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La problématique de la réparation du préjudice moral en droit positif congolais

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par Arthur Nton mayele
Université de Kinshasa - Graduat 2013
  

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SECTION II LE DOMMAGE « MORAL »

§1 DEFINITION

Il s'agit des atteintes à l'honneur d'une personne, à sa considération, à sa réputation et ce, par des écrits, des injures, des paroles diffamatoires ou par tout autre moyen (ex. Adultère, rupture injustifiée d'une promesse de mariage). Il peut s'agir également des douleurs qui causent à la victime les souffrances physiques ou morales à la suite d'un accident par exemple, la réputation se fait grâce au prix de la douleur, le pretium doloris.

Exemples : une jeune fille et peut être un jeune homme qui à la suite d'un accident, doit garder une cicatrice trop visible ou quelconque préjudice, qui diminue son harmonie physique, son esthétique et peut être ses chances de mariage. Ses souffrances constituent un préjudice, un dommage esthétique.

Il peut enfin s'agir des douleurs que l'on ressent à la suite de l'atteinte à la sensibilité et à l'affection à la suite de la mort ou même des blessures graves subies par un être proche et aimé, voir même par un animal. C'est le dommage dit affectif. Cette dernière hypothèse a

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soulevé les difficultés particulières relatives à la limitation des proches ou des amis qui pouvaient disposer de l'action en réparation (tous ceux qui justifient de leurs peines : parents, conjoint, fiancé, ami, certains proches seulement...). Les solutions en jurisprudence sont restées divergentes46. De ce fait nous pouvons relever en outre le cas, de l'arrêt classique de revirement illustrant la prise en considération du préjudice d'affection subi par une personne du fait de la mort de son concubin « la cour ; sur le moyen unique vu l'article 1382 (258 CCCLIII) du code civil :

« Attendu que ce texte ordonnant que l'auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de le réparer, n'exige pas, en cas de décès, l'existence d'un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation ; attendu que l'arrêt attaqué, statuant sur la demande de Mme Graudras en réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin Paillette, tué dans un accident de la circulation dont Dangereux avait été jugé responsable, a infirmé le jugement de première instance qui avait fait droit à cette demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, et a débouté ladite dame Graudras de son action, au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les concubins ni à leur profit vis-à-vis des tiers ; qu'en subordonnant ainsi l'application de l'article 1382 (258 CCCLIII) à une condition qu'il ne contient pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé. Par ces motifs, casse... ».

Les juges avaient constaté que la concubine vivait avec le seul revenu de la victime décédée, mais (la jurisprudence Graudras a été cassée pour défaut de base légale47.

Le dommage moral réside dans une atteinte à des valeurs non pécuniaire, c'est-à-dire à toutes formes de sentiments humains, atteintes à l'honneur (injures, diffamation, à la pudeur, violations de la vie privée, publication illicites d'images) à l'affection, adultère, perte d'un animal ou d'un bien ayant une valeur d'attachement au-delà de son prix économique et plus généralement, aux joies et plaisir, de la vie (privations de la possibilité de certaines activités, trouble dus par exemple à des nuisances).48

Le terme dommage « moral » est aussi impropre, plus encore peut être, que celui de dommage « matériel ». Ce que l'on désigne ainsi, ce sont les dommages qui n'entraînent pas par eux-mêmes une perte économique, une diminution du « patrimoine » : le terme exact eût été celui de dommages extrapatrimoniaux. Il aurait évité les confusions qui sont toujours la rançon d'une terminologie inadéquate. Malgré tout, nous le conserverons, parce que malheureusement il est usuel. Du moins faut-il voir ce qu'il recouvre. Or, sous ce vocable unique sont rangés des dommages extrêmement divers, et il n'est pas sûr que le même régime convienne à touts les espèces de dommages « moraux », ni que les objections qui ont été

46 LUTUMBA Wa LUTUMBA et Pindi Mbensa Kifu, Cours de : Droit Civil des Obligations, in manuel pédagogique, UNIKIN 2011 PP. 168-169

47cass. Belge Ch. Mixte, 27 février. 1970, veuve Graudras c/ Dangereux, in Philippe delebecque, frédéc-Jérôme Pansier, op. cit., P. 83-84

48 Alain BENABENT, op. cit., P. 339

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faites contre le principe même de leur « réparation » aient la même force quant aux uns et aux autres

§2 PRINCIPE DE LA REPARATION DU DOMMAGE MORAL

Ce principe a fait l'objet d'une controverse classique. On évitera de s'y laisser noyer, puisque aussi bien la controverse, sans être tarie, semble apaisée. En bref, il existe tout un courant hostile à la réparation du dommage « moral ». Ce qui n'a pas empêché la reconnaissance du principe.

A. LES OBJECTIONS AU PRINCIPE

L'objection principale que l'on fait, c'est que, ce dommage étant par hypothèse extrapatrimoniale, on ne voit pas comment il pourrait49 être réparé pécuniairement, l'indemnité de responsabilité prenant le plus sauvent la forme de dommages et intérêts. Accorder 1000 F ou 100.000 F pour réparer la douleur, le chagrin, le préjudice esthétique, etc., ne supprime pas la douleur, n'efface pas le chagrin du moins s'il était sincère ne rend pas la beauté perdue, etc. « battre monnaie » avec ses larmes a-t-on dit, c'est rendre la victime odieuse, méprisable, du moins celle qui ne se borne pas à exiger un franc symbolique ; et, dans ce dernier cas, on peut s'interroger sur la signification de ce symbole. Sur un plan plus « terre-à-terre », on observe que la réparation du dommage moral gonfle dans de lourdes proportions le montant des réparations qui, de plus en plus sauvent, sont prises en charge par une compagnie d'assurance, c'est-à-dire en définitive par la collectivité des assurés, lesquels payeront de ce fait des primes plus élevées.

On ajoute que de nombreuses législations étrangères n'accordent pas de réparation pour les préjudices « moraux » ; qu'en France même les réparations perçues au titre des accidents du travail n'en tiennent pas compte. Jusqu'à une époque récente, on se prévalait encore de ce que le conseil d'Etat, lorsque la responsabilité de l'auteur du dommage relevait de la compétence des juridictions administratives, ne prenait pas en considération le dommage moral, sauf dans de cas exceptionnels où il entraînait un « trouble dans les conditions d'existence », ce qui le rapprochait du dommage « matériel »... ; mais ce dernier argument s'est évanoui depuis que le conseil d'Etat a opéré un revirement et semble accorder indemnités pour préjudices moraux.

B. LA RECONNAISSANCE DU PREJUDICE

En définitive, c'est la thèse contraire qui triomphe en jurisprudence : on reconnaît, certes, que l'indemnité pécuniaire ne répare pas ce qui par hypothèse est irréparable, mais ajoute-t-on, si les dommages et intérêts n'ont pas en ce cas une vertu « indemnitaire », du

49 Boris Starck, Droit Civil Obligations 1. Responsabilité délictuelle, 2eme Editons «s.l.n.d», p.62

50 Idem, p 64

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moins offrent-ils une « compensation ». L'indemnité accordée n'est pas « réparatrice », elle est « satisfactoire ». L'argent permet de se procurer certaines joies, et si la somme est quelque peu important, des satisfactions réelles, qui vont par exemple de l'achat d'un téléviseur ou d'un train électrique jusqu'au voyage autour du monde, source de distraction, d'intérêt et d'oubli « plaie d'argent n'est pas mortelle », a pour complément : « l'argent pense bien des plaies, physiques et morales ». On renforce ce plaidoyer en déclarant que mieux vaut une « réparation » inadéquate que pas de réparation du tout. Certains, les plus nombreux, reconnaissent, en outre, que la réparation du préjudice moral obéit en grande partie à l'idée de sanction dans le sens répressif de terme, que l'idée de « vengeance » n'en est pas absente, qu'il faut bien se résigner à y voir une survie de l'idée de peine privée. La peine privée était une institution normale en droit romain (la victime obtenait à ce titre plus que le préjudice matériel) ; et elle s'est maintenue, sous une forme restreinte, il est vrai, dans tout notre ancien droit sous le nom d' « action criminelle privée », dont le domaine recouvrait celui des dommages moraux, résultant d'un fait criminel, « des crimes de sang », et dont l'exercice était d'ailleurs limité aux membres de la famille de la victime et, chose remarquable, elle était donnée même aux « bâtards ». Bien que les rédacteurs du code civil semblent avoir voulu écarter résolument cette action fondée sur l'idée de vengeances, la jurisprudence y revient sous la poussée de forces profondes : il serait vain de nier le ressentiment, la haine même, que provoque l'auteur de dommages dont les conséquences, même non pécuniaires, sont souvent atroces, et si les juges estiment qu'une indemnité peut avoir un caractère « expiatoire », on peut bien déplorer que les hommes ne soient pas pénétrés de l'esprit charité, mais on ne saurait fermer les yeux sur cette réalité. Au demeurant, cette discussion abstraite ne saisit pas la diversité des situations que l'on range sous ce même vocable de « dommage moral ». Le moment est venu pour nous de faire les distinctions qui s'imposent ; on verra alors que dans certains cas les critiques adressées à la réparation du préjudice moral sont réellement injustifiées, tandis que dans d'autres elles ont plus de poids. Conformément à des idées qui nous sont maintenant familières, on distinguera les préjudices suivant qu'ils sont indépendants de la mort, des atteintes corporelles d'un être humain ou de la destruction d'objets matériels, et ceux qui en sont au contraire une conséquence.50

§3 DOMMAGES MORAUX INDEPENDANTS DE TOUTE ATTEINTE CORPORELLE OU MATERIELLE

Ce sont ceux que, dans la terminologie proposée par la théorie de la garantie, nous avons dénommés les dommages purement moraux. Ils résultant de l'atteinte aux droits extrapatrimoniaux, droits de la personnalité, droits individuels ou droits familiaux (les « personnes morales » elles-mêmes peuvent s'en prévaloir, le cas échéant).

Des indemnités sont accordées pour des chefs divers : violation du droit de garde et de visite des enfants ; manquement au devoir de fidélité, méconnaissance de l'autorité parentale

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On se bornera à citer quelques exemples pris au hasard parmi d'innombrables espèces. Des dommages et intérêt sont accordés pour :

s Atteintes à l'honneur

Elles proviennent de propos diffamatoires ou injurieux, d'allégations mensongères (grossesse « extra-maritale » d'une femme mariée), d'accusation de contrefaçon de brevet, d'insinuation de participation à l'exécution de résistants...

Dans la majorité des cas, outre le versement de dommages et intérêts, l'auteur est condamné à faire insérer à ses frais un extrait du jugement, ce qui est un mode de réparation adéquate. Par ailleurs, la plupart des atteintes à l'honneur sont en même temps constitutives de l'infraction pénale de dénonciation calomnieuse, d'injures ou de diffamation.

s Atteintes à la vie privée

« Ici en terme d'explication, nous relèverons les exemples comme suit : divulgation de la grossesse d'une vedette, révélation de l'adresse d'une personnalité ou de sa maladie..., il est indifférent que la victime ait précédemment toléré une violation de l'intimité de sa vie privée, l'autorisation ou la tolérance ayant un caractère ponctuel et n'engageant pas l'avenir ».

s Atteintes au nom

Le droit au nom est défendu contre toute usurpation, dès l'instant qu'existe un risque de confusion entre le titulaire du nom et l'usurpateur celui-ci, que l'usurpateur l'utilise comme patronyme ou comme pseudonyme, ce qui suppose le plus souvent la rareté ou la célébrité dudit nom. Mais d'ordinaire, l'atteinte au nom résulte surtout de l'emploi d'un nom réel dans une oeuvre de l'esprit (roman, pièce de théâtre, film) ou à des fins commerciales (enseigne, marque, etc.).

s Atteintes au droit moral de l'auteur, de l'artiste ou de l'inventeur

La violation de la paternité de l'oeuvre donne lieu à de nombreuses décisions : droit du cartonnier et du lissier d'une tapisserie, droit de l'auteur d'une fontaine, omission de citer le nom d'un savant dans un ouvrage traitant d'une question où les études de ce savant avaient apporté une contribution capitale, le fait d'attribuer à une personne les oeuvres d'une autre (reportage de photographies attribuées à un reporter autre que celui qui les a prises ; en ce cas, le préjudice moral se double d'un préjudice matériel).

s Atteintes aux droits familiaux

51 Idem, 64-66

52 Idem, 66-68

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(baptême sans l'assentiment du père), trouble apporté à l'intimité de la vie familiale, refus d'un mari de confession israélite de délivrer le « gueth » à sa femme.51

? Atteintes au droit à l'image

L'image, prolongement de la personnalité, est protégée en soi et non seulement comme participant de la vie privée. C'est pourquoi l'utilisation sans permission de l'image d'autrui justifie l'action en responsabilité : film pris à l'insu d'une personne et utilisé dans une séquence pornographique, publication d'une photographie au téléobjectif d'une actrice nue sur un bateau au large.

? Atteintes à la morale commerciale

La renommée d'une maison de commerce peut avoir à souffrir de comportements indélicats. Tel est le cas lorsqu'une société a prêté à des fins publicitaires des vêtements de sport et que le producteur de filme insère la publicité dans des séquences pornographiques mettant en apparence la marque de ladite société.

Il existe d'innombrables autres décisions (atteintes à la pudeur, atteinte au droit à la voix, atteinte à la mémoire des morts. On peut se demander si les tribunaux ne vont pas quelquefois trop loin. Que penser, par exemple, de cette décision qui condamne une entreprise de pompes funèbres pour avoir avancé l'heure de la cérémonie et qui, de ce fait, a privé la famille de la possibilité d'y assister... ?

Compte tenu de ce que tous les dommages dont il est question dans cette rubrique, dommages indépendants de toute destruction matérielle, de toute atteinte à l'intégrité physique ou à la vie humaine, ne sont des sources de responsabilité que s'ils résultent d'une faute prouvée de celui qui les a causés il ne paraît pas douteux que l'indemnité allouée a plus un caractère sanctionnateur, dans le sens répressif de ce terme, que réparateur, et que sa véritable justification se trouve dans l'idée de peine privée. De très nombreux auteurs se rangent à cette manière de voir. Pour les dommages moraux dont il s'agit, nous croyons pleinement justifiée la condamnation de l'auteur de la faute qui les provoqués, et c'est une nette confirmation de l'idée que la responsabilité civile a, outre la fonction de garantie, celle de sanction des fautes en vue de leur prévention, somme toute une fonction de peine privée.

Les choses se présentent sous un jour différent pour les autres dommages moraux52

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§4 DOMMAGES MORAUX RESULTANT D'UNE ATTEINTE CORPORELLE OU MATERIELLE

1°. Destruction des choses et animaux

La victime du dommage obtiendra évidement la réparation pour la perte éprouvée et le gain manqué au titre du dommage matériel subit. Mais peut-elle en outre exiger une réparation supplémentaire pour le préjudice moral que cette perte lui cause, somme toute, pour le chagrin qu'elle éprouve du fait de sa disparition ? Question étonnante,

2°. Atteinte à la vie ou à l'intégrité corporelle

Cette question est autrement importante et délicate que la précédente. Ici la réparation du dommage « moral » est couramment admise. Cependant, ces termes recouvrent des dommages très différents les uns des autres, qu'il nous faut distinguer avec soin.

a. Citons en premier lieu l'indemnité accordée en considération des souffrances physiques consécutives à un accident corporel : la douleur dans le sens médical du terme. Ces souffrances, souvent intolérable de plus ou moins longue durée, permettent d'obtenir une indemnité dénommée le pretium doloris. Certes, la somme allouée n'effacera pas la souffrance, mais elle permettra à celui qui l'a éprouvée de se procurer quelques joies consolatrices.

Cette indemnité est quotidiennement accordée (il est inutile de citer des décisions, la jurisprudence étant constante). Elle n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute du responsable, celui-ci a pu être condamné en vertu de textes ou de jurisprudences

b. Les accidents corporels peuvent entraîner, en plus ou en dehors des souffrances physiques, divers autres dommages « moraux ». « Préjudices d'agrément », c'est-à-dire privation des joies de l'existence (par exemple pratiquer les sports ou pêcher au linge), parmi lesquels une place à part est faite au « préjudice juvénile » (enfant privé des jeux de son âge) et à la « privation des joies du mariage » (mari devenu impuissant à la suite d'un accident).

Ainsi ont été déclarés préjudices indemnisables : la privation de l'odorat et du goût, la privation partielle de la pratique de la danse classique, l'interruption d'un voyage touristique et l'obligation corrélative d'atteindre la sortie de l'hôpital de son amie, la difficulté de porter des objets lourds et d'exercer une forte préhension avec sa main droite, le retard de 2 mois et 10 jours dans la consommation du mariage, l'impossibilité de s'adonner pleinement à son métier, source de satisfactions à la fois privées et professionnelles, la perte du sentiment de la perfection de son harmonie corporelle éprouvée à l'occasion de son enseignement...

En ce domaine, la jurisprudence fait preuve d'une conception démesurément extensive du dommage. En premier lieu, sa définition du préjudice d'agrément dépasse largement la perte des joies légitimes que l'on peut atteindre de l'existence pour embrasser la moindre gêne psychique que ces difficultés quotidiennes entraînent pour la victime. En second lieu, les

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tribunaux n'exigent pas que la démonstration soit faite de la privation d'une activité d'agréments potentiels désormais diminuées ou interdites fondant un droit à réparation. Enfin, peu importe le fait que la victime ne soit pas consciente d'éprouver un tel préjudice, qu'elle ne se rende pas compte de son état et ne se souvienne pas de sa vie antérieure, « l'indemnisation d'un dommage n'étant pas fonction de la représentation que s'en fait la victime, mais de sa constatation par les juges et de son évaluation objective ».

« Préjudice esthétique » : une personne est défigurée, ou subit des mutilations ou des cicatrices diverses au visage ou sur son corps. Dans certains cas ; le préjudice esthétique a une incidence sur la capacité de gain de la victime, l'esthétique jouant un rôle indéniable dans certains emplois, les « hôtesses » par exemple ; elle est alors indemnisée au titre du dommage matériel ; mais alors même que le préjudice esthétique n'aurait aucune répercussion pécuniaire, les tribunaux accordent unanimement une indemnité de ce chef.

Là encore, la faute du responsable n'est pas une condition de la réparation qui, de ce fait, n'est pas une peine privée (l'assurance couvre d'ailleurs généralement la responsabilité pour ce genre de préjudices). Peu d'auteurs critiquent ces indemnisations : leur caractère « satisfactoire » ; si non réparateur, n'est pas niable en ce cas, et le bénéficiaire étant la victime elle-même, sa demande n'a rien d'odieux ou de méprisable.

Ce qu'il faut éviter, c'est d'aborder des indemnités lorsque le dommage n'est pas sérieux. Il nous paraît difficile d'approuver cette décision qui alloue une indemnité pour préjudice esthétique résultant d'une éruption dermatologique consécutive à l'absorption d'un médicament, empêchant la princesse de B... de se vêtir d'une robe décolletée...en plein mois de juillet ; il est vrai que dans cette espèce le pharmacien est condamné pour faute dans la préparation du médicament, ce qui s'explique la sévérité du tribunal ( encore la manifestation du caractère répressif de la condamnation civile).

Le « préjudice d'affection » est également indemnisé ; s'il s'agit du chagrin provoqué par la mort d'un « être cher » (dans le sens affectif du terme), ou même par la vue de ses souffrances ou infirmités quelquefois atroces si la victime de l'accident survit. Cette indemnité, que l'on a appelée le pretium affectionis (mais l'expression n'est pas entrée dans les usages), soulève un problème très différent de celui des autres préjudices « moraux » jusqu'ici exposés. En effet, ce n'est pas la victime directe de l'accident qui la réclamation, des tiers, ses « proches ». C'est en considérant ces demandes que l'on a dénoncé le caractère odieux et méprisable de ceux qui « battent monnaie » avec leurs larmes. A cet égard, la question peut en effet se poser, mais il était important de ne pas confondre dans une même catégorie des dommages « moraux » essentiellement différents. Quoi qu'il en soit, la question de « préjudice d'affection » appartient à un problème plus général : celui de savoir si des tiers, et non la victime directe, peuvent demander une réparation à l'auteur du dommage, pour le préjudice non seulement « moral », mais aussi « matériel » qu'ils ont personnellement

53 Idem, p.68-72

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souffert : c'est le célèbre et difficile problème des « dommages par ricochet », dit aussi « dommage réfléchi »ou « dommage médiat » ...53

Les incertitudes affectant la notion de « préjudice d'agrément », mérite d'être soulever. Cette notion n'a fait son apparition en jurisprudence et encore assez timidement qu'à partir des années 1950. Il s'agit donc d'un concept relativement récent. Or la définition de ce nouveau chef de préjudice a suscité, ces dernières années, des hésitations. Des tendances assez différentes se sont manifestées en doctrine et en jurisprudence à ce sujet. Jusqu'aux années 1970, le « préjudice d'agrément », réparé à ce titre, à la suite d'une invalidité, était très généralement identifié à la perte de la possibilité d'exercer certaines activités de loisir. Tantôt les juges retenaient explicitement la pratique antérieure, par le demandeur, d'un sport ou d'une activité artistique que l'accident avait rendu désormais impossible, c'était la conception la plus restrictive et la plus élitiste ; tantôt ils se contentaient de constater l'impossibilité générale de jouir des plaisirs d'ordre culturel, sportif, social et mondain, qui sont normalement accessibles aux personnes de l'âge et de la condition de la victime. Mais les tribunaux réduisaient ordinairement le préjudice d'agrément à la privatisation des distractions et satisfactions que procurent les seuls loisirs. C'était donc là incontestablement un préjudice moral parmi d'autres, car il ne pouvait, de toute évidence, être confondu ni avec le « préjudice esthétique » ni avec « les souffrances physiques et morales » entraînées par la blessure elle-même, ni a fortiori avec le préjudice d'affection subi par les proches. Cependant, depuis quelques années, une conception plus large du préjudice d'agrément a été proposée par certains auteurs et consacrée par certaines juridictions. Elle consiste à identifier le préjudice d'agrément à la perte de tous les agréments ordinaires de la vie, quelle que soient leur nature et leur origine, c'est-à-dire à l'ensemble des souffrances, gênes et frustrations ressenties dans tous les aspects de l'existence quotidienne en raison de la blessure et de ses séquelles.

Or, il est évident que, si on tire toutes les conséquences logiques de cette définition, elle ne peut que remettre en cause la liste actuelle des préjudices méritant une évaluation distincte.

D'abord, comme nous l'avons déjà constaté, le préjudice d'agrément ainsi entendu tend à s'identifier à l'aspect physiologique et fonctionnel de l'invalidité, et par conséquent, si cette orientation se confirmait, elle conduirait à réduire l'indemnisation de l'incapacité temporaire ou permanente à son seul aspect économique. Mais, en outre et ceci intéresse davantage la question qui est examinée ici cette définition large entraînerait nécessairement la disparition de la plupart des autres préjudices moraux qui se trouveraient englobés dans le préjudice d'agrément, celui-ci recouvrant désormais les différentes formes de souffrances qui étaient auparavant isolées sous les rubriques de pretium doloris, « préjudice esthétique », ainsi qu'éventuellement « préjudice juvénile », « sexuel »...

Par conséquent, si cet essor du concept de préjudice d'agrément était définitivement consacré, il provoquerait sans doute, une remise en cause de la liste actuelle des préjudices méritant une évolution distincte.54

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera