabilité au retour du multipartisme ;

- De l'UNDP ; etc.

Comme illustration de cette suprématie du parti au pouvoir en face de ces partis d'opposition, examinons ces résultats des présidentielles de 2004 que traduit ce tableau.

Tableau 9 : Résultats des présidentielles de 2004184(*)

Source : Par nos soins.

Comme on peut le constater, il ressort de ce tableau qu'à l'exception du RDPC, tous les autres ont un poids électoral négligeable.

Le contexte politique camerounais est aussi caractérisé par l'existence des OSC qui tentent aussi de participer à la restructuration du jeu politique.

Il s'agit principalement :

- de l'Eglise Catholique dont le rôle nous intéresse ici, et qui y est précisément représentée par le SNJP et quelques autres OSC Catholiques dont nous avons parlé plus haut ;

- De NDH-Cameroun185(*), d'Hilaire Kamga ;

- De Cameroun O'BOSSO de KA WALA.186(*)

- De Monde Avenir ; etc.

Au terme de cette présentation du contexte politique, on peut retenir que le jeu politique y est déséquilibré, ceci en faveur d'un seul acteur collectif qu'est le RDPC, mis au service d'un acteur institutionnelet individuel: le président Paul Biya.

3.1.2.4. Le contexte religieux : la revanche de Dieu

Le Cameroun n'est pas à l'abri de la « revanche de Dieu »187(*), mais comme toute la scène internationale, les villes de Douala et de Yaoundé sont marquées aussi par un retour spectaculaire de la religiosité ; retour caractérisé par un véritable envahissement de l'espace public par le phénomène religieux.

Au nombre des religions qui y sont en oeuvre, il y a premièrement les grandes religions monothéistes dont l'Islam et le Christianisme. Au sein du Christianisme, on peut distinguer l'existence dans ces villes camerounaises du catholicisme romain qui nous intéresse dans cette étude, du protestantisme et du pentecôtisme. Notons qu'on y assiste à une montée en puissance des mouvements pentecôtistes de provenance des USA, du Nigéria et du Congo voisins. Toutes, dans une lutte effrénée pour gagner du terrain au Cameroun et concurrencer les grandes religions dont principalement l'Eglise Catholique. On peut notamment remarquer leur forte invasion de l'espace public à travers des affiches publicitaires le long des routes principales et des grands carrefours de ces villes, l'organisation des campagnes d'évangélisation dans des stades, églises et autres lieux de grands rassemblements. On y note aussi des pratiques de prosélytisme qui vont jusqu'à la distribution des tracs invitants aux séances de délivrance de prières pour la prospérité économique et sociale etc. ; sans oublier la pratique du « porte à porte » dont les Témoins de Jéhovah188(*) sont réputés.

Notons aussi l'occupation de l'espace médiatique à des fins religieuses : chaines de radio et de télévision appartenant à telles ou telles autres confessions religieuses : catholique, protestante et surtout pentecôtistes. Bref, cette invasion de l'espace médiatique au Cameroun peut être saisie à partir des titres à la une qui leur sont consacrés par plusieurs journaux de presse écrite camerounaise.

Suite à cette analyse des multiples facteurs contextuels, nous nous proposons de passer à une brève présentation de l'Eglise Catholique au Cameroun.

3.2. LA PRESENTATION DE L'EGLISE CATHOLIQUE DU CAMEROUN

L'Eglise Catholique au Cameroun est divisée en 5 provinces ecclésiastiques189(*) qui sont :

Ø La province ecclésiastique de douala, qui compte 5 diocèses ;

Ø La province ecclésiastique de Yaoundé, qui compte 7 diocèses ;

Ø La province ecclésiastique de Bertoua, qui compte 4 diocèses ;

Ø Laprovince ecclésiastique de Garoua,qui compte 4 diocèses ;

Ø La province ecclésiastique de Bamenda, qui compte 4 diocèses.190(*)

Chacune de ces provinces ecclésiastiques comprend un ensemble de diocèses dont le principal est un archidiocèse. Ainsi, les archidiocèses concernés par cette étude se situent respectivementdans les deux premières provinces ecclésiastiques suscitées.

3.2.1. L'archidiocèse de Yaoundé

L'archidiocèse de Yaoundé compte 132 paroisses qui sont des unités territoriales de l'Eglise Catholique ayant à leur tête un prêtre, clerc catholique. Elle compte environ 881 000 chrétiens catholiques sur une population totale de1 800 000 habitants. Au nombre des services de cet archidiocèses, on note : la procure, la santé, la communication, la Caritas, l'Education, le CEFCA et la Commission Diocésaine Justice et Paix qui nous intéresse le plus ici191(*). Ces services et structures regroupés pour la plupartà la Centrale Diocésaine des OEuvres192(*).

Il compte en outre de nombreux mouvements d'action Catholique au nombre desquels nous pouvons citer : Les femmes catholiques, l'Action Catholique des enfants, les groupes sacré coeur de Jésus, la miséricorde divine, la jeunesse estudiantine chrétienne etc....193(*)

3.2.2. L'archidiocèse de Douala

L'archidiocèse de Douala quant à lui compte 58 paroisses. Qui sont regroupés en 8 zones. Ses structures sont concentrées à la cathédrale St. Pierre et Paul. Il s'agit entre autre de l'évêché, siège administratif de l'archevêque ; de la Radio Veritas, de la maison d'édition Maccacos, de la Commission Diocésaine Justice et Paix. Il compte aussi tous les mouvements catholiques suscités au sujet de l'archidiocèse de Yaoundé.

3.2.3. La Conférence Episcopale Nationale du Cameroun

« Une conférence épiscopale ou conférence des évêques, institution à caractère permanent, est la réunion des évêques d'une nation ou d'un territoire donné, exerçant ensemble certaines charges pastorales pour les fidèles de son territoire, afin de mieux promouvoir le bien que l'Église offre aux hommes, surtout par les formes et moyens d'apostolat adaptés de façon appropriée aux circonstances de temps et de lieux, selon le droit. Ces évêques et archevêques oeuvrent en collégialité pour accomplir ensemble des tâches d'intérêt commun »194(*).

Telle est la définition que nous pouvons retenir d'une conférence épiscopale. En ce sens, tous ces 25 diocèses que compte l'Eglise Catholique au Cameroun sont coiffés par la Conférence Episcopale Nationale du Cameroun,au sein de laquelle siègent tous les évêques du Cameroun. Elle est présidée par un Evêque élu par ses paires lors de l'Assemblée Plénière pour un mandat de 3 ans renouvelable une fois.

Au nombre des présidents que cette structure a connu, nous pouvons citer :

Ø Cardinal Christian Tumi,

Ø Mgr. André Wouking,

Ø Mgr. Simon TonyeBackot,

Ø Mgr. Joseph Antanga.

Après cette analyse des contextes de démocratisation du Cameroun, examinons en cette deuxième section du chapitre, la problématique de l'intervention de l'Eglise Catholique dans le champ politique camerounais et donc dans ses luttes démocratiques.

3.3. L'ANALYSE DE LA PROBLEMATIQUE DE L'INTERVENTION DE L'EGLISE DANS LE CHAMP POLITIQUE CAMEROUNAIS.

L'objectif de cette section est de comprendre les circonstances dans lesquelles l'Eglise Catholique intervient dans le champ politique camerounais, en situant notre réflexion dans le cadre de la laïcité que clame la Constitution camerounaise en son préambule. N'entend-t-on pas clamer partout « rendez à César ce qui est à César età Dieu ce qui est à Dieu ? » Qui donc est César et qui est Dieu au Cameroun? Puisqu'il s'agissait évidement ici du politique et de l'Eglise, comment comprendre les prises de position de l'Eglise sur les questions politiques au Cameroun ? Confusion de «chapelle » ? Ou encore, l'Eglise en général et celle du Cameroun en particulier, a-t-elle la légitimité d'intervenir dans les affaires politiques195(*) ?

Une telle réponse dans le cas camerounais exige que nous présentions au préalable la question de la laïcité et ses contours.

3.3.1. Du principe de la laïcité

Le concept de laïcité comme celui de sécularisation dont il est le dérivé est très vague. Le professeur M.Ndongmo dit d'ailleurs à ce sujet qu'il s'agit d'un « concept flou, ambigu et très complexe»196(*). Il va de la stricte séparation des pouvoirs politiques et religieux au relaye complet du religieux de l'espace public à la stricte sphère de la conscience individuelle ; une sorte de négation du religieux. Nous l'abordons ici uniquement sous l'angle des rapports de l'Eglise-institution avec l'Etat ou avec le champ spécifiquement politique.

La laïcité trouve ses origines dans le christianisme même. C'est dans ce sens que J.-C. Barreau, essayiste catholique, soutien que « la laïcité [est] une invention chrétienne, la distinction du temporel et du spirituel, de la politique et de la religion naît dans le judaïsme à l'époque évangélique»197(*). Elle trouverait son origine dans les textes fondateurs du christianisme ; notamment dans l'interpellation de Jésus de Nazareth qui disait à ses adeptes : « rendez à César ce qui est à Cesare et à Dieu ce qui est à Dieu » ;bien que d'autres auteurs comme J.-M. Ducomtepense autrement, en estimant que la laïcité « est d'abord et essentiellement une démarche d'affranchissement [du temporel] par rapport aux prétentions des Églises à fonder l'ordre social et politique»198(*), et donc qu'elle ne saurait être une invention chrétienne.

Cependant, ce sont les conjonctures historiques qui, ayant longtemps conduit à des affrontements entre le pouvoir politique et le pouvoir ecclésial199(*), ont entrainé finalement à l'adoption du principe de la laïcité ; entendue comme séparation des églises et de l`État, du politique et du religieux.200(*)

Ainsi, la laïcité a pris corps pour la première fois pendant la Révolution française :l'abolition de l' ancien régime en Août 1789 s'est accompagnée de la fin des privilèges ecclésiastiques201(*) et de l'affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l' égalité des droits exprimés par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen. Plus tard au XIXe siècle, des lois de la sécularisation ont progressivement affranchi l' État français de ses liens historiques avec l' Eglise Catholique et créé de nouvelles normes politiques et sociales bâties sur le principe de l' universalisme républicain. La religion ici est relayée à la sphère privée ; la sphère publique étant réservée exclusivement au laïc202(*). C'est pourquoi M.Ndongmo affirme dans ce sens :

« La religion subsiste, mais en marge de la société, à condition que ses prétendus principes moraux ne viennent pas perturber les règles de droit éditées par le souverain et que son prosélytisme n'entame pas la paix publique. »203(*)

Bref, la laïcité venait mettre fin à une longue histoire tumultueuse qui unissait l'Eglise et l'Etat et surtout à « la prétention hégémonique » de l'Eglise à imposer un sens à toute chose. Plus tard, avec la Constitution française de 1958, la laïcité fonde désormais le pacte républicain204(*).

Pour mieux comprendre ce processus de sécularisation de la vie publique, reprenons à notre compte ces propos de C. Greffé :

«Les grands secteurs de la vie humaine échappent progressivement à l'institution ecclésiale : ils appartiennent à l'ordre du rationnel, du scientifique, du politique. Le trait sans doute le plus décisif de ce processus de sécularisation à l'époque moderne est l'extension de la rationalité à tous les secteurs de la réalité. C'est le `désenchantement' du monde au sens de M. Weber. La nature ne recèle plus de secret : elle appartient au domaine de l'expliqué, de l'objectivable, du `disponible'»205(*).

Telle est de manière résumé l'histoire de la laïcité en Occident, notamment en France, pays sous la tutelle duquel, nous le savons, le Cameroun est resté de 1919 jusqu'à son indépendance en 1960 et dont les principes de la laïcité ont été transposés au Cameroun, à travers l'adoption de la constitution française.

3.3.2. De la laïcité au Cameroun

En lisant la constitution du Cameroun, nous constatons qu'aucun acte juridique n'a jamais institué une confusion entre l'Etat et une quelconque religion. Bien au contraire, la première constitution du Cameroun indépendant adoptée par référendum le 21 Février 1960, stipule en son préambule :

« L'Etat est laïc. La neutralité et l'indépendance de l'Etat vis-à-vis de toutes les religions sont garanties ; la liberté du culte et le libre exercice de sa pratique sont garantis».

Par ce principe hérité de la constitution française, le Cameroun, comme les autres pays de l'Afrique française précisait « le type de relation ou de collaboration qui doit exister entre l'Etat et les religions, entre le politique et le spirituel, entre le pouvoir temporel et le pouvoir ecclésial »206(*). Ainsi, aucune religion n'aurait en terre camerounaise le monopole de l'orientation de la vie de la nation, mais les décisions dans ce sens seraient le monopole exclusif du politique, à travers bien évidement l'expression de la volonté populaire. Il est vrai que le Cameroun n'avait pas fait l'expérience de la révolution française qui a opposé Eglise et Etat. Ce qui aurait conduit à l'adoption de la laïcité française ; mais une telle expérience française était une belle leçon pour prendre déjà des précautions au Cameroun. C'est pourquoi nous estimons que la laïcité constitutionnelle de 1960 au Cameroun fut une « laïcité précaution » et non une « laïcité conséquence » comme en France. Cependant, notons que les rapports qui avaient déjà opposés les pouvoirs coloniaux et les forces religieuses pendant la colonisation présageaient déjà des conflits Eglise-Etat que seule la loi devait prévenir207(*). L'adoption du principe de la laïcité était donc une nécessité. C'est pourquoi Maud Lasseur écrit :

« L'affirmation de la laïcité dans la première Constitution camerounaise, il y a quarante ans, ne releva pas uniquement d'un mimétisme institutionnel vis-à-vis de l'ancienne métropole. Pour lier ce qui, dans un Etat en attente de nation, était divisé sur le plan cultuel, il s'avérait indispensable d'inventer les fondements du contrat social à partir d'un stock de valeurs et symboles transcendant la diversité des religions»208(*).

Au demeurant, il ne faut pas entendre par la laïcité camerounaise que le Cameroun se soit bâtit contre la religion ;ce que J.P.Messina qualifie d'« héritage anticlérical du laïcisme français »209(*). A la veille du référendum constitutionnel de février 1960, le président Ahidjo affirmait, dans un appel à la nation : « Nous avons placé le Cameroun sous la protection de Dieu que catholiques, protestants, islamisés et tout Camerounais adorent [...] »210(*).

Ainsi, l'Etat camerounais est resté laïc mais croyant, se rattachant à cette famille d'Etats africains que M.A. Glele qualifie d'Etats « laïcs spiritualistes »211(*), plus proches, finalement, du modèle de laïcité américain que français.

Cette laïcité ne signifie donc pas que les religions sont éradiquées de la vie publique mais juste qu'elles respectent le monopole de l'Etat en matière de législation et de toutes autres prises de décision pour l'orientation de la nation. Par conséquent, les Eglises ont toujours leur mot à dire sur la vie de la nation.

De surcroit, définir la laïcité comme retrait des religions dans la sphère privée, abandonnant la sphère publique au pouvoir temporel ne sied pas avec le cas camerounais. En effet au Cameroun, les Eglises investissent fortement l'espace public, notamment depuis le vent de libéralisation de 1990. De plus, dire que l'Etat s'occupe des affaires temporels et l'Eglise des affaires spirituelles ne tient pas non plus car au Cameroun, l'Eglise Catholique a été longtemps première sur ce champ : vu ses nombreuses infrastructures de santé, d'éducation, d'encadrement des masses etc.

Entre l'Eglise Catholique et l'Etat camerounais il existe une assez grande cohabitation : les deux ont en commun ceux que l'Etat nomme citoyens et que l'Eglise nomme ses fidèles. Tous deux remplissant des missions diversifiées auprès de ceux-ci ;même si celles remplies par l'Eglise, en plus d'être spirituelles sont aussi temporelles ;l'Eglise rivalisant avec l'Etat dans son rôle d'encadrement des masses, comme l'a bien montré J.F. Bayart212(*).

Bref, on peut retenir ici que la laïcité à la camerounaise est bien distincte d'une laïcité à la française.

3.3.3. L'Eglise Catholique et la laïcité au Cameroun

Si la laïcité est une création de l'Eglise213(*), elle n'est pas toujours restée fidèle à la prescription du Christ qui avait recommandé que César s'occupe des affaires du monde et l'Eglise de celle du Ciel. En effet, dès l'antiquité, l'empereur romain Constantin, estimant que l'Etat avait besoin de l'Eglise pour la prospérité et la paix dans l'empire, promulguait l'édit de Milan de 313214(*). Il mettait ainsi fin à une longue période de persécution et de clandestinité dont étaient objet les Chrétiens depuis le premier siècle. Il leur ouvrait aussi la voie à l'espace public. Gagnant de plus en plus de l'espace, l'Eglise devint toute puissante au point de devenir une institution d'Etat ;notamment lorsque l'Empereur Théodose Le Grand renonça en 380 à son titre de « PontifexMaxilus » pour le conférer au Pape. C'est depuis lors que pouvoir politique et pouvoir religieux se confondaient, que les papes sacraient les rois et les déposaient à leur guise, que s'instaurait la théocratie : le pouvoir conférer par le Pape au roi venant de Dieu lui-même.

Plus tard lors de la révolution, l'Eglise voyait d'un très mauvais oeil le fait qu'elle soit relayée à la seule sphère spirituelle et qu'elle perde de son privilège de religion d'Etat. C'est dans ce sens que les papes et les clercs dans leur majorité combattaient la laïcité. Le pape Pie X écrivit dans ce sens :

« Qu'il faille séparer l'État de l'Église, c'est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée, en effet, sur ce principe que l'État ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d'abord très gravement injurieuse pour Dieu. [...] Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l'honorer »215(*).

Cependant, plus tard l'Eglise s'est alignée au principe de la laïcité ; acceptant de respecter la distinction des champs de compétence. Le concile Vatican II est le couronnement de ce processus de légitimation. Il affirme notamment :

« Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l'Eglise sont indépendantes l'une de l'autres et autonomes. Mais toutes deux, quoi que à des titres divers sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d'autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu'elles rechercheront davantage entre elles une saine coopération, en tenant également compte des circonstances de temps et de lieu. L'homme en effet n'est pas limité aux seuls horizons terrestres mais vivant dans l'histoire humaine, ils conservent intégralement sa vocation éternelle. Autrement dit, le chrétien, fidèle ou pasteur, est d'abord chrétiennes deux citées : la cité terrestre et la cité céleste »216(*).

Au cours de l'audience accordée aux membres du 56è congrès national de l'Union des Juristes Catholiques italiens sur le thème : « La laïcité et les laïcités », Benoît XVI fustigeait l'ingérence de l'Eglise en politique, mais en réaffirmant la nécessité d'une « saine laïcité » qui n'exclue pas Dieu, et reconnaisse pour l'Eglise « le droit de se prononcer sur les problèmes moraux qui aujourd'hui interpellent la conscience »217(*).Ceci est une preuve que l'Eglise est acquise à la laïcité.

Avec l'avènement de l'Etat Camerounais, l'Eglise accepta de respecter cette distinction au Cameroun. Quoi qu'elle soit assez influente au Cameroun, il n'y a aucune confusion entre l'Etat et l'Eglise. C'est sous sa casquette d'institution de la société civile que l'Eglise comme toutes les autres OSC d'ailleurs, peut intervenir dans le combat pour la démocratie ;intervention qu'on ne peut comprendre que si l'on retrace brièvement l'évolution des rapports qui l'ont historiquement uni à la démocratie.

3.3.4. L'Eglise Catholique et la démocratie : un bref aperçu historique

Avant de nous appesantir surla participation proprement dite de l'Eglise Catholique dans le processus contemporain de démocratisation au Cameroun, il convient de jeter un regard rétrospectif sur l'évolution des rapports historiques qui l'ont lié à la démocratie.

3.3.4.1. L'Eglise et la démocratie dans le monde : de l'opposition à la démocratie aux luttes pour la démocratie

L'Eglise, peut-on noter sommairement, n'a pas théorisé dès ses origines sur la démocratie ; mais très tôt, il a marqué au pouvoir politique ses limites. Augustin d'Hippone, refusait par exemple l'idée que l'homme puisse avoir comme tel un pouvoir sur un autre homme ; tout pouvoir venant de Dieu. Cette conception débouchera plus tard sur l'Etat de droit et la démocratie218(*).Une telle approche théocratique du politique conduira également à la subordination du pouvoir politique au pouvoir religieux et à la confusion des champs comme nous l'avons vu dans la section consacrée à l'Eglise et la laïcité.

Cependant, la partie de l'histoire de l'Eglise qui nous intéresse concerne la période des luttes pour les libertés et donc pour la démocratie. Si l'Eglise Catholique a fait alliance avec le politique depuis l'empereur Constantin, cela l'a conduit à constituer un soutien pour la monarchie et pour le statut quo. C'est pourquoi les réformes des « lumières » l'ont violemment opposé aux pères de la modernité qui trouvaient en elle et en ses dogmes de véritables obstacles à l'avènement de la modernité. D. Philpotttraduit cette réalité en ces termes :

« Catholicisme et démocratie ? Historiquement, les deux concepts se sont violemment heurtés. Les libéraux modernes frémissent aujourd'hui encore à l'évocation de la condamnation par les papes, au XIXe siècle de la liberté religieuse, et des concordats entre l'Eglise et les dictatures fascistes conclues au XXe siècle. Les catholiques, aujourd'hui encore, éludent la question bien embarrassante des révolutionnaires françaises décapitant des personnalités catholiques pour faire avancer la cause des droits de l'homme»219(*)

Ce choc entre l'Eglise et les libéraux ne s'est pas limité aux « lumières », mais il s'est accentué avec la grande vague anticléricale initié par le marxisme qui trouvait dans la religion une institution liberticide ; selon que K. Marx écrit lui-même :«La religion est l'opium du peuple. Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du Peuple»220(*).

Lorsque que plus tard les mouvements de libéralisme vont ravir à l'Eglise bon nombre de ses fidèles et que se constituera un anticléricalisme quilui coutera beaucoup, l'Eglise commencera à revoir progressivement ses positions sur les principes de la modernité. Nous pouvons dire que la désertification de l'Eglise en Europe et la crise vocationnelle221(*) qui en découle vient de ce choc entre l'Eglise aux principes conservatistes et la modernité dont les valeurs se veulent de plus en plus libérales.

Le Pape Léon XIIIest celui qui osera inaugurer un temps nouveau où l'Eglise, moins attachée à ses dogmes et à sa suprématie du passé s'ouvrira aux valeurs modernes. C'est à son sujet que J. M.Rosay affirme : «...il réussirait à détourner enfin l'Eglise de sa nostalgie d'un Moyen Age révolu pour lui ouvrir les yeux sur les chances du monde moderne»222(*). Son très célèbre encyclique RorumNovarum, s'interrogeant face aux bouleversements sociaux et politiques causés par l'industrialisation, sur les conditions du travail des ouvriers, sur les rapports entre patrons et ouvriers, sur le marxisme etc., est aujourd'hui incontournable pour qui veut comprendre les préoccupations sociopolitiques de l'Eglise et constitue les bases même de la Doctrine sociale de l'Eglise.

Après ce pape, le pas décisif de l'Eglise dans ce sens sera fait par le pape Pie XII. Avec ce dernier, l'Eglise, face aux horreurs des deux guerres mondiales, non seulement recourt à l'idée de nécessaire consentement du peuple, mais aussi, elle en vient même à présenter la démocratie comme une exigence : c'est par manque de démocratie que la guerre s'est déclenchée et s'est entretenue. Les peuples veulent la démocratie et ils ont raison de la vouloir. Il écrira notamment :

« A la lueur sinistre de la guerre qui les enveloppe, dans la chaleur cuisante de la fournaise où ils se trouvent emprisonnés, les peuples se sont comme réveillés d'une longue torpeur. Ils ont pris, en face de l'Etat, en face des gouvernants, une attitude nouvelle, interrogative, critique, défiante. Instruit par une amère expérience, ils opposent avec plus de véhémence aux monopoles d'un pouvoir dictatorial, incontrôlable et intangible, et ils réclament un système de gouvernement qui soit plus compatible avec la dignité et la liberté des citoyens»223(*)

Ainsi, l'Eglise, dès la sortie de la seconde guerre mondiale s'inscrit officiellement contre tout pouvoir dictatorial.

L'ouverture du Vatican II par le pape Jean XXIII aurait été l'occasion pour l'Eglise de consolider cette position et de la systématiser. D'abord elle renonce ouvertement à sa fermeture au monde moderne. Comme l'affirmait Jean XXIII à l'ouverture du Concile : « Ouvrons nos portes au monde ». C'est à ce Concile que l'Eglise prendra toutes les résolutions de s'engager à la promotion du bien être intégral de l'homme ; non seulement sur le spirituel, mais aussi sur le plan temporel. Elle s'intéresse aussi à ce que les peuples vivent sur le plan politique, économique, culturel, social etc. Elle s'ouvre également au dialogue interreligieux et à l'oecuménisme ; preuve qu'elle accepte désormais les libertés des peuples et donc la liberté religieuse qu'elle se détermine à promouvoir désormais. C'est ainsi que ce Concile analysera et donnera ses orientations d'actionsur des thèmes tels : la liberté religieuse, les moyens de communication sociale, l'inculturation, l'oecuménisme224(*), l'Eglise et la politique, etc. Ces propos de J.Mungala illustrent le tournant décisif de Vatican II et sa résolution à contribuer au développement des peuples :

« Le Concile Vatican II fut un tournant majeur dans l'engagement de l'Eglise contre les dictatures de tout poil. Officiellement, la haute hiérarchie de l'Eglise Catholique s'était engagée à soutenir la détermination de l'ensemble des clergés africains dans les pays sous le joug des dictatures ostentatoires. En légitimant cette lutte des Eglises locales, ce fut une nouvelle orientation de la doctrine catholique»225(*).

Ce refus et ce rejet de plus en plus ferme des autoritarismes et des totalitarismes a conduit les papes de l'Après Vatican II à s'engager contre les violations des droits et des libertés humaines. L'encyclique de Jean XXIII « Pacem in terris » de 1963 met au centre de la réflexion ces préoccupations. Encyclique moderne la plus complète sur la politique226(*), il y manifeste l'obligation de faire le droit à ces trois éléments considérés comme des parties intégrantes de la démocratie : « respect des droits de l'homme - dans les institutions politiques mêmes-, modération de l'exercice de l'autorité, équilibre entre les pouvoirs se faisant contre poids»227(*).

Jean Paul II aura été la figure emblématique d'une telle lutte pour la démocratie, à travers son combat contre le communisme, dont la chute en Europe de l'Est lui est attribuée aujourd'hui228(*). Dans Ecclésia in Africa, il se prononcera aussi contre les régimes dictatoriaux africains, et exhortera les africains à s'engager dans la lutte pour la démocratie, qui seule pourra garantir aux peuples africains le respect de leurs libertés, et les conditions de leur émergence. Le pape écrit à ce sujet :

« Les fondements d'un bon gouvernement doivent être établis sur la saine base de lois qui protègent les droits et définissent les devoirs des citoyens. Je dois constater avec une grande tristesse que de nombreuses nations d'Afrique peinent sous des régimes autoritaires et oppressifs qui dénient à leurs membres la liberté personnelle et les droits humains fondamentaux, tout spécialement la liberté d'association et d'expression politique de même que le droit de choisir leurs gouvernants au moyen d'élections libres et impartiales.[...] C'est pourquoi le Synode a considéré avec raison que la démocratie authentique, dans le respect du pluralisme, est « l'une des routes principales sur lesquelles l'Église chemine avec le peuple. [...] Le laïc chrétien engagé dans les luttes démocratiques selon l'esprit de l'Évangile est le signe d'une Église qui se veut présente à la construction d'un état de droit, partout en Afrique »229(*).

Suite à cette même réforme de Vatican II un mouvement sociopolitique et théologique a vu le jour en Amérique Latine : la théologie de libération. Création des théologiens, ce vaste mouvement social et politique à caractère socialiste engageait les chrétiens à majorité catholique dans des initiatives de luttes contre la pauvreté et les structures sociopolitiques de sa production230(*).

3.3.4.2. L'Eglise et la démocratie au Cameroun : des questions exclusivement spirituelles à la promotion de la démocratie.

Le cheminement de l'Eglisesur les questions de démocratie au Cameroun fut presque le même. L'Eglise, « ayant longtemps envoyé ses fidèles au Ciels comme si la terre n'existait pas »231(*), a reconnu que sa première évangélisation en Afrique, celle réalisé par les missionnaires de la période coloniale, fut en parti un échec. Echec, en raison de ce qu'elle contribua fortement à détourner ses fidèles des préoccupations sociales et politiques qui les concernaient pourtant fondamentalement, selon que J. M. Elaécrit :

« Les missionnaires n'ont pas toujours cherché à susciter des éveilleurs et des ingénieurs d'âmes, des conducteurs d'hommes et des libérateurs, mais ils ont formé des chrétiens passifs, traités en mineurs, comme des grands enfants »232(*).

Ou encore, échec en raison de l'étrangeté de son discours théologique vis-à-vis des « conditions dramatiques » où vivent les africainscomme le reconnait J. M. Eladans repenser la théologie africaine233(*).

Après une prise de conscience de la condition de misère des africains, L'Eglise s'est engagée à promouvoir la participation politique de ses fidèles afin de transformer la « vie profane », sociale et politique et mettre sur pied un ordre social qui soit propice à l'épanouissement de tous, et par là l'éveille de la nation. Cette interpellation à l'engagement social et politique des chrétiens est portée depuis lors par l'Enseignement Social de l'Eglise. Doctrine politique de l'Eglise, né à cet effet avec le Pape Léon XIII dans son encyclique RorumNovarum, face aux bouleversements sociaux et politiques causés par l'industrialisation234(*).Ainsi, promue par tous les derniers papes, cette action d'évangélisation du monde social et politique a été amorcée au Cameroun depuis la veille de l'indépendance. Au moment où les chrétiens quittaient l'Eglise pour rejoindre les mouvements indépendantistes235(*). Depuis lors, elle est au centre des préoccupations desévêques du Cameroun, notamment à travers leurs innombrables lettres pastorales dont la dernière a été celle de Mai2011, invitant les chrétiens à s'inscrire sur les listes électorales. L'interpellation de ceux du diocèse de Douala est plus prononcée, car leurs publications sont les plus récurrentes à travers la Radio " Veritas " et le presse écrite " Effort Camerounais " crées entre autres, en vue d'informer, de former et de sensibiliser les chrétiens et les autres citoyens sur les problèmes sociopolitiques du pays qui les engagent, et " d'assurer le suivi du processus démocratique »236(*). Voir par exemple l'Effort N°508 : « l'inscription sur les listes électorales : un devoir citoyen pour les chrétiens. »

L'action de l'Eglise dans ce sens s'est fait ressentir au Cameroun à travers la voix des évêques ;le souci étant de conduire les camerounais à la construction d'une nation prospère.

Déjà avant l'indépendance, face à une pratique comme les travaux forcés, à laquelle l'administration française a eu recourt au Cameroun, l'Eglise s'est opposée, accomplissant ainsi ses « fonctions tribuniciennes » aux côtés d'un peuple abandonné sous le joug d'un régime de torture sans limite. Ce rôle de l'Eglise est amplement développé par L. P. Ngongo237(*). Dans la même perspective, l'Eglise a contribuéà travers ses structures d'éducation, à former la conscience nationaliste des camerounais, laquelle les a conduit plus tard à l'émancipation citoyenne et à la création des mouvements indépendantistes pour la prise en main des affaires de leurs pays. Même Si, « au moment mêmeoù la prise de conscience nationale se précisait comme force de revendication et de libération nationale, [elle a] changé de point de vue en faveur du pouvoir colonial » comme l'estime KengnePokam238(*). Changement de camp que J.P.Messina239(*) explique plutôt par les affiliations communistes de l'UPC, porteur du mouvement indépendantiste ; L'Eglise étant à cette période d'avant Vatican II, aux antipodes du communisme.

Pendant la longue période de monolithisme ou du système à parti unique instauré par Ahidjo, l'Eglise est resté le seul véritable contre poids face à un pouvoir dictatorial tout puissant. Avec la voix de ses clercs et ses moyens de communications dont elle s'est servie pour assurer la veille citoyenne tout au long de cette période sombre de l'histoire de la démocratie camerounaise. L'Effort Camerounais su jouer ce rôle avec succès comme le reconnait J.F. Bayart240(*).

Les figures principales de cette périodes de luttes sont celle de Mgr Thomas Mongo dans sa médiation pour ramener l'UPC à la légalité, après son éviction de la scène politique par Pierre Messmer241(*) ; celle de Mgr Ndongmo qui fera le même travail et serra accusé de complicité avec l'UPC, puis condamné à mort, gracié et exilé au canada ; celle du Cardinal Christian Tumi dans ses prises de positions « face aux régimes [celui d'Ahidjo et celui de Biya] qui, brandissant des slogans de la démocratie, semble avoir choisi le mensonge, la délation, la roublardise et les coups bas pour gérer sans rougir un peule pris en otage par les structures de péché »242(*).

Parvenu au terme de ce chapitre, retenonsqu'il nous aurait permis de souligner la suprématie du parti-Etat qui a le monopole du champ de démocratisation. Retenons aussi la résolution de l'Eglise Catholique depuis Vatican II à rejeter toutes formes de dictatures au profit de la démocratie, et sa participation comme OSC, à la construction de la démocratie camerounaise.

* 142Il s'agit entre autres de : E.Mveng, dans l'Histoire du Cameroun ; Mongo Bétis, dans Main basse sur le Cameroun ; L. P. Ngongo, dans l'histoire des forces religieuses au Cameroun ; E.FopoussiFotso, dans Le tribalisme est-il une fatalité en Afrique ? Le cas du Cameroun etc.

* 143 Parlant des luttes des camerounais pour la prise en main des affaires de leur pays contre les puissances coloniales, Segnu Etienne estime d'ailleurs « qu'il n'y a pas une seule période de l'histoire du Cameroun, depuis la signature du traité germano douala en 1884, où on ne retrouve les Camerounais en lutte contre les puissances étrangères. », in «Le nationalisme camerounais dans les programmes et manuels d'histoire : réalités et enjeux », P.1.

* 144Segnou Etienne, «Le nationalisme camerounais dans les programmes et manuels d'histoire : réalités et enjeux », mémoire de master en sociologie politique, Université de Douala, 2009, P.01.

* 145KengnePokam déroule à ce propos tous les mouvements de contestations des hommes et femmes camerounais contre le régime des travaux forcés qui leur était imposé pendant la colonisation.

* 146 Ce qui était la raison du combat de l'UPC qui en plus de vouloir une unification du pays voulais aussi une prise en mains des affaires du pays. Voir à ce sujet la réception de la doctrine sociale au Cameroun de L. Tchouabou, PP.50 et suivantes.

* 147L. Tchouabou, Idem.

* 148 Expression empruntée à J. François Bayart qui désigne ainsi les ambitions d'Ahidjo de s'ériger en un Tout puissant de la scène politique camerounaise, L'Etat au Cameroun, Op.cit., P.120.

* 149 J. François Bayart, Op.cit. P.109.

* 150L. Tchouabou. P. 51.

* 151 http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_contemporaine_du_Cameroun, consulté le 28/03/13

* 152 Le général Max Briand était ancien d'Indochine où il a commandé le 22ebaitaillon et donc la méthode d'opération consiste en des bombardements et destruction des villages et des regroupements des villages dans des camps.

* 153 Mongo Béti, Main basse sur le Cameroun, cité par L.Tchouabou, Op.Cit., P.58.

* 154 M.- L. Eteki-Otabela, Op.Cit., P.15.

* 155 L. Tchouabou, Ibidem.

* 156L. Tchouabou, Op.Cit., P.61.

* 157 M. E.OwonaNguini, Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé- Le conservatisme politique du Renouveau: Entre instinct, intérêt, censure et expression, http://germinalnewspaper.com/index.php?option=com_content&, 27/03/2013, 15:04.

* 158 M. Heungoup, « Le BIR et la GP dans la politique de défense et de sécurité du Cameroun. Socioanalyse du rôle présidentiel, des concepts stratégiques et d'emploi des forces », Master en gouvernance et politiques publiques, Université catholique d'Afrique centrale.

* 159 Il s'agit du Président fondateur du SDF, principal parti d'opposition camerounaise.

* 160 J.E. Lantier, Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé- Le Cameroun, malade de sa justice, http://www.germinalnewspaper.com/index.php?option=com_content&v le 08/04/2013, 16:50.

* 161J.E. Lantier, Op.Cit. P. 6.

* 162 M.-L. Eteki-Otabela, Op.Cit. P.11.

* 163 Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté que le MINEPAT a produit pour présenter la vision du développement à long terme du Cameroun, ses stratégies de mise en oeuvre et les menaces, risques et hypothèques qui y sont attachés, en vue de son émergence en 2035.

* 164 MINEPAT, Cameroun Vision 2035, P.5.

* 165J.M. Ela estime à ce sujet dans leurs occupations de l'espace urbains les ressortissant des différents se regroupes par affinité tribales. (La ville en Afrique Noire, Paris, Karthala, 1983) Ainsi, on aura dans la ville de Douala, des quartiers bamilékés, (Bepanda, et Maképé), des quartiers Haoussa (New bell) etc. de Même dans la ville de Yaoundé, on aura des quartiers Haoussa (Mokolo), Bamiléké etc.

* 166 Gilles Ferréol et al., Dictionnaire de sociologie, P.50.

* 167 J. P. Cot et J.P. Mounier, Pour une sociologie politique, Tome II, P.380.

* 168 Selon que J. P. Cot et J.P. Mounier s'interrogent sur ces fondements culturels d'un régime démocratique. Op.cit., P.36.

* 169 Jacqueline Nkoyok, Les processus de démocratisation en Afrique : Un mariage à négocier entre tradition et modernité, P.11.

* 170 J. Nkoyock, Op.cit., P.5.

* 171J.F.Bayart, l'Etat en Afrique, Paris, Fayard, 1989.

* 172 M.-L. Eteki-Otabela, le totalitarisme des Etats africains : le cas du Cameroun, paris, l'Harmattan, 2001, P.15.

* 173E. Durkheim, le suicide, 1897.

* 174 J.P. Cot et J.P. Mounier, Op.Cit. P.37.

* 175J. Nkoyock, Op. Cit., P 54.

* 176 J.P. Cot et J.P. Mounier, ibid., P.13.

* 177 M.E.OwonaNguini, Cameroun: autopsie d'un Etat naufragé- Le conservatisme politique du Renouveau: Entre instinct, intérêt, censure et expression, http://germinalnewspaper.com/index.php?option=com_content&, 27/03/2013, 15:04.

* 178 M. E. OwonaNguini, Ibidem

* 179 M.-L. Eteki-Otabela, op.cit., P.14.

* 180 J.B. Kenmogne et J.D. Nguebou, Rapport sur la situation des défenseurs des droits de l'Homme au Cameroun, Yaoundé, 2012, P.12.

* 181M. Heungoup, Op.cit., P.4.

* 182Lire à ce sujet J.F.Bayart dans l'Etat en Afrique, et F. EboussiBoulaga, dans la démocratie de transite

* 183 L. Tchoubou, Op.cit., P.25.

* 184 Résultats partiels, à titre illustratif.

* 185 ONG française implantée au Cameroun par cet homme politique camerounais Hilaire Kamga

* 186 Présidente du Cameroun People Party.

* 187 Expression utilisée par le philosophe politique français Marcel Gauchet pour qualifier le retour du religieux à travers le monde.

* 188 Une Eglise réformée, basée aux USA.

* 189 Il s'agit d'une division administrative de l'Eglise Catholique du Cameroun. Elle regroupe un ensemble de diocèses, coiffé par un archidiocèse.

* 190 Sources : http://www.diocesebafoussam.org/index.php?section=&elt=147, le 29/04/13, 15H08.

* 191 Sources : http://www.archidiocesedeyaounde.org/, le 29/04/13, 12H52.

* 192 Siege administratif de l'archidiocèse de Yaoundé.

* 193 Source, nos propres enquêtes, recensements faits lors de l'observation.

* 194 Sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Conférence_épiscopale, le 07/10/13, 9H24

* 195 Une problématique très indiquée que Mungala Feta J., soulève aussi dans son mémoire sur « Le rôle de l'Eglise dans le processus de démocratisation en République Démocratique du Congo (1990-2006) : Nécessité et Perspectives », P.10.

* 196 M. Ndongmo, A la quête d'une laïcité à l'africaine, Yaoundé, Ed.Taf&Melson, 2010, P.11.

* 197 J.-C. Barreau, Collectif, sous la direction de Jacques Myard, La Laïcité au coeur de la République, Le Harmattan, 2003, P. 26, cité par Wikipédia, le 17/04/13, à 13h54.

* 198 J.-M. Ducomte, Collectif, sous la direction de Jacques Myard, Op.Cit. P.29.

* 199 Relatif à l'Eglise.

* 200 Pour plus de détails, voir J.-P. GRASSET, Histoire de la laïcité, http://amopa-33.over-blog.com, le 17/04/13, 10h35.

* 201 Relatif au clergé (la hiérarchie de l'Eglise).

* 202 Entendu ici comme ce qui ne relève pas de la religion. E. Durkheim parlerait de Profane, par opposition au sacré.

* 203 M. Ndongmo, Op.Cit. P.14.

* 204 Voir http : www.Wikipédia.org/ histoire de la laïcité, Op.Cit.

* 205 C.Greffre, le Christianisme au risque de l'interprétation, éd. Du Cerf, Paris, 1988, P.239, Cité par M.Ndongmo, Op.Cit., P.12.

* 206 M. Ndongmo, A la quête d'une laïcité à l'Africaine, Yaoundé, Ed.Taf&Melson, 2012, P.7.

* 207L. P. Ngongo, Op.cit.

* 208 Maud Lasseur, Religions au Cameroun : A qui profite la laïcité ?, www.cameroun.infos.org, 12/03/13, 12 :56

* 209 J.P. Messina, Op.cit., P.24.

* 210 Cité par Maud Lasseur, Op.cit.

* 211M.A. Glele, Religion, culture et politique en Afrique noire, Paris, Economica / Présence africaine, 1981, Cité par Maud Lasseur, Op.cit., P.26.

* 212J.F. Bayart, Op.cit., P.153.

* 213 Les fondements de la laïcité, c'est-à-dire les bases historiques ayant permis plus tard l'émergence de la laïcité, sont par bien des points issus en premier lieu du sein même de l'Église. Comme nous l'avons vu plus haut.

* 214 Lire à ce Sujet TonyeBakot, Quel aréopage pour l'Eglise Catholique ?un approche des rapports entre l'Eglise et L'Etat, P.4.

* 215 www.wikipédia.org /Histoire_de_la_laïcité_en_France.htm.

* 216 Vatican II, les seize documents conciliaires, GS76, 3.

* 217 zenit.org [http://www.zenit.org/], le 25/04/13 15h54.

* 218 J. Y. Calvez et H. Tincq, Op.cit., PP.16-17.

* 219 D. Philpott, « la vague Catholique », in Les religions du monde et la démocratie, P.147.

* 220 Cité par Y. alpes et al. Lexique de sociologie, P.219.

* 221 Crise des vocations signifie que les chrétiens ne veulent se donner aux fonctions de prêtres et de religieux dont l'Eglise a besoin pour reproduire sa structure.

* 222 J. M.Rosay, Op., P.19.

* 223 Allocution de Pie XII à l'occasion de la fête de Noel 1944, cité par J.Y. Calvez et H.Tincq, Op.Cit. P.30.

* 224Dialogue ou échange entre les différentes confessions chrétiennes.

* 225J. MUNGALA, Le rôle de l'Eglise dans le processus de démocratisation en République Démocratique du Congo, Mémoire de DEA en Droits de la Personne et de la Démocratie, Université d'Abomey-Calavi-Bénin, 2009, 164 P.P.14.

* 226 J.Y. Calvez et H. Tincq, Op.Cit.P.44.

* 227 J.Y. Calvez et H. Tincq, Ibid. P.46.

* 228 J.P. Messina, Op.Cit., P.48.

* 229Ecclésia in Africa, N°112.

* 230Nous conseillons utilement à ce sujet la lecture de Malik Tahar Chaouch, « La théologie de la libération en Amérique latine », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 138 | avril - juin 2007, mis en ligne le 05 septembre 2010, consulté le 01 juillet 2011. URL : http://assr.revues.org/4822.

* 231 Pour reprendre la célèbre formule de Mgr Ndongmo : «Il ne faut pas envoyer les gens au ciel comme si la terre n'existait pas». Qui signifie que la recherche du salut éternel de l'homme doit aller avec son développement intégral : économique, psychologique, politique, culturel etc.

* 232J.M.Ela, Le cri de l'homme africain, Op.cit., P.43.

* 233J.M.Ela, (2003), repenser la théologie africaine le Dieu qui libère, Op.cit.

* 234 E. Poulat, catholicisme, démocratie et socialisme, Tournai, Casterman, 1977, 562 P.

* 235 C. Paillot, Initiation à l'Action catholique, P.4.

* 236 G. Mouthe, « libéralisation des ondes et construction de l'espace publique radiophonique chrétien au Cameroun : Dynamiques, identité, ambivalences ». Mémoire de master en Communication à l'Université de Douala.

* 237 L.P. Ngongo, Op.cit.

* 238 L.P. Ngongo, Op.Cit.P.194.

* 239J.P.Messina, L'Eglise face à l'indépendance du Cameroun sous administration française, Op.cit.

* 240J.-F. Bayart, « La fonction politique des Églises au Cameroun », Revue française de science politique, 23eannée, n°3, 1973. PP. 517.

* 241 J. P. Messina, Op.cit., PP.50-55

* 242 C. WiyghansaïShaaghan Cardinal Tumi, les deux régimes politiques d'Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et Christian Tumi, prêtre, P.9.

précédent sommaire suivant










Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy



"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo