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L'Eglise catholique et le processus démocratique au Cameroun: une analyse de la participation des archidiocèses de Douala et de Yaoundé

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par Magloire NDONGMO
Université de Douala Cameroun - Master II en sociologie politiique 2013
  

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CHAPITRE 5:

UNE INTERVENTION DISCORDANTE DES CLERCS CATHOLIQUES DANS LE CHAMP DE DEMOCRATISATION DU CAMEROUN

L'objectif de ce chapitre est de rendre compte de la participation politique différenciée et controversée des clercs catholiques dans le processus de démocratisation du Cameroun. Nous l'abordons sous l'angle des interventions discordantes de ces clercsdans le champ démocratique camerounais. Il se structurera sur des axes aussi variés que l'absence d'une ligne de conduite politique dictée par l'Eglise sur l'action de l'Eglise pour la démocratisation, les formes de rationalité des clercs catholiques, le poids des contextes sociopolitiques sur ces rationalités, et les types de rapport de ces clercs au pouvoir politique,sans oublier la responsabilité du régime lui-même dans cette différenciation de la participation des clercs.

5.1. L'absence d'une ligne de conduite politique dictée par l'église sur l'action de démocratisation

Notre postulat dans cette analyse est que l'absence d'une ligne de conduite dictée par l'Eglise ouvre la voie à l'émergence des rationalités qui oriente les trajectoires politiques des clercs catholiques dans le champ de démocratisation. A l'analyse de la doctrine sociale de l'Eglise qui est la vision catholique de l'ordre social et politique, on se rend aisément compte de sa souplesse. Il s'agit en effet d'une doctrine qui selon le Pape Jean Paul II n'est ni :

« Une troisième voie" entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste ni une autre possibilité parmi des systèmes moins radicalement marqués : elle constitue une catégorie en soi. Elle n'est pas non plus une idéologie, mais la formation précise des résultats d'une réflexion attentive sur les réalités complexes de l'existence de l'homme dans la société et dans le contexte international, à la lumière de la foi et de la tradition ecclésiale»328(*).

La doctrine de l'église stipule en outre que l'église n'a pas de régime politique à proposer ;comme on peut le lire de cette affirmation de Jean Paul II :

« L'Eglise (...) ne propose pas des systèmes ou de programmes économiques et politiques (...). Mais l'Eglise est « experte en humanité », et cela la pousse nécessairement à étendre sa mission religieuse aux divers domaines où les hommes et les femmes déploient leursactivités à la recherche du bonheur, toujours relatif, qui est possible en ce monde, conformément à la dignité de la personne»329(*).

Ces propos montrent que l'Eglise n'a pas un régime politique à proposer à quelque société que ce soit, mais cherche Juste à accompagner les peuples sur les chemins de la recherche d'un mieux-être-collectif. C'est pourquoi elle a souscrit à la démocratie, non pas comme régime qu'elle voudrait instaurer, mais comme régime qui donne la possibilité aux nations de définir leur propre destin, et à travers lequel elle les accompagne.

En ce sens, l'Eglise ne dicte pas une ligne d'action à ses clercs sur leurs interventions dans le champ politique. Elle dit juste que son rôle est d'accompagner les peuples dans leur construction. C'est pourquoi, bien qu'une doctrine politique catholique soit élaborée et proposée à toutes les Eglises particulières, il est clairement indiqué que c'est chaque Eglise locale qui, « avec une référence particulière à la réalité locale »330(*), saura faire une application des principes politico religieux contenus dans cette doctrine.

Aussi faut-ilnoter que si l'Eglise Catholique est certes une institution très centralisée et au discours très souvent monolithique, ce monolithisme selon lequel tous doivent s'aligner sur ce que dicte la haute hiérarchie, notamment le Vatican, ne concerne que les questions doctrinales de l'Eglise et précisément ses dogmes331(*). Par contre, pour ce qui concerne les questions sociales, L'Eglise laissent une grande marge de manoeuvre à ses clercs comme à ses fidèles, mais à condition que leur positionnement n'entrave en rien l'enseignement de l'Eglise, notamment les dogmes et lesgrands principes moraux qu'elle édite.

Il est donc évident qu'à l'intérieur de l'Eglise les clercs ne tiennent pas la même parole au sujet du processus démocratique en cours. Cette réalité n'est pas une spécificité camerounaise. En analysant cette diversité de l'action de l'église en générale pour la démocratisation, D. Philpott écrivait : 

« L'Eglise est aussi le peupledeDieucomme la posé le concile Vatican II, et incluttout un ensemble de laïcs : électeurs, protestants, collaborateurs,partie chrétien démocrate, communauté de base qui assistent les nécessiteux et aristocrateconservateurqui ont tous une approchedifférenteet souvent opposé de la démocratisation »332(*).

Dans notre entretien avec lui, le Professeur M. Ndongmo, théologien moral à l'UCAC et expert des questions « Eglise et politique » confirmait cette vision de la chose lorsqu'il affirmait au sujet de cette intervention discordante : « L'Eglise n'est pas là pour l'endoctrinement. Elle n'impose rien, ni ne s'ingère dans les consciences»333(*). 

Loin donc d'être monolithique, l'action des clercs catholiques dans le processus démocratique revêt une telle diversité dont il convient de rechercher le sens aussi bien dans les formes de rationalité des ceux-ci que dans les contextes sociopolitiques à l'intérieur desquels ils se meuvent.

5.2. Les formes de rationalitécléricales :moteur de la divergence des agir politiquesdes clercs dans le champ de démocratisation camerounaise

L'absence d'une ligne de conduite dictée par l'Eglise sur les interventions des clercs catholiques dans le champ politique ouvre la voie à l'émergence des formes de rationalités qui sous-tendent ces interventions. Il s'agit ici de la mise en exergue des stratégies par ces clercs pour se positionner dans le champ sociopolitique, en tenant compte des contraintes du champ et des possibilités qui lui laisse une certaine marge de manoeuvre.

On peut ainsi regrouper à la suite de M. Weber deux formes principales de rationalité motivant ou orientant les conduites sociopolitiques de ces clercs : les rationalités par rapport aux fins à atteindre et les rationalités par rapport aux valeurs334(*) que l'on défend335(*). L'Analyse des discours sociopolitiques des clercs nous permet de situer chacun d'eux dans l'un ou l'autre de ces registres normatifs de leurs agir politiques ;quoi que d'autres aient des conduites sociopolitiques plus complexes,c'est-à-dire que leurs stratégies dans le champ politique soient plus mitigées.

A ces deux formes de rationalités se rattachent, toujours selon la sociologie wébérienne, deux formes d'actions : l'action rationnelle par rapport à un but (l'acteur conçoit clairement le but et combine les moyens en vue d'atteindre celui-ci) ; etl'action rationnelle par rapport à une valeur (l'acteur accepte tous les risques, non pour obtenir un résultat extrinsèque mais pour rester fidèle à l'idée qu'il se fait de l'honneur)336(*). En réalité, des formes d'action décrites par Weber, ce sont ces deux quinous paraissent les mieux à même d'expliquer la divergence des actions sociopolitiques des clercs catholiques. Le sociologue Matt écrivait à ce sujet : « Pour le sociologue, l'action par rapport à un but et l'action par rapport à une valeur sont les plus intéressantes car elles sont rationnelles. »337(*)

5.2.1. Les rationalitéspar rapport au but visé.

Cette première catégorisation à l'intérieur de laquelle on peut classer certaines formes de production discursive du clergé catholique concerne les logiques d'acteurs qui partent de leur conception du rôle de l'Eglise dans le processus démocratique.

Dans cette catégorie, nous pouvons ranger tout discours catholiquede maintien du statu quo. L'objectif de ces acteurs iciest d'atteindre un but ; celui de la tranquillité publique, de la cohésion sociale et l'ordre public. Les changements radicaux ici ne sont pas leurs buts visés. Ils ne sont pour autant pas contre des changements, mais ils pensent que l'histoire suit son cours et que les changements viendront progressivement. De plus les changements sont subordonnés à leurs intérêts.

Il est évident que les clercs catholiques inscrits dans cette logiques tacherons de s'engager dans des débat de soutien au pouvoir en place, car le pourvoir est un partenaire pour atteindre ce but visé. Aussi, ils adhèreront à la vision du pouvoir qui, ne compromettant pas leurs intérêts cherchera aussi à maintenir le statu quo, pour sauvegarder leurs intérêts, voire pour les promouvoir.

L'objectif visé ici n'est pas seulement le statu quo, mais aussi et par conséquent la sauvegarde des rapports de l'institution avec le pouvoir ;en tant qu'il est garant de cet ordre et distributeur des richesses ou des retombées de ce statu quo. Dans ce sens, les acteurs ici concernés concevant clairement ce but, combinent les moyens en vue de l'atteindre ; et mettent en jeu les ressources ou les capitaux qu'ils disposent à cet effet.

Ils peuvent être rangés dans cette visée, les discours politico religieux de Mgr jean Zoa, de Mgr. TonyeBakot dont il convient d'analyser quelques-uns ici pour en déceler cette forme de rationalité.

En 1990, face à la pression de l'opposition qui exigeait l'organisation d'une conférence nationale, le Chef de l'Etat Paul Biya y voyait une menace ; car cette conférence devait s'inscrire dans les bouleversements sociopolitiques qui ont caractérisé l'entrée du pays dans la vague démocratique. En ce sens, le discours politique de Mgr. Jean Zoa, constituait un soutien au pouvoir.Voulant contribuer à la pérennisation du régime, il allait jusqu'affirmer à la télévision nationale que : « le terme conférence nationale n'existe nulle part dans le dictionnaire français»338(*). Ce soutien du prélat au refus de la conférence nationale par le Régime du Renouveau s'inscrivait dans la suite de ses multiples soutiens qui l'avaient historiquement opposé à ses pères Anglos-bamilékés de la CENC ;que ce soit avec Mgr.Ndongmo, Mgr. André Wouking qu'avec le Cardinal Christian Tumi339(*).

Deuxièmement, le cas de Mgr.TonyeBakot est similaire. Lorsqu'en 2004, à l'issue des élections il félicitait le président vainqueur malgré toutes les controverses post électorales sur les conditions de déroulement de ce scrutin, il s'inscrivait dans une logique de sauvegarde des rapports de collaboration Eglise-Etat. C'est pourquoi il a fait fi des pratiques de fraudes grâce auxquelles le RDPC a pu obtenir la victoire de son candidat ; commenous verrons plus loin. Dans une telle perspective, les acteurs politico-religieux mobilisent dans le corpus de la doctrine catholique de la politique, les ressources qui sont favorables à leurs stratégies de positionnement sur le champ politique et donc aux rationalités qu'ils mettent en oeuvre. De même que dans les évènements qui surviennent dans le processus ils ne mobilisent que ceux qui leurs sont favorables. En ce sens, au cours les multiples controverses qui ont eu lieu après les présidentielles de 2011 sur le rôle de l'Elise dans le processus démocratique camerounais, Mgr TonyeBakot a produit un opuscule sous le titre « Quel aréopage pour l'Eglise Catholique ? Une approche des rapports Eglise-Etat ». L'auteur, faisant intervenir ici la doctrine de l'Eglise, n'en mobilise que les éléments favorables à la bonne collaboration que Vatican II préconise entre l'Eglise et la Communauté politique. Il part du constat suivant :

« On reproche aux évêques de n'avoir pas dénoncé les supposés fraudes électorales lors de l'élection présidentielle, de n'avoir pas soutenu l'opposition dans son projet de contestation publique, d'avoir célébré les cultes interreligieux et des messes d'action de grâce, de s'être tus quand ils auraient dû parler»340(*)

Puis il aboutit à cette réplique : 

« Le concile Vatican II, en faisant cette nécessaire distinction entre l'Eglise et l'Etat, prescrit à ces deux institutions une saine coopération pour le bien de tous : Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l'Eglise sont indépendantes l'une de l'autre et autonomes, mais toutes deux, quoique à des titres divers sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. Elles exerceront d'autant plus efficacement ce service pour le bien de tous qu'elles rechercheront d'avantage entre elles une saine coopération, en tenant compte également des circonstances de temps et de lieu»341(*)

Ainsi, mobilisant cet extrait de Vatican II,celui-ci justifie l'action de soutien qu'il apporte au régime en place et qui les rapproche l'un de l'autre pour une « saine coopération ».

Il est tout aussi important de préciser à ce stade que l'action de soutien du pouvoir due à ces clercs dont la logique se rapproche plus de celle de l'institution elle-même ne s'inscrit pas initialement dans une logique de gain des faveurs multiformes. Elle s'inscrit initialement dans une logique de protection de son héritage culturel. L'Eglise comme toute religion d'ailleurs est fondamentalement conservatrice, en raison du fait que les vérités qu'elle a élaborées au fil de son histoire et qu'elle brandi comme étant des vérités éternelles ne doivent en aucun cas être remise en cause. C'est dans cette perspective que l'Eglise se rencontre avec l'Etat qui à son tour voudrait préserver l'ordre qu'il a établi et qui lui est favorable parce que garantissant ses intérêts.

Au vue de cette alliance de l'Eglise et de l'Etat, il est évident de comprendre que dans bien de cas où l'un a voulu initier des changements, parce que l'ordre établi ne lui est pas/plus favorable, il a souvent eu l'autre comme obstacle. Il s'est souvent agi d'un nouveau groupe politique qui accède au pouvoir par une révolution ; et qui voulant tout révolutionner fait face à l'Eglise qui tient à protéger ses intérêts et privilèges multiformes. Ce fut le cas avec le franquisme en Espagne342(*).

En outre, pour comprendre cette discordance, il faut partir de la nature même de la démocratie ; ence sens que, non seulement la démocratie est le règne de la contradiction où chacun donne ses opinions, mais aussi du fait que même les experts les plus fuités ne se sont pas accordés sur ce qu'il convient d'appeler démocratie. Elle tient aussi à la variété des activités démocratiques ; variété qui permet aux acteurs de s'engager dans des activités qui nécessite des logiques d'actions différentes et parfois divergentes. En ce sens, D. Philpott écrivait : « La complexité marque également un certain nombre d'activités démocratiques dans lesquelles divers acteurs de l'Eglise peuvent s'engager. Certains se posent ouvertement en contestataires. »343(*)

Dans ce sens, les clercs à rationalités orientés vers des fins s'intéressent plus aux résultats des scrutins tels que proclamés par la cour constitutionnelle qu'au déroulement même de ce scrutin.

5.2.2. Les rationalités par rapport aux valeurs

Il est question ici d'analyser une seconde catégorie de rationalités qui meuvent les clercs catholiques. Elle concerne ceux dont l'intervention dans le champ de démocratisation répond à des logiques de respects de certaines valeurs qu'ils pensent qu'il doit être au fondement de l'action de démocratisation. Ceux-ci n'ont pas pour soucis premier la sauvegarde des rapports Eglise-Etat, mais ils estiment que l'action de démocratisation doit être orientée vers le respect de principes démocratiques. Comme l'alternance, le respect des normes électorales. C'est en cela que les actions sont orientées par rapports aux valeurs ; et selon la théorie de M. Weber, ils peuvent faire d'énormes efforts, au nom de ces valeurs qui sont pour eux l'essentiel.

On peut classer dans cette catégorie les productions discursives des clercs Comme Christian Cardinal Tumi, comme Ludovic Lado, comme Samuel Kelda etc. Le point commun de ces trois clercs est qu'ils insistent sur le respect des principes démocratiques, telles que la loi électorale qui n'est pas respectée, l'alternance politique que plusieurs générations de camerounais n'ont pas connu, le respect de la souveraineté du peuple que compromettent les manigances électorales etc.

Comme les premiers catégories d'acteurs, ceux-ci mobiliseront aussi bien les ressources doctrinales que contextuelles qui leur sont favorables. Recourant à la doctrine sociale de l'Eglise, ils ne mobiliseront pas le principe de la « saine coopération Eglise-Etat que préconise Vatican II, mais ils s'intéresseront au rôle prophétique de l'Eglise « Voix des sans voix » comme affirme Jean Paul II : «L'Église doit continuer à jouer son rôle prophétique et à être la voix des sans-voix »344(*).

A l'analyse de la lettre ouverte de Ludovic Lado aux évêques du Cameroun, on peut le constater avec aisance. Il s'adresse aux évêques en ces termes :

« Comme vous le savez, les Camerounais, et pas seulement les chrétiens catholiques, attendent de vous un leadership prophétique dans ce pays malade d'injustices multiformes. (...)La Conférence épiscopale est devenue la énième section du RDPC. Pendant sept ans, vous avez observé, comme moi, le Parti-Etat utiliser les voies légales pour faire reculer notre jeune démocratie. Comme corps, vous n'avez jamais dit un seul mot publiquement pour soutenir l'opposition, certes morbide, et la société civile qui s'évertuaient à demander un système électoral plus équitable, notamment le scrutin à deux tours ainsi que le bulletin unique. Vous avez préféré garder le silence pour ne pas gêner le régime en place où certains d'entre vous ont de précieuses et généreuses relations(...)»345(*).

Comme nous pouvons le constater, cette production discursivemet en exergue les deux formes de rationnalisés ici analysées et qui opposent les deux catégories de Clercs dans leurs interventions dans le champ démocratique. Ludovic Lado s'y inscrit notamment dans une logique de défense des principes démocratiques dont il cite d'ailleurs quelques-uns, lorsqu'il fait allusion aux injustices et au système électorale. Il y fait également référence à la norme sociale qui voudrait que l'Eglise soit le porte étendard d'un peuple qui gémi sous le poids d'injustices multiformes sur lesquels s'est bâti le régime politique en place346(*) ; et à la CENC, il rattache la seconde forme de rationalité et les actions qui les sous-tendent : « vous avez préféré gardé le silence». 

Abordant le cas de Tumi, nous pouvons nous rendre compte qu'il s'inscrit dans cette même logique :

« Selon le rapportque j'ai reçude nos observateurs catholiques, ils me disent qu'il faut qualifier ces échéances...ce scrutin comme une mascarade électorale. Ce sont eux qui étaient sur le terrain et ils étaient agrées par l'Etat ».

Répondait ainsi le cardinal Christian Tumi à Christophe Bouabouvier, Journaliste de RFI347(*). Voilà ce qui résume la lecture d'un haut prélat d'un long processus électoral qui s'est soldé par la victoire évidente du président candidat du Parti-Etat qui a tout monopolisé à son compte. L'intérêt qu'un tel clerc porte sur les détails du scrutin et non sur les résultats qui ne surprennent aucun observateurnational comme international vient du fait qu'il s'inscrit dans une logique selon laquelle le respect des normes démocratiques constitue le véritable sujet qui mérite l' attention.

Dans cet entretien, le Cardinal s'inscrivait dans une logique de lutte et de combat démocratique, de dénonciation des fraudes électorales et non de collaboration avec le pouvoir comme traduisent les interventions multipliées de TonyeBakot sur la scène médiatique Camerounaise. Si l'attention de ce prélat est portée vers les principes électoraux, celui de Bakot est porté vers les résultats du scrutin. C'est en ce sens que, soutenant qu'il n'y a pas de discordance dans les affirmations de ces deux prélats, le professeur J. P.Messina déclarait lors de notre entretien : « Les deux ne parlent pas de la même chose»348(*). Quoique les avis de cet interviewé ne concordent pas avec les nôtres, en raison de l'analyse pacifiste qu'il fait des relations Eglise-Etat, il faudrait reconnaitre que cette affirmation va dans le même sens que notre analyse.

En effet, en raison des logiques d'action différenciée qui caractérisent leurs agir sociopolitiques, chacun des prélats catholiques exploitent la piste qui lui est favorable. Ainsi, les clercs dont la logique d'intervention est celle de collaboration parleront de la proclamation des résultats par la cours constitutionnelle qui est belle et bien légale, comme nous l'avons montré plus haut.Ceux inscrits dans une logique d'opposition et de lutte pour des changements démocratiques se réfèrent au déroulement du scrutin. Reprenons à titre d'illustration cet entretien de Tumi. Dans cette interview avec Christophe Bouabouvier, Tumi ne s'intéresse pas à la proclamation des résultats qui donnait Paul Biya candidat du RDPC vainqueur avec 70.92% de voix. Bien au contraire, il s'intéressait plutôt aux conditions dans lesquelles s'est déroulé le scrutin. C'est pourquoi il affirmait sur RFI: « Il y' a des gens qui multiplient des problèmes inutiles pour empêcher des gens de voter. Il y' a des quartiersici à Douala qui n'ont pas pu voter parce qu'on sait bien qu'ils sont de l'opposition ». Il n'est plus besoin de plus grande preuve de soubassements moraux des interventions médiatiques de ces clercs.

Dans cette scène de grande controverse qui opposeces clercs catholiques, les journalistes, acteurs majeurs de la scène médiatique ne jouent pas un rôle de moindre importance. Percevant les différentes formes de rationalité qui motivent chaque clerc, ainsi que leur positionnement stratégique sur le champ politique, ceux-ci accentuent la discordance, en mettant l'accent sur ce qui opposera les deux clercs. Lorsqu'ils vont voir Tumi, c'est pour mettre l'accent sur ce qui l'oppose à l'autre, ils n'iront pas vers les autres prélats. De sorte que ce sont aussi les « journalistes du pouvoir » qui iront très souvent vers là pour mettre en exergue le soutient qu'ils apportent au pouvoir. Ainsi, on assiste à une instrumentalisation de l'Eglise par les médias camerounais ;cause aussi d'une faiblesse de communication de l'Eglise Catholique qui n'arrive pas à assurer une bonne couverture médiatique des interventions publiques des clercs. C'est ce qui a amené Marceline Manga à soutenir : «Les médias catholiques sont presque absents de la scène, ce sont encore les médiats publics qui véhiculent le mieux les discours des évêques et en font ce qu'ils veulent »349(*)

Ce tableau montre justement que ce sont les médias publics qui communiquent le plus les interventions médiatisées de l'église.

Tableau 14 : médiatisation des interventions politiques des clercs

Source : Par nos soins.

Selon ce tableau, 45% de fidèles affirment qu'ils suivent les sorties médiatiques des évêques à travers les médias publics. Ce qui montre qu'après l'Eglise, les medias publics constituent le moyen par lequel les fidèles catholiques sont informés de ces sorties médiatiques des évêques.

5.3. L'influence des contextes sociopolitiques sur les comportements politiques contrastés des clercs catholiques

Si l'intervention publique de chaque clerc est orientée par les formes de rationalités qui le motivent dans le champ de démocratisation, il faut reconnaitre que ceux-ci pensent tel qu'ils sont socialement positionnés et donc, que les contextes sociaux à l'intérieur desquels ils se meuvent sont déterminants pour la production de ces rationalités qui orientent leur trajectoire dans le champ politique.

En effet, les rationalités produites par ces clercs émanent de leurs interprétations des jeux et enjeux du champ de démocratisation. Or, Cette construction du sens par les acteurs impliqués dans le processus de démocratisation ne se fait pas seulement entre des individus qui seraient considérés comme des atomes sociaux isolés, mais dans un contexte social dont l'importance n'est pas négligeable. Le sens de toute chose est en fait donné par son contexte de production. C'est pourquoi Hower Becker l'un des piliers de l'interactionnisme symbolique soutient qu'il est nécessaire d'examiner « minutieusement les activités effectives, en tentant de comprendre les circonstances dans lesquelles agissent tous ceux qui sont concernés»350(*).C'est de là que vientl'intérêt que nous accordons ici aux situations et aux contextes sociopolitiques à l'intérieur desquels évoluent ces acteurs catholiques, et avec lesquelles ils interagissent tout en construisant le sens de leurs actions. Ce sont tous ces éléments qui contribuent à façonner et refaçonner l'identité politico-religieuse de ceux-ci, laquelle est importante dans la production sociale de leur rôle de démocratisation.

En ce sens, pour comprendre d'avantage les interventions discordantes des clercs catholiques, il faut partir des villes de Douala et de Yaoundé ici concernées, où ils ont politiquement et socialement positionnés.

5.3.1. L'influence du contexte sociopolitique de Douala

Le contexte sociopolitique de Douala, l'avons-nous montré plus haut, est caractérisé par les mouvements de protestation qui ont fini par donné à cette ville l'image d'une « ville d'opposition ». En réalité, Douala est historiquement le fief de l'opposition depuis les mouvements indépendantistes. Ce climat historique a amené la majeur partie de l'opposition à s'y installer et à pérenniser cette image depuis l'ouverture démocratique. Cette ambiance vient aussi de ce que Douala est la capitale économique du pays et en ce sens, draine à travers des courants migratoires une masse importante des populations rurales et expatriées. Or la situation économique du pays ne rend pas possible la satisfaction de ces masses de population venues à la recherche de l'emploi ; ceci pour deux raisons : la crise économique de la fin des années 80 n'a fait que sombrer davantage ces populations et la politique de l'emploi n'a pas permis de réduire le taux de chômage qui va au-delà de 13%. Finalement frustrés et révoltés,ces populations se tournent contre le politique qui non seulement a la responsabilité première de pourvoyance d'emploi, mais qui n'est pas frappée par cette crise. En effet, les pratiquesde détournement des deniers publics351(*) et les hauts salaires des hauts cadres de l'administration Biya352(*)mettant ceux-ci à l'abri de la paupérisation généralisée, même en contexte de la crise économique.

En ce sens, cette ambiance sociale et politique travaille les mentalités aussi bien des populations que des leaders sociaux. C'est pourquoi, les clercs catholiques de la ville de Douala, n'étant pas des atomes sociaux isolés mais des membres à part entière de cette ville d'opposition, feront des interventions publiques qui ne sont pas à la faveur du régime mais qui, répondant aux logiques sociales de leur milieu, prennent un accent de critique et d'opposition au régime en Place. Les avis de Christian Cardinal Tumi prennent justement ce ton,comme nous l'avons vu plus haut.

Ces logiques sociales d'opposition ne s'expriment pas seulement à travers les rationalités propres de ces clercs en tant qu'ils sont socialement positionnés, elles répondent aussi aux formes d'exigences populaires des fidèles de Douala qui attendent de leur Clercs qu'ils les défendent de la dictature d'un régime qui les a privés de la « manne nationale ».

Par conséquent, puisque l'Eglise vit de ces populations qui survivent à partir de leur débrouillardise, du contournement des impôts, elle est obligée de se soumettre à leur souhait afin d'attendre d'eux leur aides multiformes, notamment financières.

Les industriels et les hommes d'affaires constituent une autre source importante d'influence des rationalités d'opposition des clercs catholiques de Douala. En raison des conflits historiques qui opposentles pouvoirs politiques aux leaders économiques de Douala, ces derniers attendent de leurs clercs qu'ils les soutiennent dans cette opposition. Or puisque ce sont ces derniers qui font vivre l'Eglise, à travers leurs contributions multiformes pour la construction des édifices religieux, pour l'achat des véhicules des clercs et bien d'autres, ceux-ci se doivent en retour de les soutenir dans leur opposition à leurs adversaires du pouvoir public. La presse de l'opposition, numériquement plus importante que toute et fortement concentrée dans cette ville joue aussi un rôle très important. Acteur majeur de la scène publique, elle a une influence déterminante sur les discours publics des clercs catholiques qu'elle sanctionne à chaque circonstance. Fustigeant violement ceux qui ont une allure de soutien du pouvoir, elle ne manque pas de célébrer ceux qui ont une allure d'opposition, comme elle l'a toujours fait avec les sorties médiatiques de Christian Tumi, prélat catholique « le plus vertueux », tel que l'habille ces médiats.

5.3.2. L'influence du contexte sociopolitique de Yaoundé

Le contexte sociopolitique de la ville de Yaoundé est déterminé par le statut politique de cette ville. Capitale politique et par conséquent siège des institutions politiques de la République, Yaoundé est le fief du parti au Pouvoir. En ce sens, son influence sur les attitudes politiques prédisposent ses habitants plus à une participation de soutien qu'à une participation contestataire comme nous l'avons vu avec la ville de Douala.

En référence aux travaux des constructivistes qui ont créé des passerelles entre les éléments structurant, (poids des conditionnements sociaux) et les subjectivités individuelles (rationalités d'acteurs individuels), nous pouvons donc comprendre que l'action de soutien du régime par les acteurs de Yaoundé soit conditionnée aussi par le climat politique de cette ville.

En réalité, du fait de la proximité des structures catholiques avec les institutions politiques, les clercs catholiques de l'archidiocèse de Yaoundé sont plus portés à un discours de collaboration, de soutien des efforts fourni par le régime. Contrairement à ceux de Douala qui sont dans une ville de la survie, de la débrouillardise et donc d'opposition.

Cette orientation du discours politico-religieux des clercs de Yaoundé vient du fait que ce sont les hauts cadres de l'administration Biya qui font vivre l'Eglise de Yaoundé ; qui financent le fonctionnement des structures catholiques de cette ville comme ils apportent des aides multiformes aux leaders catholiques individuellement. Les Clercs de Yaoundé se sentent donc avec une dette morale d'apporter à ceux-ci leur soutien dans la lutte pour la pérennisation de leur statut sociopolitique. En ce sens, l'action de ces derniers s'inscrirait dans une logique de sauvegarde de leurs intérêts, comme l'est d'ailleurs celle des Clercs de Douala. Il n'est plus besoin de revenir sur le contenu des discours politico-religieux de ces clercs pour le démontrer ; nous l'avons déjà fait plus haut.

Le tableau suivant montre justement que les fidèles catholiques de Yaoundé sont favorables aux régimes en place, tandis que ceux de Douala lui sont défavorables.

Tableau 15 : Jugement sur le régime Biya selon la ville.

Source : Par nos soins.

On peut retenir de ce tableau que le chrétiens catholiques de Yaoundé, plus que ceux de Douala ont un avis favorable de l'action du Régime en place.

Dans cette perspective, il est évident de comprendre que l'action politique catholique dépende descontextes socio politiques à l'intérieur desquels émergent les acteurs politiques catholiques. Elle ne dépend pas uniquement de ses fondements idéologiquestelles que véhiculées par la Doctrine Sociale de l'Eglise. Ceci explique pourquoi l'action politique catholique ne soit pas monolithique mais varie d'un pays à l'autre commed'un contexte socio politique à l'autre, selon les conjonctures, les nouveaux acteurs qui entrent en scène avec leurs rationalités propres. En ce sens, J.-Y.Calvez a pu écrire : « si elle (l'Eglise) a été plus combative en Pologne qu'en Hongrie, par exemple cela tient naturellement à des raisons nationales, historiques, culturelles, spécifiques aux divers pays »353(*).C'est fort d'une telle réalité que S.Rojo soutenait que l'Eglise n'est pas « un corps hermétique à l'abris des mutations socioéconomique de la société»354(*). 

Au delà du poids déterminant de ces contextes sociaux, notons que dans certaines circonstances, il peut y avoir une prédominance des rationalités individuelles sur les contextes sociaux, de sorte que l'action d'un membre du groupe donné réponde à ses rationalités propres, plutôt qu'aux logiques d'action en vogue. C'est le cas du P. Ludovic Lado qui, bien qu'émergeant en contexte politique de Yaoundé a gardé une connotation d'opposition. Ce cas d'exception peut s'expliquer entre autres par la trajectoire politique propre de l'acteur social concerné, comme par son affiliation avec d'autres groupes desquels il tire ses rationalités d'action. Ici, on peut voir l'affiliation de Lado avec l'opposition camerounaise ou avec le groupe tribal anglo-bamiliké, comme nous allons le montrer dans la section suivante.

5.4. Les logiques tribales d'action cléricales et les types de rapport au pouvoir

Pour comprendre le positionnement des archidiocèses de Yaoundé et de Douala vis-à-vis du pouvoir en place, il faut explorer aussi les rapports qui unissent l'autorité ecclésiale qu'incarnent ici les prélats avec ce pouvoir politique, ainsi que les logiques tribales de l'action politique de ces clercs.

5.4.1. Les logiques tribales d'action cléricales

La scène politique camerounaise comme la scène sociale elle-même est caractérisée par la prégnance des logiques tribales qui y sont en cours. L'Eglise et notamment ses clercs n'étant pas hermétiques aux logiques sociales qui structurentle vécu camerounais est profondément imprégnée de cette réalité. Il est important de comprendre comment l'Eglise répond aux mêmes logiques sociales en vogue dans la société.

L'Eglise est une institution sociale comme toutes les autres. En tant qu'institution religieuse, elle est certes caractérisée par son positionnement entre le spirituel et le temporel, et ce n'est que cette double source de formation de son identité sociale qui fait sa particularité. Sinon, bien qu'elle prétende être une super institution qui s'inscrit hors du temps et de l'espace et qui veut avoir une origine non sociale ni culturelle, mais transcendantale, elle reste une institution comme toutes les autres et par conséquent, elle répond aux logiques sociales qui meuvent l'ensemble de la société. Son action ne peut par conséquent être comprise que dans le contexte général de la société à l'intérieur de laquelle elle évolue. Il n'y adonc rien de surprenant que l'action de démocratisation des clercs catholiques s'inscrivent dans le débat idéologico-tribale qui caractérise la démocratie camerounaise.

La fameuse lettre de TonyeBakotau doyen de la faculté des sciences sociales s'inscrivait justement dans cette logique tribale, ainsi quetoutes les parties impliquées dans cette production discussive qu'a suscité cette lettre ;que ce soit la lettre accusatrice que celle réactionnaire de Ludovic Lado. En effet, les camerounais pensent et agissent tels qu'ils sont ethniquement positionnés. Le sentiment d'appartenance tribal est si fort au Cameroun qu'il travaille les mentalités des camerounais ; de la plus basse couche sociale à la plus haute autorité, c'est-à-dire à la tête même de l'Etat. C`est ce qui a amené le professeur MoukokoPrisoà affirmer que : « de sa construction idéologique à sa fonctionnalité concrète, l'Etat camerounais a été construit sur des bases tribales à travers des processus de routinisation et de banalisation de sa tribalisation. »355(*)

Emboitant le pas à ce dernier, J.-B.Kenmogne estime que le mot d'ordre des Eglises au Cameroun est devenu : « Chacun pour sa tribu, Dieu pour tous »356(*) ; soutenant que les institutions religieuses sont à l'image de la société camerounaise et par conséquent sont alimentées par sa logique de fonctionnement tribaliste qu'y véhiculent ses membres.

Sous l'influence d'une telle tribalisassions de la vie sociopolitique au Cameroun, l'Eglise est devenue une instance de reproduction des logiques tribales au point que son rapport au pouvoir comme à la politique en soit déterminé. C'est fort d'une telle réalité que Bayart a affirmé :

« Les rapports entre les Eglises et l'Etat sont de nature politique et bien des égards institutionnels. Mais il est impossible de les comprendre si on ne tient pas compte de leurs composantes ethniques et familiales »357(*).

Examinons les chiffres de ces graphiques qui montrent justement que les avis que les chrétiens catholiques portent sur le processus démocratique au Cameroun dépendent de leur appartenance tribale.

Graphique 1:Regroupement tribal et jugement sur le processus démocratique

Source : Par nos soins.

Le groupe tribal « Béti » qui forme l'alliance Centre-Est -Sud, occupe la première place pour juger passable le processus démocratique en cours, suivi de ceux qui se rapproche le plus d'eux, les « Bassa » ou de manière plus générale ceux du littoral. Ce rapprochement tribal se traduit justement dans l'action politico-cléricale par le rapprochement de Bakot du régime Biya. Les Anglos-bamilékés quoi que constituant la population la plus importante de cette étude358(*) occupe la 3è place. Avec 47% de choix de la modalité passable, contre 10% pour bien, 29% pour mal et 13%pour très mal. Cela est caractéristique des formes de désapprobation de contestation qui caractérisent la ville de Douala, fief de l'opposition et dont les prises de position de Tumi traduisent l'expression. J.F. Bayart ne s'était donc pas trompé lorsque parlant de Douala comme ville « réputée réticente contre le régime »359(*). Il indiquait les fonctions tribuniciennes des prélats qui y ont été à la tête de l'Eglise Catholique. La controverse qui a opposé Christian Tumi et Jacques FameNdongo360(*) au sujet de « la confiscation du pouvoir par les bétis » répond à cette même logique de la tribalisation des rapports Eglise-Etat au Cameroun361(*). Ce qui traduit en même temps le clivage ethnique qui règne au sein de l'Eglise Catholique. Le mémorandum des prêtres de Douala adressé au Pape Jean Paul II contre la « bamilékalisation » du clergé de Douala et celui de l'association du clergé indigène de Bafoussam en réaction à ce premier est l'une des scènes les plus illustratives de la « tribalisassions » des rapports sociaux dans l'Eglise. Le même scenario s'est répété lorsque les chrétiens catholiques de Yaoundé se sont opposés au transfert de Mgr. André Wouking comme archevêque de Yaoundé en 1999.

5.4.2. Les types de rapport au pouvoir

Au-delà des logiques socio-tribales ou suite à celles-ci, nous estimons que l'intensité comme l'orientation de la participation des clercs Catholiques au processus démocratique est aussi fonction des rapports de ceux-ci avec le pouvoir, et par conséquent de leur histoire, comme de leurs trajectoires dans le champ sociopolitique. Ces rapports dépendent prioritairement des privilèges que le pouvoir accorde aux autorités ecclésiales.

Si le clergé de Yaoundé bénéficie de nombreux bienfaits de l'Etat comme nous l'avons vu plus haut, et que celui de Douala est victime de désavantage du régime comme le révèle Tumi lui-même dans son livre362(*)ou encore l'effort camerounais au sujet de l'arrêt de l'éclairage public des alentours de la cathédrale de Douala363(*), il est évident que la participation de ces diocèses soit respectivement pour le pouvoir et contre le pouvoir. Les autorités ecclésiales de Yaoundé sont dans ce cas portées à faire une participation de soutien, contrairement à ceux de Douala. Ce qui est une évidence sociologique et ne fait pas du Cameroun une originalité.

En réalité, la participation politique de l'Eglise a très souvent varié en fonction des types de relations que l'Eglise entretien avec l'Etat. Par exemple, dans les pays où l'Eglise s'est démarquée de l'Etat pour soutenir les populations et la Société Civile dans leur lutte contre les abus du pouvoir, cela a très souvent fait suite à l'effritement des rapports Eglise-Etat. Prenons quelques exemples :

L'action de l'Eglise dans la sortie de la dictature mobutisme a été suite à la politique d'authenticité de Mobutu, qui s'attaquait au christianisme, trouvant qu'il était une religion importée et devait se soumettre à la politique d'africanisation qu'il avait initiée. C. Makiabo a écrit d'ailleurs à ce sujet : « le pouvoir s'engagea contre tout l'héritage culturel du Christianisme au Zaïre»364(*). 

En outre, n'est-ce pas parce que les rebelles franquistes s'attaquant à l'Eglise allaient jusqu'à fusiller des prêtres que l'Eglise s'est engagée dans une lutte farouche contrer Madrid,au point « d'inciter les fidèles à se soulever contre Madrid et à verser leur sang pour défendre l'Eglise»365(*)?

Par conséquent, on peut comprendre que pendant la période de monolithisme,la distance qui séparait l'administration Ahidjodu clergé catholique aitfragilisé la participation de soutien de celle-ci. Nous l'avons vu avec J.L. Moroleau366(*). Il est aussi évident que l'accession du « fils de l'Eglise » à la magistrature suprême lui a redonné l'occasion de reprendre l'alliance éternelle Eglise-Etat.

Le concile Vatican II en initiant le soutien de l'Eglise pour la promotion de la démocratie n'avait-il pas au préalable indiqué que l'Eglise devait renoncer à tout soutien aux régimes dictatoriaux ? Preuve que l'action de l'Eglise en faveur de la démocratie ne peut être effective que si l'Eglise se démarque de l'Etat, car des relations harmonieuses avec un Etat dictateur l'Eglise n'a construit rien de grand.

C'est pourquoi, se posant la question de savoir quel type d'Eglise Catholique peut s'épanouir dans le monde politique moderne, dans la lutte vigoureuse contre les injustices, D.Philpott indique justement que c'est celle qui respecte la double tolérance, et « met en pratique l'enseignement du magistère catholique sur la justice dans le monde politique moderne »367(*).

Par contre, une Eglise qui tient à sauvegarder ses rapports avec le pouvoir, se verra toujours instrumentalisée par ce dernier pour fragiliser son action de promotion des peuples. Ce que nous abordons dans cette sous-section.

5.5. La responsabilité de l'Etat dans la discordance de l'action politique des Clercs catholiques

Dans cette participation discordante du Clergé du Cameroun à la construction de la démocratie camerounaise, l'Etat camerounais a une grande responsabilité. En effet il dispose des stratégies pour étendre sa monopolisation jusqu'au sein de l'Eglise. A travers des actions aussi variées que le financement des structures d'Eglise et la nomination des prélats catholiques dans son administration.

5.5.1. Les disparités des allocations de financement des structures catholiques

Plusieurs sources lors de nos entretiens nous ont révélé que l'archevêque de Yaoundé est impliqué dans des affaires foncières et des dettes qui ont nécessité le secours du la présidence du Cameroun. Ce cas n'est que l'un des multiples exemples qui montrent que l'archidiocèse de Yaoundé comme plusieurs autres diocèses du Cameroun est financièrement dépendant du pouvoir en place ; ce qui fonde la nécessaire collaboration entre ces deux instances.

Les rapports de proximité entre les hommes du pouvoir et certains hommes d'Eglise au Cameroun, expliquent le soutien de l'Eglise au pouvoir en place. L'Eglise vit des bienfaits de ces derniers qui depuis la mangeoire ne manque pas de donner à l'Eglise sa « part », à travers moult contribution à la vie de l'Eglise, construction des édifices, achats des véhicules et des enveloppes de toutes sortes. Il n'est plus besoin de démontrer que le citoyen camerounais moyen ne survivant qu'à peine avec ce qu'il gagne, ne peut être à l'origine de ces prestigieux édifices de l'Eglise Catholique. Au contraire, ils sont construits avec un important soutien des hommes et des femmes qui se taillent une grande part des caisses publiques.

Il devient évident de comprendre que ces derniers attendent quelque chose en retour. Or qu'est-ce que ces hommes d'Eglise peuvent leur apporter de mieux que ce dont ils ont le plus besoin : légitimer leur pouvoir auprès du peuple, à travers des messes d'action de grâce de suite de nomination, des sermons sur le respect de l'autorité etc.

Du camp des partisans de la participation contestataire, le scénario est le même. Ce sont leurs affiliations avec les agents économiques en guerre contre ceux qui ont monopolisé le pouvoir qui les disposent à une participation de contestation par soutien à ceux-ci. De même que ceux du pouvoir font vivre l'Eglise de Yaoundé, les hommes d'affaire de Douala font vivre celle de Douala. Rien de surprenant donc à l'action de Tumi qui a fait dire à, C.Ngadjifna : « Dans le versant politique de son engagement au service de la nation, Mgr Christian Tumi, aura maille à partir avec les autorités politiques»368(*).

Le cas deTonyeBakot de Yaoundé est similaire ; soucieux de préserver ses rapports avec le pouvoir, il aura une participation qui aille dans le sens de la politique du Renouveau. Le quotidien Mutations faisait justement allusion à lui dans son soutien au pouvoir en place pour brandir le message de la paix devenu un « argument de chantage électoral »369(*). On peut y lire notamment :

« L'Eglise se doit d'ailleurs d'entretenir sa communication sur la Paix. Pourtant, elle devient suspecte et passable d'une instrumentalisation lorsque le martellement, l'orientation des sources et les messagestant bien impressifs que marqués, tendent à entretenir l'opinion dans une sorte de psychose. »370(*)

En ce sens, le pouvoir instrumentalise notamment l'Eglise pour véhiculer son message de paix qui est devenu presque un argument de chantage politique du RDPC. Le président Paul Biya a taillé le système à sa mesure et a d'ailleurs modifié la constitution pour pouvoir se représenter à vie ;avec la certitude que l'issue de tout scrutin lui sera toujours favorable, car il détient la clé du système électoral. Dans une telle situation, le peuple ayant perdu toute possibilité d'exercer son pouvoir de manière légale par les urnes, risquera de prendre un jour d'autres voies, mais cette fois des voix peu orthodoxes. L'idéologie de la paix devenue l'hymne de toutes les élections au Cameroun répond à cette crainte qui hante le pouvoir. L'Eglise, dans sa mission d'encadrement des masses à opter aussi pour cette idéologie, confirmant ainsi son expertise pour le maintien du statu quo.

5.5.2. La nomination des prélats Catholiques dans l'administration Biya : une source de discordance

La nomination par décret présidentiel de Mgr.BefeAteba au Conseil National de communication et de Mgr. Dieudonné Watio au Conseil électoral n'était pas dénuée de tout intérêt politique. Après les discordances qu'on a observées au sein même du clergé camerounais,notamment cette dernière décennie, une telle nomination vient renforcer le soutien de l'épiscopat et rendre plus accentué les discordances. En effet, ces prélats nommés dans l'administration ayant prêté serment s'aligneront toujours derrière les affirmations gouvernementales. Ce qui les distanciera davantage des autres qui, comme Tumiseront toujours distant du pouvoir. Cette nomination relève donc des stratégies que met en place le régime pour rendre plus audible et visible le soutien de l'Eglise Catholique et fragiliser la voix prophétique de celle-ci. C'est pour quoi, le socio-politiste M.E.OwonaNguini, a soutenu qu'à travers cette nomination, « Le régime exploite l'Eglise pour légitimer son emprise sur la société »371(*). En effet, dans les sociétés fortement christianisées, le pouvoir exploite habituellement certains leaders des confréries pour légitimer et justifier son emprise sur la société, compte tenu de l'emprise morale de ces derniers sur la société.

Il s'avère donc qu'au Cameroun le régime Biya a opté pour cette instrumentalisation de l'Eglise Catholique en nommant ces deux dignitaires religieux. Cette lecture nous fait rejoindre d'ailleurs J.F.Bayart qui soutient que « le modèle de substitution camerounais est original pour l'Afrique tant les Eglises camerounaises sont à bien des égards, les héritières de la gauche libérale absorbée ou détruite par le régime »372(*).

Au terme de ce chapitre, nous pouvons retenir que dans leurs interactions avec le champ de démocratisation, les clercs catholiques élaborent des rationalités qui orientent leurs trajectoires dans ce champ. Rationalités qui ne relèvent pas exclusivement des subjectivités propres à ceux-ci mais qui répondent aussi au poids des conjonctures politiques et tribales. Dans ce sens leur positionnement dans ce champ est stratégique, selon qu'ils situent leurs actions à l'intercession des motivations religieuses et logiques de préservation de leur influence sur la société comme leurs rapports au pouvoir en place.

* 328SollicitudoReiSocialis, 1987, P.14

* 329 Jean Paul II, Ibid.

* 330DES, no 539.

* 331 C'est pourquoi, le Concile Vatican I ayant défini le dogme de l'infaillibilité papale face à la pression sociopolitique du XIXe siècle européen, l'Eglise a fait vite de préciser que cette infaillibilité du Pontife ne concerne que les questions proprement doctrinales et morales de l'Eglise, et non pas les questions sociopolitiques dont la complexité ne permet pas à l'Eglise de réclamer le monopole de l'expertise en la matière.

* 332 D.Philpott, Op.cit. P.153.

* 333 Entretien eu le 07/05/13 à 10H30 à l'UCAC.

* 334 Nous pouvons définir la valeur ici avec Guy Rocher comme « une manière d'être ou d'agir qu'une personne ou une collectivité reconnaissent comme idéale et qui rend désirables ou estimables les êtres ou les conduites auxquelles elle est attribuée», Introduction à la sociologie générale, Tome I Paris, HMN, 1998, P.72.

* 335 Voir à ce sujet M. Weber, l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Op.cit.

* 336 M. Weber, Op.cit.

* 337Matt, Rationalité et esprit du capitalisme, http://www.skyminds.net/economie-et-sociologie/croissance-developpement, consulté le 17/03/2013, à 19:45.

* 338 Cité par J.L. Maroleau, Op.cit., P.86.

* 339 Voir à ce sujet J.L. Maroleau, Op.cit.

* 340Mgr. Victor Tonya Bakot, Op.cit. P.2.

* 341 Mgr. TonieBakot,Ibid., P.6.

* 342S.HernanRojo, Eglise et Société, Paris, l'Harmattan, 2000, Op.cit.

* 343 D. Philpott, Op.cit. P.153.

* 344 Jean Paul II, ecclésia in Africa, n°106.

* 345 Lettre ouverte aux évêques du Cameroun, http://www.camfaith.org/actu-98, consulté le 17/03/2013 à 20:51.

* 346 Nous livrons en annexe, l'intégralité de cette lettre ouverte aux évêques.

* 347 Lire à ce sujet le messager n°1737 qui reportait cet entretien le 21 Octobre 2004.

* 348 Entretien fait le 07/05/13 à 12H30 ; à l'UCAC.

* 349 Entretien réaliséà Mvolyé le 03/05/13 à13h20.

* 350 H. S. Becker, cité par Y. Alpes, Op.cit. , PP.134-135.

* 351 M.-L. Eteki-Otabela, Op.cit.

* 352 J. M. Ela, Le cri de l'homme africain, Op.cit. ; F. EboussiBoulaga, la démocratie de transit, Op.cit.

* 353J. I. Calvez et H. Tincq, Op.cit, P.25.

* 354 J. I. Calvez et H. Tincq, Ibid.., P.10.

* 355Rapport de la conférence organisée à l'occasion de la 22e édition de La Grande Palabre, le jeudi 27 septembre 2012par le groupe Samory au Djeuga Palace hôtel sur le thème : « La démocratie à l'épreuve d'un tribalisme multiforme », P.2.

* 356J.-B. Kenmogne, Op.cit., P.3

* 357J. F. Bayart, Op.cit.,P.520

* 358 Soit 47% de l'échantillon totale, voir supra, tableau 7.

* 359 J. F. Bayart, Op.cit. P.528.

* 360 Alors chargé de la communication gouvernementale.

* 361 Lire à ce sujet l'article du Journaliste-Politologue Vincent Sosthène FOUDA sur le thème « Tribalisme d'Eglise et Tribalisme d'Etat au Cameroun», http://www.cameroon-info.net/stories, consulté le 17/03/2013, 20:33.

* 362 Les deux régimes politiques d'Ahmadou Ahidjo, de Paul Biya et de Christian Tumi, Prêtre

* 363 No520 du 11 au 17 Janvier 2012.

* 364C. Makiabo, Op.cit., p.93

* 365S. Rojo, Op.cit., P.98.

* 366 J.L. Maroleau, Op.cit.

* 367 D. Philpott, Op.cit.,PP.158-159.

* 368C. Ngadjifna, Cardinal Christian W.S.Tumi, Mgr Samuel Kleda : Une énigme éternelle. p.25

* 369 A la une de Mutation du Mercredi 17 aout 2011.

* 370 Le quotidien Mutation, Op.cit., P.3.

* 371 Entretien tenu à la fondation Paul AngoEla.

* 372 J. F. Bayard, Op.cit., p.527.

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