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Les lanceurs d'alerte français, une espèce protégée ?

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par Julia Le Floc'h - Abdou
Paris X Ouest - Nanterre La Défense - Master II Droit pénal et Sciences criminelles 2015
  

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Rencontrant son chemin de Damas, le lanceur d'alerte est happé dans une guerre d'usure. Allant de la sanction à la faillite totale de sa vie professionnelle, financière et privée, il va creuser cette distanciation, déjà présente, entre préservation du bien commun et conservation des intérêts économiques, étatiques et privés. Comme le soulignait Robert Maynard Pirsig « Chacun peut croire à la vérité, et aux méthodes rationnelles qui permettent de la découvrir. Chacun peut s'opposer aux consignes des autorités en place. Mais qui va jusqu'à se consumer soi-même, jour après jour, pour défendre sa cause ? »427.

Une volonté de transparence, tant voulue par la société civile, les ONG et le Conseil de l'Europe, se dessine aujourd'hui en France. Afin de sauvegarder l'État dans le droit, une vérité révélée, même abrupte et controversée, doit être protégée.

Animé par le scandale des Panama Papers, le projet de loi n°3623 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (Sapin II) a été adopté définitivement par l'Assemblée nationale le 8 novembre 2016 (texte n° 830). Ce texte enrichi la protection des lanceurs d'alerte existante. Persiste, cependant, des pans de questionnements, des champs d'alerte non protégés et des garanties incomplètes.

Alors que le texte initial prévoyait un nouveau régime sectoriel se rajoutant à ceux déjà présents, les amendements ont fait place à un statut protecteur unifié plus ambitieux. En effet, les articles 10 et 15 de la loi abrogent les différents articles ayant introduit une protection pour les lanceurs d'alerte428. Demeure l'article L.1132-3-3 du Code du travail issu de la loi du 6 décembre 2013 et l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ces deux textes modifiés ont ainsi établi une protection contre d'éventuelles représailles envers les lanceurs d'alerte salariés et fonctionnaires. En abolissant les régimes sectoriels et en fondant deux socles protectionnistes (celui des salariés et des fonctionnaires), la loi a refusé le statut de lanceur d'alerte aux associations et citoyens extérieurs à un lien de subordination. Ce véto manifeste le rejet législatif d'élever l'expression citoyenne et éthique au rang de lancement d'alerte.

427 R. MAYNARD PIRSIG, Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes, 1974, Edition Points, réédition de juin 2013, p.446

428 Le projet de loi abroge : les articles L. 1351-1 et L. 5312-4-2 du CSP, L. 1161-1 et L. 4133-5 du Code du travail, l'article 1er, les 3° et 4° de l'article 2 et l'article 12 de la loi Blandin, et l'article 25 de la loi du 11 octobre 2013. Demeure le régime sectoriel des agents de renseignement et la CNCTR mais sont supprimées certaines missions de la CNDA telles la définition des critères de recevabilité des alertes et la transmission de celles-ci aux autorités compétentes.

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Élément important, l'article 6 donne une définition élargie du lanceur d'alerte429 : « Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Avec cette nouvelle définition, plusieurs situations, y compris celle d'Antoine Deltour qui a révélé des pratiques scandaleuses mais qui ne violait aucune loi, sont recouvrées. Cette nouvelle définition fait entrer dans le champ de l'alerte le « lanceur diplomatique ». Les décisions diplomatiques irrégulières ayant un sérieux impact sur la politique internationale française pourront être dénoncées. Avec cette définition, l'affaire Hartmann aurait été traitée différemment et le scandale Plame-Wilson430 ne pourrait, en principe, se produire en France. Par ailleurs, l'article 86 de la loi a créé le délit de mauvais traitements exercés sur les animaux en abattoirs431. Par ce texte, les salariés des abattoirs ou d'établissements de transports qui dénonceront aux autorités des cas de maltraitances ou de manquements graves rentreront dans la définition des lanceurs d'alerte. En revanche, des salariés divulguant les procédés pratiqués sur les animaux en laboratoire et en élevage pour l'industrie textile ne seront pas protégés.

L'article 6 al 2 poursuit en énonçant que les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l'alerte défini par le présent chapitre.

En revanche, l'article 7 a nouvellement créé l'article 122-9 au sein du Code pénal. Celui-ci énonçant qu' « est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la

429 Sont retirés les termes initialement imaginés dans le projet de loi : « des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l'environnement, pour la santé, la sécurité publique ». Les citoyens n'ayant pas de lien de subordination avec l'institution dénoncée ont également été exclus de la définition des lanceurs d'alerte, à l'inverse de la loi Blandin de 2013.

430 Joe Wilson, ex-ambassadeur américain, va, à la demande des USA, enquêter au Niger en 2003 sur une éventuelle vente illégale de tubes d'uranium au bénéfice de l'Irak. L'objectif était de prouver que Saddam Hussein tentait de se procurer des matériaux pour acquérir l'arme nucléaire. Il ne découvre aucun élément probant. Malgré cette information, le 28 janvier 2003, Georges W. Bush allègue de la réalité de cette vente entre le Niger et l'Irak lors d'un discours important qui appelait au renversement de Saddam. Wilson, le 6 juillet 2003, dénonce, dans une tribune du New York Times, la manipulation diplomatique et la fausseté de la vente. Mettant en difficulté l'administration Bush, Lewis Lobby, membre du gouvernement, révèle à des journalistes l'identité de la femme de Wilson, Valérie Plame, qui est agent à la CIA au département anti-prolifération des armes. Ce scandale donnera lieu à l'ouverture d'une enquête puisqu'une loi de 1982 relative à la protection des agents secrets interdit toute divulgation d'identité (considérée comme un crime fédéral). La Cour suprême va exiger des journalistes la révélation de leur source (Libby n'étant pas le seul à avoir fait fuiter l'identité de Valérie Plame dans les médias). Selon le procureur, Libby aurait divulgué ces informations dans le but de sauver la crédibilité des justifications avancées, par l'administration Bush, pour renverser Saddam. Il sera condamné, le 5 juin 2007, à deux ans et demi d'emprisonnement et 250 000 dollars d'amende. Cependant, Bush utilisera son droit de grâce et le fera libérer le 2 juillet.

431 Il sera inséré au sein de l'article L.215-11 du Code rural et de la pêche maritime.

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sauvegarde des intérêts en cause, qu'elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d'alerte prévus à l'article 6 de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ». Ainsi, l'intérêt du public est supérieur à la sauvegarde d'un secret absolument protégé, si la divulgation est nécessaire et proportionnée.

Concernant une hypothétique irresponsabilité pénale a priori du lanceur d'alerte, le Sénat s'y était refusé. Les sénateurs avaient rappelé que « le fait d'avoir signalé une alerte n'est pas un droit reconnu a priori mais un moyen de défense pouvant être invoqué au cours d'un litige ».

Dans la loi, on retrouve les anciennes dispositions comme l'exigence de bonne foi, la nullité des mesures de représailles adoptées à l'encontre d'un lanceur d'alerte et le renversement de la charge de la preuve dans le cas où de telles mesures auraient été prises à son encontre (article 10 de loi)432.

Lors des débats sur le projet de loi, le Sénat avait énoncé que la bonne foi du lanceur d'alerte devait être remise en cause s'il ne respectai pas les canaux de signalement imposés 433. Avec un tel positionnement, poursuivi pour son alerte, le lanceur serait de fait condamné étant donné son manque de bonne foi. Celle-ci serait également remise en cause lors de son évocation comme moyen de défense. Le décryptage de la loi n'expose pas cette vision cependant, si les juges en font une interprétation stricte, il est probable que cet aspect réapparaisse.

Initialement, le projet de loi modifiait l'article L.861-3 du CSI, issu de la loi Renseignement, en ajoutant qu'un agent ne pouvait faire l'objet de mesure de représailles en cas d'alerte, s'il agissait de bonne foi. La bonne foi de l'agent étant évaluée par la CNCTR. Des amendements ont supprimé cette nouveauté. Cependant, l'article 15 de la loi a énoncé qu'« aucun militaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi Sapin II ».

C'est l'article 8 qui expose les canaux de signalement à la disposition du lanceur d'alerte. Selon l'article, l'alerte doit être portée à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci.

432 Cependant, selon l'art. L.1132-3-3 du Code du travail la personne doit présenter des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime. Elle doit donc démontrer qu'elle est une lanceuse d'alerte.

433 Selon le rapporteur sénatorial, il sera « nécessaire de déduire du non-respect de la procédure de signalement l'absence de bonne foi d'une personne signalant un fait dommageable à l'intérêt général ».

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En cas d'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte dans un délai raisonnable, le signalement est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. À défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public en dernier ressort. Innovation en matière de divulgation publique, l'article dispose qu'en cas de danger grave et imminent ou en présence d'un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être porté directement à la connaissance des organismes mentionnés et peut être rendu public (art. 8 II). Mais quelle est la signification de l'absence de prise en compte au regard du principe du silence de l'Administration vaut acceptation ? Qui appréciera l'urgence ? Ainsi, demeure une question prépondérante : Quels seront les éléments permettant de déterminer que l'alerte publique est légitime ?

L'article initialement rédigé énonçait que « si aucune suite n'est donnée à l'alerte dans un délai raisonnable, celle-ci peut être adressée [...] au Défenseur des droits, aux instances représentatives du personnel, aux ordres professionnels ou à toute association se proposant par ses statuts d'assister les lanceurs d'alerte [...] ». Cependant, les sénateurs ont retoqué substantiellement cette disposition. Toutes ces instances, personnes et associations ont disparu de la liste des organismes pouvant traiter une alerte434.

Autre nouveauté, l'article 8 III435 énonce que les personnes morales de droit public et privé de plus de cinquante salariés, les communes de plus de dix mille habitants et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre devront mettre en place des procédures internes pour recueillir les alertes émises par les membres de leur personnel ou des collaborateurs extérieurs. Désormais, ces instances pourront être des interlocuteurs privilégiés pour les lanceurs d'alerte et devront mettre en place des dispositifs de recueil et de traitement d'alertes, à l'instar des AU-004 dans les entreprises. Et s'il n'y a pas de prise en compte de l'alerte ou s'il y a urgence caractérisée, il sera considéré comme légitime à rendre cette information publique selon l'article 8 II.

434 Selon François Pillet, rapporteur du projet de loi au Sénat « le projet de loi tend à instituer le Défenseur des droits en une autorité de vérification de la véracité de l'alerte. Il apparaît cependant plus opportun d'en faire une « instance chargée de rediriger les alertes émises par des personnes ne sachant pas à quelle autorité s'adresser ». Il ne se prononcerait pas sur le caractère fondé de l'alerte mais orienterait vers les instances compétentes, que ce soit l'agence de prévention de la corruption, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, ou l'agence française de lutte contre le dopage ».

435 « Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'État, les communes de plus de 10 000 habitants ainsi que les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elles sont membres, les départements et les régions, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État ».

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En introduisant le nouvel article L.634-3 dans le Code monétaire et financier, l'article 16 de la loi, malgré sa volonté d'unifier le statut protecteur des lanceurs d'alerte, contribue au régime sectoriel déjà existant, puisque par cette disposition, il entend les encourager à saisir l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) de toute suspicion de manquements à la législation européenne, notamment relative aux marchés d'instruments financiers ou d'abus de marché.

L'article 13 I amorce un changement de paradigme important puisqu'est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, toute personne qui fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d'un signalement aux personnes et organismes mentionnés à l'article 8 (autorités judiciaires, administratives ou ordres professionnels). Prolongeant cette nouvelle approche protectrice, l'article 13 II de la loi énonce qu'en cas de plainte abusive pour diffamation envers un lanceur d'alerte, une sanction civile pourra être prononcée. Celle-ci étant portée à 30 000 euros.

Cependant l'article 15 de la loi a renforcé et durci les plausibles accusations portées contre les lanceurs d'alerte. En effet, l'article 226-10 du Code pénal punit un individu qui dénonce, à une autorité compétente, à un supérieur hiérarchique, des faits totalement ou partiellement inexacts pouvant entraîner des sanctions. L'article 15 de la loi a ajouté une disposition essentielle à l'infraction de dénonciation calomnieuse puisqu'il a introduit la formule « soit en dernier ressort en public ». Ainsi le lanceur d'alerte qui dénoncera publiquement des agissements répréhensibles pourra être poursuivi pour dénonciation calomnieuse.

Comme l'avait préconisé le Conseil d'État dans son étude, l'article 9 I de la loi établit que « les procédures mises en oeuvre pour recueillir les signalements garantissent une stricte confidentialité de l'identité des auteurs du signalement, des personnes visées par celui-ci et des informations recueillies par l'ensemble des destinataires du signalement ». Ajoutant que « les éléments de nature à identifier le lanceur d'alerte ne peuvent être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'avec le consentement de celui-ci ». L'article poursuit en énonçant que « les éléments de nature à identifier la personne mise en cause par un signalement ne peuvent être divulgués, sauf à l'autorité judiciaire, qu'une fois établi le caractère fondé de l'alerte ». La loi a ainsi souhaité protéger les personnes mises en cause en limitant les dégâts potentiels d'une alerte et un possible lynchage médiatique.

L'article 9 I punit le fait de divulguer tous ces éléments confidentiels de deux ans d'emprisonnement et de 50 000 euros d'amende.

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La loi a instauré une Agence française Anticorruption. Selon l'article 1er, c'est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre du budget, ayant pour mission d'aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme436. Dirigée par un magistrat de l'ordre judiciaire, elle est indépendante de toute instruction d'une autorité administrative ou gouvernementale mais ne peut émettre que des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé, et contrôler l'efficacité des procédures mises en oeuvre pour prévenir et détecter des comportements économiquement répréhensibles. Ces contrôles peuvent être également effectués à la demande du président de la HATVP, du Premier ministre, des ministres ou faire suite à un signalement transmis par une association agréée dans les conditions prévues par l'article 2-23 du CPP.

Mesure importante de l'article 3 6° bis, l'Agence avise le procureur de la République compétent des faits dont elle a eu connaissance dans l'exercice de ses missions et qui sont susceptibles de constituer un crime ou un délit. Lorsque ces faits sont susceptibles de relever de la compétence du procureur de la République financier, l'Agence en avise simultanément ce dernier. Avec cette nouvelle agence, le SCPC est amené à disparaître. Cependant, le projet de loi n'a pas encore établi si les lanceurs d'alerte entraient dans le giron des personnes pouvant la saisir et si celle-ci avait les compétences pour les protéger.

La loi a souhaité confier et unifier la protection du lanceur d'alerte autour d'un organe : le Défenseur des droits.

À cette fin, une proposition de loi organique n°3770 relative à la compétence du Défenseur des droits pour la protection des lanceurs d'alerte a été adoptée définitivement le 8 novembre 2016. Dans l'exposé des motifs, il était évoqué que le projet de loi Sapin II « jette les bases d'un régime de protection des lanceurs d'alerte » et que « la proposition de loi organique unifie et organise cette protection, en confiant sa mise en oeuvre au Défenseur des droits ».

Dans l'article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits a été ajouté un 5° énonçant que le Défenseur des droits a pour mission « d'orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne et, en tant que de besoin, de lui assurer une aide financière ou un secours financier ». Enfin, l'article 20 de la loi de 2011 a été

436 Les députés ont refusé à l'agence la qualité d'autorité administrative indépendante (AAI). Selon eux, l'agence a pour charge des missions régaliennes importantes et doit donc être rattachée à l'exécutif. Cependant, ils souhaitent lui donner une autonomie fonctionnelle.

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complété par l'alinéa suivant « les personnes ayant saisi le Défenseur des droits ne peuvent faire l'objet, pour ce motif, de mesures de rétorsion ou de représailles ». Les Sénateurs ont refusé de donner un rôle charnière au Défenseur des droits. Néanmoins, il reste un élément important dans la protection puisque l'article 8 IV de la loi Sapin II a énoncé que « toute personne peut adresser son signalement au Défenseur des droits afin d'être orientée vers l'organisme approprié de recueil de l'alerte ». Ainsi, les services du Défenseur des droits pourront centraliser les démarches et laisseront les autorités sectorielles (financière, sanitaire, environnementale, etc.) existantes évaluer la pertinence des signalements reçus.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un article 14 innovant qui dispose que « le Défenseur des droits peut accorder, sur sa demande, à une personne physique qui engage une action en justice en vue de faire reconnaître une mesure défavorable prise à son encontre au seul motif du signalement qu'elle a effectué en application de l'article 6 une aide financière sous la forme d'une avance sur les frais de procédure exposés ». Le montant de cette aide est déterminé en fonction des ressources de la personne et en tenant compte de la nature de la mesure défavorable dont elle entend faire reconnaître l'illégalité lorsque cette mesure emporte privation ou diminution de sa rémunération.

Cependant cette aide pourra être refusée lorsque les faits n'ont pas été signalés dans les conditions prévues par la loi. Le terme « aide financière » manifeste cette volonté de différencier la rémunération des lanceurs d'alerte et le dédommagement financier suite à des représailles.

Néanmoins, l'Assemblée nationale a refusé une disposition votée en première lecture, qui pourtant aurait été une avancée décisive. En effet, un alinéa ajoutait que cette aide financière « peut être exceptionnellement accordée aux personnes morales à but non lucratif ». Par cette formule, le texte faisait entrer partiellement les associations dans le domaine des lanceurs d'alerte. Cette disposition n'a pas été retenue et ainsi se réitère l'idée que les lanceurs d'alerte ne peuvent être que des individus soumis à un lien hiérarchique.

Après l'adoption de la loi Sapin II, un amendement n°II-CF275 au projet de loi de finances 2017 a introduit un article L.10 BAA au sein du livre des procédures fiscales qui autorise l'Administration fiscale à rémunérer toute personne étrangère aux administrations publiques dénonçant des comportements frauduleux et des manquements à une obligation fiscale. La mesure doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017 mais sera exécutée à titre expérimentale durant deux années. Le Gouvernement a précisé qu'une fois rétribués, ces informateurs ne pourront prétendre juridiquement au statut protecteur créé par la loi Sapin II, puisque celui-ci suppose d'agir de manière désintéressée. Par cette inédite réforme, le Gouvernement marque une rupture dans la tradition française qui se refusait à payer des

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renseignements fiscaux. Cette pratique récurrente dans plusieurs pays étrangers va, dès lors, s'exercer en France.

L'article 12 de la loi précise qu'en cas de rupture d'une relation de travail résultant d'une alerte, le salarié pourra saisir le Conseil des prud'hommes dans les conditions prévues par le Code du travail437.

L'article 11 énonce également la création d'un article L.911-1-1 au sein du Code de la justice administrative permettant à toute personne (agent public et privé) ayant fait l'objet de mesure de représailles à la suite d'une alerte d'être réintégrée. Et ce même lorsque cette personne était liée par une relation à durée déterminée avec la personne morale de droit public ou l'organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public.

Ainsi, sont les principales dispositions innovantes de la loi Sapin II.

Ambitieux, le texte ne s'est pourtant pas penché sur une revalorisation et un examen des moyens de défense à la disposition des lanceurs d'alerte. À l'instar des autres lois françaises qui se limitent à protéger le lanceur d'alerte contre toutes formes de représailles sans s'étendre à un ensemble plus protectionniste. À l'avenir, et pour se conformer aux standards européens, une réforme davantage concordante devra s'accomplir.

Corollaire de cette avancée majeure, une proposition de loi n° 3465 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias a été adoptée définitivement le 6 octobre 2016 (texte n° 820). Dans son article 1er quater, elle souhaitait modifier l'article L. 1351-1 du CSP en introduisant la possibilité d'alerter un journaliste à la suite d'une dénonciation à son employeur. Le 30 mars 2016, les députés ont supprimé l'article, jugeant qu'il contribuait au morcellement de la législation sur les lanceurs d'alerte.

On voit donc la tentaculaire difficulté qu'a le pouvoir législatif à autoriser les dénonciations publiques. Une balance de protection doit être trouvée entre dénonciation publique nécessaire et inévitable pour que la pression populaire permette la cessation d'agissements répréhensibles, et préservation de la réputation d'individus qui confrontés à une critique publique peuvent subir de lourds préjudices et un dénigrement difficilement surmontable.

437 Le Conseil des prud'hommes peut être saisi par un salarié contestant la rupture du contrat de travail et en application des articles R. 1455-5 et R. 1455-6 du Code du travail « ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend » et peut toujours « même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage ou faire cesser un trouble manifestement illicite, même en cas de contestation sérieuse ». L'article L. 1451-1 prévoit que le Conseil des prud'hommes saisi d'une demande de qualification de la rupture du contrat de travail en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur statue au fond dans un délai d'un mois.

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En revanche, la loi a réaffirmé et consolidé la protection des sources dans différents articles. La puissance de cette loi nouvelle sera à évaluer lorsque des journalistes seront poursuivis pour être complices de lanceurs d'alerte438.

Ainsi, pour répondre à la question initiale de savoir si les lanceurs d'alerte français sont protégés, il est essentiel de retenir qu'actuellement cette protection est éparse et improductive mais, qu'à l'avenir, elle pourra s'étendre sous réserve d'une refonte du droit positif français et d'une conformité aux standards européens. Ces conditions permettant d'esquisser pleinement un réel statut protecteur des lanceurs d'alerte. Le seul palliatif existant est, pour l'instant, la jurisprudence constructive de la CEDH mais appliquée de manière aléatoire en France, elle ne suffit pas. Ces avancées décisives permettront de dire si dans un futur proche la France, comme d'autres pays européens, est entrée de plain-pied dans la prise en charge des lanceurs d'alerte.

Retenons que la moralisation de la vie publique par l'action d'un lanceur d'alerte est essentielle à la collectivité mais, seul dans cette démarche, le but à atteindre apparaît fragilisé. Le lanceur d'alerte ne doit pas endosser une responsabilité qui, en principe, relève du responsable politique.

À ce propos Jean-Philippe Foegle rappelait qu'« il y a un danger à faire du lanceur d'alerte un « héros de la démocratie » puisque désormais seul en piste sur le front de la défense des valeurs libérales »439.

438 L'article 4 IV de la de loi modifie l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 en ces termes : « La détention, par une personne mentionnée au I du présent article, de documents, d'images ou d'enregistrements sonores ou audiovisuels, quel qu'en soit le support, provenant du délit de violation du secret professionnel ou du secret de l'enquête ou de l'instruction ou du délit d'atteinte à l'intimité de la vie privée ne peut constituer le délit de recel prévu à l'article 321-1 du Code pénal ou le délit prévu à l'article 226-2 du même code lorsque ces documents, images ou enregistrements sonores ou audiovisuels contiennent des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique. »

439 JP FOEGLE, « De Washington à Paris, la « protection en carton » des agents secrets lanceurs d'alerte », La Revue des droits de l'homme, Actualités droits-libertés, 4 juin 2015, p. 15-23

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand