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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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B - L'exception de vérité

Ce moyen de défense, adopté lors de la rédaction de 1881, permet d'établir la vérité des propos présumés diffamatoires. L'exception de vérité ou l'exceptio veritatis est prévue aux articles 35 et 55 de la loi de 1881.

Ce fait justificatif exonère le prévenu de toute responsabilité à la participation du délit de diffamation. Selon Philippe Conte « il a pour objet, comme la bonne foi, d'assurer l'impunité dans des cas où l'infraction est constituée et fait disparaître toute responsabilité pénale même en présence d'une intention coupable du moment que les propos ont leur légitimité »386.

1 - Les conditions procédurales de l'exception de vérité

Face au délit de diffamation visant à protéger l'honneur d'une personne, le droit de la presse a reconnu la possibilité pour le prévenu de se prévaloir d'un argument de vérité en vue de se désengager de sa responsabilité pénale. La vérité des faits diffamatoires peut dès lors toujours être prouvée, à l'exception de poursuite faite pour diffamation raciale387.

Toutefois, ce principe a fait l'objet de plusieurs restrictions motivées par des considérations multiples, tenant tant au respect de la vie privée qu'au souci d'assurer une certaine paix sociale. Ces limitations d'utiliser l'exception de vérité s'analysent en de véritables obstacles au plein déploiement de la liberté d'expression.

Les trois cas où l'exception de vérité ne peut être invoquée : lorsque les imputations touchent à la vie privée des personnes (art. 35 a) ; lorsque les imputations remontent à plus de dix ans (art. 35 b) ; lorsque les imputations se réfèrent à une infraction amnistiée ou prescrite ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision (art. 35 c).

Ces deux dernières exceptions ont été retoquées récemment par le Conseil constitutionnel.

386 P. CONTE et P. MAISTRE DU CHAMBON, Droit pénal général, Armand Colin, 7ème édition, 2004, n°244

387 Cass, crim., 11 juillet 1972 Bull. Crim. 1972, n° 236, p. 619 ; Cass, crim., 16 mars 2004, Bull. Crim. 2004, n° 67, p. 257

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En effet, par une QPC du 20 mai 2011388, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article 35 b selon lequel la personne poursuivie pour diffamation peut toujours prouver la vérité des faits diffamatoires, sauf lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans. Enfin, par une autre QPC du 7 juin 2013389, le Conseil constitutionnel a énoncé inconstitutionnelles les dispositions de l'article 35 c qui restreignent la possibilité de faire la preuve du fait diffamatoire pour un fait amnistié ou prescrit, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision.

Avec ces deux décisions, il juge que par ses caractères généraux et absolus « ces interdictions portent à la liberté d'expression une atteinte qui n'est pas proportionnée au but poursuivi ».

À l'inverse de l'exception de vérité, la bonne foi a toujours été évocable même en cas de faits remontant à plus de dix ans, prescrits ou amnistiés. Elle permettait, ainsi, partiellement de contourner les difficultés posées par les anciennes interdictions de l'exceptio veritatis.

Avec ces décisions constitutionnelles, subsiste le principe et l'exception selon lesquels la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée sauf lorsque les faits touchent à la vie privée des personnes (article 35 a). Le but de cette dérogation suit deux objectifs.

L'un de ne pas décourager les victimes qui pourraient craindre l'exception de vérité. L'autre de faire prévaloir la tranquillité de la vie privée des gens sur l'intérêt public.

Cependant, les attributs de fonction ou d'emploi exercé ne relèvent pas de la vie privée.

L'exception de vérité peut, donc, être évoquée lorsque l'imputation d'avoir commis des actes financièrement indélicats à l'égard de tiers relève de la vie privée à condition que l'acte en cause ait été commis en dehors de toute activité professionnelle390 ; ou lorsque l'imputation relative au patrimoine concerne une personnalité publique391. En revanche, « lorsque le propos diffamant comporte des imputations indivisibles, relevant, pour certaines d'entre elles seulement, de la vie privée, la preuve est alors admissible pour le tout392 », selon Sylvie Menotti 393.

La faculté d'apporter la preuve de la vérité des faits sur la base de documents ayant une

388 Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2011-131, 20 mai 2011, décision Térésa C et autres

389 Conseil constitutionnel, QPC, décision n°2013-319, 7 juin 2013, décision Philippe B

390 Offre de preuve admise au sujet d'un notaire ayant commis une escroquerie au préjudice d'un client (Cass, crim, 18 novembre 1975, n°74-91103, Bull. crim. 1975, n°250), offre de preuve refusée à propos d'un individu accusé d'avoir détourné de l'argent (Cass, crim, 19 mars 1956, Bull. crim. 1956, n°275), offre de preuve refusée au sujet d'une personne à laquelle il était fait reproche de ne pas avoir respecté ses engagements pécuniaires (Cass, crim, 22 avril 1958, Bull. crim. 1958, n°333)

391 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France, req. n°29183/95

392 Cass, crim, 17 décembre 1979, n°77-92088, Bull. crim. n°360

393 S. MENOTTI, « La preuve de la vérité du fait diffamatoire », Cour de cassation.fr, rapport 2004 de la Cour de cassation (consulté le 25 juin 2016)

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origine illicite a été admise et ce depuis un arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2002394. Cette position jurisprudentielle a été rappelée par la Cour de cassation en 2010 au nom du droit à un procès équitable395. Puis, fut consacrée par la loi Dati de 2010 à l'article 35 de la loi de 1881, la possibilité de présenter des documents couverts par le secret de l'instruction pour apporter la preuve de la vérité des faits allégués. Et ainsi mettre à l'abri un individu d'éventuelles poursuites pour recel.

La procédure permettant de mobiliser l'exception de vérité est encadrée par des conditions draconiennes. En effet, elle n'est recevable que devant les juridictions de jugement ; la charge de la preuve incombe aux prévenus ; et la jurisprudence est très exigeante sur la qualité de la preuve de l'exception de vérité (la preuve est acceptée par le juge si elle « parfaite, complète et corrélative aux diverses imputations formulées396 », ainsi les éléments doivent prouver de manière indiscutable les faits allégués).

L'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 soumet l'administration de la preuve de la vérité des faits diffamatoires à des contraintes procédurales extrêmement lourdes.

Selon Clémentine Chatein, « ce formalisme répond à un but légitime : éviter des accusations sans preuves, à la légère. Aussi, l'interprétation par la Cour de cassation des dispositions des articles 55 et 56 est également très stricte »397.

« L'offre d'exception de vérité » doit être signifiée au plaignant et au Ministère public dans les dix jours398 où le prévenu a réceptionné la citation directe. Dans cette offre, le prévenu doit présenter les faits dont il entend démontrer la vérité, la copie des pièces produites, les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve.

L'article 56 de la loi 1881 énonce que le plaignant a cinq jours pour envoyer une « contre-offre de preuve » après réception de « l'offre d'exception de vérité ». Aucun prolongement de délais n'est possible.

Enfin, contrairement à la bonne foi qui ne peut être déduite de faits postérieurs à la publication, la preuve de l'exception de vérité n'a pas à être préconstituée, il est possible

394 Cass, crim, 11 juin 2002, n°01-85.237, Bull. crim. 2002 n° 132, p. 486 - Voir Titre II, Section 1, Paragraphe I, B, 2

395 Cass, crim, 19 janvier 2010, n°09-84408, Serge X, Légispresse, avril 2010, n°271 III. 65-67 : « le droit à un procès équitable et la liberté d'expression justifient que la personne poursuivie du fait de diffamation soit admise à produire, pour les nécessités de sa défense, les pièces de nature à établir la vérité des faits ou sa bonne foi, sans qu'elles puissent être écartées des débats au motif qu'elles auraient été obtenues par des moyens déloyaux ».

396 Cass. crim., 10 décembre 1991, Bull. crim. 1991, n° 468

397 C. CHATEIN, Pour une dépénalisation du droit de la presse ?, mémoire de recherche Master II droit pénal et sciences criminelles à l'Université Panthéon-Assas-Paris II, 2010-2011, p. 89-124

398 Ce délai court à compter de la première citation directe délivrée au prévenu (de nouvelles citations ne peuvent relever le prévenu de la déchéance encourue). Par ailleurs, il s'agit d'un délai non franc, d'ordre public, qui n'est susceptible d'aucune prorogation, ni du fait des distances, ni du fait qu'il expire un jour férié.

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d'utiliser des éléments antérieurs ou postérieurs à la publication litigeuse. L'offre de preuve n'a, par ailleurs, aucune incidence sur la bonne foi qui peut toujours être admise.

Selon l'article 56 de la loi de 1881, le prévenu entend faire la preuve des allégations litigieuses. Cette preuve emporte la vérité inaltérable des propos tenus et considérés comme diffamants. Ce moyen de défense conduit au triomphe de la sincérité et à l'authenticité des alertes émises. Cependant, le carcan dans lequel sont figées les conditions de l'exception de vérité entrave la démonstration de l'exactitude des propos tenus. Cette obstruction est apparue très tôt et continue de freiner la défense des lanceurs d'alerte.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery