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Sagesse et destinée tragique dans la philosophie de Schopenhauer

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par Sylvain Sella
Université Paul Valéry Montpellier III - Master 1 2011
  

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III Sagesse et prédestination.

III,1 L'illusion du libre-arbitre

l'absence de la liberté d'indifférence

Le problème de la liberté en général et celui du libre arbitre en particulier est tout à fait fondamental, car il permet de comprendre, que ce n'est par des initiatives personnelles ,un engagement particulier et surtout une morale prescriptive,que nous parviendrons à un sagesse philosophique au regard de la pensée du célèbre pessimiste. Cette "Thèbes aux cent portes" que constitue le système de Schopenhauer,peut être abordée par le problème du libre arbitre et révéler tout entière sa cohérence "tragique". D'emblée,il faut préciser l'opposition radicale sur ce point entre Schopenhauer et la scolastique . En effet,Saint Thomas d'Aquin pense que le jugement fait des choix que la volonté devra suivre guidée par lui et c'est l'inverse qui est vrai pour Schopenhauer ainsi que nous l'avons déjà abordé plus haut,la volition conditionne complétement l'intellect. Pourtant,l'homme a naturellement un préjugé favorable en faveur du libre arbitre en raison du fait,fort compréhensible au demeurant,qu'il accorde le qualificatif de libre,à l'homme qui n'est pas entravé par des chaînes,prisonnier ou esclave,un individu dont le peuple n'est pas non plus assujetti par un autre. Nous allons voir plus loin dans le détail que l'Essai sur le libre arbitre peut constituer une excellente introduction à cette question telle qu'elle se pose pour la philosophie de l'action. Pour l'heure, disons que l'homme qui n'a pas quelqu'un qui lui impose ses choix et ses

décisions,se sent naturellement libre et défend volontiers ce point de vue. Cette acception "physique"de la liberté,renvoie en premier lieu à une volonté non empêchée de se mouvoir,un homme en possession de sa puissance d'agir. Il est communément admis, qu'être libre, signifie justement libre d'aller où l'on veut ,comme l'oiseau est libre de voler,les enfants libres de s'amuser à la récréation. Mais la volonté est-elle vraiment libre ? Cette question est traitée en profondeur par Schopenhauer à l'occasion d'un concours organisé par l'Académie de Norvège en 1838,Dissertation qui sera publiée la première fois chez Félix Alcan à Paris en 1854,sous le titre d'Essai sur le libre arbitre. Qu' est-ce -qui fait que nous prenons cette décision plutôt qu'une autre? Suis-je vraiment libre de vouloir ce que je veux? Ainsi posée ,la question nous oblige à une

réflexion approfondie mais débattue strictement sur le plan de la logique,sans mettre l'accent ,au préalable,sur l'aspect "obscur",impénétrable des motifs de la volonté. L'homme étant avant tout un être pratique,ce débat sur la nature même de la liberté de la volonté,demande un temps d'arrêt pour la réflexion et que le vouloir

vivre ,justement ne permet pas. L'attitude théorique n'est pas naturelle selon Schopenhauer et l'efficacité de l'action risquerait d'en souffrir,surtout si à plus forte raison,il s'agit de se questionner sur le statut et la vraie nature de notre volonté.

"Or c'est précisément la liberté du vouloir qui est maintenant en question,et il faudrait en conséquence que le problème se posât comme il suit,"Peux-tu aussi vouloir ce que tu veux?"ce qui ferait présumer que toute volition dépendît encore d'une volition antécédente..et l'on irait ainsi indéfiniment en remontant toujours la série des volitions..Si, d'autre part, la nécessite de trouver un point fixe nous faisait admettre une pareille volition ,nous pourrions avec autant de raison,choisir pour volition libre et

inconditionnée la première de la série,que celle même dont il s'agit,ce qui ramènerait la question à cette autre fort simple:"Peux-tu vouloir?"1. A l'encontre de la pensée commune ,l'examen de la question du libre arbitre porte sur les causes de nos volitions,leurs motifs et non sur leurs effets dans le monde. Nous sommes donc en présence de deux notions distinctes à examiner pour progresser dans cette réflexion sur le libre arbitre :la liberté et la volonté. Schopenhauer ne s'en tient pas bien sur à la liberté d'agir, dont on voit qu'elle est employée lorsque l'action naturelle d'un être vivant , n'est pas entravée et se déroule normalement. Le philosophe veut définir la liberté en soi,et celle-ci ne peut l'être que par la négative ,dans son opposition au concept de nécessité:"C'est pourquoi il a fallu,afin de

pouvoir néanmoins étendre à la volonté ce concept général de la liberté ,lui faire subir une modification qui le rendît plus abstrait. Ce but fut atteint, en faisant consister la liberté dans la simple absence de toute force nécessitante"2. Il convient donc désormais de définir la nécessité comme ce qui ne peut être autrement à cause d'une raison donnée. Ainsi,la liberté échapperait à la contrainte logique,au principe de raison suffisante:"Il faudrait donc que la liberté dont le caractère essentiel est l'absence de toute nécessitation,fût l'indépendance absolue à l'égard de toute cause,c'est à dire la contingence et le hasard absolu..le mot libre signifie ce qui n'est nécessaire sous aucun rapport,c'est à dire ce qui est indépendant de toute raison suffisante »3. Comment dés lors est-il possible de rapprocher une telle notion de la volonté humaine?Schopenhauer se demande à partir de là,comment rencontrer une volonté dont on pourrait dire qu'elle est libre ,c'est à dire nécessiter par rien. Cela en réalité dépasse notre entendement, au sens propre,puisque justement notre pensée ne peut aller au delà du principe de raison suffisante, ce en quoi Schopenhauer,en bon avocat de la jurisprudence kantienne,s'est toujours montré fidèle:"En présence d'une pareille notion,la clarté même de la pensée nous fait défaut,parce que le principe de raison suffisante,qui,sous tous les aspects qu'il revêt,est la forme essentielle de notre entendement,doit être répudié ici,si nous voulons nous élever à l'idée de liberté absolue"4. Le débat pourrait en rester là; impossible à concevoir,mais la liberté absolue trouve tout de même son champ de réflexion si nous la pensons en rapport avec le problème de la décision,ce que la tradition philosophique classique a nommée liberté d'indifférence, et qui intéresse de prés également la pensée contemporaine, dans le domaine des sciences cognitives notamment. Concrètement,un individu placé dans certaines conditions initiales identiques et invariables,peut-il réellement choisir de façon complétement indifférente et fortuite,le bleu plutôt que le rouge?Là où Schopenhauer s'interroge sérieusement, Descartes répond par l'affirmative:"Nous avons une conscience si parfaite de la liberté d'indifférence qui est en nous,qu'il n'est rien qui ne nous soit connu avec plus de lucidité et d'évidence "5.Une fois la certitude acquise de la fiabilité de notre pensée,Descartes ,se place du côté du sens commun pour affirmer notre liberté de choix sans ambiguïté. En effet,quoi de plus évident à première vue et conforme à notre expérience immédiate,que nous puissions choisir entre telle ou telle alternative,d'accepter ou de s'abstenir,de refuser ou d'acquiescer. A l'évidence nous sommes contraints de faire des choix et cela s'avère d'ailleurs parfois assez compliqué,et nous sommes même placés devant ce

paradoxe relevé par Sartre dans l'Être et le Néant (1943),que nous sommes" condamnés à être libre".L'homme a de la sorte la capacité de faire quelque chose de ce qu'on a fait de lui,de "néantiser" les déterminismes ,choisissant d'être responsable du choix de son existence en s'engageant. Schopenhauer serait bien loin de reconnaître comme valable ce type d'argumentation,lui qui envisage plutôt ce genre de raisonnement, comme étant le fruit d'un examen trop superficiel de la question. Ainsi,au début du chapitre II de son Essai,il ne cesse de ramener le lecteur à la question initiale et s'oppose à la conscience commune par rapport à cet aperçu trop rapide qui nous porte à croire que vouloir c'est être libre:"Je puis faire ce que je veux!"la déclaration de la conscience immédiate n'a pas une plus grande portée,de quelque manière qu'on veuille la contourner et sous quelque forme que l'on veuille poser la question..mais n'est-ce pas là cette idée empirique,originelle et populaire de la liberté,telle que nous l'avons établie dés le commencement d'après laquelle le mot libre veut dire "conforme à la volonté?"C'est cette liberté et celle- là seule, que la conscience affirmera catégoriquement. Mais c'est n'est pas celle que nous cherchons à démontrer. La conscience proclame la liberté des actes,avec la présupposition de la liberté des volitions:mais c'est la liberté des volitions qui seule à été mise en question. Car nous étudions ici le rapport entre la volonté même et les motifs:or sur ce point,l'affirmation "je peux faire ce que je veux,"ne fournit aucun renseignement"6. La philosophie de l'auteur du Monde,cherche à nous éclairer sur cette situation aliénante qui est la notre eu égard à la Volonté;nous sommes voulus,c'est l'essentiel de la conscience tragique , l'indispensable compréhension afin d'accéder à la "vraie" sagesse. Cette vision générale de la philosophie de Schopenhauer n'est cependant pas suffisante pour affirmer le déterminisme ,c'est d'ailleurs la raison pour laquelle,il commente précisément ce point dans cet essai. Il veut nous conduire à faire la différence entre désir et volonté libre .Nous pouvons désirer deux choses différentes mais celle que nous allons choisir en définitive est-elle le fruit d'une décision libre ? Est-il possible de tester expérimentalement cette question de la valeur du choix volontaire? Voyons concrètement l'arrière plan qui conditionne notre façon de faire des choix et d'avoir des préférences:l'agent a des besoins et des désirs qui dépendent en partie de ses fonctions biologiques,de son histoire passée,et du contexte dans lequel il se trouve. La réaction qu'il va avoir au moment de prendre une décision dépend aussi des différents apprentissages qu'il a connu et de sa façon de les utiliser. En résumé ,c'est tout un arrière plan fort complexe,(dont nous ne sommes plus conscients),

qui entre en jeu inévitablement dans chacune de nos décisions. A ce titre,les expériences menées par le neurochirurgien américain Benjamin Libet sont très intéressantes pour montrer que nos décisions comportent réellement une part de pré-détermination et se produisent avant que nous en ayons eu conscience:"Dans ce schéma causal de l'action volontaire,à quel moment intervient la volonté consciente?Il serait naturel de supposer que la conscience précède ou au moins accompagne l'expérience motrice précoce. L'expérience courante nous indique en effet que l'on "veut" faire quelque chose avant de l'accomplir. Or cette supposition se révèle fausse! C'est en tout cas ce qu'a montré Libet dans une expérience désormais célèbre datant de 1983. Cette expérience consistait à demander à des sujets,assis devant un écran où s'égrenaient les secondes ,de dire à, quel moment précis ils avaient décidé de fléchir le doigt. L'examen electrophysiologique a montré que l'agent est conscient de sa décision 350 millisecondes après que son cerveau a commencé à réagir. Aussi surprenant que cela puisse paraître ,cela signifie que le cerveau prépare l'action avant même que le sujet ait conscience de le vouloir"7. Cette expérience vient confirmer en fait ce que nous avons tous eu déjà l'occasion de vérifier lorsque nous devons éviter un obstacle ou un projectile,ce n'est qu'après que nous réalisons l'avoir fait. Schopenhauer s'est montré particulièrement attentif à ce problème de la décision et semble bien avoir été conscient,à quelque degré de la "rétro-datation consciente ",sans avoir eu recours à l'expérimentation scientifique:"On peut en effet, désirer deux choses opposées ,on n'en peut vouloir qu'une:et pour laquelle des deux s'est décidée la volonté,c'est ce dont la conscience n'est instruite qu'à posteriori,par l'accomplissement de l'acte"8. Effectivement,nous ne pouvons constater qu'après coup que nous avons,par exemple ,choisi le bleu plutôt que le rouge. En fait,il conviendrait plutôt de dire "ça" s'est choisi,un peu comme Nietzsche nous faisait remarquer que "ça" pense ,et voulant montrer par là la seule réalité grammaticale et non substantielle du cogito. Mais ici,il ne s'agit pas de la question de la réalité de notre être pensant mais de l'indépendance ou de la servilité de notre vouloir au regard des motifs qui le font agir. L'homme étant tout d'abord poussé à agir sur le monde ,il lui importe avant tout de considérer comment ses désirs peuvent se réaliser,et non pas pourquoi il désire telle chose plutôt qu'une autre:"Aussi est-il malaisé de faire concevoir à l'homme qui ne connaît point la philosophie la vraie portée de notre problème,et de l'amener à comprendre clairement que la question ne roule pas sur les conséquences mais sur les raisons et les causes de ses

volitions"9.Aujourd'hui,le problème soulevé

par Schopenhauer reste parfaitement d'actualité comme dans l'illusion de la volonté consciente (2002)de Dan Wegner,professeur de psychologie à l'Université Harvard. Nous pensons être l'auteur de nos actions car nous sommes trompés par l'impression produite par l'"éclairage de la conscience" alors que les motifs réels et profonds sont relégués à l'arrière plan. Selon Wegner ,l'expérience de la volonté consciente ,autrement dit l'expérience d'être auteur de l'action,de l'effort,de la causalité mentale, est une illusion qui nous porte à croire à la relation entre le fait d'être conscient d'une action et croire que c'est cela même le processus causal. En résumé ,nous sommes bernés par le sentiment de contrôler nos processus mentaux et nos actions par une surestimation de la conscience que nous en avons. Schopenhauer, reconnaît lui aussi que la conscience ,la faculté de penser humaine,peut donner l'impression d'une complète liberté,car en effet ,la capacité de délibération que nous possédons,nous permet de nous soustraire à la contrainte du présent immédiat. Cette différence importante d'avec le monde animal,et qui permet par là même de concéder une certaine liberté relative, ne permet pas pour autant d'affirmer à l'existence du libre arbitre:"Mais cela n'atténue pas le moins du monde la puissance causale des motifs,ni la nécessite avec laquelle s'exerce leur action. Ce n'est donc qu'en considérant la réalité de façon très superficielle qu'on peut prendre pour une liberté d'indifférence cette liberté relative et comparative dont nous venons de parler"10. Schopenhauer compare la faculté de délibérer à la tension qu'un corps physique subit en présence de forces contradictoires;mais là,bien sur,il s'agit d'un conflit des motifs de la volonté. Le philosophe nous rappelle ici encore une fois que l'homme n'est pas au dessus des lois naturelles. Si nous ne parvenons pas à trouver de liberté absolue,il semble important de rappeler néanmoins ,combien est considérable cette faculté de délibérer chez l'être humain et que nous sommes loin d'être de simples automates:"Ce qui paraît aller de soi chez l'humain adulte est en fait un accomplissement cérébral remarquable. Le développement chez l'enfant en est très progressif. Sa perturbation détermine des pathologies mentales ou neuropsychologiques assez handicapantes. Cette aptitude strictement humaine nous libère des formes de vie stéréotypées liées à la satisfaction des besoins immédiats. Elle nous ouvre le domaine plus vaste de la mise en attente des besoins..et des déterminismes culturels.Si ce n'est toujours pas la liberté,c'est un puissant moyen d'échapper à la pression du présent. Planifier permet d'agir collectivement,et de se changer soi-même selon des programmes réfléchis

qui peuvent s'échelonner sur des années"11. On peut en effet reprocher à Schopenhauer d'avoir trop minimisé ,tout au long de son oeuvre d'ailleurs,l'apport considérable que constitue l'émergence de la pensée humaine et de ses capacités créatrices. Selon lui, la destinée de l'homme est tragique,car celui-ci,même dans sa faculté de penser est une "machine"et qui plus est,a la bêtise de se croire libre. Peut-être que l'oeuvre de Schopenhauer doit constituer comme un électrochoc pour le lecteur philosophe enquête d'une sagesse authentique?Nietzsche a-t-il véritablement entendu l'appel ,lui qui souhaita voir l'avènement du surhomme? Mais la question proprement dite du libre arbitre telle qu'elle est traité par notre philosophe,nous contraint toujours à refaire cette constatation:il n'est rien dans la nature qui puisse être sans causes pas même notre vie intérieure dont les motifs sont abstraits et témoignent d'une complexification et d'une sophistication bien au dessus des autres règnes de la nature. C'est justement, dans ce degré de conscience significatif dont témoigne l'être humain, que certains penseurs contemporains voient précisément la possibilité d'une vie libre. A ce titre, la position de Harry Frankfurt,professeur à l'Université de Princeton, semble particulièrement intéressante car,cette liberté qui nous apparaît parfois avec une telle évidence,serait liée à une "volition d'ordre supérieur";ce qui différencie les êtres humains d'autres animaux,c'est qu'ils désirent avoir des désirs conforment à leur souhaits (désirs de second ordre).Le contre exemple qui illustre bien ce propos,c'est le drogué qui ne désire pas sa situation mais qui pourtant s'administre quand même cette piqure. Ainsi,tout dépend de la "subtilité" de notre capacité réflexive,à savoir le choix des fins que nous poursuivons et pas seulement celui des moyens employés afin de parvenir à celles-ci. Une telle conception de la liberté implique aussi une capacité suffisante de maitrise et de contrôle de soi pour rester en accord avec cette volition d'ordre supérieur. Schopenhauer admet bien sûr,"l'ascension" de l'homme et le caractère réflexif de la conscience,mais cela ne constitue pas pour lui une preuve du libre arbitre qu'il continue de traiter de façon purement logique:"Ce qui produit l'illusion ,c'est que les êtres de la nature,s'élevant de degré en degré ,deviennent de plus en plus compliqués,et que leur réceptivité,naguère purement mécanique,se perfectionne graduellement jusqu'à devenir chimique ,électrique,excitable,sensible,et s'élève enfin jusqu'à la réceptivité intellectuelle et rationnelle..;c'est pourquoi aussi les causes paraissent de moins en moins palpables et matérielles..Car ici les causes agissantes se sont élevées à la hauteur de simples pensées,jusqu'à

ce que la plus puissante porte le premier coup et mette la volonté en mouvement"12. Pas de "volition d'ordre supérieur"pour le métaphysicien de la Volonté,l'homme reste une créature assujettie au vouloir vivre ,à quelque degré que ce soit,incapable de "vouloir" ses désirs mais de toujours les subir. Dés lors, comment est-il possible de tenir quelqu'un pour responsable de ses actes,de punir ou de récompenser en fonction? La justice n'est pas non plus un concept "positif" pour Schopenhauer,dans le sens où elle n'est qu'une mesure pragmatique visant à limiter les débordements de l'égoïsme. En effet,la raison aura reconnu qu'il est préférable d'intervenir et de limiter les effets de cette guerre de "tous contre tous",car cela serait préjudiciable à l'édification d'un certain degré de civilisation,chacun pouvant se retrouver à son tour dans la peau de celui qui subit les outrages et les débordements de l'égoïsme:"Comme tel ,l'État n'a aucune intention ni signification morales..Ainsi, l'État compte seulement sur la peur pour dissuader les individus d'exercer leur injustice. Il ne les tient pas pour libres ;il ne les libère pas non plus"13. Il n'est pas de notre propos ici,de considérer plus avant le rôle historique et politique de l'État chez le philosophe,mais simplement de montrer que l'individu n'es t pas défini juridiquement en fonction d'un principe supérieur comme chez Kant,il est simplement tenu de ne pas nuire aux autres. En revanche ,le sujet tenu responsable doit être sain d'esprit ,car dans ses vues sur la folie ,Schopenhauer montre qu'elle est une maladie de la perte d'identité et comme telle ,rend justement la personne irresponsable de ses actes mais aussi de ses propos et témoignages.

Plus concrètement, l'absence de liberté se manifeste avec une pleine évidence dans les traits psychologiques qui nous distinguent les uns des autres, et que Schopenhauer appelle le caractère empirique. Cette référence à l'expérience est d'une importance cruciale,car il n'existe pas de connaissance de soi a priori, mais seulement celle que nous acquérons dans le miroir de nos actes. Cela se comprend aisément,si l'on se rappelle que la manifestation est l'objectivation de la Volonté,que l'être « doit » s'éprouver lui-même.

On ne saurait faire l'économie de l'existence dans tout ce qu'elle implique d'épreuves véritables;la sagesse du philosophe de Francfort n'est en rien comparable à une quelconque méthode "psycho-spirituelle",nous berçant de l'illusion d'un possible raccourci:"nos actions ne sont d'ailleurs nullement un premier commencement,et rien de véritablement nouveau ne parvient en elles à l'existence:mais par ce que nous faisons seulement nous apprenons ce que nous sommes"14 . L'illusion du libre arbitre est à la

mesure de la vanité humaine;parce qu'il possède un certaine aptitude à agir sur la nature,en retour ,cela l'aveugle quant au fait que c'est plutôt lui qui est agi par des motifs connus ou ignorés. A titre individuel,l'homme est a posteriori souvent très fier de conter les aventures et péripéties qui jalonnent le parcours de sa vie et un tel "explorateur "sera souvent qualifié d'homme" libre".Là encore ,grâce au raisonnement de Schopenhauer ,il serait aisé de montrer que l'action de tel ou tel personnage a été poussée par des motifs subis bien plus que par des initiatives indépendantes. De plus,les voyages ou les errances d'une vie sont bien souvent enjolivées après coup,car sur l'instant ,cela est le plus souvent vécu dans les

angoisses et les incertitudes,les accidents tant physiques que psychologiques montrant le "héros"plutôt comme la marionnette du destin et le sens de l'Odyssée n'est-il pas le retour dans la patrie? Dans l'épopée homérique et le mythe grec,le destin se dit "moira"terme qui signifie le "lot",la "part"qui revient à chacun en ce qui concerne sa véritable nature et son statut social. Schopenhauer condamne lui aussi "l'hubris"et le bonheur tout relatif que nous pouvons espérer,vient justement de notre capacité à rester à notre place. Il nous faut compléter ce que nous avons déjà ébauché à propos de la notion de caractère chez l'auteur du Monde:"Ce n'est que la connaissance exacte de son caractère empirique qui donne à l'homme ce qu'on appelle le caractère acquis:celui-là le possède,qui connaît exactement ses qualités personnelles,les bonnes comme les mauvaises,et voit par là ce qu'il peut ou ne peut pas attendre et exiger de lui-même. Il joue dés lors son rôle, que naguère,au moyen de son caractère empirique,il ne faisait que naturaliser (réaliser)..,ce qui n'arrive qu'à ceux qui entretiennent quelque illusion sur leur propre compte"15. Schopenhauer,à propos du caractère ,reprend les termes kantiens d'"intelligible" , d' "empirique"et s'accorde avec lui pour penser qu'il n'est pas un phénomène à part de la nature et qu'à ce titre ,il est entièrement déterminé:"la volonté peut aussi être libre,mais uniquement en ce qui concerne la cause intelligible de notre vouloir;car pour ce qui est des phénomènes,des expressions de cette volonté,c'est à dire des actions,nous ne pouvons pas les expliquer autrement que comme le reste des phénomènes de la nature,c'est à dire d'après leurs lois immuables,suivant une inviolable maxime fondamentale.."16.

Volonté et liberté entretiennent un rapport complexe et paradoxal:la Force de toute force est ce qui aliène et ce qui libère;ce qui fait qu'un sujet se libère de son joug provient justement d'un «décret» de la Volonté. Comment s'étonner dés lors que Schopenhauer cite

l'Ancien testament,lui dont la Volonté présente à certains égards,des affinités avec l'arbitraire du Dieu jaloux?

Le philosophe cite le prophète Jérémie(10,23):»Seigneur ,je sais que la voie de l'homme n'est point à lui,et qu'il n'appartient pas à l'homme de marcher et de diriger lui-même ses pas». Il peut sembler quelque peu étonnant de constater ,que Schopenhauer se réfère abondamment à la théologie afin d'illustrer ses vues en faveur du serf-arbitre. En premier lieu ,la religion n'est pas fausse mais possède un intérêt allégorique pour le philosophe qui détient les clés permettant de déchiffrer le livre de l'Univers,surtout en ce qui concerne l'éthique et ce que que Schopenhauer nomme « l'ordre du salut » Luther, le père de la théologie réformée affirme que nul ne peut se dire chrétien s'il est pénétré de l'idée du libre arbitre:»Je veux avertir ici les partisans du libre arbitre,pour qu'ils se le tiennent pour dit,qu'en affirmant le libre arbitre ,ils nient le Christ..Contre le libre arbitre militent tous les passages de l'Écriture qui prédisent la venue du Christ. Mais ces témoignages sont innombrables;bien plus ,ils sont l'Écriture toute entière»17. Luther affirme nettement que l'homme ne peut agir et décider par lui-même ;en accord avec les Épîtres de Paul,ce ne sont pas les oeuvres qui justifient mais la foi,et celle-ci vient de Dieu. Cette conception caractéristique du protestantisme,peut être mise en parallèle,toutes choses égales par ailleurs ,avec les vues propres à Schopenhauer sur l'éthique :La morale du philosophe n'est pas prescriptive;les bonnes actions ne sauraient contribuer en rien à la négation de la Volonté,au contraire ,on pourrait y trouver un moyen de flatter l'ego. Quand l'apôtre déclare « il n'y pas un juste ,pas un seul »18 ;c'est bien pour remettre en place la vanité humaine et Schopenhauer,quant à lui,déniche l'affirmation de l'ego sous les apparences de la bienfaisance : « derrière toutes les oeuvres vertueuses,secrètement dans le recès le plus intérieur,l'injustice est assise au gouvernail »19 Ce n'est pas le sujet qui décide de son salut,mais c'est la Volonté seule qui décide de se libérer d'elle-même. Selon le philosophe ,l'invention du libre arbitre,vient comme une façon d'empêcher Dieu d'endosser la responsabilité du mal : « Si en effet une mauvaise action provient de la nature,c'est à dire de la constitution innée de l'homme,la faute en est évidemment à l'auteur de cette nature. C'est pour échapper à cette conséquence que l'on a inventé le libre arbitre »20.

Schopenhauer, se félicite par ailleurs de constater que St Augustin,n'a accordé à l'homme le bénéfice du libre arbitre seulement avant le péché originel et que depuis,son salut ne peut venir que par la grâce de

Dieu : « ..devenu la proie du péché,il n'a plus à espérer son salut que de la

prédestination et de la rédemption,ce qui s'appelle parler en vrai Père de l'Église »21.

Mais c'est surtout sur la plan de l'argumentation purement logique,que Schopenhauer entend bien prouver que notre existence est soumise à la nécessité,et pour ce faire,il se range sans partage ,du côté de ses prédécesseurs, Hobbes et Spinoza,pour lesquels, la volonté de l'homme n'est qu'un rouage de la « mécanique »naturelle. Comment éviter de parler de l'exemple si fameux de Spinoza,celui de la pierre lancée qui se croît libre simplement parce qu'elle est consciente de son vol : « Concevez maintenant que cette pierre,tandis qu 'elle continue de se mouvoir,soit capable de penser..Il est clair qu'ayant ainsi conscience de son effort..,elle se croira parfaitement libre et sera convaincue qu'il n'y a pas d'autre cause que sa volonté propre qui la fasse persévérer dans le mouvement. Voilà cette liberté humaine dont tous les hommes sont si fiers .Au fond elle consiste en ce qu'il connaissent leurs appétits par la conscience,mais ignorent les causes extérieurs qui les déterminent »22. Schopenhauer nous précise que à l'instar de Spinoza ,Voltaire ,dans la seconde moitié de sa vie revient sur son ancienne position et finit par nier le libre arbitre : « Une boule qui en pousse une autre ,un chien de chasse qui court volontairement et nécessairement après un cerf,ce cerf qui franchit un fossé immense avec non mois de nécessité et de volonté:tout cela n'est pas plus invinciblement déterminé que nous le sommes à tout ce que nous fesons »23 Schopenhauer utilise son érudition littéraire pour montrer que les grands auteurs sont toujours sensibles à la force de la

fatalité : « Destin,montre ta force nous ne disposons pas de nous-mêmes;ce qui est décrété doit être,et je m'abandonne à l'évènement »24. L'essentiel de l'argumentation contre l'existence du libre arbitre se trouve ici et va permettre par la suite de développer la conception de Schopenhauer sur la destinée et la liberté comme acte pur de la volonté.

L'autre auteur préféré de Schopenhauer,Goethe dans son Iphigénie,montre l'impossibilité de revenir sur ce qui a été fixé d'avance : « Arcas :-il est temps encore de changer d'avis

Iphigénie:Cela n'est plus en notre

pouvoir. »25

Malgré cette affirmation de la domination de la nécessité dans le règne de le nature et celui de l'homme,au fond ,Schopenhauer avoue avec Malebranche que « la liberté est un mystère ».L'auteur du Monde loue Kant d'avoir fait mention du caractère intelligible du sujet,aspect par lequel l'homme est aussi la chose en soi. Notre responsabilité morale n'est pas

seulement obligée du fait de la vie en société,mais parce que en profondeur,nous ressentons que nous sommes quelque part l'auteur de notre caractère et de notre destin. Schopenhauer est un essentialiste et nos actes ne sont que l'expression de qui nous sommes vraiment. Liberté et nécessité vont se réconcilier dans la conception particulière du destin.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway