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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

( Télécharger le fichier original )
par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

Disponible en mode multipage

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UNIVERSITÉ PARIS X OUEST Ð NANTERRE LA DÉFENSE

UFR de Droit et Science politique

Année Universitaire 2015/2016

Master II Recherche Droit privé et Sciences criminelles
Mention Droit pénal et Procédure pénale

Sous la direction de Madame le Professeur Elisabeth FORTIS

Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

Directrice de mémoire : Madame le Professeur Camille VIENNOT

Présenté et soutenu publiquement le 18 octobre 2016 par Julia Le Floc'h-Abdou. Membres du jury : Camille VIENNOT et Céline CHASSANG

2

REMERCIEMENTS

J'adresse mes plus sincères remerciements à ma directrice de mémoire Madame le Professeur Camille VIENNOT pour sa direction bienveillante, sa disponibilité, sa patience, ses précieux conseils et la liberté qu'elle m'a accordée pour la réalisation de cette recherche.

À Madame le Professeur Elisabeth FORTIS pour avoir contribué à transformer une ambition en vocation et pour la richesse de son enseignement.

À Jean-Philippe FOEGLE pour avoir partagé sa passion et ses recherches personnelles avec générosité, ainsi qu'à Serge GARDE pour le temps infini qu'il m'a accordé lors de notre entretien.

À ma famille pour sa patience durant ce long travail, son aide et sa confiance indéfectible. Et à Mounir pour son soutien et sa présence réconfortante.

Enfin, j'adresse mes remerciements à toutes les personnes qui m'ont accordé leur temps et ont contribué au cheminement de mon travail.

3

L'Université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire, qui doivent être considérées comme propres à leur auteur.

4

SOMMAIRE

INTRODUCTION 7

TITRE I : UN DROIT D'ALERTE EXIGU 22

SECTION 1 : UN DROIT D'ALERTER INACHEVÉ 22

I - Une protection normative segmentée 22

II Ð Des procédures de signalement délimitées 31

SECTION 2 : UNE PRISE DE PAROLE LIMITÉE 49

I Ð Des canaux de signalement contraignants 49

II Ð Une liberté d'expression encadrée 60

TITRE II : UN DROIT D'ALERTE RISQUÉ 74

SECTION 1 : LA PÉNALISATION EN RÉPONSE À L'INSURRECTION DES CONSCIENCES .... 74

I Ð Des poursuites persistantes 74

II Ð Des mesures de protection ajournées 84

SECTION 2 : LA RÉPRESSION EN RÉPONSE À UNE LIBRE EXPRESSION 94

I Ð Des infractions de presse utilisées contre les lanceurs d'alerte 95

II Ð Une défense imprévisible en matière de diffamation 99

CONCLUSION GÉNÉRALE 121

Table des annexes 130

Index 155

Bibliographie 156

Textes internationaux et européens 167

Recueil législatif 169

Table des jurisprudences 173

Table des matières 178

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Liste des principales abréviations

AJDA : Actualités Juridiques Droit administratif

AJFP : Actualités Juridiques Fonctions publiques

APCE : Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe

Bull. Civ. : Bulletin des Chambres Civiles de la Cour de Cassation

CAA : Cour Administrative d'Appel

Cass : Cour de Cassation

Cass Civ : Chambre civile de la Cour de cassation

Cass Crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation

Cass Soc : Chambre sociale de la Cour de cassation

C. Const. : Conseil Constitutionnel

CE : Conseil d'État

CEDH : Cour Européenne des Droits de l'Homme

CESDH : Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales

CNCTR : Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

CNDA : Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement

CNIL : Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés

CPP : Code de Procédure Pénale

CSI : Code de la Sécurité Intérieure

CSP : Code de la Santé publique

HATVP : Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique

QPC : Question Prioritaire de Constitutionnalité

RdT : Revue de Droit du Travail

RFDA : Revue Française du Droit Administratif

RTD Civ : Revue Trimestrielle de Droit Civil

SCPC : Service Central de Prévention de la Corruption

TA : Tribunal Administratif

« Il faut beaucoup de prodigues pour faire un peuple généreux, beaucoup d'indisciplinés pour faire un peuple libre, et beaucoup de jeunes fous pour faire un peuple héroïque ».

6

Georges Bernanos, Les Enfants humiliés, 1949, Paris, Gallimard, p. 268

7

INTRODUCTION

Selon Martin Luther King Jr « Il existe deux catégories de lois : celles qui sont justes et celles qui sont injustes. Je suis le premier à prêcher l'obéissance aux lois justes. L'obéissance aux lois justes n'est pas seulement un devoir juridique, c'est aussi un devoir moral. Inversement, chacun est moralement tenu de désobéir aux lois injustes »1. Albert Camus explicitera « J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre »2. Ces deux citations ont une résonance particulière aujourd'hui.

L'Histoire nous a enseigné que des personnes, agissant avec probité, entreprennent de révéler les défaillances larvées de lois ou comportements engendrant des abus et irrégularités.

Porteurs d'une volonté de réduire les illégalités et d'inciter les élites à rendre l'espace public plus démocratique et transparent, ils peuvent essuyer des coups de semonce et de violentes représailles. Les célèbres exemples d'Edward Snowden et d'Antoine Deltour sont la parfaite illustration de ce qu'un Homme peut accomplir dans le but d'obtenir la correction d'un dysfonctionnement ou le rétablissement de droits fondamentaux bafoués.

Ces personnes, prêtes à divulguer des informations dans le seul dessein de sauvegarder ce qui fait un État démocratique, bousculent les secrets bien gardés des pouvoirs publics et privés. Ils redessinent les contours de l'exigence de transparence, en imposant aux décideurs de redistribuer un « droit de savoir » aux citoyens.

Julian Assange a déclaré à ce propos « La catégorie « secret », et donc le droit que s'arrogent les États de retirer des informations de la circulation publique, constituent un dispositif qui permet de dissimuler des actions criminelles commises par les services de l'État, ou des actes illégaux commis par des acteurs privés dont l'État a connaissance, mais dont il estime préférable qu'ils ne soient pas divulgués et portés à la connaissance de tous. Faire « fuiter » ces informations, représente une exigence démocratique dans un État de droit qui invoque le principe d'égalité devant la justice »3.

1 M. LUTHER KING JR, La Lettre de la geôle de Birmingham, qui figure dans le recueil Je fais un rêve, Editions Bayard, avril 2008, p.250. Emprisonné à Birmingham, il rédige cette lettre le 16 avril 1963.

2 A. CAMUS, Les justes, Editions Gallimard, Collection Folio, n°477, 8 novembre 1973, p. 24-160

3 J. ASSANGE, « Internet est devenu le système nerveux de nos sociétés », Philosophie Magazine, 2013 (propos recueillis par Alexandre Lacroix), 30 mai 2013 http://www.philomag.com/lepoque/reportage/julian-assange-internet-est-devenu-le-systeme-nerveux-de-nos-societes-7525

8

I - La transparence, versant démocratique du secret ?

Depuis des siècles, au gré des opinions publiques et politiques, la bataille entre Harpocrate le dieu du secret et Astrée la déesse de la transparence perdure.

Soulignons que très tôt, le secret a été perçu comme s'opposant à la diffusion et à la vulgarisation de l'instruction dans les masses populaires. Précisons qu'en temps de guerre, le recours au secret se justifie, la guerre est par nature anti-démocratique, mais en temps de paix, est-ce utile ?

Dans notre société moderne, le secret ne semble plus constituer une valeur fondamentale. Celle-ci recherche la transparence et la vérité. Le secret n'y est plus prépondérant et est davantage perçu comme un obstacle. Cependant, le secret est indispensable à certaines actions (en matière économique avec le secret des affaires, le secret fiscal et le secret bancaire, dans le domaine militaire avec le secret-défense et en matière judiciaire avec le secret de l'instruction) et reste une valeur aussi bien individuelle que collective. En effet, cette société, qui conçoit la transparence comme une exigence de mode de fonctionnement, ne peut se passer du secret : celui des urnes et celui des affaires sont des impératifs reconnus. Selon l'avocat William Bourdon « Les secrets sont en même temps la condition du respect de valeurs essentielles, la discrétion, l'intimité, la vie privée. La rivalité entre les secrets et l'exigence croissante de vérité des citoyens à l'égard de ceux qui sont en responsabilité, restera éternellement source de dilemme pour les juges, et d'affrontement entre des impératifs contradictoires »4. Cependant le sens donné au secret a évolué au fur et à mesure que la société moderne consacrait un espace public médiatisé. Les sociétés médiatisées ont renforcé l'exigence de transparence au nom de la communication, au risque même d'en faire une utopie dangereuse. Tout peut-il être communiqué ? L'une des explications de ce développement des médias et de l'espace public tient à la place désormais incontournable des technologies de l'information, et notamment d'Internet.

Le mot secret vient du latin secretum, signifiant « fait qui ne doit pas être révélé »5 6. Selon le dictionnaire du Petit ROBERT 1, le secret est un ensemble de connaissances, d'informations qui doivent être réservées à quelques-uns et que le détenteur ne doit pas révéler 7.

4 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 82-217

5 F. GAFFIOT, Dictionnaire latin français, Hachette, 1934-1411 www.lexilogos.com/latin/gaffiot.php?q=secretum

6 Voir : B. PY, « Secret professionnel : le syndrome des assignats ? », AJ Pénal, 2004, p.133

7 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris, Dictionnaires LE ROBERT

9

Selon Geoffroy de Lagasnerie « le secret représente, en fait, une information publique mais dont le public est restreint par des frontières institutionnelles, étatiques ou arbitraires »8.

Défiants des procédés confidentiels, des personnages importants ont mis sur la place publique des comportements répréhensibles.

Voltaire critiquera vivement la justice criminelle et son secret au XVIIIème siècle. Parti en croisade contre le Parlement de Toulouse afin d'obtenir la réhabilitation de Jean Calas, protestant exécuté en 1762 pour l'assassinat de son fils, Voltaire obtiendra des juges toulousains de lever le secret de leur procédure. Cette initiative de Voltaire permettra de remporter, avec succès, la cassation du jugement et l'acquittement des autres accusés en mars 1765. Selon Sébastien-Yves Laurent « La dénonciation de l'injustice opérée par Voltaire connaîtra un très fort retentissement dans l'opinion publique, et, par la suite, des voix éclairées s'élèveront pour condamner le secret de la procédure et l'arbitraire des peines »9.

Le moine réformateur Martin Luther dénoncera, avec virulence, les pratiques de l'Église catholique. Dès 1517, il critiqua ouvertement l'Église et le commerce des indulgences qui fut pratiqué en son sein. Les indulgences permettant aux croyants, en échange d'un acte de piété, d'être pardonnés de leurs péchés devant Dieu. Au fil du temps, cette pratique religieuse va se dévoyer en commerce très lucratif pour l'Église, les croyants recevant leurs indulgences en échange d'un don pécuniaire. Les critiques publiques de Luther provoqueront un conflit violent avec la Papauté, qui finira par l'excommunier10. Cette affaire fut le déclencheur de la réforme protestante11.

Ainsi, selon Sébastien-Yves Laurent « Le paradoxe du secret est que, pour exister, il lui faut se révéler et atteindre le domaine de la connaissance »12.

Néanmoins, le secret reste ancré dans différentes sphères.

Il est concevable d'admettre que certaines actions relevant de la raison d'État, de la diplomatie, de la stratégie industrielle ou militaire ne sauraient être connues du grand public

8 G. DE LAGASNERIE, L'art de la révolte, Fayard, série « A venir », Paris, 2014, p. 37-209

9 S-Y LAURENT, Le secret de l'Etat (surveiller, protéger, informer), Paris, 2015, Editions Nouveau monde, p. 23- 224

10 Le 31 octobre 1517, Luther écrit à l'archevêque pour lui demander de ne pas cautionner ce trafic et joint à sa lettre ses « 95 Thèses ». Thèses qu'il placardera le même jour sur les portes de l'église de la Toussaint de Wittemberg (en Allemagne) condamnant ainsi le commerce des indulgences. Ces 95 Thèses, également appelées Thèses de Wittemberg, seront imprimées à la fin de l'année et distribuées. Le 3 janvier 1521, le Pape Léon X réagit et publie la bulle pontificale Decet romanum pontificem, qui lui signifie son excommunication.

11 Voir : M. LUTHER, Les quatre-vingt-quinze thèses (1517), Editeur Oberlin, traduction de Matthieu Arnold, réédition 2 novembre 2004, p.80

12 S-Y LAURENT, Le secret de l'Etat (surveiller, protéger, informer), op. cit., p. 7-224

10

afin qu'elles gardent toute leur efficacité. Pour autant, ce diktat prive les gouvernés d'avoir accès à l'information et d'avoir une capacité de contrôle sur les gouvernants. Ce paradigme selon lequel certaines données doivent rester cachées du public par nécessité, est à remettre en cause aujourd'hui. Des comportements portant préjudice au bon fonctionnement d'une société ou d'un régime dit démocratique peuvent se loger en dehors de tout contrôle puisque estampillés du cachet secret. Selon Geoffroy de Lagasnerie « l'idée selon laquelle l'État dispose de la légitimité à prendre des décisions et à agir de façon dissimulée serait fondamentalement antidémocratique et potentiellement autoritaire »13.

Cependant cette doctrine de la transparence absolue ne doit pas devenir despotique et doit ainsi être mise en balance avec des intérêts dissemblables car comme le rappelait Guy Carcassonne « L'exigence de transparence, lorsqu'elle se généralise à l'excès, n'est plus la quintessence de la démocratie mais plutôt son antipode »14.

Dès lors, l'équilibre des forces entre la conservation d'information à un petit nombre et leur divulgation à un plus grand nombre est à trouver et ce pour qu'un État de droit se maintienne à l'intérieur des frontières de la légalité.

II - La notion imprécise de lanceur d'alerte

L'évocation moderne et naissante des lanceurs d'alerte est symptomatique de deux phénomènes. D'une part, les menaces nouvelles sur nos démocraties, économies et environnements sanitaires. D'autre part, les erreurs et insuffisances des responsables publics et privés qui, dès lors, instituent des situations contraires à l'intérêt général et collectif.

La désincarnation et le désenchantement du pouvoir politique et économique, le manque d'exemplarité et de déontologie par les décideurs publics et privés, ainsi que toutes les formes de connivence entre argent et pouvoir, ont été autant de facteurs qui ont incité certains citoyens à surmonter la crainte de parler et à s'ériger en défenseur du bien commun et de l'intérêt général.

13 G. DE LAGASNERIE, L'art de la révolte, op. cit., p. 42-209

14 G. CARCASSONNE, « Le trouble de la transparence », Revue Pouvoirs 2001/2 n°97, p.17-23 (consulté le 4 décembre 2015) http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-2-page-17.htm

11

Différents exemples subsistent à travers le monde15 16. En France, ces individus qui usent de leur liberté d'expression, ont pris le nom de lanceur d'alerte. L'ancrage de cette notion a été lent pourtant aujourd'hui, et ce de manière paradoxale, elle est utilisée tous azimuts. Selon Daniel Lochak « Il y a actuellement un effet de mode qui conduit à labelliser comme « alerte éthique » toute forme de rébellion ou de contestation »17.

Persiste, présentement, une difficulté majeure à définir la notion de lanceur d'alerte (cela a fait l'objet de vifs débats juridiques et doctrinaux) car selon la définition retenue certaines alertes ne seront pas admises et certains individus illégitimes. La définition de lanceur d'alerte a été modifiée à de multiples reprises, réduite ou étendue au fil des différentes crises et scandales qui ont jonché ces trente dernières années18. Le terme alerte ayant même été réfuté par le Ministère du travail qui lui préférait l'expression dénonciation19 alors que la notion alerte éthique était privilégiée par les associations, ONG et organes de presse20. Cependant, selon Gilles Devers « l'éthique n'est pas du droit [...], il est donc inapproprié de valider cette notion d'alerte éthique car cela revient à dire que le droit a épuisé toutes ses ressources, et que le lanceur d'alerte est une sorte de héros moral dans notre société faible et pervertie »21.

C'est sous le prisme scientifique que la réflexion sur ce sujet a débuté. Pionniers en la matière, les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny ont été les premiers à consacrer la notion pour définir le comportement d'un citoyen dénonçant des agissements contraires à la loi ou aux droits fondamentaux22.

15 Le 26 avril 1986, la catastrophe de Tchernobyl a engendré le plus grand mensonge et secret institutionnel existant sur un cataclysme environnemental (voir : film documentaire, La bataille de Tchernobyl, 2006 par Thomas Johnson). Alors qu'aucune étude, statistique n'a été effectuée ou rendue publique sur les taux de radioactivité absorbés par les corps humains et les sols, un professeur de médecine Youri Bandajevsky va pourtant tenter, par des recherches scientifiques poussées, de travailler sur les conséquences sanitaires de la catastrophe et d'établir des études sur les maladies des populations des zones contaminées et particulièrement sur les enfants. Les résultats édifiants de ses travaux seront la base d'un documentaire « Le coeur de Tchernobyl » diffusé en 1999 par la télévision biélorusse. Le 13 juillet 1999, le professeur est arrêté, accusé d'avoir reçu des pots-de-vin. Il est condamné par le collège militaire de la cour suprême, en 2001, à huit années de prison. Après plusieurs actions de différentes ONG, il sortira en 2006 et s'installera en France (non autorisé à séjourner en Biélorussie).

16 À la manière de la désobéissance civile (terme analysé ultérieurement), on peut retrouver le mouvement des refuzniks. Ce sont des soldats israéliens refusant de servir Tsahal (l'armée d'Israël) et de remplir leurs obligations militaires sur les territoires palestiniens occupés. Par leur action transgressive, l'objectif est de dénoncer publiquement la politique de leur gouvernement et le comportement de l'armée en Cisjordanie et à Gaza. Le premier ayant refusé toute collaboration avec l'armée a été Jospeh Abileah. Le mouvement va réellement naître en 1979, lorsqu'un autre soldat, Gadi Algazi, va refuser d'effectuer son service militaire dans les territoires occupés de la Palestine. Il sera condamné à dix mois d'emprisonnement.

17 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre dénonciation et désobéissance », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2240-2261

18 Selon Nicole Marie Mayer, passant de l'alerte professionnelle à l'alerte citoyenne, aux fraudes comptables et financières, à la notion de risque pour autrui - N. MARIE MEYER, « L'alerte éthique ou whistleblowing en France », Rapport janvier 2013 à Transparency International, p. 3-13

19 Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008 relative aux chartes éthiques, dispositifs d'alerte professionnelle et au règlement intérieur

20 La paternité de l'expression « alerte éthique » est attribuée à Transparency International.

21 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 24-171

22 Voir : F. CHATEAURAYNAUD, D. TORNY, Les Sombres précurseurs : Une Sociologie pragmatique de l'alerte et du risque, Paris, Editions de l'EHESS, 1999, p. 278

12

La Fondation Sciences Citoyenne (association fondée en 2002 et tournée vers les alertes scientifiques) précisera par la suite le rôle d'un lanceur d'alerte23 : « Simple citoyen ou scientifique travaillant dans le domaine public ou privé, le lanceur d'alerte se trouve à un moment donné, confronté à un fait pouvant constituer un danger pour l'homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics ».

Ce terme, récent en France, existe depuis plusieurs décennies aux États-Unis, sous l'expression de whistleblower. Certains ont exprimé l'idée que le lanceur d'alerte serait une traduction lexicale française du whistleblower américain. Au-delà de l'étude sémantique, le whistleblower est la synthèse littérale de « celui qui donne un coup de sifflet ». Il désigne, à l'origine, les policiers soufflants (blow) dans leurs sifflets (whistle) pour appeler les forces de l'ordre ou pour alerter les citoyens d'un danger.

Selon Transparency International, aux États-Unis, le droit d'alerte, extension de la liberté d'expression, va naître historiquement du droit du travail : il a pour but de protéger le salarié alertant sur des crimes ou faits illégaux24.

Dès 1777, un premier statut protecteur est mis en place par le Congrès américain25. Cette loi affirmait « Qu'il est du devoir de toute personne travaillant au service des États-Unis d'Amérique de fournir sans délai au Congrès ou à toute autre autorité légitime toute information qui serait portée à leur connaissance concernant tout comportement immoral, toute fraude ou tous abus d'autorité commis par des personnes au service des États-Unis »26. En revanche, c'est la loi du 2 mars 1863 False Claims Act qui a permis d'enraciner la protection des whistleblowers, mettant en place un système de récompense pour toute personne dénonçant les fraudes commises par les sous-traitants de l'armée de l'Union. Cette loi est toujours en vigueur et a été complétée27.

23 FONDATION SCIENCES CITOYENNES, « Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ? », article publié le 29 janvier 2008 http://sciencescitoyennes.org/quest-ce-quun-lanceur-dalerte/

24 TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Guide pratique à l'usage du lanceur d'alerte français, publié sur leur site internet le 23 juillet 2014, p.4-18 https://www.transparency-france.org/wp-content/uploads/2016/03/2014Guide-pratique-à-lusage-du-lanceur-dalerte-français.pdf

25 Cette loi a été adoptée à la suite des poursuites engagées par un amiral de la flotte américaine à l'égard de l'un de ses subordonnés, qui avait dénoncé les agissements de torture perpétrés par ce dernier. Dans le but de protéger les dénonciateurs, le Congrès avait voté la première loi protectrice des whistleblowers.

26 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, mémoire de recherche dirigé au sein du Master II Droits de l'Homme à l'Université Paris X, p. 11-167, soutenu le 5 septembre 2014

27 En 1978 par la loi Civil Service Reform Act (qui va protéger les agents fédéraux lanceur d'alerte), en 1989 par la loi Whistleblower Protection Act, en 2009 par la loi Fraud Enforcement and Recovery Acte, puis en 2010 par la loi Patient Protection and Affordable Care Act.

13

Quant au terme de whistleblower, il a fait son apparition pour la première fois le 30 septembre 1970, lors d'une conférence organisée par l'avocat américain Ralph Nader28, peu de temps après l'affaire Daniel Ellsberg29, dans le but de différencier les dénonciateurs et délateurs30 et de mettre en valeur ces personnes ainsi que l'importance de leurs révélations31.

Ainsi, de manière précoce, on a assisté aux États-Unis à une reconnaissance et une protection des whistleblowers. Constat antinomique de la manière dont s'est déployée, avec beaucoup de retard en France, la notion de lanceur d'alerte et les garanties accordées à celui-ci.

En France, cette hésitante intention d'aboutir à une définition précise et une protection des lanceurs d'alerte serait liée à la Seconde Guerre mondiale. D'après Nicole Marie Meyer, les traces laissées par les délateurs durant l'Occupation française auraient perduré jusqu'à nos jours, conduisant à une relation conflictuelle avec les lanceurs d'alerte32. Toujours selon Nicole Marie Meyer « Loin d'être un héros, le dénonciateur ne suscite instinctivement que dégoût, parce que la différence entre lanceur d'alerte (intérêt général) et délateur (profit personnel) n'a été ni clairement, ni officiellement établie. En 2007, un haut fonctionnaire n'assimilait-il pas encore publiquement, l'alerte « gangrène des rapports sociaux » et « lit du populisme », à la dénonciation nazie ? »33. Dès lors, créer un statut et établir une définition, partait de l'idée qu'il fallait différencier le délateur du dénonciateur.

Selon le Petit ROBERT 134, le délateur est une personne qui dénonce pour des motifs méprisables (intéressement, bénéfice). Toujours selon le Petit ROBERT 135, le dénonciateur est une personne qui dénonce quelqu'un à la justice, c'est une personne qui attaque en révélant. Le dénonciateur a donc une démarche éthique et son but n'est pas son profit personnel mais une plus-value pour l'intérêt général.

28 Voir : An anatomy of whistleblower, Penguin, 1974. Ralph Nader est devenu une icône dans son combat pour les whistleblowers et la protection des consommateurs. Il a fondé une association Public Citizen en 1971, dont l'une des principales missions est la défense des consommateurs américains. L'association revendique 150 000 membres.

29 Daniel Ellsberg avait fourni au New York Times, 7 000 documents classifiés concernant l'intervention et le processus décisionnel du gouvernement américain durant la guerre du Viêt Nam. Ce qui donnera lieu à l'affaire des Pentagon Papers. Daniel Ellsberg sera poursuivi sur le fondement de la loi de 1917 dite Espionnage Acte mais sera relaxé en mai 1973 par la Cour suprême. Le procès s'est déroulé dans le contexte de l'affaire du Watergate. Affaire déclenchée par un whistleblower le très connu « gorge profonde », qui avait renseigné les journalistes du Washington Post. Des années plus tard, l'identité de gorge profonde sera divulguée, prenant le visage du numéro deux du FBI, W. Mark Felt.

30 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, op. cit., p. 13/14-167

31 Voir : NADER, PETKAS et BLACKWELL, Whistleblowing : The report of the conference on professional responsibility, Viking Pr, 1972 (cité par JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, mémoire Master 2) 32« La résistance culturelle de la société à l'alerte provient d'une confusion politique entre alerte civique et délation totalitaire (syndrome post-Vichy) opérée par les anciens pays occupés, par opposition aux pays demeurés libres » : N. MARIE MEYER, « L'alerte éthique ou whistleblowing en France », Rapport janvier 2013, p. 2-13

33 Ibidem, p. 2-13

34 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris, Dictionnaires LE ROBERT

35 Ibidem

14

Selon Christian Vigouroux, malgré ces différenciations entre délateur et dénonciateur, il existe encore des réticences à user de l'expression dénoncer. Les différents textes adoptés en France attestent de cette défiance36.

Il y aurait également une autre distinction à faire entre whistleblower et leaking.

Le whistleblower étant représenté comme un lanceur d'alerte et le leaking comme un fuiteur37. Ces deux personnages ont approximativement la même façon de procéder : la transgression d'une norme ou d'une autorité à des fins de divulgation d'informations. La différenciation se trouve dans la vision que ces deux figures se font d'une démocratie et de l'emploi de la transparence. En effet, le leaking estime que la transparence doit être absolue pour qu'une société soit démocratique et par conséquent que l'intégralité des informations doit être divulguée, publiée (sans les éditer ou les trier38)39. Le whistleblower ne partage pas nécessairement cette conception de la transparence puisqu'il décide de diffuser seulement ce qui est indispensable à l'interruption des abus et illégalités opérés40, afin qu'une société demeure démocratique.

Reste le problème, en France, de la définition à octroyer aux personnes lanceuses d'alerte, aucune définition globale n'ayant été adoptée par le législateur français. Dès lors, plusieurs problématiques se présentent. En premier lieu, la question selon laquelle le lanceur d'alerte serait-il personnifié en un seul individu (Edward Snowden, Bradley Manning, Irène Frachon, etc.) ou pourrait-il être vu dans un ensemble plus collectif 41 ? Ensuite, se pose la nature de l'alerte (l'alerte devant porter sur quel type de comportement ou d'infraction ?). Enfin, les modalités de la divulgation (doivent-elles être internes ou externes ?).

36 C. VIGOUROUX, « Déontologie des fonctions publiques », Revue Dalloz 2ème Edition, 14 novembre 2012, p.485 et suivants (dans cet article, C. Vigouroux effectue un long travail sur la question de la terminologie à utiliser en la matière).

37 Le terme leaking ou leaks a été utilisé à différentes reprises en l'associant à une autre expression. L'exemple de l'affaire LuxLeaks (littéralement les « fuites du Luxembourg »), l'affaire VatiLeaks (les fuites du Vatican) ou de WikiLeaks (faisant la liaison entre Wiki, un site internet permettant le partage et la modification d'informations par tout le monde, et Leaks).

38 Un exemple célèbre est Wikileaks. En 2010, ils publient, en collaboration avec différents journaux anglais et américains, 91 000 documents militaires américains sur la guerre en Afghanistan et en Irak et 250 000 câbles diplomatiques entre les Etats-Unis et le reste du monde. Alors que certains préconisaient un tri dans les informations à publier (tels que les journalistes ou Daniel Berg l'un des membres de l'organisation), Julian Assange refuse et décide de tout diffuser sur Internet sans contrôle a priori des informations. Ce qui eut pour conséquence, que l'identité de certains agents militaires ou informateurs afghans et irakiens fut dévoilée (mettant, in fine, leur vie en danger). Dès lors, certains ont refusé d'attribuer à Wikileaks le statut de lanceur d'alerte, estimant que Julian Assange était responsable et que l'organisation était devenue « une officine de délation » (propos tenus par l'ancien membre Daniel Berg).

39 « Dans un article du Washington Post, Floyd Abrams, l'avocat du New York Times dans l'affaire des Pentagon Papers réfutait toute comparaison avec Wikileaks » : P. MBONGO, « Manning, Snowden, deux questions sur les lanceurs d'alerte », Huffingtonpost.fr, 31 juillet 2013 (consulté le 5 mars 2016) http://www.huffingtonpost.fr/pascal-mbongo/manning-snowden-questions-resoudreb3682773.html

40 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2233-2261

41 Les collectifs dénonçant les effets des OGM, les actions de certains « ZADistes », les militants contre l'instauration des fermes aux milles vaches, l'association L.214, etc.

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Dès 2004, Transparency International France avait déploré le manque de lisibilité de la notion et le manque de protection du lanceur d'alerte42. L'ONG avait également avancé une définition : « Le lanceur d'alerte est tout employé qui signale un fait illégal, illicite ou dangereux pour autrui, touchant à l'intérêt général, aux instances ou aux personnes ayant le pouvoir d'y mettre fin ». L'OCDE avait émis des recommandations à l'intention des États afin qu'ils mettent en place des dispositifs de protection pour les lanceurs d'alerte.

C'est sur la base de ces avis que des textes européens ont tenté de produire de la clarté en continuant la réflexion menée43.

L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a ainsi énoncé, dans sa résolution 1729 de 2010, que le donneur d'alerte « est toute personne qui tire la sonnette d'alarme afin de faire cesser des agissements pouvant représenter des risques pour autrui ».

Le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe a récemment apporté une définition en synthétisant les travaux précédents. Dans sa recommandation du 30 avril 2014, il a adopté la première définition européenne du lanceur d'alerte : « Toute personne qui fait des signalements ou révèle des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l'intérêt général dans le contexte de sa relation de travail, qu'elle soit dans le secteur public ou dans le secteur privé »44. La recommandation donne également une définition de l'alerte : « Tout signalement d'actions ou d'omissions, constituant une menace ou un préjudice pour l'intérêt général, ou toute révélation d'informations sur de tels faits ». Ce signalement devant être fait soit en interne au sein d'une organisation ou d'une entreprise, soit auprès d'une autorité extérieure, soit être toute révélation publique d'informations (donc par la presse).

En 2014, le Comité des Ministres a, dès lors, posé, selon Jean-Philippe Foegle, la première « ébauche d'un statut du lanceur d'alerte au niveau européen ou, à tout le moins, d'un standard de bonne pratique en matière de protection des lanceurs d'alerte »45.

En France, il n'existe aucune définition globale du lanceur d'alerte, seule une définition partielle a été donnée par la loi du 16 avril 2013 dite loi Blandin46. Elle est limitée au champ de la santé publique et de l'environnement. L'article 1er énonce que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser, de bonne foi, une information

42 TRANSPARENCY INTERNATIONA, « Favoriser le déclenchement d'alerte en France », rapport d'octobre 2004

43 Voir Titre I, Section 1, Paragraphe I, A, 1

44 Recommandation du Comité des Ministres du 30 avril 2014 - Recommandation CM/Rec (2014) 7 - élaborée lors de la 1198ème réunion des Délégués des Ministres

45 JP FOEGLE, « Un renforcement en demi-teinte du statut du lanceur d'alerte dans l'Europe des droits de l'homme », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 11 mars 2015, p. 3-11 (consulté le 6 janvier 2016).

46 Loi du 16 avril 2013 n° 2013-316 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte « loi dite Blandin », JO n°0090 du 17 avril 2013, p.6465

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concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement ». Rappelons qu'une « zone grise » préexiste puisqu'une personne peut toujours dénoncer un comportement qui n'a pas été encadré dans une définition.

Selon Serge Slama, les critères, faisant foi, d'une alerte éthique peuvent se composer schématiquement en six points47.

Premièrement, l'alerte éthique doit viser à la protection d'un intérêt public.

Deuxièmement, le risque d'atteinte invoqué doit être suffisamment grave, imminent, substantiel et tangible (pas seulement purement hypothétique).

Troisièmement, le lanceur d'alerte doit être de bonne foi (c'est-à-dire avec la conviction que l'information qu'il divulgue est authentique).

Quatrièmement, l'alerte doit être désintéressée (le lanceur d'alerte ne doit pas chercher à en tirer un profit personnel en termes matériels, de carrière ou d'avancement mais agir dans l'unique but de mettre fin à une illégalité, une situation de danger ou d'atteinte à l'éthique). Cinquièmement, l'alerte doit être transmise à une autorité ou personne ayant la capacité de mettre fin au danger, au comportement dénoncé.

Sixièmement, les moyens utilisés pour la divulgation doivent être proportionnés (il faut privilégier les canaux de signalement interne avant de recourir aux canaux externes et à la presse).

Ainsi, l'appréhension de la notion de lanceur d'alerte a été un problème ab initio. Et malgré une évolution législative, demeure un terme non précisément défini et un manque de lisibilité48. Cette problématique est d'autant plus difficile à résoudre, que les lanceurs d'alerte peuvent se rapprocher de ce qu'on nomme la désobéissance civile.

III - L'ambivalence ténue avec la notion de désobéissance civile

« Qui ne dit mot consent », ce vieil adage, connu de tous, éclaire de façon magistrale le comportement des désobéissants civils et des lanceurs d'alerte mais contribue à ajouter de l'ambiguïté entre les deux notions.

47 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261

48 Selon la Fondation Sciences Citoyennes, le défaut d'études, de travaux autour de cette question contribue à l'illisibilité du statut de lanceur d'alerte en France. Elle préconise d'avantages de thèses et de mémoires sur ce sujet qui pourraient permettre une clarification de l'état du droit - Rapport « Alerte, expertise et démocratie » de la Fondation, retranscrivant les débats tenus lors du colloque du 17 décembre 2013 (qui s'était déroulé au Palais du Luxembourg).

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Selon John Rawls, la désobéissance civile peut être définie « comme un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés »49. Selon la définition donnée par Rawls, la désobéissance civile a une finalité politique, c'est-à-dire que le but de l'acte est de remettre en cause, de modifier, une norme critiquée50.

Selon le Dictionnaire Larousse, la désobéissance civile est une action militante, généralement pacifique, consistant à ne pas se soumettre à une loi pour des motifs politiques ou idéologiques51.

Le terme fut mis en lumière par l'américain Henry-David Thoreau dans son essai La Désobéissance civile, publié en 1849, à la suite de son refus de payer une taxe destinée à financer la guerre contre le Mexique. Dans cet essai, il écrira « la seule obligation qui m'incombe est de faire en tout temps ce que j'estime juste »52. Cependant, cette désobéissance civile se manifesta dès l'Antiquité gréco-romaine. Pour Cicéron, les soldats romains ayant connaissances d'une loi pouvaient éventuellement lui résister légitimement lorsqu'elle était injuste53. Le terme a été promu par des personnages, tels Martin Luther King, le Mahatma Gandhi54 ou les paysans du Larzac55.

La désobéissance civile est, selon certains, liée à la résistance à l'oppression, à la résistance aux gouvernements. En France, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclamera, dans son article 2, un « droit de résistance » au nom des libertés naturelles56. Ce droit de résister deviendra un devoir avec les articles 33, 34 et 3557 de la Constitution Montagnarde de 1793. Jamais mise en oeuvre, elle tombera en désuétude.

49 J. RAWLS, Théorie de la justice, traduction française de C. Audard, Paris, 1987, Seuil, p. 405

50 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre dénonciation et désobéissance », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2237-2261

51 PETIT LAROUSSE ILLUSTRÉ, édition Larousse de 2007, Paris, p.356

52 H-D. THOREAU, La Désobéissance civile, Mille et Unes nuits, juillet 1997, p. 64 (texte intégral traduit de l'anglais par Guillaume Villeneuve)

53 Voir : CICÉRON, Des Lois, I, 15, traduction française Ch. Appuhn, Classiques Garnier, 1965, p. 225

54 Notamment avec la manifestation Marche du sel entamée le 12 mars 1930 en vue d'arracher l'indépendance de l'Inde aux Britanniques.

55 La lutte du Larzac était un mouvement contre l'extension du camp militaire sur le causse du Larzac. La lutte va s'étendre de 1971 à 1981. Elle se solda par une victoire puisque, nouvellement élu Président de la République, François Mitterrand décida d'abandonner le projet.

56Article 2 DDHC : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ».

57Article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».

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Selon Gilles Devers, « en application de cette notion, le droit doit donner les moyens de s'opposer aux lois injustes »58.

En 1982, le Conseil constitutionnel souligna que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 avait mis le droit de propriété « au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression (Considérant 16) »59, et ainsi octroya indirectement au droit de résister une valeur constitutionnelle. Néanmoins, ce droit ne fut jamais appliqué ou accepté comme moyen de défense à l'occasion des différentes affaires judiciaires françaises.

José Bové et Gilles Luneau, dans leur ouvrage, Pour la désobéissance civique, ont énoncé six critères qui permettent d'affirmer qu'un acte relève de la désobéissance. Il faut, selon eux, que l'acte soit personnel et responsable (il faut connaître les risques encourus et ne pas se soustraire aux sanctions judiciaires), soit désintéressé (on désobéit à une loi contraire à l'intérêt général, non par profit personnel), soit un acte de résistance collective, non violent, qu'il soit transparent et ultime (on désobéit après avoir épuisé les recours du dialogue et les actions légales)60.

Pour schématiser la différenciation entre lanceur d'alerte et désobéissance civile, il faut reprendre celle faite par Daniel Lochak. Selon lui « La désobéissance civile consiste à se mettre délibérément en infraction avec la loi, à refuser de se plier à une règle ou un commandement légal dont on conteste la légitimité, alors que l'objectif du lanceur d'alerte qui dénonce des infractions, divulgue des pratiques illégales, est que force reste à la loi. Ainsi, les lanceurs d'alerte qui ont mis en garde contre les risques sanitaires ou environnementaux (l'amiante, le sang contaminé, le Médiator) n'ont enfreint aucune loi, [É] même si parfois il est amené, à force de ne pas être entendu, à recourir à des moyens illégaux, à passer du côté de la désobéissance »61. Donc, le lanceur d'alerte, à l'inverse du désobéissant civil, ne remet pas en cause la collectivité et la loi en tant que telle, bien au contraire, il souhaite une préservation de celle-ci en appelant de ses voeux à une amélioration de bonne gouvernance et à une réorganisation rationnelle de la société.

58 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 19-171

59 Conseil constitutionnel, DC, décision n° 81-132, 16 janvier 1982, décision relative à la loi sur la nationalisation, JO du 17 janvier 1982, Recueil, p. 18-299

60 Voir : J. BOVE, G. LUNEAU, Pour la désobéissance civique, Edition La Découverte, Paris, octobre 2004, p. 264

61 D. LOCHAK, « L'alerte éthique, entre dénonciation et désobéissance », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2237-2261

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Plusieurs exemples de ces lanceurs d'alerte ou désobéissants civils ont récemment été rapportés. Ces dernières années ont été émaillées d'exemples d'individus qui brisent le sceau du secret et redessinent la notion de transparence, d'accès à l'information dans tous les domaines possibles. Ils ramènent dans le giron professionnel une dose de probité.

62 63 64.

Leur indignation face aux comportements des leaders d'opinions sera l'entrée en matière d'affaires éclaboussant un ensemble d'acteurs et défrayant la chronique

IV - Des sacrifices sur l'autel de la révolte

En réponse à leur signalement, les lanceurs d'alerte sont confrontés à des représailles et de l'hostilité. Des affirmations belliqueuses sont prononcées à leur encontre : Traîtres, ennemis, espions. Leur « trahison » apparaît comme une rupture du lien social, une atteinte aux rapports de confiance et de loyauté65 et non comme positive à des fins de bonne gouvernance. Selon William Bourdon, le lanceur d'alerte est perçu comme « l'ennemi de l'intérieur qui a pris parti contre son camp »66.

À cela, Edward Snowden a répondu dans une interview pour le Washington Post : « Ceux qui m'accusent de trahison n'ont pas compris mon objectif, je n'essaie pas de mettre la NSA à terre, j'essaie d'améliorer la NSA [É] »67. Récemment, Eric Holder, ancien ministre de la Justice américaine, a déclaré que Snowden avait rendu « un service public en ouvrant le débat »68 même s'il a contesté la forme employée.

62 Le 25 avril 1991, Anne-Marie Casteret, journaliste à l'Evènement du Jeudi, publie un rapport du Centre national de transfusion sanguine daté du 29 mai 1985. Il y était fait état que la plupart des lots de produits sanguins à destination des hémophiles étaient contaminés par le virus du HIV, et qu'en attendant leur remplacement par des produits chauffés, le CNTS proposait d'en écouler les stocks. Médecin de formation, elle connaissait les blocages et la capacité d'inertie de la sphère médico-politique. « On ne dira jamais assez combien les décisions prises alors, le silence institutionnel ensuite, les omissions officielles enfin, ont constitué une violence atroce pour les hémophiles et les transfusés qui en ont été victimes », a-t-elle écrit dans son livre l'Affaire du sang (Editions La Découverte, Paris, février 1992, 286 pp ). Cette bombe médiatique suivie du livre L'affaire du sang a déclenché l'un des plus grands scandales politico-sanitaire de la Ve République.

63 Irène Frachon a dénoncé l'un des plus gros cas de dysfonctionnement de mise sur le marché et de prescription d'un médicament. C'est l'affaire dite du Médiator. Irène Frachon, pneumologue à l'Hôpital de Brest, est alertée, en 2007, de plusieurs cas de patients atteints de graves pathologies cardiaques sous traitement du Médiator. Elle entame une enquête sur le médicament qui durera plus de deux ans. En 2009, avec plusieurs collègues, elle alerte l'Agence du médicament sur la dangerosité du Médiator. Il sera retiré du marché le 30 novembre 2009. En 2010, Irène Frachon publie un livre qui dévoile son enquête (Médiator, 150 mg, combien de morts ?, Editions Dialogues, Brest, 3 juin 2010, 150 p). À la suite de ces premières révélations, elle a cosigné une vaste enquête pointant la problématique de l'influence des puissants lobbys de l'industrie pharmaceutique offrant, par le biais des experts médicaux et du système juridique, une protection aux industriels (JC. BRISARD, A. BÉGUIN, I. FRACHON, Effets secondaires : le scandale français, Collection First Document, 10 mars 2016, 352 p).

64 Hervé Falciani, informaticien de la banque HSBC Private Bank profite en 2006 d'une faille dans le système informatique pour récupérer un listing d'évadés fiscaux orchestrés par HSBC. Il fut à l'origine du scandale SwissLeaks.

65 Voir : M. HASTINGS, L. NICOLAS, C. PASSARD, Paradoxes de la transgression, Paris, CNRS Éditions, coll. Philosophie et histoire des idées, 2012, 300 p.

66 W. BOURDON, « Le lanceur d'alerte est toujours le traître de quelqu'un », hors-série Le Monde, juillet 2014, p.48/49

67 LE MONDE « Edward Snowden : J'ai déjà gagné », publié 24 décembre 2013 (consulté le 1er avril 2016).

68 D. LELOUP, « D'anciens hautes responsables américains reconnaissent l'apport des révélations de Snowden », Le Monde, publié le 31 mai 2016 (consulté le 5 juin 2016).

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Le lanceur d'alerte est ostracisé, vilipendé au sein de son institution.

Il subit différentes sanctions dissuasives et punitives telles que le blâme, le licenciement, la mise en retraite forcée et une dégradation de ses relations sociales. Ce qui engendre un préjudice financier conséquent pour lui, voire la perte de son logement, l'exil ou l'emprisonnement69. Par ailleurs, l'image du lanceur d'alerte est retravaillée, remodelée, afin de trouver le point abscons de ses intentions70. À l'instar d'Hervé Falciani, qui a vu sa motivation remise en doute, des journalistes faisant l'écho d'une personnalité « mythomane, opportuniste »71.

Brader son intérêt personnel au nom de sa sensibilité éthique peut, dès lors, amener à être honni et à la plus pénible des épreuves : endurer un licenciement pour faute grave, une révocation ou s'exposer à des poursuites judiciaires72.

La question des représailles est au coeur des préoccupations. Ce sont ces ripostes, ces attaques qui empêchent, encore actuellement, la libéralisation de la parole. Les dispositifs mis en place aujourd'hui ne permettent pas cette expression citoyenne et ce malgré quelques avancées importantes.

Soulignons que la prise en compte de l'important apport des lanceurs d'alerte pour l'intérêt collectif et le débat politique ne doit pas introduire la vision binaire et étriquée « des malintentionnés contre les héros ». La sacralisation des lanceurs d'alerte ne peut servir la discussion démocratique puisque le débat contradictoire sur le bien-fondé des alertes sera, de fait, écarté.

69Journaliste au Monde, Florence Hartmann publie en 2007, le livre Paix et châtiment, les guerres secrètes de la politique et de la justice internationale (Flammarion, Paris, 7 septembre 2007, p.319) dans lequel elle y mentionne deux décisions confidentielles (passées sous silence) rendues par la Cour d'appel du TPIY (Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie), dans le cadre du procès de Slobodan Milosevic, qui portaient sur un accord entre le TPIY et la Serbie visant à cacher des preuves cruciales de l'implication de la Serbie dans le massacre de Srebrenica (huit mille morts en 1995) afin d'éviter une éventuelle condamnation de l'État serbe par la Cour internationale de justice. En août 2008, elle est inculpée pour divulgation d'informations. La Chambre de Première instance l'a condamne à sept mille euros d'amende. En juillet 2011, la Chambre d'appel du TPIY confirme la condamnation pour « divulgation de raisonnement juridique confidentiel » (Chambre d'appel TPIY, Procureur Bruce MacFarlane c/ F. Hartmann, n°IT-02-54-R77.5-A, 19 juillet 2011). En novembre 2011, le TPIY commue l'amende en peine de sept jours d'emprisonnement. Elle sera détenue, en 2016, dans la même prison que les criminels de guerre, en isolement et en surveillance accrue. En 2014, elle publie un ouvrage dédié aux lanceurs d'alerte, pour mettre en lumière la réalité et les périples qu'ils vivent, les preuves qu'ils apportent et l'importance de leur combat (Lanceurs d'alerte, les mauvaises consciences de nos démocraties, Don Quichotte Editions, février 2014, p.252).

70 L'exemple du Docteur Jeffrey Wigrand qui dénonça publiquement le comportement sibyllin de la multinationale Brown et Williamson Tobacco Corporation (géant du tabac au sein duquel il était employé comme vice-président du département recherche et développement) qui continuait d'utiliser, la coumarine, substance cancérigène interdite depuis les années 80 aux Etats-Unis. Suites à ces révélations, la multinationale entrepris une campagne médiatique de déstabilisation contre Wigrand.

71 F. LHOMME, G. DAVET, « Qui est Hervé Falciani, le cauchemar de HSBC ? » Le Monde, 9 février 2015 (consulté le 2 avril 2016) et I. HAMEL, « Le polar d'Hervé Falciani, entre fantasmes et mensonges », Bilan, 13 avril 2015

72 Pour diffamation, violation de secrets, dénonciation calomnieuse, manquement au devoir de réserve, vol ou recel, etc.

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Au vu de la tendance sécuritaire croissante et du renforcement d'un système tenu au secret, un régime dit démocratique et constitutionnel ne peut que difficilement coexister.

Dans une démocratie, le public a le droit d'être informé des agissements commis par les acteurs privés et publics. Ces mêmes comportements pouvant être dénoncés avec force afin qu'ils soient interrompus (voire jugés ultérieurement) et ce sans que des mesures soient prises contre ceux qui les dénoncent. L'aide qu'une personne peut apporter à son entreprise ou son État, à des fins d'amélioration, doit être prise en compte avec toute la légitimité qui lui est due, tout en vérifiant la véracité des signalements effectués. Comme le mentionnait Émile Zola « La vérité et la justice sont souveraines, car elles seules assurent la grandeur des nations È73.

Selon Nicole Marie Meyer « La protection des lanceurs d'alerte dans le monde est rarement née de la vertu spontanée d'un peuple, mais plus généralement d'une série de crises et de tragédies, coûtant des centaines de vies humaines, ruinant des pans de l'économie, sapant les fondements de la confiance ; crises et tragédies qui auraient pu être épargnées, si les personnes, averties, n'avaient craint de perdre leur emploi en brisant le silence, ou avaient été entendues lorsqu'elles en ont eu le courage È74. Pourtant, les contributions apportées par les lanceurs d'alerte aux sociétés démocratiques et aux débats publics sont cruciales. Ces individus fournissent un meilleur éclairage des institutions et offrent un remède au dévoiement des organes ou personnes étatiques et privées. Une protection adaptée pour ces individus devient dès lors urgente.

Ce n'est qu'à la suite de différentes crises majeures que la France s'est dotée de lois accordant une protection aux lanceurs d'alerte. Mais cette nouvelle protection peut-elle résister à une étude minutieuse ? Ce mémoire portera alors sur cette question simple à la lumière du droit positif français : les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

Après l'étude d'un droit d'alerter naissant et de règles préexistantes en la matière (Premier titre), la question se tournera sur les risques encourus pour le lanceur d'alerte à la suite d'une divulgation interne ou médiatique et les protections accordées à celui-ci (Deuxième titre). Pour mener cette réflexion, mes recherches m'ont conduite à m'entretenir avec un journaliste, Serge Garde, et à la Bibliothèque Nationale de France.

73 E. ZOLA, L'affaire Dreyfus : la vérité en marche, Paris, Editeur E. Fasquelle, 1901, p.5-314 (mis en ligne par la Bibliothèque Nationale de France le 6 décembre 2007 et consulté le 18 avril 2016).

74 N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte, au coeur de le refondation du bien commun », Edition Camédia, publié le 21 septembre 2014, Médiapart.fr

PREMIER TITRE - UN DROIT D'ALERTE EXIGU

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L'alerte permet une mise en garde précoce afin de prévenir tout dommage grave. Elle sert également de détecteur d'actes répréhensibles, qui sans elle, seraient passés inaperçus.

Ces dernières années, les États européens ont pris la mesure de l'important apport des lanceurs d'alerte. Récemment des lois françaises, dans le but de se conformer aux conventions européennes, ont été adoptées. Ces initiatives avaient un seul objectif : la protection des individus à la suite d'une dénonciation. Les garanties posées n'ont toujours pas trouvé d'écho satisfaisant. Des failles sont apparues dans les mécanismes nouveaux et les anciens déjà existants. La prise de parole reste restreinte et le droit d'alerter est strictement encadré par la loi. Les possibilités de dénoncer et de ne pas subir de représailles n'ont pas été étendues à de multiples situations. Dès lors, tout un pan de questionnements et de carences dans cette protection du lanceur d'alerte persiste. La notion ainsi que le bouclier de protection font actuellement l'objet d'un travail permanent de la part des organisations européennes, des législateurs nationaux et de la doctrine.

Seront observées dans cette étude, les différentes lois et procédures applicables à l'origine d'un droit d'alerte exigu (Section 1) ainsi qu'une libéralisation de la parole étroitement encadrée par le biais des différents canaux de signalement praticables (Section 2).

Section 1 - Un droit d'alerter inachevé

C'est par la soft law, principalement, que la protection des lanceurs d'alerte a été mise en lumière. Cela a concouru à l'établissement de conventions contraignantes contribuant à la sécurisation partielle mais imparfaite des lanceurs d'alerte en France (Paragraphe I). Partielle et imparfaite puisque les mécanismes d'alerte ont été encastrés par des procédures et des normes et que le droit d'alerter a été restreint à certains domaines et admis que pour certains individus (Paragraphe II).

I - Une protection normative segmentée

Les prémices d'une protection pour les lanceurs d'alerte découlent du travail des ONG et des organes européens et internationaux par le biais de la soft law et des conventions (A). Ces évolutions ayant eu pour résultat d'ouvrir, en France, une période pro-lanceurs d'alerte (B).

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A Ð L'émergence d'une protection internationale et européenne

La protection accordée aux lanceurs d'alerte a été de deux types. Elle est parvenue par la soft law (1), incitant, de fait, les organes européens à prendre position (2).

1 - Une soft law partisane de garanties renforcées

Dans ses Principes directeurs pour une législation de l'alerte75, Transparency International a énoncé que les signalements protégés devaient inclure, sans s'y limiter, crime ou délit, erreur judiciaire, corruption, atteintes à la sécurité, la santé publique ou l'environnement, abus de pouvoir, usage illégal de fonds publics, graves erreurs de gestion, conflits d'intérêts ou dissimulation des preuves afférentes. L'ONG a également préconisé qu'en cas de licenciement suite à la divulgation de telle information, la charge de la preuve devait incomber à l'employeur au-delà de tout doute raisonnable. Elle a continué en recommandant une seule législation, explicite, complète et détaillée pour la protection des lanceurs d'alerte des secteurs publics et privés. Celle-ci devant comporter des canaux sécurisés de recueil de l'alerte (internes et externes), assimilant des procédures précises et efficaces d'investigation et de suivi et le juste dédommagement des représailles subies par le lanceur d'alerte. Elle a recommandé l'instauration d'un organisme, garant du bon fonctionnement de la loi.

C'est sur les traces de ces conseils, que l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté la résolution de 201076 invitant les États à revoir et compléter leur loi, afin de parvenir à une législation exhaustive pour offrir de meilleures garanties aux lanceurs d'alerte dans les domaines suivants : droit du travail (en particulier la protection contre les licenciements abusifs et les autres formes de représailles liées à l'emploi), droit pénal et procédure pénale (en particulier la protection contre des poursuites pénales pour diffamation, violation du secret commercial ou étatique et protection des témoins), droit des médias (en particulier la protection des sources journalistiques), mesures spécifiques contre la corruption prévue par les Conventions du Conseil de l'Europe77.

75 TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Les principes directeurs pour une législation de l'alerte, 2009 http://archive.transparency-france.org/eupload/pdf/whistleblowerprinciplesfinalweb.pdf

76 Résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Résolution 1729 (29 avril 2010) relative à « la protection des donneurs d'alerte »

77 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 39-171

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Le problème des lanceurs d'alerte et de leur protection s'étant diffusé mondialement, les membres du G20 se sont également engagés à mettre en place une législation. En effet, lors du Sommet de Séoul de novembre 2010, le G20 s'est doté d'un groupe de travail anticorruption et un Plan d'action anticorruption78. En 2011, le G20, dans son guide préparé par l'OCDE 79 va définir six critères80 à une législation protectrice des lanceurs d'alerte.

Dans sa recommandation de 2014, le Conseil de l'Europe a poursuivi sur cette voie en incluant dans le champ matériel des signalements « les violations de la loi et des droits de l'Homme, ainsi que les risques pour la santé et la sécurité publique et pour l'environnement » et en précisant que « toutes personnes travaillant soit dans le secteur public, soir dans le secteur privé, indépendamment de la nature de leur relation de travail et du fait qu'elles sont ou non rémunérées » devaient être intégrées dans le champ d'application personnel. L'employeur ne pouvant se prévaloir des obligations légales ou contractuelles pour empêcher un signalement. La recommandation préconise également que la situation individuelle de chaque cas déterminera la voie la plus appropriée entre le canal interne ou externe (autorité réglementaire, de répression ou de contrôle, presse, parlementaire). Elle poursuit en considérant que la confidentialité du lanceur d'alerte doit être préservée et une protection doit être assurée contre toutes formes de représailles directes ou indirectes.

Gilles Devers a rappelé « qu'une résolution du Conseil de l'Europe (en l'occurrence celle de 2010) n'entre pas directement dans l'ordre juridique, mais, complétée par la recommandation (celle de 2014), elle est une référence forte pour l'interprétation du droit par le juge interne »81.

Initiée par la soft law, l'élaboration de système de protection fut reprise de concert par les Nations, qui ont développé des normes contraignantes via les organes européens et internationaux.

78 Ce plan anticorruption est fondé sur la Convention OCDE sur la lutte contre la corruption des agents publics étrangers dans les transactions internationales du 17 décembre 1997 et la Convention des Nations-Unies contre la corruption du 31 octobre 2003, dont le G20 cherche à améliorer, dans tous les Etats, la mise en oeuvre et le respect.

79 G20 Anti-Corruption Action Plan, protection of Whistleblowers - Compendium of best practices and guiding principles for legislation on the protection of whistleblowers

https://www.oecd.org/g20/topics/anti-corruption/48972967.pdf

80 Dans les six critères énoncés, on retrouve une loi spécifique, une définition globale (avec des canaux et procédure spécifiques), une protection effective contre toutes représailles (avec protection de l'identité, confidentialité et anonymat), des canaux et procédures de signalement internes et externes (médias inclus) sécurisés et accessibles, une autorité indépendante (traitement de l'alerte, investigation, recours, sanctions pénales pour les auteurs de représailles) et une mise en oeuvre (formation préventive, évaluation) - TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Guide pratique à l'usage du lanceur d'alerte français, publié sur leur site internet le 23 juillet 2014, p.11-18

https://www.transparency-france.org/wp-content/uploads/2016/03/2014Guide-pratique-à-lusage-du-lanceur-dalerte-

français.pdf

81 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 12-171

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2 - L'apport des standards européens et internationaux

Le droit d'alerter, devenu enjeu démocratique, s'est vu pris en charge par différents organes européens et internationaux au milieu des années quatre-vingt.

Dès 1982, l'article 5c de la Convention n°158 de l'OIT82 (Organisation Internationale du Travail), prise sous l'égide de l'ONU, instaure des critères de licenciement d'un salarié suite à la divulgation d'information concernant son employeur83. La Charte sociale européenne révisée en 1996 (et ratifiée par la France le 7 mai 1999) a également participé à une meilleure protection du salarié suite à un licenciement sans motif valable (art. 24). La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne de 2000, qui a valeur contraignante depuis le Traité de Lisbonne, s'associe à ce protectionnisme dans ses articles 11, 30, 41 et 4784.

Cependant, c'est par des textes spécifiques luttant contre la corruption que le lancement d'alerte va faire son entrée sur la scène internationale et européenne.

Dans un premier temps, il y eut la Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe du 4 novembre 199985 prévoyant, dans son article 9, la protection des employés signalant des faits de corruption. Puis, la Convention pénale sur la corruption de 1999 du Conseil de l'Europe86 prévoyant, dans son article 22, la protection des collaborateurs de justice et des témoins signalant des infractions pénales. La grande convention instaurant plusieurs critères de protection suite à la divulgation d'informations évoquant des faits de corruption est la Convention dite de « Mérida » de 2003, prise sous l'égide des Nations Unies87. Dans le corps du texte, plusieurs articles intéressent les lanceurs d'alerte en matière de corruption (art. 8 al 4 et 5, art. 13.2 et art. 33).

Ces conventions contraignantes, ratifiées par la France, ont permis d'intégrer dans l'ordonnancement juridique français des textes instaurant une protection des lanceurs d'alerte.

82 Convention OIT n°158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur, qui fut adoptée le 22 juin 1982 et rentrée en vigueur le 23 novembre 1985.

83 Selon l'article 5-c, ne constitue pas un motif valable de licenciement le fait d'avoir déposé une plainte, d'avoir participé à des procédures engagées contre un employeur en raison de violations alléguées de la législation ou d'avoir présenté un recours devant les autorités compétentes.

84 Ces articles posent une garantie au droit à la liberté d'expression, une protection en cas de licenciement injustifié, une bonne administration, un recours effectif et un tribunal impartial.

85 Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe du 4 novembre 1999 (STCE n°174) qui est rentrée en vigueur en France le 1er août 2008. Le Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) veillera au respect des engagements pris aux termes de la Convention par les Etats Parties.

86 Convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe du 27 janvier 1999 (STCE n°173) qui est rentrée en vigueur en France le 1er août 2008. La Convention pénale sur la corruption est un instrument ambitieux visant à incriminer de manière coordonnée un large éventail de conduites de corruption et d'améliorer la coopération internationale pour accélérer ou permettre la poursuite des corrupteurs et des corrompus.

87 Convention des Nations-Unies contre la corruption du 31 octobre 2003, rentrée en vigueur en France le 14 décembre 2005.

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B Ð 2007/2013, une séquence pro-lanceurs d'alerte incomplète

À partir de 2007 des lois vont impulser une législation sectorielle en faveur des lanceurs d'alerte dans l'espace financier et économique (1) et dans le domaine sanitaire et environnemental (2). Cependant des lacunes et un manque de lisibilité vont apparaître.

1 Ð L'exercice de l'alerte dans l'univers financier et économique

La loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption88 va être la première à instaurer une protection des salariés dans le secteur privé et dans les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), si le signalement de faits de corruption constatés dans l'exercice de leurs fonctions a été effectué de bonne foi. Elle va créer l'article L.1161-1 du Code du travail89. Le salarié ou candidat à un emploi va pouvoir saisir soit son employeur, soit les autorités judiciaires ou administratives pour signaler les faits.

Suite au scandale impliquant le ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, deux lois ont été votées le 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, permettant la création de la « Haute Autorité pour la transparence de la vie publique » (loi ordinaire et loi organique90) et prévoyant la protection de toute personne effectuant un signalement relatif à une situation de conflit d'intérêts. Reprenant la proposition issue des travaux de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique (dite « Commission Jospin ») de juillet 2012, le législateur a pour la première fois apporter une définition objective du conflit d'intérêts91 ; notion qui était appréhendée essentiellement sous sa dimension répressive (article 432-12 du

88 Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, JO n°264 du 14 novembre 2007 p. 18648. La loi est entrée en vigueur le 1er mars 2008. C'est la seule loi en matière de protection des lanceurs d'alerte qui a donné lieu à une application jurisprudentielle : Voir Cass, Soc, 30 juin 2016, n°15-10.557 (arrêt n° 1309)

89 Article L.1161-1 du Code du travail : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit.

En cas de litige relatif à l'application des deux premiers alinéas, dès lors que le salarié concerné ou le candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise établit des faits qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de faits de corruption, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers aux déclarations ou au témoignage du salarié. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ».

90 Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JO n° 238 du 12 octobre 2013 (rectificatif paru au JO n° 280 du 3 décembre 2013) et la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JO n°238 du 12 octobre 2013 p.16824

91 Au sens de l'article 1er de la loi ordinaire constitue un conflit d'intérêts « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».

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Code pénal). La protection des lanceurs d'alerte est limitée aux signalements concernant les personnes visées par l'article 4 (membres du gouvernement, principaux exécutifs locaux) et l'article 11 (liste d'élus et hauts fonctionnaires). Ce texte autorise les salariés à saisir la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), l'employeur, l'autorité chargée de la déontologie au sein de l'organisme, une association de lutte contre la corruption agréée (type Transparency International France), les autorités judiciaires et administratives.

Puis la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière92 a instauré un statut protecteur pour les salariés et les agents de la fonction publique qui relatent ou témoignent, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont ils auraient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions (les contraventions ne sont, en revanche, pas visées)93. L'article 36 de la loi prévoit la mise en relation directe du lanceur d'alerte économique avec le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC), ainsi désigné comme autorité régulatrice, dans le seul cas où l'infraction signalée entre dans le champ de compétence de ce service (article 40-6 du Code de procédure pénale).

La très récente loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires94 a étendu ces possibilités de signalement à la prévention des conflits d'intérêts. Dorénavant, il n'est pas possible de sanctionner un agent public qui aura « relaté aux autorités judiciaires ou administratives des faits susceptibles d'être qualifiés de conflit d'intérêts dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, ou témoigné de tels faits auprès de ces autorités, dès lors qu'il l'a fait de bonne foi et après avoir alerté en vain son supérieur hiérarchique » (article 25 ter I de la loi Le Pors de 1983). Le fonctionnaire ne pourra ainsi s'adresser aux autorités judiciaires ou administratives qu'« après avoir alerté en vain son supérieur hiérarchique ». Incessamment sous peu, il faudra songer aux conditions permettant de considérer qu'un agent s'est adressé en vain à son supérieur hiérarchique pour que soit estimée comme légitime sa dénonciation à l'autorité judiciaire. Selon Jean-Philippe Foegle et Serge Slama « le schéma adopté n'est pas totalement satisfaisant car en cas de risque de conflit d'intérêts, l'agent public doit d'abord s'en remettre à son supérieur

92 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, JO n°0284 du 7 décembre 2013, p. 19941

93 L'article 35 de la loi a inséré pour les salariés du secteur privé un nouvel article L.1132-3-2 au sein du Code du travail et pour les fonctionnaires et agents de la fonction publique un nouvel article 6 ter A dans la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pour les agents de la fonction publique (loi dite « Le Pors »).

94 Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, JO n°0094 du 21 avril 2016

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hiérarchique, puis il bénéficie d'une immunité disciplinaire s'il se confie aux autorités judiciaires et administratives »95.

Dans les domaines de l'environnement et de la sécurité sanitaire a été, également, inaugurée une protection spéciale pour les lanceurs d'alerte.

2 - L'élaboration d'un droit d'alerte pour une transparence environnementale et sanitaire

La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé (loi dite Bertrand)96, adoptée après le scandale du Médiator, a posé les bases d'un statut du lanceur d'alerte dans le domaine de la santé. Elle a créé l'article L.5312-4-2 du Code de la santé publique qui protège toute personne effectuant « un signalement de faits relatifs à la sécurité sanitaire des produits », c'est-à-dire de médicaments et produits de santé selon l'article L.5311-1 du Code de la santé publique. L'alerte ne pourra être faite, selon la loi, qu'à l'employeur et aux autorités judiciaires ou administratives. Cette loi n'a pas introduit la possibilité de dénoncer des situations de conflits d'intérêts dans le domaine pharmaceutique. Cette occasion manquée aurait pourtant permis d'appréhender l'affaire Dalbergue différemment97.

La loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (dite loi Blandin)98 a parfait la protection et le statut des lanceurs d'alerte en matière sanitaire, en donnant la première définition française du lanceur d'alerte99. Elle pose les conditions de l'alerte,

95 JP FOEGLE ET S. SLAMA, « Refus de transmission d'une QPC sur la protection des fonctionnaires lanceur d'alerte », Revue des droits de l'Homme, mis en ligne le 14 mars 2014, p. 7/8-16 (consulté le 20 avril 2016) https://revdh.revues.org/628

96 Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé (loi dite Bertrand), JO n°0302 du 30 décembre 2011, p. 22667

97 En 2011, Bernard Dalbergue, médecin-lobbyiste pour le laboratoire Merck, a dénoncé en interne une grave situation de conflits d'intérêts entre son laboratoire et un expert de l'Agence nationale de sécurité du médicament. Cet expert, sous contrat avec Merck, était chargé par l'Agence d'évaluer la mise sur le marché du médicament Victrelis (luttant contre l'hépatite C) commercialisé par Merck. Ayant refusé de couvrir cette situation, il sera licencié au motif de n'avoir pas obéit aux instructions hiérarchiques. La loi du 11 octobre 2013 n'aurait pu s'appliquer puisqu'aucun haut fonctionnaire ou élu n'était en cause. L'application de la loi du 6 décembre 2013 lui a été refusé. À la suite de son licenciement, il a co-écrit un ouvrage. Ce fut la première fois qu'un ancien cadre disséquait de l'intérieur, documents et histoires vécues à l'appui, la manière dont les laboratoires manipulent les médecins et les autorités, biaisent les essais cliniques, dissimulent les effets secondaires des médicaments et achètent des experts. Voir : ICARD ROMAIN, Médicaments sous influence, film documentaire, diffusé sur France 3 le 10 février 2015 (68mn) et B. DALBERGUE et A-L BARRET, Omerta dans les labos pharmaceutiques, confessions d'un médecin, Flammarion, 5 février 2014, p. 300

98 Loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte, JO du 17 avril 2013, p.6465

99 L'alerte est définie comme « l'action permettant d'attirer l'attention sur un événement une situation ou un agent, nouveau ou connu, susceptible d'altérer la santé des personnes ou l'état des milieux de vie ».

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inaugure une autorité pour l'enregistrement des alertes (Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement) et recouvre un domaine plus large que celui avancé par la loi Bertrand de 2011, puisqu'elle consacre un droit d'alerter sur les risques graves sanitaires et environnementaux, là où la loi Bertrand de 2011 se limitait à la sécurité sanitaire et n'englobait pas l'environnement. La protection du lanceur d'alerte sanitaire, issu de l'article 11 de la loi, est mentionnée à l'article L.1351-1 du Code de la santé publique et vise toute personne physique ou morale.

Toutes les récentes lois en matière de protection des lanceurs d'alerte intègrent les mêmes dispositifs.

Tout d'abord, la protection consacrée fait état de l'interdiction de prendre des mesures de rétorsion ou d'intimidation contre la personne ayant effectué le signalement. Cette protection contre toute mesure de rétorsion va s'appliquer en amont de la relation contractuelle (recrutement, stage, formation). Les lois vont lister les représailles interdites, telles le refus d'embauche, d'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, les sanctions disciplinaires, les licenciements et toutes formes de discriminations directes ou indirectes (notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail).

Ensuite, tous les textes vont opérer un renversement de la charge de la preuve ; à l'instar des articles déjà existants en matière de harcèlement sexuel et moral (articles L.122-46 et L.12249 du Code du travail). Selon Mireille Bacache, ces textes renversent « la charge de la preuve du lien causal entre l'exercice de l'alerte et la mesure discriminatoire dont a été victime le lanceur d'alerte. Ce lien est désormais présumé et c'est à la personne accusée d'avoir pris une telle mesure de justifier d'une raison dépourvue de lien avec l'alerte »100.

La charge de la preuve en cas de litige est établie de la manière suivante : le salarié ou le candidat établit des faits permettant de présumer qu'il a relaté ou témoigné de faits répréhensibles et l'employeur, partie défenderesse, doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers aux déclarations ou témoignages de l'intéressé101.

100 M. BACACHE, « L'alerte : un instrument de prévention des risques sanitaires et environnementaux », RTD civ, 2013, p.696-726

101 Voir sur la charge de la preuve en matière de harcèlement discriminatoire : Conseil d'Etat, Section, 11 juillet 2011, Montaut, n°321225 ; AJDA 2011, p.2072, concl. M. Guyomar.

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Ensuite, le lanceur d'alerte perd le bénéfice de sa protection s'il n'est pas de bonne foi (s'il n'est pas animé par des considérations éthiques). La question de l'appréciation de son mobile réel sera alors au centre des débats, avec une grande place laissée à la subjectivité.

Ce critère est essentiel puisqu'il va permettre de distinguer l'alerte sincère et légitime de la vengeance cachée. La Cour européenne a elle-même réaffirmé la prééminence de cette condition en précisant qu'une dénonciation doit être fait de bonne foi pour que son auteur puisse être qualifié de lanceur d'alerte102. Donc, les lanceurs d'alerte de mauvaise foi103 seront passibles de poursuites au titre de la dénonciation calomnieuse (art. 226-10 du Code pénal) et de la diffamation ou de l'injure (art. 29 al 1 et 2 de la loi du 29 juillet 1881). Ce dispositif sonne comme une mise en garde pour le fonctionnaire ou le contractuel.

Enfin, l'exclusion d'une alerte par voie externe (les médias) a été instituée par toutes les lois. À l'exception de la loi du 6 décembre 2013 qui n'a spécifié aucune saisine particulière et d'où l'on peut en déduire que le recours à la presse est autorisé et la loi Blandin de 2013 qui, par son article 1er, a consenti la divulgation publique. Cette restriction de pouvoir effectuer une alerte par voie de presse ne va pas dans le sens opéré au niveau européen. En effet, la CEDH, comme la Recommandation du Conseil de l'Europe de 2014, exigent que les lanceurs d'alerte puissent avoir accès à la presse lorsque ceux-ci ne disposent « d'aucun autre moyen efficace pour procéder à la divulgation » et révèlent des informations « que les citoyens ont un grand intérêt à voir publier ou divulguer » telles que l'usage par les pouvoirs publics de « procédés irréguliers ou illégaux »104.

Ces textes, venus renforcer le statut et la protection des lanceurs d'alerte, n'ont pourtant pas permis un aboutissement total en ce sens. La protection des lanceurs d'alerte reste assurément fragmentaire, disparate, avec une absence de contrôle et des canaux de signalement insuffisamment sécurisés. Même si ces lois sont incomplètes, lacunaires et ont un faible pouvoir opérationnel, elles demeurent importantes puisque première pierre à l'édifice en matière de protection des lanceurs d'alerte français105.

102 CEDH, 21 juin 2016, Soares c/ Portugal, req. n°79972/12

103 Avec l'intention de nuire ou la connaissance au moins partielle de l'inexactitude des faits rendus publics ou diffusés.

104 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas, requête n° 64752/01

105 Voir annexe 1, p. 131

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II Ð Des procédures de signalement délimitées

Malgré l'instauration d'un droit d'alerte, il demeure restreint à des domaines spécifiques et à des individus établissant un lien de subordination (A). Les signalements des agents publics ou privés sont encadrés strictement par des lois récentes et anciennes (B).

A Ð Des champs d'alerte sanctuarisés

Le droit d'alerter a été limité dans son champ matériel (1) et personnel (2).

1 Ð Le droit d'alerte, un pré-carré réservé

Comme cela a été vu précédemment, les lois de 2007 à 2013 ont posé un statut protecteur limité à certains champs matériels de signalement : la corruption (loi du 13 novembre 2007), la sécurité sanitaire mais uniquement pour les produits mentionnés dans le CSP (loi du 29 décembre 2011), la santé publique et l'environnement (loi du 16 avril 2013), les conflits d'intérêts relatifs aux membres de l'exécutif (loi du 11 octobre 2013), les crimes et délits constatés par les fonctionnaires publics et les salariés (loi du 6 décembre 2013), les conflits d'intérêts constatés par les fonctionnaires publics (loi du 20 avril 2016).

Ces lois enferment les alertes aux délits financiers et économiques, à la sécurité sanitaire et à l'environnement. En revanche, la loi du 6 décembre 2013 demande à être interprétée puisqu'ayant un champ plus vaste. À l'avenir, il faudra suivre le sens donné, par les juges, à ce texte lorsqu'ils seront confrontés à des poursuites contre des lanceurs d'alerte.

En dehors de cette application matérielle, deux autres champs de signalement éthique ont été restreints : le renseignement et le secret des affaires.

a Ð Le renseignement étatique : le sempiternel conflit entre sécurité nationale et droit à l'information

Selon Daniel Lochack « À forcer de parler de transparence, on finit par oublier le secret. Non pas le secret résiduel [É] mais le secret prévu et organisé par les textes, le secret des documents qui échappent à la communication en vertu même de la loi, le « secret d'État ».

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[É] Conviendrait-il que l'on se préoccupe de limiter au maximum cette zone d'ombre soustraite aux regards des citoyens et menaçante pour les libertés »106.

Après la tempête Snowden et ses révélations dans le domaine du renseignement, la protection des lanceurs d'alerte en la matière a fait l'objet d'un travail international. Tout d'abord avec l'adoption des Principes de Tshwane107. Ces principes imposent que les lois nationales doivent protéger les agents publics, y compris les militaires et les sous-traitants travaillant pour les services de renseignement, s'ils révèlent des informations au public, dès lors que sont réunies quatre conditions : (1) l'information concerne les actes répréhensibles d'un gouvernement ou d'entreprises travaillant avec l'État ; (2) la personne a tenté de signaler un acte répréhensible ; (3) la révélation d'informations s'est limitée aux informations répréhensibles ; (4) le lanceur d'alerte a des motifs raisonnables de penser que la révélation d'informations est plus bénéfique que dommageable pour l'intérêt général.

Même si la révélation d'informations ne satisfait pas aux quatre critères, le lanceur d'alerte ne doit pas être sanctionné si l'intérêt général de révéler des informations est supérieur à l'intérêt général de les garder secrètes.

Les organes européens ont, par la suite, approuvé la démarche proposée à Tshwane108 109 110.

Dans ce contexte d'ébauche d'un corpus de standard européen, la France s'est dotée d'une législation en matière de conciliation entre secret-défense et lancement d'alerte pour les agents de renseignement avec la loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement111. Cette loi a créé l'article L.861-3 du Code de la sécurité intérieure112 qui pose un statut pour les lanceurs d'alerte au sein des agences de renseignement.

Censée fonder une protection accrue pour les agents, la loi les a en réalité emprisonnés dans un domaine très restreint. En effet, l'article L.861-3 du CSI fait référence à un article

106 D. LOCHACK, « Secret, sécurité et liberté », Publications du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, Paris, PUF, 1988, p.1-70

107 Ces principes mondiaux ont été rédigés par 22 organisations et centres universitaires de recherche, lors de 14 réunions organisées dans le monde entier par l'Open Society Justice Initiative. Le processus s'est achevé lors d'une réunion en Afrique du Sud, à Tshwane. Ils ont été publiés le 12 juin 2013.

108 L'APCE a adopté une résolution qui avalise les Principes de Tshwane en vue de renforcer le juste équilibre entre le droit des citoyens à savoir et la protection des préoccupations légitimes en matière de sécurité nationale : Résolution 1954 (2013) relative à la sécurité nationale et l'accès à l'information du 2 octobre 2013.

109 Le Comité des ministres du Conseil de l'Europe, dans sa recommandation CM/Rec (2014) 7, a dans l'exposé des motifs repris les Principes en les mettant en balance avec les dispositions élaborées sur la protection des lanceurs d'alerte.

110 Résolution du Parlement Européen - Résolution P7-TA-PROV (2014) 0230 du 12 mars 2014 relative au programme de surveillance de la NSA, des organismes de surveillance des divers Etats membres et des incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d'affaires intérieures.

111 Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, JO n°0171 du 26 juillet 2015, p. 12735

112 « Aucun agent ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de recrutement, de titularisation, de notation, de discipline, de traitement, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation, d'interruption ou de renouvellement de contrat, pour avoir porté, de bonne foi, des faits mentionnés à l'article 801-1 à la connaissance de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ».

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nouvellement créé : l'article L.801-1113. En combinant ces deux articles, la loi énonce que l'agent ne pourra effectuer une alerte, de bonne foi, si les services de renseignement procèdent à des violations manifestes au droit à la vie privée. Les exemples selon lesquels les comportements d'un service étatique pourront être dénoncés par un agent ont été amorcés dans la loi114. La question d'étendre les alertes à d'autres infractions a été proscrite. Il aurait pourtant été essentiel d'élargir les alertes aux violations aux droits de l'Homme, comme le prônait le principe n°37 de Tshwane115. Ë propos de cette loi nouvelle, Jean-Philippe Foegle a souligné que « présenté comme une avancée notable [...], le nec plus ultra en matière de contrôle des activités de renseignement [...] le système institué apparaît bien éloigné du standard émergent en la matière [...] à l'échelon international et européen »116.

Les possibilités de signalement avancées par la loi ont exclu la divulgation par voie médiatique. Pourtant la CEDH exige que les lanceurs d'alerte puissent avoir accès à la presse lorsque ceux-ci ne disposent « d'aucun autre moyen efficace pour procéder à la divulgation » et révèlent des informations « que les citoyens ont un grand intérêt à voir publier ou divulguer » telles que l'usage par les pouvoirs publics de « procédés irréguliers ou illégaux »117. Prolongeant cette tendance, des arrêts récents de la CEDH en matière de divulgation d'informations classifiées sont venus rappeler la prééminence de l'intérêt du public à être informé si les révélations relèvent du débat d'intérêt général ; et qu'à ce titre, la dénonciation par voie de presse est admissible en dernier ressort et en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement118.

La loi Renseignement a fait l'objet de vives critiques. Le député Lionel Tardy, lors de son examen à l'Assemblée nationale le 24 juin 2015, avait tenu les propos suivants : « Cet amendement remet en question le dispositif pour les lanceurs d'alerte. [...] Le Snowden

113 Art. L.801-1 CSI : « Le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes, notamment le secret des correspondances, la protection des données personnelles et l'inviolabilité du domicile, est garanti par la loi. L'autorité publique ne peut y porter atteinte que dans les seuls cas de nécessité d'intérêt public prévus par la loi, dans les limites fixées par celle-ci et dans le respect du principe de proportionnalité ».

114 On retrouve le cas où la mesure de surveillance serait mise en oeuvre hors des hypothèses dans lesquelles celles-ci peuvent être mises en place (article L.811-3), le cas où les services n'auraient pas sollicité l'autorisation du Premier ministre en bonne et due forme (article L.821-2) ou le cas où les données collectées n'auraient pas été supprimées à l'issue du délai prévu par la loi (article L.822-2).

115 Les divulgations devraient recouvrir l'ensemble des crimes, des violations aux droits de l'homme et du droit humanitaire international. Egalement la corruption, les menaces pour la santé et sécurité publique, les dangers pour l'environnement, l'abus de fonction publique, l'erreur judiciaire, la mauvaise gestion des deniers publics ou le gaspillage des ressources.

116 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 2-23 (consulté le 4 mars 2016) https://revdh.revues.org/1369

117 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas, requête n° 64752/01

118 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, req. n°14277/04 ; CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02

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Français va devoir se cacher si un jour il existe [É]. C'est regrettable, car l'expérience américaine justement aurait dû nous instruire. Ce n'est visiblement pas le cas ».

Une dose de secret doit saupoudrer les activités des services spéciaux de renseignements. Pour autant, ces services, bras armé de la France exécutant des actions à la lisière de la légalité, doivent être irréprochables dans certains domaines119. Le caractère vil de quelques opérations doit dès lors pouvoir être dénoncé avec force.

b - Le secret des affaires : le secret pour règle, la communication comme exception

Votée par une large majorité d'eurodéputés au Parlement le 14 avril 2016120, la directive européenne relative au secret des affaires est le fruit d'une proposition de la Commission européenne, dont l'objectif est une harmonisation au plan civil de la protection du secret des affaires. Ce texte impose aux États un recours civil contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites de secrets d'affaires, les États membres restant libres d'y ajouter un volet pénal. Les vingt-huit États européens ont deux ans pour transposer la directive.

En France, une tentative d'introduire cette protection avait avorté en janvier 2015. C'est dans le cadre du débat sur la loi croissance et activité n°2447 (Loi Macron) qu'un amendement sur la protection du secret des affaires avait été déposé (amendement n°SPE1810 débattu à l'Assemblée nationale le 12 janvier 2015). La mesure a provoqué une levée de boucliers chez les journalistes qui y voyaient une menace à leur endroit et à la liberté d'expression. Cet amendement fut retiré le 30 janvier 2015 mais les prémices d'une protection spéciale pour les entreprises étaient nées121. C'est dans ce contexte qu'intervient, quelques mois plus tard, la directive européenne qui est saluée par certains observateurs122.

119 Voir J. GUISNEL et D. KORN-BRZOZA, Histoire des services secrets français, film documentaire, collection documentaire en 4 volets, produit en 2010, diffusé sur France 5 le 6, 13, 20, 27 février 2011 (4 x 52mn).

120 Résolution législative du Parlement européen du 14 avril 2016 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites - COM (2013) 0813 - C7-0431/2013 - 2013/0402 (COD)

121 Il n'existe pas de dispositions en droit français protégeant le secret des affaires. C'est dans le cadre, plus général, d'infractions au Code pénal que les entreprises trouvent leur protection. Avec l'abus de confiance (art. 314-1 du Code pénal), le vol de fichiers ou de documents (art. 311-1 du Code pénal), l'intrusion dans un système informatique (art. 323-1 du Code pénal), le délit de révélation du secret (art. L.621-1 du Code de la propriété industrielle et L.152-7 du Code du travail) et sur le plan civil avec l'action en concurrence déloyale (art. L.621-1 du Code la propriété industrielle).

122 « Une législation limitée à la France n'aura pas suffisamment d'efficacité dans le contexte d'une économie mondialisée. Comment résoudre la question de l'extra-territorialité de certaines législations internationales ? Porter cette préoccupation au niveau européen est un réel progrès » : JACKY DEROMEDI, « Protection du secret des affaires : ce grand oublié de la réforme Macron », Le petit juriste, 20 juillet 2015 (consulté le 17 avril 2016)

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La directive vise à défendre le secret des affaires des entreprises et à les protéger contre l'espionnage industriel et économique. Ne peut être remise en cause la légitimité des entreprises à vouloir protéger leur secret d'affaires et de fabriques. La critique vient de l'instrumentalisation de ce secret à des fins autres que la seule protection des entreprises.

Initialement imaginé pour éviter que les entreprises ne se fassent piller par leurs concurrents, les journalistes ont vu dans ce secret des affaires un outil pour étouffer l'investigation et le journalisme économique. Selon le collectif Informer n'est pas un délit en « incluant dans son champ d'application des gens qui ne sont pas des espions mais cherchent simplement à exercer leur profession (journaliste, chercheur, cadre désireux de changer d'emploi) ou à suivre ce que leur dicte leur conscience (lanceurs d'alerte), cette législation destinée à réprimer l'espionnage économique va trop loin et va donner à des entreprises des moyens juridiques pour tenter de poursuivre quiconque obtiendrait, utiliserait ou publierait un secret d'affaires sans leur consentement »123. Afin de remédier à ces critiques, des amendements sont venus certifier que le droit d'informer ne serait pas mis en danger par la directive. Ainsi, l'article 4 de la directive124 fait référence au droit d'informer tel que défini dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Référence accessoire puisque la Charte s'applique automatiquement. Cependant, cette dérogation ne change rien à la problématique puisque le droit d'intenter des poursuites judiciaires, envers toute personne publiant sans leur consentement des informations considérées comme relevant du secret des affaires, est attribué aux entreprises. Le juge devra trancher entre les droits économiques des entreprises et le droit des journalistes d'informer leurs lecteurs. Dès lors, n'existe aucune garantie que le droit d'informer l'emporte. Le cas échéant, les journalistes devront évaluer les risques et prendre en compte les éventuels dommages financiers importants.

Dans cette volonté de ne pas porter atteinte au droit d'informer, l'article 4 de la directive a posé une protection pour les lanceurs d'alerte en cas de révélation « d'une faute, d'une malversation ou d'une activité illégale, à condition que l'obtention ou la divulgation présumée du secret ait été nécessaire et que le défendeur ait agi dans l'intérêt public ».

Cette liste limitative de cas protégés comprend de nombreuses lacunes.

À titre d'exemple, les documents du scandale Luxleaks étant des rescrits fiscaux entre le Luxembourg et les entreprises multinationales, ils étaient légitimes et légaux selon le droit

123 M. GOLLA, « La directive européenne sur le secret des affaires fait polémique », Le Figaro.fr, publié le 26 avril 2016

124 L'article 4 énonce que la divulgation du secret des affaires sera admissible en cas « d'usage légitime du droit à la liberté d'expression et d'information ».

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luxembourgeois. Le lanceur d'alerte et le journaliste, poursuivis pour violation du secret des affaires, n'auraient pas été protégés par l'article 4 de la directive bien qu'ils aient révélé un scandale majeur d'évasion fiscale.

Enfin, l'article 2 de la directive a donné au secret des affaires une définition extensible125, introduisant lato sensu plusieurs types d'informations qui concernent l'activité des entreprises. À partir de quels éléments, dès lors, l'information relèverait du secret d'affaires ? Ce secret d'affaires ne devrait pas, quoiqu'il en soit, être délimité par les entreprises126.

Les lanceurs d'alerte (et les journalistes qui glanent leurs informations) devront démontrer au juge qu'ils ont agi pour protéger l'intérêt général. La charge de la preuve reposera sur eux. Le texte indique également que « l'intérêt public » doit guider la divulgation d'un secret d'affaires, mais cette notion devra être appréciée, le cas échéant, par un juge. Dès lors, il pourrait y avoir une interprétation différente selon le type de juridiction saisie, selon l'opinion du juge et selon l'information divulguée. Selon Nicole Marie Meyer « Que l'on veuille défendre les PME, renforcer leurs secrets économiques et leurs outils de production est une bonne chose. Mais l'esprit de la directive ne va pas dans le bon sens. La définition est trop floue. La directive fait porter la charge de la preuve sur les lanceurs d'alerte et pas sur les entreprises, sur le plus faible et non le plus fort. Le texte va provoquer dix années de jurisprudence au détriment du plus faible »127.

2 - Le lanceur d'alerte sous le prisme d'une relation hiérarchique

Avec l'introduction de cet arsenal législatif, apparaît une évidence : le titulaire de l'alerte ne peut être qu'un individu ayant dénoncé des agissements « constatés dans l'exercice de ses fonctions ». Pour autant, des personnes morales peuvent participer à des signalements éthiques128. La Revue Prescrire en est un bon exemple129.

125 Selon l'article 2 de la directive le secret des affaires s'entendrait « d'informations secrètes ou d'informations ayant une valeur commerciale parce qu'elles sont secrètes ou d'informations destinées à être gardées secrètes ».

126 La CJUE a récemment rendu un arrêt sage et conséquent en matière environnementale puisqu'elle a déclaré que la protection du secret commercial et industriel ne peut être opposée à la divulgation d'informations relatives à des émissions dans l'environnement et les incidences des rejets d'un pesticide dans l'air, l'eau, le sol ou sur les plantes : CJUE, 23 novembre 2016, Commission c/ Greenpeace Nederland, C-673/13P ; CJUE, 23 novembre 2016, Bayer c/ CTB, C-442/14

127 M. GOLLA, « La directive européenne sur le « secret des affaires » fait polémique », LeFigaro.fr, 26 avril 2016

128 Il faut donc différencier les personnes pouvant être titulaire du statut protecteur de lanceur d'alerte (personne physique ou morale ?) et l'alerte en elle-même.

129 Fondée en 1981 sous le régime de l'association à but non lucrative par un groupe de médecins et de pharmaciens, réputée pour son indépendance vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique, la revue dénonce régulièrement des traitements thérapeutiques sans effet, voire dangereux, ou dont la balance bénéfices/risques est défavorable. Dès 2005, la revue a été parmi les premières à mettre en garde contre la dangerosité du Médiator (N. LE BLEVENNEC, « Prescrire, la revue médicale qui dit « non, merci » aux labos », Rue89, publié le 7 décembre 2010 - consulté le 2 avril 2016).

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La question de la titularité de ce droit doit, dès lors, être analysée.

En effet, selon les lois, l'alerte éthique est ouverte aux « seuls employés », « à tout agent » ou « tout fonctionnaire » dans l'exercice de ses fonctions (art. 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 issu de la loi du 6 décembre 2013) ou à « toute autorité constituée », « tout officier public » ou « fonctionnaire » dans l'exercice de ses fonctions (art. 40 al 2 du CPP). Mais dans d'autres textes, elle est ouverte à « toute personne dans l'exercice de ses fonctions » (art. 43 de la loi du 29 décembre 2011) ou encore plus largement à « toute personne y compris les personnes morales et n'importe quel citoyen » (art. 1er de la loi du 16 avril 2013 « loi Blandin »).

Ce lien hiérarchique exigé l'est également dans la loi relative au renseignement. Le texte fait référence à l'ensemble des agents de la « communauté française du renseignement ». Le législateur a volontairement écarté les agents statutaires de la fonction publique et a refusé de l'étendre aux contractants de l'Administration. Concernant la directive relative au secret des affaires, il faudra attendre la transposition française pour connaître précisément les personnes titulaires du droit d'alerter130.

À l'aune de ces dispositions apparaît donc une volonté de refuser toute protection à une personne extérieure à l'entreprise ou à l'institution131.

Cette nouvelle protection donnée reflète, dans les faits, une rivalité sous-jacente puisque les structures hiérarchiques traditionnelles ont des attitudes sociales ancrées autour de l'obéissance ; celle-ci étant le point d'orgue de toute relation contractuelle. Aller à l'encontre de l'obéissance due aux supérieurs, à l'institution et à ses valeurs est vue comme un manquement grave et un défaut de responsabilité de la part du salarié. Comme le souligne Olivier Leclerc « L'alerte intègre au coeur de la relation de travail une logique d'insubordination »132.

Ce foisonnement de critères demandés pour être exigible à une protection freine les garanties nécessaires aux lanceurs d'alerte.

Après la description analytique de ce nouveau droit d'alerte restreint, l'étude des règles et procédures existantes dans le monde du travail (privé et public) à des fins de protection pour les lanceurs d'alerte doit être explorée.

130 Espérons que les salariés et contractuels entreront dans le champ de cette protection, ainsi que certains citoyens ayant un lien quelconque et extérieur à l'entreprise.

131 Sous réserve de la loi Blandin qui énonce que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser, de bonne foi, une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement ».

132 O. LECLERC, « La protection du salarié lanceur d'alerte, Au coeur des combats juridiques », Dalloz, 2007, p. 298

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B - Des agents encadrés dans leur droit d'alerte

Pour agrémenter l'examen de ces nouveaux dispositifs de protection, il faut revenir sur les possibilités juridiques déjà existantes dans le droit français, permettant aux salariés et fonctionnaires de se protéger suite à une alerte éthique. L'analyse de ces facultés s'effectue sous le prisme de plusieurs obligations salariales et statutaires considérables.

Se pose la question du droit du travail et du droit de la fonction publique. En effet, ces deux régimes juridiques ont établi des critères permettant de protéger l'employé contre toutes formes de représailles de la part de son employeur à la suite d'un signalement. L'existence de ces normes, le processus de continuelles retouches et les obligations salariales dans le droit de la fonction publique (1) et le droit du travail (2) engendrent, cependant, des failles ne permettant pas une protection efficiente en matière de lancements d'alerte.

1 - Le droit administratif et de la fonction publique : une ombrageuse entente entre information et Administration

Selon Gilles Devers « Le principe d'une Administration au service du public et devant rendre compte de son action a été posé à l'article 15 de la DDHC et a valeur constitutionnelle133. Toutefois, cette règle a été interprétée pendant longtemps comme fondant le principe de responsabilité de l'Administration, mais pas la transparence de son fonctionnement. L'Administration reposait sur le secret, au nom de la préservation des intérêts du service »134.

Rappelons que les agents publics et fonctionnaires sont soumis à un statut général de la fonction publique composé de quatre lois135, incluant des obligations strictes que doivent respecter les agents publics. Celles-ci entrent directement en conflit avec le droit d'alerter et freinent son exercice. Rappelons que ce droit d'alerter des agents publics est intervenu tardivement en France. Éric Alt a déclaré à ce propos « La plupart des soixante pays dotés d'un droit d'alerte ont d'abord protégés les agents publics. La France fait le choix contraire, en organisant d'abord la protection des salariés du privé, et plus tard, celle de la fonction publique » 136.

133 Article 15 DDHC : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

134 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 71-171

135 Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (loi dite Le Pors), loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

136 E. ALT, « Lanceurs d'alerte : un droit en tension », JCP, 20 octobre 2014 n°43, doct. 1092, p.1925

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Les premières dispositions protégeant les agents publics ayant alerté sont apparues en 2005. La loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 (en matière d'harcèlement moral), la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 (en matière de discrimination en raison du sexe) et la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 (en matière d'harcèlement sexuel) ont reconnu la possibilité à un fonctionnaire de témoigner ou relater des comportements et de ne subir aucune mesure de représailles.

Récemment, la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie politique a introduit une protection pour les fonctionnaires qui signalent des faits relatifs à une situation de conflit d'intérêts de membres du gouvernement, d'élus et de hauts fonctionnaires. La loi du 20 avril 2016 a complété ce dispositif en l'étendant à tout conflit d'intérêts constaté.

Une innovation est apparue avec la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière puisqu'elle a créé l'article 6 ter A au sein de la loi du 13 juillet 1983. Elle a introduit une protection générale des fonctionnaires lanceurs d'alerte (incluant tous les agents publics) qui relatent ou témoignent, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont ils auraient eu connaissance dans l'exercice de leurs fonctions. Selon Jean-Philippe Foegle et Stephen Pringault « Cette nouvelle disposition constitue indéniablement un progrès, en ce qu'elle permet aux lanceurs d'alerte d'exercer leur « droit » d'alerter »137.

Le dernier texte à introduire une protection pour les lanceurs d'alerte est la loi du 16 avril 2013 (loi Blandin) permettant à toute personne (incluant les agents publics) de dénoncer des faits portant sur des risques sanitaires et environnementaux graves.

Au-delà de toutes ces nouvelles législations, l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 énonce que « La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté ». Cet article a été récemment modifié par la loi n°2016-483 du 20 avril 2016.

Ainsi, en cas de licenciement-sanction ou de mesure de représailles, l'agent public devra saisir le Tribunal administratif d'un recours en plein contentieux afin d'annuler la décision de l'Administration et d'obtenir la réparation financière du préjudice subi.

137 JP FOEGLE et S. PRINGAULT, « Les lanceurs d'alerte dans la fonction publique », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2256-2261

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Malgré cette ferveur normative du droit d'alerte dans la fonction publique, subsiste un droit inachevé et lacunaire dans son champ matériel et dans les canaux existants permettant d'accueillir une alerte 138 . L'inaboutissement émane de deux éléments conséquents. En premier lieu, un empilement de textes dans différents domaines est intervenu alors « qu'une seule disposition générale prévoyant la possibilité de lancer une alerte dans un intérêt public » aurait eu un meilleur accueil139. En second lieu, les obligations statutaires auxquelles sont assujettis les agents publics ont été insuffisamment appréhendées par le législateur, créant invariablement une incompatibilité avec les lancements d'alerte. Pourtant, la Cour européenne a relevé que « l'intérêt de l'opinion publique pour une certaine information peut parfois être si grand qu'il peut l'emporter même sur une obligation de confidentialité imposée par la loi » 140 . Faisant dire à Jean-Philippe Foegle qu'« un salarié, un journaliste, un fonctionnaire, un militant ne devrait pas être sanctionné pour avoir enfreint une obligation de confidentialité ou pour avoir publié des documents obtenus de manière illégale »141.

La première des obligations à laquelle est astreint l'agent public est l'obéissance hiérarchique. Elle impose à l'agent de respecter et se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique (art. 28 de la loi du 13 juillet 1983). Toutefois, la célèbre jurisprudence Langneur reconnaît que si l'ordre est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement l'intérêt public, l'agent peut être en droit de désobéir142. Pour que cette exception s'applique, le juge administratif a imposé la réunion de deux critères : un acte illégal et nuisible à un intérêt public143.

Les agents militaires ont également la possibilité de désobéir. Ce principe qui veut qu'un militaire a l'obligation de désobéir à un ordre manifestement illégal a été conceptualisé sous l'expression « baïonnettes intelligentes » puis consacré dans différents textes dont l'article 33 du Statut de la Cour pénale internationale, l'article L.4122-1 du Code de la Défense et l'article 122-4 du Code pénal144.

Le droit de réserve est également une obligation à laquelle l'agent public est astreint.

138 Voir Section 2, Paragraphe I, A, 1

139 L. RAGIMBEAU, « La liberté d'expression des agents publics : l'exemple du lanceur d'alerte », RFDA n°5, septembre-octobre 2015, p. 979-982

140 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, req. n°14277/04, §74

141 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 11-23

Voir en ce sens : CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n° 29183/95 ; CEDH, 4e Sect., 7 juin 2007, Dammann c/ Suisse, req. n° 77551/01 ; CEDH, 2e Sect., 28 juin 2011, Pinto Coelho c/ Portugal, req. n° 28439/08.

142 CE, 10 novembre 1944, Sieur Langneur, Lebon p.248

143 CE, 27 mai 1949, Dame Arasse, Rec. CE 1949, p. 249 ; CE, 11 février 1949, Hubert, Rec. CE 1949, p. 73. Le juge interprétant, ainsi, ce droit de désobéir de manière restrictive.

144 Art. 122-4 al 2 du Code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l'autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».

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Cette obligation est une création prétorienne (Conseil d'État, 11 janvier 1935, Bouzanquet) et interdit au fonctionnaire d'exprimer ses opinions personnelles à l'intérieur ou à l'extérieur du service, si ses propos entravent le fonctionnement du service ou jettent le discrédit sur l'Administration. Cette obligation implique que le fonctionnaire s'exprime avec mesure, prudence et modération, ce qui peut entrer en conflit avec sa liberté d'expression145.

Même si la tendance évolue146, le juge administratif a une interprétation très stricte de cette obligation, d'autant plus lorsque le fonctionnaire émet des critiques en dehors de l'Administration. Cette lecture faite par le juge va dans le sens voulu de la Cour européenne des droits de l'homme soulignant « la légitimité pour l'État de soumettre ses agents à une obligation de réserve » (CEDH, 9 juillet 2013, Di Giovanni c/ Italie, n°51160/06).

Le secret professionnel est une autre obligation qui entrave le déclenchement d'une alerte (art. 26 al 1 de la loi du 13 juillet 1983). L'obligation est faite à tout agent public de ne pas divulguer des renseignements confidentiels sur des personnes ou des intérêts privés recueillis dans l'exercice de ses fonctions. Le manquement à l'obligation peut être pénalement sanctionné par l'article 226-13 du Code pénal. Il existe cependant une dérogation (à travers un canal d'alerte à la disposition de tout fonctionnaire) : un agent, ayant connaissance dans l'exercice de ses fonctions d'un crime ou d'un délit, doit en informer le procureur de la République (article 40 al 2 du CPP).

L'obligation de discrétion professionnelle limite également le droit d'alerte de l'agent public (article 26 al 2 de la loi du 13 juillet 1983). Le fonctionnaire doit rester discret pour tous les faits, informations ou documents dont il a connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Le fonctionnaire ne peut être délié de cette obligation de discrétion professionnelle que par décision expresse de l'autorité dont il dépend. Contrairement à l'obligation de secret professionnel, tout manquement à l'obligation de discrétion n'est pas pénalement sanctionné. Cependant, en cas de non-respect, l'agent est passible de sanctions disciplinaires.

145 Le 24 avril 2016, le Général Bertrand Soubelet a perdu son poste de commandant de la gendarmerie au motif qu'il était sorti de son devoir de réserve en publiant un livre très critique sur l'état du pays, intitulé Tout ce qu'il ne faut pas dire.

146 Conseil d'Etat, 12 janvier 2011, M. Matelly n° 338461 : M. Matelly, chef d'escadron de la gendarmerie nationale, avait intégré un laboratoire français étudiant les questions de sécurité. Dans le cadre de ces travaux scientifiques, il publia, dans une revue spécialisée, un article dans lequel il critiquait le rapprochement de son institution avec la police, au moment même où l'organisation des deux grands services français dédiés à la sécurité publique était en débat devant le Parlement. Il avait également émis des critiques dans un article publié sur le site internet Rue 89 et dans une émission radio.

Pour la DGGN, l'officier avait exprimé « une désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement » et outrepassé « l'exigence de loyalisme et de neutralité liée à son statut militaire ». Il fera l'objet, par un décret du 12 mars 2010 du Président de la République, d'une mesure de radiation. Mais le Conseil d'Etat annula le décret. Reconnaissant que l'attitude du requérant était fautive, il va considérer que la sanction infligée était disproportionnée au regard de la critique émise qui n'avait pas de caractère polémique.

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Ces deux dernières obligations ont récemment donné corps aux limites du droit d'alerte d'un agent public. En l'espèce, un commandant de police, Philippe Pichon, avait alerté en 2007 sa hiérarchie sur les dysfonctionnements du fichier STIC « Le Système de Traitement des Infractions Constatées »147. Il recense plus de cinq millions d'identités alors que selon la CNIL il serait rempli d'erreurs et de données obsolètes. Pour signaler les dysfonctionnements, Pichon communiqua à un journaliste les informations inscrites concernant deux personnalités (Johnny Hallyday et Jamel Debbouze). Il fut mis en examen pour violation du secret professionnel (art. 226-13 du Code pénal) et condamné par le tribunal correctionnel à 1 500 euros d'amende avec sursis. Son avocat déposa une QPC devant cette même juridiction faisant valoir l'imprécision de la notion « d'information à caractère secret » tel que défini par l'article 226-13 du Code pénal. La Cour de cassation refusa de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel évaluant qu'elle n'était pas suffisamment sérieuse et que le délit de violation du secret professionnel était défini de manière claire et précise, ne portant pas ainsi atteinte au principe de légalité des délits et des peines (Cass, crim, 5 septembre 2012, n°12-90-045, arrêt n°4881). Ayant manqué à son obligation de discrétion professionnelle, il fut suspendu de ses fonctions en 2008 par le Ministère de l'intérieur. La Cour administrative d'appel de Paris, le 16 juin 2013, a confirmé cette sanction disciplinaire de mise à la retraite de Philippe Pichon. Lors du pourvoi en cassation devant le Conseil d'État, son avocat déposa également une QPC sur la base de l'article 26 al 2 de la loi de 1983 (obligation de discrétion professionnelle), estimant que son périmètre était flou et son étendue imprécise. Le Conseil d'État refusa de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel au motif qu'elle n'était pas suffisamment sérieuse (Conseil d'État, 5 février 2014, n°371396, Philippe Pichon). Ce refus de transmettre (et ainsi d'établir les prémices d'un véritable statut constitutionnel pour les fonctionnaires lanceurs d'alerte) apparaît « comme une occasion manquée d'élever au niveau constitutionnel le débat »148.

Commentant la décision du Conseil d'État, Serge Slama et Jean-Philippe Foegle ont relevé qu'il « s'est contenté de rappeler le contenu de la disposition critiquée [...] et ajoute seulement, en guise de garantie, que dans le cas où une autorité hiérarchique sanctionne un fonctionnaire au titre d'un manquement à l'obligation de discrétion professionnelle [...], une telle sanction est soumise au contrôle du juge de l'excès de pouvoir »149. Cependant, si une

147 Créé par un décret du 5 juillet 2001, le STIC, valable pour les mineurs et majeurs, contient des informations (identité, photo, domicile, filiation, etc.) recueillies au cours des enquêtes de flagrance, préliminaires ou commissions rogatoires. Les victimes voient leur identité relevée.

148 JP FOEGLE ET S. SLAMA, « Refus de transmission d'une QPC sur la protection des fonctionnaires lanceur d'alerte », Revue des droits de l'Homme, mis en ligne le 14 mars 2014, p. 13-16 (consulté le 20 avril 2016) https://revdh.revues.org/628

149 Ibidem p. 12-16

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sanction est soumise au juge de l'excès de pouvoir, il faut converger cette position du Conseil d'État avec sa jurisprudence Dahan150, dans laquelle il énonce un principe nouveau « qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ». Par cette décision, le juge administratif peut désormais apprécier la proportionnalité de la sanction infligée par l'Administration à la gravité des faits. Relevant du pouvoir discrétionnaire de l'Administration, le juge refusait, auparavant, de contrôler la sanction. Avec cette nouveauté, le juge administratif a la capacité d'exercer un contrôle plus approfondi sur la sanction infligée et de faire découler de son analyse une jurisprudence sévère ou non à l'égard des fonctionnaires lanceurs d'alerte. Selon Laure Ragimbeau « Il serait souhaitable que le juge se saisisse de cet outil pour rendre d'avantage intelligible sa position sur cette question et donner progressivement corps à une jurisprudence stabilisée »151.

Ainsi, le rôle du juge est considérable, puisqu'à lui de perfectionner le statut des lanceurs d'alerte dans la fonction publique. À l'heure actuelle, on relève des réticences de sa part. L'interprétation qu'il a de la notion de bonne foi en est un bon exemple. Selon le juge, à la suite de révélation faisant état de harcèlement, la sanction infligée est légale si les faits sont inexacts et ce indépendamment de sa bonne ou mauvaise foi152.

La récente étude du Conseil d'État portant sur le bilan critique du droit d'alerter en France propose de « compléter le pouvoir d'injonction du juge administratif en prévoyant explicitement, dans les dispositions législatives applicables au secteur public, qu'il pourra enjoindre à l'Administration de réintégrer effectivement l'agent public dont le licenciement, le non-renouvellement de contrat ou la révocation a été regardé comme une mesure de représailles prise à raison d'une alerte » (proposition 13)153.

150 Conseil d'Etat, Assemblée plénière, 13 novembre 2013, n°347704, Dahan, Lebon P.279, Considérant 5

151 L. RAGIMBEAU, « La liberté d'expression des agents publics : l'exemple du lanceur d'alerte », RFDA n°5, septembre-octobre 2015, p. 982-982

152 Conseil d'Etat, 21 février 2013, n°344462. La Cour de cassation a une position inverse puisqu'elle estime que relater des faits inexacts ne saurait suffire à justifier une sanction disciplinaire (Soc, 27 octobre 2010, n°08-44.446, RJS 2011. 32, n°11).

153 Etude Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger », La Documentation Française, adoptée par l'Assemblée plénière le 25 février 2016

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2 - Un droit du travail insuffisamment sécurisant

En France, la protection des salariés lanceurs d'alerte est devenue intelligible grâce à l'affirmation croissante des libertés salariales. Depuis une trentaine d'années, se sont construits, dans le monde du travail, des droits et libertés attachées à la personne humaine. Le travailleur devenant ainsi un citoyen dans l'entreprise depuis les lois Auroux de 1982 et l'intronisation dans le Code du travail de l'article L.1121-1154.

Les articles qui ont esquissé les prémices d'une protection pour les lanceurs d'alerte sont ceux punissant le harcèlement sexuel (art. L.1153-1 à L.1153-6 du Code du travail) et le harcèlement moral (art. L.1152-1 à L.1152-6 du Code du travail) ainsi que les représailles subies par un salarié qui les dénonce155.

La protection consiste dans la possibilité pour le salarié de solliciter l'annulation de toute mesure discriminatoire. La nullité ouvre droit à des dommages et intérêts appréciés souverainement en fonction du préjudice subi pendant toute la durée des mesures discriminatoires. Le salarié dispose pour agir devant le Conseil des prud'hommes d'un délai spécial de cinq ans, qui court à compter de la révélation de la discrimination (art. L.1134-5 du Code du travail).

Le droit à la liberté d'expression est également une garantie que peuvent déployer les salariés. Cette liberté a été reconnue à tous salariés dans le cadre d'une entreprise et a été posée par l'article L.1121-1 du Code du travail et complété par les articles L.2281-1156 et L.2281-3157.

Cette liberté d'expression du salarié, dans un premier temps, a été accordée en dehors de l'entreprise. La Cour de cassation, dans son célèbre arrêt Clavaud de 1988 avait indiqué que le salarié a le droit de s'exprimer et de manifester librement ses opinions même si cela gêne son employeur. Le licenciement qui sanctionne la liberté d'expression du salarié en dehors de l'entreprise fut jugé illégal (Cass, Soc, 22 avril 1988, n°87-41.804).

154 Art. L.1121-1 du Code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

155 « Le salarié devra établit les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement » et cela sera à « la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement » (art. L.1154-1 du Code du travail).

156 Art. L.2281-1 du Code du travail : « Les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercices et organisation de leur travail ».

157 Art. L.2281-3 du Code du travail : « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement ».

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Dans un second temps, l'exercice d'une libre expression a été accordé au salarié au sein même de l'entreprise. C'est en se fondant sur cette liberté que la Cour de cassation a estimée qu'un salarié ne pouvait pas être sanctionné pour avoir dénoncé des faits délictueux à l'Inspecteur du Travail158.

En la matière, on retrouve cette formule récurrente dans les arrêts de la Cour de cassation : « sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées et proportionnées sont admises »159. Est proclamé, ainsi, pour le salarié un « droit de critique » envers son entreprise.

Apparaissant comme favorable pour le salarié lanceur d'alerte qui se croit paralysé par son lien de subordination, il faut néanmoins qu'il veille à ne pas employer des formules abusives, diffamatoires, injurieuses ou excessives160 161. Pour évaluer l'abus dans les propos tenus, la Cour de cassation, en 2014, s'est appuyée sur trois critères : la position élevée dans la hiérarchie, la diffusion des informations et les propos abusifs162.

Ce pouvoir de critique a été plus facilement concédé aux chercheurs. La jurisprudence emblématique en la matière est liée à l'affaire André Cicolella.

Chimiste, toxicologue et ancien conseiller scientifique à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS), il dirigea l'unité d'évaluation des risques sanitaires sur les effets des éthers de glycol, solvants utilisés dans les peintures, colles, détergents, vernis mais dangereux pour la santé humaine. En 1994, il demanda à être reçu par son directeur pour défendre la nécessité de publier les résultats acquis sur la nocivité des éthers de glycol. Dès le lendemain de cette demande, il fit l'objet d'un licenciement pour insubordination et faute lourde163. En octobre 2000, après six années de procédure, la Cour de cassation reconnue le caractère abusif de son licenciement et pour la première fois la nécessité de « l'indépendance due aux chercheurs ». L'employeur devant « exercer son pouvoir hiérarchique dans le respect des responsabilités » qui sont confiées aux chercheurs164.

C'est dans cet esprit, que la Cour Européenne des Droits de l'Homme a elle aussi condamné un employeur, sur le fondement de l'article 10 de la Convention protégeant la liberté d'expression, qui muselait un chercheur. Dans l'affaire Hertel, la Cour avait donné raison à un

158 Cass, Soc, 14 mars 2000, n° 97-43.268, Mlle Piltron c/ M. De Cunéaz : « Le fait pour un salarié de porter à la connaissance de l'Inspecteur du Travail des faits concernant l'entreprise et lui paraissant anormaux, qu'ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas, en soi, une faute grave ».

159 Cass, Soc, 14 décembre 1999, pourvoi n° 97-41.995, Pierre c/ SNC Sanijura et A

160 M-P BLIN-FRANCHOMME et I. DESBARATS, Droit du travail et droit de l'environnement : Regards croisés sur le développement durable, Ed. Sa Lamy, 17 juin 2010, p. 174-332

161 Cass, Soc, 19 février 2014, n°12-29.458 ; Cass, Soc, 7 mai 2014 n° 12-35.305.

162 Cass, Soc, 14 janvier 2014, n° 12-25.658

163 Rapport sénatorial, Risques chimiques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l'air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? Compte-rendu des auditions (tome 2), publié le 11 octobre 2006 (consulté le 24 mars 2016).

164 Cass, Soc, 11 octobre 2000, n° 98-45276, INRS c/ M. Cicolella

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chercheur qui avait interdiction de publier des articles consacrés aux dangers des fours à micro-ondes sur la santé. Cette interdiction était fondée sur une loi suisse de 1986 prohibant le dénigrement de produit et la concurrence déloyale165. La Cour avait déclaré que « la mesure en cause a [...] pour effet de censurer partiellement les travaux du requérant et de limiter grandement son aptitude à exposer publiquement une thèse qui a sa place dans un débat public dont l'existence ne peut être niée. [...] Et qu'il serait particulièrement excessif de limiter la liberté d'expression à l'exposé des seules idées généralement admises »166.

Récemment, la Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt indiscutable en matière de protection du salarié lanceur d'alerte. Le 30 juin 2016, la Chambre sociale a cassé un arrêt de la Cour d'appel de Basse-Terre en Guadeloupe qui avait refusé d'annuler le licenciement pour faute lourde d'un salarié d'une association ayant dénoncé au procureur de la République les agissements de membres de l'association susceptibles de constituer une escroquerie ou un détournement de fonds publics. Tout en reconnaissant que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse puisque le salarié (dont la bonne foi ne pouvait être mise en cause) n'avait commis aucune faute en révélant de tels faits aux autorités judiciaires, la Cour d'appel avait refusé d'annuler le licenciement et d'appliquer l'article L.1161-1 du Code du travail issu de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption protégeant les lanceurs d'alerte, au motif que les faits dénoncés ne se rattachaient pas à des faits de corruption. La Cour de cassation va déterminer que la Cour d'appel avait violé l'article L.1161-1 du Code du travail alors même qu'elle « avait constaté que le licenciement était motivé par le fait que le salarié, dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute, avait dénoncé au procureur de la République des faits pouvant être qualifiés de délictueux commis au sein de l'association ». La Cour va affirmer pour la première fois qu'« en raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier du droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est atteint de nullité »167. Ainsi, la Chambre sociale va aller dans le prolongement des décisions de la Cour européenne des droits de

165 L'article 2 de la loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (loi LCD) contient une clause générale selon laquelle sont « déloyaux et illicites non seulement toute pratique commerciale mais aussi tout comportement qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients ». L'article 3, énumérant certains agissements déloyaux, précise notamment qu'« agit de façon déloyale celui qui (...) dénigre autrui, ses marchandises, ses oeuvres, ses prestations, ses prix ou ses affaires par des allégations inexactes, fallacieuses ou inutilement blessantes (...) ».

166 CEDH, 25 août 1998, Hertel c/ Suisse, req. n° 53440/99

167 Cass, Soc, 30 juin 2016, n°15-10.557 (arrêt n° 1309)

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l'homme qui considèrent que les sanctions prises à l'encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d'un service ou divulgué des conduites ou des actes illicites constatés sur leur lieu de travail constituent une violation à leur droit d'expression au sens de l'article 10-1 de la CESDH168 ; et dans le prolongement de sa propre jurisprudence qui admet la nullité du licenciement ou de toute mesure de rétorsion portant atteinte à une liberté fondamentale du salarié169. Dans sa note explicative, la Cour de cassation, en soulignant que son arrêt constitue une première, va énoncer que cette décision « est de nature à protéger les lanceurs d'alerte, dans la mesure où la chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits illicites sont portés à la connaissance du procureur de la République mais également, de façon plus générale, dès lors qu'ils sont dénoncés à des tiers »170.

Avec ces différentes garanties, il est plaisant d'imaginer que le salarié lanceur d'alerte bénéfice d'une immunité renforcée. Pourtant, elle peut s'affaiblir lorsque le salarié est assujetti à une obligation contractuelle ou légale qui remplies les conditions fixées à l'article L.1121-1 du Code du travail171. En effet, lors de la conclusion d'un contrat de travail, il est habituellement mentionné que celui-ci doit être exécuté de bonne foi172. La bonne foi correspondant à la « conviction de se trouver dans une situation conforme au droit, avec la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui173 », les juges prononceront le caractère abusif du licenciement ou des représailles subies par le lanceur d'alerte à l'aune de celle-ci174.

De cette obligation, les tribunaux ont décelé un devoir de loyauté du salarié à l'égard de l'entreprise, qui doit le conduire à s'abstenir de faire connaître à des tiers des informations à caractère confidentiel concernant l'entreprise. Selon Olivier Leclerc « Cette obligation s'inscrit donc parmi les obligations inhérentes au contrat de travail »175.

Le salarié peut, également, être astreint à une obligation générale de discrétion et ne peut donc pas divulguer, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur de l'entreprise, des informations dont il a connaissance (Cass, Soc, 5 mai 1997, CSPB, 1997, S.91).

L'employeur aura tendance à renforcer cette obligation en faisant souscrire au salarié une clause lui interdisant de divulguer certaines informations (dite clause de confidentialité).

168 CEDH, 18 octobre 2011, Sosinowska, req. n°10247/09 ; CEDH 12 février 2008, Guja c/Moldavie, req. n°14277/04

169 Cass, Soc, 6 février 2013, n°11-11.740, Bull. V, n° 27 ; Cass, Soc, 29 octobre 2013, n°12-22-447, Bull V n°252 170 https://www.courdecassation.fr/IMG///20160630NoteExplicativesoc1510557.pdf

171 Toutefois, la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a énoncé que l'employeur ne pouvait se prévaloir d'obligations légales ou contractuelles pour empêcher un signalement.

172 Cette exigence est rattachée à l'article 1134 du Code civil qui l'impose dans l'exécution du contrat.

173 Selon le rapporteur de la loi Blandin et G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8ème édition, PUF, Paris, 2009, p.119-986

174 Voir Cass, Soc, 8 novembre 2006, n°06-60.007 : la Cour a considéré qu'une salariée responsable de la direction médicale n'avait pas commis de faute en signalant de bonne foi à sa hiérarchie des faits délictueux en rapport avec ses attributions.

175 O. LECLERC, « Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail », Droit social, février 2005, p. 173-180

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Elle est destinée à protéger l'entreprise et peut s'appliquer après la fin du contrat de travail (Cass, Soc, 19 mars 2008 : RJS 2008, n°631).

Les juridictions françaises vont apprécier cette clause eu égard à la liberté d'expression telle que déjà reconnue pour les salariés. Pour cela, elles vont se fonder sur l'article L.120-2 du Code du travail commandant que la restriction apportée à une liberté individuelle soit justifiée et proportionnée. Par cet article, le salarié qui divulgue une information dans le but de protéger la santé ou l'environnement, ne peut se voir imposer une obligation de confidentialité. La restriction invoquée par l'employeur ne serait alors pas proportionnée au but recherché. Selon Olivier Leclerc, la liberté d'expression est, ainsi, mise en balance avec la protection de la santé176.

Pour autant, si le salarié, tenu par une clause de confidentialité, livre des informations par voie de presse, il sera poursuivi et probablement condamné pour avoir commis une faute grave177.

Subsiste dès lors un droit d'alerte limité par la loi, malgré le principe de la liberté d'expression, des dispositions législatives interdisant toutes formes de représailles, et une favorable interprétation jurisprudentielle des différentes obligations contractuelles.

Que cela soit dans le domaine public ou privé, retenons que différentes infractions peuvent être utilisées pour poursuivre un lanceur d'alerte qui a révélé des informations par la voie interne ou externe. La violation du secret et de la discrétion professionnelle, le manquement au devoir de réserve et de loyauté, le vol et le recel de vol, la dénonciation calomnieuse sont des délits permettant de rentrer en voie de condamnation178.

Après cet aperçu de textes abondants la matière, il est nécessaire d'étudier les différentes formes de divulgation à la disposition du lanceur d'alerte.

Cette grille de lecture dévoile qu'une pleine libération de la parole n'a pas été permise en France, que cela soit par les canaux et dispositifs d'alerte mis en place ou par l'utilisation limitée du droit à la liberté d'expression.

176 Ibidem, p. 179-180

177 Selon Olivier Leclerc, il faut supposer que la divulgation ne s'accompagne pas d'un dénigrement de l'employeur. En effet, faute pour l'employeur de réagir à l'alerte interne, les salariés pourraient être tentés d'appuyer plus fortement leur message, au risque de franchir la limite de l'abus de la liberté d'expression.

Pour illustration, Cass, Soc, 4 février 1997, n°96-40678 : la Cour de cassation a jugé justifié le licenciement de deux salariés qui avaient dénoncés des pratiques dangereuses pour la santé publique imputables à un laboratoire médical en raison de leur participation « à une campagne de dénigrement contre leur employeur » - O. LECLERC, « Sur la validité des clauses de confidentialité en droit du travail », Droit social, février 2005, p. 180-180

178 Voir Titre II, Section 1, Paragraphe I

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Section 2 - Une prise de parole limitée

Des canaux d'alerte (c'est-à-dire les voies par lesquelles l'alerte peut être lancée) ont été mis en place principalement pour les agents publics et privés mais ils renferment des lacunes systémiques, auxquelles des réponses doivent être apportées avec célérité (Paragraphe I). Pour bénéficier d'une certaine confidentialité ou face à l'inertie de ses supérieurs hiérarchiques après une première alerte, le lanceur d'alerte va user de la voie médiatique pour diffuser les signalements. Mais cette prise de parole publique est encadrée (Paragraphe II).

I - Des canaux de signalement contraignants

Des canaux d'alerte dits institutionnels ou professionnels ont été aménagés en France. Mais étant incomplets et incertains, ils restreignent une possible protection pour les lanceurs d'alerte (A). Ces inconstances devant être jugulées, des solutions doivent être introduites (B).

A - Des lacunes dans la réception de l'alerte

Offerts aux agents publics (1) et salariés (2), les dispositifs sectoriels d'alerte sont apparus comme insuffisants dans la protection des lanceurs d'alerte.

1 - Des canaux d'alerte institutionnels sous le sceau des obligations

L'article 40 al 2 du Code de procédure pénale179 est le premier canal dont dispose un agent public. Il est une dérogation au secret professionnel et à la discrétion professionnelle (art. 26 de la loi de 1983). Celui-ci permet de délier le fonctionnaire de son obligation de secret et de discrétion professionnelle à la seule condition qu'il ait au préalable suivi la procédure tracée par l'article, c'est-à-dire révéler les faits pénalement répréhensibles au procureur de la République (la divulgation à la presse n'est pas autorisée)180. Par cet article, le signalement est une obligation et non un droit mais n'est pas assorti d'une sanction en cas de non-divulgation.

179Art. 40 al 2 du CPP : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

180 Conseil d'Etat, Sous-sections réunies, 27 juillet 2005, req. n°260139 : « X a méconnu l'obligation de réserve et de discrétion qui s'impose à lui (É), en publiant un livre et en participant à des émissions de télévision, sans autorisation de sa hiérarchie, pour dénoncer des dysfonctionnements au service de santé armée qu'il estimait répréhensibles au regard des dispositions du Code pénal (É) ».

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Cet aspect non coercitif a été à de nombreuses reprises soulevé181. Le député Pierre Morel-A-L'Huissier a, en juillet 2013, déposé une proposition de loi tendant à sanctionner le non-respect de cette obligation de non-dénonciation à une peine maximum d'emprisonnement de trois ans assortie d'une amende de 100 000 euros. Ses arguments étaient les suivants : « [...] L'actualité récente avec l'affaire Cahuzac a montré les faiblesses de l'article 40 alinéa 2. Si cette obligation avait été assortie d'une sanction pénale les conséquences de cette affaire auraient été toutes autres »182.

L'un des canaux d'alerte les plus connus est le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC)183 créé par la loi Sapin de 1993. Depuis la loi du 6 décembre 2013, l'article 40-6 du Code de procédure pénale précise que « la personne qui a signalé un délit ou un crime commis [...] dans son administration est mise en relation, à sa demande, avec le SCPC lorsque l'infraction signalée entre dans le champ de compétence de ce service ». Dorénavant, le SCPC endosse l'habit d'assistance des lanceurs d'alerte dans la fonction publique. Pour autant, le SCPC ne pourra intervenir que sur demande de l'intéressé et ne pourra pas s'autosaisir. Ce service n'étant compétent qu'en matière de corruption, il ne pourra aider un agent révélant des comportements graves tels que les atteintes volontaires à l'intégrité physique et à la vie des personnes. L'article 40-6 du CPP n'étant pas plus explicite, la circulaire du 23 janvier 2014 relative à la présentation de la loi du 6 décembre 2013 a précisé que les parquets pourront informer le SCPC de l'existence d'un signalement et lui transmettre tous éléments utiles concernant les faits révélés. Elle mentionne que les parquets saisis d'une demande veilleront à communiquer au lanceur d'alerte les coordonnées du SCPC. Malgré ces dispositions, des critiques ont été émises sur le manque de moyens dévolus à ce service et son absence de pouvoir d'investigation184. Le secrétaire général du SCPC a lui-même évoqué l'incertitude de l'efficacité du service : « Rôle [...] de soutien au lanceur d'alerte ? Le service aura alors besoin de moyens matériels [...]. Rôle d'investigation ? La loi l'ayant créé [...] ne

181 Voir : L. ROMANET, « Le dispositif d'alerte éthique de l'article 40, alinéa 2 du CPP : un instrument juridique pivot de lutte contre la corruption publique ? », Revue du GRASCO n°7, novembre 2013

182 Proposition de loi n°1252 tendant à sanctionner le non-respect de l'article 40 du Code de procédure pénale, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 juillet 2013 (renvoyée à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement). http://www.assembleenationale.fr/14/propositions/pion1252.asp

183 Le SCPC est un service ministériel placé sous l'autorité du Garde des Sceaux. Il est habilité à transmettre un dossier au procureur de la République mais ce service ne peut traiter que de dossier de corruption financière, de trafic d'influence, de prise illégale d'intérêt. Ce service a été créé par la loi no 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (Loi Sapin I), JO n°25 du 30 janvier 1993, p. 1588 et le décret d'application no 93-232 du 22 février 1993 relatif au Service central de prévention de la corruption institué par la du 29 janvier 1993, JO n°46 du 24 février 1993, p. 2937.

184TRANSPARENCY INTERNATIONAL, Rapport, « Système nationale d'intégrité : le dispositif français de transparence et d'intégrité de la vie publique et économique », novembre 2011

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lui en a pas donné les pouvoirs. La place du SCPC dans les dispositifs d'alerte reste par conséquent à expliciter »185.

Le projet de loi Sapin II a introduit l'éventualité que ce service disparaisse à la faveur d'une Agence anti-corruption.

Un autre canal d'alerte a été offert en matière de conflits d'intérêts avec la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique : la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). La Haute autorité se voit conférer le statut d'autorité administrative indépendante et dispose d'un large panel de prérogatives. Ainsi, la Haute autorité peut mettre en oeuvre un pouvoir d'investigation, émettre des recommandations ou avis, ainsi qu'exercer un pouvoir de contrôle et de sanction. Avec la loi de 2013, les agents peuvent saisir la HATVP en cas de manquements à la législation sur les conflits d'intérêts. Elle les examine en vertu de la loi en vigueur, et procède, si nécessaire, à une information au procureur de la République186. Cependant, son rôle est restreint à cette saisine. Elle n'apporte aucune aide au lanceur d'alerte et ne peut sanctionner l'Administration qui a infligé des mesures de représailles.

L'une des dernières voies ouvertes pour les fonctionnaires est la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDA) créée par la loi du 16 avril 2013 (loi Blandin). La CNDA veille à l'enregistrement des alertes (article 2 de la loi) et est chargée de définir les critères qui fondent la recevabilité des alertes institutionnelles émanant des agences ou organismes ayant une activité d'expertise dans le domaine de la santé ou de l'environnement. L'article 3 de la loi prévoit que « les établissements et organismes publics ayant une activité d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou de l'environnement tiennent un registre des alertes qui leur sont transmises et des suites qui y ont été données ». Le premier décret faisant suite à la loi187 précise la composition de cette commission. Le texte précise également les modalités de tenue des registres. Les informations qu'ils contiennent doivent être stockées sur des supports numériques « garantissant leur pérennité et leur intégrité ».

185 L. BENAICHE, « La protection du lanceur d'alerte », RLCT, février 2014, p. 64

186 F. BADIE (chef du SCPC), « le rôle du SCPC et de la HATVP en matière de lanceur d'alerte », Colloque Fondation Sciences citoyennes, « Lanceur d'alerte : la sécurisation des canaux et des procédures », Assemblée nationale, 4 février 2015 http://sciencescitoyennes.org/wp-content/uploads/2015/07/2015-02-04-3-F-Badie.pdf

187 Décret n°2014-1629 du 26 décembre 2014 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement. Elle comprend 22 membres : députés, sénateurs, membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation, du Conseil économique, social et environnemental et du Comité consultatif d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, personnalités qualifiées dans les domaines de l'éthique, du droit du travail, du droit de l'environnement, du droit de la santé publique, de l'alimentation, de l'évaluation des risques.

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Ouverte aux agents publics et aux salariés privés ayant une activité dans le domaine de la santé et de l'environnement, elle recueille les alertes et les transmet aux ministres compétents qui informent la Commission de la suite à donner aux alertes et aux éventuelles saisines des agents sanitaires et environnementales placées sous leur autorité. L'analyse des alertes est, ainsi, laissée à l'appréciation des ministres188. Même si la loi prévoit la saisine d'office de la CNDA par divers acteurs (membre du gouvernement, député, association, établissement public ayant une activité d'expertise, etc.), elle ne peut l'être directement par une personne physique. Une hiérarchie doit donc être respectée.

Depuis la loi Renseignement du 24 juillet 2015, une autre voie est offerte à l'agent public des services de renseignement : La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette nouvelle Commission étant habilitée à contrôler les activités de renseignement, les agents ayant connaissance de violations manifestes au droit à la vie privée pourront la saisir. Cette Commission pourra recueillir les signalements mais devra en aviser systématiquement le Conseil d'État et le Premier ministre. En cas d'illégalité constatée et susceptible de constituer une infraction, elle devra saisir le procureur de la République et transmettre l'ensemble des éléments portés à sa connaissance à la Commission consultative du Secret de la Défense Nationale189 afin que celle-ci donne au Premier ministre son avis sur la possibilité de déclassifier tout ou partie de ces éléments en vue de leur transmission au procureur de la République.

Selon Jean-Philippe Foegle « le rôle du Procureur [É] apparaît largement neutralisé, car la possibilité pour ce dernier d'enclencher l'action publique est doublement subordonnée à la décision de la Commission nationale du Secret de la Défense Nationale, et du Premier ministre »190. Paradoxe de ce nouveau dispositif de signalement, les agents ne pourront pas faire état d'éléments couverts par le secret de la défense nationale191, alors que la CNCTR est habilitée à les examiner.

188 Posant de fait une problématique puisqu'en la matière un scandale tel l'affaire du sang contaminé, dans lequel des ministres étaient mis en cause, n'aurait pas été apprécié de manière objective.

189 Loi n°98-567 du 8 juillet 1998 instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale, JO n°157 du 9 juillet 1998, p. 10488. Autorité administrative indépendante, elle donne un avis sur la déclassification et la communication d'informations relevant du secret-défense et ayant fait l'objet d'une classification en application des dispositions de l'article 413-9 du Code pénal, à l'exclusion des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules autorités françaises. Le secret de défense nationale est le seul secret absolument protégé ayant valeur constitutionnelle (à l'inverse du secret médical ou du secret des avocats) - Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-192, 10 novembre 2011, Ekaterina B, épouse D, et autres.

190 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 6-23

191 Les articles 413-11 et 413-11-1 du Code pénal sanctionnent de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende la destruction, la reproduction ou la diffusion d'informations classées secret-défense.

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Selon le journaliste Marc Rees « C'est très confortable pour le gouvernement qui sait que toute l'activité du renseignement est couverte par le sceau du secret-défense »192.

Ces canaux ouverts aux agents publics restent incomplets. Apparaît un manque de moyens matériels et humains, une absence de pouvoir d'investigation et un champ de compétence restreint.

Il reste cependant, au fonctionnaire, la possibilité de saisir son supérieur hiérarchique s'il constate des manquements ou comportements répréhensibles. Mais cette voie est rarement utilisée. La crainte de se voir infliger un blâme ou une mutation-sanction, les fortes obligations auxquelles sont soumis les agents publics sont autant de facteurs qui empêchent la libéralisation de la parole. L'appréhension de saisir son supérieur peut être contournée en utilisant la voie du Défenseur des droits (article 20 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011).

2 - Les dispositifs d'alerte professionnelle : une trompeuse alternative au silence

Les lois Auroux de 1982193 ont introduit dans le secteur privé des dispositifs organisant le droit d'alerte des salariés.

Le droit d'alerte permet au travailleur d'alerter immédiatement son employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Corollaire de ce droit d'alerte, la loi du 23 décembre 1982 a introduit le droit de retrait du salarié. Le travailleur pouvant se retirer de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Aucune sanction ou retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui use de ce droit. Si se réalise le risque signalé, l'employeur verra sa responsabilité engagée au motif d'avoir commis une faute inexcusable.

192 M. RESS, « Loi Renseignement : comment le gouvernement a trucidé les lanceurs d'alerte », NextInpact, publié le 25 juin 2015 (consulté le 7 mai 2016).

193 Loi n° 82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise, loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits du travail, loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 relative aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

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Parallèlement, des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont été créés. Un travailleur a, ainsi, la possibilité de saisir le représentant du personnel du CHSCT, qui alertera immédiatement l'employeur en cas de danger grave et imminent. L'employeur sera tenu, conséquemment, de procéder à une enquête avec le représentant et de prendre les dispositions nécessaires.

Ces droits promulgués pour les salariés ont fait émerger un contentieux important sur la notion de « danger imminent ». Pour combler l'imprécision en matière de risque imminent, l'article L.4133-1 du Code du travail, créé par loi Blandin de 2013, a énoncé que : « Le travailleur alerte immédiatement l'employeur s'il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement. L'employeur informe le travailleur qui lui a transmis l'alerte de la suite qu'il réserve à celle-ci ». L'article L.4133-2 précise que l'information d'un risque grave pour la santé publique ou l'environnement peut se faire par la voie du représentant du personnel du CHSCT qui va en informer l'employeur.

La loi américaine Sarbanes-Oxley Acte du 30 juillet 2002 (loi SOX) a introduit en France des canaux d'alerte pour les salariés du secteur privé.

Loi fédérale prise juste après le krach boursier de 2001-2002, elle avait pour but de protéger les investisseurs en améliorant l'authenticité et la fiabilité de l'information financière194. Pour atteindre cet objectif, elle a autorisé les salariés à dénoncer, de façon limitée, des faits susceptibles de constituer une atteinte aux mesures de régulation des marchés prévus par cette même loi. La SOX avait également introduit des protections contre les licenciements des lanceurs d'alerte et des mécanismes d'alerte obligatoires pour les entreprises, y compris pour leurs filiales étrangères et pour les entreprises connexes.

D'applicabilité extraterritoriale, cette législation entra en vigueur en France avec la loi n°2003-706 du 1er août 2003 relative à la sécurité financière en France dite « Loi Mer » (publiée au JO n°177 le 2 août 2003).

Pour exécuter cette loi, un dispositif d'alerte professionnelle a été mis en place en 2005. Mécanisme soumis à autorisation de la CNIL, il est complémentaire des autres canaux195, facultatif et son périmètre est limité.

194 Voir : N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte en perspective : 50 années de débats dans le monde », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2242-2248

195 Délégué du personnel, CHSCT, Inspecteur du travail, etc.

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À la suite de sa mise en oeuvre, la CNIL a défini le terme alerte professionnelle qui permet aux salariés d'une entreprise de signaler des problèmes relatifs aux domaines financiers, comptables, bancaires et de lutte contre la corruption, aux pratiques anticoncurrentielles. Défenseuse de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'information, aux fichiers et aux libertés, elle condamna en 2005 deux dispositifs d'alerte qui instituaient « un système organisé de délation professionnelle »196. Selon la CNIL, les personnes soupçonnées devaient être informées de l'enregistrement de données les mettant en cause pour avoir la possibilité de s'y opposer comme l'exige la loi de 1978197.

Pour y remédier, la CNIL a adopté une autorisation unique (nommée AU-004) le 8 décembre 2005 (modifiée le 30 janvier 2014) afin d'encadrer les dispositifs d'alerte professionnelle et de simplifier les formalités administratives.

En 2009, par l'arrêt Dassault Système, la Haute juridiction a conditionné la validité des dispositifs d'alerte professionnelle dans le secteur privé à la réunion des critères suivants : obligation pour l'employeur d'obtenir de la CNIL une autorisation préalable ; restriction des alertes aux seules infractions comptables, financières, bancaires et aux faits de corruption ; la non-incitation à des dénonciations anonymes ; l'installation d'une organisation spécifique à même de traiter les alertes ; l'information de l'alerte pour les personnes concernées198.

Depuis, le 24 février 2014, l'AU-004 a été modifié et y est inclus désormais les domaines du droit de l'environnement, de la lutte contre les discriminations, de la santé, de l'hygiène et de la sécurité au travail199.

Lorsque le dispositif d'alerte professionnelle envisagé sort du cadre fixé par l'AU-004, l'entreprise doit adresser à la CNIL un dossier complet de demande d'autorisation individuelle. Enfin, les dispositifs doivent permettre l'identification de l'auteur de l'alerte mais son identité est traitée de façon confidentielle par le gestionnaire des alertes.

Par ces canaux d'alerte restreints et contraignants, le travailleur n'est pas incité à révéler des dysfonctionnements ou des manquements à la loi.

196 CNIL, Délib. N°2005-110 du 26 mai 2005 relative à la demande d'autorisation de Mc Donald's France pour la mise en oeuvre d'un dispositif d'intégrité professionnelle.

197 N. MARIE MEYER, « L'alerte éthique ou whistleblowing en France », Rapport janvier 2013 à Transparency International, p. 6-13

198 Cass, Soc, 8 décembre 2009, n°08-17-191, Dassault Système, Bull Civ V n°276

199 J. BOUTON, « Vers une généralisation du lanceur d'alerte en droit français », RdT, septembre 2014, p. 473-474

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Autre voie de recours pour le salarié, comme l'agent public, la très récente Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement (CNDA) créée par la loi Blandin. La loi a posé une exigence de hiérarchie. L'alerte doit d'abord être révélée en interne à l'employeur (soit directement par le salarié, soit par l'intermédiaire du représentant du personnel au Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail). En cas d'absence de réaction dans le mois suivant ou de divergence sur le bien-fondé de l'alerte, le salarié ou le représentant du personnel pourra ensuite extérioriser l'alerte par la saisine du représentant de l'État dans le département (article L.4133-3 du Code du travail).

Enfin, le salarié peut être aidé dans sa démarche par le Défenseur des droits.

En dehors de ces canaux d'alerte, le salarié, comme le fonctionnaire, a la possibilité de saisir son supérieur hiérarchique, l'Inspecteur du travail 200 , le directeur des ressources humaines, etc.

Actuellement, les mécanismes dont disposent les salariés restent lacunaires, disparates et enveloppés de nombreuses contraintes. Ils ne permettent pas une réelle sécurisation pour les travailleurs lanceurs d'alerte.

B - Des perceptives incertaines

Ce conditionnement des différents canaux d'alerte fait état de carences dans la réception ou le traitement de l'alerte. Afin de juguler cette instabilité, des solutions, propices à un meilleur protectionnisme, doivent être prises. D'une part avec l'élaboration d'une unique autorité de contrôle indépendante (1), d'autre part avec l'ouverture de supports informatiques (2).

1 - L'instauration d'une autorité de contrôle indépendante

Dans les pays anglo-saxons, des autorités ou fondations indépendantes ont été implantées pour analyser les alertes et prendre en charge les lanceurs201. Ces autorités ont limité la

200 Pour rappel, un Inspecteur du travail peut également être poursuivi suite à une dénonciation. En la matière, l'affaire de Laura Pfeiffer est marquante. Inspectrice du travail, elle a été condamnée en première et deuxième instance pour avoir transmis à des syndicats des documents confidentiels appartenant à TEFAL faisant état de pratiques douteuses exercées contre elle par la multinationale. Elle a été condamnée pour violation du secret professionnel et recel de documents volés à 35000 euros d'amende avec sursis par la Cour d'appel de Chambéry le 16 novembre 2016.

201 Dès les années soixante-dix, aux États-Unis, l'Office of Special Counsel voit le jour. Elle est créée par la loi Civil Service Reform Acte de 1978 qui protège les agents fédéraux lanceurs d'alerte. La même année est instituée une fondation juridique reconnue d'utilité publique, dont l'objectif est la défense des lanceurs d'alerte (Government Accountability Project ou GAP). En Angleterre, une autorité régulatrice voit le jour en 1993 nommée Public Concern at Work.

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crainte, pour les individus, de révéler des informations puisque des outils utiles à un bon traitement de l'alerte ont été posés ; tels la confidentialité, des pouvoirs d'investigation importants, des instruments permettant la levée de certains secrets, l'analyse de la bonne ou mauvaise foi du lanceur, etc. Comme le relève Nicole Marie Meyer « En Angleterre l'autorité Public Concern at Work, a permis le traitement de plus de 20 000 alertes, dont 74 % avaient été lancées en vain en interne ». Elle ajoute que « 86 % des cadres britanniques déclarent, aujourd'hui, ne pas craindre de faire un signalement contre seulement 54 % de leurs homologues européens »202.

Face à des dispositifs incomplets et hétérogènes, certains préconisent l'instauration de telles autorités administratives indépendantes en France. En effet, les autorités de régulation ne sont compétentes que pour des domaines particuliers (à l'instar du SCPC en matière de corruption), ne disposent d'aucun pouvoir d'enquête, ni de moyen pour mettre fin aux atteintes dénoncées (à l'instar de la CNDA). Enfin, dans plusieurs cas, les lanceurs d'alertes ne peuvent les saisir directement.

Créé par la loi du 29 mars 2011, le Défenseur des droits est une autorité indépendante disposant de pouvoirs d'instruction, recevant des plaintes portant en particulier sur des questions de discriminations. Il aide les personnes à engager des procédures et le secret de l'instruction ne peut lui être opposé lors de ses investigations. Il ne peut intervenir que dans le cas de lanceurs d'alerte faisant l'objet de discriminations. Son champ d'action est, dès lors, limité. D'une part, il ne peut être compétent pour la protection de lanceurs d'alerte « catégoriels », tels que les agents de renseignement dénonçant des abus à la vie privée. D'autre part, il n'a aucun pouvoir en matière de protection contre d'éventuelles mesures de représailles (cette protection relève, a priori, du juge judiciaire ou administratif selon les cas).

C'est pour ces raisons que le Conseil d'État, dans son étude récente sur le droit d'alerte203, a recommandé d'étendre les compétences du Défenseur des droits à la protection, dès le lancement de l'alerte, des lanceurs d'alerte s'estimant victimes de mesures de représailles.

Toujours dans son étude sur le droit d'alerte, le Conseil d'État privilégie l'obligation de désigner des personnes chargées de recueillir l'alerte interne et externe dans l'ensemble des administrations de l'État, des établissements de santé et des grandes collectivités territoriales. Ces destinataires de l'alerte pourraient être une inspection générale, un comité d'éthique ou de

202 N. MARIE MEYER, « Le droit d'alerte en perspective : 50 années de débats dans le monde », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2243-2248.

203 Etude Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger », La Documentation Française, adoptée par l'Assemblée plénière le 25 février 2016 (proposition 15).

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déontologie ou un référent déontologue. Ils devront disposer d'une autonomie suffisante et être placés à un niveau élevé de la hiérarchie. Cette proposition entérine l'idée d'une autorité administrative indépendance chargée de recueillir et de traiter les différentes alertes. Il préconise également d'étendre la compétence de la Commission nationale de la déontologie et des alertes, créée par la loi Blandin de 2013, au-delà du seul champ sanitaire et environnemental, plutôt que de créer une autorité unique en charge du traitement de l'alerte.

Néanmoins, l'instauration d'une autorité administrative indépendante serait une amélioration dans la protection des lanceurs d'alerte. Elle aurait de vaste pouvoir d'investigation, ses compétences s'étendraient à plusieurs champs d'alerte (financier, économique, sanitaire, environnemental, atteintes graves aux personnes tels que les trafics d'êtres humains ou pédopornographiques, etc.), elle pourrait filtrer et analyser les alertes avant de les transmettre aux autorités compétentes (procureur de la République, Autorité des marchés financiers, Inspecteur du travail, etc.), elle serait une coordinatrice et un relais entre les différents acteurs et institutions. Elle prendrait, également, en charge le lanceur d'alerte. Développant un dialogue nécessaire avec lui, elle l'aiderait dans cette phase délicate tout en contrôlant la véracité des informations, le bien-fondé de l'alerte et les motivations de l'individu. William Bourdon préconise une composition pluraliste au sein de cette autorité204. Des supports électroniques gérés par l'autorité (et non par les entreprises) permettraient, de manière confidentielle, de recevoir et de traiter les alertes. L'autorité assurerait la confidentialité du lanceur. Celle-ci pouvant être levée avec le consentement de l'individu. Sa saisine ou auto saisine directe fournirait au lanceur d'alerte une protection durant le temps de l'instruction. Pouvant empêcher toute mesure vexatoire et assurer le maintien de salaire pour le lanceur d'alerte. Cette autorité, après investigations, pourrait émettre des avis consultatifs à joindre ultérieurement au dossier judiciaire. Ceux-ci permettant de débattre dans le prétoire de justice du bien-fondé de l'alerte et de la pertinence des poursuites engagées contre le lanceur. En effet, rappelons que l'autorité pourrait limiter les représailles envers le lanceur d'alerte mais l'intérêt à agir d'une action en justice d'une entreprise ou d'une institution ne peut être retiré. Si celle-ci persiste dans son action judiciaire contre le lanceur d'alerte, l'avis consultatif procurerai, lors des débats, une réflexion extérieure au dossier judiciaire.

Garante du bon fonctionnement de la loi, son indépendance absolue à tout autre organisme et instruction légitimerait les actions entreprises.

204 « L'assemblée nationale devra choisir les représentants qui la composeront. La majorité et l'opposition devront être à parité afin d'en assurer une composition pluraliste, qui sera aussi plurielle, des représentants de la société civile et du monde professionnel devant s'ajouter aux politiques. (É) Cette autorité devra comporter une commission d'arbitrage, notamment dans le cas épineux des obstacles que peuvent constituer les secrets, y compris pourquoi pas le secret défense » - W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 147-217

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2 - Des supports numériques pour accueillir les signalements

La protection juridique seule n'est pas suffisante pour tranquilliser la personne constatant des actes répréhensibles. Une confidentialité doit lui être offerte et ce pour garantir que l'accent est mis sur le contenu de la révélation plutôt que sur la personne qui en est à l'origine. À ce propos, Edward Snowden avait souligné « Mon sentiment c'est que les médias modernes se focalisent trop sur les personnes (qui divulguent). Cela me préoccupe car plus on se focalise sur eux, plus les médias pourront détourner l'attention »205.

La question des hotlines ou plateformes numériques recueillant des alertes éthiques est donc centrale, celles-ci permettant au lanceur d'alerte de bénéficier de la confidentialité, voire de l'anonymat (dans un premier temps à tout le moins), le protégeant de représailles immédiates.

Comme cela a été vu préalablement, c'est par l'application de la loi SOX en France que la problématique de plateformes électroniques chargées de recueillir des signalements s'est posée. En effet, la SOX avait fondé l'obligation de prévoir des systèmes de collecte d'alertes professionnelles nécessitant un anonymat. Mais sur le fondement de la loi du 6 janvier 1978, la CNIL a condamné, le 26 mai 2005, deux dispositifs mis en place. Elle a assoupli sa position en novembre 2005 avec la publication d'un vade-mecum dans lequel elle a énoncé, qu'elle n'était pas opposée à un système d'alerte éthique « dès lors que les droits des personnes mises en cause [É] dans une alerte sont garantis au regard des règles relatives à la protection des données personnes », tout en rappelant que l'alerte anonyme « ne peut que renforcer le risque de dénonciation calomnieuse »206. Actuellement, les dispositifs d'alertes professionnelles, fixés par l'AU-004, ne sont pas anonymes. L'auteur doit être identifié et son identité doit est traitée de façon confidentielle. Cette confidentialité a une grande importance.

La problématique de confidentialité figure au principe 18 de la recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe du 30 avril 2014. Selon la recommandation, elle ne doit pas être confondue avec la révélation anonyme (c'est-à-dire le cas où un signalement ou des informations soient reçus sans que personne n'en connaisse la source). Cette confidentialité, davantage primordiale que l'anonymat, peut être améliorée et protégée grâce à des plateformes numériques gérées par une autorité administrative indépendante et non par les entreprises, utilisant les dispositifs AU-004, qui pourraient agir contre le lanceur d'alerte suite à la connaissance officieuse de son identité.

205 Propos tenus dans le film documentaire Citizenfour de Laura Poitras, produit par Praxis Films, sorti en 2014 (114 mn).

206 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, op. cit., p. 85/86-167

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D'ailleurs, dans son étude sur le droit d'alerte de février 2016, le Conseil d'État prône l'instauration et la garantie de la stricte confidentialité de l'identité des auteurs de l'alerte ainsi que, avant que le bien-fondé de l'alerte soit confirmé, des personnes qu'elle vise et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires, internes et externes, de l'alerte (proposition 5). Corollaire de cette confidentialité et du bon traitement des informations, il préconise dans sa proposition 9 la mise en place d'un portail chargé de transmettre aux autorités compétentes les alertes émises par des personnes ne sachant pas à quelles autorités s'adresser207.

Retenons que davantage l'anonymat, la confidentialité du lanceur d'alerte doit être protégée. L'anonymat ne permet aucune traçabilité des sources, ni des intentions de l'auteur et peut engendrer une vérification approximative des informations.

II - Une liberté d'expression encadrée

Selon Robert Vaughn, l'émergence internationale du concept de lanceur d'alerte apparaît « concomitamment à la mise en oeuvre de lois sur la liberté de l'information dans de nombreux États »208.

La liberté d'information recouvre deux éléments indissociables : celui d'informer (de produire des informations) et celui d'être informé (de disposer de ces informations). Cette liberté s'appuie sur une garantie importante pour toute société ; la liberté d'expression.

La liberté d'expression serait le droit pour toute personne de penser comme elle le souhaite et de pouvoir exprimer ses opinions par tous les moyens qu'elle juge opportun, dans les domaines de la politique, de la philosophie, de la religion, de la morale, etc.

Selon la CEDH, la liberté d'expression constitue « l'un des fondements essentiels d'une société démocratique, ainsi que l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun »209. Toujours selon la CEDH, cette liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou idées recueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent [É]. Ainsi, le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de « société démocratique » »210.

207 Conseil d'Etat « Etude sur le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger », adoptée par l'Assemblée plénière en février 2016

208 R. VAUGHN (professeur à l'Université de droit de Washington), The successes and failures or whistleblower laws, Edward Elgar, Cheltenham, 2013, p.293 (repris par JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, mémoire de recherche Master II Droits de l'Homme à l'Université Paris X, p. 50-167).

209 CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req. n°38432/97, §43

210 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, req. n°5493/72, §49

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Ces deux libertés associées convergent à mettre en oeuvre un « droit du public à l'information ». Et c'est dans ce champ que se greffe la question du lanceur d'alerte qui dénonce et s'oppose publiquement à certains comportements institutionnels ou industriels. Comme l'avait explicité Edward Snowden « ma seule motivation est d'informer le public sur ce qui est fait en leur nom et ce qui est fait contre eux »211.

La diffusion par voie de presse est privilégiée par un individu détenteur d'informations sensibles. En effet, la presse permet une large transmission au public. L'information est relayée par des journalistes après l'accomplissement d'investigations, ce qui crédibilise la révélation. D'autre part, sans source, le journaliste n'est qu'une courroie d'information relatant des positions officielles. Enfin, à l'heure où le numérique est devenu un acteur considérable, celui-ci permet également la diffusion de l'information212.

Que cela se fasse de façon dématérialisée ou non, les divulgations par voie externe ne sont pas tolérées et réprimées quasi automatiquement. C'est par le droit de la presse que les révélations sont appréhendées213.

Alors que le droit à la liberté d'expression a été consacré, comment analyser cette interdiction ? Y a-t-il une forme de divulgation qui permet une approche plus libérale de la liberté d'expression ?

Les lanceurs d'alerte peuvent propager l'information par le biais de journalistes (A) ou à défaut, user directement de leur liberté d'expression (B).

A - Des relais journalistiques inévitables

Le profit d'une divulgation externe tient au fait que le lanceur d'alerte souhaitant garder l'anonymat est protégé, en principe, par le secret des sources.

Le journaliste devenant, dès lors, un relais médiatique indispensable (1) et une « variété de lanceur d'alerte » hors des critères exigés par la loi (2).

211 G. GREENWALD, E. MACASKILL, L. POITRAS « Edward Snowden : the whistleblower behind the NSA surveillance revelations », Guardian.co.uk, 10 juin 2013 (consulté le 8 juin 2016).

212Certains individus emploient ce moyen pour divulguer des alertes puisqu'aucune plateforme numérique actuelle ne permet, en toute confidentialité, une publication.

213 Voir Titre II, Section 2

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1 - Une protection des sources laborieuse et conditionnée

George Orwell aurait, dit-on, déclaré : « Le journalisme consiste à publier ce que d'autres ne voudraient pas voir publié, tout le reste n'est que relations publiques ».

Les journalistes, composants de la presse, bénéficient d'une liberté d'expression quasi absolue. Garantie par l'article 10 de la CESDH, au nom du droit du public à recevoir des informations sur des questions d'intérêt général, la CEDH a elle-même hissé la liberté de la presse au sommet de la liberté d'expression, selon Jean-Philippe Foegle214.

Vecteur d'information, le lanceur d'alerte est une pièce maîtresse du journaliste. Sans ce personnage décisif, il ne pourrait exercer pleinement ses investigations et sa profession. Le lanceur d'alerte, sans ce relais journalistique, ne pourrait divulguer massivement les informations qu'il détient. Ce binôme indispensable, contribuant au débat démocratique et fournissant au public des informations d'intérêt général, doit être protégé. Cette protection passe invariablement par le droit au secret des sources.

Ce credo215 de protéger les sources est particulièrement respecté par les journalistes.

Selon Emmanuel Derieux, les journalistes souhaitent « ne pas avoir à révéler l'origine de leur information (personnes, documents, lieux, conditions et circonstances dans lesquelles ils ont connaissance de certains faits) ni le nom de leurs informateurs ; ne pas être tenus de témoigner, ni de remettre aux autorités de police et de justice divers documents et éléments d'informations collectés au cours ou à l'occasion de reportages »216.

Cette protection des sources peut être neutralisée par différentes actions effectuées par les autorités judiciaires217 : perquisitions, écoutes téléphoniques, visites domiciliaires et saisies218.

214JP FOEGLE, « Le « milieu du gué » de la protection législative des lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 20 mai 2014, p. 10-15 (consulté le 9 juin 2016) https://revdh.revues.org/752

215 Les journalistes ont le devoir d'exercer leur profession en respectant une éthique journalistique et des règles déontologiques (selon la Charte des devoirs professionnels des journalistes français de juillet 1918, la Charte européenne des devoirs et des droits des journalistes du 24 novembre 1971 ou la Résolution 1003 du Conseil de l'Europe relative à l'éthique du journalisme de 1993). Parmi ces règles, à titre d'exemple, la présomption d'innocence, le respect de la vie privée et du secret médical, la rectification rapide et automatique d'informations fausses ou erronées, la protection des sources, etc. 216E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.366-1006

217 Raphaël Halet, lanceur d'alerte dans l'affaire LuxLeaks, a vu son identité révélée à la suite d'une ordonnance du TGI de Metz dans lequel il lui était ordonné de transmettre ses correspondances avec le journaliste Edouard Perrin. Par cette décision et en violation de l'article 2 de la loi de 1881 (selon lequel « est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources le fait de chercher à découvrir les sources d'un journaliste au moyen d'investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources »), le tribunal n'a pas respecté le secret des sources.

218 Cependant, des règles dispensent aux autorités d'exercer ces opérations en respectant une procédure stricte.

À titre d'exemple, l'article 100-5 du CPP prévoit que ne peuvent être retranscrites les correspondances d'un journaliste qui permettent d'identifier sa source, à peine de nullité. L'article 56-2 du CPP prévoit également que les perquisitions dans les locaux d'une entreprise de presse, d'une entreprise de communication audiovisuelle, d'une entreprise de communication au public en ligne, d'une agence de presse, dans les véhicules professionnels de ces entreprises ou agences ou au domicile d'un journaliste lorsque les investigations sont liées à son activité professionnelle ne peuvent être effectuées que par un magistrat.

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La loi du 4 janvier 1993 (loi dite Vauzelle)219 a introduit, pour la première fois, diverses dispositions permettant aux journalistes d'opposer le secret de leurs sources aux autorités policières et judiciaires au sein du Code de procédure pénale. Malgré ce texte, le droit français n'a pas assuré le secret absolu des sources aux journalistes. Les moyens de contourner la loi n'ont pas manqués et les autorités ne s'en sont pas privées.

La CEDH a condamné la France à de multiples reprises pour ce manquement caractérisant une atteinte à l'article 10 de la CESDH. Par des formules tonitruantes, la jurisprudence européenne a assuré une protection efficace des sources journalistiques : « La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse [É]. L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie »220.

Prenant acte, la France s'est mise en conformité avec la CEDH en adoptant le 4 janvier 2010 la loi Dati221. Cette nouvelle législation a corrigé la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse en insérant un article 2. Celui-ci précisant la définition de journaliste222, énonçant que le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information public, et indiquant les possibles atteintes au secret des sources.

L'article 2 alinéa 2 a ouvert un large débat sur les éventuelles atteintes au secret des sources. En effet, celui-ci énonce « Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ».

La formule imprécise des notions « impératif prépondérant d'intérêt public » et « strictement nécessaire et proportionnée au but légitime poursuivi » rend son appréciation à la seule évaluation des juges. Ce qui eut pour conséquence le prononcé d'interprétation défavorable pour les journalistes et leurs sources, à l'instar de la Cour de cassation en 2013.

219 Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale (loi Vauzelle), JO n°3 du 4 janvier 1993, p. 215

220 CEDH, Grande Chambre, 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni, req. n°17488/90, §39

221 Loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, JO n°0003 du 5 janvier 2010, p. 272

222 Selon l'article 2 al 1, le journaliste est « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public ». Avec cette définition, le pigiste et le blogueur ne rentre pas dans la catégorie de journaliste.

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En l'espèce, dans le cadre du dossier Woerth-Bettencourt, la Chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Bordeaux avait annulé, le 9 août 2011, des réquisitions tendant à exécuter des investigations sur des factures détaillées (« fadettes ») destinées à identifier d'éventuelles sources d'information de journalistes. Les juges du Quai d'Horloge, suite à cet arrêt, ont cassé la décision de la Chambre de l'instruction puisque, selon eux, les conditions de l'alinéa 2 de l'article 2 n'étaient pas réunies pour que les journalistes bénéficient du droit à la protection des sources223.

Cet arrêt avait fait dire à Reporters Sans Frontières que « La loi du 4 janvier 2010 sur la protection du secret des sources avait rapidement montré ses limites, puisqu'il avait été facile pour les magistrats de lever le secret des sources des journalistes »224.

Maître Christophe Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse, avait également émis des réserves sur la loi Dati en déclarant : « On s'est vite rendu compte que la loi de 2010, qui a constitué une avancée, était insuffisante car elle se prêtait à interprétation »225.

Selon Jean-Philippe Foegle « Les lanceurs d'alerte souhaitant rester anonymes n'ont donc aucune garantie quant à la protection de leur identité dans le cadre d'une affaire judiciaire »226.

La loi Dati a également modifié l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse227. Réduisant, de fait, le champ de la protection des sources journalistiques.

En modifiant cet article, elle a certes institué une immunité en matière de recel de violation du secret de l'instruction pour les journalistes mais elle a introduit cette dispense lorsqu'ils se trouvent poursuivis pour diffamation exclusivement.

223 Cass, crim, 14 mai 2013, n°11-86626 : Puisqu'il s'agissait de rechercher des personnes soupçonnées de violation du secret de l'instruction, la Cour de cassation a considéré « qu'en se déterminant sans mieux s'expliquer sur l'absence d'un impératif prépondérant d'intérêt public (É) et sans caractériser le défaut de nécessité et de proportionnalité des mesures portant atteinte au secret des sources, (É) la Chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ».

224 REPORTERS SANS FRONTIÈRES, « Loi sur le secret des sources enterrée ? Déjà un an que Reporters sans frontières a été auditionnée », RSF.org, publié le 31 juillet 2014 (consulté le 11 juin 2016).

225 A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier 2015 (consulté le 11 juin 2016) http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/01/20/le-long-chemin-du-projet-de-loi-sur-le-secret-des-sources45599351653578.html

226 JP FOEGLE, « Le « milieu du gué » de la protection législative des lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 20 mai 2014, p. 11-15 (consulté le 9 juin 2016) https://revdh.revues.org/752

227Cet article 35 consacre depuis 1881 un moyen de défense pour l'auteur de propos diffamatoires. Appelé l'exceptio veritatis, il permet d'apporter la preuve de la vérité des faits et de légitimer les propos diffamants. Voir Titre II, Section 2, Paragraphe II, B.

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Face à ce constat, et aux nombreuses condamnations de la France par la Cour européenne228, le gouvernement a souhaité renforcer la protection des sources journalistiques et a présenté à l'Assemblée nationale un projet de loi n°1127 renforçant la protection du secret des sources des journalistes le 12 juin 2013. Il avait pour ambition d'élaborer une définition plus précise des motifs permettant de porter atteinte au secret des sources229 et de confier au juge des libertés et de la détention le contrôle et la supervision de ces atteintes. Il souhaitait introduire une immunité pénale pour les journalistes en cas de détention de documents en violation du secret de l'instruction, du secret professionnel et de l'intimité de la vie privée.

Déposé en 2013, le projet de loi est actuellement en sommeil, ce que plusieurs ONG et acteurs ont déploré. Pierre-Antoine Souchard (président de l'Association confraternelle de la presse judiciaire) a regretté cette attente « Cela fait trois ans qu'on tourne en rond » et a avoué être « dubitatif quant à la nature du futur texte évoqué par le chef de l'État ». Concernant les atteintes au secret des sources et particulièrement les « intérêts de la Nation », il estime qu'« il ne faut pas que cette notion soit extensible au gré du contexte et de l'actualité »230.

Le lanceur d'alerte souhaitant s'abriter dans le secret des sources se confronte à deux problématiques. D'une part, il ne peut débattre publiquement de son alerte sans voir son identité révélée. D'autre part, le journaliste poursuivi ne pourra prouver la véracité de ses informations sans dévoiler sa source. Retenons, enfin, que tous les journalistes ne garantissent pas le secret de leur source, certains étant animés par la recherche de scoop à tout prix.

La liberté d'expression des journalistes prévaut mais le secret des sources comporte des dérogations critiquables et inquiétantes. La tendance frénétique actuelle est à la poursuite de journaliste d'investigation et de lanceur d'alerte suite à une diffusion. L'exemple récent de l'affaire LuxLeaks et du journaliste Edouard Perrin en est symptomatique.

2 - Des journalistes aux frontières des lanceurs d'alerte ?

Sous réserve du principe de liberté d'expression, lors d'enquêtes et d'investigations réalisées par les journalistes, ceux-ci peuvent être mis en examen sous différents chefs d'inculpation231.

228 CEDH, 12 avril 2012, Martin c/ France, req. n°30002/08 ; CEDH, 28 juin 2012, Ressiot c/ France, req. n°15054/07 et n°15066/07

229 À savoir la prévention ou répression d'un crime, la prévention du délit d'atteinte à la personne humaine, la prévention des délits d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et de terrorisme.

230 A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier 2015 (consulté le 11 juin 2016)

231 Violation du secret de l'instruction et de l'enquête, violation du secret professionnel, vol et recel de vol, infraction d'espionnage (infraction portant atteinte à l'intimité de la vie privée), diffamation publique ou injure publique.

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Les deux employés français du cabinet d'audit PwC (Antoine Deltour et Raphaël Halet) qui sont à l'origine du scandale Luxleaks ont été mis en examen et poursuivis pour vol, divulgation de secrets d'affaires, violation de secret professionnel, blanchiment et fraude informatique. Organisé par le cabinet d'audit, ce scandale a mis en lumière les montages juridiques complexes permettant l'évasion fiscale au bénéfice de grandes firmes internationales. La révélation publique a été rendue possible par la remise volontaire de

30 000 documents internes au cabinet, éclairant les pratiques fiscales critiquables de multinationales installées au Luxembourg232.

Les deux lanceurs d'alerte ont comparu le 26 avril 2016 devant le tribunal d'arrondissement du Luxembourg. Le journaliste français Edouard Perrin qui a révélé une partie de ces documents lors d'un numéro de Cash Investigation, diffusé le 11 mai 2012 sur France 2 sous l'intitulé « Paradis fiscaux : les petits secrets des grandes entreprises », a été poursuivi pour complicité de vol, violation du secret professionnel et violation du secret d'affaires233 et était sur les bancs des accusés en compagnie des lanceurs d'alerte. Le 29 juin 2016, Deltour a été condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une amende de 1 500 euros et Halet à neuf mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une amende de 1 000 euros. Perrin a, quant à lui, été acquitté. Le parquet et les lanceurs d'alerte ont fait appel. Ce jugement démontre une nouvelle fois le manque de protection et le paradoxe ambiant puisque le tribunal a reconnu que ces derniers ont bel et bien « agi dans l'intérêt général ». Il a également constaté qu'il n'existait aucune protection en droit luxembourgeois ou au niveau européen pour les lanceurs d'alerte. La nouvelle directive du secret des affaires instaurant une protection européenne n'ayant pas été transposée par les États234.

Les journalistes d'investigation sont-ils, dès lors, eux aussi des lanceurs d'alerte ? Poursuivi pour complicité et violation de secret, la frontière entre lanceur d'alerte et journaliste est poreuse.

232 Voir annexe 8, p. 154

233 Le reste des documents, ainsi que de nouveaux accords fiscaux provenant de PwC, avaient ensuite été publiés en novembre 2014 par le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), à l'origine des Panama Papers.

234 Cependant, la CJCE admet que la directive peut être invoquée contre un Etat membre qui ne l'a pas transposée ou qui l'a mal transposée. C'est l'effet direct vertical des directives qui suppose trois conditions : que la directive contienne des obligations suffisamment précises et inconditionnelles pouvant être appliquées sans mesure nationale de transposition (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn) ; que le délai de transposition soit échu (CJCE, 5 avril 1979, Ratti) ; et que la directive soit invoquée par un particulier contre l'Etat qui n'a pas transposé ou mal transposé. En se fondant sur l'effet direct vertical d'une directive, un particulier poursuivi peut invoquer l'incompatibilité d'un texte pénal national avec une directive non transposée ou mal transposée. En cas d'incompatibilité, la juridiction pénale nationale neutralise la disposition pénale nationale.

Par ailleurs, l'obligation d'interprétation conforme (CJCE, 10 avril 1984, Van Colson et Kamann) impose d'interpréter les dispositions nationales à la lumière du droit communautaire, même lorsque celui-ci résulte d'une directive non transposée. Cette obligation est applicable en droit pénal, ce qui signifie que les juridictions nationales, pour l'interprétation des textes nationaux d'incrimination ou des règles de responsabilité pénale, doivent prendre en compte le contenu du droit communautaire. Toutes ces règles pourront être invoquées lors du jugement en appel dans l'affaire LuxLeaks.

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Cette question purement intellectuelle et non juridique n'est pourtant pas dépourvue de sens, puisque dans certains cas, le journaliste d'investigation peut être, soit « le complice » du lanceur d'alerte, soit transmettre aux autorités compétentes des informations qu'il détient et aller au-delà de ses missions en engageant sa responsabilité. L'exemple en la matière est celui du journaliste Serge Garde dans l'affaire des fichiers Zandvoort.

Intriguée par son rôle dans cette affaire, je me suis entretenue avec Serge Garde le 1er mars 2016 afin qu'il m'explique les conséquences de ce choix éthique et moral235. C'est un journaliste d'investigation qui a travaillé pour le quotidien L'Humanité depuis les années quatre-vingt. À cette époque, il s'intéresse particulièrement aux faits divers et aux questions de pédocriminalité. À partir de 1987236, il écrit différents ouvrages sur la question et révèle des affaires non connues du grand public. Il sera poursuivi et parfois condamné pour diffamation237.

L'affaire des fichiers Zandvoort débute, pour lui, en 1999, à l'époque où il enquête sur l'affaire Dutroux en Belgique. Au cours de son enquête, des informateurs le poussent à mener des investigations sur une autre piste.

Serge Garde va alors rencontrer Marcel Vervloesem qui lui transmet un fichier papier, établit à partir d'un CD-Rom, détaillant de nombreux transferts financiers et virements bancaires mais également des milliers de photos d'enfants violés. Il enquête sur tous ces fichiers (8 500 fichiers), recoupe les informations et découvre qu'il est en possession d'informations relatives à un réseau de pédocriminels. Il décide, alors, de relater son enquête minutieuse dans un dossier de trois pages dans le quotidien L'Humanité, le 24 février 2000 (avec les photos floutées des petites victimes).

Face à l'inertie des autorités et au peu d'impact sur l'opinion publique, l'article sera repris par le journal Le Figaro, les 6 et 7 avril 2000. Suite à cette nouvelle parution, l'ancienne Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, interviendra dans le journal télévisé de France 3, le 12 avril 2000, en déclarant que la justice n'était détentrice que des fichiers papiers, ce qui était insuffisant pour ouvrir une information judiciaire. Serge Garde se résout, alors, à communiquer les CD-Rom au Procureur général auprès de la Cour d'appel de Paris.

Interrogé, il affirme que « Le lendemain de l'intervention de la Garde des Sceaux, je remets donc le CD-Rom au Procureur général auprès de la Cour d'appel. La veille de cette remise, j'ai été convoqué par la BPM (Brigade de protection des mineurs) ».

235 Voir annexe 3, p.136

236 Voir : S. GARDE, L'industrie du sexe, Temps Actuels, 26 août 1987, 190 pages

237 Il sera poursuivi trente-six fois pour l'ensemble de son travail.

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Auditionné pendant plusieurs heures en tant que témoin, il déclare « l'impression qui se dégageait de cette audition, c'était que j'étais placé en garde à vue ».

Sur les intentions des policiers, il affirme qu'« ils voulaient connaître la source de mes fichiers. Ils voulaient savoir comment je m'étais procuré le CD-Rom, ils voulaient également connaître les informations que je détenais et les noms mentionnés dans les fichiers. Étant détenteur d'images pédopornographiques, ils m'ont dit que j'étais en infraction et que je pouvais être poursuivi sous cette qualification. Mais finalement, rien ne s'est produit. Pourtant, cette épée de Damoclès pesait sur ma tête ».

Interrogé sur le rôle conséquent qu'il a joué, il indique « Un journaliste n'a pas pour essence le devoir de dénoncer directement des comportements criminels. Ce n'est pas la nature de sa fonction. Il accompagne la divulgation d'informations et enquête mais ne dénonce pas directement à l'autorité judiciaire. En dénonçant, le journaliste met en péril sa source, avec le risque d'engager la responsabilité de celle-ci. Je me suis retrouvé devant un dilemme mais, tout en protégeant ma source, j'ai décidé de fournir à la justice le matériel nécessaire à la poursuite des criminels. J'avais l'espoir qu'on stoppe ces comportements et qu'on retrouve les enfants. Les fichiers contenaient plus de 90 000 photos d'enfants, tous ces enfants « virtuels » avaient une existence réelle et quand j'analysais les données des CD-Rom, je savais que ces enfants n'étaient pas sortis de ces réseaux ».

Quant à son rôle de lanceur d'alerte, il déclare « Certes j'ai dépassé le cadre de ma profession mais je ne me considère pas comme un lanceur d'alerte. J'ai surtout été un citoyen effaré de voir la justice de mon pays ne déployer aucuns moyens nécessaires pour enquêter ».

À la suite de sa transmission, une information judiciaire et une saisine de juge d'instruction seront entreprises. L'instruction de ce dossier va se clore en 2003 par un non-lieu général. En 2001, Serge Garde, en collaboration avec Laure Beneux, écrira un ouvrage sur cette affaire238.

Sur les répercussions personnelles de cette affaire, il affirme « J'ai été menacé. Des menaces de mort, au moment de la sortie du livre. J'interprète cela comme des pressions, des tentatives de vouloir m'empêcher de faire mon travail, on veut me faire peur, me déstabiliser. Par ailleurs, deux procès en diffamation nous ont été intentés à la suite de la parution du livre ».

238 Voir : S. GARDE et L. BENEUX, Le Livre de la honte : les réseaux pédophiles, Le Cherche-Midi, 12 octobre 2001, 200 pages.

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L'exemple de Serge Garde met en lumière cette frontière perméable entre lanceur d'alerte et journalisme d'investigation239. Ce cas est rare mais dévoile cette ambiguïté vacillante.

B - Citoyens et salariés, l'hypothétique liberté d'informer

En France, les citoyens et agents ayant un lien de subordination avec l'institution dénoncée peuvent alerter par le biais de la voie interne mais la divulgation publique est exclue.

La loi du 6 décembre 2013 a implicitement autorisé cette dénonciation médiatique mais actuellement les ressorts de cette possibilité n'ont pas été étudiés et appliqués. L'article 1er de la loi Blandin a explicitement fait référence à une divulgation publique240.

Récemment, la Chambre sociale a jeté un trouble en apportant plus de questions que de réponses. Dans son arrêt du 30 juin 2016 (n°15-10.557), elle a signifié que les lanceurs d'alerte seraient protégés lorsqu'ils porteront à la connaissance du procureur de la République des faits de corruption mais également en cas de dénonciation à des tiers. Par cette formule, la Cour de cassation aurait-elle autorisé implicitement une éventuelle dénonciation médiatique ?

De manière générale, les agents publics ou privés sont contraints à une dénonciation interne. Ceux qui s'autorisent à divulguer publiquement sont sanctionnés pour ce choix (1). Les citoyens diffusant des alertes mais n'ayant pas un lien de subordination, sont, eux aussi, régulièrement poursuivis (2).

1 - L'utopique liberté de communication des agents privés et publics

Les exemples d'agents publics condamnés pour avoir usé de la presse sont nombreux.

Ces fonctionnaires subissent des poursuites disciplinaires et pénales au motif qu'ils ont violé leurs obligations statutaires. À l'instar de Philippe Pichon, la policière Sihem Souid fut sanctionnée pour manquement à son obligation de réserve. Elle avait alerté en interne (le Défenseur des droits et le procureur de la République) les comportements racistes, sexistes et homophobes de ses collègues policiers. Face à l'immobilisme, elle avait dénoncé publiquement ces agissements dans un livre intitulé « Omerta dans la police ». Elle fut

239 L'affaire de la journaliste Florence Hartmann démontre également la problématique de la protection des journalistes dénonçant des comportements répréhensibles et de la lisière entre journalisme et lanceur d'alerte.

240 Art. 1er de la loi Blandin : « Toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement. L'information qu'elle rend publique ou diffuse doit s'abstenir de toute imputation diffamatoire ou injurieuse ».

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révoquée de ses fonctions. Cette sanction sera confirmée par le Tribunal administratif et la CAA au motif que son livre avait profondément dégradé l'image de l'Administration auprès de l'opinion publique241.

Pour les salariés du secteur privé, la sanction est la même s'ils usent de la presse pour alerter. La Cour de cassation, le 23 septembre 2015, a rappelé que l'exercice de la liberté d'expression ne peut constituer une faute qu'à la condition d'avoir dégénéré en abus242.

En l'espèce, le délégué général d'une association avait été licencié à la suite de propos tenus à l'encontre d'un certain nombre d'interlocuteurs internes et extérieurs de l'association. Selon la Cour d'appel de Paris, ils caractérisaient un manquement à son obligation de loyauté et un comportement en « graves contradictions avec les fonctions confiées ». La Cour de cassation avait cassé la décision car elle n'avait pas caractérisé « l'existence, par l'emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs, d'un abus dans l'exercice de la liberté d'expression dont jouit tout salarié ». L'abus de la liberté d'expression du salarié doit, donc, être juridiquement caractérisé ; les propos tenus devant être injurieux, diffamatoires ou excessifs.

Le but poursuivi par le salarié sera également étudié. Si ses propos avaient pour dessein la protection d'un intérêt supérieur ou légitime (comme la santé ou l'environnement), la sanction prononcée par l'employeur sera considérée comme excessive. Il appartient à l'employeur de prouver le manquement à l'obligation de loyauté et le caractère abusif des propos tenus par le salarié.

De sorte que si le salarié peut manifester ses désaccords, il est tenu par des obligations. Ainsi, la protection, dont il peut bénéficier, sera analysée sous différentes conditions.

2 - Le discours admissible des citoyens

Se pose la question des citoyens ou associations non soumis à un lien hiérarchique dénonçant les agissements d'une entreprise ou d'une institution. Aucune protection spécifique n'a été envisagée dans ce cas d'espèce (sauf la loi Blandin sous certaines conditions). Rappelons que tous les textes français ou européens énonçant les critères d'un lanceur d'alerte maintiennent cette obligation de subordination hiérarchique. Symbole de cette problématique, deux exemples sont à citer.

241 TA Paris, 13 juillet 2011, Mme Souid, n°10211146/5-1 ; CAA Paris, 31 décembre 2014, Mme Souid, n°13PA00914

242 Cass, Soc, 23 septembre 2015, n°14-14021

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D'une part, Robert Bell et un jugement important intervenu en 1998.

En l'espèce, Bell, dans son livre Les Sept Péchés capitaux de la haute technologie243, critiqua avec virulence la société Euro tunnel pour sa gestion de la sécurité du tunnel sous la Manche. Exposé à un risque d'incendie insuffisamment pris en compte pour des raisons économiques, il le qualifia de « plus long crématorium du monde »244. La société intenta une action en justice sur le fondement de l'infraction de dénigrement 245 et l'article 1382 du Code civil.

Le TGI de Boulogne-sur-Mer246 relaxa Robert Bell au bénéfice que « si la critique émise était vigoureuse, elle est d'une tonalité professionnelle exempte d'excès polémiques et assortie d'un argumentaire technique et économique très élaboré »247. Dans leur motivation, les juges avaient relevé que la liberté d'expression doit être reconnue « alors même que les inquiétudes et les alarmes exprimées dans ce livre pourraient être excessives et infondées » et qu'elle « doit être d'autant plus garantie qu'il s'agit d'un risque collectif [É] ce qui justifie qu'une réflexion sur la sécurité du tunnel sous la Manche soit rendue publique et dépasse le milieu discret des spécialistes de l'entreprise ». Ainsi, sur le fondement de la liberté d'expression, un citoyen a pu dénoncer avec force la prééminence d'intérêts économiques au détriment d'intérêts humains.

D'autre part, l'association L.214 Éthique et Animaux.

Elle a pour but d'enquêter et de médiatiser les conditions d'élevage, de pêche, de transport et d'abattage des animaux dans l'industrie agroalimentaire. Elle dévoile régulièrement des vidéos tournées clandestinement afin d'ouvrir le débat sur la condition animale en France.

À chaque sortie médiatique de vidéos, l'association se voit opposer des arguments juridiques remettant en cause l'obtention et l'utilisation des images. Diffamation, dénigrement de marque et d'image, atteinte à la réputation, recel d'images, infractions d'espionnage portant atteinte à l'intimité (auditif ou audiovisuel), violation du domicile constituent des infractions régulièrement opposées à l'association.

Certains attribuent à l'association le statut de lanceur d'alerte. Pourtant, juridiquement les conditions ne sont pas réunies. Le salarié, travaillant dans l'industrie agroalimentaire, diffusant les images à l'association peut être qualifié de lanceur d'alerte si les critères requis sont rassemblés (ce qui n'est pas le cas actuellement, puisqu'aucune législation française

243 R. BELL, Les Sept Péchés capitaux de la technologie, Paris, Le Seuil, août 1998

244 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis, op. cit., p. 60-167

245 Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur les produits, le travail ou la personne d'un concurrent. Il ouvre droit à réparation lorsque l'entreprise visée est désignée, expressément ou implicitement, ou identifiable par sa clientèle.

246 TGI Boulogne-sur-Mer, 12 août 1998, Société Eurotunnel c/ R. Bell et Editions Le Seuil, inédit

247 C. NOIVILLE et M-A HERMITTE, « Quelques pistes pour un statut juridique du chercheur lanceur d'alerte », Dossier, Revue Natures Sciences Sociétés, vol. 14, EDP Sciences, 2006, p. 4-9 http://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/2006/03/nss6306.pdf

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dispose que la poursuite du respect de la condition animale permet d'accéder au statut de lanceur d'alerte).

Brigitte Gothière, porte-parole de L.214, avait déclaré à ce propos « On ne dira rien sur comment on a obtenu ses images parce que nous avons des personnes à protéger ».

Lors du Colloque du 2 juin 2016 « Animal Politique : Comment mettre la condition animale au coeur des enjeux politiques ? » qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, l'avocate Hélène Thouy (avocate de l'association L.214) a préconisé une extension de la loi Blandin. En effet, la loi Blandin de 2013 énonce que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser, de bonne foi, une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît peser un risque grave sur la santé publique ou sur l'environnement ». Cette loi a élargi le champ à toute personne physique ou morale (donc hors du lien de subordination) dans le domaine de la santé publique ou environnemental. Hélène Thouy a recommandé que le champ matériel de l'alerte s'étende à la protection animale, et que des associations intègrent le domaine dévolu en la matière248. Innovation de la loi Blandin, elle a autorisé l'alerte sanitaire par la voie publique.

Actuellement, le seul moyen de défense que peut opposer une association ou un citoyen dénonçant publiquement des comportements répréhensibles est le droit à la liberté d'expression. Seul fondement possible, celui-ci primera en vertu de la place première qu'il occupe. Cependant, certains vont les poursuivre au motif qu'ils ont abusé de celle-ci sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881249.

Ces infractions, permettant de rentrer en voie de condamnation contre les lanceurs d'alerte, sont d'autant plus faciles à mobiliser que les lois récentes ont exclu la possibilité de passer par la presse ou par les nouvelles technologies numériques250.

248 En la matière, des changements ont été apportés par le projet de loi Sapin II - Voir : Conclusion générale, p. 121

249 Voir Titre II, Section 2, Paragraphe I

250 À l'exception de la loi Blandin en matière de protection de l'environnement et de sécurité sanitaire et la loi du 6 décembre 2013 qui a implicitement permis cette dénonciation médiatique.

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Détenteur d'un savoir important, le lanceur d'alerte initie une nouvelle forme de citoyenneté. En décidant d'alerter ou de contourner la loi et d'en subir les conséquences, il suscite un débat servant l'intérêt général. Pourtant le droit d'alerter est limité par nature aux autorités judiciaires, administratives ou associatives compétentes.

L'alerte ne peut être diffusée sans respecter une procédure formelle et ne s'étend pas à tous les domaines et comportements répréhensibles. Les agents lanceurs d'alerte doivent obéir à plusieurs critères (nécessaires mais trop strictes) qui les placent dans l'impossibilité de bénéficier d'un statut protecteur. Pour rappel, en France, malgré le foisonnement de lois et jurisprudences, aucun individu n'a pour l'heure profiter de ce statut. À l'exception du récent arrêt de la Chambre sociale du 30 juin 2016 qui a fait application pour la première fois de la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption.

Pour une meilleure articulation des règles et procédures, une cohérence des textes normatifs devra être à l'avenir élaborée.

La restriction des champs de compétence des canaux d'alerte asphyxie une réelle protection. Le multiplication d'organisme pouvant recevoir les alertes est également un obstacle à une protection efficace puisque les décisions prononcées par ceux-ci revêtent des solutions contraires. Il y a, donc, une dispersion et une absence de coordination des instances chargées de protéger les lanceurs et de traiter les alertes. Pour remédier à cette situation, une réflexion devra s'engager prochainement pour la création d'une autorité administrative indépendante qui aura à sa disposition les instruments et pouvoirs suffisants pour recueillir, traiter et analyser les alertes, tout en protégeant les lanceurs.

Au vu des carences de ce droit d'alerter, certains empruntent la voie publique pour dénoncer des agissements sibyllins pénalement répréhensibles ou des dysfonctionnements larvés.

Lorsqu'ils prennent ce chemin public, un principe fondamental va primer : la liberté d'expression. Mais elle sera mise à l'épreuve car n'étant pas absolue, des dérogations sont possibles. Ainsi lorsque la voie médiatique est utilisée, la prudence est de mise puisqu'il sera possible d'opposer aux lanceurs d'alerte des abus à la liberté d'expression.

En conclusion, malgré les différentes procédures et règles pour protéger les lanceurs d'alerte, un défaut de lisibilité, un manque de cohérence et une inévitable imprévisibilité se sont forgés. Faisant rejaillir, inéluctablement, une insécurité juridique sur eux.

SECOND TITRE - UN DROIT D'ALERTE RISQUÉ

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À l'issu d'une divulgation interne ou externe, le lanceur d'alerte se place en position infractionnelle vis-à-vis de son supérieur hiérarchique ou son institution. Se pose, dès lors, la problématique pour lui d'exercer sa liberté d'expression, de diffuser les informations qu'il détient, et ce sans craindre de représailles ou de poursuites.

Après l'étude d'un droit d'alerte étriqué et des formes de divulgation encadrées, il faut analyser les accusations avancées contre les lanceurs d'alerte et les armes dont ils disposent pour se défendre.

La répression des lanceurs d'alerte sera appréhendée à l'aune du droit pénal (Section 1) et du droit pénal de la presse (Section 2).

Section 1 Ð La pénalisation en réponse à l'insurrection des consciences

En réponse à la dénonciation, de multiples infractions au droit pénal sont opposées aux lanceurs d'alerte (Paragraphe I), entraînant ces dernières années de récurrentes condamnations. Pourtant des mesures de protection accessibles et sécurisantes n'ont pas été mises en oeuvre (Paragraphe II).

I Ð Des poursuites persistantes

C'est par des infractions précises au Code pénal que les poursuites sont régulièrement diligentées251 (A). À l'inverse, les moyens de défense dont disposent les lanceurs d'alerte sont aléatoires, variables et hésitants (B).

A Ð Un droit pénal mobilisé contre les lanceurs d'alerte

Les infractions de violation du secret, vol et recel sont principalement utilisées (1). La dénonciation calomnieuse est également employée (2).

251 Que les lanceurs d'alerte aient effectué un signalement interne (administratif ou judiciaire) ou externe (médiatique).

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1 - La violation, le vol et le recel du secret : terreau fertile des poursuites

Le secret professionnel et sa violation sont mentionnés à l'article 26 de la loi de 1983 pour les agents publics et, de manière générale, à l'article 226-13 du Code pénal252.

Selon Gilles Devers « la protection du secret est marquée par cette spécificité que c'est la seule règle professionnelle directement définie par la loi pénale, et dans des termes inchangés depuis la première rédaction du Code pénal en 1808 »253. L'article 226-13 du Code pénal s'applique au confident nécessaire254. Le délit de violation du secret suppose qu'une personne tenue au secret révèle des informations ou transmette des documents couverts par le secret, à des personnes n'ayant pas qualité pour les recevoir, et ce, en toute connaissance de cause.

Deux conditions préalables sont requises pour la mise en oeuvre de cette incrimination : une information à caractère secret, dont le secret a été recueilli à titre professionnel. L'article 22613 du Code pénal ne propose aucune définition des informations couvertes par le secret professionnel et le caractère secret de l'information. Mais la jurisprudence Watelet255 a déterminé de façon constante que les informations soumises au secret sont « tout ce qui aura été appris, compris, connu ou deviné à l'occasion de l'exercice professionnel ». Cela concerne, donc, toutes les informations à caractère privé et industriel.

L'élément matériel de l'infraction est caractérisé par la révélation du secret. La Cour de cassation interprète cet élément de manière large256. Néanmoins, elle exige que la personne ayant reçu la révélation soit un tiers à la relation professionnelle. Le lanceur d'alerte, qui a divulgué à la presse ou à certaines autorités non habilitées, satisfait à cette exigence.

La connaissance du caractère secret et la révélation volontaire de celui-ci sont requises pour caractériser l'élément moral. Très tôt, la Cour de cassation a tranché en faveur d'une condamnation même en l'absence d'un préjudice découlant de la révélation (Cass, crim, 19 décembre 1885, arrêt Watelet). Ainsi, les lanceurs d'alerte seront condamnés même si leurs révélations ne suscitent aucun dommage pour l'entreprise ou l'institution.

Par ses éléments, l'article réprime fréquemment les lanceurs d'alerte pour manquement à leur obligation de secret professionnel257.

252 Art. 226-13 du Code pénal : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ».

253 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 77-171

254 C'est-à-dire aux professionnels dont les missions supposent de connaître l'intimité du client ou sa vie privée.

255 Cass. crim, 19 décembre 1885, Watelet, Bull. crim. 1885, n°363 ; S. 1886, p. 86.

256 Par écrit, oral, etc.

257 Voir Titre II, Paragraphe I, B, 1

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Concernant le vol et le recel de vol, sans revenir sur les éléments constitutifs de ces infractions, il est important de revisiter certains paramètres.

Incriminé à l'article 311-1 du Code pénal, le vol est « la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui ». L'objet du vol doit d'une part, être une « chose » susceptible d'appropriation et, d'autre part, pouvoir être soustrait à son propriétaire. En principe, l'article 311-1 du Code pénal ne s'applique pas aux choses immatérielles. Dès lors, la question du vol d'informations a été posée. En effet, peut-on voler une information alors même que son propriétaire l'aurait toujours à sa disposition et n'en serait donc pas dépossédé ?

Cette question intellectuelle prend tout son sens lorsqu'à de maintes reprises des lanceurs d'alerte, ayant extrait et reproduit des données numériques, ont été poursuivis pour vol d'informations. Cette interrogation a fait l'objet d'une jurisprudence évolutive mais éparse.

Dans la jurisprudence Bourquin258, la Cour de cassation avait validé la condamnation d'un individu en employant le terme de « vol du contenu informationnel ». À de nombreuses reprises, la Cour était revenue sur sa position première 259.

Un arrêt datant de 2015 a enterré la discussion. En effet, dans sa jurisprudence Bluetouff, la Cour a estimé que l'informaticien avait « soustrait des données qu'il a utilisées sans le consentement de leur propriétaire ». Donc, la copie et l'exfiltration de données étaient assimilables à une soustraction pouvant être qualifiés de vol260.

Cette décision est arrivée quelques mois après que le législateur ait opéré une modification permettant la répression du vol d'informations. La loi du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme (loi Cazeneuve)261 a modifié l'article 323-3 du Code pénal pour réprimer l'extraction, la détention, la reproduction ou encore la transmission frauduleuse de données issues d'un système informatique.

Arrivant après la bataille, l'arrêt Bluetouff présente-t-il un indiscutable intérêt ?

D'une certaine façon, puisque l'article 311-1 pourra servir de texte supplémentaire au cas où l'article spécifique de 323-3 ne trouverait à s'appliquer.

Dès lors, le lanceur d'alerte ne pourra contourner l'accusation de vol d'informations.

258 Cass, crim, 12 janvier 1989, n°87-82265, Bourquin, Bull crim 1989 n° 14, p. 38

259 Cass, crim, 4 mars 2008, n° 07-84.002 (inédit) : La Haute juridiction avait précisé que « n'encourt pas la cassation l'arrêt qui déclare les prévenus coupables, d'une part du vol d'un certain nombre de disquettes et d'autre part, du vol du contenu informationnel de certaines de ces disquettes, durant le temps nécessaire à la reproduction des informations ».

260 Cass, crim, 20 mai 2015, n° 14-81336, Bluetouff

261 Loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Loi Cazeneuve), JO n°0263 du 14 novembre 2014, p. 19162

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En matière de recel de vol d'informations, c'est-à-dire le recel de choses dématérialisées, incorporelles, la question est identique. Le recel, infraction de conséquence, est réprimé à l'article 321-1 du Code pénal. Le recel peut être appréhendé sous deux formes. Le recel dit « classique » qui consiste dans le fait de dissimuler, de détenir ou transmettre la chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre et le recel dit « de profit » permettant de bénéficier, par tout moyen, du produit de l'infraction d'origine.

C'est par la notion de « profit » tirée de la chose d'origine délictueuse que le recel des choses incorporelles a pu être évalué.

En 1995, la Cour de cassation a exposé qu'« une information, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, échappe à l'article 321-1 du Code pénal, et ne relèverait, si elle faisait l'objet d'une publication contestée, que des dispositions spécifiques à la liberté de la presse ou de la Communication audiovisuelle »262.

Elle énonce qu'il ne peut y avoir recel d'une information puisqu'une information n'est pas assimilable à une chose, objet du recel263. Néanmoins, elle précise que c'est la reproduction d'un document qui fonde la qualification de recel264 265, et non la publication des informations que celui-ci contient. Selon Reynald Ottenhof « Cette attitude nouvelle, qui tend à distinguer entre le support matériel (photocopies, fichiers, disquettes informatiques) et les informations elles-mêmes, laisse augurer de l'émergence d'un droit spécifique de l'information » 266 puisqu'une seule alternative est offerte aux journalistes ou lanceurs d'alerte qui diffusent : l'accusation de recel s'ils produisent les preuves ou de diffamation s'ils ne les produisent pas.

Le recel de l'infraction de violation professionnelle pourra être retenu dès lors qu'est constatée l'existence du délit de violation du secret professionnel en tous ses éléments.

Ainsi, si l'auteur tenu au secret (condition exigée pour la violation du secret professionnel) n'a pu être identifié ou sa qualité connue, la condition préalable n'est pas établie267. Le recel ne peut, donc, être retenu et le lanceur d'alerte poursuivi.

262 Cass, crim. 3 avril 1995, n° 93-81569, Canard Enchaîné, Bull. n°142 ; JCP. 1995. II- 22429

263 Les tribunaux restent toujours hésitants à condamner le recel d'informations, en particulier le recel ayant trait au téléchargement de fichiers (Crim. 9 juin 1999, Bull. crim. n°133) - M. VERON, « Le recel d'odeur des pastis ». Réflexion sur l'élément matériel du recel », Droit pénal, Chron.1, avril 1990

264 Cass, crim,19 juin 2001, n°99-85188, Bull crim 2001 n°149 p. 464 ; Cass, crim, 12 juin 2007, n°06-87361, Bull crim 2007, n° 157

265 C. L, « Recel de violation du secret professionnel : de la nécessité de caractériser la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire », Dalloz-étudiant.fr, publié le 22 mars 2012 (consulté le 11 juin 2016)

266 R. OTTENHOF, « Recel, nature de l'infraction d'origine et nature de la chose recelée », Revue de Science criminelle, 1995, Editions Dalloz 2012, p.821

267 Cass, crim, 6 mars 2012, n° 11-80801, Bull crim 2012, n° 61 : la Cour de cassation a estimé « qu'en se prononçant ainsi, sans caractériser la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ».

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2 - L'alerte sous le prisme de la dénonciation calomnieuse

Les lanceurs d'alerte de mauvaise foi sont passibles de poursuites au titre de la dénonciation calomnieuse. La dénonciation calomnieuse revient à dénoncer sciemment un fait que l'on sait totalement ou partiellement inexact à des autorités susceptibles de prendre des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires. Elle est réprimée à l'article 226-10 du Code pénal et est caractérisée par plusieurs éléments.

)268.

La dénonciation, fait par quiconque, doit être spontanée et dirigée contre une personne déterminée (même si elle n'est pas nommément désignée). Elle doit porter sur un fait totalement ou partiellement inexact pouvant entraîner une sanction contre l'auteur présumé des faits reprochés. Le destinataire de la dénonciation doit être une personne investie d'un pouvoir de sanction (magistrat, officiers de police, huissiers, préfets, etc.) ou qualifiée pour s'adresser à une autorité qui a un pouvoir de sanction (médecin, assistante sociale, etc.

Le délit de dénonciation calomnieuse exige, pour être établi, que les faits dénoncés aient été préalablement déclarés faux par une autorité compétente. Donc, la fausseté du fait dénoncé résulte de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée.

En cas d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu rendu faute de charges suffisantes, le tribunal, saisi des poursuites contre le dénonciateur, appréciera la pertinence des accusations portées par celui-ci. Si les faits dénoncés n'ont donné lieu à aucune poursuite pénale, il incombe à la partie poursuivante la charge de la preuve de la fausseté des faits dénoncés269.

Le délit de dénonciation calomnieuse est caractérisé seulement si le dénonciateur a agi de mauvaise foi, en ayant conscience pleinement de la fausseté des faits dénoncés.

La bonne foi des lanceurs d'alerte a ainsi une place prééminente et est présumée en matière de lancement d'alerte270. Selon Serge Slama, lorsqu'un lanceur d'alerte est de bonne foi c'est qu'il dénonce « avec la conviction que l'information qu'il divulgue est authentique »271.

268 L'affaire Clearstream II débute lorsque Jean-Louis Gergorin dénonce au juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke (qui instruit sur les frégates de Taiwan) des dissimulations d'opérations financières illégales d'hommes politiques. Il sera poursuivi pour dénonciation calomnieuse lorsqu'au cours de son instruction Van Ruymbeke établira que les divulgations sont inexactes. Et ce malgré une bonne foi difficilement contestable. Voir : JR. VIALLET, Manipulations, une histoire française, produit par Christophe Nick, film documentaire, collection documentaire en 6 volets, diffusé sur France 3, le 11 nov. 2011 (312 mn)

269 T. Corr Versailles, 24 avril 2003 : Gaz. Pal. 2004. 1. Somm. 1302

270 Les récentes lois françaises en matière de protection des lanceurs d'alerte ont introduit la présomption de bonne foi.

271 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261

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La bonne ou mauvaise foi sera librement appréciée par les juges, qui vont appréhender les mobiles réels du lanceur d'alerte. Si elle est constatée, le dénonciateur pourra échapper à des poursuites puisque l'élément moral de la dénonciation calomnieuse ne sera pas caractérisé.

À ce stade, la bonne foi n'est pas étudiée sous l'aune du droit de la presse (donc sans qu'il ne soit question d'une dénonciation publique). En effet, cette notion existe également comme moyen de défense face à une poursuite pour diffamation.

Malgré tout, une passerelle existe entre ces deux moyens de défense. Les juges se prononçant sur la bonne foi d'un individu poursuivi pour dénonciation calomnieuse n'hésiteront pas à piocher dans les critères de la bonne foi permettant d'échapper à une condamnation pour diffamation.

En conséquence, la dénonciation calomnieuse se différencie de la diffamation. Si comme cette dernière elle porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, la dénonciation calomnieuse est de surcroît de nature à entraîner des sanctions et n'a nul besoin d'être diffusée médiatiquement.

Des poursuites pour dénonciation calomnieuse sont régulièrement intentées contre des individus qui alertent des autorités272.

272 Catherine Bonnet, pédopsychiatre, a, entre 1996-1997, signalé aux autorités judiciaires des abus sexuels sur des enfants filmés par un de leurs parents (pour être enregistrés et exploités sur Internet). Suite à cette dénonciation, des pères et une mère vont porter plainte pour dénonciation calomnieuse au Conseil départemental de l'ordre des médecins. La justice donne raison aux plaignants et Catherine Bonnet est sévèrement sanctionnée.

En décembre 1998, le Conseil départemental de l'Ordre des médecins la condamne à trois fois trois ans d'interdiction d'exercer. En appel, ces condamnations tombent à quinze jours d'interdiction d'exercer et à deux blâmes.

Suite à ces sanctions, les patients vont se faire plus rares et, dès 1999, Catherine Bonnet a dû fermer son cabinet et s'exiler en Angleterre pour retrouver un emploi. En 2006, la Commission d'enquête de l'Association mondiale de psychiatrie (WPA) confirme la valeur de son travail et Catherine Bonnet est réhabilitée par l'Ordre des médecins. Le 22 mars 2014, elle est nommée par le Vatican avec sept autres experts pour créer la toute nouvelle commission d'experts pour la protection des enfants dans les institutions de l'Église catholique. Depuis cette histoire, elle se bat pour que les médecins puissent signaler les violences sexuelles envers les enfants en toute sécurité, sans risquer de perdre leur cabinet et leur droit d'exercer.

Cette affaire est complexe puisque la loi du 2 février 1981 (loi n°81-82 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes) a précisé l'obligation de dénonciation de sévices ou de privations infligées à un mineur de quinze ans aux autorités administratives ou judiciaires. Le médecin pouvant enfin s'adresser directement au procureur de la République ou au juge des enfants. Le médecin a donc le droit de signaler des sévices sur enfants aux autorités judiciaires, médicales ou administratives (art. 226-14 du Code Pénal), mais il reste libre de s'en tenir au respect du secret professionnel (art. 226-13 du Code pénal) y compris pour la dénonciation de ces sévices (art. 434-3 Code pénal). Pour remédier à ces difficultés, le Parlement a introduit une protection disciplinaire pour le médecin qui signale (loi n°2004-1 du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance).

Certains auteurs ont relevé que ce droit d'alerte donné aux médecins n'a pas été source de grandes controverses (W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, p. 88-217). À l'aune de l'affaire Bonnet, certaines questions peuvent être relevées.

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B - Une défense indécise

Face à des poursuites pour violation du secret, vol de documents et recel, les moyens de défense n'ont pas toujours été tangibles. De jugement en revirement de jurisprudence, les magistrats ont rendu audibles la défense invoquée vis-à-vis de l'infraction de vol (2). Inversement, les juges ont éludé toute forme de protection pour des faits de violation du secret professionnel, même si prochainement une solution antinomique pourrait être admise (1).

1 - Une garantie hésitante face à la violation du secret

En la matière, l'exemple d'Olivier Thérondel est emblématique.

Ancien agent de TRACFIN273, il surprend le 5 avril 2013, dans le flot des déclarations de soupçons, un signalement de la banque suisse Julius Baer aux noms de Jérôme Cahuzac et de Patricia Ménard, épouse Cahuzac. Cette déclaration indique le rapatriement de fonds bancaires d'une société offshore en France. Olivier Thérondel traite normalement les déclarations. Les jours suivants, son supérieur direct lui enjoint oralement de ne plus enrichir les déclarations de soupçons de Jérôme Cahuzac.

Inquiet de la situation et face au refus de son supérieur de lui transmettre cet ordre par écrit, il publie, le 22 et 26 avril 2013, deux articles sur un blog hébergé par Médiapart. L'un intitulé « Tracfouine » met en cause les consignes de sa hiérarchie et les lenteurs présumées dans le suivi du dossier Cahuzac.

Selon TRACFIN, cette période prolongée est habituelle à l'égard des PPE (Personne Politiquement Exposée). La procédure classique étant d'anonymiser les déclarations pour éviter tout scandale avant que l'enquête ne soit approfondie.

À ce sujet, dans une interview, il tiendra les propos suivants : « Je me rends compte que dix jours après la première déclaration, le dossier Cahuzac est toujours en stand-by, alors qu'en temps normal un dossier de ce type est orienté vers l'enquête en une journée. J'ai progressivement l'impression que le dossier n'est pas traité normalement ».

Trois semaines se sont écoulées entre le signalement à TRACFIN et la transmission de l'information à l'autorité judiciaire.

273 Créé en 1990, c'est un service de renseignement en charge de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Il est chargé de recueillir, d'analyser et d'enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus de lui déclarer. Une fois les déclarations traitées et s'il apparaît une présomption raisonnable d'infraction pénale, elles seront transmises au parquet territorialement compétent afin que le procureur de la République exerce l'opportunité des poursuites.

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À la suite de la publication des articles, il est poursuivi pour violation du secret professionnel (article 226-13 du Code pénal) et publication interdite (article 38 de la loi du 29 juillet 1881). Le jugement s'est tenu à la 17ème chambre du TGI de Paris et rendu le 16 mai 2014.

Les magistrats lui ont refusé le statut de lanceur d'alerte. Les juges ont rappelé que ce statut a été consacré par une loi postérieure aux faits (la loi du 6 décembre 2013).

Ils ont également souligné que trois semaines avant la publication des articles, Cahuzac avait annoncé publiquement avoir demandé le rapatriement des fonds détenus à l'étranger.

Le tribunal a énoncé que « Ne justifiant [É] n'avoir attiré l'attention ni de l'autorité judiciaire, ni de sa hiérarchie, ni des organisations syndicales, il a fait preuve d'impulsivité et de légèreté en se rendant coupable de violation du secret professionnel ».

Olivier Thérondel a été condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis. Affecté au service des douanes, il fait, actuellement, l'objet d'une procédure disciplinaire.

Cette solution française va dans le sens retenu par la CEDH concernant la protection des informations confidentielles de nature bancaire et fiscale.

À cet égard, en 2007 dans l'arrêt Stoll c/ Suisse274, la Cour avait estimé que la Suisse, en condamnant un journaliste sur le fondement de l'article 293 du Code pénal interdisant la publication de débats officiels secrets, n'avait pas porté atteinte à l'article 10 de la CESDH.

À l'origine de l'affaire, le journaliste Martin Stoll avait fait paraître, en 1997, deux articles contenant des extraits d'un rapport confidentiel de l'ambassadeur Suisse aux États-Unis consacré aux négociations en cours entre son pays et le Congrès juif mondial au sujet de l'indemnisation due aux victimes de l'Holocauste. La Cour a considéré qu'il était primordial, pour les services diplomatiques mais aussi à des fins de bon fonctionnement des relations internationales, que les diplomates puissent entre eux se transmettre des informations confidentielles ou secrètes, au vu notamment du pouvoir dont disposent les médias auprès des populations275.

En France, la violation du secret par voie médiatique peut être poursuivie, de manière latente, sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881.

Ce texte prohibe la publication des actes d'accusation et des autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique.

L'interdiction de publier ou de diffuser une information traduit une limite à la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CESDH.

274 CEDH, Grande Chambre, 10 décembre 2007, Stoll c/ Suisse, req. n° 69698/01

275 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p. 176-1419

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Cet article a été déclaré compatible avec l'article 10 de la CESDH. L'ingérence étatique dans la liberté d'expression a été justifiée au motif que les tribunaux français ne font qu'appliquer une loi interdisant la reproduction de tout ou partie d'actes de procédure pénale avant le prononcé de la décision, à des fins de protection de la présomption d'innocence et de la garantie de l'impartialité du pouvoir judiciaire (CEDH, 24 novembre 2005, Tourancheau et July c/ France, req. n° 53886/00).

Récemment, avec le scandale Médiator, les juges français ont déclaré que l'application de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 à la publication litigieuse constituait une ingérence disproportionnée dans l'exercice de la liberté d'expression garantie par l'article 10 de la CESDH. La Haute juridiction a estimé que si les journalistes publient des actes de procédure en violation du secret dans le cadre d'un débat se rattachant à une problématique d'intérêt général, l'article 38 ne trouve plus à s'appliquer276.

Cette solution nouvelle suit les récentes positions prises par la CEDH.

En effet, si l'article 10 alinéa 2 de la CESDH restreint l'exercice de la liberté d'expression, un contrôle de proportionnalité rigoureux doit être effectué sur cette limite posée, particulièrement lorsqu'il s'agit de question d'intérêt général. Il en est ainsi de celles relatives à la protection de la santé et de l'environnement. L'arrêt Mor c/ France de 2011 relatif à la divulgation par un avocat des risques liés aux vaccins anti hépatite B présente cette nouvelle vision européenne277. Dans cet arrêt, la CEDH a énoncé que « l'article 10 al 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou, comme en l'espèce, des questions d'intérêt général ». La Cour a estimé que « les déclarations de l'avocate à la presse s'inscrivaient dans le cadre d'un débat d'intérêt général, que les faits concernaient directement une question de santé publique, c'est-à-dire intéressant l'opinion publique elle-même », puisque « mettant en cause non seulement la responsabilité de laboratoires pharmaceutiques chargés de la fabrication et de l'exploitation du vaccin contre l'hépatite B mais également des représentants de l'État en charge des questions sanitaires ». Au regard des circonstances de l'espèce, la Cour a considéré que la protection des informations confidentielles ne peut constituer un motif suffisant pour déclarer l'avocate coupable de violation du secret professionnel.

Apparaît, de fait, une solution inverse que celle retenue dans l'affaire Thérondel. La balance des intérêts (protection intérêts publics et intérêts privés) est ainsi laissée à l'appréciation des juges.

276 Cass, 1ère civ, 11 mars 2014, n°12-29.419, Laboratoire Servier c/ Figaro, Bull civ 2014, I, n° 36

277 CEDH, 15 décembre 2011, Mor c/ France, req. n° 28198/09

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2 - Une défense ajustée face aux infractions de vol et recel

Jérôme Guiot-Dorel, ancien trader de la banque Bred, dénonce, en 2013, des pratiques comptables abusives de la banque à l'Inspection générale du groupe278. Il est licencié pour faute et menacé d'une procédure au pénal pour avoir détenu un rapport de cette même Inspection qui révélait les manipulations financières. Ce rapport était la seule pièce à conviction pour sa défense devant le Conseil des prud'hommes. Si cette procédure avait abouti, les magistrats, en application d'une jurisprudence constante, auraient justifié l'infraction de vol de documents. En effet, un salarié qui soustrait, même momentanément, des documents appartenant à son employeur, ne peut être condamné pour vol lorsque les documents volés sont strictement nécessaires à la défense du salarié dans une instance l'opposant à son employeur279. La Chambre criminelle fait application du fait justificatif de l'article 122-3 du Code pénal280. Un employeur ne peut donc poursuivre un salarié pour vol de documents professionnels à la double condition que le salarié ait obtenu ces documents dans l'exercice de ses fonctions et que la production de ses documents devant les juges soit strictement nécessaire pour la défense future au salarié (Cass, Crim, 16 juin 2011, n°1085079, Bull crim 2011 n° 134).

Concernant le recel de violation du secret par la voie médiatique, les juges ont accepté que les individus soient protégés à certaines conditions.

Avant 2002, un journaliste publiant une information soumise au secret de l'instruction pouvait être poursuivi pour diffamation s'il ne prouvait pas la réalité de ses allégations, et, pour recel s'il apportait la preuve de la réalité des faits par la copie d'un élément du dossier.

Cette situation plaçait le journaliste devant un choix impossible, ce qui avait offusqué L-M. Horeau (journaliste au Canard Enchaîné) : « Si le journaliste n'a aucun document, c'est un diffamateur ; s'il possède des preuves et les produit, c'est un receleur. S'il possède des preuves et ne les produit pas, il est condamné »281.

Devant cette incongruité, le 11 juin 2002, les juges du Quai de l'Horloge ont exigé qu'une partie invoquant comme moyen de défense une pièce couverte par le secret professionnel ne puisse se voir poursuivie pour recel sans se trouver limitée dans l'exposé de sa défense282.

278 Voir : J. GUIOT-DOREL, Le vaillant petit trader, Lignes de Repères, 1er juillet 2014, p. 206

279 Cass. Crim., 11 mai 2004, n° 03-85.521, Société Pierson Diffusion, Bull crim 2004, n° 117 p. 453

280 Art. 122-3 du Code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ».

281 L-M. HOREAU, « Eloge du recel, in Liberté de la presse et droits de la personne », Dalloz, 1997, p. 137 et s.

282 Cass, crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim. 2002 n° 132, p. 486. La Cour va examiner le recel de violation du secret de l'instruction par un journaliste comme ainsi justifié par l'exercice de ses droits de la défense.

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Dès lors, le journaliste poursuivi pour diffamation, pourra prouver ses allégations en produisant des documents à l'origine illicite283. Selon Olivier Trilles « Les principes de valeur constitutionnelle des droits de la défense et de la liberté d'expression assurent la libre production de pièces écrites, dès lors qu'elles n'apparaissent pas étrangères à la cause »284. Ce revirement de jurisprudence a, donc, permis au journaliste d'échapper à ce dilemme.

Cette nouvelle orientation jurisprudentielle fait suite à un arrêt de la CEDH dans lequel la Cour va enjoindre que la répression du recel ne doit pas être un moyen détourné d'entraver l'exercice d'un droit fondamental (CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n°29183/95). Dans cet arrêt de 1999, la Cour considère qu'il est de l'intérêt d'une société démocratique d'assurer et de maintenir la liberté de la presse ; la restriction devant être toujours proportionnée au but légitime poursuivi. Et que s'agissant d'une question relevant d'un débat d'intérêt général, la condamnation pour violation du secret, vol de documents et recel était injustifiée et violait l'article 10 de la CESDH.

L'arrêt du 11 juin 2002 n'a pas remis pas en cause la jurisprudence constante qui condamne pour recel de violation du secret de l'instruction, la publication de pièces relevant d'instruction ou d'enquête en cours.

Les moyens de défense invoqués sont donc accueillis différemment selon les juridictions saisies et selon l'appréciation des juges. Une insécurité juridique se manifeste au travers de ces jurisprudences. Insécurité qui va peser sur le lanceur d'alerte.

II - Des mesures de protection ajournées

Le manque de moyens de défense efficaces et audibles engendre des condamnations fréquentes. Celles-ci exhortant les futurs lanceurs d'alerte à ne pas prendre la parole et provoquant ainsi la méconnaissance, par les autorités, de comportements répréhensibles.

Ces condamnations puisent leur origine dans le déficit de protection existant. Celui-ci peut être vu sous plusieurs angles : le manque de loi protégeant les lanceurs d'alerte (A) et le défaut d'un fait justificatif spécifique mâtiné de citoyenneté et d'intérêt public (B).

283 Voir Titre II, Section 2, Paragraphe I, B

284 O. TRILLES, Essai sur le devenir de l'instruction préparatoire : analyses et perspectives, thèse pour le Doctorat en Droit, Université de Toulouse I, soutenu le 17 juin 2005 p. 197-466

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A - Des lois nouvelles, gage de sécurité pour les lanceurs d'alerte

L'intérêt de cette étude est d'analyser les possibles remèdes protectionnistes en faveur des lanceurs d'alerte qui n'ont pas été intégrés dans l'ordonnancement juridique français. Il faut entrevoir les opportunités législatives balayant tous les champs de signalement éthique. En premier lieu, l'intérêt d'établir une loi pénalisant celui qui se tait (1). En second, l'utilité de créer une loi protégeant le lanceur d'alerte en l'absence d'infraction pénale probante (2).

1 - L'édification d'une loi incriminant celui qui se tait ?

En France, la politique pénale qui prédomine est la non-sanction en cas de silence.

Une exception existe en Espagne. En effet, les lois espagnoles (lois du 28 décembre 1993 et du 28 avril 2010) font obligation à toute personne, et notamment celles travaillant dans le secteur bancaire, de communiquer aux autorités les informations dont elles disposent à propos d'opérations en relation avec une infraction financière. Tout manquement à cette obligation constitue une infraction pénale. Aucune poursuite sur le fondement d'une violation du secret professionnel ou du secret bancaire ne peut être engagée face à une divulgation effectuée de bonne foi285. Il n'existe en Europe aucun équivalent juridique : le secret bancaire et le secret commercial des technologies de l'information ne peuvent être utilisés pour cacher des activités illicites286.

C'est parce que cette politique existe que le cas Hervé Falciani (à l'origine du scandale SwissLeaks) a été traité différemment en Espagne. Après avoir alerté les autorités suisses (et européennes) de vastes évasions fiscales organisées par la banque HSBC, et avoir été arrêté et interrogé en décembre 2008 par le Procureur suisse (sous les accusations d'espionnage industriel, vol de données couvertes par le secret bancaire, violation du secret professionnel), il se réfugie en Espagne. Arrivé à Barcelone en juillet 2012, il est arrêté à la suite de la diffusion d'un mandat d'arrêt international suisse287 et mis en détention à la prison de Madrid, le temps que le tribunal décide de son extradition ou non vers la Suisse. Le 8 mai 2013, le tribunal décide de ne pas l'extrader et de le libérer, au motif qu'il a fourni des informations démontrant des activités constitutives d'infractions pénales. C'est parce que la loi espagnole est l'une des rares lois à pénaliser celui qui ne révèle pas, que les juges espagnoles ont refusé

285 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 121-217

286 Voir : H. FALCIANI, A. MINCUZZI (préface de W. BOURDON), Séisme sur la planète finance, au coeur du scandale HSBC, La Découverte, Paris, 16 avril 2015, 240 p.

287 Ediciones El Pa's, Arrestado el exempleado de HSBC acusado de robar datos secretos, 24 juillet 2012

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son extradition réclamée par la Suisse. Hervé Falciani a été condamné, par défaut, le 27 novembre 2015, à cinq ans d'emprisonnement pour espionnage économique par le Tribunal pénal fédéral suisse. Il n'a jamais bénéficié du statut protecteur de lanceur d'alerte puisque la loi suisse, radicalement opposée à la loi espagnole, incrimine celui qui révèle des informations obtenues dans le cadre de son emploi dans une banque288.

Actuellement en France, l'article 40 al 2 du CPP qui fait du signalement au procureur de la République une obligation pour tout agent public n'est pas suivi de sanction en cas de manquement. Par contre, l'agent public pourra subir des sanctions disciplinaires s'il manque à ses obligations statutaires. Ainsi, selon Serge Slama « un fonctionnaire qui manquerait de signaler des faits répréhensibles alors que le statut général de la fonction publique l'y oblige pourrait être sanctionné »289.

Le salarié d'une entreprise n'est pas, non plus, contraint, par les dispositifs actuels, à dénoncer des agissements dont il aurait eu connaissance dans le cadre de ses fonctions. Il n'est pas, par principe, tenu de dénoncer une infraction pénale. Selon Olivier Leclerc « si un salarié constate une violation aux règles de traitement biomédicales et environnementales, il n'existe pas, en droit français, d'obligation de dénonciation au procureur de la République »290 mais probablement il serait possible d'engager sa responsabilité civile pour faute. Il serait en effet plausible d'engager la responsabilité civile sur le fondement de l'article 1382 du Code civil291 292. Ce texte est à mettre en parallèle avec la loi Blandin de 2013 qui permet à toute personne (incluant les agents publics) de dénoncer des faits portant sur des risques sanitaires et environnementaux graves. Ce droit d'alerte a comme corollaire les principes de précaution et de prévention sur lesquels sont fondés le droit de l'environnement et de la santé publique. Les sénateurs ayant déposé la proposition de loi avaient convenu que la protection des alertes encadre l'application de deux articles de la Charte de l'environnement adossée à la

288 L'article 273 du Code pénal suisse punit la remise volontaire de renseignements économiques à une administration étrangère (l'économie suisse étant lésée par cette divulgation). L'article 273 sanctionne, donc, le fait de chercher et de rendre accessible « un secret de fabrication ou d'affaires à un organisme officiel ou privé étranger ».

L'article 47 de la loi fédérale suisse sur les banques et les caisses d'épargne du 8 novembre 1934 réprime « celui qui, intentionnellement (en sa qualité d'organe, d'employé, de mandataire ou de liquidateur d'une banque) révèle un secret qui lui a été confié ou dont il a eu connaissance en raison de sa charge ou de son emploi ».

La violation du secret d'affaires est punie d'une peine d'emprisonnement maximum de trois ans.

289 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2231-2261

290 O. LECLERC « La protection du salarié lanceur d'alerte, Au coeur des combats juridiques », Dalloz, 2007, p. 298-298

291 Art. 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

292 La Cour de cassation a, auparavant, déjà admis la réparation du préjudice écologique sur le fondement de l'article 1382 du Code civil dans l'affaire Erika (Crim. 25 septembre 2012, n° 10-82.938).

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Constitution française, que sont l'article 2293 et l'article 3294. Il faut également se remémorer la décision M. Michel Z et autres du Conseil constitutionnel du 8 avril 2011295, dans laquelle il énonce que « chacun est tenu à une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité ». Dès lors que le droit d'alerte en matière environnementale procède de la Charte de l'environnement, peut être imputée une faute en cas de non-divulgation. En mobilisant la responsabilité pour faute de l'article 1382 du Code civil, il est donc probable, selon Mireille Bacache, « de responsabiliser le fait de s'abstenir d'alerter d'un risque grave pour l'environnement ou la santé qui cause un dommage à autrui, en imputant une faute de vigilance, une faute de précaution, selon la nature du risque dénoncé, avéré ou incertain »296.

Nouvellement adoptée, la loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages297 a introduit dans le Code civil, des dispositions destinées à reconnaître la notion de préjudice écologique et à en encadrer la réparation. L'article 1386-19 du Code civil (art. 1246 du Code civil à partir du 1er octobre 2016) énonce que « toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer », le préjudice écologique étant défini à l'article 1386-20 comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement » (art. 1247 du Code civil à compter du 1er octobre 2016). Avec cette nouvelle disposition et une interprétation jurisprudentielle propice, prochainement, il sera permis d'engager la responsabilité civile d'un individu qui ayant connaissance de manquements graves pouvant aboutir à un préjudice écologique sévère n'a pas alerté sur les risques constatés. De manière identique, l'employeur, ayant connaissance de ces dysfonctionnements et négligeant d'intervenir pour empêcher la réalisation du sinistre écologique, pourra, probablement, voir sa responsabilité engagée.

Cependant, des dispositions françaises donnent à l'alerte un caractère obligatoire et en sanctionnent le manquement.

293 Art. 2 de la Charte de l'environnement : « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ».

294 Art. 3 de la Charte de l'environnement : « toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ».

295 C. Const., QPC, décision n°2011-116, 8 avril 2011, décision M. Michel Z et autres, D.2011, 1258, note V. Rebeyrol

296 M. BACACHE, « L'alerte : un instrument de prévention des risques sanitaires et environnementaux », RTD civ, 2013, p.697-726

297 Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JO n°184, 9 août 2016

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Ainsi, l'article 434-1 du Code pénal298 manifeste une obligation générale de dénonciation. Néanmoins, cela ne concerne que les « crimes dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés ». Selon Joël Morel-Bailly, « le crime doit s'entendre dans son sens technique, à savoir l'infraction punie d'au moins dix ans d'emprisonnement. Échappent à cette obligation les faits délictueux, l'homicide involontaire ou la mise en danger délibérée de la vie d'autrui »299.

Par conséquent certaines règles posent une obligation de dénonciation suivie de sanction en cas de manquement mais cela ne concerne que des champs très restreints.

Il serait envisageable d'introduire une sanction en cas de refus de dénoncer où le défaut de révélation entraînerait des risques graves pour l'intérêt général ou le bien commun.

Cependant, une telle intronisation poserait des difficultés majeures. Une telle obligation serait-elle respectueuse du principe de légalité ? Quels seront les éléments constitutifs permettant de poursuivre et d'accuser un individu de sa négligence à avoir dénoncer ? Comment serait-il possible de concilier cette obligation avec le droit à la liberté d'expression et de conscience ? En lieu et place d'une pénalisation, de possibles immunités en cas de divulgation seraient susceptibles de libérer la parole des agents et salariés sans craindre de représailles. Ces immunités permettraient d'ouvrir un interstice pour la dénonciation sans qu'il n'y ait violation des obligations statutaires et légales des agents et sans poursuite pour vol ou recel. Soulignons que la volonté de pénaliser tout comportement est de nature à rendre légitime et légale une infraction ayant des atours politiques.

2 - L'instauration d'une protection en l'absence d'infraction pénale probante ?

Il convient d'analyser la dénonciation de faits qui n'ont révélé aucun crime ou délit mais qui, à l'avenir, pourraient être caractérisés comme tels. Dans un cas similaire, aucune loi ou jurisprudence actuelle ne permettent de protéger celui qui divulgue.

298Art. 434-1 du Code pénal : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance d'un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Mais sont dispensées de cette obligation les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13 du Code pénal ».

299J. MORET-BAILLY, « Sanctions des fraudeurs et situation des lanceurs d'alerte eu regard du droit », La presse médicale, volume 41, septembre 2012, p. 867-871 http://www.em-consulte.com/en/article/749289

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Le meilleur exemple à citer pour illustrer cette situation est l'affaire James Dunne, ancien employé de la société Qosmos300. James Dunne avait dénoncé des faits répréhensibles, commis par la société Qosmos, au regard du droit interne et du droit international (sous le chef d'inculpation d'entreprise privée fournissant à un État ou à un groupe armé les moyens matériels de commettre certains actes) mais qui n'ont pas été prouvés ou qui n'ont pas eu d'effets301. Il ne pouvait, en l'espèce, bénéficier d'aucune protection juridique. En effet, selon Serge Slama, une divulgation peut être qualifiée d'alerte que si le risque d'atteinte invoqué est suffisamment grave, imminent, substantiel et tangible. Ainsi un risque uniquement hypothétique n'entre pas dans ce champ302. Le cas présenté apparaissant comme incertain, ne peut être revendiqué, selon Serge Slama, le statut de lanceur d'alerte.

Cet exemple peut se reproduire. Afin de prévenir tous dommages graves ou tous actes préoccupants pouvant porter une atteinte substantielle à des droits fondamentaux, en principe indérogeables, il serait avantageux d'établir une loi encadrant le droit d'alerter, des agents travaillant dans des domaines sensibles, sur des dangers et risques potentiels sans qu'ils soient tangibles ou encore déterminés de manière précise. Selon William Bourdon « L'autorité administrative indépendante [É] aurait pu être un allié pour James Dunne È303. Celle-ci pouvant examiner l'alerte, effectuer les investigations nécessaires sans mettre en péril l'institution dénoncée et décider si les risques produiront des effets avérés dans l'avenir.

300 Créé en 2000, Qosmos est un éditeur de logiciels français qui fournit des composants logiciels d'analyse du trafic internet pour des applications diverses. La spécialité de Qosmos est le DPI (Depp Packet Inspection), technologie qui permet d'analyser, de filtrer ou encore de surveiller les communications qui transitent par un réseau de télécommunication. Le système est tellement élaboré qu'il est possible de collecter, de ficher et d'intercepter toutes les données numériques.

301 James Dunne, employé de la société comme responsable du service de documentation technique, constate que Qosmos fourni le système DPI à certains régimes, notamment la Libye de Kadhafi et la Syrie de Bachar al-Assad (permettant de parfaire les moyens de répression à l'encontre de leurs opposants et de la population dans son ensemble).

En 2005, il envoie un courriel à son supérieur dans lequel il s'inquiète de la situation. En février 2011, il poste sur sa page Facebook un lien vers un article intitulé « le DPI est-il une arme ? ». Il publie également une série de commentaires sur le sujet sur le site de Mediapart, et des documents techniques indiquant l'implication de Qosmos dans des contrats de surveillance de masse à ces régimes dictatoriaux. Le site Mediapart a ensuite mené une enquête basée sur ses révélations.

Le 13 janvier 2012, il est licencié pour faute lourde, manquement à ses obligations de loyauté et de confidentialité, détention non autorisée de documents internes avec intention de les divulguer à des tiers. Pendant toute cette période durant laquelle il travaille pour Qosmos, il voit son état de santé se dégrader et fait état d'un arrêt maladie pour dépression réactionnelle. Suite à son licenciement, il va saisir le Conseil des Prud'hommes, qui en première instance, en mars 2015, va juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Le juge ne va pas s'exprimer sur la véracité des propos tenus par James Dunne, estimant que cela relève d'un autre cadre judiciaire ; mais il va, néanmoins, estimer que James Dunne a été victime d'épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé et va établir un lien de causalité entre la maladie et les manquements de son employeur à son obligation de sécurité. En appel, la décision est confirmée.

En 2011, est découvert que Qosmos avait conclu, depuis 2007, un contrat de mise à disposition de technologies aux fins d'interception de communications, de traitements de données et d'analyses. Suite à ces découvertes, la FIDH et la LDH déposent plainte contre la société pour avoir fourni des moyens d'espionnage sur Internet à des entreprises ayant des contrats avec la Syrie. Ce qui déclenchera l'ouverture d'une information judiciaire au parquet de Paris et à la désignation, le 11 avril 2014, de trois juges du Pôle Crimes contre l'Humanité de Paris. James Dunne a été entendu dans l'enquête préliminaire du parquet, avant que le dossier soit confié au Pôle Crimes contre l'Humanité. En avril 2015, la société est placée sous le statut de témoin assisté car, à ce stade de l'enquête, sa responsabilité n'est pas avérée. D'après l'entreprise, les logiciels n'ont, en effet, jamais été opérationnels.

302 S. SLAMA, « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2261

303 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 152-217

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Ces solutions législatives amélioreraient la libération de la parole et la protection des lanceurs d'alerte mais elles présenteraient aussi des difficultés pratiques et des intérêts divers devront être mis en balance pour connaître le bénéfice d'une telle réforme (les préjudices éventuels pour l'entreprise ou l'institution, les moyens de divulgation, le risque de dénoncer des informations couvertes par le secret-défense, d'affaires ou bancaire et de compromettre certaines actions gouvernementales ou commerciales, la véracité des risques dénoncés et les critères faisant foi du bien-fondé de l'alerte, les atteintes probables et/ou lointaines, etc.).

Au-delà de ces éventuelles lois introduisant une protection accrue, une tangible garantie jurisprudentielle est apparue ces dernières années. Celle-ci n'a pas pris ancrage dans le domaine des lancements d'alerte mais à l'avenir, un juge pourrait s'appuyer sur cette innovation pour la déployer aux alertes éthiques et à leurs lanceurs.

B - L'exception de citoyenneté, l'ébauche d'un fait justificatif ?

Le moyen de défense intitulé « exception de citoyenneté » a été employé à de nombreuses reprises par l'avocat William Bourdon. On se basera donc sur la même notion que celui-ci304. Procédant d'un principe de droit pénal qui est l'état de nécessité (1), ce moyen de défense est observé sous le prisme des désobéissants civils et des lanceurs d'alerte (2).

1 - Le principe de l'état de nécessité, une justification à l'infraction

L'état de nécessité est une cause objective d'irresponsabilité pénale, c'est-à-dire qu'elle ne fait pas obstacle à la constitution de l'infraction mais elle vient légitimer une infraction constituée. On parle, dès lors, de fait justificatif.

Ce fait justificatif à l'infraction est une création prétorienne du juge Paul Magnaud, ancien Président du Tribunal correctionnel de Château-Thierry dans l'Aisne. Le 4 mars 1898305, Louise Ménard, jugée pour vol de pain devant le Tribunal correctionnel, a expliqué son geste par la nécessité de nourrir son enfant de deux ans. Ils n'avaient pas mangé tous deux depuis trente-six heures. Le tribunal va reconnaître la constitution de l'infraction mais va relaxer Louise Ménard. Le 22 avril 1898, la Cour d'appel d'Amiens confirmera le jugement.

304 Ibidem p. 197-217

305 Tribunal correctionnel de Château-Thierry, jugement 4 mars 1898, Dame Louise Ménard (Arch. dép. Aisne, 25 U 59) http://archives.aisne.fr/documents-du-mois/document-le-document-du-mois-de-janvier-59/n:85

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L'état de nécessité peut être défini comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n'a d'autre ressource que d'accomplir un acte prohibé par la loi pénale mais sans pour autant que cela la rende coupable d'un fait engageant sa responsabilité pénale.

L'état de nécessité prévu à l'article 122-7 du Code pénal306 doit réunir cumulativement plusieurs conditions pour trouver à s'appliquer. Celui qui invoque un tel fait justificatif doit établir, d'une part, l'existence d'un danger actuel ou imminent le menaçant, menaçant autrui ou un bien, d'autre part, le caractère nécessaire de l'acte accompli pour la sauvegarde de sa personne, d'autrui ou du bien, et, enfin, la proportion entre les moyens employés et la gravité de la menace.

Il faut donc, un danger actuel ou imminent, que le danger correspond en un péril grave et objectif et que la réaction à celui-ci soit nécessaire et proportionnée. Si les conditions sont pleinement constituées, l'état de nécessité viendra neutraliser la déclaration pénale de responsabilité mais l'auteur restera responsable civilement.

Pour défendre les désobéissants civils, certains ont usé de cet état de nécessité. L'accueil mitigé des premiers temps tend aujourd'hui à s'effacer et une acceptation par les juges français s'amorce. Toléré dans certain cas de désobéissance civile, il a, pour l'instant, été réfuté pour les lanceurs d'alerte. Néanmoins serait-il possible prochainement d'user de ce moyen pour défendre les lanceurs d'alerte ?

2 - Les prémices d'une jurisprudence à un déploiement aux lanceurs d'alerte ?

C'est dans le cadre des procès contre les Faucheurs volontaires d'OGM que l'état de nécessité a été mis en avant. Le mouvement des Faucheurs volontaires307, créé en 2003 sur le plateau du Larzac, s'attaque à la prolifération des cultures OGM en détruisant les parcelles d'essais transgéniques et d'OGM. Qualifiés par le droit pénal et civil de destruction grave du bien d'autrui en réunion, ces actes constituent un délit dont la peine maximale est de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

306 Article 122-7 du Code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

307La défense des Faucheurs s'appuie sur la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui rappelle le droit de résistance à l'oppression. Les sympathisants des Faucheurs affirmant qu'ils agissent selon les principes de non-violence et de désobéissance civile. Leurs opposants considèrent que la destruction doit être condamnée car elle freine la recherche.

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Pour le fauchage d'un essai de maïs OGM à Menville le 25 juillet 2004, les avocats des Faucheurs demandaient la relaxe en vertu de l'état de nécessité et sur ce fondement mettaient à jour un nouveau fait justificatif intitulé « exception de citoyenneté ». Celui-ci n'apparaissant nullement dans le droit positif français.

Lors du jugement du 9 décembre 2005308 une avancée ostentatoire sera faite par les juges correctionnels dans une affaire de fauchage d'OGM par les Faucheurs volontaires.

Le Tribunal Correctionnel d'Orléans va relaxer les prévenus sur le fondement de l'état de nécessité, après en avoir analysé chaque élément constitutif. C'était une première jurisprudentielle 309 . Mis à part cette exception, le parcours judiciaire des Faucheurs volontaires est jonché d'appel et de cassation refusant l'état de nécessité. En effet, de nombreuses audiences suivront le jugement de 2005 qui toutes infirmeront cette première décision. Néanmoins, selon William Bourdon, « Le verdict rendu par le Tribunal correctionnel d'Orléans restera dans les annales judiciaires de la désobéissance citoyenne en France comme un précédent exemplaire »310.

Dans le cadre du procès contre les Déboulonneurs l'état de nécessité a également été mobilisé. Le Collectif des Déboulonneurs, créé en 2005, dénonce la publicité agressive qui envahie l'espace publique et harcèle les citoyens. Il lutte contre son excroissance et a lancé une action d'envergure nationale contre le système publicitaire. Selon eux, en pratiquant la dégradation non violente des panneaux publicitaires et la réduction des tailles d'affiches, leurs actions se situent sur le terrain de la désobéissance civile. Pour des faits du 28 février 2009 au métro Pigalle, six membres du collectif comparaissaient devant le Tribunal Correctionnel de Paris le 25 mars 2013. Au cours de cette audience, l'état de nécessité sera accepté par les juges, qui vont relaxer les prévenus311. En effet, les juges vont estimer que « devant la nocivité pour la santé de certaines publicités, à l'origine du décès d'un nombre non négligeable de personnes, il peut être considéré que de commettre des contraventions de dégradations légères, est proportionné au danger de maladie ou de mort couru par ces personnes »312.

Les jugements évoqués concernaient des collectifs obéissants à la désobéissance.

308 T. Corr. d'Orléans, 9 décembre 2005, n0 2345/S3//2005, Mouvement Faucheurs Volontaires c/ Société Monsanto

309 Voir annexe 7, p.151

310 W. BOURDON, Petit manuel de désobéissance citoyenne, Editions JC Lattès, février 2014, p. 55-217

311 Voir annexe 7, p.151

312 T. Corr. de Paris, 12ème Chambre, 25 mars 2013, n° parquet 09317034048, Collectif des Déboulonneurs c/ Société JCDecaux http://www.deboulonneurs.org/article656.html

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La question des lanceurs d'alerte et de l'état de nécessité est apparue dans l'affaire de l'ancien policier Philippe Pichon et des fichiers STIC (précédemment examinée)313.

Poursuivi pour les chefs de violation du secret professionnel, d'accès frauduleux à un système automatisé de données, son audience s'est déroulée le 22 octobre 2013 à la 17ème Chambre correctionnelle du TGI de Paris. Le Tribunal l'a condamné à une peine symbolique de 1500 euros d'amende avec sursis, quand le ministère public demandait quatre à six mois d'emprisonnement avec sursis. Les juges ont reconnu qu'il avait tenté d'alerter sa hiérarchique sur les différents dysfonctionnements du fichier STIC, les manquements aux législations et aux recommandations prévues par la CNIL, avant de communiquer à un journaliste des informations personnelles sur deux personnalités inscrites sur le fichier.

Les juges ont déployé la formule suivante : « sans que les alertes, sans doute infructueuses, que le prévenu a lancées, d'abord à sa hiérarchie, puis, par d'autres moyens, ne puissent caractériser un état de nécessité justifiant la commission des infractions à défaut de proportionnalité entre les atteintes aux droits des administrés et les infractions, le tribunal ne peut que constater que les faits qui lui sont reprochés sont partiellement motivés par les convictions d'intérêts publics du prévenu ». Certes ils n'admettent pas l'état de nécessité mais ils usent du terme « alertes infructueuses » et « de convictions motivées par l'intérêt public ». Par ailleurs, ils évoquent la hiérarchie des canaux utilisés, le prévenu « ayant lancé, d'abord sa hiérarchie, puis, par d'autres moyens ».

Son avocat se félicitera de la bienveillance des juges en déclarant que « même si l'expression lanceur d'alerte n'est pas utilisée dans le jugement. C'est un droit nouveau qui en train de s'élaborer et qui se trouve en miroir avec une grande demande de transparence de la société civile internationale»314.

Cette fameuse « exception de citoyenneté » basée sur l'état de nécessité pourrait-elle à l'avenir se concrétiser et exister de manière autonome de l'état de nécessité ? Cette création prétorienne pourrait-elle être déployée aux lanceurs d'alerte ?

Consacrer une telle exception devra s'accompagner de critères cumulatifs à respecter (tels des actes motivés par l'intérêt public, une proportionnalité et une exigence de nécessité, la nécessité des moyens employés pour la divulgation, etc.).

313 Voir : Titre I, Section 1, Paragraphe II, B, 1 (page 42)

314 L. BORREDON, « La clémence du tribunal de Paris envers l'ex-flic Pichon, qui avait dénoncé les fichiers de police », Le Monde, Blogs, publié le 22 octobre 2013 (consulté le 3 juin 2016).

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Section 2 - La répression en réponse à une libre expression

L'histoire des lanceurs d'alerte est parsemée de divulgations publiques par écrit ou parole. Dès qu'il y a diffusion médiatique, le droit de la presse s'applique. Dans les systèmes juridiques modernes, la liberté d'expression (ainsi que la liberté d'opinion et de conscience) est hissée à différents niveaux. Proclamée et sacralisée, elle subit néanmoins de nombreuses dérogations, apparues au fil du temps selon les événements politiques et judiciaires survenus. Le droit d'exercer cette liberté fondamentale est donc encadré et c'est de manière homogène mais variable que les États ont posé des garde-fous315.

En France, la liberté d'expression a été constitutionnellement reconnue aux articles 10 et 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789316, visant à la fois l'aspect intime de la liberté d'opinion et l'aspect externe de la manifestation de cette opinion317. C'est une approche positive qui a été affirmée, puisqu'un principe général de liberté d'expression a été garanti mais des exceptions ont été admises par la loi. Ces exceptions sont communément nommées « infractions de presse », incluant l'infraction de diffamation et d'injure.

La liberté d'expression a été consacrée conventionnellement en 1950 par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme318.

Une autre source fonde la liberté d'expression en France. Cette source législative a comme origine la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse319. Elle régit la pratique de la liberté de la presse et de la liberté d'expression en France. Elle avait pour objectif, selon Mathilde Hallé, « d'assurer une pleine liberté d'expression de la presse dans un objectif d'information « saine » du public au sein de l'espace public »320. Créée pour favoriser la

315 Voir annexe 2, p.133

316 Art. 10 de la DDHC : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».

Art. 11 de la DDHC : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

317 G. MUHLMANN, E. DECAUX, E. ZOLLER, La liberté d'expression, Editions Dalloz, novembre 2015, p. 117-308

318 Art. 10 de la CESDH : « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

319 Loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, JO du 30 juillet 1881, p. 4201

320 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, p.7-85

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liberté d'expression et la restreindre a minima, elle prévoit et réprime les abus à la liberté d'expression commis par voie de presse. Pour que cet objectif soit réalisé, la loi a dressé des dispositions procédurales spécifiques dérogatoires au droit commun.

Cette législation porte mal son nom et pourrait être appelée plus justement « loi sur la liberté de communication ». En effet, ce qui compte est le caractère public de la communication quel que soit le moyen utilisé.

La divulgation médiatique est un moyen pour le lanceur d'alerte de contourner l'immobilisme de sa hiérarchie et/ou de garder l'anonymat. Selon Jean-Philippe Foegle, « il faut examiner dans quelle mesure l'équilibre institué par le droit de la presse permet de garantir ou non l'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte contre les « procès bâillon » »321.

À cette fin, l'étude se focalisera sur les infractions de presse retenues contre les lanceurs d'alerte (Paragraphe I) et les défenses qu'ils peuvent opposer (Paragraphe II).

I - Des infractions de presse utilisées contre les lanceurs d'alerte

Pour qu'une infraction de presse soit constituée, il faut une publication et un contenu interdit322. Selon Emmanuel Derieux, « c'est donc le fait de rendre publiques des affirmations ou accusations [É] qui constitue l'infraction, quels que soient la nature ou le support de cette publication »323.

Les deux infractions de presse régulièrement utilisées contre les lanceurs d'alerte sont l'injure publique (A) et la diffamation publique (B). Les cas de poursuites pour injure publique sont moins fréquents que pour diffamation.

A - Des poursuites diligentées pour propos injurieux

Soulignons qu'aucune décision judiciaire relative à un lanceur d'alerte n'a été relevée en matière d'injure. Néanmoins, l'examen de cette infraction demeure intéressant puisque les lois françaises récentes ont rappelé avec force que les lanceurs d'alerte de mauvaise foi seront passibles de poursuites au titre de l'injure.

321 JP FOEGLE, « Lanceurs d'alerte », Encyclop3/4dia Universalis (en ligne), consulté le 8 juin 2016.

322 Qui peut être attentatoire à l'honneur et à la considération.

323 E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.434-1006

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1 - L'infraction d'injure

L'infraction d'injure est définie à l'article 29 alinéa 2 de la loi de 1881 comme : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait ». Avec l'idée d'outrage « se cristallise l'extrême gravité d'une offense, c'est-à-dire d'une blessure, d'une atteinte portée à la dignité ou à l'honneur d'une personne »324.

Les injures publiques envers des particuliers seront passibles d'une amende de 12 000 euros (article 33 al 2). Les injures raciales, homophobes, discriminatoires seront punies de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende (article 33 al 3 et 4). À contrario, et dans l'hypothèse d'une injure non publique, l'auteur s'expose à une amende prévue par une contravention de première classe (article R. 621-2 du Code pénal).

2 - Les éléments constitutifs de l'infraction

L'injure se caractérise par plusieurs éléments.

Tout d'abord, l'injure ne peut s'exprimer qu'à l'encontre d'une personne clairement identifiée.

Les propos injurieux doivent atteindre un certain degré de gravité.

Les propos injurieux visent un excès de langage qui constitue une attaque délibérée à l'encontre d'une personne. Ils doivent présenter un caractère objectivement offensant, c'est-à-dire que peu importe l'intention de l'auteur ou la perception du message par la victime.

La notion de non-imputation d'un fait est primordiale.

En effet, l'injure est générale, celui qui l'a proféré ne fait référence à aucun fait particulier susceptible d'être discuté. Cet élément essentiel permet de distinguer l'injure de la diffamation.

Enfin, les propos injurieux doivent avoir été exprimés en conscience.

Selon la Cour de cassation, les expressions outrageantes, termes de mépris ou invectives, sont réputées de droit prononcées avec une intention coupable325.

324 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p. 493-1419

325 Cass, crim, 10 mai 2006, D.2006.2220, note Dreyer ; Droit pénal 2006. 135, obs. Véron

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Seule l'excuse de provocation est de nature à ôter le caractère punissable des expressions outrageantes (article 33 alinéa 2 de la loi de 1881). L'excuse de provocation est traditionnellement définie par la jurisprudence comme « un fait accompli volontairement, par tout acte quelconque, de nature à expliquer l'injure » 326. Cette excuse de provocation constitue d'une certaine façon une « légitime défense verbale », à condition que ce soit la personne injuriée qui se soit rendue coupable de la provocation. Donc, la personne provoquée doit être la même que celle qui est poursuivie pour injure. L'excuse de provocation pourra être valablement retenue uniquement dans les cas où l'injure découle directement de la provocation. Il doit exister une proximité évidente entre les deux (Cass, crim, 17 février 1981, Bull crim, n°64). L'injure doit constituer « une riposte immédiate et irréfléchie » (Cass, crim, 13 avril 1999, Bull. crim, n°77). Selon la Cour de cassation, « l'injure n'est excusable pour cause de provocation que lorsque celui qui a proféré ladite injure peut être raisonnablement considéré comme se trouvant encore sous le coup de l'émotion que cette provocation a pu lui

causer »327.

B - L'usage historique de la diffamation

Le délit de diffamation a été utilisé à de maintes reprises pour condamner un individu ayant dénoncé publiquement des dysfonctionnements ou des atteintes à la loi.

L'un des exemples les plus célèbres est celui d'Émile Zola qui publia un article « J'accuse ! », dans le journal l'Aurore, le 13 janvier 1898, pour alerter et dénoncer les manipulations politiques et militaires orchestrées contre Alfred Dreyfus. Le Ministre de la Guerre portera plainte pour diffamation. Zola et Alexandre Perrenx, gérant de L'Aurore, passeront devant les Assises de la Seine du 7 au 23 février 1898. Après un appel et une cassation, Zola sera condamné à un an d'emprisonnement et 3.000 francs d'amende328.

1 Ð L'infraction de diffamation

L'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 qualifie de diffamation « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».

326 Cass, crim, 13 janvier 1966, n°65-90156, Bull crim. n°14, §6

327 Ibidem, §15

328 Voir annexe 6, p.147

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L'article 32 de la loi de 1881 énonce qu'en cas de diffamation publique, l'auteur sera puni d'une amende de 12 000 euros. Cette sanction peut être aggravée à un an d'emprisonnement et/ou à 45 000 euros d'amende lorsque la diffamation a été proférée en raison d'une discrimination spécialement interdite. Lorsque la diffamation a été prononcée en privé, la sanction est d'une amende de 38 euros (équivalente à une contravention de première classe) selon l'article R.621-1 du Code pénal.

2 - Les éléments constitutifs de l'infraction

Le délit de diffamation suppose la réunion de plusieurs éléments.

Le premier étant une allégation ou une imputation sur un fait précis et déterminé.

Dans le langage commun, l'allégation est définie comme « une affirmation quelconque »329, tandis que l'imputation est définie comme « l'action de mettre sur le compte de quelqu'un (une action blâmable, une faute) » 330 . En pratique, la jurisprudence ne distingue pas l'allégation ou l'imputation et évoque alternativement ou cumulativement l'une ou l'autre.

La Cour de Cassation définit le fait précis et déterminé comme « devant se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature, à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire » (Cass, crim, 6 mars 1974, Bull crim 1974, n°96). Le fait doit donc pouvoir être daté et circonstancié. L'allégation doit être claire, significative et univoque.

La deuxième condition exige un fait susceptible de porter atteinte à l'honneur ou à la considération. Selon Emmanuel Derieux, une distinction est possible entre « l'honneur (qui fait référence à la dignité morale intérieure, correspond à ce que l'on voudrait ou devrait être ou faire ou ne pas faire pour soi-même) et la considération (davantage liée à une appréciation extérieure, formulée par les autres) »331.

L'appréciation de cette atteinte ne tient pas compte de la conception personnelle que la victime peut avoir de son propre honneur, elle se réfère à une notion générale communément admise. La Cour de cassation a depuis longtemps considéré que le juge devait faire abstraction des conceptions subjectives de la victime et doit se référer à « des considérations objectives, indifférentes à la sensibilité particulière de la personne visée »332.

La Haute juridiction rappelle régulièrement qu'il « appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis qui sont de nature à

329 Petit Robert 1, réédition de mars 1990, Paris, Dictionnaires LE ROBERT

330 Ibidem

331 E. DERIEUX, Droit des médias, LGDJ, Lextenso Editions, 7ème édition, octobre 2015, p.432-1006

332 T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 3 mars 2000, Debout c/ Drucker, Légipresse 2000-I, p. 47, n° 173-05.

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donner un caractère diffamatoire à l'écrit qui les renferme È333, que « les propos incriminés ne doivent pas être pris isolément mais être interprétés les uns par rapport aux autres »334 et que le juge doit replacer « le passage incriminé dans son contexte, pour en apprécier la nature et la portée È335.

Pour que l'infraction soit constituée, il faut que l'atteinte soit portée à une personne identifiée ou identifiable. Ainsi même dénommé par un pseudonyme, une personne physique peut faire l'objet de propos diffamatoires dès lors qu'elle est identifiable.

L'intention coupable, élément moral de l'infraction, est présumée. La jurisprudence considère que les imputations diffamatoires sont réputées faites avec l'intention de nuire336. De sorte que l'intention de nuire est présumée.

La diffamation est souvent perçue à tort comme l'allégation de propos faux mais l'existence de la vérité n'est pas prise en compte. La vérité des propos est indifférente à la constitution de l'infraction. Seule la calomnie repose sur le mensonge. À l'inverse, les propos désagréables ou critiques ne sont pas diffamatoires ; la critique devant rester libre et nécessaire dans toute société démocratique. L'incrimination de la diffamation ne doit pas s'avérer de nature à empêcher le libre débat d'idées. Les juges rappellent « le principe de la liberté d'opinion notamment pour des propos relevant de la polémique politique, syndicale, religieuse ou s'inscrivant dans un débat de société È337.

De très nombreux lanceurs d'alerte ont été poursuivis et condamnés sur le fondement de la diffamation. Les seules armes dont ils disposent pour se défendre sont l'exception de bonne foi et l'exception de vérité.

II - Une défense imprévisible en matière de diffamation

Se concentrer sur les moyens de défense de l'infraction de diffamation, c'est recentrer le débat sur les derniers remparts existants pour protéger un lanceur d'alerte qui aurait divulgué médiatiquement des informations (par voie de presse ou Internet).

333 Cass, crim, 15 octobre 1985, Bull crim. 1985, n°314

334 Cass, crim, 21 février 1984, Bull crim. 1984, n°65

335 Cass, crim, 15 mars 1983, Bull crim. 1983, n°81

336 Cass, crim, 19 novembre 1985, n° 84-95502, Bull crim n° 363

337 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p. 447-1419

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Spécifique à la diffamation, les moyens de défense sont l'exception de bonne foi (A) et l'exception de vérité (B). Chacune de ces défenses, quoiqu'efficace dans certains cas, sont encadrées par des critères stricts ; les lanceurs d'alerte devant apporter la preuve de la vérité des faits allégués ou la preuve de leur bonne foi. Le parcours permettant d'annihiler toute culpabilité à leur endroit est, dès lors, semé d'embûche.

A - L'exception de bonne foi

La loi de 1881 est restée silencieuse quant aux critères de la bonne foi permettant de justifier la diffamation. Paradoxalement, ce silence a été comblé par la jurisprudence préalablement à l'adoption de la loi de 1881. En effet, la bonne foi, notion prétorienne, est apparue en 1821. La Haute juridiction va retenir que les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire338 mais que cette présomption peut disparaître en présence de faits justificatifs suffisants pour faire admettre la preuve de la bonne foi du prévenu339.

Le terme de bonne foi peut prêter à confusion. Selon Philippe Conte, la bonne foi arbore deux acceptions différentes. D'une part « l'absence d'intention délictueuse » et d'autre part « un fait justificatif »340. La bonne foi s'entendrait d'une personne ayant conscience de porter atteinte à l'honneur et à la considération d'un individu (donc d'être de mauvaise foi) mais dont la justice va estimer, qu'en vertu du droit à l'information, le propos diffamant est justifié. Comme l'affirmait le Président Mimin, il y a les bons diffamateurs réalisant « une oeuvre salutaire, utile à la vie politique, à la vie intellectuelle, à la vie morale de la nation » et il y a les mauvais diffamateurs « ne visant qu'à satisfaire la curiosité du public »341. Selon lui, il y aurait des diffamations nécessaires parce « qu'opportunes et légitimes ».

1 - Les conditions procédurales de l'exception de bonne foi

Selon le Président Mimin, la bonne foi est constituée de plusieurs critères cumulatifs : la recherche d'un but légitime, la sincérité, l'absence d'animosité personnelle, la prudence dans l'expression et le sérieux de l'enquête. Cette notion de bonne foi est mentionnée en filigrane à l'article 35 bis de la loi de 1881342.

338 Cass. crim., 15 mars 1821, Bull. crim. n°36.

339 Cass. crim., 19 février 1870, D. 74, 5, p. 392.

340 P. CONTE, « La bonne foi en matière de diffamation : notion et rôle », in Mélanges offerts à Alberte Chavanne, Litec 1990, p.52-59

341 Cass. crim., 27 octobre 1938 : DP 1939, 1, p. 77, note P. Mimin

342 Art. 35 bis de la loi de 1881 : « Toute reproduction d'une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ».

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La légitimité du but poursuivi renvoi à l'idée que l'objectif n'est pas intrinsèquement malveillant ou malsain et ne doit pas appartenir au terrain de la vie privée. Cette condition est essentielle puisque « les critères d'absence d'animosité personnelle ou de prudence dans l'expression peuvent même parfois être amoindris au nom de l'extrême légitimité du but d'information poursuivi »343. L'acception de cette légitimité du but poursuivi a été déclinée en diverses formulations par les juridictions : « nécessité de l'information », « attente légitime du public sur une polémique d'actualité », « motivation légitime d'information sur un sujet d'intérêt, voire de préoccupation nationale » 344 . Les lanceurs d'alerte doivent agir dans l'intérêt général afin de poursuivre ce but légitime.

L'absence d'animosité personnelle suppose qu'il n'y ait pas d'implication subjective. L'individu doit relater les faits et informer le public sans que cela ne constitue des attaques personnelles. Ce critère est la manifestation même de l'absence d'intention de nuire. Les lanceurs d'alerte doivent répondre à aucune autre motivation que celle de faire respecter les lois et les droits fondamentaux345.

La prudence dans l'expression est une forme de pondération des propos afin d'éviter une expression excessive ou malveillante. Pour autant, dans le domaine de la polémique politique, ce critère n'est pas présent. En effet, la Cour de Cassation a énoncé que les accusations (à l'encontre d'une personne qui aurait commis des actes malhonnêtes) s'inscrivent « dans le cadre d'une polémique violente et répondent à une attente légitime du public »346.

Cette prudence dans l'expression est également interprétée de manière plus étendue face aux satires politiques ou aux humoristes sous réserve que la dignité de la personne humaine soit respectée et qu'il n'y ait pas d'animosité personnelle.

Les lanceurs d'alerte contribuent au débat démocratique et politique en usant parfois de termes polémiques et controversés qui participent du droit à l'information. Dès lors, cette condition n'est pas interprétée de la même manière.

343 B. BEIGNIER, B. DE LAMY, E. DREYER, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, Litec, Paris, 2009, p 487-1419

344 Ibidem, p. 488-1419

345 Dans un livre de 2010 intitulé « Maman Blédina ! Pourquoi tu m'empoisonnes ? », Suzanne de Bégon a qualifié la société Blédina d' « assassin » et l'a accusé d'avoir empoisonné pendant des années des milliers de bébés avec les tétines de ses biberons jetables. Elle se prévalait du statut de lanceur d'alerte et affirmait détenir la preuve scientifique que les tétines étaient stérilisées avec un gaz cancérigène. Par un arrêt en date du 8 avril 2014 (n°12-88412), la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi de Madame de Bégon, faisant notamment observer qu'elle « a été guidée dans sa démarche par son animosité personnelle, a manqué de rigueur scientifique et de sérieux dans sa démonstration ainsi que de prudence dans l'expression en employant des termes dénotant une outrance à l'endroit de la plaignante ».

346 Cass, 2ème civ, 14 mars 2002, n° 99-19.239, Bull. 2002 II, n° 41 p. 34

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Le sérieux de l'enquête et la vérification des sources sont des conditions martelées par les juges. Ils rappellent que « le journaliste qui ne justifie pas avoir eu d'autres sources que les articles de ses confrères et qui n'établit pas avoir procédé lui-même à des recherches ne peut se voir accorder le bénéfice de la bonne foi »347. Ainsi, le journaliste doit enquêter, recouper ses informations et sources, appliquer le principe du contradictoire lors de ses investigations348. Ce critère si essentiel pour les journalistes et les éditorialistes, l'est moins pour les citoyens. Néanmoins, cette condition sera de nouveau exigée pour un citoyen interviewé par un journaliste puisqu'il devra être en possession d'éléments suffisants lui permettant de porter des accusations. S'il ne détient pas ceux-ci, l'individu ne pourra bénéficier de la bonne foi puisque « portant des accusations particulièrement graves, sans justifier d'aucun élément pour accréditer les propos qu'il a rendu public ».349

Le lanceur d'alerte doit ainsi s'appuyer sur des informations vérifiées et précises.

L'exception de bonne foi n'est admise que si l'enquête repose une base factuelle suffisante (c'est-à-dire d'éléments suffisants)350. Ce critère a été consacré par la CEDH351et signifie que « les journalistes doivent s'appuyer sur une base factuelle suffisamment précise et fiable qui peut être tenue pour proportionnée à la nature et à la force de leur allégation, sachant que plus l'allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide »352. La Cour de cassation souligne que la base factuelle suffisante doit être détenue antérieurement à la diffusion du propos litigieux afin que le prévenu bénéficie de la bonne foi353. Selon Christophe Bigot, cette notion récente de base factuelle est, à l'inverse de l'intérêt général, « une vraie notion juridique, non aléatoire, basée sur un débat probatoire, permettant au juge de tirer toutes les conséquences de sources insuffisantes, délaissées ou dénaturées ou n'ayant pas l'objet d'une critique interne ou externe pertinente ». Ainsi, cette notion devrait, selon lui, « suffire à admettre ou rejeter la bonne foi, en évitant le détour par un concept indéfinissable à la portée incertaine, qui est l'intérêt général »354.

347 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 23 octobre 1998, Légipresse 1999-I, p.34.

348 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 18 février 2016, Pierre Péan c/ JM Colombani : le tribunal a condamné le directeur de publication et le journaliste au motif qu'ils n'avaient pas recueillis le point de vue des personnes qu'ils mettaient en cause.

349 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK

350 Cass, crim, 20 octobre 2015, n°14-82.587, Irène X, Légispresse n°332

351CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96 ; CEDH, Grande Chambre, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, req. n°49017/99

352 CEDH, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, § 78

353 Cass, crim, 8 sept. 2015, n°14-81-681, Bernard Squarcini c/ Canard Enchaîné et autres, Légipresse n°332, nov. 2015

354 C. BIGOT, « L'utilisation du critère de l'intérêt général en droit interne : éléments pour un bilan », Légipresse n°323, janvier 2015, p.6-6

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La sincérité signifie que l'individu a légitimement pu croire que l'information publiée était exacte. L'auteur disposait d'éléments suffisants pour croire à la vérité des faits relatés.

La sincérité est une formule que l'on retrouve au travers des différentes décisions de la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris355 : « les imputations diffamatoires peuvent être justifiées lorsque le but poursuivi par le journaliste apparaît légitime et lorsque ce journaliste apporte la preuve qu'il a écrit son article en se conformant à un certain nombre d'exigences, notamment de sincérité, prudence et objectivité, susceptibles d'établir sa bonne foi ».

Le lanceur d'alerte doit démontrer la croyance sincère et légitime qu'il avait dans l'information divulguée.

La bonne foi peut être invoquée devant la juridiction de jugement et d'instruction. Elle échappe à tout formalisme, sous réserve que les éléments utilisés pour établir la bonne foi soient des éléments antérieurs à la publication. Enfin, c'est sur le prévenu que repose la charge de la preuve. Le fait que cela soit au prévenu de convaincre les juges de sa bonne foi, est, pour Emmanuel Dreyer, surprenant. En effet, les articles 42 et 43 de la loi de 1881 ont instauré une responsabilité en cascade, c'est-à-dire que doivent être recherchés comme auteurs principaux des délits commis par voie de presse, tout d'abord les directeurs de publication ou éditeurs, à défaut les auteurs, à défaut les imprimeurs, et à défaut les vendeurs, distributeurs et afficheurs. Dans les cas où la responsabilité des directeurs de publication serait retenue, les auteurs des propos diffamatoires seraient poursuivis comme complices. Avec ce régime de responsabilité spécifique, la bonne foi est appréciée sur le prévenu auteur des propos (le complice) et non sur le directeur de publication (l'auteur principal du délit). Pourtant en respectant ce régime de responsabilité l'inverse devrait être opéré. Cette distinction erronée tend à s'atténuer depuis la « jurisprudence interview356 » qui expose que la bonne foi va être évaluée sur la tête du complice et de l'auteur principal.

La bonne foi telle qu'elle est pratiquée par les juges français aurait un triple objectif selon Mathilde Hallé : protéger le journaliste du risque de poursuites pénales, accroître la crédibilité et le degré de confiance de son journal et ainsi le nombre de lecteurs, participer à la construction d'une société démocratique saine et équilibrée357.

355Née en 1999 d'une mesure d'administration judiciaire du Président Coulon (ancien Président du TGI), la chambre de presse est la 17ème Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris. Elle répond à la nécessité d'avoir une formation juridictionnelle spécialisée en presse tant la procédure est complexe mais aussi d'unifier la jurisprudence dans un objectif de sécurité juridique.

356 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK ; Cass, crim, 23 juin 2015, Mediapart et Express c/ Florence Woerth

357 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, p.45-85

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Toutes les conditions de la bonne foi participent, chacune d'entre elles, à protéger le lanceur d'alerte. Cette défense est actuellement le moyen le plus sécurisant dont ils peuvent disposer. La notion d'intérêt général, régulièrement utilisée à l'appui des critères de la bonne foi, dessine le contour d'un droit d'alerter. En effet, cette notion en provenance de la CEDH a vocation à irriguer les juridictions françaises et à intervenir chaque fois qu'est revendiqué un droit à être informé. Pour autant, elle est aléatoire et a une portée variable. Elle reste un facteur d'imprévisibilité, tout en permettant de développer les vertus de la polémique.

2 - L'intérêt général, artisan d'un droit d'alerte naissant

Le « droit du public à l'information » a été très tôt reconnu implicitement par la CEDH en 1979. Elle préconisait « qu'il appartient au média de communiquer des informations et des idées sur les questions dont connaissaient les tribunaux, comme celles qui concernent d'autres secteurs d'intérêt public [É] » et que « le public a le droit de les recevoir »358.

Ce droit à l'information relevant d'intérêt public vaut « pour les informations ou idées recueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes mais aussi pour celles qui choquent ou inquiètes » (CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req. n°38432/97, § 43).

Selon Patrick Wachsmann, « la diversité des thèmes relevant du débat public a conduit la Cour européenne à souligner l'importance de la presse comme vecteur privilégié des questionnements qui doivent animer la société démocratique »359. Celle-ci devant appeler l'attention du public sur tous les phénomènes indésirables dans la société, dès que les informations pertinentes entrent en leur possession (CEDH, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96 § 96).

Les informations diffusées peuvent être d'origines diverses et ne pas faire consensus, elles peuvent même heurter, choquer l'opinion publique. Selon la vision européenne, c'est par ce débat d'idées controversées que la vérité des faits est en capacité d'émerger.

La polémique est, dès lors, considérée comme vertueuse et s'appuie sur la notion, non juridique, de « débat d'intérêt général ».

358 CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, req. n° 6538/74, série A, n°30, §65

359 P. WACHSMANN, « Liberté d'expression », in Hélène Gaudin et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire des Droits de l'Homme, LexisNexis, février 2008, p.4-40

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Selon Christophe Bigot « Pivot du principe de proportionnalité dans l'ingérence de la libre expression, il s'est imposé comme critère essentiel de l'appréciation de la bonne foi par la Cour européenne, régulant l'essentiel de la déontologie de l'information »360.

Il est constant de voir la CEDH se prémunir du critère du droit à l'information sur des sujets ayant attrait à l'intérêt général pour « transcender » les conditions de la bonne foi.

Facteur d'imprévisibilité, la notion d'intérêt général a vocation à embrasser des sujets multiples et n'est pas réservée qu'aux sujets qualifiés d'intérêt public majeur qui engagent la vie de la cité. Utilisés avec parcimonie par les juridictions françaises, les juges appliquent les critères de la bonne foi à l'aune de l'intérêt général. Cependant, certains magistrats s'y refusent. Selon les juridictions qui l'appliquent, l'intérêt général ne supprime pas forcément la condition de prudence dans l'expression361. La Cour de cassation a également souvent rappelé que l'intérêt général ne pouvait être le critère exclusif de la bonne foi. Cependant, en présence d'un sujet d'intérêt général, la Cour octroie au critère de légitimité du but poursuivi un aspect prépondérant sur les trois autres critères de la bonne foi. Allégeant, de fait, l'exigence de cumul des quatre conditions de la bonne foi.

De fait, l'intérêt général permet d'étendre le droit d'informer et d'alerter le public.

Face à des poursuites pour diffamation, la Cour européenne a souhaité protéger les alertes en faisant prévaloir l'intérêt du public sur les intérêts privés.

En 2012, la Cour a estimé qu'un journaliste « qui voulait tirer un signal d'alarme et informer la population du département [...] de la pollution des eaux par une société », répondait « à un intérêt public important »362. La cour a rappelé qu'il était « permis de recourir à une certaine dose d'exagération, voire de provocation » et que « les allégations n'étaient pas dépourvues de base factuelle [...] et s'inscrivaient dans un débat d'intérêt pour la population »363.

Toujours en matière environnementale, dans l'arrêt Mamère c/ France de 2006, la Cour a amorcé cette position suite aux critiques émises par un élu écologiste (poursuivit pour complicité de diffamation) envers le comportement de hauts fonctionnaires français après la catastrophe de Tchernobyl et le passage du nuage radioactif sur la France en 1986.

360 C. BIGOT, « L'utilisation du critère de l'intérêt général en droit interne : éléments pour un bilan », Légipresse n°323, janvier 2015, p.2-6

361 La chambre criminelle éradique la condition de prudence dans l'expression en présence d'un sujet d'intérêt général mais dans certain cas, elle semble continuer à l'appliquer.

362 CEDH, 3ème sect., 19 juin 2002, Tanasoaica c/ Roumanie, req. n°3490/03, §53

363 Ibidem §53

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La Cour a considéré d'une part que « les propos tenus par le représentant relevaient de sujet d'intérêt général et s'inscrivaient dans un débat public d'une extrême importance » et d'autre part que le requérant s'exprimait « sans aucun doute en sa qualité d'élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l'expression politique ou militante »364.

Suite au licenciement d'une infirmière en gériatrie après la dénonciation des carences dans les soins administrés par son employeur privé, la Cour a énoncé, en 2011, « l'intérêt général s'attachant à la révélation des dysfonctionnements pouvant affecter la prise en charge institutionnelle des personnes âgées par une société publique revêt une importance telle dans une société démocratique qu'il prévaut sur la protection de la réputation professionnelle et des intérêts commerciaux de celle-ci »365. En conséquence, les informations présentaient indéniablement un intérêt public qui l'emportait sur la protection de la réputation et des intérêts de la société.

Alors que la paternité de la notion d'intérêt général dans le giron de la bonne foi est attribuée à la CEDH, la France a repris à son compte ce critère. Conséquence de cette nouveauté européenne, la Cour de cassation puis certaines juridictions ont dû infléchir leur position.

À cet égard, une décision inédite a été prononcée en 2006366. Inédite puisque le terme lanceur d'alerte a été énoncé dans les motifs du jugement et l'intérêt du public à connaître d'informations relevant de l'intérêt général a été souligné. En l'espèce, un militant écologique, Étienne Cendrier (de l'Association Nationale Robin des Toits367) avait, dans le Journal du Dimanche, reproché la toxicité pour la santé des téléphones mobiles et la manipulation par les opérateurs de téléphonie des chiffres de mesures d'intensité. Les opérateurs Orange et SFR avaient intenté une action pour diffamation. Le tribunal va caractériser la bonne foi d'Étienne Cendrier et du journaliste et va énoncer « Attendu que s'exprimant ici en qualité de « lanceur d'alerte » pour reprendre l'expression utilisée par un des témoins cités, André Cicolella, pour désigner celui qui prend la parole pour mettre en garde la société contre un risque sanitaire, Étienne Cendrier doit être considéré comme suffisamment prudent dans l'expression au regard des éléments précédemment relevés, dans la mesure où, en l'espèce, il a entendu dénoncer en tant que citoyen militant dans le cadre de

364 CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req. n°12697/03

365 CEDH, 21 juillet 2011, Heinisch c/ Allemagne, req. n°28274/08, §89

366 T. Corr de Paris, 17ème chambre, 2 mai 2006, n°0335123085, Etienne Cendrier et Journal du Dimanche c/ Orange et SFR

367 Association nationale pour la sécurité sanitaire dans les technologies sans fil.

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ce débat l'opposant à un élu, le manque de crédibilité de certains des contrôles destinés à attester de l'innocuité des antennes-relais de téléphonie mobile et alors que la polémique s'était traduite quelques jours auparavant par des actions de blocage de nouveaux chantiers d'installation d'antennes-relais ». Dans ce jugement innovant, le tribunal de Paris a fait prévaloir l'intérêt du public sur celui des opérateurs de téléphonie mobile et a considéré que la dénonciation par voie de presse était légitime.

C'est également en matière de santé publique que les juridictions françaises ont fait prévaloir l'intérêt du public à être informé sur les intérêts économiques.

En l'espèce, Pierre Meneton, chercheur à l'Inserm, avait, le 18 mars 2006, contribué à un article du mensuel TOC, intitulé « Scandale alimentaire : sel, le vice caché », accompagné d'une boîte de sel où figurait la mention « le sel tue ». Il avait déclaré dans l'article que « le lobby des producteurs de sel et du secteur agroalimentaire était très puissant » et « désinformait les professionnels de la santé et les médias »368. Le journaliste, le directeur de publication et Pierre Meneton furent poursuivis pour diffamation par l'industrie du sel via le Comité des Salines de France. La 17ème Chambre correctionnelle de Paris a considéré que « le propos incriminé n'était pas diffamatoire [É] et ne recouvrait aucun fait suffisamment précis pour être judiciairement prouvé ». Pour le tribunal, bien que polémique, l'article ne concerne « que l'évocation d'une question d'ordre général sur l'utilisation excessive d'un produit naturel qui, quelle que soit sa pertinence, ne dépasse pas les limites autorisées de la liberté d'expression dans une société démocratique »369.

Ainsi, comme le souligne Jean-Philippe Foegle, « le droit de critique est largement ouvert dès lors qu'il concerne une question d'intérêt général, y compris lorsque la pertinence ou la véracité des opinions peut être mise en doute »370.

Cette notion d'intérêt public permettant de caractériser la bonne foi a été renouvelée face aux différentes poursuites pour diffamation intentées à l'encontre du journaliste d'investigation Denis Robert371. En 2011, après dix années de procédures judiciaires, il a été relaxé par la

368 P. CATTAN, « Scandale alimentaire : sel, le vice caché », magazine Toc, 18 mars 2006, p. 14-15

369 T. Corr de Paris, 17ème Chambre, 13 mars 2008, Meneton, Cattan, Champremier c/ Comité des Salines de France

370 JP FOEGLE, Les lanceurs d'alerte, étude comparée France-Etats-Unis op. cit., p. 60-167

371 Pionnier de l'enquête sur la finance internationale dans les années quatre-vingts dix, il est le premier à dénoncer la chambre de compensation de la banque Clearstream. Il fut le journaliste d'investigation français le plus poursuivi pour diffamation, injure et calomnie.

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Cour de cassation de ses condamnations pour ses deux ouvrages Révélation$372 et La Boîte noire373, ainsi que pour son documentaire Les Dissimulateurs374.

Par trois arrêts du 3 février 2011 de la Première chambre civile375, la Cour rejette tous les arguments de la banque Clearstream en énonçant plusieurs éléments substantiels tel que « la liberté journalistique comprend, lorsque est en cause un débat public d'intérêt général, le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire de provocation dans le débat », que « le caractère d'intérêt général des sujets abordés dans l'ouvrage, relatifs aux mécanismes dévoyés et incontrôlés de la finance internationale et à leur implication dans la circulation mondiale de l'argent sale, autorisait l'immodération des propos de l'auteur » et « qu'en étudiant le fonctionnement de la société Clearstream, l'une des plus importantes centrales internationales de compensation financière, aucune animosité personnelle à l'égard de cette société n'était démontrée »376.

Par ces arrêts, la Cour a mis en avant le sérieux de l'enquête, la valeur de la polémique et de l'intérêt général.

Dernièrement, la CEDH a énoncé six principes pour déterminer si une ingérence dans l'exercice du droit garanti par l'article 10 de la Convention, au regard des actions d'un lanceur d'alerte auteur de révélations publiques, était nécessaire dans une société démocratique.

Les six principes découlent de deux affaires importantes en la matière (arrêt Guja c/ Moldova de 2008 et Bucur et Toma c/ Roumanie de 2013) : 1) l'existence ou non pour la personne qui a révélé les informations d'autres moyens de procéder à la révélation d'informations ; 2) l'intérêt général présenté par les informations révélées ; 3) l'authenticité des informations divulguées ; 4) le préjudice causé à l'employeur ; 5) la bonne foi du lanceur d'alerte ; 6) la sévérité de la sanction infligée à la personne qui a révélé les informations et ses conséquences. Ces deux arrêts essentiels portent sur la possibilité de divulguer au public des informations classifiées. Mais au-delà, avec ces décisions et particulièrement l'arrêt Guja c/ Moldavie, un régime juridique du lanceur d'alerte existe. En effet, selon Gilles Devers « disposant en 2008 de suffisamment d'éléments et constatant l'importance de la question, la Cour a procédé à une synthèse de ses précédentes décisions pour élaborer une motivation de principe, qui désormais fait la jurisprudence dans tous les Etats membres du Conseil de l'Europe »377.

372 D. ROBERT et E. BACKES, Révélations$, Editions Les Arènes, Paris, février 2001, pp. 455

373 D. ROBERT, La Boîte noire, Editions Les Arènes, janvier Paris, 2002, pp. 378

374 D. ROBERT et P. LORENT, Les dissimulateurs, film documentaire, production The Factory, Contrechamp, 2001 (75mn)

375 Voir annexe 4, p.144

376 Cass, 1ère civ, 3 février 2011, n°09-10-301 (arrêt n°106) ; n°09-10.302 (arrêt n°107) ; n°09-10.303 (arrêt n°108), Denis Robert et Editions des Arènes c/ Société Clearstream banking et autres

377 G. DEVERS, La protection du lanceur d'alerte par la jurisprudence, Tim Buctu Editions, 2015, p. 13-171

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L'arrêt Guja c/ Moldavie de 2008 a posé un certain nombre de critères pour apprécier si la démarche du fonctionnaire doit ou non bénéficier d'une protection. En l'espèce, M. Guja, directeur du service de presse du parquet général de Moldavie, avait transmis deux lettres confidentielles à un journal, après avoir en vain tenté de consulter les responsables des autres services du bureau du procureur général afin de dénoncer les agissements illicites d'un haut responsable politique qui faisait pression sur le parquet pour mettre fin à des procédures pénales pendantes sous les chefs de corruption. La Grande Chambre va affirmer que « la dénonciation par les agents de la fonction publique de conduites ou d'actes illicites constatés sur leur lieu de travail doit être protégée dans certaines circonstances » surtout « lorsque l'agent concerné est seul à savoir ce qui se passe sur son lieu de travail et est donc le mieux placé pour agir dans l'intérêt général en avertissant son employeur ou l'opinion publique »378. La Cour va rappeler que les fonctionnaires sont généralement tenus à une obligation de discrétion, ainsi la diffusion de l'information doit s'opérer « d'abord auprès du supérieur ou d'une autre autorité ou instance compétente », avant que ne soit envisagée « en dernier ressort la divulgation au public, en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement »379.

Dans l'arrêt Bucur et Toma de 2013, la Cour européenne a énoncé que l'atteinte portée au droit à la liberté d'expression n'était pas nécessaire. En l'espèce, un agent des services secrets roumains avait constaté que de nombreux journalistes, hommes politiques et hommes d'affaires avaient été mis sur écoute. Après avoir en vain tenté de dénoncer ces atteintes à la vie privée à ses collègues et chef de service, il révéla ces informations classifiées lors d'une conférence de presse. La Cour va consacrer une nouvelle fois l'intérêt du public à connaître les informations divulguées en énonçant « L'interception des communications téléphoniques revêt une importance particulière dans une société [É]. La société civile est directement touchée par les informations, toute personne pouvant voir intercepter ses communications »380. La Cour considère « L'intérêt général à la divulgation d'informations faisant état d'agissements illicites au sein du service de renseignement est si important dans une société démocratique qu'il l'emporte sur l'intérêt qu'il y a à maintenir la confiance du public dans cette institution »381. Enfin, la Cour note « Il n'y a aucune raison de penser que le requérant ait été motivé par autre chose que par la volonté de faire respecter par une institution publique les lois roumaines, et en premier lieu la Constitution. Cela est d'ailleurs

378 CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, req. n°14277/04, §72

379 Ibidem, §73

380 CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02, §101

381 Ibidem, §115

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corroboré par le fait que l'intéressé n'a pas choisi de s'adresser directement à la presse, de manière à atteindre l'audience la plus large, mais s'est tout d'abord tourné vers un membre de la commission parlementaire de contrôle du service de renseignement »382.

Ainsi la Cour a relevé la bonne foi du requérant, celui-ci n'ayant pas été « motivé par le désir de retirer un avantage personnel de son acte, qu'il aurait nourri un grief personnel à l'égard de son employeur ou qu'il aurait été mû par une quelconque autre intention cachée »383.

Par ces deux arrêts importants, la Cour européenne a rappelé la prééminence de l'intérêt du public à être informé sur des évènements relevant du débat d'intérêt général. La polémique, emportée par des révélations controversées appartenant au débat d'intérêt général, permet en conséquence d'élargir le champ du droit d'alerter. Ces arrêts ont également consenti à la saisine de la presse en dernier ressort en cas d'impossibilité manifeste d'agir autrement.

La bonne foi, vu comme moyen de défense, avec l'intégration de ce panel d'éléments, converge en principe vers une meilleure protection des lanceurs d'alerte qui doivent faire face à une poursuite pour diffamation. À l'heure actuelle, une position claire et intelligible de la Cour de cassation n'a pas vu le jour. Celle-ci permettrait, à l'avenir, d'enraciner une jurisprudence en la matière, en intégrant définitivement tous ces critères jurisprudentiels européens.

Par cette innovante vision européenne, qu'il faudra analyser sous l'aune de sa prochaine interprétation française, un nouveau moyen de défense pourrait naître sous l'appellation « exception d'intérêt public ou défense d'intérêt public ». Il encadrerait les divulgations des salariés, fonctionnaires publics et citoyens, tel le fait justificatif « d'exception de citoyenneté ». Ce moyen de défense ne s'appliquerait pas uniquement à la bonne foi mais inonderait les différentes défenses avancées par les lanceurs d'alerte poursuivis pour vol, recel, violation du secret, etc. Soulignons que le terme choisi volontairement « d'exception d'intérêt public » dans le cadre de cette étude rejoint le principe n°43 de Tshwane, lui-même rappelé dans le rapport de Pieter Omtzigt384 385.

L'exception de bonne foi n'est pas le seul moyen de défense invoqué pour contrer une poursuite en diffamation. L'exception de vérité peut être avancée. Il pourrait être perçu

382 Ibidem, §116

383 Ibidem, §117

384Rapport Omtzigt « la protection des donneurs d'alerte », Conseil de l'Europe, CDCJ (2014), AS/Jur (2015) 06, Strasbourg, 19 mai 2015

385 Voir annexe 5, p.145

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comme le moyen de défense par excellence des lanceurs d'alerte. Mais encarté dans des critères draconiens, celui-ci n'a pas la prééminence qu'il devrait avoir.

B - L'exception de vérité

Ce moyen de défense, adopté lors de la rédaction de 1881, permet d'établir la vérité des propos présumés diffamatoires. L'exception de vérité ou l'exceptio veritatis est prévue aux articles 35 et 55 de la loi de 1881.

Ce fait justificatif exonère le prévenu de toute responsabilité à la participation du délit de diffamation. Selon Philippe Conte « il a pour objet, comme la bonne foi, d'assurer l'impunité dans des cas où l'infraction est constituée et fait disparaître toute responsabilité pénale même en présence d'une intention coupable du moment que les propos ont leur légitimité »386.

1 - Les conditions procédurales de l'exception de vérité

Face au délit de diffamation visant à protéger l'honneur d'une personne, le droit de la presse a reconnu la possibilité pour le prévenu de se prévaloir d'un argument de vérité en vue de se désengager de sa responsabilité pénale. La vérité des faits diffamatoires peut dès lors toujours être prouvée, à l'exception de poursuite faite pour diffamation raciale387.

Toutefois, ce principe a fait l'objet de plusieurs restrictions motivées par des considérations multiples, tenant tant au respect de la vie privée qu'au souci d'assurer une certaine paix sociale. Ces limitations d'utiliser l'exception de vérité s'analysent en de véritables obstacles au plein déploiement de la liberté d'expression.

Les trois cas où l'exception de vérité ne peut être invoquée : lorsque les imputations touchent à la vie privée des personnes (art. 35 a) ; lorsque les imputations remontent à plus de dix ans (art. 35 b) ; lorsque les imputations se réfèrent à une infraction amnistiée ou prescrite ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision (art. 35 c).

Ces deux dernières exceptions ont été retoquées récemment par le Conseil constitutionnel.

386 P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, Armand Colin, 7ème édition, 2004, n°244

387 Cass, crim., 11 juillet 1972 Bull. Crim. 1972, n° 236, p. 619 ; Cass, crim., 16 mars 2004, Bull. Crim. 2004, n° 67, p. 257

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En effet, par une QPC du 20 mai 2011388, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 35 b selon lequel la personne poursuivie pour diffamation peut toujours prouver la vérité des faits diffamatoires, sauf lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans. Enfin, par une autre QPC du 7 juin 2013389, le Conseil constitutionnel a énoncé inconstitutionnelles les dispositions de l'article 35 c qui restreignent la possibilité de faire la preuve du fait diffamatoire pour un fait amnistié ou prescrit, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision.

Avec ces deux décisions, il juge que par ses caractères généraux et absolus « ces interdictions portent à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi ».

À l'inverse de l'exception de vérité, la bonne foi a toujours été évocable même en cas de faits remontant à plus de dix ans, prescrits ou amnistiés. Elle permettait, ainsi, partiellement de contourner les difficultés posées par les anciennes interdictions de l'exceptio veritatis.

Avec ces décisions constitutionnelles, subsiste le principe et l'exception selon lesquels la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée sauf lorsque les faits touchent à la vie privée des personnes (article 35 a). Le but de cette dérogation suit deux objectifs.

L'un de ne pas décourager les victimes qui pourraient craindre l'exception de vérité. L'autre de faire prévaloir la tranquillité de la vie privée des gens sur l'intérêt public.

Cependant, les attributs de fonction ou d'emploi exercé ne relèvent pas de la vie privée.

L'exception de vérité peut, donc, être évoquée lorsque l'imputation d'avoir commis des actes financièrement indélicats à l'égard de tiers relève de la vie privée à condition que l'acte en cause ait été commis en dehors de toute activité professionnelle390 ; ou lorsque l'imputation relative au patrimoine concerne une personnalité publique391. En revanche, « lorsque le propos diffamant comporte des imputations indivisibles, relevant, pour certaines d'entre elles seulement, de la vie privée, la preuve est alors admissible pour le tout392 », selon Sylvie Menotti 393.

La faculté d'apporter la preuve de la vérité des faits sur la base de documents ayant une

388 Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-131, 20 mai 2011, décision Térésa C et autres

389 Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2013-319, 7 juin 2013, décision Philippe B

390 Offre de preuve admise au sujet d'un notaire ayant commis une escroquerie au préjudice d'un client (Cass, crim, 18 novembre 1975, n°74-91103, Bull. crim. 1975, n°250), offre de preuve refusée à propos d'un individu accusé d'avoir détourné de l'argent (Cass, crim, 19 mars 1956, Bull. crim. 1956, n°275), offre de preuve refusée au sujet d'une personne à laquelle il était fait reproche de ne pas avoir respecté ses engagements pécuniaires (Cass, crim, 22 avril 1958, Bull. crim. 1958, n°333)

391 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n°29183/95

392 Cass, crim, 17 décembre 1979, n°77-92088, Bull. crim. n°360

393 S. MENOTTI, « La preuve de la vérité du fait diffamatoire », Cour de cassation.fr, rapport 2004 de la Cour de cassation (consulté le 25 juin 2016)

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origine illicite a été admise et ce depuis un arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2002394. Cette position jurisprudentielle a été rappelée par la Cour de cassation en 2010 au nom du droit à un procès équitable395. Puis, fut consacrée par la loi Dati de 2010 à l'article 35 de la loi de 1881, la possibilité de présenter des documents couverts par le secret de l'instruction pour apporter la preuve de la vérité des faits allégués. Et ainsi mettre à l'abri un individu d'éventuelles poursuites pour recel.

La procédure permettant de mobiliser l'exception de vérité est encadrée par des conditions draconiennes. En effet, elle n'est recevable que devant les juridictions de jugement ; la charge de la preuve incombe aux prévenus ; et la jurisprudence est très exigeante sur la qualité de la preuve de l'exception de vérité (la preuve est acceptée par le juge si elle « parfaite, complète et corrélative aux diverses imputations formulées396 », ainsi les éléments doivent prouver de manière indiscutable les faits allégués).

L'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 soumet l'administration de la preuve de la vérité des faits diffamatoires à des contraintes procédurales extrêmement lourdes.

Selon Clémentine Chatein, « ce formalisme répond à un but légitime : éviter des accusations sans preuves, à la légère. Aussi, l'interprétation par la Cour de cassation des dispositions des articles 55 et 56 est également très stricte »397.

« L'offre d'exception de vérité » doit être signifiée au plaignant et au Ministère public dans les dix jours398 où le prévenu a réceptionné la citation directe. Dans cette offre, le prévenu doit présenter les faits dont il entend démontrer la vérité, la copie des pièces produites, les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve.

L'article 56 de la loi 1881 énonce que le plaignant a cinq jours pour envoyer une « contre-offre de preuve » après réception de « l'offre d'exception de vérité ». Aucun prolongement de délais n'est possible.

Enfin, contrairement à la bonne foi qui ne peut être déduite de faits postérieurs à la publication, la preuve de l'exception de vérité n'a pas à être préconstituée, il est possible

394 Cass, crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim. 2002 n° 132, p. 486 - Voir Titre II, Section 1, Paragraphe I, B, 2

395 Cass, crim, 19 janvier 2010, n°09-84408, Serge X, Légispresse, avril 2010, n°271 III. 65-67 : « le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie du fait de diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces de nature à établir la vérité des faits ou sa bonne foi, sans qu'elles puissent être écartées des débats au motif qu'elles auraient été obtenues par des moyens déloyaux ».

396 Cass. crim., 10 décembre 1991, Bull. crim. 1991, n° 468

397 C. CHATEIN, Pour une dépénalisation du droit de la presse ?, mémoire de recherche Master II droit pénal et sciences criminelles à l'Université Panthéon-Assas-Paris II, 2010-2011, p. 89-124

398 Ce délai court à compter de la première citation directe délivrée au prévenu (de nouvelles citations ne peuvent relever le prévenu de la déchéance encourue). Par ailleurs, il s'agit d'un délai non franc, d'ordre public, qui n'est susceptible d'aucune prorogation, ni du fait des distances, ni du fait qu'il expire un jour férié.

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d'utiliser des éléments antérieurs ou postérieurs à la publication litigeuse. L'offre de preuve n'a, par ailleurs, aucune incidence sur la bonne foi qui peut toujours être admise.

Selon l'article 56 de la loi de 1881, le prévenu entend faire la preuve des allégations litigieuses. Cette preuve emporte la vérité inaltérable des propos tenus et considérés comme diffamants. Ce moyen de défense conduit au triomphe de la sincérité et à l'authenticité des alertes émises. Cependant, le carcan dans lequel sont figées les conditions de l'exception de vérité entrave la démonstration de l'exactitude des propos tenus. Cette obstruction est apparue très tôt et continue de freiner la défense des lanceurs d'alerte.

2 - Une vérité difficilement révélée

De manière précoce, la preuve de la vérité des faits s'est confrontée à de multiples obstacles. L'affaire Émile Zola est symptomatique de cette problématique399.

Émile Zola, témoin attentif de son temps et scandalisé par le traitement judiciaire fait à Alfred Dreyfus, avait en 1898 publié dans le journal l'Aurore, le célèbre article « J'accuse ! » qui lui avait valu une poursuite en diffamation. Devant la cour d'Assises de la Seine, dont l'audience s'était déroulée entre février et avril 1898, la défense déployée était l'exception de vérité.

Les retranscriptions judiciaires de l'époque font état du refus, par la cour, de cette défense. Zola, dans son article avait écrit les propos suivants : « J'accuse, enfin, le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second Conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable (Esterhazy) ».

Au début de l'audience, les prévenus vont réclamer la communication des pièces du dossier secret dont a eu à connaître le Premier Conseil de guerre. Dossier secret qui lui a été transmis en dehors de tout débat contradictoire et qui a conduit à condamner Alfred Dreyfus pour haute trahison. À cette requête, les juges vont interpréter l'article 52 de la loi de 1881400 et vont estimer que celui-ci « n'oblige pas le Ministère public à fournir au prévenu des documents

399 Voir annexe 6, p.147

400 L'article 52 de la loi de 1881 oblige le prévenu qui veut prouver la vérité des faits diffamatoires à signifier au Ministère public, dans les cinq jours de la citation, la copie des pièces dont il entend se servir et qui doivent être en sa possession.

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dont la défense voudrait se servir »401. Les prévenus n'ayant pas les éléments de preuve en amont de la publication poursuivie, l'exception de vérité n'a pu être admise.

Pour la Cour « les débats de cette affaire ayant eu lieu en totalité ou en partie à huis clos, que la juridiction militaire ayant estimé que dans un intérêt d'ordre public, il n'y avait lieu de faire connaître les faits dont elle était saisie »402.

Dans l'affaire Zola, la démonstration de la justesse des propos n'a pas été admise mais depuis l'intronisation des notions de « débat d'intérêt général » et du « droit du public à être informé », l'admission de preuve établissant la véracité des propos a été rendu plus souple. C'est, à tout le moins, la position jurisprudentielle de la Cour européenne qui se base sur l'intérêt du public, l'intérêt général et sur une base factuelle suffisante.

Dans l'arrêt Mamère c/ France, la CEDH expose au sujet de l'exceptio veritatis que « les personnes poursuivies en raison de propos qu'elles ont tenus sur un sujet d'intérêt général doivent pouvoir prouver la véracité des assertions de faits que ceux-ci comportent »403.

Dans l'arrêt Prager et Oberschlick c/ Autriche, la Cour impose que les allégations préjudiciables reposent sur « une base factuelle suffisante »404. En effet, pour faire prévaloir la liberté d'expression du lanceur d'alerte, rappelons que la Cour européenne exige qu'une dénonciation ne peut porter que sur des faits et non pas sur de simples jugements de valeur, car seuls les faits peuvent être prouvés405.

Dans l'affaire Paturel c/ France, les juges européens se sont appuyés sur la suffisante base factuelle existante et l'intérêt du public pour évaluer l'exception de vérité.

En l'espèce, le requérant publie en 1996 un ouvrage visant à dénoncer les dérives des mouvements anti-sectaires privés, financés par les pouvoirs publics, et mit en cause l'Union nationale des associations de défense de la famille et de l'individu (UNADFI). L'association porta plainte contre le requérant et son éditeur. Ils furent condamnés pour diffamation. Ce jugement fut confirmé par la Cour d'appel de Paris

Les juridictions françaises ont reproché au requérant de n'avoir pas rapporté la preuve de la véracité de ses propos. La Cour européenne a estimé que « les déclarations incriminées

401 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation (7-23 février, 31 mars-2 avril 1898). Compte-rendu sténographique in-extenso et documents annexes (complet en 2 tomes), aux bureaux du Siècle, Paris, 1898, p. 194-400 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w

402 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 194-400

403 CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req. n°12697/03, §23-24

404 CEDH, 26 avril 1995, n°15974/90, Prager et Oberschlick c/ Autriche, série A n°313, §37

405 CEDH, 22 janvier 2015, Pinto Pinheiro Marques c/ Portugal, req. n°26671/09

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reflètent des assertions sur des questions d'intérêt public et constituent à ce titre des jugements de valeur plutôt que des déclarations de faits ». Ayant rappelé que les jugements de valeur ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude, la Cour note que « les nombreux documents fournis par le requérant constituent une base factuelle suffisante »406. Les juridictions du fond ont également reproché au requérant son manque de prudence et de mesure dans l'expression. Selon la CEDH, force est de reconnaître que « la question des mouvements sectaires est largement débattue dans les sociétés européennes » et est « à l'évidence un problème d'intérêt général qui, de fait, appelle une interprétation étroite »407.

Dans l'affaire Zola, l'exception de vérité avait été écartée au motif qu'il ne détenait pas la preuve de la vérité des faits en amont de la publication litigieuse. En effet, les pièces produites doivent être relatives à des faits antérieurs à la publication poursuivie408. Cependant, Mathilde Hallé rappelle que « les tribunaux admettent des pièces postérieures à la publication si elles se rapportent à des faits antérieurs409, alors même que le prévenu ne pouvait en avoir connaissance »410.

Hugo Chevry, souligne enfin, que par les deux décisions constitutionnelles de 2011 et 2013411, le Conseil constitutionnel s'emploie à « étendre l'exception de vérité, et avec elle la liberté de la presse, dans les limites du débat d'intérêt général »412. Toujours selon lui, dans sa décision du 20 mai 2011, le Conseil constitutionnel s'est même approprié pour la première fois la notion de « débat public d'intérêt général », perçue comme le fondement de l'exceptio veritatis et comme le théâtre d'expression de la liberté de la presse413.

Selon Clémentine Chatein « l'exceptio veritatis permet donc de penser que les débats d'intérêt général, portant sur des vérités bonnes à dire, sont parfois préférés à la protection de l'honneur ou de la considération des personnes »414.

Subsiste les limites procédurales extrêmement contraignantes entravant l'offre de preuve de l'exception de vérité.

406 CEDH, 20 décembre 2005, Paturel c/ France, req. n°54968/00, §38

407 Ibidem, §41 et 42

408 Cass. crim., 17 décembre 1979 ; Cass. Crim., 22 mai 1997, Bull. crim. n°200

409 Cass. crim., 17 décembre 1979, Bull. crim. n°360

410 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, p.37-85

411 C. Cons, QPC, décision n°2011-131, 20 mai 2011, décision Térésa C et autres ; C. Cons, QPC, décision n°2013-319, 7 juin 2013, décision Philippe B

412 H. CHEVRY, Les débats d'intérêt général et le droit de la presse, mémoire de recherche Master II Droit pénal et Sciences pénales, à l'Université Panthéon-Assas-Paris II, 2014, p. 43-115

413 Ibidem, p. 41-115

414 C. CHATEIN, Pour une dépénalisation du droit de la presse ?, mémoire de recherche Master II droit pénal et sciences criminelles à l'Université Panthéon-Assas-Paris II, 2010-2011, p. 55-124

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C'est de manière récurrente que des QPC sont déposées visant à faire prononcer inconstitutionnelles à la Constitution et à la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen les dispositions de l'article 55 de la loi de 1881. Mais à chaque dépôt, elles sont déclarées irrecevables par le filtre de la Cour de cassation et ne sont pas renvoyées au Conseil constitutionnel415. Le Conseil de l'Europe, dans sa résolution 1577, a invité la France à amender ou abroger les limitations apportées à la possibilité d'offrir la preuve de la vérité (point 17.7) 416 . Dans cette recommandation, l'Assemblée parlementaire a souligné l'importance de l'apport de « l'intérêt général » qui doit emporter le changement de la législation française.

Demeure également l'automaticité de la mise en examen de toute personne à qui l'on reproche des propos diffamatoires sans que le juge d'instruction ne puisse faire la moindre investigation, selon la procédure applicable en droit de la presse.

L'instauration d'un système équivalent au recours administratif préalable obligatoire (RAPO) permettrait de contourner cette systématisation à incriminer les lanceurs d'alerte et à les poursuivre avant même l'examen de l'affaire. En effet, les RAPO permettent de saisir l'Administration avant de saisir un juge du contentieux. Les administrés ayant l'obligation, dans certaines situations, de saisir l'Administration par la voie d'un RAPO 417 dans la perspective de mettre fin au litige. La décision prise sur recours administratif préalable fixe les limites du litige et préfigure le recours contentieux ultérieur. Cette solution administrative permettrait de cristalliser le contentieux envers les lanceurs d'alerte avant tout débat sur le fond et ainsi d'éviter une mise en examen automatique. L'instauration d'une autorité administrative indépendante chargée de traiter et d'enrichir les alertes ainsi que de protéger les lanceurs pourrait être destinataire d'un recours de type RAPO avant qu'un juge du contentieux ne soit saisi.

Persévère aussi l'administration de la preuve à la charge du prévenu. Il serait envisageable qu'en présence d'un but légitime relevant de l'intérêt général, la présomption soit renversée et que la charge de la preuve incombe au plaignant.

Chaque année, une seule exception de vérité est acceptée par la 17ème Chambre418.

415 Refus de transmettre au Conseil constitutionnel : Cass, crim, 17 janvier 2012, n°11-90.113 (arrêt n°414) ; Cass, crim, ordonnance n°10686 du 22 décembre 2014, n°14-87.748 ; Cass, crim, 22 juillet 2015, n°15-90.009 (arrêt n°3917)

416 Recommandation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Résolution 1577 (2007) du 4 octobre 2007 « vers une dépénalisation de la diffamation »

417 Que cela soit un recours gracieux ou un recours hiérarchique.

418 Récemment : T. Corr de Paris, 17ème chambre, 12 avril 2016, JM Le Pen c/ A. Montebourg, Légipresse n°338

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Dans le cadre des lanceurs d'alerte, aucune décision ayant consenti à une exception de vérité n'a été rapportée. Face à l'incapacité de mettre en oeuvre l'exception de vérité ou face à l'interprétation ferme qu'en ont les juges, seule la bonne foi est retenue.

La récente décision de la Chambre sociale du 30 juin 2016 peut être l'interstice ouvrant à une prochaine refonte de l'exception de vérité. Premièrement, dans sa note explicative, la Cour de cassation énonce que les juges se sont appuyés sur des décisions de la CEDH, qui elle-même se base sur la liberté d'expression. Deuxièmement, dans le coeur de l'arrêt est expliqué que les lanceurs d'alerte seront protégés lorsqu'ils porteront à la connaissance du procureur de la République des faits de corruption mais également en cas de dénonciation à des tiers (donc implicitement par voie publique). Par ce faisceau d'indice, il est possible d'extrapoler en songeant que l'arrêt va ouvrir la voie à un renfort de l'exception de vérité. Cette interprétation purement extensive laisse néanmoins présager d'un espoir futur419.

Selon Mathilde Hallé « au-delà des difficultés qui se présentent au prévenu pour apporter cette preuve, les magistrats doivent aussi constamment veiller à rester le juge de la diffamation [É]. Il faut donc faire preuve d'une extrême prudence, et cela vaut pour la presse qui souvent interprète l'absence de condamnation pour diffamation à l'attestation de la vérité des faits imputés »420.

Quintessence de la réalité des alertes, ce moyen de défense apporte, au-delà de la simple bonne foi, la preuve du bien-fondé des dysfonctionnements et risques dénoncés publiquement421. Il manifeste l'authenticité des faits et propos litigieux. Pour autant les hypothèses permettant aux lanceurs d'alerte de se dégager de leur responsabilité restent trop limitées. Par sa stricte procédure, la protection de l'honneur et de la réputation des victimes est indirectement privilégiée sur la nécessaire vérité à révéler.

Dans un avenir proche, une réforme à des fins de revalorisation de ce moyen de défense serait de nature à rendre aux lanceurs d'alerte leur véritable destination : la divulgation de la vérité.

419 Avec cet arrêt, les futurs QPC, visant à déclarer inconstitutionnelles les dispositions de l'article 55 de la loi de 1881, seront peut-être transmises au Conseil constitutionnel. Un changement de circonstance en droit (par exemple une multiplication des décisions permettant la libéralisation de la parole publique) serait de nature à faire évoluer les filtres bloquants les QPC.

420 M. HALLÉ, Le délit de diffamation par voie de presse, mémoire de recherche au sein de l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes, 2007, p. 41/42 - 85

421 En cas de dénonciation de risques potentiels, sans pouvoir prouver les effets dangereux ou illégaux, la bonne foi serait davantage appropriée comme moyen de défense que l'exception de vérité. L'exception de vérité étant le moyen à utiliser lorsque les faits et conséquences ne peuvent être mis en doute sur la base de documents avérés.

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À l'exception de la loi du 6 décembre 2013422 et de la loi Blandin, tous les autres textes ont écarté la dénonciation publique, privilégiant le signalement par la voie interne. Pourtant, la CEDH exige que les lanceurs d'alerte aient accès à la presse lorsque ceux-ci ne disposent « d'aucun autre moyen efficace pour procéder à la divulgation » et révèlent des informations « que les citoyens ont un grand intérêt à voir publier ou divulguer »423.

Paradoxalement, la recommandation du Conseil de l'Europe de 2014 a explicité que l'alerte au public doit rester l'exception. Elle a évoqué la nécessité, pour les lanceurs d'alerte, de signaler leurs préoccupations auprès des personnes les plus proches du problème et les mieux placées pour y remédier. Conséquence de cette hiérarchie des moyens de divulgation : la liberté d'expression du lanceur d'alerte est drastiquement encadrée. Cette réticence envers l'alerte publique s'explique par le souci de la préservation des droits des autres personnes physiques ou morales. Lorsqu'un lanceur d'alerte divulgue des faits, son action est en effet susceptible de porter atteinte, directement ou indirectement, à l'honneur des personnes visées par la dénonciation424. Par conséquent, les règles actuelles apportent plus de questionnements que de réponses.

Avec l'essor des nouvelles technologies, l'augmentation exponentielle des lanceurs d'alerte agite les difficultés systémiques des mécanismes de protection existants. Ce déficit de garantie est préoccupant, particulièrement en période de crise démocratique où face à un flux incessant d'informations celles relevant de l'intérêt du public sont noyées.

La position européenne tend à atténuer les poursuites infligées aux lanceurs d'alerte et à remettre en perceptive la différence entre délateur et dénonciateur. L'utilisation des notions « d'intérêt général » ou « de droit du public à être informé » replace au coeur des attentions l'essence même de l'action effectuée par un lanceur d'alerte. L'interprétation jurisprudentielle française va dans ce sens mais reste timide.

Bornées dans des conditions strictes et approuvées avec parcimonie, les défenses soutenues par les lanceurs d'alerte demeurent improductives. À l'exception de la bonne foi qui est épisodiquement acceptée et souvent admise lorsque doublée par la notion d'intérêt général.

422 Qui a implicitement permis la divulgation publique d'informations. Il faudra, à l'avenir, être attentif à la manière dont cette possibilité sera interprétée.

423 CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas, requête n° 64752/01

424 Voir : JP FOEGLE, « Lanceurs d'alerte », Encyclop3/4dia Universalis (en ligne), consulté le 8 juin 2016. http://www.universalis.fr/encyclopedie/lanceur-d-alerte/

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Comme le souligne Basile Ader, « la Cour de cassation a introduit un critère de proportionnalité dans la pesée des conditions de la bonne foi »425.

Des solutions prochaines, permettant de corriger ces défaillances, pourraient voir le jour. Tel le rehaussement des moyens de défense spécifiques au droit de la presse, et principalement l'exception de vérité. Tel le déploiement de défenses émaillant toutes les incriminations de droit pénal empreintes d'une singularité citoyenneté (« l'exception d'intérêt public » ou « l'exception de citoyenneté »). Enfin, l'instauration d'immunités pour les individus qui brisent le silence sur des domaines sensiblement préoccupants.

Envisager un droit d'alerte traversant les dénonciations d'intérêt public et donner des garanties aux lanceurs est difficilement accepté, particulièrement en France.

Bien que des modifications du droit positif soient en marche, les évolutions tendant à consacrer un droit d'alerte comme liberté fondamentale ne sont toujours pas examinées.

À l'instar de la proposition de certains membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil d'Europe qui ont déposé, le 5 juillet 2013, une recommandation relative à la création d'un « Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sur la protection des donneurs d'alerte qui révèlent des agissements des pouvoirs publics constituant une violation du droit international et des droits fondamentaux ». Elle permettrait d'inscrire dans la CESDH la protection des lanceurs d'alerte. Cette proposition n'a toujours pas été discutée.

La protection accordée aux lanceurs d'alerte reste parcellaire puisque face aux différentes obligations auxquelles ils sont assujettis, les moyens de défense sont peu pris en compte ; et face au droit pénal de la presse, les conditions sont strictement encadrées pour être admissible à une irresponsabilité pénale.

Comme l'a souligné Jean-Philippe Foegle « faute de réelle protection juridique, l'action des lanceurs d'alerte relève donc en dernière analyse du domaine de l'éthique et non du domaine du droit. Le dilemme du lanceur d'alerte, partagé entre la loyauté à l'organisation d'une part, et la loyauté à une certaine forme d'éthique de la conviction se résout bien souvent [É] par une prise de parole »426.

425 Cass. crim, 11 mars 2008 n°06-84712, Légipresse 2008, n°253, III, 130, note B. Ader

426 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 15-23

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Rencontrant son chemin de Damas, le lanceur d'alerte est happé dans une guerre d'usure. Allant de la sanction à la faillite totale de sa vie professionnelle, financière et privée, il va creuser cette distanciation, déjà présente, entre préservation du bien commun et conservation des intérêts économiques, étatiques et privés. Comme le soulignait Robert Maynard Pirsig « Chacun peut croire à la vérité, et aux méthodes rationnelles qui permettent de la découvrir. Chacun peut s'opposer aux consignes des autorités en place. Mais qui va jusqu'à se consumer soi-même, jour après jour, pour défendre sa cause ? »427.

Une volonté de transparence, tant voulue par la société civile, les ONG et le Conseil de l'Europe, se dessine aujourd'hui en France. Afin de sauvegarder l'État dans le droit, une vérité révélée, même abrupte et controversée, doit être protégée.

Animé par le scandale des Panama Papers, le projet de loi n°3623 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin II) a été adopté définitivement par l'Assemblée nationale le 8 novembre 2016 (texte n° 830). Ce texte enrichi la protection des lanceurs d'alerte existante. Persiste, cependant, des pans de questionnements, des champs d'alerte non protégés et des garanties incomplètes.

Alors que le texte initial prévoyait un nouveau régime sectoriel se rajoutant à ceux déjà présents, les amendements ont fait place à un statut protecteur unifié plus ambitieux. En effet, les articles 10 et 15 de la loi abrogent les différents articles ayant introduit une protection pour les lanceurs d'alerte428. Demeure l'article L.1132-3-3 du Code du travail issu de la loi du 6 décembre 2013 et l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ces deux textes modifiés ont ainsi établi une protection contre d'éventuelles représailles envers les lanceurs d'alerte salariés et fonctionnaires. En abolissant les régimes sectoriels et en fondant deux socles protectionnistes (celui des salariés et des fonctionnaires), la loi a refusé le statut de lanceur d'alerte aux associations et citoyens extérieurs à un lien de subordination. Ce véto manifeste le rejet législatif d'élever l'expression citoyenne et éthique au rang de lancement d'alerte.

427 R. MAYNARD PIRSIG, Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes, 1974, Edition Points, réédition de juin 2013, p.446

428 Le projet de loi abroge : les articles L. 1351-1 et L. 5312-4-2 du CSP, L. 1161-1 et L. 4133-5 du Code du travail, l'article 1er, les 3° et 4° de l'article 2 et l'article 12 de la loi Blandin, et l'article 25 de la loi du 11 octobre 2013. Demeure le régime sectoriel des agents de renseignement et la CNCTR mais sont supprimées certaines missions de la CNDA telles la définition des critères de recevabilité des alertes et la transmission de celles-ci aux autorités compétentes.

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Élément important, l'article 6 donne une définition élargie du lanceur d'alerte429 : « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Avec cette nouvelle définition, plusieurs situations, y compris celle d'Antoine Deltour qui a révélé des pratiques scandaleuses mais qui ne violait aucune loi, sont recouvrées. Cette nouvelle définition fait entrer dans le champ de l'alerte le « lanceur diplomatique ». Les décisions diplomatiques irrégulières ayant un sérieux impact sur la politique internationale française pourront être dénoncées. Avec cette définition, l'affaire Hartmann aurait été traitée différemment et le scandale Plame-Wilson430 ne pourrait, en principe, se produire en France. Par ailleurs, l'article 86 de la loi a créé le délit de mauvais traitements exercés sur les animaux en abattoirs431. Par ce texte, les salariés des abattoirs ou d'établissements de transports qui dénonceront aux autorités des cas de maltraitances ou de manquements graves rentreront dans la définition des lanceurs d'alerte. En revanche, des salariés divulguant les procédés pratiqués sur les animaux en laboratoire et en élevage pour l'industrie textile ne seront pas protégés.

L'article 6 al 2 poursuit en énonçant que les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.

En revanche, l'article 7 a nouvellement créé l'article 122-9 au sein du Code pénal. Celui-ci énonçant qu' « est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la

429 Sont retirés les termes initialement imaginés dans le projet de loi : « des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l'environnement, pour la santé, la sécurité publique ». Les citoyens n'ayant pas de lien de subordination avec l'institution dénoncée ont également été exclus de la définition des lanceurs d'alerte, à l'inverse de la loi Blandin de 2013.

430 Joe Wilson, ex-ambassadeur américain, va, à la demande des USA, enquêter au Niger en 2003 sur une éventuelle vente illégale de tubes d'uranium au bénéfice de l'Irak. L'objectif était de prouver que Saddam Hussein tentait de se procurer des matériaux pour acquérir l'arme nucléaire. Il ne découvre aucun élément probant. Malgré cette information, le 28 janvier 2003, Georges W. Bush allègue de la réalité de cette vente entre le Niger et l'Irak lors d'un discours important qui appelait au renversement de Saddam. Wilson, le 6 juillet 2003, dénonce, dans une tribune du New York Times, la manipulation diplomatique et la fausseté de la vente. Mettant en difficulté l'administration Bush, Lewis Lobby, membre du gouvernement, révèle à des journalistes l'identité de la femme de Wilson, Valérie Plame, qui est agent à la CIA au département anti-prolifération des armes. Ce scandale donnera lieu à l'ouverture d'une enquête puisqu'une loi de 1982 relative à la protection des agents secrets interdit toute divulgation d'identité (considérée comme un crime fédéral). La Cour suprême va exiger des journalistes la révélation de leur source (Libby n'étant pas le seul à avoir fait fuiter l'identité de Valérie Plame dans les médias). Selon le procureur, Libby aurait divulgué ces informations dans le but de sauver la crédibilité des justifications avancées, par l'administration Bush, pour renverser Saddam. Il sera condamné, le 5 juin 2007, à deux ans et demi d'emprisonnement et 250 000 dollars d'amende. Cependant, Bush utilisera son droit de grâce et le fera libérer le 2 juillet.

431 Il sera inséré au sein de l'article L.215-11 du Code rural et de la pêche maritime.

123

sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ». Ainsi, l'intérêt du public est supérieur à la sauvegarde d'un secret absolument protégé, si la divulgation est nécessaire et proportionnée.

Concernant une hypothétique irresponsabilité pénale a priori du lanceur d'alerte, le Sénat s'y était refusé. Les sénateurs avaient rappelé que « le fait d'avoir signalé une alerte n'est pas un droit reconnu a priori mais un moyen de défense pouvant être invoqué au cours d'un litige ».

Dans la loi, on retrouve les anciennes dispositions comme l'exigence de bonne foi, la nullité des mesures de représailles adoptées à l'encontre d'un lanceur d'alerte et le renversement de la charge de la preuve dans le cas où de telles mesures auraient été prises à son encontre (article 10 de loi)432.

Lors des débats sur le projet de loi, le Sénat avait énoncé que la bonne foi du lanceur d'alerte devait être remise en cause s'il ne respectai pas les canaux de signalement imposés 433. Avec un tel positionnement, poursuivi pour son alerte, le lanceur serait de fait condamné étant donné son manque de bonne foi. Celle-ci serait également remise en cause lors de son évocation comme moyen de défense. Le décryptage de la loi n'expose pas cette vision cependant, si les juges en font une interprétation stricte, il est probable que cet aspect réapparaisse.

Initialement, le projet de loi modifiait l'article L.861-3 du CSI, issu de la loi Renseignement, en ajoutant qu'un agent ne pouvait faire l'objet de mesure de représailles en cas d'alerte, s'il agissait de bonne foi. La bonne foi de l'agent étant évaluée par la CNCTR. Des amendements ont supprimé cette nouveauté. Cependant, l'article 15 de la loi a énoncé qu'« aucun militaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi Sapin II ».

C'est l'article 8 qui expose les canaux de signalement à la disposition du lanceur d'alerte. Selon l'article, l'alerte doit être portée à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.

432 Cependant, selon l'art. L.1132-3-3 du Code du travail la personne doit présenter des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime. Elle doit donc démontrer qu'elle est une lanceuse d'alerte.

433 Selon le rapporteur sénatorial, il sera « nécessaire de déduire du non-respect de la procédure de signalement l'absence de bonne foi d'une personne signalant un fait dommageable à l'intérêt général ».

124

En cas d'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte dans un délai raisonnable, le signalement est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. À défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public en dernier ressort. Innovation en matière de divulgation publique, l'article dispose qu'en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés et peut être rendu public (art. 8 II). Mais quelle est la signification de l'absence de prise en compte au regard du principe du silence de l'Administration vaut acceptation ? Qui appréciera l'urgence ? Ainsi, demeure une question prépondérante : Quels seront les éléments permettant de déterminer que l'alerte publique est légitime ?

L'article initialement rédigé énonçait que « si aucune suite n'est donnée à l'alerte dans un délai raisonnable, celle-ci peut être adressée [...] au Défenseur des droits, aux instances représentatives du personnel, aux ordres professionnels ou à toute association se proposant par ses statuts d'assister les lanceurs d'alerte [...] ». Cependant, les sénateurs ont retoqué substantiellement cette disposition. Toutes ces instances, personnes et associations ont disparu de la liste des organismes pouvant traiter une alerte434.

Autre nouveauté, l'article 8 III435 énonce que les personnes morales de droit public et privé de plus de cinquante salariés, les communes de plus de dix mille habitants et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre devront mettre en place des procédures internes pour recueillir les alertes émises par les membres de leur personnel ou des collaborateurs extérieurs. Désormais, ces instances pourront être des interlocuteurs privilégiés pour les lanceurs d'alerte et devront mettre en place des dispositifs de recueil et de traitement d'alertes, à l'instar des AU-004 dans les entreprises. Et s'il n'y a pas de prise en compte de l'alerte ou s'il y a urgence caractérisée, il sera considéré comme légitime à rendre cette information publique selon l'article 8 II.

434 Selon François Pillet, rapporteur du projet de loi au Sénat « le projet de loi tend à instituer le Défenseur des droits en une autorité de vérification de la véracité de l'alerte. Il apparaît cependant plus opportun d'en faire une « instance chargée de rediriger les alertes émises par des personnes ne sachant pas à quelle autorité s'adresser ». Il ne se prononcerait pas sur le caractère fondé de l'alerte mais orienterait vers les instances compétentes, que ce soit l'agence de prévention de la corruption, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ou l'agence française de lutte contre le dopage ».

435 « Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État ».

125

En introduisant le nouvel article L.634-3 dans le Code monétaire et financier, l'article 16 de la loi, malgré sa volonté d'unifier le statut protecteur des lanceurs d'alerte, contribue au régime sectoriel déjà existant, puisque par cette disposition, il entend les encourager à saisir l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de toute suspicion de manquements à la législation européenne, notamment relative aux marchés d'instruments financiers ou d'abus de marché.

L'article 13 I amorce un changement de paradigme important puisqu'est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d'un signalement aux personnes et organismes mentionnés à l'article 8 (autorités judiciaires, administratives ou ordres professionnels). Prolongeant cette nouvelle approche protectrice, l'article 13 II de la loi énonce qu'en cas de plainte abusive pour diffamation envers un lanceur d'alerte, une sanction civile pourra être prononcée. Celle-ci étant portée à 30 000 euros.

Cependant l'article 15 de la loi a renforcé et durci les plausibles accusations portées contre les lanceurs d'alerte. En effet, l'article 226-10 du Code pénal punit un individu qui dénonce, à une autorité compétente, à un supérieur hiérarchique, des faits totalement ou partiellement inexacts pouvant entraîner des sanctions. L'article 15 de la loi a ajouté une disposition essentielle à l'infraction de dénonciation calomnieuse puisqu'il a introduit la formule « soit en dernier ressort en public ». Ainsi le lanceur d'alerte qui dénoncera publiquement des agissements répréhensibles pourra être poursuivi pour dénonciation calomnieuse.

Comme l'avait préconisé le Conseil d'État dans son étude, l'article 9 I de la loi établit que « les procédures mises en oeuvre pour recueillir les signalements garantissent une stricte confidentialité de l'identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires du signalement ». Ajoutant que « les éléments de nature à identifier le lanceur d'alerte ne peuvent être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'avec le consentement de celui-ci ». L'article poursuit en énonçant que « les éléments de nature à identifier la personne mise en cause par un signalement ne peuvent être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'une fois établi le caractère fondé de l'alerte ». La loi a ainsi souhaité protéger les personnes mises en cause en limitant les dégâts potentiels d'une alerte et un possible lynchage médiatique.

L'article 9 I punit le fait de divulguer tous ces éléments confidentiels de deux ans d'emprisonnement et de 50 000 euros d'amende.

126

La loi a instauré une Agence française Anticorruption. Selon l'article 1er, c'est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre du budget, ayant pour mission d'aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme436. Dirigée par un magistrat de l'ordre judiciaire, elle est indépendante de toute instruction d'une autorité administrative ou gouvernementale mais ne peut émettre que des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé, et contrôler l'efficacité des procédures mises en oeuvre pour prévenir et détecter des comportements économiquement répréhensibles. Ces contrôles peuvent être également effectués à la demande du président de la HATVP, du Premier ministre, des ministres ou faire suite à un signalement transmis par une association agréée dans les conditions prévues par l'article 2-23 du CPP.

Mesure importante de l'article 3 6° bis, l'Agence avise le procureur de la République compétent des faits dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit. Lorsque ces faits sont susceptibles de relever de la compétence du procureur de la République financier, l'Agence en avise simultanément ce dernier. Avec cette nouvelle agence, le SCPC est amené à disparaître. Cependant, le projet de loi n'a pas encore établi si les lanceurs d'alerte entraient dans le giron des personnes pouvant la saisir et si celle-ci avait les compétences pour les protéger.

La loi a souhaité confier et unifier la protection du lanceur d'alerte autour d'un organe : le Défenseur des droits.

À cette fin, une proposition de loi organique n°3770 relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d'alerte a été adoptée définitivement le 8 novembre 2016. Dans l'exposé des motifs, il était évoqué que le projet de loi Sapin II « jette les bases d'un régime de protection des lanceurs d'alerte » et que « la proposition de loi organique unifie et organise cette protection, en confiant sa mise en oeuvre au Défenseur des droits ».

Dans l'article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits a été ajouté un 5° énonçant que le Défenseur des droits a pour mission « d'orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière ou un secours financier ». Enfin, l'article 20 de la loi de 2011 a été

436 Les députés ont refusé à l'agence la qualité d'autorité administrative indépendante (AAI). Selon eux, l'agence a pour charge des missions régaliennes importantes et doit donc être rattachée à l'exécutif. Cependant, ils souhaitent lui donner une autonomie fonctionnelle.

127

complété par l'alinéa suivant « les personnes ayant saisi le Défenseur des droits ne peuvent faire l'objet, pour ce motif, de mesures de rétorsion ou de représailles ». Les Sénateurs ont refusé de donner un rôle charnière au Défenseur des droits. Néanmoins, il reste un élément important dans la protection puisque l'article 8 IV de la loi Sapin II a énoncé que « toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte ». Ainsi, les services du Défenseur des droits pourront centraliser les démarches et laisseront les autorités sectorielles (financière, sanitaire, environnementale, etc.) existantes évaluer la pertinence des signalements reçus.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un article 14 innovant qui dispose que « le Défenseur des droits peut accorder, sur sa demande, à une personne physique qui engage une action en justice en vue de faire reconnaître une mesure défavorable prise à son encontre au seul motif du signalement qu'elle a effectué en application de l'article 6 une aide financière sous la forme d'une avance sur les frais de procédure exposés ». Le montant de cette aide est déterminé en fonction des ressources de la personne et en tenant compte de la nature de la mesure défavorable dont elle entend faire reconnaître l'illégalité lorsque cette mesure emporte privation ou diminution de sa rémunération.

Cependant cette aide pourra être refusée lorsque les faits n'ont pas été signalés dans les conditions prévues par la loi. Le terme « aide financière » manifeste cette volonté de différencier la rémunération des lanceurs d'alerte et le dédommagement financier suite à des représailles.

Néanmoins, l'Assemblée nationale a refusé une disposition votée en première lecture, qui pourtant aurait été une avancée décisive. En effet, un alinéa ajoutait que cette aide financière « peut être exceptionnellement accordée aux personnes morales à but non lucratif ». Par cette formule, le texte faisait entrer partiellement les associations dans le domaine des lanceurs d'alerte. Cette disposition n'a pas été retenue et ainsi se réitère l'idée que les lanceurs d'alerte ne peuvent être que des individus soumis à un lien hiérarchique.

Après l'adoption de la loi Sapin II, un amendement n°II-CF275 au projet de loi de finances 2017 a introduit un article L.10 BAA au sein du livre des procédures fiscales qui autorise l'Administration fiscale à rémunérer toute personne étrangère aux administrations publiques dénonçant des comportements frauduleux et des manquements à une obligation fiscale. La mesure doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017 mais sera exécutée à titre expérimentale durant deux années. Le Gouvernement a précisé qu'une fois rétribués, ces informateurs ne pourront prétendre juridiquement au statut protecteur créé par la loi Sapin II, puisque celui-ci suppose d'agir de manière désintéressée. Par cette inédite réforme, le Gouvernement marque une rupture dans la tradition française qui se refusait à payer des

128

renseignements fiscaux. Cette pratique récurrente dans plusieurs pays étrangers va, dès lors, s'exercer en France.

L'article 12 de la loi précise qu'en cas de rupture d'une relation de travail résultant d'une alerte, le salarié pourra saisir le Conseil des prud'hommes dans les conditions prévues par le Code du travail437.

L'article 11 énonce également la création d'un article L.911-1-1 au sein du Code de la justice administrative permettant à toute personne (agent public et privé) ayant fait l'objet de mesure de représailles à la suite d'une alerte d'être réintégrée. Et ce même lorsque cette personne était liée par une relation à durée déterminée avec la personne morale de droit public ou l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public.

Ainsi, sont les principales dispositions innovantes de la loi Sapin II.

Ambitieux, le texte ne s'est pourtant pas penché sur une revalorisation et un examen des moyens de défense à la disposition des lanceurs d'alerte. À l'instar des autres lois françaises qui se limitent à protéger le lanceur d'alerte contre toutes formes de représailles sans s'étendre à un ensemble plus protectionniste. À l'avenir, et pour se conformer aux standards européens, une réforme davantage concordante devra s'accomplir.

Corollaire de cette avancée majeure, une proposition de loi n° 3465 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias a été adoptée définitivement le 6 octobre 2016 (texte n° 820). Dans son article 1er quater, elle souhaitait modifier l'article L. 1351-1 du CSP en introduisant la possibilité d'alerter un journaliste à la suite d'une dénonciation à son employeur. Le 30 mars 2016, les députés ont supprimé l'article, jugeant qu'il contribuait au morcellement de la législation sur les lanceurs d'alerte.

On voit donc la tentaculaire difficulté qu'a le pouvoir législatif à autoriser les dénonciations publiques. Une balance de protection doit être trouvée entre dénonciation publique nécessaire et inévitable pour que la pression populaire permette la cessation d'agissements répréhensibles, et préservation de la réputation d'individus qui confrontés à une critique publique peuvent subir de lourds préjudices et un dénigrement difficilement surmontable.

437 Le Conseil des prud'hommes peut être saisi par un salarié contestant la rupture du contrat de travail et en application des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du Code du travail « ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend » et peut toujours « même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage ou faire cesser un trouble manifestement illicite, même en cas de contestation sérieuse ». L'article L. 1451-1 prévoit que le Conseil des prud'hommes saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat de travail en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur statue au fond dans un délai d'un mois.

129

En revanche, la loi a réaffirmé et consolidé la protection des sources dans différents articles. La puissance de cette loi nouvelle sera à évaluer lorsque des journalistes seront poursuivis pour être complices de lanceurs d'alerte438.

Ainsi, pour répondre à la question initiale de savoir si les lanceurs d'alerte français sont protégés, il est essentiel de retenir qu'actuellement cette protection est éparse et improductive mais, qu'à l'avenir, elle pourra s'étendre sous réserve d'une refonte du droit positif français et d'une conformité aux standards européens. Ces conditions permettant d'esquisser pleinement un réel statut protecteur des lanceurs d'alerte. Le seul palliatif existant est, pour l'instant, la jurisprudence constructive de la CEDH mais appliquée de manière aléatoire en France, elle ne suffit pas. Ces avancées décisives permettront de dire si dans un futur proche la France, comme d'autres pays européens, est entrée de plain-pied dans la prise en charge des lanceurs d'alerte.

Retenons que la moralisation de la vie publique par l'action d'un lanceur d'alerte est essentielle à la collectivité mais, seul dans cette démarche, le but à atteindre apparaît fragilisé. Le lanceur d'alerte ne doit pas endosser une responsabilité qui, en principe, relève du responsable politique.

À ce propos Jean-Philippe Foegle rappelait qu'« il y a un danger à faire du lanceur d'alerte un « héros de la démocratie » puisque désormais seul en piste sur le front de la défense des valeurs libérales »439.

438 L'article 4 IV de la de loi modifie l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 en ces termes : « La détention, par une personne mentionnée au I du présent article, de documents, d'images ou d'enregistrements sonores ou audiovisuels, quel qu'en soit le support, provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l'enquête ou de l'instruction ou du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée ne peut constituer le délit de recel prévu à l'article 321-1 du Code pénal ou le délit prévu à l'article 226-2 du même code lorsque ces documents, images ou enregistrements sonores ou audiovisuels contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique. »

439 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 15-23

130

TABLE DES ANNEXES

Annexe 1 - État de la loi française 131

Annexe 2 - Présentation des régimes relatifs au droit à la liberté d'expression en France et aux

Etats-Unis 133

Annexe 3 - Exposé de l'affaire des fichiers Zandvoort et entretien avec Serge Garde 136

Annexe 4 - Présentation des affaires Denis Robert 144

Annexe 5 - Présentation de l'exception d'intérêt public et du rapport Omtzigt 145

Annexe 6 - Recherche et exposé détaillé de l'affaire Dreyfus/Zola et de l'utilisation de

l'exception de vérité 147

Annexe 7 - Démonstration de l'exception de citoyenneté et de l'état de nécessité 151

Annexe 8 - Illustration de l'affaire LuxLeaks 154

131

ANNEXE 1 : ETAT DE LA LOI FRANÇAISE

Loi

Secteur concerné

Champ concerné

Protection

Personnes ou autorités
à alerter (les canaux
d'alerte)

Loi n° 2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption

Crée l'art. L.1161-1 du Code du travail

Secteur privé

Faits de corruption

-Recrutement, stage -Formation -Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Autorités judiciaires -Autorités administratives

Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé (Loi Bertrand)

Crée l'art. L.5312-4-2 du CSP

Secteur privé et public

Faits relatifs à la sécurité sanitaire mais uniquement pour les produits mentionnés à l'art. L.5311-1 du CSP

-Recrutement, stage -Formation -Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Autorités judiciaires (art. 40 al 2 CPP)

-Autorités administratives

Loi n°2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (Loi Blandin)

Crée l'art. L.1351-1 du CSP

Secteur privé et public (ayant une activité d'expertise ou de recherche dans le domaine de la santé ou l'environnement)

Faits relatifs à un risque grave pour la santé publique ou l'environnement

-Recrutement, stage -Formation -Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Dans un second temps, CNDA ou les autorités judiciaires/administratives

Selon l'article 8 de la loi, le salarié n'a pas le choix et doit d'abord alerter son employeur

Le salarié peut alerter publiquement (art. 1er)

Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique

Secteur privé et public

Faits de conflit d'intérêts relatifs aux membres du gouvernement, principaux

exécutifs locaux ou personnes chargées d'une mission de service public

-Recrutement, stage -Formation -Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

-Licenciement

-Employeur

-Autorité chargée de la déontologie au sein de l'organisme

-Association anticorruption agréée

-HATVP

-Autorités judiciaires (art. 40 al 2 CPP)

-Autorités administratives

132

 
 
 

-Recrutement, stage

 

Loi n°2013-1117 du

 
 
 
 

6 décembre 2013 relative à la lutte

 
 

-Formation

-Aucune saisine spécifique explicitée (mais voie

contre la fraude fiscale et la grande

 
 

-Sanction

externe implicitement autorisée)

délinquance

Secteur public et

Délits et crimes

-Discrimination

 

économique et

privé

(dont ils auraient eu

(directe ou indirecte)

 

financière

 

connaissance dans

 

Exception :

 
 

l'exercice de leurs fonctions)

-Licenciement Omission secteur

-Art. 40 al 2 CPP qui en fait une obligation

privé : nullité de l'acte

 
 
 

(donc à l'appréciation des tribunaux)

-Autorité désignée par l'art. 40-6 CPP : SCPC (si l'infraction rentre dans son

Créé l'art. L.1132-3-3 du Code du travail et l'art. 6 ter A de la loi Le Pors de 1983

 
 

Omission secteur

champ de compétence)

public : non-

renouvellement du contrat

Loi n°2015-912 du

 
 

-Recrutement, stage

 

24 juillet 2015 relative au

 
 

-Formation

Seule possibilité : CNCTR

renseignement (Loi

Secteur des services

Faits relatifs aux

 

(qui pourra aviser le

Renseignement)

spéciaux de

atteintes au droit à

-Sanction

Conseil d'Etat et le

 

Renseignements

la vie privée

 

procureur de la

 
 
 

-Discrimination

République)

 
 
 

(directe ou indirecte)

 

Crée l'art. L.861-3 du

 
 
 
 

Code de la sécurité intérieure

 
 

-Licenciement

 

Loi n° 2016-483 du

 
 

-Recrutement, stage

 

20 avril 2016 relative à la

 
 

-Formation

-Supérieur hiérarchique

déontologie et aux

Secteur public

Faits relatifs aux

 

-Second temps : autorités

droits et obligations des fonctionnaires

 

conflits d'intérêts

-Sanction

-Discrimination (directe ou indirecte)

judiciaires/administratives (si alerte auprès du supérieur hiérarchique a été vain)

Crée l'art. 25 ter I de la loi Le Pors de 1983

 
 

-Licenciement

 

133

ANNEXE 2 Ð PRÉSENTATION DES RÉGIMES RELATIFS AU DROIT À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION EN FRANCE ET AUX ÉTATS-UNIS

La liberté d'expression diverge selon les modèles européens et américains. Néanmoins, la différenciation est de plus en plus ténue, des convergences apparaissent.

1 Ð Une approche française positive

La liberté d'expression a été constitutionnellement garantie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Selon l'article 10 « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Ce principe général a été précisé par l'article 11 « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».

La liberté d'expression a été consacrée conventionnellement par l'article 10 al 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme qui énonce que « Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ». Cependant l'al 2 dispose : « L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

Enfin, l'article 19 § 2 du Pacte international des droits civils et politiques de 1966 « Toute personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen ».

134

En France, la liberté d'expression a une source législative : la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse.

Cette approche positive proclame un principe général de liberté d'expression et, dans le même temps des exceptions (donc des « infractions de presse »).

2 - Une politique américaine négative

Aux États-Unis, la liberté d'expression est absolue et la loi ne peut pas la restreindre. Le Premier amendement de la Constitution américaine a cette approche négative. Ainsi, elle interdit au législateur toute intervention pour limiter la liberté d'expression. Pourtant, la Cour suprême des États-Unis a maintes fois développé des positions jurisprudentielles qui ont restreint certaines formes d'expression. Le Congrès, allant dans ce sens, a également adopté des lois punissant de lourdes sanctions les individus exerçant leur liberté d'expression dans un domaine interdit. Conséquence de ces réglementations, des personnes qui divulguent des informations sensibles au public sont accusés d'avoir eu des comportements infractionnels.

Les restrictions à la liberté d'expression sont au nombre de quatre.

L'une qui touche particulièrement les whistleblowers est l'Espionnage Acte de 1917. Il punit de peines très lourdes les agents ou soldats qui divulguent des informations relatives à la défense nationale à une personne non habilitée à recevoir ce type d'information. Deux ans après l'adoption de cette loi, la Cour suprême va étendre cette dérogation à « tout danger manifeste et présent pour la sécurité nationale »440 et condamner des militants qui avaient distribué des tracts incitant les militaires à ne pas participer à la Première Guerre mondiale. Par la suite, la Cour suprême a dû interpréter le Premier amendement et l'Espionnage Acte dans le cadre de publications effectuées par la presse. En effet, dans sa jurisprudence des Pentagone Papers, la Cour a considéré que l'interdiction faite à la presse de publier des documents classés secret-défense, en application de l'Espionnage Acte, était contraire au Premier amendement441.

440 Cour suprême, Schenk c/ United States, 9 janvier 1919 - 249 U.S 47.52

441 Cour suprême, 30 juin 1971, New York Times Co c/ United States - 403 U.S 713. Les papiers du Pentagone est une expression populaire désignant 7 000 documents secret-défense émanant du département de la Défense à propos de l'implication politique et militaire des Etats-Unis dans la guerre du Viêt-Nam de 1945 à 1971. Les papiers révèlent que le gouvernement américain a délibérément étendu et intensifié la guerre du Viêt-Nam alors que le Président Lyndon Johnson avait promis de ne pas s'impliquer davantage dans le conflit. Daniel Ellsberg, l'un des rédacteurs de ce rapport, les avait photocopiés et offerts au New-York Time, qui les publiera en juin 1971. Le Président arrivera à obtenir de la Cour fédérale une injonction ordonnant l'arrêt de la publication sur le fondement de l'Espionnage Act. La Cour suprême va rappeler avec force la liberté de la presse même en présence d'une question de sécurité nationale. On peut se demander pourquoi cette décision n'a pas été appliquée à certains whistleblowers.

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La loi de 1917 et la notion de « tout danger manifeste et présent pour la sécurité nationale » restent les véritables grandes restrictions américaines à la liberté d'expression, qui ont un impact considérable sur la protection des whistleblowers442. En France, une disposition converge vers ce type d'interdiction. En effet, les articles 413-11 et 413-11-1 du Code pénal sanctionnent les divulgations, les destructions, les reproductions et diffusions d'informations classées secret-défense.

Identique à l'ordonnancement juridique français, on retrouve la diffamation, limitant l'exercice de la liberté d'expression. La diffamation porte atteinte à la moralité, la renommée ou la réputation d'un individu. Elle est un comportement infractionnel très utilisé contre les whistleblowers que cela soit en France ou aux États-Unis. En 1964, la Cour suprême américaine a mis en place le critère de « l'intention effective de nuire » (Cour suprême, New York Time c/ Sullivan, 9 mars 1964 - 376 U.S 254) permettant à une personne d'intenter un procès en diffamation sous la seule exigence de prouver l'intention de nuire.

Il existe un dernier obstacle à la liberté d'expression américaine : l'obscénité.

La Cour suprême a affirmé, en 1973, que l'obscénité n'est pas protégée par le Premier amendement et adopta le « test Miller » (Miller test) pour déterminer ce qui constitue ou non du matériel obscène (Cour suprême, Miller c/ Californie, 21 juin 1973 - 13 U.S 15).

442 Edward Snowden (poursuivi sur le fondement de l'Espionnage Act), Thomas Drake, (ancien agent de la NSA, qui a révélé la mauvaise gestion des écoutes, a été poursuivi sur le même fondement), le soldat Manning (poursuivit sur le fondement de l'Espionnage Act, pour avoir fourni à Wikileaks des documents classés, a été condamné à trente-cinq d'emprisonnement) et John Kiriakou (ancien agent de la CIA qui a révélé publiquement l'usage de la torture pendant les interrogatoires, en particulier le « waterboarding », et qui fut poursuivi et condamné sur le fondement de l'Intelligence Identity Protection Act à deux ans d'emprisonnement).

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ANNEXE 3 - EXPOSÉ DE L'AFFAIRE DES FICHIERS ZANDVOORT

ET ENTRETIEN AVEC SERGE GARDE

Genèse de l'affaire des fichiers Zandvoort

L'origine de cette affaire remonte aux années quatre-vingt-dix, à l'époque où Marcel Vervloesem, à la demande d'une famille, doit rechercher un jeune garçon de 12 ans, prénommé Manuel, disparu depuis plusieurs mois. Ce belge est connu pour sa lutte contre les abus sexuels sur mineurs et membre d'une association, Morkhoven, luttant contre l'exploitation sexuelle des enfants.

Son enquête l'emmène en Allemagne et au Portugal où il décèle des informations très sensibles sur un homme nommé Gerrit Ulrich. Cet individu, soupçonné de viol sur mineurs et de diffusion d'images pédopornographiques sur internet, accepte de rencontrer Marcel Vervloesem. Au cours de cet entretien, qui se déroulera dans la ville de Zandvoort (en Hollande) en juin 1998, Gerrit Ulrich remet à Vervloesem un CD-Rom afin qu'il retrouve le garçonnet Manuel. Sur ce premier CD-Rom, Vervloesem découvre plus de 400 photos de viols sur enfants (y compris des nourrissons). Ulrich, apparemment prompt à aider Vervloesem, accepte de lui remettre d'autres CD-Rom. Sur ces fichiers informatiques, Vervloesem détecte des milliers d'autres photos et vidéos mais également des dizaines de transferts financiers au travers de plusieurs banques européennes, y compris la Banque mondiale. En effet, dans ces fichiers, se trouvent des adresses, des agendas, des références bancaires, des comptes joints dans différents pays européens. Détenteur de toutes ces informations sensibles, il remet une copie de chaque CD-Rom aux autorités judiciaires de plusieurs pays européens (dont la police néerlandaise, belge et française).

C'est à ce moment précis que le journaliste Serge Garde et Vervloesem vont se rencontrer. Serge Garde va alors découvrir les fichiers informatiques que les CD-Rom contiennent. Il enquête sur tous ces fichiers, recoupe les informations et s'aperçoit qu'il est en possession d'informations relatives à un réseau de pédo-criminels. Il décide, alors, de relater son enquête minutieuse avec un dossier de trois pages dans le quotidien L'Humanité, le 24 février 2000 (avec les photos floutées des victimes). Face à la non-réaction des autorités françaises, l'article sera repris par le journal Le Figaro, les 6 et 7 avril 2000.

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Suite à cette parution, l'ancienne Garde des Sceaux, Élisabeth Guigou, interviendra dans le journal télévisé de France 3, le 12 avril 2000, dans lequel elle mentionnera que la justice française n'était détentrice que des fichiers papiers, ce qui était insuffisant pour ouvrir une information judiciaire (pourtant Vervloesem avait transmis les CD-Rom aux autorités françaises dès 1999).

Serge Garde se résout, alors, à communiquer les CD-Rom au Procureur de la République de Paris. Suite à cette transmission, une information judiciaire et une saisine de juge d'instruction seront entrepris. En parallèle, des parents vont déposer plainte et se constituer partie civile, découvrant que leurs enfants faisaient partis des fichiers (le journal L'Humanité ayant le 24 février 2000 publié certaines photos). Quatre-vingt-un mineurs seront reconnus par les parents. En 2001, Serge Garde, en collaboration avec Laure Beneux, écrira un ouvrage sur cette affaire443.

Le traitement judiciaire de cette affaire sera obscur pour les familles de victimes.

En effet, le Substitut du Procureur de Paris chargés des mineurs, Yvon Tallec, interviendra au journal télévisé de France 2, le 16 mai 2000, en tenant les propos suivants : « Les mineurs ont été photographiés la plupart du temps avec leur accord et ceux de leurs parents. Certaines des photos sont des matériaux très anciens puisque nous savons déjà que certaines photos remontent aux années 70 ou 80. Il faut aussi minimiser, en tout cas en France, la portée de cette affaire, dans la mesure où de nombreux enfants qui sont présentés ici ne sont pas des enfants français È444.

Indignées par ces paroles, certaines associations (notamment Enfance en Danger) reprendront les propos tenus par Yvon Tallec. Elles vont dénoncer le peu d'importance des nationalités, vont se demander comment les autorités judiciaires pouvaient connaître la nationalité des enfants, et évoquer que même en cas de parents consentants, il n'y avait aucun motif de ne pas les poursuivre pour viol ou proxénétisme.

L'instruction de ce dossier va se clore en 2003 par un non-lieu général445.

443 Voir : S. GARDE et L. BENEUX, Le Livre de la honte : les réseaux pédophiles, Le Cherche-Midi, 12 octobre 2001, p.200

444 KARL ZÉRO et SERGE GARDE, « Les fichiers de la honte », film documentaire sur RMC Découvertes, première diffusion le 26 mai 2010, durée de 1h31mn (propos de Yvon Tallec qu'on retrouve à la 27mn et 44s). https://www.youtube.com/watch?v=0lRLztD1SEs

445 Alors que Juan Miguel Petit, rapporteur spécial de l'ONU sur la vente d'enfants, la prostitution et la pornographie impliquant des enfants, avait, en novembre 2002, remis un rapport très sévère sur la manière dont la justice française aborde les affaires de pédophilie. Il avait pointé du doigt les carences de la justice qui se refuse à enquêter sur la piste d'un réseau.

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Entretien avec Serge Garde, le 1er mars 2016

Question : « D'où provient ce document informatique que vous vous êtes procuré ? »

S. Garde : « Le CD-Rom a été retrouvé chez un pédotrafiquant néerlandais domicilié à Zandvoort qui s'appelait Gerrit Ulrich. C'était une sorte d'activiste informatique. Il intervenait beaucoup sur Internet. Il était évident qu'on se trouvait en face d'un élément important d'un réseau.

Sur le fichier tiré de ce CD-Rom, les visages des enfants sont identifiables, tout comme les visages de certains violeurs. Donc, pour nous il était évident que la police française, tout comme la justice des autres pays européens se trouvait devant une urgence. Rechercher les enfants afin de les sauver et mettre hors d'état de nuire les adultes violeurs.

Nous nous étions dit qu'à partir du moment où nous publiions les révélations sur l'existence de ce document, notre travail de journalistes était terminé et que le travail de la Justice devait commencer. Sauf... que c'est tout le contraire qui s'est produit. Nous avons été contraints de constater que la seule activité de la justice française dans cette affaire a été celle d'essayer de minimiser, voire d'enterrer l'affaire... et le pire, c'est qu'ils ont réussi ».

Q : « Suite à l'intervention télévisée d'E. Guigou, vous avez décidé de remettre les CD-Rom au Procureur. Quelle a été votre motivation ? »

S. Garde : « J'avais rapidement compris que c'était un dossier sensible pour les autorités judiciaires et que sans une intervention extérieure, cela n'allait pas avancer. Mais ce que je ne savais pas à ce moment précis de l'affaire, c'est que les autorités judiciaires détenaient les CD-Rom depuis que Vervloesem les avaient transmis au président de la République, Jacques Chirac, qui lui-même les avait communiqués à la Chancellerie.

J'étais révulsé à l'idée qu'un scandale comme celui-ci pouvait déboucher sur un silence général. Vous savez, il est difficile de regarder pendant des heures et des heures toutes ces photos et vidéos pour vérifier l'authenticité des informations, pour tout décortiquer afin qu'une enquête crédible ressorte de votre travail.

J'avais pleinement conscience que les enfants, dont je voyais les images, étaient en danger. Les fichiers contenaient plus de 90 000 photos d'enfants, tous ces enfants « virtuels » avaient une existence réelle et quand j'analysais les données des CD-Rom, je savais que des actes de torture et de barbarie étaient perpétrés encore sur eux ; que ces enfants n'étaient pas sortis de ces réseaux ».

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Q : « Donc, c'est l'intervention d'Élisabeth Guigou, qui vous a décidé ? »

S. Garde : « Indéniablement ! La plus haute autorité judiciaire de mon pays énonçait publiquement que la justice ne pouvait pas enquêter sur un scandale aussi important parce qu'elle manquait d'informations et n'avait pas les CD-Rom ».

Q : « Quels ont été les suites pour vous après la remise des CD-Rom au Procureur ? »

S. Garde : « Le lendemain de l'intervention de la Garde des Sceaux, je remets donc le CDRom au Procureur général auprès de la Cour d'appel de Paris, Alexandre Benmaklouf. La veille de cette remise, j'ai été convoqué par la BPM (Brigade de protection des mineurs) et auditionné pendant plusieurs heures en tant que témoin. Mais l'impression qui se dégageait de cette audition, c'était que j'étais placé en garde à vue ».

Q : « Selon vous, que souhaitait la BPM en vous auditionnant ? »

S. Garde : « Ils voulaient connaître la source de mes fichiers. Ils voulaient savoir comment je m'étais procuré le CD-Rom, ils voulaient également connaître les informations que je détenais et les noms mentionnés dans les fichiers. Étant détenteur d'images pédopornographiques, ils m'ont dit que j'étais en infraction et que je pouvais être poursuivi sous cette qualification. Mais finalement, rien ne s'est produit. Pourtant, cette épée de Damoclès pesait sur ma tête ».

Q : « Comment percevez-vous votre rôle à ce moment précis de l'affaire? »

S. Garde : « J'ai excédé mes devoirs de journaliste et mes obligations déontologiques. Un journaliste, n'a pas pour essence, le devoir de dénoncer directement des comportements criminels. Ce n'est pas la nature de sa fonction. Il accompagne la divulgation d'informations et enquête mais ne dénonce pas directement à l'autorité judiciaire. En dénonçant, il met en péril sa source, avec le risque d'engager la responsabilité de celle-ci. Je me suis retrouvé devant un dilemme mais, tout en protégeant ma source, j'ai décidé de fournir à la justice le matériel nécessaire à la poursuite des criminels. J'avais l'espoir que l'on stoppe ces comportements et que l'on retrouve les enfants ».

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Q : « Avez-vous l'impression d'avoir été un lanceur d'alerte et non plus un journaliste d'investigation ? »

S. Garde : « Certes j'ai dépassé le cadre de ma profession mais je ne me considère pas comme un lanceur d'alerte. Peut-être que certains peuvent dire que j'ai été un lanceur d'alerte mais j'ai surtout été un citoyen effaré de voir la justice de mon pays ne déployer aucuns moyens nécessaires pour enquêter en profondeur ».

Q : « Combien de documents pédocriminels avez-vous découverts ? »

S. Garde : « Au début de l'enquête, nous avons un CD-ROM contenant 8.500 documents.

Puis, Laurence Beneux a trouvé un deuxième CD-Rom. Lors de la publication au printemps 2000 dans L'Humanité puis dans Le Figaro, Madame la Garde des Sceaux s'est déclarée troublée. Elle intervient alors dans le journal de France 3, où elle va tenir un langage étonnant « Nous avons le fichier [qui était en possession d'Interpol], mais nous ne pourrons rien faire tant que nous ne détenons pas le CD-Rom ». Cela était étonnant, car le fichier contenait des documents assez précis pour pouvoir commencer à travailler.

Le lendemain de cette intervention, je remets donc le CD-Rom au procureur général auprès de la Cour d'appel de Paris, Alexandre Benmaklouf. En remettant le CD-Rom au procureur général, je n'avais pas connaissance qu'il en avait déjà une copie depuis un an. L'affaire avait été classée au bout de quelques semaines, au motif qu'il n'y avait pas matière pour une incrimination pénale. Je rappelle que ce CD-Rom contient des viols de nourrissons. Laurence Beneux, travaillant à l'époque pour Canal +, a eu accès au deuxième CD-Rom, qui contenait des scènes de torture de petites fillettes insoutenables. Elle décide de le remettre à la justice. Depuis, rien. C'est-à-dire que la justice possède deux CD-Rom, et strictement rien. Au moment où nous parlons, nous avons vingt CD-Rom. C'est-à-dire entre 80.000 et 100.000 documents pédosexuels et pédocriminels. Ce sont des documents qui doivent servir pour identifier les enfants, pour les sauver. Derrière chaque photo, il y a un enfant réel, qui a été violé et qui souffre. Qu'est-ce qu'on va faire de ces CD-Rom ?

Pour moi, il n'est pas question de les remettre à la justice française ».

Q : « Comment pouvez-vous être sûr de l'existence de véritables réseaux ? »

S. Garde : « Lorsque j'ai eu entre les mains le CD-Rom et le fichier, j'ai également pu disposer de 200-250 feuilles, des photocopies des agendas, des carnets d'adresses de Gerrit

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Ulrich et de certaines personnes qui gravitaient dans la même sphère. Sur le carnet d'adresses d'Ulrich, on relève des contacts en Hollande, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède, aux USA, en Bulgarie, en Pologne en Lettonie et en France ! Il y a aussi des références bancaires .
· l'Europabank for reconstruction and Development, la Banque nationale d'Ukraine, et le Crédit agricole et le Crédit Lyonnais... ».

Q : « Des enfants ont été identifiés ? »

S. Garde : « En conduisant l'enquête, nous avons été littéralement assaillis par les demandes des parents. Ils éprouvaient des inquiétudes très vives concernant des enfants disparus ou qui déclaraient avoir été abusés devant des caméras ou les objectifs d'appareils photo.

Alors que la justice restait inactive, c'est nous, les journalistes qui avons accepté de recevoir des parents pour qu'ils puissent consulter ce fichier à la recherche d'un enfant. Un jour, une maman, habitant la région parisienne a déclaré « c'est mon fils ». Puis il y en a eu une deuxième. Ce deuxième enfant a été reconnu par sa mère, par deux pédopsychiatres qui l'ont eu comme patient ainsi que par une travailleuse sociale.

Nous avons reçu la visite de dizaines et de dizaines de parents, grands-parents, je pense que nous avons reçu environ deux cents personnes venues visionner ce fichier, qu'ils ne pouvaient voir ailleurs. Des personnes sont venues de Floride. Et au total, nous sommes arrivés à l'identification d'une vingtaine d'enfants français et belges ».

Q : « Quelle a été la position des autorités judiciaires ? »

S. Garde : « Du côté de la justice la seule activité évidente a été de dire .
· les mamans qui ont reconnu leurs enfants se trompent. Nous avons même pu constater que des mensonges ont été distillés à la presse. Il y a eu une véritable pratique de désinformation.

Je sais que ce que je dis est grave, mais j'affirme que le parquet de Paris a pratiqué la désinformation en lançant, via les agences de presse, des informations fausses en accréditant l'idée que les parents ayant identifié un enfant sur le fichier s'étaient trompés.

Nous avons même vu une intervention du substitut du procureur des mineurs à Paris, Yvon Tallec, qui devant les caméras de France 2, au cours d'un journal télévisé, a eu une déclaration incroyable.

Il affirmait qu'il fallait minimiser cette affaire du CD-Rom pédocriminel. Et, pour motiver ses propos, il a avancé trois raisons .
· la première raison étant que les documents contenus sur le CD-Rom seraient des documents anciens. Or, comment peut-on juger à partir d'une photo

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d'un visage d'enfant s'il s'agit d'une image ancienne ou récente ? Et, même s'il s'agissait d'images anciennes, on est dans le domaine du crime sexuel et la prescription du crime n'intervient que dix ans après la majorité légale de la victime ! C'est-à-dire que les nourrissons qui sont violés, comme c'est le cas de ceux que nous voyons sur le CD-Rom, pourront porter plainte jusqu'à leur vingt-huitième anniversaire.

La seconde raison évoquée par ce magistrat est, elle aussi, aussi incroyable que la première. Il affirme qu'il n'y aurait quasiment pas d'enfants français sur ce fichier. Or, je souhaite qu'un magistrat puisse me dire, sur la base de ces photos, quel enfant est ou n'est pas français. C'est complètement aberrant !

La troisième raison invoquée sidère tout le monde. Il affirme que les images d'enfants photographiés sur le CD-Rom proviennent en réalité de certaines revues, et que les enfants étaient consentants, ou que leurs parents l'étaient. Nous sommes donc confrontés à un magistrat, qui sur Paris a le pouvoir de procéder à un classement sans suite, et qui nous dit en substance que, dans ce cas de proxénétisme, il n'y aurait aucun problème dès lors que les parents seraient consentants ! Si nous le comprenons bien, ce magistrat nous explique que si un enfant dit « oui » il n'y a pas de viol.

Effectivement, si l'on adopte ce point de vue, on comprend pourquoi Paris est une des régions de France où les classements sans suite et les non-lieux dans ce type de crime sont les plus fréquents. Quand nous avons compris comment la justice parisienne commençait ses investigations sur l'affaire du CD-Rom, nous nous sommes rendu compte qu'on allait vers l'étouffement de l'affaire. C'est pour cela que nous avons poursuivi notre travail d'investigation et que nous avons écrit ce livre ».

Q : « Pourquoi la rédaction de ce livre ? »

S. Garde : « Pour informer. Pour vous alerter. Pour dire à ceux qui partagent la responsabilité de la situation actuelle, que nous ne sommes plus dupes. Et que l'ère de l'impunité de la pédocriminalité organisée est en passe de s'achever. Ce qui va être déterminant, c'est le poids de l'opinion publique. Votre intervention en tant que citoyenne et que citoyen. Ce livre participe à ce vaste débat. Il ne nous appartient pas d'apprécier l'importance de cette contribution. Simplement, ce livre, nous devions l'écrire, pour ne pas payer, nous aussi, notre dîme à l'insouciance tranquille et complice du silence ».

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Q : « Suite à la publication de votre livre et des articles, avec Laurence Beneux, quelles ont été les répercussions sur votre vie ? »

S. Garde : « J'ai été menacé. Des menaces de mort. Au moment de la sortie du livre. J'interprète cela comme des pressions, des tentatives de vouloir m'empêcher de faire mon travail, on veut me faire peur, me déstabiliser. Je pars du principe que si un jour on voulait m'abattre, on ne me préviendrait pas à l'avance. Je travaille en réseau avec d'autres journalistes. C'est la meilleure protection. Par ailleurs, deux procès en diffamation nous ont été intentés à la suite de la parution du livre.

En publiant nos articles, nous avons sous-estimé plusieurs facteurs. Nous avons également mal évalué la difficulté pour des magistrats d'appréhender la complexité d'un réseau criminel, qu'il soit pédosexuel ou financier. De même, nous n'avions pas perçu le dogme qui règne dans de nombreux palais de justice : celui de l'inexistence de la prostitution organisée des mineurs. Enfin, et cela, nous aurions dû y penser, l'affaire du CD-Rom avait peu de chance d'être prise en compte en France, puisque le document était d'origine étrangère. Une tare pour des administrations débordées qui ne supportent pas que l'on importe un dossier. Encore moins quand il risque de les mettre en porte à faux. Quant à nous, nous devenions, de fait, les passeurs d'un immigré clandestin particulièrement indésirable : un CD-Rom ».

Q : « Selon vous, pour quelle raison la justice éprouve des difficultés à admettre l'existence des réseaux pédocriminels ? »

S. Garde : « Je reste convaincu que la pédocriminalité est niée parce qu'elle est invisible. La justice française est habituée à traiter d'abord la criminalité visible, celle qui crée un trouble à l'ordre public. Dans le cas de viols d'enfants, c'est invisible, et le scandale ne va apparaître que lorsqu'il y a le dépôt de la plainte, et que le juge va faire son travail. C'est le juge qui va devenir le vecteur du scandale et ils ne le supportent pas ; ils sont là pour rétablir l'ordre lorsque l'ordre public est troublé par un scandale. La tendance générale de la Justice en France c'est de minimiser ce qui n'est pas visible. C'est valable pour les viols d'enfants, comme pour la délinquance économique. D'autres phénomènes vont jouer et vont conduire à l'étouffement de ces plaintes ».

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ANNEXE 4 - PRÉSENTATION DES AFFAIRES DENIS ROBERT

Par trois arrêts du 3 février 2011 de la Première chambre civile, la Cour rejette tous les arguments de la banque Clearstream.

Dans un premier arrêt446 concernant le documentaire diffusé sur Canal + en mars 2001, intitulé les dissimulateurs, les juges observent que « l'intérêt général du sujet traité et le sérieux constaté de l'enquête, conduite par un journaliste d'investigation, autorisaient les propos et les imputations litigieux, la cour d'appel a violé les textes susvisés ». La Cour précise « que la liberté journalistique comprend, lorsqu'est en cause un débat public d'intérêt général, le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire de provocation dans le débat ».

Dans un second arrêt447 concernant le livre Révélations publié en février 2001 aux Éditions des Arènes, la Cour va rappeler l'imminence du travail accompli par Denis Robert pour le débat public et l'intérêt général en énonçant que « l'ouvrage a suscité un intérêt considérable, notamment parmi les magistrats spécialisés dans la délinquance financière, dont certains ont tenu à attester des perspectives que pouvaient offrir dans la lutte contre le blanchiment des investigations portant sur les chambres de compensation » et que « le caractère d'intérêt général des sujets abordés dans l'ouvrage, relatifs aux mécanismes dévoyés et incontrôlés de la finance internationale et à leur implication dans la circulation mondiale de l'argent sale, autorisait l'immodération des propos de l'auteur ».

Dans le troisième arrêt448 concernant son ouvrage La boîte noire aux Éditions les Arènes publié en 2002, la Cour a évoqué que « la liberté journalistique comprend, lorsque est en cause un débat public d'intérêt général, le recours possible à une certaine dose

d'exagération, voire de provocation, dans les propos [É] » et qu'en assimilant la société Clearstream à l'Eglise de Scientologie « l'immodération des propos de l'auteur était autorisée ». La Cour relève également « que celui-ci (Denis Robert) avait poursuivi un but légitime en analysant ce qu'il qualifiait de « dérive du système financier international » et de fait « qu'en étudiant le fonctionnement de la société Clearstream Banking, l'une des plus importantes centrales internationales de compensation financière, aucune animosité personnelle à l'égard de cette société n'était démontrée ».

446 Cass, 1ère civ, 3 février 2011, n°09-10-301, arrêt n°106, Denis Robert c/ Société Clearstream banking et autres

447 Cass, 1ère civ, 3 février 2011, n°09-10.302, arrêt n°107, Denis Robert et Editions des Arènes c/ Société Clearstream

448 Cass, 1ère civ, 3 février 2011, n°09-10.303, arrêt n°108, Denis Robert et Editions des Arènes c/ Société Clearstream

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ANNEXE 5 - PRÉSENTATION DE L'EXCEPTION D'INTÉRÊT

PUBLIC ET DU RAPPORT OMTZIGT

Le terme exception d'intérêt public choisi volontairement dans le cadre de cette étude rejoint le principe n°43 de Tshwane, lui-même rappelé dans le rapport de Pieter Omtzigt449 450.

Le rapport Omtzigt encourage « tous les États à réfléchir à la mise en place d'une exception « de défense de l'intérêt public ». Selon le principe de Tshwane n°43, le personnel public qui fait l'objet de poursuites pénales, civiles ou administratives pour avoir révélé des informations qui ne sont pas considérées comme des divulgations protégées devrait avoir la possibilité de soulever une exception de défense de l'intérêt public sous certaines conditions. Pour vérifier le bien-fondé de cette exception, le ministère public et les tribunaux doivent examiner :

-Si l'étendue de la divulgation était raisonnablement nécessaire pour révéler ces informations d'intérêt général

-La portée et la probabilité du préjudice causé à l'intérêt général par la divulgation

-Si la personne avait des motifs raisonnables de croire que la divulgation était d'intérêt général

-Si la personne a tenté de procéder à une divulgation protégée par le biais de procédures internes et/ou auprès d'un organisme indépendant de surveillance et/ou au public, en conformité avec les procédures qui régissent la protection des donneurs d'alerte

-L'existence de circonstances impérieuses qui justifiaient la divulgation »451

Le rapport souligne également que « personnel public désigne non seulement les agents publics, mais également les employés des sociétés privées sous contrat avec l'État ou de leurs sous-contractants »452.

449 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs d'alerte », Conseil de l'Europe, CDCJ (2014), AS/Jur (2015) 06, Strasbourg, 19 mai 2015

450 Le rapport de Omtzigt, fait suite à la désignation de Peter Omtzigt comme rapporteur de la commission des questions juridiques, sur deux sujets : la nouvelle recommandation 2067 (2015) « sur les opérations de surveillance massive » de l'APCE adoptée le 21 avril 2015 et la proposition de résolution du 5 juillet 2013 relative à la création d'un « Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sur la protection des donneurs d'alerte qui révèlent des agissements des pouvoirs publics constituant une violation du droit international et des droits fondamentaux » permettant d'inscrire dans la CESDH la protection des donneurs d'alerte.

451 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs d'alerte » §71

452 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs d'alerte » §72

Sur ce nouveau moyen de défense, le rapport expose que « les agents publics bénéficient d'une exception de « défense de l'intérêt public » [É] dès lors que l'intérêt général présenté par la divulgation de l'information en question prévaut sur l'intérêt général qu'il y aurait à ne pas la divulguer »453.

Derrière ce nouveau moyen de défense, de strictes conditions devraient apparaître.

À titre d'exemple, que la révélation soit faite de manière raisonnable (c'est-à-dire sans divulguer d'autres informations non nécessaires à la compréhension de la situation dénoncée), que l'impact de cette révélation soit substantiel sur le public, etc.

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453 Rapport Omtzigt « la protection des donneurs d'alerte » §34

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Annexe 6 : RECHERCHE ET EXPOSÉ DÉTAILLÉ DE L'AFFAIRE DREYFUS/ZOLA ET DE L'UTILISATION DE L'EXCEPTION DE

VÉRITÉ

L'affaire Dreyfus fut à l'origine d'une des plus grandes crises politiques de la IIIème République. À titre liminaire, la divulgation publique du scandale viendra d'un citoyen extérieur à l'affaire et d'un fonctionnaire, tous deux soucieux de rendre justice à Dreyfus.

L'affaire débute en septembre 1894, lorsqu'une lettre est rapportée à la Section de Statistiques454 du Ministère de la Guerre. Partiellement déchiré, non daté et non signé, le bordereau est adressé à l'attaché militaire allemand (en poste à l'ambassade d'Allemagne) et laisse entendre qu'un officier français lui livre des renseignements militaires. Le capitaine Alfred Dreyfus, polytechnicien et capitaine d'artillerie stagiaire, est immédiatement soupçonné sur la base d'une ressemblance d'écriture. Il est arrêté et placé en détention provisoire.

Chargé du procès pour haute trahison du capitaine Dreyfus, le Conseil de Guerre se réunit du 19 au 22 décembre 1894 à Paris. Au début du délibéré, le président du Conseil de Guerre reçoit un pli fermé et scellé en provenance de la Section des Statistiques. Communiqué en toute illégalité (hors de tout débat contradictoire), ce « dossier secret » est censé contenir les preuves irréfutables de la culpabilité de l'accusé (truffé de faux documents, il est réalisé par l'état-major militaire). Confortés dans leur conviction, les membres du Conseil de Guerre déclarent l'accusé coupable et le condamnent à la déportation perpétuelle, à la destitution de son grade et à la dégradation.

En 1895, la Section de Statistique du Service des Renseignements est remaniée. Le lieutenant-colonel Georges Picquart prend ses fonctions comme chef du Deuxième Bureau. On lui demande d'enquêter sur la famille Dreyfus afin de rapporter la preuve décisive contre Alfred. En mars 1896, l'enquête bascule. Picquart découvre un document (nommé aujourd'hui « le petit bleu ») prouvant que le commandant Ferdinand Esterhazy est celui qui a transmis, pour l'Ambassade allemande, les renseignements militaires. Suite à ces découvertes, il alerte son supérieur qui refuse d'entendre les éléments à charge qu'il détient.

454 Baptisé Section de statistique dès 1871, ce service incarne le contre-espionnage militaire français.

148

Inquiet des trouvailles de Picquart, l'état-major lui inflige plusieurs représailles. Se sentant en danger, il divulgue les informations au Vice-Président du Sénat (qui tentera d'obtenir la révision du procès de Dreyfus). Ayant connaissance de différents éléments impliquant Esterhazy, Mathieu Dreyfus (frère d'Alfred) porte plainte contre lui auprès du Ministère de la Guerre. Esterhazy est alors présenté en 1898 devant un Conseil de guerre sous le chef de haute trahison mais acquitté le 11 janvier 1898.

C'est à ce moment précis, qu'Émile Zola, écrivain connu et témoin attentif de son temps, scandalisé par l'acquittement d'Esterhazy, décide de publier dans l'Aurore, J'accuse ! Lettre ouverte au Président de la République, le 13 janvier 1898455. Le but de Zola est de s'exposer volontairement à des poursuites afin de forcer les autorités à le traduire en justice. Son procès étant l'occasion d'un nouvel examen public des cas Dreyfus et Esterhazy456.

L'objectif du romancier est atteint. Le Ministre de la Guerre porte plainte pour diffamation publique envers une autorité publique contre Zola et Alexandre Perrenx, le gérant de L'Aurore. Ils passent devant les Assises de la Seine entre février et avril 1898457 (à cette époque, la diffamation envers une autorité publique était passible des Assises).

Devant la cour d'Assises de la Seine, la défense déployée fut l'exception de vérité. Les retranscriptions judiciaires de l'époque font état du refus, par la cour, de ce moyen de défense.

Zola dans son article avait écrit les propos suivants : « J'accuse, enfin, le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j'accuse le second Conseil de guerre d'avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d'acquitter sciemment un coupable (Esterhazy) ».

[...]458 ».

Au cours de l'audience, les requérants (Zola et le directeur de publication Georges Clémenceau) vont déclarer entendre « être admis à prouver la vérité des imputations diffamatoires qui leur sont reprochées, conformément aux dispositions de l'article 35 de la loi de 1881. Et qu'en conséquence, et pour se conformer aux exigences de l'article 52 de ladite loi, ils articulent et offrent de prouver tant les faits suivants [...] que les autres faits imputés à diverses personnes ou à divers corps dans l'article poursuivi

455 V. DUCLERT, L'affaire Dreyfus, La Découverte, janvier 2012, p. 42-125

456 Dans J'accuse !, il termina l'article par ses propos : « En portant ces accusations, je n'ignore pas que je me mets sous le coups des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c'est volontairement que je m'expose »

457 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation (7-23 février, 31 mars-2 avril 1898). Compte-rendu sténographique in-extenso et documents annexes (complet en 2 tomes), aux bureaux du Siècle, Paris, 1898, p. 400 (mis en ligne par la Bibliothèque Nationale de France le 15 octobre 2007 et consulté le 23 mars 2016) http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62779w

458 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 21-400

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Pour réfuter aux prévenus l'exception de vérité, la Cour a mis en avant deux éléments discutables.

En premier, elle va rappeler que le second Conseil de guerre a acquitté Esterhazy le 11 janvier 1898 et qu'en vertu de l'article 35 c, l'exception de vérité ne pouvait être mobilisée.

Cette position est à tout le moins contestable. En principe, et ce même à l'époque, les actes ayant fait l'objet d'un non-lieu ou d'un acquittement pouvaient être évoqués sans limitation de durée afin de prouver la vérité des propos diffamatoires. Ce n'était que la preuve de faits constituant une infraction ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision qui était interdite459.

En second, la Cour va rejeter l'exception de vérité pour les propos suivants « J'accuse, enfin, le premier Conseil de guerre d'avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète ».

Au début de l'audience, les prévenus et leur avocat Maître Labori vont réclamer la communication des pièces et des procédures dont a eu à connaître le Premier Conseil de guerre. Et ce afin de démontrer la réalité du dossier secret, transmis en dehors de tout débat contradictoire, et ayant permis de condamner Alfred Dreyfus pour haute trahison.

Mais la Cour a déclaré que « les débats de cette affaire ont eu lieu en totalité ou en partie à huis clos, que la juridiction militaire a estimé que dans un intérêt d'ordre public, il n'y avait lieu de faire connaître les faits dont elle était saisie. Considérant, dès lors, que la communication de ces procédures, si elle était ordonnée, aurait pour résultat de détruire l'effet des décisions rendues par les deux Conseil de guerre et de porter atteinte à l'autorité de la chose jugée. Et considérant, enfin, que l'article 52 de la loi de 1881 oblige le prévenu qui veut prouver la vérité des faits des faits diffamatoires à signifier au Ministère public, dans les cinq jours de la citation, la copie des pièces dont il entend se servir et qui doivent être en sa possession, mais qu'aucun article de la loi précitée n'oblige le Ministère public à fournir au prévenu des documents dont la défense voudrait se servir »460. Enfin, les juges vont énoncer que « la loi ne permet pas de livrer à une discussion, même pour en faire ressortir la vérité d'imputations diffamatoires, des décisions de justice définitives » 461 frappées de l'autorité de la chose jugée.

Ainsi, la cour a rejeté ce moyen de défense au motif que les prévenus n'avaient pas les éléments de preuve postérieurement à la publication poursuivie et a « ordonné qu'il soit passé

459 C'est d'ailleurs sur cette difficulté à comprendre la différence de traitement pour l'application de l'exceptio veritatis entre les personnes acquittées et celles dont la condamnation a été révisée, que le Conseil constitutionnel a, dans sa décision QPC du 7 juin 2013, Philippe B, déclaré comme inconstitutionnelle cette interdiction posée à l'article 35 c.

460 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 194-400

461 L'affaire Dreyfus : le procès Zola devant la cour d'Assises de la Seine et la cour de cassation, op.cit., p. 42-400

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outre aux débats ». Dès lors que le Ministère public n'a pas à fournir les pièces connues par les juridictions militaires (couvertes par le sceau du secret-défense) et ayant autorité de la chose jugée, les prévenus ne peuvent rapporter la preuve des propos litigieux.

Zola est condamné à la peine maximale d'un an d'emprisonnement et 3 000 francs d'amende.

Le 2 avril 1898, une demande de pourvoi en cassation reçoit une réponse favorable. Il s'agit de la première intervention de la Cour dans cette affaire judiciaire. La plainte contre Zola aurait, en effet, dû être portée par le Conseil de guerre et non par le Ministre de la guerre. Ainsi suit, la cassation de l'arrêt pour vice de forme. Zola fait à nouveau l'objet d'un procès devant la cour d'Assises de Seine-et-Oise qui le condamne en juillet 1898 à la peine maximale d'un an de prison et 3 000 francs d'amende. Il s'exile en Angleterre avant le prononcé du jugement.

Le 17 novembre 1899, Waldeck-Rousseau, président du Conseil des ministres, dépose une loi d'amnistie couvrant « tous les faits criminels ou délictueux connexes à l'affaire Dreyfus ou ayant été compris dans une poursuite relative à l'un de ces faits ». Malgré de nombreuses protestations, la loi est adoptée.

Après plusieurs contestations, dont celle de Jean Jaurès dans un discours prononcé à la Chambre des députés462, la Cour de cassation est saisie d'une procédure de révision.

Le 12 juillet 1906, la Cour de cassation annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre et amorce la réhabilitation du capitaine. Il réintégra l'armée et sera sur le front lors de la Première Guerre mondiale, à sa demande463.

Ce n'est donc qu'en 1906 que seront réhabilités le capitaine Dreyfus, le lieutenant-colonel Picquart et Emile Zola.

462 Dans lequel, il évoque les incohérences et les « faux » qui constellent le dossier Dreyfus.

463 Voir : A. RANZ et JC. DE REVIERE, Le dossier secret de l'affaire Dreyfus, L'ombre d'un doute, film documentaire, diffusé sur France 3 le 4 mai 2015 (117mn)

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ANNEXE 7 - DÉMONSTRATION DE L'EXCEPTION DE

CITOYENNETÉ ET L'ÉTAT DE NÉCESSITÉ

Tribunal Correctionnel d'Orléans, 9 décembre 2005, n0 de jugement 2345/S3//2005, Mouvement Faucheurs Volontaires c/ Société Monsanto

Il était reproché aux quarante-quatre personnes prévenues d'avoir, sur la commune de Greneville en Beauce, le 14 août 2004 volontairement détérioré ou dégradé un bien, en l'espèce une parcelle de maïs génétiquement modifié, au préjudice de la société Monsanto. Cette dégradation étant commise par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteurs ou de complices, les faits étaient réprimés par les articles 322-1, 322-3 et 322-15 du Code pénal.

Le Tribunal mentionne que les personnes prévenues ne contestent pas la matérialité des faits qui leur sont reprochés mais qu'ils fondent leur défense sur l'état de nécessité, fait justificatif prévu par l'article 122-7 du Code pénal.

Les juges correctionnels vont évoquer ce qui caractérise l'état de nécessité au vu de la loi et de la doctrine.

Aux termes de la loi, l'état de nécessité « c'est la situation dans laquelle se trouve une personne qui, pour sauvegarder un intérêt supérieur, n'a d'autre ressource que d'accomplir un acte défendu par la loi pénale » et au terme de la doctrine « celui qui agit en état de nécessité commet un acte « socialement utile », que la collectivité concernée n'a aucun intérêt à punir et au regard duquel la sanction ne remplit aucune de ses fonctions traditionnelles de rétribution, d'intimidation ou de réadaptation ».

Le tribunal énonce que « l'état de nécessité, ainsi défini, apparaît en relation nécessaire avec les « intérêts sociaux supérieurs » ou les valeurs sociales dominantes, tels qu'ils peuvent être appréciés au moment de la commission de l'infraction ,
· Que cet état de nécessité est donc nécessairement relatif et contingent ,
· Qu'il dépend des valeurs sociales « utiles » à la date de la commission de l'infraction, et donc de l'état de la société et des connaissances qui sont au fondement de ces valeurs considérées comme éminentes ».

S'ensuit une analyse approfondie du tribunal « le Tribunal, sauf à manquer à son office pour cause de partialité, ne saurait écarter, sans en débattre, l'argumentation des prévenus fondant l'éventuelle pertinence du moyen tiré de l'état de nécessité [É]. Attendu, encore, qu'il convient de relever que le Tribunal ne peut pas, non plus, simplement prendre acte de l'existence d'une controverse scientifique relative aux organismes génétiquement modifiés et

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à leur utilisation dans le cadre d'essais en plein champ, et affirmer qu'il ne lui appartient pas de la trancher pour en déduire, sur le plan juridique, que les prévenus ne rapporteraient pas la preuve leur incombant d'un danger actuel ou imminent, composante de l'état de nécessité justifiant la commission de l'infraction ».

Le Tribunal Correctionnel relaxe les prévenus du mouvement sur le fondement de l'état de nécessité. C'était une première jurisprudentielle. Mis à part cette exception, le parcours judiciaire des Faucheurs volontaires sera jonché d'appel et de cassation refusant l'état de nécessité.

Tribunal correctionnel Paris, 12ème Chambre, 25 mars 2013, n° parquet 09317034048, Collectif des Déboulonneurs c/ Société JCDecaux

Le Collectif des Déboulonneurs, créé en 2005, dénonce la publicité agressive, qui envahie l'espace publique et harcèle les citoyens. Il lutte contre son excroissance et à cette fin, lance une action d'envergure nationale contre le système publicitaire.

Il souhaite l'ouverture d'un débat national sur la place de la publicité dans l'espace public, la réforme de la loi encadrant l'affichage publicitaire et qu'un nouveau droit soit reconnu : la liberté de réception. Corollaire de la liberté d'expression, cette nouvelle liberté permet, selon eux, à chacun d'être libre de recevoir ou non les messages diffusés dans l'espace public.

Devant l'inertie des pouvoirs publics, après de nombreuses années de travail sur le terrain légal, les Déboulonneurs choisissent la désobéissance civile pour alerter l'opinion et amener les élus à faire évoluer la loi dans le sens de l'intérêt collectif. Ce collectif se propose de déboulonner la publicité, c'est-à-dire, selon eux, « de la faire tomber de son piédestal, de détruire son prestige. Non pas de la supprimer, mais de la mettre à sa place, pour qu'elle soit un outil d'information au service de toutes les activités humaines » 464. Selon eux, en pratiquant la dégradation non violente des panneaux publicitaires et la réduction des tailles d'affiches, leurs actions se situent sur le terrain de la désobéissance civile.

Pour des faits, du 28 février 2009 au métro Pigalle, six membres du collectif comparaissent devant le Tribunal Correctionnel de Paris le 25 mars 2013. Poursuivi sur le fondement de l'article R. 635-1 du Code pénal465, l'état de nécessité sera accepté par les juges.

Ayant mobilisé l'état de nécessité, les juges vont analyser chacun des éléments le constituant.

464 Site internet des Déboulonneurs : http://www.deboulonneurs.org/

465 Pour avoir apposé des slogans à la peinture sur des affiches que supportaient des panneaux publicitaires.

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Sur la difficulté d'échapper à la contrainte publicitaire : les juges énoncent que « la publicité, dans les très grandes dimensions d'affiches ou de panneaux, qu'elle impose désormais dans l'espace public, comporte une contrainte morale pour les passants. À la différence de la publicité télévisée, radiophonique ou même informatique, il est impossible d'y échapper en fermant la télévision, la radio ou l'ordinateur. S'agissant de l'affichage de grande dimension, il n'est en quelque sorte pas possible d'y échapper de manière consciente ou inconsciente, pour des raisons de fonctionnement neurologique du cerveau humain, ce qui peut s'apparenter à de la contrainte morale des publicitaires à l'encontre du citoyen ».

Sur le danger imminent de la publicité : les juges correctionnels reprennent des exemples pré existants en la matière. À cette fin, ils remontent les publicités encourageant à manger tel ou tel aliment gras ou sucré (alors que l'obésité est reconnue par les professionnels de la santé comme dangereuse) et les publicités incitant à consommer telle ou telle boisson alcoolisée (alors qu'une grande partie des accidents de la route sont causés par l'alcool au volant).

Ainsi, il est indéniable, pour les juges, que « la publicité par affichage public de très grande dimension peut, dans certains cas, présenter un danger imminent pour la santé ».

Sur la nécessité de l'infraction et sa proportionnalité avec la gravité de la menace : les juges reviennent sur tous les moyens légaux que les prévenus ont usés pour un changement de politique en la matière. Les juges rappellent que le collectif a participé, en 2006, au débat national sur l'environnement « Grenelle I » et au débat du « Grenelle II » espérant une réglementation plus contraignante de la publicité, qui a abouti, au contraire, à la possibilité pour les afficheurs de faire défiler des panneaux publicitaires comportant de très grands écrans dans les espaces publics, et de poser d'immenses bâches sur les échafaudages, supportant de très grandes publicités. Dès lors, « le Collectif a donc, sans succès, tenté d'utiliser la voie législative pour réduire les effets nocifs des affiches publicitaires dans l'espace public. Il a aussi tenté d'alerter les pouvoirs publics, sans plus de succès ».

En conclusion, le tribunal va adhérer à l'état de nécessité et relaxer les prévenus, en estimant que « devant la nocivité pour la santé de certaines publicités, à l'origine du décès d'un nombre non négligeable de personnes, il peut être considéré que de commettre des contraventions de dégradations légères, est proportionné au danger de maladie ou de mort couru par ces personnes ».

154

Annexe 8 - ILLUSTRATION DE L'AFFAIRE LUXLEAKS

INDEX

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A

Article 40 al 2 du CPP 37, 41, 49, 86

Autorité de contrôle indépendante .... 57, 90

B

Bonne foi 30, 43, 78

C

Charge de la preuve .... 29, 36, 78, 103, 113

CHSCT 54

Clause de confidentialité 48

CNCTR 52, 123

CNDA 51, 56

CNIL 55, 59

Confidentialité 57, 59, 125

D

Défenseur des droits .... 53, 56, 57, 124, 126

Dénonciation calomnieuse 30, 48, 78

Désobéissance civile 16, 91

Devoir de loyauté 47

Diffamation 30, 39, 65, 79, 84, 98, 111

Discrétion professionnelle 41, 48, 49

Dispositif d'alerte professionnelle .... 53, 55

Droit de réserve 40, 48, 69

E

Exception de bonne foi 100, 120

Exception de citoyenneté 90, 120

Exception d'intérêt public 110, 120

Exception de vérité 111

H

HATVP 27, 51

I

Injure 30, 39, 66, 96, 120

Intérêt général 15, 32, 62, 82, 104, 116

Intérêt public 16, 36, 40, 93, 105, 116

J

Juge de l'excès de pouvoir 42, 43

L

Leaking 14

Liberté d'expression 44, 60, 69, 81, 94

O

Obéissance hiérarchique 40

P

Principes de Tshwane 32, 111

R

Rapport Omtzigt 110

Recel 76, 83

Renseignement 31, 37, 52, 57, 110, 123

S

SCPC 27, 50, 57

Secret défense 53, 59

Secret des affaires 34, 66

Secret des sources 62, 102, 127

Secret professionnel .. 41, 48, 49, 66, 75, 84

Soft law 22, 23

V

Violation du secret .... 42, 66, 75, 77, 80, 85

Vol 66, 75, 83

W

Whistleblower 12, 14, 133

156

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MALéS (L), « La mise en place de dispositifs d'alerte éthique est-elle inéluctable ? », Revue Echanges n°251, février 2008, p.10-11

MARIE MEYER (N), « Le droit d'alerte en perspective : 50 années de débats dans le monde », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2242-2255

MORET-BAILLY (J), « Sanctions des fraudeurs et situation des lanceurs d'alerte eu regard du droit », La presse médicale, volume 41, septembre 2012, p. 867-871 http://www.em-consulte.com/en/article/749289

NOIVILLE (C) et HERMITTE (M-A), « Quelques pistes pour un statut juridique du chercheur lanceur d'alerte », Dossier, Revue Natures Sciences Sociétés, vol. 14, EDP Sciences, 2006, p. 4-9 http://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/2006/03/nss6306.pdf

OTTENHOF (R), « Recel, nature de l'infraction d'origine et nature de la chose recelée », Revue de Science criminelle, 1995, Editions Dalloz 2012, p.821

161

PY (B), « Secret professionnel : le syndrome des assignats ? », AJ Pénal, 2004, p.133

RADISSON (L), « Expertise et alerte santé/environnement : le dispositif règlementaire se met en place », Revue Environnement et technique n° 344, février 2015, p.68

RAGIMBEAU (L), « La liberté d'expression des agents publics : l'exemple du lanceur d'alerte », RFDA n°5, septembre-octobre 2015, p. 975-982

ROMANET (L), « Le dispositif d'alerte éthique de l'article 40, alinéa 2 du CPP : un instrument juridique pivot de lutte contre la corruption publique ? », Revue du GRASCO n°7, novembre 2013, p. 1-82

SLAMA (S), « Le lanceur d'alerte, une nouvelle figure du droit public ? », Revue AJDA n°39, Dossier Les lanceurs d'alerte, 24 novembre 2014, p. 2229-2235

VERON (M), « Le recel d'odeur des pastis. Réflexion sur l'élément matériel du recel », Droit pénal, Chron.1, avril 1990

VIGOUROUX (C), « Déontologie des fonctions publiques », Revue Dalloz 2ème Edition, 14 novembre 2012, p. 485

WACHSMANN (P), « Liberté d'expression », in Hélène Gaudin et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire des Droits de l'Homme, LexisNexis, février 2008, p.4-40

B - Articles de presse

ASSANGE (J), « Internet est devenu le système nerveux de nos sociétés », Philosophie Magazine, 30 mai 2013 (propos recueillis par Alexandre Lacroix) http://www.philomag.com/lepoque/reportage/julian-assange-internet-est-devenu-le-systeme-nerveux-de-nos-societes-7525

BORREDON (L), « La clémence du tribunal de Paris envers l'ex-flic Pichon, qui avait dénoncé

les fichiers de police », Le Monde, Blogs, 22 octobre 2013
http://delinquance.blog.lemonde.fr/2013/10/22/la-clemence-du-tribunal-de-paris-envers-lex-flic-pichon-qui-avait-denonce-les-fichiers-de-police/

162

CATTAN (P), « Scandale alimentaire : sel, le vice caché », magazine Toc, 18 mars 2006, p. 15

DUVAL (A), « Le long chemin du projet de loi sur le secret des sources », Le Monde.fr, 20 janvier 2015 http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/01/20/le-long-chemin-du-projet-de-loi-sur-le-secret-des-sources 4559935 1653578.html

GOLLA (M), « La directive européenne sur le secret des affaires fait polémique », Le Figaro.fr, 26 avril 2016 http://www.lefigaro.fr/societes/2016/04/26/20005-20160426ARTFIG00018-la-directive-europeenne-sur-le-secret-des-affaires-fait-polemique.php

HAMEL (I), « Le polar d'Hervé Falciani, entre fantasmes et mensonges », Bilan, 13 avril 2015

JOHANNéS (F), « Le lanceur d'alerte James Dunne gagne aux prud'hommes conte Qosmos », Le Monde, Blogs, 27 mars 2015

LE BLEVENNEC (N), « Prescrire, la revue médicale qui dit « non, merci » aux labos », Rue 89, 7 décembre 2010 http://rue89.nouvelobs.com/2010/12/07/prescrire-la-revue-medicale-qui-dit-non-merci-aux-labos-179472

LELOUP (D), « D'anciens hautes responsables américains reconnaissent l'apport des révélations de Snowden », Le Monde, 31 mai 2016 http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/05/31/d-anciens-hauts-responsables-americains-reconnaissent-l-apport-des-revelations-d-edward-snowden 4929757 4408996.html

LE MONDE « Edward Snowden : J'ai déjà gagné », 24 décembre 2013 http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/12/24/pour-edward-snowden-la-mission-est-accomplie 4339307 651865.html

LHOMME (F), DAVET (G), « Qui est Hervé Falciani, le cauchemar de HSBC ? » Le Monde, 9 février 2015

MARIE MEYER (N), « Le droit d'alerte, au coeur de le refondation du bien commun », Edition Camédia, 21 septembre 2014, Médiapart.fr

163

MBONGO (P), « Manning, Snowden, deux questions sur les lanceurs d'alerte », Huffingtonpost.fr, 31 juillet 2013

RESS (M), « Loi Renseignement : comment le gouvernement a trucidé les lanceurs d'alerte », NextInpact, 25 juin 2015 http://www.nextinpact.com/news/95554-loi-renseignement-comment-gouvernement-a-trucide-lanceurs-d-alerte.htm

IV Ð Dictionnaires

CORNU (C), Vocabulaire juridique, 8ème Edition, PUF, Paris, 2009, pp. 986

GAFFIOT (F), Dictionnaire latin français, Hachette, 1934-1411 PETIT LAROUSSE ILLUSTRÉ, Edition Larousse, Paris, 2007

PETIT ROBERT 1, Edition Dictionnaires Le Robert, Paris, réédition de mars 1990

V Ð Rapports et avis

A - En France

Cour de cassation, rapport annuel de 2004, MENOTTI (S), « La preuve de la vérité du fait diffamatoire », Cour de cassation.fr, publié en 2005, p.91-99

CNIL, Délibération n° 2005-110 du 26 mai 2005 relative à une demande d'autorisation de McDonald's France pour la mise en oeuvre d'un dispositif d'intégrité professionnelle

CNIL, Délibération n° 2005-111 du 26 mai 2005 relative à une demande d'autorisation de la Compagnie européenne d'accumulateurs pour la mise en oeuvre d'un dispositif de ligne éthique

Étude Conseil d'État « Étude sur le droit d'alerte : signaler, traiter, protéger », La Documentation Française, adoptée par l'Assemblée plénière le 25 février 2016

Rapport sénatorial, « Risques chimiques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l'air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? Compte-rendu des auditions (tome 2) », 11 octobre 2006 https://www.senat.fr/rap/r07-176-2/r07-176-257.html

164

B Ð Conseil de l'Europe

Rapport Omtzigt « la protection des donneurs d'alerte », Conseil de l'Europe, CDCJ (2014), AS/Jur (2015) 06, Strasbourg, 19 mai 2015

Avis et proposition de recommandation du 5 juillet 2013 (déposée par des membres de l'APCE) relative à la création d'un « Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme sur la protection des donneurs d'alerte qui révèlent des agissements des pouvoirs publics constituant une violation du droit international et des droits fondamentaux » permettant d'inscrire dans la CESDH la protection des donneurs d'alerte

C - Positions associatives

FONDATION SCIENCES CITOYENNES, « Qu'est-ce qu'un lanceur d'alerte ? », 29 janvier 2008 http://sciencescitoyennes.org/quest-ce-quun-lanceur-dalerte/

OPEN SOCIETY JUSTICE INITIATIVE, « Principes globaux sur la sécurité nationale et le droit à l'information - Principes de Tshwane », 12 juin 2013, p. 1-76

REPORTERS SANS FRONTIÈRES, « Loi sur le secret des sources enterrée ? Déjà un an que Reporters sans frontières a été auditionnée », RSF. org, 31 juillet 2014

TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, « Guide pratique à l'usage du lanceur d'alerte français », 23 juillet 2014, p.1-18

TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Rapport janvier 2013 par MARIE MEYER (N), « L'alerte éthique ou whistleblowing en France », p. 1-13

TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Rapport d'octobre 2004 « Favoriser le déclenchement d'alerte en France »

TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Les principes directeurs pour une législation de l'alerte », 2009

165

TRANSPARENCY INTERNATIONAL France, Rapport « Système nationale d'intégrité : le dispositif français de transparence et d'intégrité de la vie publique et économique », novembre 2011

VI - Colloques et conférences

« Alerte, expertises, démocratie », colloque de la Fondation Sciences Citoyennes, tenu le 17 décembre 2013 au Palais du Luxembourg

« Lanceur d'alerte : la sécurisation des canaux et des procédures », colloque de la Fondation Sciences citoyennes du 4 février 2015 à l'Assemblée nationale

« Renforcer l'efficacité de la protection des lanceurs d'alerte : l'apport du droit comparé et des normes du Conseil de l'Europe », Séminaire/journée d'étude fermée à l'Université de Nanterre, organisé par le CREDOF les 21 et 22 avril 2016

« Animal Politique : Comment mettre la condition animale au coeur des enjeux politiques ? » colloque organisé à l'Assemblée nationale le 2 juin 2016

« Des livres et l'alerte », salon du livre sur les lanceurs et lanceuses d'alerte organisé à la Maison des métallos les 26 et 27 novembre 2016

VII - Sites internet

FONDATION SCIENCES CITOYENNES : http://sciencescitoyennes.org/

MEDIAPART : https://www.mediapart.fr/

REVUE PRESCRIRE : http://www.prescrire.org/fr/Summary.aspx

SHERPA : https://www.asso-sherpa.org/accueil

TRANSPARENCY INTERNATIONAL France : https://transparency-france.org/

VIII - Films documentaires et magazines d'enquête

BRINGER (B), Paradis fiscaux : le casse du siècle, Cash Investigation, magazine d'enquête, diffusé sur France 2 le 5 avril 2016 (158mn) https://www.youtube.com/watch?v=L3ZIO-mBxfE

166

GUISNEL (J) et KORN-BRZOZA (D), Histoire des services secrets français, film documentaire, collection documentaire en 4 volets, produit en 2010, diffusé sur France 5 le 6, 13, 20, 27 février 2011 (4 x 52mn)

JOHSON (T), La bataille de Tchernobyl, film documentaire, produit en 2006, diffusé sur France 3 (94mn) https://www.youtube.com/watch?v=biyCkVW3jMg

PERRIN (E), Paradis fiscaux .
· les petits secrets des grandes entreprises
, Cash Investigation, magazine d'enquête, diffusé sur France 2 le 11 mai 2012 (62mn)

POITRAS (L), Citizenfour, film documentaire, produit par Praxis Films, diffusion cinéma le 24 octobre 2014 (114mn) http://filmstreamvk.com/citizenfour-vostfr-en-streaming-vf-vk.html

RANZ (A) et DE REVIERE (JC), Le dossier secret de l'affaire Dreyfus, L'ombre d'un doute, magazine d'enquête, diffusé sur France 3 le 4 mai 2015 (117mn)

ROMAIN (I), Médicaments sous influence, film documentaire, diffusé sur France 3 le 10 février 2015 (68mn) https://www.youtube.com/watch?v=WZWM23ftI

ROUAUD (C), Tous au Larzac, film documentaire, produit par Elzévir Films et Arte France Cinéma, diffusé sur Arte le 23 novembre 2011 (120mn)

SPIONE (J), Lanceurs d'alerte .
· coupables ou héros ?,
film documentaire, diffusé sur Arte le 16 décembre 2014 (98mn) https://www.youtube.com/watch?v=RyBpjHmt0Fo

VIALLET (JR) Manipulations, une histoire française, produit par Christophe Nick, film documentaire, collection documentaire en 6 volets, diffusé sur France 3, le 11 nov. 2011 (312 mn)

ZÉRO (K) et GARDE (S), Les fichiers de la honte, film documentaire, première diffusion sur RMC Découvertes le 26 mai 2010 (91mn) https://www.youtube.com/watch?v=0lRLztD1SEs

167

TEXTES INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS

A - OCDE

G20 Anti-Corruption Action Plan, protection of Whistleblowers - Compendium of best practices and guiding principles for legislation on the protection of whistleblowers, Paris, 2011 https://www.oecd.org/g20/topics/anti-corruption/48972967.pdf

B - ONU

Pacte international des droits civils et politiques du 16 décembre 1966

Convention internationale du travail n°158 du 22 juin 1982 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur

Convention des Nations-Unies du 31 octobre 2003 contre la corruption (Convention Mérida)

C - Conseil de l'Europe

Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales du 4 novembre 1950 (STCE n°005)

Convention pénale sur la corruption du Conseil de l'Europe du 27 janvier 1999 (STCE n°173)

Convention civile sur la corruption du Conseil de l'Europe du 4 novembre 1999 (STCE n°174)

Recommandation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Résolution 1577 (2007) du 4 octobre 2007 « vers une dépénalisation de la diffamation »

Résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Résolution 1729 du 29 avril 2010 relative à la protection des donneurs d'alerte

Résolution de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe - Résolution 1954 (2013) du 2 octobre 2013 relative à la sécurité nationale et l'accès à l'information

168

Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe - Recommandation CM/Rec (2014) 7 du 30 avril 2014 relative à la protection des lanceurs d'alerte

D - Union européenne

Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 (STCE n°163) - entrée en vigueur le 7 mai 1999

Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000 (2000/C 364/01)

Résolution du Parlement Européen du 12 mars 2014 - Résolution P7-TA-PROV (2014) 0230 relative au programme de surveillance de la NSA, des organismes de surveillance des divers Etats membres et des incidences sur les droits fondamentaux des citoyens européens et sur la coopération transatlantique en matière de justice et d'affaires intérieures.

Résolution du Parlement européen du 14 avril 2016 - Résolution COM (2013) 0813 - C70431/2013 - 2013/0402 (COD) sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil « relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites »

169

RECUEIL LÉGISLATIF

A - Lois françaises

Loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, JO du 30 juillet 1881, p. 4201

Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'information, aux fichiers et aux libertés (Loi informatique et liberté), JO du 7 janvier 1978, p. 227

Loi n°82-689 du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise (première Loi Auroux), JO du 6 août 1982, p. 2518

Loi n°82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel (deuxième Loi Auroux), JO du 29 octobre 1982, p. 3255

Loi n°82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail (troisième Loi Auroux), JO du 14 novembre 1982, p. 3414

Loi n°82-1097 du 23 décembre 1982 relative aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (quatrième Loi Auroux), JO du 26 décembre 1982, p. 3858

Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (Loi Le Pors), JO du 14 juillet 1983, p. 2174

Loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, JO du 12 janvier 1984, p. 271

Loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, JO du 27 janvier 1984, p. 441

Loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, JO du 11 janvier 1986, p. 535

170

Loi n°93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale (Loi Vauzelle), JO n°3 du 4 janvier 1993, p. 215

Loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (Loi Sapin I), JO n°25 du 30 janvier 1993, p. 1588

Loi n°98-567 du 8 juillet 1998 instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale, JO n°157 du 9 juillet 1998, p. 10488

Loi n°2003-706 du 1er août 2003 relative à la sécurité financière en France (Loi Mer), JO n°177 du 2 août 2003

Loi n°2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, JO n°173 du 27 juillet 2005, p. 12183

Loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, JO n°264 du 14 novembre 2007 p. 18648

Loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes (Loi Dati), JO n°0003 du 5 janvier 2010, p. 272

Loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits, JO n°0075 du 30 mars 2011, p. 5497

Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité du médicament et des produits de santé (Loi Bertrand), JO n°0302 du 30 décembre 2011, p. 22667

Loi n°2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, JO n°0062 du 13 mars 2012, p. 4498

171

Loi n°2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, JO n°0182 du 7 août 2012, p. 12921

Loi n°2013-316 du 16 avril 2013 relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte (Loi Blandin), JO n°0090 du 17 avril 2013, p.6465

Loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JO n° 238 du 12 octobre 2013 et loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, JO n°238 du 12 octobre 2013 p.16824

Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, JO n°0284 du 7 décembre 2013, p. 19941

Loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme (Loi Cazeneuve), JO n°0263 du 14 novembre 2014, p. 19162

Loi n°2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement (Loi renseignement), JO n°0171 du 26 juillet 2015, p. 12735

Loi n°2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, JO n°0094 du 21 avril 2016

Loi n°2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, JO n°0184 du 9 août 2016

B - Décrets, circulaires

Décret d'application no93-232 du 22 février 1993 relatif au Service central de prévention de la corruption institué par la du 29 janvier 1993, JO n°46 du 24 février 1993, p. 2937

Circulaire DGT 2008/22 du 19 novembre 2008 relative aux chartes éthiques, dispositifs d'alerte professionnelle et au règlement intérieur

172

Décret n°2014-1629 du 26 décembre 2014 relatif à la composition et au fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d'environnement, JO n°0300 du 28 décembre 2014, p. 22590

C Ð Propositions et projets de loi, amendements

Projet de loi n°1127 du 12 juin 2013 renforçant la protection du secret des sources des journalistes

Amendement n°SPE1810 du 12 janvier 2015 relatif à la loi croissance et activité n°2447

Proposition de loi n°1252 du 16 juillet 2013 tendant à sanctionner le non-respect de l'article 40 du Code de procédure pénale

Proposition de loi n°3465 du 2 février 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias

Proposition de loi organique n°3770 du 2 février 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d'alerte

Projet de loi n°3623 du 30 mars 2016 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (projet de loi Sapin II)

Amendement n°II-CF275 du 7 novembre 2016 au projet de loi de finances 2017 (n°4061)

D - Lois américaines

Loi False Claims Act du 2 mars 1863

Loi Civil Service Reform Act de 1978

Loi Whistleblower Protection Act de 1989

Loi Fraud Enforcement and Recovery Act de 2009

Loi Patient Protection and Affordable Care Act de 2010

Loi Sarbanes-Oxley Act du 30 juillet 2002 (loi SOX)

173

TABLE DES JURISPRUDENCES

I - Jurisprudences en France

A - Jurisprudences administratives

1 - Conseil d'État

Conseil d'État, 11 janvier 1935, Bouzanquet, Rec. p. 44

Conseil d'État, 10 novembre 1944, Sieur Langneur

Conseil d'État, 11 février 1949, Hubert, Rec. CE 1949, p. 73

Conseil d'État, 27 mai 1949, Dame Arasse, Rec. CE 1949, p. 249

Conseil d'État, Sous-sections réunies, 27 juillet 2005, req. n°260139

Conseil d'État, 12 janvier 2011, M. Matelly, n° 338461

Conseil d'État, 21 février 2013, n°344462

Conseil d'État, Assemblée plénière, 13 novembre 2013, n°347704, Dahan, Lebon P.279

Conseil d'État, 5 février 2014, n°371396, Philippe Pichon

2 - Cours administratives d'appel

CAA Paris, 31 décembre 2014, Mme Souid, n°13PA00914

3 - Tribunaux administratifs

TA Paris, 13 juillet 2011, Mme Souid, n°10211146/5-1

B - Jurisprudences judiciaires

1 - Cour de cassation

Cass. Crim, 15 mars 1821, Bull. crim. n°36. Cass. Crim, 19 février 1870, D. 74, 5, p. 392. Cass. Crim, 19 décembre 1885, Watelet, Bull. crim. 1885, n°363 ; S. 1886, p. 86. Cass. Crim, 27 oct. 1938 - DP 1939, 1, p. 77, note P. Mimin

174

Cass, Crim, 19 mars 1956, Bull. crim. 1956, n°275

Cass, Crim, 22 avril 1958, Bull. crim. 1958, n°333

Cass, Crim, 13 janvier 1966, n°65-90156, Bull crim. n°14

Cass, Crim, 11 juillet 1972 Bull. Crim. 1972, n° 236, p. 619

Cass, Crim, 6 mars 1974, Bull crim 1974, n°96

Cass, Crim, 18 novembre 1975, n°74-91103, Bull. crim. 1975, n°250

Cass, Crim, 17 décembre 1979, n°77-92088, Bull. crim. n°360

Cass, Crim, 17 février 1981, Bull crim, n°64

Cass, Crim, 15 mars 1983, Bull crim. 1983, n°81

Cass, Crim, 21 février 1984, Bull crim. 1984, n°65

Cass, Crim, 15 octobre 1985, Bull crim. 1985, n°314

Cass, Crim, 19 novembre 1985, n° 84-95502, Bull crim n° 363

Cass, Soc, 22 avril 1988, n°87-41.804, Clavaud

Cass, Crim, 12 janvier 1989, n°87-82265, Bourquin, Bull crim 1989 n° 14, p. 38

Cass, Crim. 22 mai 1990, Bull. crim n°212

Cass. Crim, 10 décembre 1991, Bull. crim. 1991, n° 468

Cass, Crim. 3 avril 1995, n° 93-81569, Canard Enchaîné, Bull. n°142 ; JCP. 1995. II- 22429

Cass, Soc, 4 février 1997, n°96-40678

Cass, Soc, 5 mai 1997, CSPB, 1997, S.91

Cass. Crim, 22 mai 1997, Bull. crim. n°200

Cass, Crim, 13 avril 1999, Bull. crim, n°77

Cass, Crim. 9 juin 1999, Bull. crim. n°133

Cass, Soc, 14 décembre 1999, n°97-41.995, Pierre c/ SNC Sanijura et A

Cass, Soc, 14 mars 2000, n°97-43.268, Mlle Piltron c/ M. De Cunéaz

Cass, Soc, 11 octobre 2000, n°98-45276, INRS c/ M. Cicolella

Cass, Crim, 19 juin 2001, n°99-85188, Bull crim 2001 n° 149 p. 464

Cass, 2ème Civ, 14 mars 2002, n° 99-19.239, Bull. 2002 II, n° 41 p. 34

Cass, Crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim. 2002 n° 132, p. 486

Cass, Crim., 16 mars 2004, Bull. Crim. 2004, n° 67, p. 257

Cass. Crim., 11 mai 2004, n° 03-85.521, Société Pierson Diffusion, Bull crim 2004, n° 117

Cass, Crim, 10 mai 2006, D.2006.2220, note Dreyer ; Droit pénal 2006. 135, obs. Véron

Cass, Soc, 8 novembre 2006, n°06-60.007

Cass, Crim, 12 juin 2007, n°06-87361, Bull crim 2007, n° 157

Cass, Crim, 4 mars 2008, n° 07-84.002 (inédit)

Cass Crim, 11 mars 2008 n°06-84712, Légipresse 2008, n°253, III, 130, note B. Ader

Cass, Soc, 19 mars 2008, RJS 2008, n°631

Cass, Soc, 8 décembre 2009, n°08-17-191, Dassault Système, Bull Civ V n°276

Cass, Crim, 19 janvier 2010, n°09-84408, Serge X, Légispresse, avril 2010, n°271 III. 65-67

Cass, Soc, 27 octobre 2010, n°08-44.446, RJS 2011. 32, n°11

Cass, 1ère Civ, 3 février 2011, n°09-10-301, arrêt n°106, Denis Robert c/ Société Clearstream

banking et autres

Cass, 1ère Civ, 3 février 2011, n°09-10.302, arrêt n°107, Denis Robert et Editions des Arènes c/

Société Clearstream banking et autres

Cass, 1ère Civ, 3 février 2011, n°09-10.303, arrêt n°108, Denis Robert et Editions des Arènes c/

Société Clearstream banking et autres

Cass, Crim, 16 juin 2011, n°10-85079, Bull crim 2011 n° 134

Cass, Crim, 17 janvier 2012, n°11-90.113, arrêt n°414 (refus de transmission QPC)

Cass, Crim, 6 mars 2012, n°11-80801, Bull crim 2012, n° 61

Cass, Crim, 5 septembre 2012, n°12-90-045, Philippe Pichon (refus de transmission QPC)

Cass, Soc, 6 février 2013, n°11-11.740, Bull. V, n° 27

Cass, Crim, 14 mai 2013, n°11-86626, Woerth-Bettencourt

Cass, Soc, 29 octobre 2013, n°12-22-447, Bull V n°252

Cass, Soc, 14 janvier 2014, n°12-25.658

Cass, Soc, 19 février 2014, n°12-29.458

Cass, 1ère Civ, 11 mars 2014, n°12-29.419, Laboratoire Servier c/ Figaro, Bull civ 2014, I, n° 36

Cass, Soc, 7 mai 2014, n°12-35.305

Cass, Crim, ordonnance n°10686 du 22 décembre 2014, n°14-87.748 (refus transmission QPC)

Cass, Crim, 3 mars 2015, n° 13-87597, Bull crim. 2015, n° 43

Cass, Crim, 20 mai 2015, n°14-81336, Bluetouff

Cass, Crim, 22 juillet 2015, n°15-90.009, arrêt n°3917 (refus transmission QPC)

Cass, Crim, 8 septembre 2015, n°14-81-681, Bernard Squarcini c/ Canard Enchaîné et

autres, Légipresse n°332, novembre 2015

Cass, Soc, 23 septembre 2015, n°14-14021

Cass, Crim, 20 octobre 2015, n°14-82.587, Irène X, Légispresse n°332

Cass, Soc, 30 juin 2016, n°15-10.557 (arrêt n° 1309)

2 - Tribunaux de Grande Instance

175

T. Corr. de Château-Thierry, 4 mars 1898, Dame Louise Ménard

176

T. Corr. TGI Boulogne-sur-Mer, 12 août 1998, Société Eurotunnel c/ R. Bell et Editions Le

Seuil, inédit

T. Corr. de Paris, 17ème chambre, 23 octobre 1998, Légipresse 1999-I, p.34.

T. Corr. de Paris, 17ème chambre, 3 mars 2000, Debout c/ Drucker, Légipresse 2000-I, p. 47, n°

173-05

T. Corr. de Versailles, 24 avril 2003 - Gaz. Pal. 2004. 1. Somm. 1302

T. Corr. d'Orléans, 9 décembre 2005, n° de jugement 2345/S3//2005, Mouvement Faucheurs

Volontaires c/ Société Monsanto

T. Corr. de Paris, 17ème chambre, 2 mai 2006, n°0335123085, Etienne Cendrier et Journal du

Dimanche c/ Orange et SFR

T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 13 mars 2008, Meneton, Cattan, Champremier c/ Comité

des Salines de France

T. Corr. de Paris, 12ème Chambre, 25 mars 2013, n° parquet 09317034048, Collectif des

Déboulonneurs c/ Société JCDecaux

T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 22 octobre 2013, Philippe Pichon

T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 21 mars 2014, VSD et autres c/ DSK

T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 16 mai 2014, Olivier Thérondel

T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 18 février 2016, Pierre Péan et autres c/ JM Colombani

T. Corr. de Paris, 17ème Chambre, 12 avril 2016, JM Le Pen c/ A. Montebourg, Légipresse n°338

II - Décisions du Conseil constitutionnel

Conseil constitutionnel, DC, décision n° 81-132, 16 janvier 1982, décision relative à la loi sur la nationalisation, JO du 17 janvier 1982, Recueil, p. 18-299

Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-116, 8 avril 2011, décision M. Michel Z et autres, D.2011, 1258, note V. Rebeyrol

Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-131, 20 mai 2011, décision Térésa C et autres Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-192, 10 novembre 2011, décision Ekaterina B, épouse D, et autres

Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2013-319, 7 juin 2013, décision Philippe B

III - Jurisprudences de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume-Uni, req. n° 5493/72

CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c/ Royaume-Uni, req. n° 6538/74, série A, n°30

177

CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83

CEDH, 26 avril 1995, n°15974/90, Prager et Oberschlick c/ Autriche, série A n°313

CEDH, Grande Chambre, 27 mars 1996, Goodwin c/ Royaume-Uni, req. n°17488/90

CEDH, 25 août 1998, Hertel c/ Suisse, req. n° 53440/99

CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n°29183/95

CEDH, 29 mars 2001, Thoma c/ Luxembourg, req. n° 38432/97

CEDH, 3ème sect., 19 juin 2002, Tanasoaica c/ Roumanie, req. n°3490/03

CEDH, 17 décembre 2004, Cumpana et Mazare c/ Roumanie, req. n°33348/96

CEDH, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c/ Danemark, req. n°49017/99

CEDH, 24 novembre 2005, Tourancheau et July c/ France, req. n° 53886/00

CEDH, 20 décembre 2005, Paturel c/ France, req. n°54968/00

CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c/ France, req. n°12697/03

CEDH, 4ème Sect., 7 juin 2007, Dammann c/ Suisse, req. n° 77551/01

CEDH, 22 novembre 2007, Voskuil c/ Pays-Bas, req. n° 64752/01

CEDH, Grande Chambre, 10 décembre 2007, Stoll c/ Suisse, req. n° 69698/01

CEDH, Grande Chambre, 12 février 2008, Guja c/ Moldavie, req. n°14277/04

CEDH, 2ème Sect., 28 juin 2011, Pinto Coelho c/ Portugal, req. n° 28439/08

CEDH, 21 juillet 2011, Heinisch c/ Allemagne, req. n°28274/08

CEDH, 18 octobre 2011, Sosinowska, req. n°10247/09

CEDH, 15 décembre 2011, Mor c/ France, req. n° 28198/09

CEDH, 12 avril 2012, Martin c/ France, req. n°30002/08

CEDH, 28 juin 2012, Ressiot c/ France, req. n°15054/07 et n°15066/07

CEDH, 3ème sect., 8 janvier 2013, Bucur et Toma c/ Roumanie, req. n°40238/02

CEDH, 9 juillet 2013, Di Giovanni c/ Italie, req. n° 51160/06

CEDH, 22 janvier 2015, Pinto Pinheiro Marques c/ Portugal, req. n°26671/09

CEDH, 21 juin 2016, Soares c/ Portugal, req. n°79972/12

IV - Jurisprudences de l'Union européenne

CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn c/ Home Office, affaire n°41/74 CJCE, 5 avril 1979, Ministère public c/ Ratti, affaire n°148/78 CJCE, 10 avril 1984, Von Colson et Kamann c/ Land Nordrhein-Westfalen, affaire n°14/83 CJUE, 23 novembre 2016, Commission c/ Greenpeace Nederland, affaire n°C-673/13P CJUE, 23 novembre 2016, Bayer c/ CTB, affaire n°C-442/14

178

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION 7

I Ð La transparence, versant démocratique du secret ? 8

II Ð La notion imprécise de lanceur d'alerte 10

III Ð L'ambivalence ténue avec la notion de désobéissance civile 16

IV Ð Des sacrifices sur l'autel de la révolte 19

TITRE I : UN DROIT D'ALERTE EXIGU 22

SECTION 1 : UN DROIT D'ALERTER INACHEVÉ 22

I - Une protection normative segmentée 22

A Ð L'émergence d'une protection internationale et européenne 23

1 - Une soft law partisane de garanties renforcées 23

2 - L'apport des standards européens et internationaux 25

B Ð 2007/2013, une séquence pro-lanceurs d'alerte incomplète 26

1 - L'exercice de l'alerte dans l'univers financier et économique 26

2 - L'élaboration d'un droit d'alerte pour une transparence environnementale et

sanitaire 28

II - Des procédures de signalement délimitées 31

A Ð Des champs d'alerte sanctuarisés 31

1 Ð Le droit d'alerte, un pré-carré réservé 31

a Ð Le renseignement étatique : le sempiternel conflit entre sécurité nationale et

droit à l'information 31

b Ð Le secret des affaires : le secret pour règle et la communication comme

exception 34

179

2 - Le lanceur d'alerte sous le prisme d'une relation hiérarchique 36

B - Des agents encadrés dans leur droit d'alerte 38

1 - Le droit administratif et de la fonction publique : une ombrageuse entente entre

information et Administration 38

2 - Un droit du travail insuffisamment sécurisant 44

SECTION 2 : UNE PRISE DE PAROLE LIMITÉE 49

I - Des canaux de signalement contraignants 49

A - Des lacunes dans la réception de l'alerte 49

1 - Des canaux d'alerte institutionnels sous le sceau des obligations 49

2 - Les dispositifs d'alerte professionnelle : une trompeuse alternative au silence 53

B - Des perceptives incertaines 56

1 - L'instauration d'une autorité de contrôle indépendante 56

2 - Des supports numériques pour accueillir les signalements 59

II - Une liberté d'expression encadrée 60

A - Des relais journalistiques inévitables 61

1 - Une protection des sources laborieuse et conditionnée 62

2 - Des journalistes aux frontières des lanceurs d'alerte ? 65

B - Citoyens et salariés, l'hypothétique liberté d'informer 69

1 - L'utopique liberté de communication des agents privés et publics 69

2 - Le discours admissible des citoyens 70

180

TITRE II : UN DROIT D'ALERTE RISQUÉ 74

SECTION 1 : LA PÉNALISATION EN RÉPONSE À L'INSURRECTION DES CONSCIENCES 74

I - Des poursuites persistantes 74

A - Un droit pénal mobilisé contre les lanceurs d'alerte 74

1 - La violation, le vol et le recel du secret : terreau fertile des poursuites 75

2 - L'alerte sous le prisme de la dénonciation calomnieuse 78

B - Une défense indécise 80

1 - Une garantie hésitante face à la violation du secret 80

2 - Une défense ajustée face aux infractions de vol et recel 83

II - Des mesures de protection ajournées 84

A - Des lois nouvelles, gage de sécurité pour les lanceurs d'alerte 85

1 - L'édification d'une loi incriminant celui qui se tait ? 85

2 - L'instauration d'une protection en l'absence d'infraction pénale probante ? 88

B - L'exception de citoyenneté, l'ébauche d'un fait justificatif ? 90

1 - Le principe de l'état de nécessité, une justification à l'infraction 90

2 - Les prémices d'une jurisprudence à un déploiement aux lanceurs d'alerte ? 91

SECTION 2 : LA RÉPRESSION EN RÉPONSE À UNE LIBRE EXPRESSION 94

I - Des infractions de presse utilisées contre les lanceurs d'alerte 95

A - Des poursuites diligentées pour propos injurieux 95

181

1 Ð L'infraction d'injure 96

2 Ð Les éléments constitutifs de l'infraction 96

B Ð L'usage historique de la diffamation 97

1 Ð L'infraction de diffamation 97

2 Ð Les éléments constitutifs de l'infraction 98

II - Une défense imprévisible en matière de diffamation 99

A Ð L'exception de bonne foi 100

1 Ð Les conditions procédurales de l'exception de bonne foi 100

2 Ð L'intérêt général, artisan d'un droit d'alerte naissant 104

B Ð L'exception de vérité 111

1 - Les conditions procédurales de l'exception de vérité 111

2 - Une vérité difficilement révélée 114

CONCLUSION GÉNÉRALE 121

Table des annexes 130

Index 155

Bibliographie 156

Textes internationaux et européens 167

Recueil législatif 169

Table des jurisprudences 173

Table des matières 178






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