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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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2 - Des journalistes aux frontières des lanceurs d'alerte ?

Sous réserve du principe de liberté d'expression, lors d'enquêtes et d'investigations réalisées par les journalistes, ceux-ci peuvent être mis en examen sous différents chefs d'inculpation231.

228 CEDH, 12 avril 2012, Martin c/ France, req. n°30002/08 ; CEDH, 28 juin 2012, Ressiot c/ France, req. n°15054/07 et n°15066/07

229 À savoir la prévention ou répression d'un crime, la prévention du délit d'atteinte à la personne humaine, la prévention des délits d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et de terrorisme.

230 A. DUVAL, « Le long chemin du projet de loi sur le secret des sources », Le Monde.fr, publié le 20 janvier 2015 (consulté le 11 juin 2016)

231 Violation du secret de l'instruction et de l'enquête, violation du secret professionnel, vol et recel de vol, infraction d'espionnage (infraction portant atteinte à l'intimité de la vie privée), diffamation publique ou injure publique.

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Les deux employés français du cabinet d'audit PwC (Antoine Deltour et Raphaël Halet) qui sont à l'origine du scandale Luxleaks ont été mis en examen et poursuivis pour vol, divulgation de secrets d'affaires, violation de secret professionnel, blanchiment et fraude informatique. Organisé par le cabinet d'audit, ce scandale a mis en lumière les montages juridiques complexes permettant l'évasion fiscale au bénéfice de grandes firmes internationales. La révélation publique a été rendue possible par la remise volontaire de

30 000 documents internes au cabinet, éclairant les pratiques fiscales critiquables de multinationales installées au Luxembourg232.

Les deux lanceurs d'alerte ont comparu le 26 avril 2016 devant le tribunal d'arrondissement du Luxembourg. Le journaliste français Edouard Perrin qui a révélé une partie de ces documents lors d'un numéro de Cash Investigation, diffusé le 11 mai 2012 sur France 2 sous l'intitulé « Paradis fiscaux : les petits secrets des grandes entreprises », a été poursuivi pour complicité de vol, violation du secret professionnel et violation du secret d'affaires233 et était sur les bancs des accusés en compagnie des lanceurs d'alerte. Le 29 juin 2016, Deltour a été condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une amende de 1 500 euros et Halet à neuf mois d'emprisonnement avec sursis assorti d'une amende de 1 000 euros. Perrin a, quant à lui, été acquitté. Le parquet et les lanceurs d'alerte ont fait appel. Ce jugement démontre une nouvelle fois le manque de protection et le paradoxe ambiant puisque le tribunal a reconnu que ces derniers ont bel et bien « agi dans l'intérêt général ». Il a également constaté qu'il n'existait aucune protection en droit luxembourgeois ou au niveau européen pour les lanceurs d'alerte. La nouvelle directive du secret des affaires instaurant une protection européenne n'ayant pas été transposée par les États234.

Les journalistes d'investigation sont-ils, dès lors, eux aussi des lanceurs d'alerte ? Poursuivi pour complicité et violation de secret, la frontière entre lanceur d'alerte et journaliste est poreuse.

232 Voir annexe 8, p. 154

233 Le reste des documents, ainsi que de nouveaux accords fiscaux provenant de PwC, avaient ensuite été publiés en novembre 2014 par le Consortium international de journalistes d'investigation (ICIJ), à l'origine des Panama Papers.

234 Cependant, la CJCE admet que la directive peut être invoquée contre un Etat membre qui ne l'a pas transposée ou qui l'a mal transposée. C'est l'effet direct vertical des directives qui suppose trois conditions : que la directive contienne des obligations suffisamment précises et inconditionnelles pouvant être appliquées sans mesure nationale de transposition (CJCE, 4 décembre 1974, Van Duyn) ; que le délai de transposition soit échu (CJCE, 5 avril 1979, Ratti) ; et que la directive soit invoquée par un particulier contre l'Etat qui n'a pas transposé ou mal transposé. En se fondant sur l'effet direct vertical d'une directive, un particulier poursuivi peut invoquer l'incompatibilité d'un texte pénal national avec une directive non transposée ou mal transposée. En cas d'incompatibilité, la juridiction pénale nationale neutralise la disposition pénale nationale.

Par ailleurs, l'obligation d'interprétation conforme (CJCE, 10 avril 1984, Van Colson et Kamann) impose d'interpréter les dispositions nationales à la lumière du droit communautaire, même lorsque celui-ci résulte d'une directive non transposée. Cette obligation est applicable en droit pénal, ce qui signifie que les juridictions nationales, pour l'interprétation des textes nationaux d'incrimination ou des règles de responsabilité pénale, doivent prendre en compte le contenu du droit communautaire. Toutes ces règles pourront être invoquées lors du jugement en appel dans l'affaire LuxLeaks.

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Cette question purement intellectuelle et non juridique n'est pourtant pas dépourvue de sens, puisque dans certains cas, le journaliste d'investigation peut être, soit « le complice » du lanceur d'alerte, soit transmettre aux autorités compétentes des informations qu'il détient et aller au-delà de ses missions en engageant sa responsabilité. L'exemple en la matière est celui du journaliste Serge Garde dans l'affaire des fichiers Zandvoort.

Intriguée par son rôle dans cette affaire, je me suis entretenue avec Serge Garde le 1er mars 2016 afin qu'il m'explique les conséquences de ce choix éthique et moral235. C'est un journaliste d'investigation qui a travaillé pour le quotidien L'Humanité depuis les années quatre-vingt. À cette époque, il s'intéresse particulièrement aux faits divers et aux questions de pédocriminalité. À partir de 1987236, il écrit différents ouvrages sur la question et révèle des affaires non connues du grand public. Il sera poursuivi et parfois condamné pour diffamation237.

L'affaire des fichiers Zandvoort débute, pour lui, en 1999, à l'époque où il enquête sur l'affaire Dutroux en Belgique. Au cours de son enquête, des informateurs le poussent à mener des investigations sur une autre piste.

Serge Garde va alors rencontrer Marcel Vervloesem qui lui transmet un fichier papier, établit à partir d'un CD-Rom, détaillant de nombreux transferts financiers et virements bancaires mais également des milliers de photos d'enfants violés. Il enquête sur tous ces fichiers (8 500 fichiers), recoupe les informations et découvre qu'il est en possession d'informations relatives à un réseau de pédocriminels. Il décide, alors, de relater son enquête minutieuse dans un dossier de trois pages dans le quotidien L'Humanité, le 24 février 2000 (avec les photos floutées des petites victimes).

Face à l'inertie des autorités et au peu d'impact sur l'opinion publique, l'article sera repris par le journal Le Figaro, les 6 et 7 avril 2000. Suite à cette nouvelle parution, l'ancienne Garde des Sceaux, Elisabeth Guigou, interviendra dans le journal télévisé de France 3, le 12 avril 2000, en déclarant que la justice n'était détentrice que des fichiers papiers, ce qui était insuffisant pour ouvrir une information judiciaire. Serge Garde se résout, alors, à communiquer les CD-Rom au Procureur général auprès de la Cour d'appel de Paris.

Interrogé, il affirme que « Le lendemain de l'intervention de la Garde des Sceaux, je remets donc le CD-Rom au Procureur général auprès de la Cour d'appel. La veille de cette remise, j'ai été convoqué par la BPM (Brigade de protection des mineurs) ».

235 Voir annexe 3, p.136

236 Voir : S. GARDE, L'industrie du sexe, Temps Actuels, 26 août 1987, 190 pages

237 Il sera poursuivi trente-six fois pour l'ensemble de son travail.

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Auditionné pendant plusieurs heures en tant que témoin, il déclare « l'impression qui se dégageait de cette audition, c'était que j'étais placé en garde à vue ».

Sur les intentions des policiers, il affirme qu'« ils voulaient connaître la source de mes fichiers. Ils voulaient savoir comment je m'étais procuré le CD-Rom, ils voulaient également connaître les informations que je détenais et les noms mentionnés dans les fichiers. Étant détenteur d'images pédopornographiques, ils m'ont dit que j'étais en infraction et que je pouvais être poursuivi sous cette qualification. Mais finalement, rien ne s'est produit. Pourtant, cette épée de Damoclès pesait sur ma tête ».

Interrogé sur le rôle conséquent qu'il a joué, il indique « Un journaliste n'a pas pour essence le devoir de dénoncer directement des comportements criminels. Ce n'est pas la nature de sa fonction. Il accompagne la divulgation d'informations et enquête mais ne dénonce pas directement à l'autorité judiciaire. En dénonçant, le journaliste met en péril sa source, avec le risque d'engager la responsabilité de celle-ci. Je me suis retrouvé devant un dilemme mais, tout en protégeant ma source, j'ai décidé de fournir à la justice le matériel nécessaire à la poursuite des criminels. J'avais l'espoir qu'on stoppe ces comportements et qu'on retrouve les enfants. Les fichiers contenaient plus de 90 000 photos d'enfants, tous ces enfants « virtuels » avaient une existence réelle et quand j'analysais les données des CD-Rom, je savais que ces enfants n'étaient pas sortis de ces réseaux ».

Quant à son rôle de lanceur d'alerte, il déclare « Certes j'ai dépassé le cadre de ma profession mais je ne me considère pas comme un lanceur d'alerte. J'ai surtout été un citoyen effaré de voir la justice de mon pays ne déployer aucuns moyens nécessaires pour enquêter ».

À la suite de sa transmission, une information judiciaire et une saisine de juge d'instruction seront entreprises. L'instruction de ce dossier va se clore en 2003 par un non-lieu général. En 2001, Serge Garde, en collaboration avec Laure Beneux, écrira un ouvrage sur cette affaire238.

Sur les répercussions personnelles de cette affaire, il affirme « J'ai été menacé. Des menaces de mort, au moment de la sortie du livre. J'interprète cela comme des pressions, des tentatives de vouloir m'empêcher de faire mon travail, on veut me faire peur, me déstabiliser. Par ailleurs, deux procès en diffamation nous ont été intentés à la suite de la parution du livre ».

238 Voir : S. GARDE et L. BENEUX, Le Livre de la honte : les réseaux pédophiles, Le Cherche-Midi, 12 octobre 2001, 200 pages.

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L'exemple de Serge Garde met en lumière cette frontière perméable entre lanceur d'alerte et journalisme d'investigation239. Ce cas est rare mais dévoile cette ambiguïté vacillante.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery