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étude sociologique du processus de décision dans le cas de figure d'une IVG

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par Sarah Zysman da Silveira
Université de Caen Basse- Normandie - Master 2 sociologie 2013
  

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Méthodologie et déroulement de la recherche

Après avoir dressé un panorama étendu, mais non exhaustif, du champ étudié, voici la partie technique, fondement même de ce travail universitaire. La force des conclusions que nous pourrons en tirer se trouve dans les éléments que nous exposerons ici. Dans cette partie, nous expliquerons la théorie qui nous a guidée tout au long du chemin. La perspective, le cadre restreint de l'enquête et l'approche sont les trois éléments qui forment la problématique. Nous y définirons en détail l'objet et les objectifs de la recherche. Ensuite nous aborderons la mise à l'épreuve empirique, avec nos hypothèses, la méthode, comprise comme dispositif spécifique de recueil d'informations destiné à tester les hypothèses de recherche, les conditions d'accès au terrain et les outils tels que questionnaire et guide d'entretien. Nous aborderons également les phases de la recherche. Cet aspect a son importance car les conditions mêmes de production de ce mémoire ont pu influer sur le matériau recueilli. C'est un travail d'introspection orienté que nous avons mené et que nous souhaitons partager avec les lecteurs.

Un présupposé tenace se trouve dans la manière de considérer les choix relatifs à la maternité, et ce, même dans la littérature sociologique. C'est celui de la « bonne gestion)) de sa vie, où l'on « décide rationnellement)) de s'engager dans un « projet)) clairement établi. Où la contraception, devenue norme, peut essuyer des « échecs)) et témoigner ainsi d'une « mauvaise prise en charge de son existence)) par la personne concernée. Les nombreux guillemets sont là pour rappeler la distance que nous souhaitons prendre avec ce présupposé. L'outil théorique qui nous sera précieux pour y parvenir est détaillé ci--dessous.

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La problématique

Le cadre

Il nous faut à présent entrer plus en détail dans la construction de l'objet, donner son cadre restreint: Il s'agit d'étudier le processus de décision aboutissant à une IVG et les interactions qui font évoluer ce processus. Cette manière de cadrer propose un moment précis, qui est compris entre des limites clairement définies, à savoir entre le moment où la femme soupçonne ou apprend sa grossesse et l'acte médical de l'IVG, qui clôture et entérine la décision, pour lequel le délai légal en France est fixé à la fin de la 12ème semaine de grossesse63.

Le postulat qui sous-tend ce cadrage temporel est le suivant: « l'irruption» d'une grossesse est l'événement qui débute le processus, l'acte d'interrompre la grossesse celui qui le termine. Lors de l'analyse, le traitement séquentiel nous fera remettre en cause ce présupposé. Cet objet est lui-même inséré dans des champs plus vastes comme nous en avons longuement parlé dans la première partie de ce mémoire.

Ainsi, le cadre de l'enquête est restreint par rapport aux champs dans lesquels il s'insère. Pour utiliser une métaphore, le cadrage est plutôt serré sur un aspect de la maternité qui aurait une valeur métonymique: étudier le sujet par un de ses aspects, utiliser ce qui est singulier pour obtenir des éléments de compréhension de l'ensemble. Choisir l'IVG offre des avantages et des inconvénients pour le travail sociologique. Analyser le processus de décision menant à l'IVG informe sur le déroulement d'un processus décisionnel. Mais traiter de l'IVG nous donne aussi des informations sur cette question sociale particulière (sur l'acte médical en lui-même, comment il est vécu et les représentations qui lui sont attachées) et également sur l'intime, le rapport à la maternité et les relations de genre. Parmi les inconvénients il y a bien entendu le fait que, sur ce sujet intime, la parole ne circule pas toujours facilement.

63 Information recueillie sur le site officiel de l'administration française http://vosdroits.service-public.fr/F1551.xhtml, consulté le 12 juillet 2012.

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L'approche

C'est une approche synchronique qui sera adoptée ici car il s'agit d'étudier un phénomène à un moment précis de son histoire. En effet, nous pouvons considérer le processus décisionnel aboutissant à une IVG comme unité de temps. Ce temps est relativement court puisque la loi encadre temporellement la possibilité de recours à l'IVG. De plus, nous nous intéresserons à différents points de vue (émanant de plusieurs acteurs) pour un même fait: d'après le discours de la femme ayant vécu une IVG, nous déterminerons les acteurs qui ont eu un rôle significatif dans le processus décisionnel et nous analyserons leurs discours.

Pour être tout à fait précise, les différents points de vue n'ont pas la même valeur: notre étude se centre sur la femme qui a vécu l'IVG, les autres actants sont désignés par elle, et dépendants de ses actes, puisqu'au regard de la loi la femme décide seule. Nous ferons aussi appel à l'approche diachronique, mais ponctuellement, par exemple pour interroger l'éventualité d'un « après» cet épisode dans la vie de l'enquêtée, pour savoir si quelque chose a changé, et quoi.

La perspective théorique

Les sciences sociales ont théorisé de diverses manières la décision. Malgré les évolutions et les complexifications des modèles, la vision rationnelle reste très largement répandue.

L. Sfez64 passe en revue ces évolutions en en pointant les limites. Ce qui importe pour ce chercheur est de prendre en compte certains éléments de la décision tels que la multi-finalité et la multi-rationalité. Le processus de décision est perçu comme un système, appréhendé comme un récit. « Multi-finalité» signifie que dans un processus décisionnel, il y a généralement plusieurs buts possibles simultanément. La multi-rationalité signifie que plusieurs rationalités sont à l'oeuvre et s'imbriquent, se transforment mutuellement. Nous y reviendrons au cours du développement qui suit. Reprenons la théorie sfézienne de la critique de la décision et du surcode depuis le début.

64 Sfez L., 1984, op. cit. et Sfez L., 1981, op. cit.

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La décision cartésienne

Ce que nous avons nommé logique de « bonne gestion » de sa vie, qui implique de prendre sa vie en mains, d'avoir des projets clairement définis et de mettre en oeuvre des actions au service de ces projets, L. Sfez65 l'appelle la « pré-théorie de la décision ».

Dans le domaine qui nous intéresse, nous en constatons la présence dans le discours des interviewés ainsi que dans la littérature sociologique. C'est la norme de la contraception qui veut qu'en dehors d'un projet d'enfant, dûment répertorié ou implicite, le soin de la femme à se protéger efficacement soit une priorité. C'est donc également parler « d'échec» de la contraception lorsqu'une grossesse survient dans ce cadre. C'est encore le fait, constaté lors du mémoire de M1, que « décider» sa maternité soit un élément qui prenne tellement d'importance dans les discours des interviewées.

La « pré-théorie» est tellement présente dans la société qu'elle en est presque transparente. Elle est diffusée par l'éducation; « (...) elle appartient au niveau de ces évidences premières qu'il est urgent de remettre en question, mais que le système préserve et reproduit par tous les moyens en sa possession (...) »66 C'est à Descartes que L. Sfez se réfère comme instigateur de la « pré-théorie» de la décision, mais un Descartes vulgarisé, caricaturé presque, celui qui est dans la culture commune. La pré-théorie se caractérise entre autres par un fractionnement de la décision en trois moments: délibération, décision, exécution, avec valorisation de la décision.

L'objet de l'ouvrage est précisément de déconstruire la décision cartésienne, en critiquant ses trois éléments que sont la linéarité, la rationalité et la liberté. Au-delà de cette déconstruction, l'auteur propose un cadre conceptuel critique et une méthode permettant d'analyser des processus décisionnels, en partant du « micro ».

L'auteur passe en revue les théories qui utilisent chacun de ces trois éléments, ainsi que celles qui les critiquent. Il propose également des emprunts à plusieurs

65 Sfez L., 1981, op. cit.

66 Ibid., p. 17.

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disciplines, notamment l'anthropologie structurale, l'histoire, la psychanalyse, la biologie, l'antipsychiatrie, la linguistique contemporaine et la sémiologie.

Dans un autre ouvrage67, l'auteur accompagne sa critique d'une typologie des théories. Ainsi, « l'homme certain» est celui qui correspond à la décision cartésienne. « L'homme probable» est celui de la décision moderne, définie comme un processus connecté à d'autres, marqué par l'existence reconnue de plusieurs chemins pour parvenir au même et unique but. C'est une étape avant de parvenir aux théories du changement d'une société contemporaine, multi-rationnelle, où l'homme est « aléatoire ».

Nous allons reprendre la démonstration de ce professeur de science politique pour comprendre ces trois éléments et la critique qui en est faite.

La linéarité

La linéarité est le point central du schéma classique. Elle suppose un commencement et une fin, en passant, dans l'ordre, par les différents points de la ligne. La décision est comprise entre des limites définies. La fin correspond à la réalisation du projet. A la place de cette linéarité, L. Sfez propose une approche systémique où la décision se déroule comme un récit.

La rationalité

La linéarité implique la rationalité car « Si la ligne est une construction de l'esprit, c'est parce que la raison impose une structure d'ordre à la discontinuité des points (...) »68. En voici la définition : « le comportement rationnel de l'homme est celui qui, l'éloignant des sens et des passions, lui permet d'envisager, avec la lumière de l'intelligence, les meilleurs moyens d'atteindre un but lui-même rationnel, c'est-à-dire soumis aux exigences de la raison »69.

L'action rationnelle est liée à la causalité, mais également à la normalité, car ce qui est en dehors des normes ne peut s'intégrer dans le monde.

67 Sfez L., 1984, op. cit.

68 Sfez L., 1981, op. cit. p. 32.

69 Ibid., p. 154.

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Pour critiquer la rationalité, il faut accepter un certain taux d'irrationalité de la nature humaine, mais ce n'est pas suffisant. L. Sfez propose le concept de multi-rationalité. Le passage à la multi-rationalité se fait en rejetant la linéarité, le progrès, l'efficacité (ou utilité) et la normalité, ces éléments du dispositif de la rationalité cartésienne, le progrès étant une vision linéaire de l'Histoire et la normalité au service de l'efficacité. En fait, chaque élément renvoie aux autres.

L. Sfez considère la décision comme un récit où différentes rationalités se font jour. Elles ne se juxtaposent pas, elles peuvent s'annuler, se gommer, s'entailler, se tordre et produire un effet de sens indépendant. Les rationalités des différents intérêts s'imbriquent par un effet de surcodage.

La liberté

La liberté est la condition de toute rationalité possible : « elle bloque la chaîne des événements et lui fournit « un commencement », un acte créatif qui permet, à partir de lui, d'établir un ordre linéaire ».70 Ainsi, la théorie rationnelle d'explication linéaire exige un sujet libre à l'égard des déterminations, sans être inséré dans un système de contraintes. La liberté pose l'individu isolé comme responsable de ses actes. Ce sentiment de liberté, qui résiste dans le vécu, est nécessaire, en effet: « Le système agit à travers ses acteurs à condition de leur laisser l'illusion qu'ils sont sujets libres et créateurs »71.

Pour l'auteur, puisque la décision est considérée comme un système, il y a une interdépendance entre les éléments du système et aucun ne peut être « libre» par rapport aux autres. Les décisions individuelles s'encadrent dans une « totalité agissante » et sont incluses dans un vaste système de contraintes. Pour autant, il est possible de penser qu'une décision, qui est « contrainte par l'ensemble du système historiquement déterminé par son mode de production même », est « libre », dans la mesure où « jouant sur plusieurs niveaux à la fois (multi-rationalité, multi-finalité), elle s'individue par "surcodage" »72.

70 Sfez L., 1981, op. cit., p. 34.

71 Ibid., p. 10.

72 Ibid., p. 271.

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L'auteur résume: « L'approche systémique nous a appris qu'une décision était liée d'une multitude de manières à l'environnement (culturel, politique, social, géographique, etc.), que ces liens, loin d'être causaux et simples réagissent les uns sur les autres et ne pourraient en aucun cas être analysés comme des chaînes déductives ordonnées selon une loi de la rationalité. (...) De plus, la critique du sujet, de son autonomie, non seulement a conduit à suspecter une finalité que le sujet proposerait pour lui, mais à la déplacer (il vise ceci mais en réalité il poursuit cela), à la condenser: il poursuit ceci et cela (sans même s'en douter, surtout quand les deux fins sont contradictoires)».73 La dernière partie de la citation concerne la multi-finalité (qui n'est pas à comprendre comme une négation de toute finalité).

Le surcode

« En termes de systèmes et de sous-systèmes, on peut percevoir chaque partie prenante d'une "décision" comme ayant son propre code, correspondant à la rationalité de son système: objectif, mode d'organisation, composition sociale, place dans le système global, définissent un "comportement" caractéristique qu'on appellera "code" »74.

Les codes ou « langages » additionnés produisent un effet de surcodage, qui est un effet de sens et dépasse les prévisions des codes. Chaque code ajoute une contrainte et des significations supplémentaires. Le surcode est un passage de code à code, par le travail des codes entre eux, qui se rapproche d'un travail de traduction.

Le surcode est aussi une méthode opératoire de traitement du récit. Cette méthode, utilisée pour les découpages de processus, met l'accent sur les discontinuités et les ruptures tout en respectant les continuités à l'intérieur d'un même code, d'un même sous-système ou d'une même séquence. Elle est composée de plusieurs étapes.

73 Sfez L., 1981, op. cit., p. 313.

74 Ibid., p. 324.

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Le traitement séquentiel

Cette étape permet de repérer les étapes et les actants. C'est l'organisation du matériau. Elle est formalisante car il s'agit de mettre le récit en séquences et donc de définir l'unité d'action qui couvre la séquence. Ainsi, le traitement séquentiel est déjà une phase théorique. L'auteur propose un système de fiches, avec une couleur par séquence et une fiche par actant, ce qui permet une double lecture du récit. D'une part, une cohérence se dégage de chaque séquence. D'autre part, on perçoit l'évolution de la rationalité de chaque actant pris séparément au fil des séquences.

« Peuvent alors se poser des questions très précises sur les rationalités en conflit, sur les passages de code à code, sur les torsions de rationalités entre elles, sur les impossibilités de torsion lorsqu'elles sont trop éloignées et relèvent de l'ordre de la "différence". Nous sommes passés déjà insensiblement de la première étape séquentielle, à la seconde étape du surcode structural ».75

Le surcode structural

Cette étape permet de localiser l'endroit où les sous-systèmes se frottent entre eux et tordent leur message. Les rationalités en présence traduisent, pour un actant donné, le message de l'autre avec le système de déchiffrement qui est le sien. Arrêtons-nous un instant sur les effets de sens de cette traduction. L'activité de traduction est torsion, trahison, véritable opération de transformation.

En prenant en compte cette activité, le surcode structural s'inscrit à l'opposé de l'idéologie de la communication (censée être transparente). « Si nous appliquons cette théorie de la traduction à l'analyse des séquences décisionnelles déjà formées, notre problème sera de montrer comment les actants en présence dans une situation et un moment donnés vont se transformer réciproquement, en traduisant leurs objectifs respectifs dans leurs codes respectifs ».76

75 Sfez L., 1981, op. cit., p. 323.

76 Ibid., p. 325.

· Le surcode analytique

Le chercheur propose ici la transposition de catégories analytiques dans le domaine social pour tenter une approche psycho--analytique des processus. « Les déformations successives que subit la poussée initiale, sa fragmentation, ses glissements entre différents objectifs quelquefois contradictoires se comprennent mieux si on sait, d'une part, que la pulsion est diffuse, indéfinie et que, d'autre part, la réalité extérieure érigée en systèmes fournit un objet à la pulsion qui l'investit mais de manière comme indifférente, investissement mobile sans cesse changeant d'objet, renouvelant la représentation ».77

Le langage psychanalytique nous étant trop étranger, nous préférons laisser de côté cette étape du surcode pour le traitement de notre corpus.

Ceci étant dit, la méthode du surcode proposée pour analyser les décisions déjà prises nous convient particulièrement car elle n'est pas normative. En effet, elle ne dit pas qu'il y aurait une solution meilleure que les autres. En cela, elle respecte la dignité des personnes participant à l'enquête.

L. Sfez a théorisé et utilisé le surcode pour analyser les politiques publiques, notamment des projets de transport urbain. Sa théorie et sa méthode nous semblent néanmoins applicables à la sphère de la vie privée, dans le champ étudié ici.

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77 Sfez L., 1981, op. cit., p. 340.

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La mise à l'épreuve empirique

Les hypothèses

Il s'agit maintenant de formuler des hypothèses empiriques, que nous libellons en ces termes:

- La logique de la « bonne gestion » contenue dans la vision de la maternité ne correspond que partiellement à la réalité et l'accès à la maternité n'est pas toujours anticipé. Et que l'accès à la maternité soit anticipé ou non, il existe des personnes plus fertiles que d'autres et donc plus exposées à une grossesse. Autrement dit, les grossesses effectives ne sont que la partie visible de comportements moins cartésiens que ce que l'on voudrait croire.

- Le processus de décision met en oeuvre plusieurs rationalités qui interagissent. Ces interactions ont lieu entre les différentes logiques et se nourrissent des échanges interpersonnels. Lors de ces échanges, la compréhension n'est pas transparente, il peut y avoir transformation du message.

- La domination masculine, comme composante sociale incorporée, joue
un rôle dans les normes qui régissent l'accès à la maternité.

- Le contexte socio--légal influe sur les représentations et sur la façon de
vivre cet événement.

La méthode de recueil des données

La méthode choisie pour cette recherche se situe entre l'approche phénoménologique et l'étude de cas. Ce choix nécessite des justifications, tant il est d'usage, en sociologie, d'utiliser une méthode purement phénoménologique pour étudier l'avortement (cf. les études de N. Bajos, M. Ferrand ; G. Cresson). Précisons dès à présent ce que nous entendons par ces termes. Selon une typologie de Robert K. Yin et J.W. Creswell, reprise par L. Albarello78, on peut distinguer 5 approches qualitatives:

-- la recherche narrative: il s'agit d'appréhender les différentes facettes de

78 Albarello L., 2011, Choisir l'étude de cas comme méthode de recherche, De Boeck.

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la vie de quelques personnes, ce que l'on appelle le parcours de vie. L'outil utilisé est le récit de vie.

-- L'approche phénoménologique: dans cette approche, qui s'appuie généralement sur des entretiens semi--directifs, on rencontre plusieurs individus ayant vécu le phénomène que l'on cherche à étudier.

-- La théorie ancrée: il s'agit de construire une théorie à partir du terrain en
étudiant les réactions d'un groupe homogène à un phénomène donné.

-- L'approche ethnologique: cette approche s'appuie plutôt sur de l'observation participative. C'est l'étude des valeurs partagées par un groupe avec des individus représentatifs.

-- L'étude de cas: cette méthode de recherche étudie « un ensemble d'interrelations situé dans le temps et localisé dans l'espace »79. Elle étudie une décision, un événement ou un projet en interrogeant les différents acteurs qui y prennent part.

Le choix de la méthode de l'étude de cas, telle que présentée par L. Albarello80, se justifie ici par l'objet d'étude: en effet, il est question de saisir la décision en tant que processus social menant à l'action d'avorter. A travers l'étude de ce processus nous aurons également des informations sur l'avortement comme phénomène social. Ce processus décisionnel est indissociable de son contexte et il est circonscrit dans le temps et l'espace. Dans le temps car il concerne spécifiquement la période de temps entre le moment où la femme concernée apprend ou soupçonne sa grossesse et le moment de l'interruption proprement dite. Nous avons déjà indiqué que cette manière de circonscrire le processus de décision subira des modifications lors de la confrontation avec les données du terrain. Dans l'espace, par les personnes qu'il concerne, à différents degrés. Ces personnes auront différents points de vue, ce qui enrichit la compréhension du processus décisionnel. L'étude de cas considère un cas comme étant social et relationnel, c'est sa dynamique interne qu'il s'agit d'appréhender.

Au niveau opérationnel, les techniques prises en compte par l'étude de cas peuvent être multiples, de l'entretien au questionnaire, en passant par l'observation et la recherche documentaire.

79 Albarello L., 2011, op. cit., p.16.

80 Ibid.

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Le traitement des données se fait en trois parties: premièrement, la description en profondeur du site. Deuxièmement, la condensation et la catégorisation des informations. Troisièmement, l'articulation avec des référents théoriques.

Nous pouvons constater que la deuxième étape, qui n'est pourtant pas encore totalement mise en lien avec le théorique, se rapproche de la mise en séquence (cf. précédemment, le traitement séquentiel) du surcode.

Il aurait été tentant d'utiliser cette méthode intégralement et exclusivement. Examinons les conditions requises:

- avoir connaissance du début du processus décisionnel (dès que la femme soupçonne une grossesse);

- être présent et pouvoir observer et avoir des entretiens au moment même du processus de décision;

- être présent et pouvoir observer les différents lieux;

- prendre en compte toutes les personnes concernées, aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine professionnel ainsi que médical.

L'objet de la recherche ne nous permet pas de remplir ces conditions. Premièrement, la recherche au moment même du processus décisionnel pose plusieurs problèmes. Nous n'avons pas trouvé d'entrée pour des sites de recherche adéquats: comment une femme pourrait-elle participer à l'enquête dès qu'elle soupçonne un début de grossesse? A moins de faire appel au cercle des intimes, car la parole ne circule pas aisément sur le sujet, ce qui ne serait pas sans poser d'autres problèmes, comme nous le verrons plus loin. Autre problème de cette temporalité d'enquête : la question éthique. Il n'était pas question de jouer un rôle au sein de ce processus en prenant la place d'une confidente, ou d'être prise à partie par l'un des acteurs sur ce qu'il convient de faire. Dans ce même registre, comment observer, par exemple, une discussion intime dans le couple sans changer complètement le sens de ce moment à deux? Autrement dit, quelle place pour l'observateur dans une situation intime? En ce qui concerne l'intégralité des personnes concernées et des lieux d'enquête, il ne nous a pas semblé possible d'y avoir accès.

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Face à tant de difficultés, pourquoi persister à suivre l'approche de l'étude de cas? L'intérêt de prendre en compte plusieurs points de vue sur une situation nous paraît au fondement même de la théorie du surcode. La richesse de la mise en perspective des discours nous a semblé justifier la tâche ardue d'adapter cette méthode de recueil des données.

La méthode utilisée a été une adaptation des deux approches, fonctionnant en plusieurs étapes. La porte d'entrée du travail de terrain était un entretien avec une femme ayant vécu une IVG dans les trois années précédent l'enquête, dans une approche classiquement phénoménologique. Ensuite, à partir d'une première analyse de l'entretien, nous repérions la ou les personnes prenant part à la décision. Ici, deux cas de figure: soit la femme revendiquait avoir pris la décision seule et il n'y avait pas de possibilité de poursuivre avec l'étape suivante; soit la femme nommait la ou les personne(s) ayant eu un rôle dans la décision. Nous lui demandions alors l'autorisation d'avoir un échange avec cette/ces personne(s), qu'elle contactait en premier pour expliquer de quoi il s'agissait et, si la personne était d'accord, elle nous transmettait ses coordonnées. Cette manière de procéder, par la priorité accordée au respect des différentes personnes impliquées, était extrêmement aléatoire car des refus à plusieurs niveaux pouvaient opérer.

L'accès au terrain et les phases de la recherche

Dans cette sous-partie nous allons détailler le déroulement de ce travail de recherche. Pas pour le plaisir de raconter un cheminement, mais pour l'impact certain d'éléments d'ordre privé. Autrement dit, certains événements personnels nous ont poussée à adopter un certain positionnement ou à mener des actions différentes de notre choix premier. Ils nous ont également apporté des questions nouvelles par rapport à la recherche et par rapport aux liens entre enquêteur / enquêtés / travail de recherche.

« Si la relation d'enquête se distingue de la plupart des échanges de l'existence ordinaire en ce qu'elle se donne des fins de pure connaissance, elle reste, quoi qu'on fasse, une relation sociale qui exerce des effets (variables selon les différents paramètres qui peuvent l'affecter) sur les résultats obtenus. Sans doute l'interrogation scientifique exclut-elle par définition l'intention d'exercer une forme quelconque de violence symbolique capable d'affecter les réponses; il reste qu'on ne peut pas se fier, en ces matières, à la seule bonne volonté, parce que toutes sortes de distorsions sont inscrites dans la structure même de la relation d'enquête. Ces distorsions, il

s'agit de les connaître et de les maîtriser; et cela dans l'accomplissement même d'une pratique qui peut être réfléchie et méthodique, sans être l'application d'une méthode ou la mise en oeuvre d'une réflexion théorique. (...) Le rêve positiviste d'une parfaite innocence épistémologique masque en effet que la différence n'est pas entre la science qui opère une construction et celle qui ne le fait pas, mais entre celle qui le fait sans le savoir et celle qui, le sachant, s'efforce de connaître et de maîtriser aussi complètement que possible ses actes, inévitables, de construction et les effets qu'ils produisent tout aussi inévitablement ».81

Pour saisir les enjeux de l'accès au terrain spécifiques à cette recherche, nous proposons un détour par les différentes phases qui l'ont structurée. En effet, une recherche menée pour un mémoire de M2 s'inscrit dans une temporalité universitaire dans laquelle d'autres éléments peuvent interférer. Ayant conscience de l'impact de ces interférences, nous avons choisi de les expliciter au maximum dans le développement suivant.

Cette recherche, nous l'avons déjà mentionné, s'inscrit dans le prolongement des interrogations laissées en suspens par le mémoire de première année de Master. Le M2, commencé un an plus tard, s'est déroulé sur deux années universitaires, par correspondance, en parallèle d'une vie professionnelle et familiale. La première année a servi à choisir les références théoriques les mieux adaptées ainsi qu'à mener une pré-enquête.

La pré--enquête

L'entretien de pré-enquête mérite d'être abordé en profondeur car c'est, de toutes les situations étudiées pour cette recherche, celle qui fait intervenir le plus d'interlocuteurs pendant le processus de décision. Si cette richesse nous a permis de percevoir des ressorts cachés, le foisonnement d'éléments nous a laissée quelque peu désarçonnée.

Présentation et résumé (extraits de cahiers de recherche, ce qui explique l'usage de la première personne du singulier)

Sophie est une amie de longue date. Son IVG a eu lieu environ un an et demi avant l'entretien. Déjà à l'époque de cet épisode de sa biographie, j'avais été très proche car choisie comme confidente. Très souvent en contact avec elle, dans une posture à la fois distante et proche. Distante physiquement car nous ne nous voyions pas (éloignement géographique). Distante aussi car je ne connaissais pas les autres protagonistes de cette histoire. Proche car nous abordions des sujets intimes. J'avais un rôle de soutien et d'écoute.

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81 Bourdieu P. (dir.), 1993, La misère du Monde, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points ».

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C'est lors de cette période que mon questionnement au sujet de l'IVG s'est affiné. Sophie a donc un rôle particulier dans cette recherche car j'ai pu observer tout le processus au moment des faits ainsi que les évolutions dans le temps. Elle a donné son accord pour que je « dissèque » son histoire et pour servir de « cobaye » pour affiner le guide d'entretien. Il y avait donc, dans les conditions de réalisation de cet entretien, une marge acceptable de maladresses.

Il était important de formaliser son vécu au moyen de l'entretien, de la retranscription, du résumé. Cette formalisation m'a permis de m'approprier son récit pour pouvoir travailler avec. Il faut ajouter que Sophie est familière des techniques de l'enquête, elle a étudié la sociologie (et auto-analyse son parcours de ce point de vue). Lors du traitement de l'entretien je ne prendrai pas en considération ma propre participation, qui n'apporte pas d'éléments significatifs.

La structure de l'entretien a été la suivante: une consigne très vague, laisser parler en essayant de repérer les éléments importants. Puis reprendre les points un par un et consacrer du temps pour chaque personne mentionnée, interroger sur les rapports à l'institution médicale, sur le corps. Il n'a jamais été question que je puisse interroger les autres protagonistes.

Résumé de l'entretien :

A l'époque où Sophie tombe enceinte, elle est étudiante et vit en colocation. Elle vit une relation tumultueuse avec un garçon, Alexandre. Lors d'une rupture, elle avait fait la connaissance d'un autre garçon, Gabriel, et elle a repris sa relation avec Alexandre tout en poursuivant celle entamée avec Gabriel. Comme contraception, elle compte les jours et utilise la méthode du retrait, ne voulant pas prendre la pilule (pour des raisons médicales, Sophie est une grosse fumeuse) et ayant renoncé à imposer le préservatif une fois levée toute inquiétude sur les maladies sexuellement transmissibles.

Un léger retard l'inquiète. Un copain l'emmène acheter un test de grossesse en pharmacie. Il se révèle positif. Elle ressent physiquement des symptômes de grossesse. L'émotion est très forte et se traduit par des pleurs. L'idée de l'avortement ne s'exprime pas verbalement dans l'immédiat, bien qu'elle ait eu très rapidement une idée de ce qu'elle allait faire.

Elle en parle à sa mère qui, catastrophée, réagit fortement, lui demandant si elle veut une « vie de merde ».

Tout de suite après, elle en parle à Alexandre qu'elle désigne à cette période-là comme étant le géniteur, bien qu'elle n'en ait aucune certitude. Lui ne veut pas d'enfant. Il lui demande froidement ce qu'elle envisage de faire.

Elle en parle à son père qui lui parle de projet de vie, de projet d'enfant et de capacité d'accueil. Il est lui aussi en faveur d'un avortement.

Les quelques amis proches à qui elle en a parlé (son colocataire et 3 autres garçons) trouvent que c'est très bien qu'elle fasse une IVG. Elle ressent de l'agacement car ils le lui disent souvent.

Elle en parle à sa grande soeur qui vit à l'étranger avec sa famille et qui lui demande de se projeter huit mois plus tard, de peser sa décision pour ne pas avoir de regrets.

Une de ses amies, Lisa, tombe enceinte à la même période. Ensemble, elles vont vivre un moment de rêve éveillé où les deux jeunes femmes envisagent de poursuivre leur grossesse: elles plaqueraient leurs mecs, habiteraient ensemble, travaillant l'une la journée, l'autre de nuit, et élèveraient les enfants toutes les deux. Une fois passé ce moment de délire, les contraintes de la réalité sociale les amènent à retourner à leur vie. Lisa décide dans un premier temps d'avorter, puis de garder l'enfant et finit par faire une fausse couche le jour où Sophie a son IVG.

Gabriel pirate son compte Facebook et découvre la situation. Il pense que l'enfant est de lui et veut fonder une famille. Comme elle dément, il lui dit qu'Alexandre est tellement moche qu'elle a raison d'avorter.

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Médicalement, Sophie a opté pour une IVG médicamenteuse. Elle veut qu'on lui fasse le minimum et ne pas aller à l'hôpital. Elle voit une jeune généraliste qui prend le temps de la rassurer et une gynécologue débordée qui a fait son travail sans véritable accompagnement, ce qui l'a déçue et blessée. Sophie a été surprise et choquée par les manifestations d'ordre physique engendrées par l'IVG médicamenteuse: beaucoup de douleur et de sang, une longue convalescence.

Un autre aspect difficile est que ce choix d'avorter l'a renvoyée à un sentiment de culpabilité de ne pas être en mesure d'accueillir un enfant. Et une remise en question de sa vie dans un peu tous les domaines. Elle affirme que la décision d'avorter a été la sienne mais elle constate que les autres avaient déjà décidé pour elle.

Cet épisode a marqué un tournant dans sa façon de considérer et de traiter son corps, qu'elle perçoit désormais comme un corps fertile. Elle est vigilante quant à la contraception. Elle cherche aussi, de façon peut--être paradoxale, à construire une situation de vie (au niveau du couple et du travail) qui lui permette d'avoir l'enfant si elle devait retomber enceinte accidentellement.

Les pistes ouvertes ou confirmées par cet entretien sont nombreuses car l'entretien est très riche. D'une part, parce que Sophie était dans une situation de vie qui fait intervenir beaucoup de « personnages secondaires ». D'autre part, parce que beaucoup de personnes significatives ont pris part aux interactions.

Listons ces « personnages secondaires » :

· Les copains (celui qui l'emmène acheter le test, celui avec qui elle échange des messages sur internet, son colocataire, ...)

· Alexandre

· Gabriel

· Sa mère

· Son père

· Sa soeur

· Lisa

· Sans oublier le personnel médical: l'échographe, la jeune généraliste et la gynécologue « débordée»

Dans cette liste, revenons sur les rôles des personnes significatives dans la décision. N'oublions pas que nous nous basons uniquement sur le récit de Sophie et que les autres personnes n'ont pas été interviewées.

Alexandre, investi comme père potentiel. C'est d'ailleurs lui qui joue un des rôles les plus importants dans cette décision d'IVG car Sophie admet qu'elle n'aurait

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pas pu prendre la décision d'avoir cet enfant sans son accord. Pourtant, Alexandre se désinvestit de la situation. D'un côté, il laisse clair son refus d'avoir un enfant. De l'autre, il laisse à Sophie la main sur la décision. C'est lui qui paiera la part de l'intervention qui n'est pas prise en charge par la Sécurité sociale. Dans le récit de cette IVG, le flou autour du géniteur, avec la présence de deux hommes, permet de mettre en évidence un fait qui aurait pu rester dans l'ombre autrement. Pour Sophie, bien qu'il y ait deux hommes, il n'y a qu'un seul couple dans lequel elle s'investit. Le potentiel futur père (d'un point de vue social, envers qui les attentes sont très fortes) ne peut que faire partie de celui-ci. Ainsi, c'est la femme concernée par la grossesse qui qualifie le « père ». Les parents sont également très importants pour Sophie vis-à-vis de cette décision. Elle sent bien qu'ils sont hostiles à la venue d'un enfant dans sa vie à ce moment-là, dans ces conditions-là. Et notamment, avec ce compagnon-là. On perçoit que ses parents réagissent aussi par rapport à l'image du couple que forment Sophie et Alexandre. Le couple n'était pas très stable et avait connu de récentes ruptures, Alexandre n'inspire pas confiance à l'entourage en tant que père potentiel. Les parents, qui connaissent l'attachement de Sophie pour cet homme, craignent que cela soit une raison qui la pousse à poursuivre la grossesse. Elle pense qu'ils l'auraient soutenue quelle que soit sa décision mais il semblerait qu'elle attend plus que ça de ses parents. La venue d'un enfant se place alors dans un contexte social élargi au-delà de la femme, au-delà du couple et englobe également les futurs grands-parents. Nous pouvons percevoir les logiques à l'oeuvre: la logique du parcours de vie, où il faut être à un certain moment de sa vie, il ne faudrait pas avoir un enfant trop tôt pour ne pas gâcher sa vie. Il faut une stabilité dans sa vie avant de prétendre à avoir un enfant. C'est le discours de la mère, qui a peur pour sa fille, peur qu'elle ne sombre dans la précarité en ayant un enfant sans avoir pu établir un certain confort économique. Il y a également la logique de l'enfant projet, où l'enfant doit être voulu et ne pas arriver comme un cheveu sur la soupe. C'est le discours porté par le père, dans une vision gestionnaire de la vie privée. Avoir un enfant, c'est quelque chose qui se décide à deux, c'est un projet qui mûrit.

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Les autres personnes de la liste des « personnages secondaires» citées dans l'entretien ont un rôle d'accompagnement. Il s'agit d'être là physiquement pour les amis sur place qui l'accompagnent aux différents rendez-vous. Ainsi, même si elle est énervée par le fait que ses amis lui rappellent souvent que l'IVG est la meilleure solution, elle ne leur en veut pas car elle sait qu'ils veulent qu'elle souffre le moins possible. C'est aussi une écoute particulière, notamment de la part de sa soeur, qui lui permet de se sentir bien avec sa décision. Lisa, quant à elle, a un rôle de miroir et d'alliée contre les hommes et leur importance dans la décision. On notera que les deux jeunes femmes expriment une certaine violence à l'égard des hommes impliqués (« on jette nos mecs »). La présence de Lisa dans ce récit permet de prendre en compte une manifestation de la domination masculine.

Examinons les éléments qui nous permettent de comprendre comment Sophie a vécu cet événement. Dans ce récit, la jeune femme qui vit un avortement n'est pas une mère. C'est-à-dire qu'elle n'a pas (ou pas encore) d'enfant. Ce fait paraît important à souligner car entrer dans la maternité, c'est accéder à un statut particulier, qui représente une réussite. Etre mère est très positivement connoté.

Si la maternité, et particulièrement la grossesse, favorise une réflexivité positive, un travail sur soi82, en revanche l'expérience de l'IVG, ce « refus de maternité », renvoie une image négative de soi. De plus, lorsque les lieux médicaux sont les mêmes (ici la salle d'attente d'un cabinet de gynécologie, avec des dames « qui étaient toutes plus enceintes les unes que les autres »), Sophie est sans cesse confrontée au fait qu'elle fait un choix qui va dans le sens contraire de ce qui se passe là. Les codes de l'examen médical sont aussi inversés: ainsi, un embryon « bien implanté » représente une mauvaise nouvelle.

Il y a dans l'IVG un double mouvement de la femme qui refuse la maternité et de la maternité qui se refuse à elle. Avorter renvoie à un échec, à une incapacité, et touche à l'image de soi. Ici, dans l'entretien, nous voyons Sophie qui jette un

82 Menuel J., 2011, Devenir enceinte, Socialisation et normalisation pendant la grossesse: Processus, réceptions, effets, mémoire de Master 2 : sociologie, EHESS : « Le devenir mère est également devenu un objet de travail sur soi, une expérience marquante qui doit être source de réflexion personnelle ».

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regard critique sur sa situation de vie, qu'elle décrit avec des termes négatifs. Il semblerait qu'elle déplore de ne pas être en mesure d'accueillir cet enfant. Par ailleurs, elle semble aussi porter un jugement négatif sur le fait qu'elle n'ait pas évité cette grossesse.

L'intervention en elle-même était par médicaments. Sophie a été choquée par les réactions de son corps: la douleur, le sang, la durée de l'événement lui ont fait regretter d'avoir choisi cette méthode.

Ainsi cet entretien de pré-enquête a ouvert de nombreuses pistes et, par sa richesse même, a créé un certain chaos qui bloquait toute progression.

Une phase de stagnation

Nous avions les outils théoriques et les pistes de recherche mais la porte d'entrée pour le terrain était introuvable. La recherche a stagné quelques mois, pendant lesquels la réflexion se poursuivait, souterraine, et les hypothèses prenaient forme.

Sur ces entrefaites, survient un événement qui aurait pu mener à l'abandon pur et simple du projet de recherche: l'enquêtrice est enceinte. Le questionnement qui suivit fut intense. A première vue, ce fait paraissait peu compatible avec un travail sur l'avortement, apportant un lot de nouvelles contraintes:

· Des contraintes matérielles, car il fallait déjà concilier le travail universitaire avec un travail alimentaire et une vie de famille.

· Des contraintes « psychologiques », qui nous ont poussée à faire la part des choses de façon encore plus rigoureuse.

Ces contraintes personnelles engageaient la responsabilité de l'enquêtrice et de son entourage. Elles ont représenté un défi, mais pas un obstacle majeur.

· Et enfin, les plus difficiles, les contraintes vis-à-vis du terrain. La peur

d'imposer une violence symbolique aux enquêtées, l'impossibilité morale d'arborer un ventre arrondi en posant des questions qui pouvaient les renvoyer à un vécu difficile, nous ont fait prendre des décisions drastiques.

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Les entretiens auraient lieu uniquement avec des personnes complètement inconnues, qui ne pouvaient savoir la condition de femme enceinte de l'enquêtrice. Pour remplir ces conditions, un recrutement par le biais de forums de recherche sur internet nous a semblé pertinent.

Les entretiens auraient lieu par téléphone. Ainsi, nul besoin de constater la grossesse pour l'enquêtée, nul besoin de la justifier pour l'enquêtrice. Car malgré la posture de neutralité adoptée pour cette recherche, le corps envoyait un message orienté.

Nous avons posté une annonce sur deux forums, dans des sections consacrées à l'IVG, avec un lien renvoyant à un questionnaire en ligne. Le questionnaire finissait par la demande d'autorisation pour contacter la personne par téléphone pour un entretien approfondi. Les forums83 ont été choisis tout simplement car ce sont les deux premiers qui s'affichent lorsque l'on fait une recherche de type « forum IVG » sur un moteur de recherche. Les « post» de ces forums ont été lus, étudiés même, pour dégager le langage qu'il convient d'utiliser. Le ton de l'annonce calque celui trouvé sur ces forums pour réduire la distance (en effet l'enquêtrice n'est pas là au même titre que les autres participantes, qui viennent échanger autour de leur expérience), en espérant par ce procédé leur donner envie de participer à l'enquête.

Si plusieurs personnes ont répondu au questionnaire (7), il est significatif qu'aucun entretien n'ait pu se faire. En effet les prises de contact téléphoniques n'aboutissaient pas. La période des fêtes de fin d'année, proche, a aussi sûrement joué un rôle défavorable. L'annonce a été retirée.

Nous avons ainsi constaté que l'approche de parfaits inconnus pour un sujet dit sensible pouvait produire certains résultats, mais pas ceux escomptés. Ces personnes étaient d'accord pour donner des informations factuelles et rapides, mais n'étaient pas assez engagées dans la relation avec l'enquêtrice pour échanger davantage.

83 Forums dédiés à l'IVG des sites Doctissimo et Au féminin.

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Changement de cap

Le temps du mémoire n'étant pas illimité, nous avons dû revoir fondamentalement notre approche du terrain. Nous avons fait appel à un vaste réseau de connaissances, par e-mail, demandant si elles connaissaient des personnes répondant à quelques critères.

Nous avons eu beaucoup de réponses, la plupart négatives, mais un grand nombre de réponses positives également. Certaines des personnes contactées correspondant aux critères se sont proposées elles-mêmes. Ici, nous devons marquer un arrêt et souligner, en les remerciant, le rôle crucial de ces contacts, qui ont pleinement joué le rôle de personnes relais. En effet, leur présentation de l'enquête et de l'enquêtrice a dû être suffisamment attrayante pour que les potentielles interviewées acceptent d'être recrutées. Mais au-delà, c'est leur propre relation d'amitié avec les femmes qui correspondaient aux critères de recherche qui est entrée en jeu : plus d'une interviewée a en effet reconnu accepter parler de ce sujet pour « faire plaisir » à untel ou unetelle.

Ce recrutement, outre qu'il ne répond pas à notre volonté d'interviewer des inconnues, présente comme biais une certaine homogénéité culturelle et sociale de l'échantillon.

Les femmes interrogées habitent toutes en France métropolitaine, dans le Sud-est, le Sud-ouest, les Alpes et la région parisienne. La quasi-totalité des entretiens a été faite par téléphone. Deux exceptions sont à signaler: pour deux des interviewées, l'entretien a eu lieu à leur domicile. Dans une de ces situations, l'entretien s'est déroulé en présence du mari, qui ne voulait pas y participer dans un premier temps, mais a fini par prendre part à l'échange.

Les entretiens

Les entretiens ont commencé en mars 201384, pour se poursuivre jusqu'au mois de septembre, en fonction des situations.

84 A ce moment-là l'enquêtrice n'était plus enceinte.

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L'étude se situe dans le cadrant compréhension/expérimentation de la classification des techniques. Nous avons utilisé l'entretien centré, forme d'entretien semi-directif autour d'un thème annoncé.

Guide d'entretien

« Bonjour,

Je m'appelle Sarah et j'étudie la sociologie. Je suis l'amie de X, qui m'a donné vos coordonnées.

Recherche sur le processus de décision de l'IVG (expliquer la recherche), on va parler surtout du

laps de temps entre le moment où vous avez su que vous étiez enceinte et l'intervention.

Décrivez-moi votre vie avant cet épisode.

Comment avez-vous su que vous étiez enceinte?

A qui en avez-vous parlé? Comment ça s'est passé? (Détailler chaque interlocuteur, insister sur

les échanges verbaux)

Démarches, relations avec l'équipe médicale

Corps

Coût financier

Contraception

Avez-vous pris la décision seule/ qui a participé à la décision/ à quel moment avez-vous tranché?

Ce qui a changé depuis

Opinion générale sur l'avortement

Choses à ajouter?

D'accord pour être recontactée ? Remerciement »

Description de l'échantillon

Au total, huit femmes ayant vécu une ou deux IVG dans les 3 dernières années (pour un total de 10 IVG) ont été interviewées. Un second entretien, bref, reprenant quelques points précis, a pu être réalisé dans la plupart des cas. Des entretiens ont également été menés avec quatre des hommes « coresponsables» de la grossesse interrompue, une soeur confidente et une conseillère conjugale et familiale dont le travail consiste à faire les entretiens pré-IVG dans un centre hospitalier.

Le monde médical

Idéalement ce travail aurait comporté un volet sur l'accompagnement médical de l'IVG. En effet, le dispositif, tel qu'il fonctionne aujourd'hui en France, met la femme (ou le couple) qui veut avorter en contact avec plusieurs professionnels appartenant au monde médical au sens large. Un premier rendez-vous avec un/e généraliste, puis un/e gynécologue en consultation privée ou à l'hôpital, l'échographe, le/a conseiller/e conjugal-e et familial-e (souvent appelé « psy » par les interviewées). Des rencontres considérées par certaines comme autant d'étapes à franchir dans le marathon de l'avortement. Les représentations, les opinions de toutes ces personnes ont un impact sur le vécu de l'intervention, parfois sur la décision même. Car il s'agit bien d'une relation de pouvoir où les interlocuteurs n'ont pas le même poids.

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Nous avons dû renoncer à ce volet pour une raison encore une fois de temporalité. Nous souhaitons néanmoins prendre en considération l'entretien avec la conseillère conjugale et familiale de l'hôpital dans nos résultats d'analyse. En voici le résumé :

Un entretien de recherche avec une personne dont le travail consiste à mener elle-même des entretiens. Ce renversement des rôles créait une certaine tension chez la conseillère, qui s'est inquiétée à plusieurs reprises de notre jugement.

Employée du Centre de planification de l'hôpital, son travail consiste principalement à recevoir les femmes et éventuellement leurs accompagnateurs, pour l'entretien pré-IVG. Selon elle, l'entretien a trois objectifs majeurs: parler librement, expliquer le déroulement de l'IVG et résoudre les problèmes de contraception.

Parler librement: La conseillère pense que ce que les femmes viennent chercher, c'est un moment d'écoute, et que c'est ça le plus important. Elle relate que certaines de ces femmes sont très seules et n'ont personne d'autre à qui en parler. La conseillère pense que l'IVG peut être l'occasion d'ouvrir les yeux sur ce qu'on vit. Car, selon elle, « C'est pas toujours un désir d'enfant une grossesse. Tester si on est fertile, dire quelque chose dans sa famille (...) ». Elle essaye, avec ses interlocuteurs, de balayer toutes les possibilités, de les projeter dans le futur, de les faire réfléchir à ce que c'est vraiment. Dans les cas de consultation en couple par exemple, si les deux ne sont pas d'accord, elle offre un espace de médiation, le triangle permettant que chacun s'entende sans s'énerver. Il lui arrive également de devoir rappeler la loi : personne ne peut forcer une femme à avorter, ou de la contourner: lorsque le délai pour faire l'IVG en France est dépassé, elle oriente sur l'Espagne.

Expliquer le déroulement de l'IVG : Il s'agit surtout d'accompagnement et de rassurer ceux qui s'inquiètent. Elle indiquera à plusieurs reprises qu'elle a davantage de temps pour le faire que les médecins, les secrétaires...

Les problèmes de contraception : il s'agit de parler de « ce qui a cafouillé » et de ce qui sera mis en place après. Cet aspect est très important à ses yeux et revient plusieurs fois au cours de notre entretien. Pourtant, questionnée sur les personnes qui reviennent pour une seconde IVG, elle se résigne : « Alors, là, on reparle contraception, qu'est-ce qui s'est passé? Mais franchement, au fond de ma tête je me dis, parce que la contraception, on aura beau avoir toutes les méthodes possibles, il y a des choses plus fortes que la raison ».

Ce qui la touche le plus, c'est lorsque la personne hésite. Elle distingue plusieurs types d'hésitation :

- Lorsque le compagnon est parti : Si la femme a un certain âge, ou si elle n'a jamais eu d'enfant. - Lorsque la situation financière ne le permet pas (elle prend de la distance par rapport à ce motif souvent évoqué : « C'est ce qui est dit, ce qui est mis en avant ». « Il y a des fois je sais pas » ; « je prends ce qui m'est dit. Je ne suis pas là pour juger »), ce qui concerne surtout les couples qui ont déjà plusieurs enfants.

- Les jeunes filles qui voudraient bien poursuivre leur grossesse mais qui ne peuvent pas car « vis-à-vis des parents, de la famille, c'est compliqué, ils ont pas fini leurs études, ils n'ont pas d'argent... ». Quelquefois les parents viennent avec, dans l'espoir que la conseillère fasse changer d'avis la jeune fille. Même si elle refuse de prendre ce rôle (« moi je suis pas là pour ça »), elle ne peut s'empêcher d'avoir un avis sur ces grossesses dites précoces: « On ne peut pas se départir complètement de ce qu'on sent. Y a des filles, on sent que l'histoire elle est mal partie quoi », « moi je trouve que ça traduit un malaise de la société. C'est pas le désir d'enfant. Enfin, c'est pas un désir d'enfant normal ».

Dans l'hôpital où elle travaille, la procédure peut varier en fonction de la secrétaire qui prend les rendez-vous. Car si les mineures sont obligées d'avoir cet entretien, pour les femmes majeures il est optionnel. Certaines secrétaires ne précisent pas ce caractère optionnel et « envoient d'office ». Cela ne dérange pas la conseillère, qui pense que c'est bien que les femmes viennent la voir. Elle craint qu'un choix ouvert rebute les patients: « Souvent, les gens ne savent pas ce

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qu'est une conseillère conjugale. Ils se font une fausse idée. Si on leur proposait ils diraient non. Alors que je pense que ça peut les aider, en fait ».

Avec cette remarque, nous nous retrouvons face au flou qu'elle ressent autour de sa profession : « ça porte mal son nom conseillère. Ça vient de l'anglais conselling, tenir conseil ensemble pour trouver une solution, c'est pas pour leur donner des conseils ».

Dans la formation même des conseillères, il semble y avoir une grande diversité. Cette conseillère avait été formée par le Planning familial qui se positionne « plus sur le terrain ». Elle explique qu'il existe également des formations par l'Ecole des parents « qui est plus poussée psychanalyse, je crois » et par le Cler, « une école de conseillères qui est catho, carrément ».

Elle est consciente de l'impact que l'entretien peut avoir et cherche à respecter les limites de son rôle : « Après, moi, je suis pas psy, je veux pas aller au-delà de mon rôle. Et ça c'est difficile aussi, je trouve, la limite de, comment ça s'appelle quand on rentre trop dans l'intimité des gens? ». « C'est pas anodin quelqu'un qui pose des questions ». Elle déplore le manque de lieu de réflexion autour de sa pratique professionnelle, ainsi que le manque de retours : « je sais pas si je les aide » ; « je sais pas si je fais bien, hein ».

Revenons à notre échantillon. Les 8 femmes interrogées avaient entre 18 et 40 ans au moment de l'entretien, parmi lesquelles 4 avaient environ 30 ans (de 29 à 31). Pour cinq d'entre elles il s'agissait de la première IVG. Deux d'entre elles ont voulu me faire part de deux IVG chacune, qui avaient eu lieu dans les trois dernières années, période concernée par l'enquête, et qui étaient liées. Sur ce total de 10 IVG, 4 l'étaient par intervention chirurgicale et 6 par voie médicamenteuse. La moitié des femmes interviewées avait déjà un ou plusieurs enfants au moment de l'IVG.

Le choix d'interviewer la soeur confidente se justifie non pas par sa participation effective à la décision, mais pour cerner les contours et les enjeux de ce rôle. En effet, la confidente était un personnage présent dans la plupart des situations.

Nous souhaitons ajouter quelques précisions au sujet du second entretien réalisé avec la quasi-totalité des femmes de l'échantillon. Il s'agissait de rappeler les femmes interrogées quelques temps après l'entretien principal afin de compléter, par des questions ciblées, quelques informations trop partielles, ou de vérifier la compréhension d'un enchaînement de faits, d'une chronologie. Ce procédé, prévu dès le premier entretien, permettait à l'enquêtrice de garder une porte ouverte en cas de besoin. Il a cependant posé quelques problèmes. Pour l'une des femmes interrogées, les événements intermédiaires ont été tellement éprouvants (nouvelle IVG et perte d'un membre de sa famille) qu'elle n'a pas

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souhaité nous parler à nouveau, répondant tout de même partiellement à quelques questions par e-mail. Pour une autre, la situation avait totalement changé : elle n'avait plus le même discours vis-à-vis de son IVG, disant la regretter au moment du deuxième entretien. Il ne nous est pas possible de prendre ce fait en compte dans notre analyse. En effet, il aurait fallu faire un deuxième entretien approfondi et traiter la situation de manière diachronique. Nous le mentionnons toutefois car il est significatif dans la mesure où le discours recueilli à un moment donné n'a de valeur que par rapport à ce moment-là. Il est important de garder en mémoire que l'état d'esprit d'une personne concernant un fait vécu change avec le temps. Cette dimension mériterait d'être prise en compte à part entière dans une enquête plus approfondie.

Nous n'avons pas cherché à établir un échantillon représentatif de la population. La diversité réside dans l'âge, les périodes de vie, les configurations relationnelles. Si par cette diversité nous pouvons affirmer que l'enquête est significative, nous ne pensons pas avoir atteint un point de saturation.

En effet, le contraste entre l'entretien de pré-enquête et les entretiens du corpus analysé nous rappelle que les situations de vie les plus originales, dans le sens de moins courantes, apportent beaucoup à la compréhension des mécanismes et des enjeux.

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Bien que non représentatifs, ni de la population en terme de caractéristiques socioculturelles, ni de la diversité des situations vécues, et dans la mesure où l'objet de cette enquête est de comprendre un processus, les quelques cas étudiés vont nous permettre de répondre à nos hypothèses de recherche, et de poser sur la question un nouveau regard.

Le rapport à l'objet (contrairement aux règles académiques, le sujet change pour cette partie plus personnelle et je passe du "nous" au "je" l'espace de cet encadré) :

Voici une note plus personnelle, adressée avant tout aux personnes que j'ai connues au cours de la recherche et qui ont accepté de m'accorder le temps et les mots d'un entretien. Grâce à elles, ce mémoire existe. Un grand nombre de ces personnes m'ont spontanément demandé si elles pourraient avoir accès aux résultats, et c'est pour moi un devoir et un honneur de leur restituer. Le mémoire sera disponible en ligne et l'adresse internet communiquée à tous les enquêtés.

J'ai le sentiment qu'il serait juste que je me dévoile également, après avoir entendu leurs histoires intimes. Que je leur dois de donner, au-delà de l'enquête, de l'analyse, du travail intellectuel, un peu de ma personne. Du point de vue de la pertinence pour le travail de recherche, les conditions de production de ce mémoire ayant été particulières, les analyser donnera certainement plus de profondeur au propos.

C'est l'influence que mon parcours personnel a pu avoir sur ce travail que j'essaierai de déterminer à présent. Quoi dire ? Où s'arrêter ? Oui, moi aussi j'ai vécu une IVG. Et comme tant d'autres j'aurais préféré ne pas avoir à passer par là. Mais il se trouve qu'un autre enfant n'était pas envisageable à ce moment-là. En revanche, non, ce n'est pas parce que j'ai vécu une IVG que j'ai choisi ce thème de recherche. Disons que, peut-être, le fait d'avoir connu cette « expérience » m'a permis de me sentir autorisée à traiter la question.

En réalité c'est un avortement que je n'ai pas fait, alors que tout mon entourage proche ou éloigné l'aurait trouvé tout-à-fait normal, qui m'a fait me poser autant de questions sur le rapport des femmes à la maternité. Je n'avais pas prévu de tomber enceinte. J'avais 16 ans. Lycéenne et pas en couple stable. Mon petit copain, étranger, était déjà retourné dans son pays au moment où j'ai su que j'étais enceinte. C'est le médecin qui a insisté pour que je fasse le test car je n'en voyais pas la nécessité, nous nous étions toujours protégés. Mais voilà, quand j'ai su, c'était clair. Ma décision, j'ai dû la défendre contre tous. Ce n'était absolument pas normal qu'une jeune fille de 16 ans, dépendante financièrement, avec « tout l'avenir devant elle », et cetera, décide de poursuivre une grossesse. Il faut préciser que ce n'était pas un choix idéologique, mais une force interne, difficile à expliquer. De même, pour dissiper tout malentendu, je ne pense absolument pas que les jeunes filles qui tombent enceintes devraient toutes poursuivre leur grossesse. À l'époque je n'ai pas compris pourquoi certaines personnes de mon entourage se permettaient autant de s'immiscer dans ma vie et d'essayer de m'imposer leur point de vue. La solution, pour moi, des années plus tard, a été de chercher à comprendre les normes sociales de la maternité, les différents aspects du rapport à la maternité et les logiques en filigrane. Ainsi, dans mon parcours, la maternité est liée aux études.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius