WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Sagesse et destinée tragique dans la philosophie de Schopenhauer

( Télécharger le fichier original )
par Sylvain Sella
Université Paul Valéry Montpellier III - Master 1 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I,2La reconnaissance de la Volonté

Si le monde n'est que représentation,alors son intérêt pour nous apparaît faible et insignifiant. « Si le monde n'est rien d'autre qu'une

représentation,auquel cas il devrait passer devant nous comme un rêve dépourvu de consistance ou une chimère fantomatique,sans mériter notre attention »21 .Dés lors,Schopenhauer nous invite à chercher ailleurs ,l'essence du monde,car la représentation n'en est que l'aspect visible et superficiel, « l'interface graphique »,et il convient de nous saisir du coeur des choses sous peine de rester dans un idéalisme stérile ou qui ne pourrait trouver sa justification que dans une abstraction ad hoc comme le Dieu de Berkeley(c'est nous qui soulignons),seul capable en dernier recours de sauver l'inter-subjectivité et le sens de l'existence humaine. Il faut définitivement nous tourner vers la face cachée de la création afin d'en extraire le sens: « D'emblée une chose est certaine,c'est que ce que nous recherchons doit nécessairement être,par toute son essence,quelque chose d'entièrement ,de fondamentalement différent de la représentation »22. En cherchant la clé du problème dans la représentation c'est manquer sa cible et c'est pourtant une erreur commise par la philosophie

jusqu'ici.: « Pourtant, c'est là le chemin qu'ont suivi tous les philosophes avant moi »23. Or cet oubli va être à l'origine d' une double erreur;méconnaissance de le nature du monde et aussi du sujet qui le perçoit,lui interdisant par là l'accès à la vérité: « En réalité, la signification recherchée du monde,en tant qu'il se présente à moi simplement comme ma représentation...serait à jamais impossible à découvrir si le chercheur n'était lui- même rien de plus que le sujet connaissant(une tête d'ange ailée privée de corps).Or ,lui-même a des racines dans ce monde et l'habite en tant qu'individu.. »24 ;l'individu est conscient de son corps non pas seulement comme objet de sa perception,ce qui deviendrait un solipsisme intenable,mais se connaît immédiatement aussi comme une volonté de vivre et ce de façon indéniable et il faut voir ici comme le point fort de la philosophie de Schopenhauer. En effet, bien avant même de trouver une justification quelconque aux choses ,il nous faut bien reconnaître que d'abord nous sommes volonté de vivre et que c'est d'une telle évidence que nous n'y pensons presque jamais,et la vérité de nôtre existence nous échappe à la façon de la lettre volée d'Oscar Wilde. Spinoza a bien parler de « persévérer dans son être » mais il ne l'a pas érigé en premier principe et n'en a pas tiré toutes les conséquences. Pour Schopenhauer,l'individu peut connaître sans intermédiaire ce qu'il est dans sa réalité essentielle,cette volonté de vivre,qu'il appelle volonté ou Volonté pour souligner son aspect omniprésent dans la nature même si son origine est tout à fait inconnue et restera inconnaissable: « l'énigme est bien plutôt donnée au sujet de la connaissance,lequel se manifeste comme individu:et

ce mot est volonté »25 L'individu,parce qu'il connaît qu'il est son propre corps,connaît en même temps ce qui l'anime et qui constitue son essence. En fait ,les deux sont inséparables,l'homme est ainsi le « nexus » du monde,lieu du croisement de la volonté et de sa représentation. Le corps peut faire l'objet d'une double connaissance;extérieure en tant que phénomène perceptible et intérieure en tant que volonté que nous sentons; Gardons-nous bien de considérer la volonté comme un entité séparée du corps et qui l'animerait d' « en haut »,un peu comme une âme;corps et volonté ne peuvent être considérés séparément: « L'acte de la volonté et l'action du corps ne sont pas deux états objectifs connus différemment,articulés par le lien de la causalité,le rapport qu'ils entretiennent entre eux n'est pas celui de la cause à l'effet ,ils sont une seule et même chose »26. Le corps humain est un lieu capital dans la philosophie de Schopenhauer ,car il va constituer le moment de la rencontre ,de réunion de la volonté. A travers le corps,la Volonté devient objet de représentation pour elle-même: « Je le nommerai ici,(le corps)..l'objectité de la volonté »27. Cette reconnaissance de la Volonté est le fondement du système de Schopenhauer et ce qui distingue vraiment sa métaphysique par rapport à celles du passé fondées sur un ou des principes abstraits. Ici,nous restons bien dans le domaine de l'expérience et même au coeur de celle-ci;ce corps que nous sommes n'est autre que le grand « principe » animateur de toutes choses lui-même: « c'est la raison pour laquelle je souhaiterais distinguer cette vérité avant toutes les autres et la nommer vérité philosophique. On peut tourner de manière différente l'expression de celle-ci et dire:mon corps et ma volonté ne font qu'UN,ou ce que je nomme,en tant que représentation intuitive,mon corps,je le nomme ma volonté dans la mesure où j'en ai conscience d'une manière absolument différente..abstraction faite que mon corps est ma représentation ,il n'est jamais que ma volonté,..28 . La conscience est la clé de l'énigme de l'existence et la réunion de l'individu et du

monde: « ainsi,sous ce double rapport,chacun est lui-même le monde entier,le microcosme;chacun trouve les deux faces du monde pleines et entières en lui »29 . De façon presque inattendue,nous retrouvons dans cette philosophie ,le thème fondamental de la métaphysique immémoriale,la rupture de l'unité causée par l'avènement de l'existence, ceci pour mieux se retrouver afin de se connaître , d'où le caractère essentiellement « tragique »de toute vie. Nous analyserons plus loin cette conception de la métaphysique « traditionnelle » ,dont le principe s'avère finalement très proche,aussi, de la logique hégélienne. Mais revenons au

corps,cette jonction de la volonté et de sa représentation ,leur inséparabilité. Il s'ensuit que la volonté se manifeste immédiatement et directement par un changement corporel et réciproquement,une action extérieure sur le corps produit inévitablement un changement dans la volonté. Ainsi,la volonté particulière, individualisée dans un être vivant rencontre essentiellement deux choses;ce qui est en accord avec elle et ce qui la contrarie. Évidemment,cela nous touche directement sans avoir besoin de se la représenter: « Il a pour nom douleur s'il contrecarre la volonté ou bien bien-être et volupté s'il lui est conforme »30 . La nature de la volonté est bien entendu la même dans tous les êtres vivants mais les motifs qui poussent à l'action divergent chez chacun en fonction de leurs intérêts et besoins. C'est à ce moment qu'il convient d'introduire la distinction entre la Volonté métaphysique ,cosmologique et la volonté de vivre dont l'expression visible est la « lutte pour la vie »,formule chère à Darwin,dont la théorie de l'évolution est toujours largement validée et utilisée par la science contemporaine. Ceci pour dire que la philosophie de l'auteur du Monde,peut être considérée comme une intuition anticipatrice de la théorie de l'évolution du vivant, en particulier en ce qui concerne la « stratégie de la reproduction ».,sa pensée,cependant, s'accorde mieux avec la position de Lamarck;le transformisme de ce dernier faisant appel à un principe interne qui pourrait être rapproché de la volonté. Cependant, nous verrons que la conception « fixiste » des espèces que présente Schopenhauer,à cet égard ,diverge complétement de ladite théorie et s'écarte de toute scientificité.

C'est par une expérience intérieure évidente que nous faisons la découverte de la volonté en nous, mais comme nous ne sommes pas en même temps les autres êtres vivants,c'est par analogie qu'il devient possible de penser que ,en ce qui concerne les autres corps ,il en est de même que pour nous.;eux aussi doivent être la volonté. Schopenhauer,se trouve confronté à la nécessite de reconnaître aux autres corps que nous percevons ,le même statut ontologique que le nôtre sous peine de tomber dans un solipsisme complétement stérile et intenable d'un point de vue pratique: « Il serait certes impossible de réfuter l'égoïsme théorique par des démonstrations;toutefois il n'a jamais été utilisé en philosophie autrement qu'en tant que sophisme sceptique,c'est à dire comme faux-semblant. En tant que conviction sérieuse,en revanche,on n'a jamais pu le rencontrer que dans une maison de fous .. »31. Les autres corps doivent eux aussi être volonté et non pas seulement

représentation: « Si donc ,le monde des corps doit être quelque chose de

plus que notre seule représentation,il nous faut nécessairement dire que au delà de sa représentation,donc ,en soi et d'après son essence la plus intime,il est ce que nous trouvons en nous immédiatement en tant que volonté »32. Un monde peuplé de fantômes serait proprement insensé et les êtres tiennent nécessairement leur réalité concrète de la volonté,mieux ils sont la volonté,et poursuivant ainsi,Schopenhauer va trouver de la volonté partout: « en prolongeant sa réflexion,il sera amené à reconnaître qu'elle est aussi la force qui agit et végète dans les plantes,cette même force qui fait prendre le cristal,qui dirige l'aimant vers le pôle Nord...jusqu'à la gravité qui agit si violemment sur toute matière,attirant la pierre vers la Terre et la Terre vers le Soleil »33 En procédant toujours par analogie,notre philosophe,prolonge donc le royaume de la Volonté jusque dans le monde inorganique et dans les forces élémentaires et cosmiques. La Volonté est omniprésente ,elle est tout autant visible dans l'individu que dans l'espèce qu'il représente :« La Volonté se manifeste aussi entièrement et aussi intensément dans un seul chêne que dans un million de chênes »34 . Cependant,la Volonté comporte des degrés d'objectivation et par conséquent de visibilité dans le monde phénoménal: « Son objectivation possède ainsi des gradations aussi infinies que celles qu'il y a entre l'aube la plus pâle et la lumière du soleil la plus éclatante »35Tout l'univers est une manifestation progressive de la volonté quant à son apparition et non à sa nature,car elle se donne entièrement à chaque stade présent,mais elle se dévoile peu à peu. Ainsi,les forces élémentaires en constituent le plus bas degré de visibilité : « Les forces les plus universelles se présentent dans la nature comme le degré minimal d'objectivation de la Volonté. D'une part elles apparaissent sans exception en toute matière comme pesanteur,impénétrabilité et, d'autre part,elles se sont reparties entre elles dans la matière présente en sorte que certaines en dominent d'autres et que ,précisément de ce fait,telles autres dominent diverses matières spécifiques,comme la solidité,la fluidité,l'élasticité,l'électricité ,le magnétisme,les propriétés chimiques de toutes sortes »36 Par la suite ,la Volonté va continuer de s'affirmer dans le spectacle grandiose qu'offre la vie de la nature du règne minéral jusqu'à l'homme;un infinie variété d'attractions et de répulsions constituant une lutte perpétuelle pour la vie. Il y a bien une direction,comme une marche ascendante de la

« création »,mais il n'y a pas d'origine et pas de fin,une destinée tragique pour un Être comme en manque de lui-même. La notion bouddhique de soif d'exister ,tanha,semble proche de la volonté de vivre de Schopenhauer;pas de Dieu,ni d'origine,sans raison et sans but: « L'absence

de tout but et de toute limite est,en effet,essentielle à la volonté en soi »37 . Le monde organique devient ainsi l'expression d'une sorte d'affolement insensé,d'un désir prisonnier de lui-même: « La souffrance du monde animal se justifie seulement par le fait que la volonté de vivre,ne trouvant rien en dehors d'elle-même dans le monde des phénomènes et étant une volonté affamée,doit dévorer sa propre chair »38. L'antique symbole du serpent qui se mord la queue pourrait être assez approprié pour illustrer le circuit fermé que la nature forme avec elle-même: « l'électricité reproduit à l'infini sa propre division interne. Aussi longtemps que fonctionne la pile ,le galvanisme est également un acte sans but constamment renouvelé qui divise et réconcilie. L'existence de la plante est elle aussi un désir sans repos,jamais satisfait,une poussée incessante à travers des formes toujours plus élevées,jusqu'à ce que le point d'arrivée ,la graine,devienne de nouveau le point de départ,et ce répété à l'infini.. »39. La vie n'offrirait pas d'autre perspective que celle d'une répétition incessante à l'identique. Ce vouloir vivre,n'est pas seulement compulsif mais également impitoyable et violent: « La lutte intime de la volonté qui s'objective dans toutes ses idées se traduit dans la guerre à mort,guerre sans trêve que se font les individus de ces espèces et dans le conflit éternel et réciproque des phénomènes des forces des forces naturelles »40 Il ne faut pas s'y tromper, le lieu terrestre de la vie n'est pas un lieu de paix et de fraternité: « une créature vivante ne peut entretenir sa vie qu'aux dépens d'une autre »41 L'harmonie dont parfois nous nous émerveillons,n'est en fait qu'une vue superficielle des choses ,car il n' ait en fait que l'expression d'un principe d' économie dû à la nécessaire conservation de la vie. Cet amour de la vie ,eu égard à la conscience est proprement injustifiable car « le jeu n'en vaut pas la chandelle »;le plaisir de vivre n'a pas de caractère positif et ne provient que de la satisfaction momentanée de besoins qui se renouvelleront bientôt ou réapparaîtront sous une autre forme;le désir comblé n'apporte pas ici la plénitude, mais l'ennui qui devient le calvaire des gens oisifs. L'attachement à la vie apparaît ainsi comme tout à fait déraisonnable,mais l'intellect est très rarement lucide sur ce point car il est aveuglé et motivé par la volonté.

I, 3.Le « noeud » de la Volonté;l'homme »

Ceci dit ,le caractère compulsif de l'existence du vivant ,ne veut pas dire pour autant qu'il est un pur chaos. Au contraire,puisque Schopenhauer se sert de la théorie platonicienne des Idées pour exprimer sa hiérarchie naturelle: « Les degrés d'objectivation de

la volonté ne sont rien d'autre que les Idées de Platon. »42 . Si la Volonté dans son aspect essentiel peut être comparée à une force brute,la hiérarchie du vivant nous révèle un arrangement modèle fondé sur des formes archétypales,les différentes espèces. Notre philosophe ,sur ce point,reste encore captif de la vision antique du Cosmos,avec un modèle fixe et éternel et la science qui va montrer l'évolution de la Terre et du vivant,n'est pas encore, et en particulier la révolution darwinienne. Cette représentation que la Volonté s'offre à elle même ne se révèle qu'à partir de l'homme,sa folle course en avant semble bien avoir atteint une étape essentielle et certainement décisive;la lecture de Schopenhauer pose cette question difficile:Comment la Volonté qui n'est pas consciente à l'origine peut elle avoir l'intention de se voir elle même?Pourtant,il est clair que l'objectivation de la volonté arrive à « maturité »par l'intermédiaire de l'existence humaine et qu'il y a une « solidarité » évidente des règnes inférieurs à cette fin: « Bien que ce soit en l'homme en tant qu'idée(platonicienne)que la volonté trouve son objectivation la plus évidente et la plus parfaite,cette Idée ne peut cependant pas exprimer à elle seule son essence. L'idée de l'homme n'a pu,afin d'apparaître dans sa signification appropriée,se présenter seule et détachée,elle a dû être accompagnée de toute la succession décroissante des degrés,passant par toutes les formations animales,par le règne végétal jusqu'à l'inorganique:il a fallu que tous se complètent pour arriver à l'objectivation complète de la Volonté. »43 .En partant d'une volonté « diabolique »,l'objectivation de celle -ci nous rapproche de l'idée présente dans la tradition biblique de l'homme « roi » de la création bien qu'ici,il s'agisse de son explication philosophique: « Tous ces degrés sont présupposés par l'Idée de l'homme,tout comme les bourgeons des arbres présupposent les feuilles,les branchages,le tronc et les racines:ils forment une pyramide dont l'homme est le sommet. »44 . Il existe bien un sens dans cette représentation de la volonté,dont le philosophe précisément est le témoin et

l'interprète: « ..cette cohérence essentielle entre toutes les parties du monde,de cette nécessité de leur gradation,que nous venons de considérer,s'ouvrira à nous une intelligence vraie et suffisante de l'essence intime et de la Finalité indéniable de tous les produits organiques de la nature »45 . Les phénomènes les plus archaïques,élémentaires dans la nature sont bien évidemment des forces impersonnelles et constituent les matériaux de base pour un formation beaucoup plus avancée,l'individu humain, qui apparaît pour le coup comme un miracle impensable tant le chemin parcouru pouvait sembler improbable. Donc, avec l'homme, la

Volonté s'individualise;totalement indifférenciée dans son essence,elle s'exprime désormais d'une façon particulière et qui se remarque chez l'homme par une physionomie,un visage unique. Mais ,bien plus,c'est surtout dans son caractère que chaque individu va manifester quelque chose de personnel et d'irremplaçable. Nous reviendrons plus longuement sur la question lorsque nous aborderons la question du déterminisme,mais à présent nous pouvons déjà considérer le caractère intelligible comme un acte de la Volonté se manifestant comme une idée particulière,l'essence morale de la personne, mais qui sera manifestée et connue seulement dans la vie de l'individu,en quoi ,Schopenhauer parlera de caractère empirique,celui dont les traits sont bien visibles. L'homme ne peut se changer par un acte de sa volonté, car ce qui veut en lui ,c'est précisément la Volonté. En revanche le parcours de sa vie peut lui servir à se connaître et il peut parvenir à vivre en accord avec son essence. Cette direction juste donnée à sa vie,fera de lui un homme de « caractère »,un homme décidé car il a appris à agir en conformité avec sa vraie nature et cette démarche implique de renoncer à l'inessentiel,à l'accessoire;c'est ce que Schopenhauer appelle le caractère acquis. Cette analyse sera reprise dans le détail plus loin,mais ici,elle nous est utile pour introduire ce moment de grâce pour l'homme,l'instant où,pleinement conséquent avec lui -même ,il dépasse la peur de la mort elle-même. A ce moment de l'odyssée de la Volonté,l'homme devient le grand affirmateur de la vie et s'identifie à son être indestructible(Volonté)par delà les vicissitudes individuelles. Ce passage assez peu mentionné de l'oeuvre de Schopenhauer,constitue une préfiguration d« surhomme »Nietzschéen et de l'éternel retour du même : «..il envisagerait avec impassibilité la mort qui s'approche à toute vitesse sur les ailes du temps,considérant qu'elle est une illusion,un fantôme impuissant susceptible d'épouvanter les faibles mais sans aucun pouvoir sur celui qui sait qu'il est lui-même cette volonté dont le monde tout entier est l'objectivation ou l'image. Cet homme là est par conséquent certain de posséder toujours la vie,tout comme le présent,la forme véritable et unique du phénomène de la volonté »46 . Cet extrait du Gai Savoir qui suit immédiatement permet de voir la proximité avec la pensée de Nietzsche et de réaliser que Schopenhauer ,a eu ,lui aussi,son

moment « dionysiaque » : « Si cette pensée prenait barre sur toi,elle te transformerait peut-être,et peut -être t'anéantirait;tu te demanderais à propos de tout « veux-tu cela,le reveux- tu?une fois? Toujours?à l'infini?ou alors ah!comme il faudrait que tu t'aimes toi-même et que tu aimes la vie pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle

confirmation »47 . L'ultime pensée de Nietzsche,sommet de sa « volonté de puissance »est un moment de la phénoménalisation de la volonté reconnu par Schopenhauer ainsi que l'atteste ce passage: « ..un homme qui serait bien plutôt satisfait par la vie,qui s'y sentirait parfaitement bien,et qui après mûre réflexion,souhaiterait la durée infinie,ou le retour toujours renouvelé du cours de sa vie tel qu'il en a fait l'expérience jusqu'ici,et dont le courage de vivre serait développe à ce point qu'il serait volontiers prêt à payer le prix le prix de tous les maux et de toutes les peines sous lesquels croule la vie pour pouvoir profiter de ses plaisirs »48 . Il est surement autant question de parenté que de rupture en ce qui concerne les deux philosophes et Schopenhauer aussi a parlé de cette affirmation inconditionnelle de la volonté par de là la vie et la mort notamment grâce à son analyse de la Bhagavad-Gîtâ .Ce texte,à côté de son aspect religieux, soulève et tente d'éclairer les grandes questions métaphysiques de la relation de l'homme à l'absolu,de la valeur de l'action dans un monde « illusoire »de la destinée et du salut. Le « chant du bienheureux » est en premier lieu une prescription morale consistant en l'obligation d'agir sans espoir de récompense, seulement par devoir,enseignée ici par Dieu(Krishna) à l'homme (Arjuna).Ainsi que nous l'avons déjà évoqué,selon Schopenhauer ,les allégories religieuses cachent des vérités philosophiques plus profondes(déjà partiellement abordées dans le texte lui même,en l'occurrence)Ici ,Arjuna symbolise l'homme assailli par les difficultés,les contradictions,les doutes au sujet de la valeur de l'existence et qui sombre dans le désespoir;sur ce champ de bataille où il doit affronter les membres de sa propre famille,Krishna intervient pour lui enseigner que la vérité se situe dans l'accomplissement de son devoir-destin(dharma),non dans la crainte de celui-ci,en s'affranchissant des notions relatives de succès et d'échec,de bien et de mal,de vivre ou de mourir. Le salut réside dans l'affirmation héroïco-tragique de la vie qui appelle un dépassement du couple des contraires dans l'action oublieuse de l'ego et dans la reconnaissance de l'être indestructible qui nous fonde. Il va s'agir d'un moment où la volonté et la connaissance marchent de concert et s'éclairent mutuellement: « La volonté s'affirme elle-même signifie que,lorsque dans son objectité,c'est à dire dans le monde et dans la vie,sa propre essence,en tant que représentation,lui est donnée complétement et clairement,cette connaissance n'entrave nullement son vouloir,car c'est précisément cette vie ainsi connue qui,comme telle,est maintenant voulue par elle,non plus comme une pulsion aveugle,sans connaissance mais désormais avec connaissance,conscience,réflexion »49 . Il se produit un

accord entre l'homme et son être essentiel;l'individu ne fait plus qu'un avec la volonté et devient l'incarnation du sens de la vie: « Car c'est en cela que consiste pour la connaissance,le point de vue de la totale affirmation de la volonté de vivre »50.

Paradoxalement,cette affirmation n'est possible que grâce à une forme de renoncement,peut-être d'ailleurs la seule possible réellement et qui consiste à vivre par et pour le Tout,mais selon Schopenhauer,le véritable acte libre de la volonté, c'est ne plus vouloir. Il y a un moment où la volonté croise son propre regard et se connaît elle-même et de ce fait réalise son destin. On peut parler de sagesse tragique car la destinée de la volonté ne comporte pas la notion d'un accomplissement positif ,mais plutôt la prise de conscience d'une situation sans issue. La vérité va se révéler pleinement lorsque nous nous réveillerons de ce cauchemar qu'est la vie. L'intuition de Schopenhauer remonte à sa jeunesse et constitue son unique pensée ainsi qu'il le précise dés les premières lignes de son grand ouvrage. En un sens,la vie n'est pas l'état normal de l'être et notre court passage, qu'un clin d'oeil entre deux néants: « Il faudrait regarder notre vie comme un prêt fait par la mort »51 . On retrouve là ,le thème gnostique du mauvais démiurge,et l'on sait que Descartes n'en exclua pas la possibilité,bien au contraire lors de sa réflexion fondatrice;la création elle-même serait pure illusion méchante et trompeuse causée par un illusionniste usurpateur ce faisant passer pour le vrai Dieu. Par là même,il convient de reconnaître avec le Bouddha que tout vie est souffrance et qu'aucun bonheur durable n'est à espérer dans une existence par définition limitée. Concrètement,la vie humaine est bornée de la sorte: « Sa vie,tel un pendule,balance alors entre la douleur et l'ennui,les deux constituant concrètement ses éléments ultimes. C'est ce que ,fort curieusement,on a pu exprimer en disant qu'après que l'homme eut transféré toutes les souffrances et tous les tourments dans l'enfer,il ne restait précisent plus que l'ennui pour le ciel »52 . L'homme se trouve placé à un point de rencontre et de tension maximale,il est l'être le plus conscient et en tant que tel,l'objectivation la plus parfaite de la volonté. Ceci est en fait terriblement affligeant car il devient aussi l'expression de toute l'exigence, la force, la diversité et la complexité infinie d'une volonté intarissable,véritable tonneau des Danaïdes: « L'homme en tant qu'objectivation la plus parfaite de cette volonté,est donc aussi le plus nécessiteux parmi tous les êtres;il est du vouloir concret et du besoin de part en part,il est une concrétion de mille besoins. Affligé de ceux-ci,il se tient sur la terre remis à lui-même,certain de rien sauf de son indigence et

de son dénuement »53. Ainsi,l'homme,phénomène le plus remarquable de cette volonté dans la nature est aussi le pire car il est affublé d'un ego en lequel,c'est toute l'essence de la volonté qui s'exprime également,lui imposant de conserver son corps et un sens aigu de sa propre identité ;ce qui le rend fondamentalement vaniteux. En dépit d'une réalité malheureuse évidente,il tient à défendre sa fierté sur ce point, en affirmant,devant les autres, qu'il est heureux;n'est-ce pas de cette façon que l'on justifie le mieux notre volonté de vivre? Et ce, par tous les signes extérieurs de réussite: « Le luxe et l'éclat que tout un chacun a pu acquérir seront ostensiblement affichés,et plus la satisfaction intérieure lui fera défaut,plus il souhaitera passer pour heureux dans l'opinion d'autrui..dans presque toutes les langues vanité,Eitelkeit,vanitas signifie initialement vacuité et néant »54 . Le discours de Schopenhauer n'est pas moralisateur mais rend compte fidèlement d'une situation incontournable;l'aspect du vouloir en l'homme le pousse complétement à l'égoïsme car le monde qu'il perçoit est son monde et la volonté de vivre en lui ,la seule chose bien réelle: « Chaque individu connaissant est en vérité la volonté de vivre tout entière,ou l'en soi du monde même,et se considère comme tel et également comme la condition complémentaire du monde comme représentation,donc comme un microcosme censé valoir autant que le macrocosme »55.

La volonté dans l'homme,c'est l'expression de notre propre importance et la rencontre des différents « moi » ne se fait pas ,la plupart du temps du temps dans le monde civilisé,d'une manière directe et frontale mais filtré par l'intellect qui examine et présente les différents motifs de la volonté .Les hommes s'apparaissent et se cachent les uns aux autres sous des masques d'emprunts et des costumes d'apparats divers et variés,faisant de la civilisation un mensonge nécessaire pour mieux dissimuler l'évidence;la recherche exclusive de l'intérêt personnel: « Notre monde civilisé n'est bien qu'une grande mascarade!on y rencontre des chevaliers, des curés,des soldats,des docteurs,des avocats,des prêtres et des philosophes et ce n'est pas tout!Mais ils ne sont pas ce qu'ils représentent:ils sont seulement des masques derrière lesquels se cachent généralement des spéculateurs(money makers) »56 . Cette critique sociale et de la nature humaine a été brillamment faite par La Rochefoucauld dont Schopenhauer fait mention à plusieurs reprises. In fine ,ce sont les commerçants les plus honnêtes, car ils affichent clairement leurs intentions. Notre penseur parle en connaissance de cause,lui qui a fait son apprentissage dans la profession avec son père. Il souligne d'ailleurs le

grand avantage qu'il y a à être affranchi très tôt sur le sujet,ce qui s'avérera doublement utile, tant sur le plan pratique que théorique. Parcourant l'Europe en tant que futur homme d'affaires,il restera profondément marqué par cette initiation à la connaissance réelle des hommes sous toutes leurs facettes. Cette pantomime marchande est peut-être grotesque mais elle n'est rien à côté de ce dont l'homme est encore capable;c'est l'esclavagisme qui révolte particulièrement Schopenhauer qui requiert une condamnation sans appel: « Mais il faut faire des considérations plus sérieuses et dire des choses pires. L'homme est au fond un animal sauvage épouvantable...celui qui voudrait être éclairé là dessus,peut puiser dans un centaine de récits anciens et modernes ,la conviction que l'homme ne le cède en rien au tigre ni à la hyène en cruauté ni en inexorabilité..car ce que le lecteur de ce livre(un rapport sur l'esclavage fait par la British Antislavery Society à son homologue américaine,Londres 1841)peut jamais avoir entendu dire..et lui semblera dérisoire quand il lira comment ces démons à forme humaine,ces bigots qui vont à l'église ..traitent leurs frères noirs innocents qui sont tombés dans leurs griffes diaboliques.. »57 . Il n'est sûrement pas nécessaire de multiplier les exemples de méchanceté(laquelle est liée à la véhémence de la volonté de vivre)mais de voir que Schopenhauer annonce la critique du rationalisme optimiste particulièrement présente au XXiéme siècle ;on se posera ,en effet, la question de l'utilité de la philosophie et de la science après Auschwitz. Mais ici,précisément,ce « sommet » de la volonté en l'homme ,est aussi son déclin. Cet aveuglement du vouloir crée une tension,une

« démangeaison »insupportable qui pousse les hommes à se faire souffrir mutuellement mais aussi la possibilité de prendre conscience de leur condition tragique. Cela n'est pas bien sûr automatique,la volonté reste libre,mais il est maints exemples de grands pécheurs qui se sont convertis et qui sont devenus de grands saints. Dans le miroir de ses actes ,la volonté s'exaspère et comme parvenue au bout d'elle-même,accomplit le seul vrai choix libre,celui de se renier elle-même. Redisons-le,cette « décision »de la volonté est entièrement son affaire et ne saurait être prévisible et encore moins provoquée. Seule une connaissance purement qualitative d'elle-même peut provoquer un changement salutaire de direction .C'est la raison pour laquelle, l'ascétisme authentique ne peut être que rare,réservé à quelques uns et lorsqu'il est arbitrairement appliqué au plus grand nombre,il ne peut donner qu'une caricature déplorable(à trop vouloir faire l'ange ,on fait la bête..)c'est à dire la bigoterie,les faux semblants,le fanatisme,le dolorisme et les superstitions: « L'origine du mouvement des

pénitents,des anachorètes et du monachisme prise en elle-même était pure et sainte,mais,pour cette raison,elle n'était pas du tout adaptée à la majeure partie de l'humanité,et ce qui en était issue ne pouvait être qu'hypocrisie et abomination:car abusus optimi pessimus,(l'abus du meilleur est le

pire) »58 . En revanche,il existe bien un renoncement authentique présent dans le quiétisme et l'ascétisme dont on peut prendre connaissance dans la biographie de la vie des saints. Malgré des variations sans grande importance et liées à des conditions différentes d'espace ,de temps,et de culture,le philosophe réalise l'universalité de la mystique et de l'éthique authentique qui l'accompagne. Toutes deux sont fondées sur la reconnaissance de l'Unité de toutes choses ,le « Tu es cela »hindou mais dont l'Absolu est ici la Volonté. Notre comportement moral est à la mesure de notre compréhension de la nature unique de la réalité et de la souffrance universelle des êtres qui lui est consubstantielle. Sur le plan pratique,cela s'exprime d'abord par le fait de pas « empiéter » sur la volonté d'autrui ,ce qui constitue la base de la justice pour Schopenhauer. Ensuite,c'est le coeur qui se dilate au delà des bornes de l'individualité,éprouve de la pitié pour tous les êtres et souhaite désormais soulager les peines comme si elles étaient les siennes propres. L'homme peut connaître la conversion et la grâce et notre philosophe de citer un certain Matthias Claudius(Asmus)parlant de « Changement remarquable ,catholique ,transcendantal »)On touche là au mystère de la liberté dans la philosophie de l'auteur du Monde,car en effet,comment la volonté pourrait-elle se nier elle-même ,devenir une nolonté,si elle n'était pas toujours déjà libre et vraiment la chose en soi ? Bien qu'assez peu prolixe sur le sujet,Schopenhauer,parle de la paix et de la félicité que procure le détachement mais sans que le bonheur atteint ne soit jamais vraiment définitif. Cependant ,la réalité effective du renoncement est avérée pour le philosophe, par les nombreux témoignages de la vie des saints tels Saint François d'assise,Madame Guyon,Maître Eckhart ou encore le Bouddha shakya Muni. Sur le chemin de la vérité,deux voies s'offrent à l'homme;l'ascèse tout d'abord,envisagée comme méthode radicale mais aussi avec son caractère auto-contradictoire et l'illusion qu'elle peut représentée: « Par le terme,que j'ai déjà utilisé plusieurs, fois d'ascèse,j'entends au sens restreint cette brisure préméditée de la volonté par le renoncement à l'agréable et par la recherche du désagréable,par un mode de vie pénitent qu'on choisit soi-même,par des macérations qu'on s'impose soi-même,afin de mortifier durablement la volonté »59 . Ceci dit,les religieux expérimentés eux-même,mettent en garde leurs novices

contre les excès de zèle ascétique comme étant au contraire un moyen pernicieux de renforcer l'orgueil et la démesure. Schopenhauer lui-même,soulève le caractère ambigu d'une ascèse extrême pouvant aller jusqu'à l'inanition: « Entre cette mort volontaire issue d'une ascèse extrême et celle ,ordinaire,issue du désespoir,on trouve certainement bon nombre de degrés intermédiaires ou de mélanges qui sont peut-être malaisés à expliquer;mais l'âme humaine a ses profondeurs ,ses obscurités et ses complications qu'il est d'une difficulté extrême d'éclairer et de démêler »60 .le suicide n'étant pas une solution ,mais au contraire, l'expression violente d'une volonté insatisfaite.

C'est l'épreuve universelle de la destinée tragique qui constitue la « voie » de la volonté: « ..nous pouvons même supposer que la plupart y parviennent par cette voie..Après qu'il a été conduit au bord du désespoir en passant par tous les degrés de sa détresse croissante avec l'aversion la plus véhémente,nous voyons alors cet homme entrer tout à coup dans lui-même,connaître lui même et le monde,transformer son être tout entier,s'élever au dessus de lui même et de toute souffrance.. »61 . Ainsi,l'étude de la philosophie de Schopenhauer,doit conduire l'apprenti sage,comme nous le verrons plus avant,à l'admission des notions de fatalisme transcendant et de prédestination,mais dés lors,connaître le monde dans son ensemble tel qu'il est,nous amène à nous pencher sur les conditions qui le contraignent et le font exister.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite