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Les apprentissages entre pairs: construction d'une identité plurielle

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par Carine Amouriaux-Menou
Université Rennes 2-Haute Bretagne - Master 2 Education, apprentissage et Didactique. Département des Sciences de l'éducation 2013
  

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Université Européenne de Bretagne

UNIVERSITE RENNES 2 - HAUTE BRETAGNE

Master Education, Apprentissage et Didactique

Département des Sciences de l'Education

Les apprentissages entre pairs : construction d'une identité plurielle
Les étudiants pédicures-podologues en formation

Carine AMOURIAUX-MENOU

Directeur de recherche : Hugues Pentecouteau

2013-2014

« S'il te plaît... apprivoise-moi! dit le renard.

Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.

On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard.

Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître.

Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi!

Que faut-il faire? dit le petit prince.

Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assiéras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus.

Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près (...)

Ainsi, le petit prince apprivoisa le renard. (...)

Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le coeur. L'essentiel est invisible pour les yeux. (...)

C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante.

Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. Mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...»

2

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, 1943.

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Remerciements

La conduite de cette recherche n'aurait pas été possible sans un accompagnement de qualité. Je tiens donc à remercier Hugues Pentecouteau pour l'aide et le soutien qu'il m'a accordés, pour avoir guidé ma réflexion dans l'élaboration de ce travail de recherche et d'écriture, pour sa disponibilité et sa bienveillance.

Je remercie mon directeur et l'Institut de Formation en Pédicurie-Podologie de Rennes ainsi que l'association I.F.P.E.K. qui m'ont permis d'intégrer une formation en Sciences Humaines.

Merci aux étudiants pédicures-podologues qui ont accepté de participer à ce travail, pour les échanges extrêmement constructifs que nous avons eu ensemble et leur confiance.

Je remercie Isabelle Brouard-Arends pour son aide précieuse dans les lectures de mes écrits.

J'ai eu la chance de rencontrer Ida Simon-Barouh. Je la remercie de ses conseils avisés et de ses encouragements.

Je tiens à exprimer ma reconnaissance aux différents professeurs du master EAD de Rennes 2 pour leurs interventions riches et éclairantes tout au long de ces deux années de formation.

Merci au groupe «eadien» de M1 et de M2, pour l'entraide, le réconfort, la gentillesse et la bonne humeur de chaque instant. Nos échanges entre pairs ont grandement participé au processus de transformation que j'ai vécu.

La présence chaleureuse de mes amis m'a donné confiance. Leur générosité fut précieuse.

Enfin, je tiens à remercier ma famille pour son soutien durant ces deux années. Mes proches m'ont accompagnée avec amour dans toutes les situations, dans les phases d'enthousiasme ou de doutes. Sans eux, je n'aurais pu réaliser ce projet.

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Sommaire:

Remerciements p.3

Sommaire p.4

1. Introduction p.6

1.1 Observation d'un terrain p.6

1.2 La profession de pédicure-podologue: milieu et acteurs p.10

1.2.1 Historique du contexte professionnel p.10

1.2.2 Les instituts de formation p.11

1.2.3 L'organisation de la pratique des étudiants p.12

1.3 Questionnement p.16

1.4 Problématisation p.17

1.4.1 Notion de projet p.17

1.4.2 Intégrer une corporation p.18

1.4.3 Population étudiée p.18

1.4.4 Problématique p.19

1.4.5 Une posture d'apprenti-chercheur p.20

1.5 Méthodologie p.25

1.5.1 Question de départ p.25

1.5.2 Choix de la méthode d'enquête sur le terrain p.28

1.5.3 Justification des instruments qui permettent l'observation p.33

1.5.3.1 L'entretien p.33

1.5.3.2 L'observation p.35

1.5.3.3 Recherche de données qualitatives p.36

1.5.4 L'écrit de recherche : rendre compte du processus p.38

2. Champs conceptuels p.39

2.1 Travaux relatifs à la question p.39

2.2 Conceptualisations et définitions p.52

3. Limites et biais de l'enquête p.54

4. Analyse et interprétation des résultats p.55

4.1 Etre entre pairs p.58

4.1.1 L'étudiant tutoré p.59

4.1.1.1 Acquisition de savoirs p.59

4.1.1.2 Relation à autrui p.61

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4.1.2 L'étudiant tuteur p.63

4.1.2.1 Production, appropriation et mémorisation de savoirs p.63

4.1.2.2 Motivation de l'étudiant p.65

4.1.3 Les modèles d'apprentissages entre pairs p.67

4.1.3.1 Différents concepts p.67

4.1.3.2 Développement de sentiments p.71

4.1.3.3 Conditions des apprentissages coopératifs p.73

4.2 Une construction identitaire professionnelle particulière p.74

4.2.1 Etre accompagnateur p.75

4.2.2 Comment devient-on accompagnateur ? p.84

4.2.2.1 Processus de socialisation p.86

4.2.2.2 Socialisations primaire et secondaire p.89

4.2.2.3 Reproduction sociale p.91

4.2.3 Socialisation pré-professionnelle p.92

4.2.4 Une identité professionnelle singulière p.100

5. Conclusion p.105

6. Références bibliographiques p.108

7. Table des annexes p.113

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1. Introduction

1.1 Observation d'un terrain

Un terrain, c'est un espace, un lieu, une « terre » peuplée de personnes que le chercheur se propose d'observer. Telle une exploratrice, je suis allée regarder de plus près ce qui se passe dans un institut de formation au métier de pédicure-podologue, ouvrant grand mes yeux, mes oreilles, mon carnet de notes prêt à recueillir observations et paroles. Cette « terre » ne m'est pas inconnue : c'est l'endroit où je travaille depuis dix ans.

Tous les matins, quatorze étudiants d'une vingtaine d'années y viennent dès huit heures et demie. Ils sont là, réunis dans une salle de quatre-vingts mètres carrés où sont disposés, le long des murs, douze grands fauteuils qui ressemblent à ceux des dentistes, espacés de trois mètres et séparés par un paravent gris. Faisant face à chacun, deux petits fauteuils sur lesquels prendront place deux étudiants (Photo1).

Des chariots blancs en métal sur lesquels les étudiants posent des instruments à portée de leurs mains, un poste de turbine alimentant des outils électriques avec lesquels seront fraisés les ongles (c'est-à-dire polis) sont de chaque côté d'un grand fauteuil (Photo 2).

Sur un autre côté, des éviers. Les étudiants s'y lavent les mains et décontaminent les instruments (Photo 3). Une salle de stérilisation jouxte la grande salle. C'est là que les étudiants, à la fin de chaque matinée, déposent leurs instruments enveloppés au préalable dans des sachets spéciaux à l'intérieur d'autoclaves, ces machines à stériliser. « Hygiène », en effet, est le maître-mot de ce secteur de l'institut. Tout est blanc ou presque. Blanc, les murs ornés pourtant de quelques posters de planches anatomiques, de produits pharmaceutiques. Blancs, les étudiants enveloppés dans leur blouse. Ils ont même revêtu des charlottes blanches sur leurs têtes. Quelques notes de couleur apparaissent pourtant dans ce monde qui semble aseptisé. Les fauteuils sont verts, oranges ou violets. Les gants sont bleus, les masques utilisés pour éviter de respirer la poussière des ongles sont blancs et bleus. Les formateurs pédicures-

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podologues sont, eux, habillés de blouses bleues. La hiérarchie est ainsi marquée entre les étudiants et les formateurs.

Entre huit heures et demie et neuf heures, chaque étudiant prépare son poste de travail. Chacun arrive avec sa propre mallette dans laquelle sont rangés les instruments et la blouse blanche. Les étudiants se changent dans un vestiaire proche de la salle. Quand tout est prêt, à neuf heures, une vague de couleurs en véritable arc-en-ciel semble illuminer la salle avec l'entrée des patients dans leurs vêtements quotidiens bariolés, chamarrés, accompagnés chacun par un binôme de deux étudiants. Ils sont douze qui arrivent en même temps et qui se saluent. Les étudiants se présentent l'un après l'autre à leur patient, le dirigent vers le fauteuil dans lequel ils l'invitent à s'installer. Le patient se déchausse, enlève ses chaussettes ou ses collants, pose ses chaussures à côté du grand fauteuil et s'assied.

Franz, un des deux étudiants, invite le patient à poser ses jambes sur les jambières du grand fauteuil : « allez-y, installez-vous, monsieur ». Deux étudiants vont ainsi s'occuper de chaque patient : l'un est en troisième année (appelé couramment P3 dans la terminologie de l'Institut), l'autre en première année (ou P1). Le moins expérimenté va pouvoir prendre exemple, ainsi, sur le plus ancien, lui poser des questions si nécessaire, se faire expliquer, pendant que le P3 montrera l'exemple en agissant sur l'autre pied. Côte à côte et très proches l'un de l'autre, ils ont pris place dans les petits fauteuils face à « leur » patient. Les autres étudiants en binôme, distants de trois mètres les uns des autres, font de même avec leur propre patient. Ce mouvement de soignants, de soignés et les paroles qu'ils commencent à échanger, même à voix modérée pour respecter une certaine discrétion et ne pas déranger les autres, engendrent un certain bruit dans la salle.

C'est surtout un étudiant qui pose les questions au patient : « alors, vous venez nous voir pour quoi ? » Le patient répond : « et bien, c'est surtout mon gros orteil qui me fait mal, mais pas tout le temps, seulement quand je fais de la randonnée... »(Photo 4). Le deuxième étudiant écoute, hoche parfois la tête. Cette phase préliminaire met en relation trois individus et doit instaurer un climat de confiance entre eux. Celui qui parle est le plus avancé dans la formation. Le patient le perçoit bien : c'est celui qui prend la parole le premier et qui semble le plus à l'aise dans la communication (Photo 5).

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La prise de contact avec la personne qui vient se faire soigner passe par des questions préliminaires : « est-ce que vous avez mal là quand j'appuie ? Prenez-vous des médicaments ? Êtes-vous allergique à certains produits ?... » Quand cette phase est terminée vient le moment de l'examen des pieds. C'est un moment délicat : comment le soignant doit-il prendre un pied dans ses mains ? Le P3 explique et montre en même temps au P1 : « alors, tu vois, tu poses tes doigts là pour prendre les pouls. Comme ça, tu sais si le sang passe bien dans l'artère ». Le P1 s'exécute tout en jetant un regard sur les mains du P3 afin de vérifier qu'il fait la même chose. Les étudiants contrôlent les mobilisations articulaires des deux pieds : c'est le P3 qui effectue les manipulations en premier, écarte les orteils pour regarder quels sont les « bobos » qu'il va falloir éventuellement soigner. Il s'adresse au P1 : « Là, tu vois, c'est limité, l'articulation ne bouge pas assez... ça, c'est un cor sûrement infecté... ici, va falloir d'abord fraiser avant de couper l'ongle, il est trop épais... » (Photo 6). Les discussions se croisent puisque le P3 continue de poser des questions au patient tout en pratiquant des observations et manipulations sur les pieds qu'il commente au P1.

L'étudiant P3 effectue tous les gestes habilement, le P1 est plus fébrile dans ses mouvements. Ses gestes sont mal assurés, les orteils lui échappent de la main, la pince à ongles n'est pas dirigée dans le bon sens. Son tuteur le reprend gentiment, lui explique la manière de tenir l'instrument : « tu vois, moi, je la tiens comme ça. Là, t'es sûr de bien couper l'ongle sans blesser le patient » Amel, P1, écoute, regarde attentivement les mouvements de Franz et tente de l'imiter du mieux qu'elle peut, sous le regard bienveillant et approbateur du patient soulagé de voir que ses pieds seront bien soignés. C'est un moment de plaisanterie : « eh, vous me coupez pas tous mes orteils ! » dit le patient. « Quoi que, il y en a bien un ou deux qui me gênent dans les chaussures... ». Le P3 répond : « on peut aussi faire des trous dans vos chaussures, si vous voulez ! »

Pendant l'heure que va durer le soin, les échanges sont constants. Les pinces s'agitent pour couper les ongles, les bistouris enlèvent les durillons et les cors (Photo 7). La turbine tourne et fraise les ongles (Photo 8). Les étudiants mettent ici en pratique sur des personnes ce qu'ils ont appris au préalable, pendant les cours théoriques et les heures de travaux pratiques, par exemple le maniement de chaque instrument à l'aide de pommes de terre, d'oranges et sur eux-mêmes entre étudiants. Ils ont appris à

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mesurer leurs gestes pour ne pas blesser les patients qu'ils rencontreront au cours de leur formation.

Quant aux formateurs, les enseignants proprement dits, si l'impression donnée jusqu'à présent est celle d'une relative absence, leur regard vigilant suit pourtant très attentivement le déroulement des actions des uns et des autres. Ils sont deux, passent chaque groupe en revue. Le formateur montre un geste technique au cours du soin, reprend un P1 dans sa gestuelle, pose une question théorique au P3 et repart (Photo 9). Les formateurs vérifient le travail lorsque le soin est terminé. Comme les binômes finissent généralement leur travail au même moment, les deux formateurs se répartissent les vérifications de soin et retouchent parfois un cor ou une coupe d'ongle (Photo 10).

Une fois que l'enseignant a validé la qualité du soin et la proposition d'une prescription médicale, les étudiants posent un pansement, le cas échéant, massent les pieds du patient (Photo 11). Le P3 est celui qui donne les derniers conseils et qui rédige une ordonnance sur l'ordinateur situé à l'entrée de la salle. Pendant ce temps, le P1 est resté près du patient et l'aide, si besoin, à remettre ses chaussettes et ses chaussures. C'est l'unique moment où le P1 est seul avec le patient. Les échanges sont modérés : on attend le retour du P3. Celui-ci fait valider et signer la prescription par un formateur puis rejoint son binôme et le patient. Les deux étudiants raccompagnent le patient jusqu'à la salle d'attente. L'un et l'autre retournent ensuite à leur poste de travail et, ramassant le matériel usagé, mettent leurs instruments à tremper puis, sous sachet, les déposent dans la salle de stérilisation avant de s'occuper d'un nouveau patient.

Tout cela s'effectue dans un climat bienveillant : les patients comme les étudiants sourient, plaisantent, rient parfois, s'interpellent entre groupe voisin, les formateurs discutent avec les patients. L'ambiance est conviviale et semble naturellement efficace : les patients sont bien soignés, le disent souvent aux stagiaires et aux formateurs, remercient ceux qui les ont soignés. Les étudiants semblent contents de ce qu'ils ont effectué. « Ce n'est pas encore parfait », disent-ils « on est en formation, on apprend le métier. Ici, à l'institut, on est dans de bonnes conditions ».

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Voilà, brièvement décrit, ce qui se passe pendant la formation des étudiants pédicures-podologues. Comment ils intègrent peu à peu, grâce à ce qu'ils qualifient eux-mêmes de bonnes conditions d'études dans cet institut, les savoirs théoriques nécessaires à l'exercice de leur futur métier, les gestes efficaces et comment ils apprennent à se conduire entre eux et avec le patient. Ces échanges m'ont particulièrement intéressée et j'ai voulu mieux connaître et comprendre les processus sociaux qui se déroulent au cours de ces apprentissages. Quelles sont ces « bonnes conditions naturellement efficaces » ?

D'une certaine façon, mon travail d'enquête va consister à mettre à jour la complexité des pratiques sociales les plus ordinaires des étudiants, celles qui vont tellement de soi qu'elles finissent par passer inaperçues.

1.2 La profession de pédicure-podologue: milieu et acteurs

Dans le code de la santé publique, la profession de pédicure-podologue est classée parmi les professions d'auxiliaires médicaux. Les textes qui la régissent aujourd'hui, fruits d'une longue histoire, permettent de classer le pédicure-podologue dans la catégorie des praticiens médicaux à compétence définie.

1.2.1 Historique du contexte professionnel

L'origine de la profession remonte à l'Antiquité. Dans les sociétés assyriennes, babyloniennes, égyptiennes, grecques et romaines, le pied est souvent évoqué d'un point de vue symbolique (souvenons-nous de Hermès, dieu aux pieds ailés et messager de Zeus, ou d'Achille, guerrier réputé invulnérable, vaincu par une flèche au talon). Mais ces sociétés lui portent aussi une grande attention d'un point de vue médical. Hippocrate, père de la médecine, traite longuement des maladies des pieds. Dans la Grèce et la Rome antiques, le pédicure n'a pas de statut vraiment reconnu mais joue un rôle important : il soigne les pieds des hommes libres et puissants et vend les onguents. Au Moyen Âge, les médecins ne s'intéressent pas aux maux de pieds et laissent ces soins aux « barbiers », qui, rapidement, deviennent « barbiers-chirurgiens » puisque, à la fois, ils pansent les plaies, arrachent des dents, extirpent des cors, pratiquent des opérations voire des accouchements. C'est en 1371 que le roi Charles V décide de protéger la corporation des barbiers-chirurgiens. En 1425, un arrêt du Parlement de

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Paris fixe les premières limites en interdisant aux barbiers de pratiquer les opérations. Historiquement, les premiers écrits concernant la profession datent du XVIIIème siècle. En 1762, Rousselot, « chirurgien-pédicure » de Louis XV, est l'auteur de deux ouvrages traitant des cors, des verrues et autres maladies de la peau. Son élève, Nicolas-Laurent Laforest, chirurgien-pédicure du roi Louis XVI, publie un ouvrage qui fera référence, «L'art de soigner les pieds». Sa renommée lui permettra d'être nommé « Chirurgien Pédicure du Roi et de la famille royale ». Il sera le premier à créer un cours de podologie dans le milieu médical, à l'Hôtel des Invalides. En 1872, la première école formant des professionnels de la pédicurie et de la podologie est créée, près de la place Vendôme. En 1902, la podologie devient une spécialité médicale grâce au médecin Berthet. Le texte fondateur de la profession provient de la loi du 30 avril 1946 qui institue le diplôme d'État, réglemente la profession et protège le titre et l'activité.

La loi du 25 mai 1984 autorise le terme de « pédicure-podologue ». Les compétences des pédicures sont élargies puisqu'ils peuvent désormais, en plus de soigner le pied, confectionner des semelles orthopédiques sur mesure. En 1987, un texte réglementaire fixe la liste des topiques à usage externe pouvant être prescrits et appliqués par les pédicures-podologues.

Créés par la loi du 4 février 1995, supprimés puis rétablis par la loi du 9 août 2004, les structures et les textes de l'Ordre national des pédicures-podologues (ONPP) sont mis en place progressivement. La profession dispose d'un code de déontologie depuis le 26 octobre 2007. Il régit un mode d'exercice de la profession (déontologie professionnelle) qui assoit les règles et le respect d'une éthique. C'est un ensemble de droits et de devoirs qui régissent la profession, la conduite de ceux qui l'exercent, les rapports entre ceux-ci et leurs patients. La constitution de l'Ordre est une étape importante qui a certainement permis aux pédicures-podologues de légitimer leur posture de soignants dans le champ médical.

1.2.2 Les instituts de formation

Au cours de la formation en pédicurie-podologie, les acquisitions de compétences dans le domaine du soin sont construites sur des mises en situations pratiques et sur des

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bases théoriques. La théorie des soins concerne les connaissances des différentes pathologies relatives aux pieds (cors, ongles incarnés, verrues...). Des cours de Santé Publique relatif à la prise en charge de la personne âgée (la majorité de la patientèle en soin est une population de séniors, de plus de soixante ans) sont également dispensés aux étudiants en formation. Les situations pratiques s'effectuent dans le cadre de stages en présence de patients sur des sites hospitaliers (dans des services de gériatrie, de rééducation fonctionnelle, de diabétologie, de rhumatologie...), extrahospitaliers (maisons de retraite) mais également au sein même des instituts qui possèdent tous une clinique de soins. Les instituts de formation en pédicurie-podologie sont des lieux d'enseignement (salles de cours, amphithéâtres, salles de travaux pratiques, centres de documentations, salles informatiques...) mais également des lieux où l'on reçoit des patients : les personnes prennent des rendez-vous et sont prises en charge par les stagiaires pédicures-podologues. C'est aujourd'hui la particularité des centres de pédicurie-podologie qui, souvent, associés aux centres de formation en kinésithérapie et en ergothérapie, pour des facilités organisationnelles et financières (partage des salles de cours, des centres de documentation, du matériel informatique, mutualisation de certains cours, d'un centre administratif ...), sont, pour autant, la seule profession en rééducation à posséder une clinique de soins (à l'instar de la formation dentaire).

1.2.3 L'organisation de la pratique des étudiants

L'apprentissage du métier de pédicure-podologue est un processus qui met en relation des individus aux statuts différenciés : enseignants, patients et étudiants. Devenir un professionnel de la santé nécessite des enseignements spécifiques, techniques et théoriques pour une prise en charge thérapeutique.

Dans les apprentissages de l'acte de soin pédicural, tous les instituts ne procèdent pas comme dans l'institut où j'ai effectué mon observation. Là, les étudiants interviennent majoritairement en binôme auprès des patients : un étudiant de première année (P1) avec un étudiant de troisième année (P3) soignent en commun un seul patient à la fois. Les situations pratiques ont lieu à l'institut, deux à trois fois par semaine pour chacun des stagiaires, durant les trois années d'études nécessaires à l'obtention du diplôme d'État. Les étudiants choisissent leur binôme; l'unique contrainte consiste dans le fait que les groupes de personnes, deux ensembles de sept étudiants (sept étudiants en première année, sept étudiants en troisième année), sont définis par les formateurs

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pédicures-podologues responsables de l'organisation. Les roulements se font toutes les trois semaines; de fait, les binômes d'étudiants varient très régulièrement. A la fin de l'année, tous les étudiants de troisième année ont été en stage de soins avec la cohorte complète des étudiants de première année. Les étudiants sont donc fortement encouragés à travailler conjointement tout au long de leur formation.

La salle clinique de soins où j'ai effectué mes observations comporte douze postes de travail. Les étudiants sont en blouse blanche. Leur prénom et initiale de leur nom de famille sont indiqués sur le vêtement, ainsi que le logo de l'institut qui les forme. L'équipe pédagogique m'explique que le choix de mettre le prénom de l'étudiant sur la blouse tient à leur volonté de convivialité dans l'institut : les formateurs appellent les étudiants par leur prénom et les vouvoient ; les formateurs sont nommés par leur nom de famille et vouvoyés par les étudiants. Entre eux, les étudiants se tutoient, les formateurs également. Les formateurs portent des blouses bleues lorsqu'ils encadrent les stages pratiques, sur lesquelles est inscrit leur nom de famille ; la couleur bleue a été choisie afin de les différencier facilement des étudiants dans la salle de soin.

Les binômes ont un espace-temps défini par l'organisation de l'institut de formation pour effectuer les soins de pédicurie, d'environ une heure. Pendant cette heure, les étudiants travaillent ensemble, et plusieurs régulations dans la conduite du soin sont effectuées par un pédicure-podologue formateur présent dans la salle ; les consignes données par l'enseignant podologue portent sur l'acte technique et la prise en charge globale du patient (conseils, prescriptions). Celui-ci vérifie, à la fin de la séance, la pertinence des actes effectués et des diagnostics. Etant donné le nombre de binômes (pour chaque séance, sept à huit binômes travaillent en même temps dans une même salle), le formateur ne peut être derrière les groupes d'étudiants à chaque instant, ce qui fait que les étudiants doivent être relativement autonomes dans leurs pratiques pédicurales avec les patients.

Ce sont donc les étudiants qui conduisent leur activité en binôme : l'apprenant de troisième année a la responsabilité d'aider son jeune collègue qui effectue un soin, lui montre comment il coupe des ongles, place ses mains pour tenir un bistouri, conseille le patient... dans une situation interpersonnelle. Cela se pratique donc en complément de ce que peut dire, montrer, expliquer le formateur : il est le garant de la bonne conduite autour des actes techniques, de la prise en charge du patient et valide le travail effectué. L'acte de soins, dans ce contexte est par conséquent une situation qui

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met en jeu plusieurs individus, le patient, le formateur et les étudiants. Bien que l'un des stagiaires soit plus savant que l'autre, aucun signe extérieur ne les différencie.

Les étudiants de première année se trouvent dans le rôle d'accompagné, celui qui apprend d'un individu plus expérimenté qui n'a pas le statut d'enseignant, leurs collègues de troisième année celui d'accompagnateur, celui qui prend soin d'un plus jeune, moins expérimenté, qui apprend au plus novice. Ce fonctionnement suppose des relations interindividuelles dans lesquelles les étudiants coopèrent dans une situation pratique, le soin pédicural, en binôme. Les relations sont souvent asymétriques entre un individu plus averti et un individu qui l'est moins. J'utilise également le terme de tutorat dans ce cadre des apprentissages professionnels. Dans la lignée de l'approche développée par Lev Vygotsky1 et Jérôme Bruner2, il est ainsi considéré comme relevant d'un processus d'assistance de sujets plus expérimentés, les tuteurs, à l'égard de sujets moins expérimentés, les tutorés.

« Observer et évaluer les troubles cutanés, morphostatiques et dynamiques du pied et des affections unguéales du pied, en tenant compte de la statique et de la dynamique du pied et des interactions avec l'appareil locomoteur afin d'établir un diagnostic3 » est une des compétences que l'étudiant pédicure-podologue doit acquérir au cours de sa formation : cette compétence concerne l'examen clinique podologique. Dans ces cas, les situations d'apprentissage s'effectuent en groupe : deux à trois étudiants P3 sont dans une même salle avec deux à trois stagiaires de deuxième année (ou P2) pour un seul patient. Les groupes changent toutes les trois semaines. Les étudiants choisissent, au sein du groupe constitué, les personnes avec lesquelles ils souhaitent travailler. L'ensemble des étudiants s'organise pour prendre en charge le patient en fonction de l'avancée de leurs apprentissages. Par exemple, un étudiant de deuxième année va commencer à interroger le patient sur ses antécédents personnels, puis ce sera un P3 qui effectuera les mobilisations articulaires nécessaires à l'examen (car le P2 ne sait pas encore le faire) et ainsi de suite jusqu'à ce que la totalité des bilans podologiques soit réalisée. Comme cela se passe en soin de pédicurie, un formateur pédicure-podologue vérifie le travail effectué par les étudiants, passe dans les

1 L. Vygotski, psychologue soviétique, connu pour ses recherches en psychologie du développement et sa théorie historico-culturelle du psychisme.

2 J. S. Bruner, psychologue américain dont le travail porte en particulier sur la psychologie de l'éducation. Il fut l'un des premiers découvreurs de Pensée et langage de Lev Vygotski. Les idées de Bruner se fondent sur la catégorisation, ou « comprendre comment l'homme construit son monde », partant du principe que l'homme interprète le monde en termes de ressemblances et différences.

3 Référentiel de compétences, relatif au diplôme d'Etat de pédicure-podologue, Ministère des Affaires Sociales et de la Santé. Arrêté du 5 juillet 2012. p. 226.

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différentes salles, valide les pratiques et les choix thérapeutiques proposés par le groupe d'étudiants. Pour autant, la responsabilité du suivi du patient, la fabrication de semelles orthopédiques (faisant suite à l'analyse des dysfonctionnements posturaux) incombent uniquement à un étudiant P3. Pour un patient reçu en examen clinique, un référent P3 est nommé, désigné soit par le groupe soit par le formateur en charge du stage. C'est bien l'étudiant P3 qui est responsable de la prise en charge du patient même s'il « partage » son patient. Au cours d'une année, les situations varient puisque chaque étudiant acquiert des savoirs qu'il cherche à mettre à l'épreuve en pratiquant « sur patient ». Cela suppose des réajustements au sein des groupes, des négociations afin que chacun trouve son compte dans les apprentissages. Ce mode de fonctionnement traduit surtout une confiance dans la compétence du P3.

Ce sont donc ces situations, en soin de pédicurie et en examen clinique podologique, que je nomme « apprentissage entre pairs ».

Que ce soit dans les programmes d'enseignements ou dans les projets pédagogiques, ce dispositif d'apprentissage en groupe entre pairs n'est pas, ou peu, évoqué. Lorsque j'interroge les membres de l'équipe pédagogique, ils m'expliquent que cette méthode est employée depuis de nombreuses années : il semble que ce soit essentiellement pour des raisons pratiques. Non seulement ce dispositif permet de faire travailler deux promotions au cours de la même séance, mais il permet aussi aux étudiants de s'autoréguler pendant une même pratique sans qu'un formateur soit en permanence derrière chaque binôme ou groupe. C'est bien l'étudiant P3 qui joue le rôle du « sachant », celui qui garantit à chaque instant la bonne conduite du soin ou de l'examen clinique, puisque la proximité physique (les étudiants sont l'un à côté de l'autre ou dans la même salle) lui permet de conseiller le P1 ou le P2 rapidement et à tout moment : ce sont donc bien les étudiants qui régulent leurs activités ensemble et les P3 ont la responsabilité de la prise en charge du patient. L'équipe pédagogique pense que ce dispositif est fonctionnel et qu'il n'est pas utile de le formaliser davantage, en expliquant par exemple de façon plus institutionnelle à chaque étudiant ce que signifie être accompagnant ou accompagné. Au début de l'année, les formateurs précisent à l'ensemble des étudiants que les P3 sont là pour aider les P1 ou les P2 dans leurs stages et qu'ils doivent travailler ensemble. « Puisque ça fonctionne bien ainsi et depuis longtemps », comme le disent des formateurs, « pourquoi en parler davantage ? »

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1.3 Questionnement

Les observations sur le terrain mettent en évidence que, globalement, comme le pense l'équipe pédagogique, ce travail collectif s'effectue correctement : les P3 prennent en charge les P1 ou les P2, leur expliquent les techniques d'examen clinique, comment parler au patient, les techniques de soins, leur donnent des conseils sur les choix des traitements, etc., mais aussi comment répondre aux attentes des formateurs (les savoirs théoriques, plus ou moins exigés suivant les formateurs, les préférences de prescriptions de produits, diverses et variées...) Pour autant, j'ai pu observer qu'en fonction des binômes et des groupes, les relations entre étudiants sont différentes, ce qui agit sur la communication avec le patient soigné mais aussi l'apprentissage lui-même. Les attitudes des stagiaires sont diverses. Elles accompagnent et influencent les actions d'apprentissage professionnel, intègrent des savoirs et des représentations mais dépassent ce cadre en y associant des composantes socio-affectives. Ces éléments d'interaction humaine occupent une place privilégiée dans l'identité professionnelle d'un soignant. Les attitudes et les valeurs, les sentiments, les émotions, le comportement moral et éthique, étroitement liés à la personnalité de l'étudiant, jouent un rôle très important dans la formation du stagiaire.

Ces observations conduisent à plusieurs remarques et à des questionnements : de quelle façon demande-t-on aux étudiants de travailler en binôme ou en groupe, comment comprennent-ils ce qu'on leur demande? Les P3 donnent des conseils, des explications aux P1 et aux P2 et pourtant ceci n'est pas une exigence de l'institut; que se passe-t-il vraiment entre eux ? Les binômes, les groupes pourraient intervenir auprès d'un patient sans communiquer en attendant que le formateur présent donne les consignes d'exécution de soin, montre tous les gestes techniques, explique les démarches de prise en charge... Je m'interroge sur la pertinence d'une explicitation du dispositif par l'équipe formatrice auprès des étudiants : serait-il plus performant si les rôles de chacun étaient définis par l'Institut?

Les interactions entre étudiants sont nombreuses et l'ambiance apparaît bienveillante : cela signifie-t-il que les P3 trouvent un intérêt à être accompagnateurs et les autres à être accompagnés ?

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La qualité de la prise en charge du patient par les acteurs (P3 et P1) semble être influencée par les relations entre les étudiants. Ce co-apprentissage est-il différent en fonction des groupes?

Comment les accompagnés (les P1 ou les P2) perçoivent-ils ces apprentissages? Sont-ils utiles à leur formation? Ce collectif d'apprentissage permet-il autre chose?

Les étudiants de 3ème année ont le rôle « d'aînés » dans ces situations d'apprentissages et sont amenés à endosser une attitude d'accompagnateur. Comment s'effectue cette modification de posture puisque les étudiants deviennent « accompagnateurs » après avoir été « accompagnés »? En bref, ce type de relations telles que je les ai observées a-t-il d'autres conséquences que purement formatrice à un métier ?

1.4 Problématisation

1.4.1 Notion de projet

Apprendre le métier de pédicure-podologue est un projet professionnel qui conduit à une activité exclusivement, ou presque, libérale. Jean-Pierre Boutinet4 définit le projet comme « une anticipation opératoire, individuelle ou collective d'un futur désiré ». En ce qui concerne la réflexion, l'utilisation de la notion de projet fait donc ici référence à une intention d'acquisition de compétences, validée par un diplôme, permettant d'exercer un métier. L'effet mobilisateur de cette notion cache donc sans doute la complexité du phénomène et le sens que lui donnent les acteurs. En formation d'adultes, il faut distinguer les projets individuels de formation (diversement motivés) des projets portés par une institution (ici, l'organisme de formation au métier de pédicure-podologue). Le projet, en tant que démarche innovatrice et porteur de changements pour l'individu s'inscrit dans une temporalité à l'intérieur de laquelle chacun évolue. L'inscription d'un projet dans telle ou telle culture particulière, décidera de sa configuration. Les projets des étudiants en formation de pédicurie-podologie sont-ils identiques dans tous les instituts? Il s'agit ici et dans tous les cas de projet professionnel mais la façon dont il est porté influence-t-elle cette construction? Les choix pédagogiques de chaque institut sont différents : dans quelle mesure le choix de faire apprendre ensemble des étudiants influence-t-il cette élaboration ?

4 J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet. Paris. PUF. 1990, p. 388.

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1.4.2 Intégrer une corporation

Pour les nouveaux étudiants, entrer en formation professionnelle signifie intégrer tout d'abord une corporation d'apprentis-soignants. Au début du cursus et durant les trois années de la formation, les formateurs pédicures-podologues rappellent régulièrement aux étudiants qu'ils appartiennent désormais à un groupe représentant la profession. Leurs propos le révèlent : « Faites attention à votre posture, à ce que vous dites. Vous représentez la profession. Vous devez donner une image sérieuse des podologues, dans vos attitudes...» La déontologie professionnelle et le respect d'une éthique5 du soignant sont très souvent mentionnés au cours des stages pratiques. Il s'agit bien pour les étudiants de « se former en corps » (corporari, en latin) ou plus exactement « de former un corps » dont les composantes sont toutes des personnes physiques et morales qui possèdent une même caractéristique, à savoir l'exercice d'une fonction : soigner. Historiquement, la corporation est le mode d'organisation de la plupart des professions. C'est une « association professionnelle, investie d'une certaine autonomie, munie de règlements officiellement reconnus, c'est une communauté, une confrérie, un corps de métier, un groupement organisé en vue de réglementer une profession dans le cadre de l'exercice d'un métier commun6 ». Aujourd'hui, pour la majorité des professions paramédicales, les ordres nationaux ont remplacé officiellement les corporations mais ce terme désigne toujours un ensemble de personnes exerçant la même profession.

1.4.3 Population étudiée

La population observée dans le cadre de cette étude est composée d'étudiants de troisième année, que je nomme «accompagnateurs ou tuteurs » et d'étudiants de première et deuxième années, « les accompagnés ou tutorés ».

Pendant une année de recherche, mon travail a donc été de les observer et de les questionner. Cette enquête de terrain, par des observations et des entretiens semi-directifs, a permis de recueillir des façons d'agir ainsi que la manière dont ils

5 En référence au code de déontologie des pédicures-podologues. Préparé par le Conseil National de l'Ordre, il avait fait, à l'origine, l'objet du décret N° 2007-1541 du 26 octobre 2007, paru au Journal officiel (J.O.) du 28 octobre 2007. Il fut remplacé par le décret N°2012-1267 du 16 novembre 2012 paru au J.O. du 18 novembre 2012.

6 H. Van Werveke. L'origine des corporations de métiers, Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 23, 1944, p. 22.

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perçoivent l'enseignement et se représentent la formation. En fin de formation, après trois ans, les étudiants expriment leurs vécus, ressentis et opinions. Que se passe-t-il dans ces groupes où des étudiants apprennent ensemble leur futur métier alors que, pour la majorité d'entre eux, ils exerceront seuls leur profession ? Ces actions entre pairs amènent-elles les membres du groupe à une activité qu'ils n'auraient sans doute pas menée en dehors de cette situation collective ? L'activité collective serait-elle porteuse d'un potentiel d'apprentissages plus important et d'un meilleur exercice de la profession ? Les postures des étudiants en sont-elles alors modifiées au cours de leurs études ?

1.4.4 Problématique

L'observation et le dialogue me permettent d'élaborer des représentations de ces situations. A l'instar de ce que décrit Howard S. Becker7, je réunis différentes parties d'un puzzle pour construire un paysage cohérent en choisissant d'éclairer certains aspects restés à ce jour dans l'ombre.

La confrontation de ces informations avec les différents concepts des champs de la sociologie, de la psychologie, de la pédagogie, les analyses des entretiens effectués auprès des étudiants, m'invitât à voir, dans ces situations, un phénomène de l'ordre de la construction identitaire. Sommes-nous face à une construction d'une identité sociale au sens où Claude Dubar8 la décrit, à savoir « une transaction interne à l'individu et une transaction externe entre l'individu et les institutions avec lesquelles il entre en interaction »? Intégrer un groupe au cours de sa formation joue-t-il un rôle dans ce processus ? Quelle est l'importance de cette socialisation étudiante et donc professionnelle si on l'analyse en fonction des socialisations antérieures ? Sommes-nous face à des socialisations de renforcement ou de transformation9 ? L'identité professionnelle s'acquiert-elle vraiment par ce type de socialisation ? Quelles sont les interactions en jeu au fil de la formation, entre identité professionnelle et identité privée ?

7 H.S. Becker. Les ficelles du métier. Paris, La Découverte. 2002.

8 C. Dubar, professeur de sociologie à l'Université de Versailles-St Quentin en Yvelines. Auteur de La socialisation. Construction des identités sociales et professionnelles. Paris. Armand Colin. 1991, p.109.

9 M. Darmon, La socialisation. Paris. Armand Colin. 2011.

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Dans un de ses ouvrages, le philosophe Jean-Luc Nancy interroge cette notion d'identité10. A « l'identité du repérable » qui cherche des marqueurs, de l'identifiable, du permanent, il oppose une autre forme d'identité, « celle qui se fait en se cherchant et en s'inventant ». L'identité serait un processus relié à une temporalité, à des événements, des expériences et des rencontres. Une formation professionnelle qui propose des activités collectives interpromotionnelles participe-t-elle à une construction identitaire des étudiants ? Peut-on parler d'identité plurielle11 ?

Il s'agit donc, dans cette étude, de comprendre comment les étudiants pédicures-podologues fonctionnent dans ces dispositifs, comment les situations sont organisées et ce qu'elles engendrent.

Les concepts de l'accompagnement, du tutorat et les différentes formes de socialisations qui en découlent fondent les propositions que j'élabore. Mon objectif est de montrer comment l'articulation de ces différents concepts participe à une construction sociale professionnelle.

La problématique de ce mémoire porte donc sur le processus de socialisation des pédicures-podologues appréhendé au travers des apprentissages entre pairs et son influence sur la construction identitaire professionnelle.

1.4.5 Une posture d'apprenti-chercheur

Cette réflexion que je mène est une pièce de plus à un puzzle inachevé et correspond à un cheminement professionnel et personnel. Le trajet emprunté crée un mouvement perpétuel et questionne les dilemmes irrésolus pour s'affranchir des limites d'une activité et lui donner d'autres horizons. A contre courant des certitudes et du bien-fondé des consensus, l'obstination et la curiosité me poussent à questionner des zones qui me sont apparues sombres et cachées. L'apprenti-chercheur est toujours dans ce juste milieu entre « engagement et distantation » ; l'objectif n'est pas de guider les pratiques de terrain mais d'essayer de comprendre et de donner à voir des manières renouvelées d'observer les phénomènes quotidiens et les routines qui ne sont plus

10 J.L. Nancy, Identité : Fragments, franchises. Paris. Galilée. 2010.

11 V. Descombes, Les embarras de l'identité. Paris. Gallimard.2013. p. 45- 46.

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questionnées, de proposer peut-être d'autres grilles de lecture, en laissant aux acteurs la possibilité éventuelle de saisir quelques résultats de cette réflexion12.

Les situations sont complexes au sens où elles ne sont pas simplement le fait d'un facteur mais d'une combinaison de facteurs. Expliciter la façon dont sont reliés les éléments est nécessaire puisque les choses se définissent et se redéfinissent en fonction des interactivités des acteurs engagés. La démarche de l'apprenti-chercheur consiste à articuler les observations sur le terrain et les différents concepts théoriques, en s'appuyant sur les épaules des auteurs ayant déjà traité de ces sujets. Dans ce travail de recherche, je suis invitée à ne plus juger ou produire une opinion mais à chercher à voir plus précisément, plus finement dans une finalité explicative. Je suis bien dans un processus dans lequel je ne peux plus dire « on m'a dit » mais « j'ai vu, j'ai observé » et d'autres l'ont fait avant moi. Selon Gaston Bachelard, « c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique13 ». Le premier obstacle épistémologique que je dois dépasser est l'observation elle-même. J'ai fait le choix d'aller sur un terrain qui m'est proche professionnellement : cela suppose de ma part une prise de distance afin de ne pas rester dans une approche expérientielle. Gaston Bachelard, à l'instar de Thomas Kuhn ou d'Emile Durkheim, explique que « l'esprit doit commencer par critiquer ce qu'il croit déjà savoir, c'est-à-dire en rompant avec le sens commun14 ». Ma tâche consiste à identifier l'existence de certains éléments, à délimiter leurs contours, à les nommer de façon adéquate, pour m'assurer que ce ne sont pas simplement des produits issus de mon imagination et de mes représentations. Selon Howard S. Becker, le chercheur doit assumer la question du choix de son échantillonnage. Il ne s'intéresse jamais à tout ce qui se passe dans la situation qu'il étudie mais choisit plutôt d'étudier un petit nombre de choses. J'ai pu observer que cela est particulièrement vrai lorsque nous effectuons un travail de terrain. Etre attentif à tout ce qui se passe dans ces situations d'observation est une rigueur méthodologique difficile. « Une fois que nous avons bien observé ce que nous avons choisi de regarder, nous laissons pour ainsi dire de côté tout le reste, tout ce qui semble routinier, non pertinent, et ennuyeux. L'idée selon laquelle nous devrions seulement nous tourner vers ce qui est intéressant, vers ce que nos réflexions antérieures nous disent être intéressant, vers ce que notre univers professionnel nous dit être intéressant, vers ce

12 Anne-France Hardy, Développement professionnel du soignant-éducateur en santé scolaire, mémoire Master EAD, 2013, p.6.

13 G. Bachelard, L'Eau et les Rêves. Paris. Corti. 1942.

14 L. Yousfi, Gaston Bachelard, une philosophie à double visage. Sciences Humaines n°242, 2012.

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que la littérature publiée nous dit être intéressant, est un piège dangereux15 ». Howard S. Becker explique ainsi que « le sens commun et les préjugés des gens qui nous entourent ne sont pas les seuls obstacles qui nous empêchent de voir ce qu'il y a à voir. Nous faisons souvent le choix de ce que nous prenons en compte et de ce que nous laissons de côté en fonction de la base d'une représentation et de la théorie qui lui est associée ». Dans son analyse sur les représentations, Jérôme Blumer affirme que « malgré ce défaut de connaissance directe, le chercheur se formera inconsciemment une sorte d'image mentale de la sphère de vie qu'il se propose d'étudier. Il fera intervenir les croyances et les images qu'il a déjà en tête pour élaborer une vision plus ou moins intelligible de cette sphère.[...] Que nous soyons profane ou chercheur, nous approchons tous nécessairement telle sphère de vie sociale inconnue à travers les images que nous possédons déjà ». C'est pourquoi je ne peux me satisfaire de ce que m'apportent mon imagination et mes extrapolations. Je sais aussi que mes « stéréotypes ne sont justement que des stéréotypes, et qu'ils ont autant de chance d'être exacts que d'être faux16 ».

Les questionnements, les remises en cause, la recherche de cohérence entre « le penser et l'agir » (et inversement) font partie d'un ensemble à la fois déséquilibrant et enrichissant qui caractérise la posture de praticien-chercheur qui est la mienne aujourd'hui.

« Je suis humain parce que j'ai ma place, je participe, je partage,» dit le Dalaï Lama. C'est bien dans un contexte social que j'acquière des savoirs, des nouvelles capacités, que j'enrichis le réseau de relations qui tisse mon rapport au monde. Etre en recherche, « faire » de la recherche, nécessite de développer un nouveau regard capable d'appréhender et d'analyser la réalité complexe des phénomènes d'activité humaine, de façon critique, de fonder un nouvel esprit et d'ouvrir de nouveaux horizons.

La démarche réflexive permet d'articuler l'activité professionnelle et la démarche universitaire, le rôle de praticien et celui du chercheur. Cette posture de praticien et de chercheur suscite des « questions épistémologiques quant à la nature ou la légitimité des savoirs produits (savoirs théoriques ou savoirs d'action, savoirs profanes ou savoirs savants) de même que par rapport aux distinctions ou aux limites entre objet, sujet, voire projet de recherche [...] Les sciences de la formation ajoutent à ces

15 H.S. Becker, Les ficelles du métier. Paris. La Découverte. 2002 .p.162.

16 H.S. Becker, op. cit. p. 40.

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questionnements le débat sur leurs propres finalités, entre professionnalisation, technicité et utilité sociale17 ».

Le praticien et le chercheur évoluent très souvent dans des mondes différents : le praticien agit dans l'action, parfois dans l'urgence. Il est condamné à l'anticipation permanente mais son expérience lui permet aussi de prendre des décisions rapides. Le chercheur, lui, a besoin de temps, de recul, de distance pour observer et analyser les processus en jeu. Un regard croisé praticien-chercheur permet sans doute une posture singulière constituant un enjeu intéressant dans la combinaison de valeurs, de démarches, de principes complémentaires afin de comprendre l'environnement et pouvoir le contester pour aller plus loin, pour mieux vivre. Ces chemins enchevêtrés et cette double posture de praticien-chercheur me semblent pouvoir donner du sens à la perspective d'un « apprentissage tout au long de la vie ». C'est bien dans ce processus que s'inscrit mon travail de recherche.

Je me suis interrogée sur ce qui fait sens à s'inscrire dans une démarche de recherche. De mon point de vue, « rechercher » peut être relié à « curiosité » si l'on définit celle-ci comme le désir de connaître ce qui nous est « autre » mais perceptible. Gaston Bachelard écrit : « L'homme veut voir. La curiosité dynamise l'esprit humain. » La curiosité est ce qui retient l'attention, de l'ordre du souci, de la préoccupation18. Elle ne surgit donc pas par hasard. Le premier trait caractéristique de la curiosité est qu'elle s'intéresse à ce qu'elle connaît déjà mais en partie seulement. Nous ne sommes donc pas curieux dans l'absolu, mais bien relativement à certains sujets dont nous savons déjà quelque chose : « L'enfant possède naturellement des intérêts dûs en partie au degré de développement qu'il a atteint, en partie aux habitudes qu'il a déjà acquises et à l'environnement dans lequel il vit [...]. Ils sont le point de départ, les amorces, les instruments de travail19 ». C'est cette connaissance première et partielle qui conditionne notre curiosité, notre désir de connaître davantage. Si l'objet de curiosité était invisible, comment pourrions-nous désirer lever le voile qui trouble notre vue ?

Le concept de sentiment d'efficacité d'Albert Bandura a également retenu mon attention. Cette théorie, enracinée dans une perspective sociocognitive, m'invite à sans doute mieux comprendre les représentations que les hommes ont de leur capacité à agir avec efficacité, par l'influence sur eux-mêmes et sur leur environnement. Avoir

17 J. Eneau, Introduction aux Apprentissages pluriels des adultes, questions d'hier et aujourd'hui. Paris. L'Harmattan. 2008.

18 Histoire du mot curiosité. Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. www.cnrtl.fr.

19 J. Dewey, 2004.

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lu, en partie, l'ouvrage d'Albert Bandura éclaire ma démarche. Je comprends aujourd'hui, plus qu'hier, ce qui m'a orientée vers le choix de mon sujet d'enquête et ce qui m'a permis d'agir.

Les croyances en l'efficacité personnelle constituent le facteur-clé de ce qui concerne les actes réalisés intentionnellement. Albert Bandura explique que « si une personne estime ne pas pouvoir produire de résultats, elle n'essayera pas de les provoquer. Ces croyances sont insérées dans un réseau de relations fonctionnelles agissant en association avec d'autres facteurs dans la gestion de diverses réalités [...] Les hommes sont peu incités à agir s'ils ne croient pas que leurs actes peuvent produire les effets qu'ils souhaitent. La croyance d'efficacité est donc un fondement majeur du comportement. Les individus guident leur existence en se basant sur la croyance en leur efficacité personnelle. L'efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l'individu en sa capacité d'organiser et d'exécuter la ligne de conduite requise pour produire les résultats souhaités. Les éléments sur lesquels s'exerce l'influence de l'individu sont très divers : il peut s'agir de la motivation personnelle, des processus de pensée, des états émotionnels et des actes, ou encore de la modification des conditions environnementales, selon ce que l'on cherche à maîtriser.» Etre chercheur en Sciences de l'Education a certainement un rapport étroit avec la théorie des buts20. Pourquoi les individus s'investissent-ils autant dans ces domaines, au détriment parfois de leur entourage familial, amical, en s'interdisant le plaisir de ne rien faire ? Bien sûr, il y a une finalité. L'individu ne fait pas un effort si l'objectif recherché est invisible. Peut-on penser le savoir pour unique volonté de savoir ? Que signifie le plaisir de chercher évoqué par les chercheurs ? Est-ce un perpétuel mouvement de l'esprit qui procure de la joie, celle d'exister ?

Dans tous les domaines de la recherche, on peut distinguer différents buts : ceux que le chercheur se fixe lui-même, et ceux que les autres veulent qu'il vise (assignés par une institution). Le thème de ma recherche est un choix personnel, non une commande, ce

20 La théorie des buts accorde au concept de but motivationnel une place centrale au sein du modèle explicatif. Selon les auteurs, la nature de l'accomplissement individuel ou le but motivationnel poursuivi conduit l'individu à ressentir des états psychologiques spécifiques et identifiables. Ces états contribuent à la fois à la détermination des émotions et des cognitions éprouvées lors de l'accomplissement et à l'expression de conduites observables. Cette théorie présuppose que les buts peuvent être assimilés à des constructions cognitives internes, conscientes et accessibles, précisant ce que les individus tentent d'accomplir et les raisons qui les poussent à agir. Ainsi, les buts d'accomplissement déterminent un cadre de référence qui détermine la nature des projets individuels, la définition de la compétence et du succès et les critères d'évaluation de la performance. F. Cury. L'année psychologique. 2004 vol. 104, n°2. pp. 295-329.

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qui me laisse une relative liberté d'action, nécessaire à la motivation qui me nourrit et me permet d'avancer. J'ai pris conscience que c'est un réel travail sur soi qui doit s'effectuer pour produire une réflexion. Gaston Bachelard a dit « le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser.» Je crois alors avoir basculé dans ce que l'on nomme la réflexion épistémologique. Le passage à l'écrit m'a permis de pouvoir prendre une distance émotionnelle avec le sujet qui m'intéresse.

Dans le domaine de la recherche, les enseignants-chercheurs universitaires que j'ai rencontrés m'ont conseillé de ne pas chercher à vouloir tout comprendre, tout savoir d'un phénomène, car le risque est de se perdre et de ne rien interroger. C'est un élément essentiel, ai-je compris, dans l'activité de recherche mais qui me place dans une quête qui ne sera jamais totalement assouvie. L'idée d'une perspective ouverte sur des horizons pouvant être différents fait que l'objet d'enquête est, en soi, dynamique, non figé, pouvant être interrogé suivant des angles d'approche variés. J'ai aujourd'hui choisi de le regarder d'une certaine façon et je dois expliciter mes choix.

En ayant intégré une formation à la recherche en sciences de l'éducation, je suis conviée à participer à une construction de pensée, et cette action peut être comparée au fait d'apporter une pierre à l'édifice, humblement, « à l'instar du tambour qui participe à l'harmonique de la fanfare21 ».

1.5 Méthodologie

1.5.1. Question de départ

La réalisation de mon enquête est guidée par une question : que se passe-t-il entre les étudiants pédicures-podologues dans ces moments d'apprentissages entre pairs ?

Cette interrogation est provisoirement formulée et oriente mon travail exploratoire. Les lectures portant sur des thèmes proches de ma recherche m'ont permis de mettre en évidence les perspectives les plus pertinentes pour aborder mon objet. Ainsi, je me suis intéressée à la notion d'apprentissage en lisant des auteurs comme Philippe Meirieu, Jean Piaget, Lev Vygotski et Jérôme Bruner. La complexité des conditions d'apprentissage est un questionnement permanent, ancré dans l'histoire des hommes : déjà au Vème siècle avant J.-C., Platon propose, dans La République et Les Lois, une

21 Brigitte Albéro, citation de cours, master EAD. 2012.

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éducation collective dans le but de former des citoyens où la Cité remplacerait totalement les parents. Pour lui, l'éducation consistait à « mettre la science dans l'âme » selon le sens commun, à élever l'âme vers le bien, le beau et la justice...

Les théories du psychologue américain Jérôme Bruner22, dans les années 1950, sont, de mon point de vue, une aide précieuse pour répondre aux questionnements. Ce qu'elles ont d'original par rapport à d'autres théories d'apprentissage, c'est qu'elles expliquent, d'une part, le processus cognitif de l'apprentissage et qu'elles montrent, d'autre part, le rôle primordial de l'interaction sociale qui le déclenche. Elles permettent de comprendre les processus qui rendent possible l'acquisition des connaissances et donc d'élaborer des pratiques pédagogiques prenant en compte à la fois la nature cognitive et sociale de l'apprentissage. Ces théories, comparées à d'autres courants, me permettent de mieux cerner la question des apprentissages. Puisque mon questionnement porte sur un travail collectif, entre pairs, je suis également allée regarder du côté du collectif, de la coopération. Des auteurs comme Alain Baudrit ou Etienne Wenger ont particulièrement retenu mon intention. La nature sociale de l'apprentissage qui m'intéresse a orienté, de fait, mes lectures sur les phénomènes de socialisation : Muriel Darmon et Claude Dubar sont les auteurs majeurs auxquels je me réfère dans cette étude.

L'activité de lectures préparatoires, que je présente dans la partie Travaux relatifs à la question, est donc un recueil d'informations sur des recherches déjà menées qui me permet de situer ma propre contribution à travers l'étude que je propose. Cette phase d'exploration est une période pendant laquelle s'entremêlent lectures, observations du terrain et entretiens exploratoires. L'enquête de terrain favorise la collecte de renseignements complétant les pistes de travail que mes lectures m'ont suggérées.

Les incessants allers-retours entre mes observations et mes premières exploitations d'entretien me permettent de dégager une vision relativement cohérente de mon objet d'étude23. Décrire et analyser l'expérience des individus en observant ce qui fait sens ou problème pour eux, ce qui est pertinent, cohérent ou pas, rend possible le fait de « remonter de la subjectivité vers l'objectivité, de l'action vers le système24 ». Les entretiens exploratoires permettent de transformer, de modifier le questionnement. En

22 Comment les enfants apprennent à parler ; Culture et modes de pensée ; Éducation, entrée dans la

culture ; Le développement de l'enfant : savoir faire, savoir dire,... sont quelques-uns des ouvrages de J. Bruner.

23 D. Bertaux, Récits de vie. Paris. Armand Colin. 2010.

24 F. Dubet. L'expérience sociologique. Paris. La Découverte. 2007.

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croisant mes observations et ce que disent les étudiants au sujet de leur activité, je prends conscience que ce qui me posait questionnement au départ n'est pas vraiment intéressant, trop évident, peu énigmatique. Au début de mon enquête, je souhaitais comprendre ce que pensaient les étudiants, s'ils trouvaient ces situations en binôme confortables et utiles à leur formation. C'est autre chose que j'ai découvert en les écoutant et en les observant. Déplacer mon regard est devenu alors une évidence et une nécessité.

Pour cette phase exploratoire, je me suis entretenue avec quatre étudiants (deux premières année, deux troisièmes année) ce qui m'a permis de prendre conscience d'aspects auxquels mes observations ou mes lectures ne me donnaient pas accès. Par exemple, j'ai entendu des expressions comme « tuteur, c'est un rôle qu'on nous donne », « on ne dit jamais non », « pour aider, il faut y mettre du coeur », « on est une famille de podologues »...

Cette phase préparatoire est également le moment de construction des ajustements nécessaires à une « bonne » conduite des entretiens, celle qui amène à une connaissance, sans quoi, ces entretiens ne seraient que des discussions, certes intéressantes, mais peu productives de faits « sinon réfutables, au moins vérifiables et discutables par la communauté des pairs25 ». L'objectif de ces entretiens semi-directifs ne consiste pas non plus à valider des idées préconçues mais à rendre visibles d'autres phénomènes. En tant qu'interviewer, j'aurais pu penser que je n'allais opérer qu'un simple prélèvement de discours auprès des étudiants enquêtés. Cette expérience de terrain me permet de constater qu'il n'en est rien, que la manière dont j'ai organisé nos rencontres a certainement influencé la production de parole. Mes entretiens se sont déroulés dans l'institut dans lequel je travaille, dans des salles de travail ou de cours, et non à l'extérieur. Mon inexpérience à la conduite d'entretiens a eu des conséquences sur la préparation de mon protocole d'enquête, sur mes interventions, parfois directives, lors de l'écoute des premiers enquêtés. Ces éléments sont autant de biais que j'ai relevés dans cette phase exploratoire. Pour que mes résultats puissent tenter d'expliquer, d'objectiver les phénomènes étudiés, il fut évidement nécessaire d'améliorer ma méthode d'investigation26.

25 B. Albéro, Robin, Linard, Petite fabrique de l'innovation à l'université. Paris. Harmattan, 2008. p. 16.

26 « C'est le B.A BA de la recherche de terrain » dit Ida Simon Barouh, ethnologue. « En ethno, par exemple, on commence par faire une ou deux observations, un ou deux entretiens à titre d'expérience (ça s'appelle le pré-terrain), et on voit ce qui a marché, ce qui a posé problème avant de se « lancer »

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1.5.2. Choix de la méthode d'enquête sur le terrain

Une pratique de terrain permet de dégager des connaissances objectives fondées sur l'observation concrète. Le but de l'enquête peut être de vérifier des hypothèses posées a priori. Pour autant, je partage une autre idée de l'enquête et me réfère à Daniel Bertaux lorsqu'il dit que l'enquête permet « de comprendre le fonctionnement interne de l'objet social observé et d'élaborer un modèle de ce fonctionnement sous la forme d'un corps d'hypothèses plausibles27 ». Cette démarche inductive autorise des allers-retours entre les observations, les concepts, les questionnements et la problématique. Cette démarche permet de partir d'expériences, de favoriser un questionnement des pratiques quotidiennes en tenant compte de leur complexité, de ne pas dissocier ou opposer la théorie et permet la construction progressive d'un objet réellement enraciné dans un questionnement personnel. Ce questionnement est confronté au terrain. Pour cela, il est nécessaire d'inclure la perspective des acteurs, de « voir avec leurs yeux », de s'approcher du point de vue du terrain28. Il s'agit d'interroger les conditions de production du discours scientifique pour situer les questions qui sont susceptibles d'émerger. Cette tension entre le point de vue des acteurs et le point de vue du questionnement du chercheur permet d'affiner la question de départ. « La méthode expérimentale, considérée en elle-même, n'est rien d'autre qu'un raisonnement à l'aide duquel nous soumettons méthodiquement nos idées à l'expérience des faits29. » Cela signifie montrer sans fard les choses et les hommes tels qu'ils sont et porter une attention clinique aux actions et aux relations. C'est être curieuse afin de pousser mes investigations, d'observer dans le détail, de procéder par plans rapprochés. Ne pas enfoncer des portes déjà ouvertes mais chercher à éclairer les endroits encore obscurs de la pièce.

Pour le chercheur de terrain, le cadre théorique guide son regard afin de rendre compte d'une réalité et non de la réalité. Cette phase symbolise la délimitation conceptuelle choisie pour encadrer l'objet de recherche, celle qui permettra une analyse de situation sous un angle particulier, décrit, explicité. Car deux chercheurs sur un même terrain auront des vues différentes des situations suivant l'angle de vue qu'ils ont choisi. Une

vraiment! C'est tout le travail d'apprentissage du métier sur le terrain. Avoir conscience qu'on marche toujours sur des oeufs... ». Conversation privée.

27 D. Bertaux, Récit de vie. Paris. Armand Colin. 2010. p.20.

28 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de terrain. Paris. La Découverte. 2010. p.81-83.

29 C. Bernard. Cours de pathologie expérimentale. Revue des cours scientifiques. Paris.1864.

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mise en cohérence progressive du questionnement, de la situation et de l'objet est un processus de problématisation. Selon Nicolas Perrin, enseignant-chercheur à Lausanne, ce travail des pôles « questionnement, situation et objet » constitue un moyen de construire une problématique de recherche cohérente et pertinente, de faire évoluer son questionnement de recherche.

La démarche inductive peut être rapprochée de la perspective ethnosociologique30: la stratégie d'accès au réel n'est pas neutre puisqu'elle répond souvent aux exigences mêmes de la problématique de recherche et de l'orientation définie par le chercheur. Le choix de ma stratégie d'accès à ce que j'appellerais « le réel », c'est-à-dire un certain type de terrain, a été dans une certaine mesure également motivé par le souhait de développer un peu d'originalité par rapport aux stratégies plus classiques comme la démarche hypothético-déductive. Mes premiers entretiens avec les étudiants m'ont permis de voir que le terrain pouvait m'apporter d'autres éléments auxquels je n'avais pas pensé. En détaillant les situations plus finement, j'ai vu des éléments auparavant invisibles pour moi. Le terrain était fertile : c'est lui qui allait rendre ma recherche passionnante, et non pas les quelques hypothèses de départ que j'avais formulées.

Cette perspective ethnosociologique est utilisée par un certain nombre d'auteurs, dans des sens divers et pas toujours clairement définis. Certains parlent de démarche socio-anthropologique d'autres de méthode ethnographique. Georges Lapassade31 définit l'ethnosociologie comme « une démarche qui transpose à la sociologie le principe de méthode des ethnologues: l'étude directe - in situ - de la vie sociale ». Gérard Derèze, dans Éléments pour une ethnosociologie des organisations, préfère parler d'approche transdisciplinaire et empirique. Il situe et définit cette approche, dans sa filiation interactionniste et qualitative. Selon cet auteur, l'ethnosociologie est une approche :

- situationnelle, c'est-à-dire localisée et contextualisante

- empirique, c'est-à-dire fondée sur l'expérience et le recours indispensable au terrain

30 D. Bertaux, op. cit.

31 G. Lapassade, L'ethnosociologie. Paris, Méridiens Klinckieck, 1991. Dans cet ouvrage, l'auteur montre en quoi l'école de Chicago et l'ethnométhodologie ont nourri et inspiré son approche ethnososociologique.

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- dynamique, c'est-à-dire qu'elle doit construire son objet dans le mouvement même de l'enquête et la spécificité de son approche dans le mouvement même de la recherche

- potentiellement distinctive, c'est-à-dire qu'elle peut, au-delà de ce que l'ethnologie a tendance à proposer (des approches totales non parcellaires), tenter de mener des approches qui s'intéressent à des questions spécifiques

- ordinaire, c'est-à-dire que priorité est donnée au sens commun, au sens donné par les acteurs

- cumulative, c'est-à-dire non nécessairement comparative et non superpositionnelle : les réflexions, propositions compréhensives de différentes études ou recherches ne viennent pas se mettre les unes sur les autres mais les unes dans les autres

- compréhensive et non explicative ou strictement descriptive, c'est-à-dire qu'elle propose des interprétations localisées

- extensive, c'est-à-dire qu'elle doit viser à dépasser l'empirique et les interprétations localisées pour tenter de formuler des extensions compréhensives propositionnelles.

Plus brièvement, Gérard Derèze explique que l'ethnosociologie s'intéresse aux pratiques, aux savoirs, aux interactions et aux représentations. Cette méthode d'enquête peut donc être conçue comme un ensemble d'actes inter-reliés et interdépendants. Cette approche est de type objectiviste dans le sens où elle n'a pas pour objet de saisir de l'intérieur le système de valeurs ou les schèmes de représentation d'une personne ou d'un groupe social. Elle a pour but d'étudier un fragment de la réalité sociale-historique (un objet social) et de comprendre comment ce moment s'est créé, s'est transformé à travers les rapports sociaux, les mécanismes, les processus et les logiques d'action qui le caractérisent. Par «perspective ethnosociologique », on peut désigner une recherche de type empirique basée sur l'enquête de terrain, qui prend ses sources dans la tradition ethnographique par ses techniques d'observation mais qui construit ses objets en référence à des problématiques sociologiques. C'est cette perspective que je retiens pour ma recherche.

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Selon Daniel Bertaux, un monde social se construit autour d'un type d'activité spécifique, généralement centré autour d'une activité professionnelle. L'hypothèse déterminante de la perspective ethnosociologique repose sur le fait que les logiques qui règlent l'ensemble d'un monde social sont également à l'oeuvre dans tous les microcosmes qui le composent. Ainsi, si nous observons de façon approfondie un seul ou quelques-uns des microcosmes, nous devons être en mesure de saisir les logiques sociales du monde social.

Les recherches monographiques et sociographiques réalisées par l'ethnologue comportent de nombreux intérêts intrinsèques et ne se contentent pas de décrire un terrain spécifique et d'en analyser la culture. Pour Daniel Bertaux, en utilisant une perspective ethnosociologique, le chercheur tente de passer du particulier au général en identifiant dans le terrain observé des logiques d'action et des processus récurrents qui seraient susceptibles de se retrouver dans plusieurs contextes similaires.

L'hypothèse « si nous observons de façon approfondie un seul ou quelques-uns des microcosmes, nous devons être en mesure de saisir les logiques sociales du monde social, à condition de multiplier les terrains d'observation et de les comparer entre eux » a inspiré des interactionnistes symboliques comme Howard S. Becker et Erving Goffman, de la sociologie du travail et de la sociologie des organisations, eux-mêmes influencés par les travaux de l'Ecole de Chicago. Avant la création d'un département de sociologie à l'université de Chicago en 1892, cette façon de procéder n'était enseignée que dans quelques universités américaines au sein de départements de sciences économiques et politiques. Le succès de cette matière enseignée à Chicago fut très rapide. En 1907, plus d'un millier d'étudiants étaient inscrits et la discipline se diffusait rapidement au sein des universités et des collèges sous l'influence des professeurs de Chicago. L'histoire du département de sociologie fut marquée par les fortes personnalités de William Thomas et de Robert Park. A partir de 1915, ces professeurs incitent les étudiants à se rendre sur le terrain afin de recueillir les autobiographies de sous-prolétaires, de délinquants et d'immigrants mais également à réaliser des monographies, des études de communautés. Robert Park concevait l'apprentissage de la sociologie en deux temps : découvrir d'abord le monde extérieur avant de l'analyser et avoir une expérience directe de la diversité des milieux sociaux. La volonté de Robert Park était de confronter ses étudiants à l'histoire tourmentée du peuplement de Chicago, à la coexistence de multiples réactions aux contraintes du travail et de l'habitat. Les étudiants se heurtaient ainsi aux barrières de la langue et de

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l'échange d'informations entre personnes issues de milieux fortement éloignés32.Par sa volonté d'inciter les jeunes étudiants à sortir des bibliothèques pour aller sur le terrain, Robert Park voulait les voir affronter le monde réel plutôt que de discuter sur les représentations des autres sur ce monde.

Aujourd'hui, les sciences humaines sont sensées trouver leur légitimité dans des recherches qui allient enquêtes qualitatives et enquêtes quantitatives.

Le champ des sciences humaines, dites « molles » se différencie des sciences dites « dures », les sciences de la nature et les sciences formelles. Celles-ci sont toujours considérées dans notre société comme synonyme de sciences exactes. Pourtant, cette dernière expression est sensiblement problématique, en particulier du fait de son caractère normatif. Selon Thierry Rogel, professeur agrégé de sciences économiques et sociales, « cette dichotomie est à la fois portée par les débats sur les deux sciences, les définitions vulgarisatrices de ce qu'est ou devrait être la science ainsi que la partition institutionnelle et culturelle de l'Éducation Nationale pour laquelle la filière scientifique est uniquement celle qui correspond aux sciences dures ». Selon Léna Soler, maître de conférences en philosophie, « l'opposition sciences dures/sciences molles n'est pas à placer sur le même plan que les autres classifications des sciences, dans la mesure où elle repose essentiellement sur un jugement de valeur : parler de sciences molles est évidemment péjoratif ». L'opposition sciences dures/sciences molles coïncide globalement avec l'opposition entre, d'un côté, les sciences de la nature et les sciences formelles, débouchant sur la production de lois, et de l'autre, les sciences humaines et sociales, considérées comme des sciences interprétatives au sens où elles ne peuvent prétendre être explicables par des lois. Ces dernières voient leurs affirmations toujours produites en référence à des contextes sociaux dont la caractéristique majeure est d'être changeante. Pour autant, « cela ne signifie pas tant que ces assertions sont relatives, c'est-à-dire de teneurs variables et donc limitées et imparfaite, [...] ne pouvant être appréciées en soi, mais seulement en rapport à un univers matériel et symbolique qui leur donne sens33

32 Pour autant, Louis Wirth, qui écrit le Ghetto, était juif et Franklin Frazier, auteur de Black Bourgeoisie, était un noir américain.

33 Marc-Henry Soulet, « Les qualités essentielles du chercheur qualitatif », Revue de Recherches Qualitatives, n° 12-2012, Hors Série, (ISSN 1715-8702), p. 30.

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L'élaboration de sens, d'un côté, la sirène de la preuve, de l'autre. Comment faire pour éviter cette dichotomie ? Ceci est un vaste sujet. Transformer l'idée de science et l'idéologie liée à la science permettrait-il une meilleure compréhension de nos sociétés?

1.5.3. Justification des instruments qui permettent l'observation

En sciences humaines, le chercheur dispose de plusieurs techniques correspondant à différents types de questionnement. L'observation et l'entretien sont des méthodes de production de données permettant une analyse. Utiliser l'enquête de terrain, les entretiens sont des démarches pertinentes pour l'objet de ma recherche.

1.5.3.1. L'entretien

L'entretien provoque la construction d'un discours dans lequel les enquêtés ont la possibilité de s'exprimer, de s'expliquer, de nuancer leurs propos, de les éclairer, de commenter les descriptions de situations. L'enquête par entretien s'inscrit dans certaines traditions sociologiques, comme celle de la sociologie compréhensive de Max Weber, dont l'objet particulier est l'action, qu'il définit comme « un comportement compréhensible » parce que les individus y attachent un sens, une représentation qui leur est propre. Pour savoir « comment ça fonctionne », je me suis donc adressée aux étudiants pendant l'exercice de leur apprentissage. Ils ont, de fait, adopté un statut d'informateurs sur des contextes sociaux dont ils ont acquis une connaissance pratique par leurs expériences. La production de ces informations peut donc constituer un outil intéressant d'extraction de savoirs pratiques à condition que je pense à les orienter vers la description des expériences qu'ils ont vécues personnellement. Cela revient à guider leurs récits de vie vers une forme que Daniel Bertaux nomme « récit de pratiques ». Ainsi, l'entretien est un dispositif pertinent lorsqu'on veut comprendre et analyser le sens que les individus donnent à leurs actions et aux situations qu'ils ont vécues. « Lorsqu'on veut mettre en avant les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils s'orientent et se déterminent... [l'enquête par entretien] donne accès à des idées incarnées et non pas préfabriquées, à ce qui constitue les idées en croyance et qui, pour cette raison, sera dotée d'une

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certaine stabilité34 ». La méthode de l'entretien et parce qu'il ne s'agit pas seulement de « faire décrire », mais aussi de « faire parler sur35 », est heuristique car elle ouvre la voie à la découverte de faits et éventuellement de théories. Selon Paul M. Rabinow36, les faits existent en tant que réalité vécue, mais ils sont fabriqués au cours de processus d'interrogations, d'observations et d'expériences. Dès lors, les informateurs expliquent ce qui n'était encore qu'implicite lorsqu'ils parlent sur ce qui, jusqu'ici, semblait aller de soi.

Le choix d'opérer par entretiens m'a également permis des rencontres avec les étudiants. S'entretenir est davantage que questionner, c'est avant tout une expérience singulière qui comporte toujours d'incontournables inconnues, parfois des risques, mais qui peuvent également être de l'ordre de la découverte de faits jusque-là invisibles. Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron37 expliquent que l'entretien est une sorte « d'improvisation réglée » ; chaque moment de parole est une situation susceptible de produire des effets de connaissances, mais qui doit être réglée pour permettre cela, c'est-à-dire qui nécessite des ajustements. Classiquement dans les ouvrages de méthodes en recherche, la construction d'un guide d'entretien est fortement conseillée pour permettre la conduite d'entretiens. Le guide d'entretien est un outil d'enquête qui doit rester un moyen (et non le seul) d'établir une relation avec l'enquêté. Il rassure l'enquêteur, balise en quelque sorte l'entretien ce qui laisse penser que le guide conduira au recueil d'un matériau suffisamment riche pour être analysé et interprété38. Pour autant, l'idée d'un guide d'entretien peut sembler sacrilège aux yeux des vieux routiers du terrain qui font confiance à leur instinct, au bricolage et qui travaillent sans boussole39. Le nombre croissant d'étudiants qui choisissent d'effectuer un travail de terrain dans le cadre de masters ou de thèses nécessite peut-être que les conseils d'apprentissage changent d'échelle : l'enquête de terrain doit devenir disponible au plus grand nombre et sans doute moins une expérience initiatique confidentielle40. L'explication des conditions nécessaires à la production d'informations semble nécessaire. Pour moi, c'est l'unique raison qui

34 A. Blanchet et A. Gotman, L'Enquête et ses méthodes : l'entretien. Paris. Armand Colin. 2001. p. 27.

35 A. Blanchet et A. Gotman, op. cit, p. 40.

36 Paul M. Rabinow, anthropologue américain, spécialiste de Michel Foucault, dont il a contribué à diffuser l'oeuvre dans le monde anglo-saxon.

37 P. Bourdieu, J.C. Chamboredon, J.C. Passeron, Le métier de sociologue. Paris. Mouton/Bordas.

1968.

38 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de terrain. 2010. Paris. La Découverte. p.178.

39 S. Beaud, F. Weber, op. cit, p. 9.

40 S. Beaud, F. Weber, op. cit, p. 9.

justifie un guide d'entretien. Car l'enquête s'apprend en se faisant, d'une manière sinueuse et chaotique. « L'enquêteur ne cesse d'explorer différentes voies qui se révèlent être parfois des impasses ou des chemins de traverse. Ce n'est qu'après de long détours qu'il retombe sur ses pieds [...] Rien ne peut remplacer les essais et les erreurs personnels, la rencontre directe des difficultés, le doute, l'expérience de la solitude du terrain.41 »

Les entretiens que j'ai menés sont des entretiens approfondis avec des étudiants pédicures-podologues qui m'ont parlé longuement (environ une heure chacun), qui s'interrogent eux-mêmes en même temps qu'ils verbalisent leurs histoires et impressions. Chaque entretien est une interaction solennelle avec un minimum de mise en scène : j'ai choisi une petite salle pour écouter les étudiants ; je leur ai offert un café ou un thé ; nous étions assis l'un en face de l'autre, une petite table entre nous servait à poser nos tasses de café et le magnétophone que j'ai utilisé ; j'étais habillée d'un jean et d'un pull, évidement sans blouse, pour qu'ils oublient un temps que je suis aussi une formatrice pédicure-podologue.

Ces entretiens sont également des interactions personnelles où chacun des enquêtés s'engage fortement. Ces temps de parole aboutissent à des avancées, à des découvertes puisqu'ils me livrent des points de vue dont je peux trouver les clés.

Cette « improvisation réglée » est un travail difficile mais très intéressant car je n'ai jamais vraiment su, au préalable, comment chaque rencontre se déroulerait.

1.5.3.2. L'observation

Mon travail d'enquête de terrain consiste à regarder attentivement ce qui se passe. Je n'ai pas choisi de filmer les situations. J'ai préféré une « observation-écoute » des acteurs. Lorsque je suis présente dans ces moments d'apprentissages entre pairs, je suis connue et identifiée comme une formatrice mais aussi comme une apprentie-chercheuse. Ce qui m'intéresse est d'adopter une posture qui essaye de le faire oublier. J'ai donc choisi d'entrer régulièrement en conversation avec les étudiants sans poser réellement de questions comme on pourrait le faire dans un entretien formel. En créant des moments de complicité, de confiance, je place les personnes en position d'informateurs involontaires : « je voudrais que vous m'expliquiez comment ça

35

41 S. Beaud, F. Weber, op. cit, p. 10.

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fonctionne quand vous travaillez ensemble...» Ces entretiens informels sont plus que des échanges verbaux. Ils s'inscrivent dans une démarche classique d'observation et permettent un ancrage souple avec la population étudiée, des rencontres sans demande officielle où la personne ne sait pas forcément qu'elle participe au recueil d'informations. A ce stade, on se situe dans une sorte d'échange et la captation du sens s'établit dans une relation moelleuse sans réelle identification du chercheur. Le contact peut alors prendre la forme de discussions ouvertes, permettant l'imprévu, l'indice inédit, celui par lequel la recherche se trouve soudainement éclairée différemment. On se place ainsi dans le registre de l'écoute sans recherche explicite de conservation des récits. L'absence de notes immédiates ou d'enregistrement impose une retranscription sans support préalable. Le fait de renoncer, à certains moments, à administrer un questionnaire ou de solliciter un entretien rend le travail d'objectivation largement invisible. Les acteurs ne savent pas vraiment à quel moment la recherche se déroule et laissent échapper de nombreuses informations dont ils n'évaluent pas exactement le statut proprement informationnel. Les entretiens informels sont dans la lignée des travaux inaugurés par les sociologues de l'Ecole de Chicago, des outils supplétifs aux entretiens formels. Patrick Bruneteaux et Corinne Lanzarini42 comparent les entretiens informels à des conversations orientées. Ceci équivaut à formaliser une démarche qui se veut informelle. Il s'agit de s'appuyer sur les formes ordinaires des échanges sociaux pour donner l'apparence d'une conversation à un entretien, ce qui supprime son statut formel et ses modalités de réalisation43. Ce type de collecte de données permet de compléter les entretiens recueillis et enregistrés. C'est une réelle richesse pour le travail de recherche.

1.5.3.3. Recherche de données qualitatives

Mon travail consiste à définir le plus explicitement les contours de l'objet de ma recherche et les individus interrogés.

J'ai choisi, comme outils d'investigation, des entretiens auprès d'étudiants P3 et d'étudiants P1. Les propos de P3 m'ont semblé pertinents compte tenu qu'ils ont été eux-mêmes tutorés puis sont devenus tuteurs. Les discours des P1 n'ont fait que globalement confirmer ceux des P3. Je n'ai pas interrogé les étudiants P2,

42 P.Bruneteaux, C. Lanzarini, Revue Sociétés contemporaines. 1998.

43 P.Bruneteaux, C. Lanzarini, op. cit.

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volontairement. Les situations que j'ai choisi d'observer mettent en scènes des P3 et des P1. Les propos des P2 ne m'ont pas semblé intéressants pour ma recherche lorsque j'ai commencé mon étude. Avec le recul, j'aurais dû les entretenir afin de recueillir d'autres éléments et d'affiner mes réflexions. Voilà un des « dangers » du travail de terrain : plus on creuse, plus on découvre des éléments auxquels on n'avait pas pensé s'intéresser. Il fallut bien faire un choix et s'y tenir, faute de temps.

Chaque entretien se déroule pendant une heure environ au sein de l'institut de formation des enquêtés. Les entretiens ont été enregistré intégralement avec un dictaphone numérique, après accord des interviewés. L'enregistrement de l'entretien permet à l'enquêteur de restituer sans les réinterpréter les paroles des personnes qui lui ont parlé. L'enregistreur est un contrôle de la mémoire de l'enquêteur. En tant que garant du cadre contractuel de l'entretien, j'ai assuré aux étudiants la confidentialité de leurs conversations et le respect de l'anonymat : les prénoms qui apparaissent dans cette étude sont des pseudonymes. Chacun des étudiants enquêtés a reçu une copie de la transcription de son entretien et ils ont donné leur accord pour qu'ils permettent l'analyse ultérieure à partir de leur exemple.

Au cours de mon enquête, je me suis interrogée pour savoir jusqu'à quel point il fallait approfondir mon recueil de données. Mon panel allait-il être suffisant pour avancer des résultats ? Comment ne pas sombrer dans le syndrome du terrain interminable ?

Des auteurs comme Anselm Leonard Strauss44 ou Stéphane Beaud et Florence Weber45 expliquent que le critère pour décider d'arrêter la sélection des groupes pertinents pour une catégorie est la saturation théorique de cette catégorie. « Saturation » signifie ici qu'il n'y a plus de données disponibles à partir desquelles développer des propriétés de la catégorie. La répétition régulière d'exemples similaires constitue, pour le chercheur, le signal empirique de la saturation de la catégorie.

Ceci me permet d'expliquer le choix de mon panel. J'ai interrogé au total onze étudiants P3 : huit d'entre eux ont effectué l'intégralité de leur formation dans le même institut : ce nombre fut suffisant pour saturer cette catégorie de personnes. J'ai exploré d'autres pistes afin d'augmenter la diversité des données. Ainsi, je me suis entretenue avec trois étudiants de troisième année, redoublant leur dernière année dans l'institut observé mais qui ont effectué trois années de formation dans un institut ne

44 B. G. Glaser, A. Strauss, La découverte de la théorie ancrée. Stratégies pour la recherche qualitative. Armand Colin. 2010.

45 S. Beaud, F. Weber, Guide de l'enquête de terrain. Paris. La Découverte. 2010.

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pratiquant pas le travail coopératif. L'étude de ce groupe m'a permis d'élaborer d'autres catégories. Les entretiens de cinq étudiants de première année ont suffi pour dégager certaines propriétés. Ces groupes de comparaison, arrivés à saturation, me permettent d'apprécier l'ampleur des différences et des similitudes entre les informations et les interrelations entre les catégories.

Mon enquête, synonyme d'identification et d'articulation de données, m'oblige à « choisir mon échantillon de manière à ce qu'il prenne en compte la représentation que je me suis faite de mon sujet d'étude 46 ». Au cours de cette recherche, je modifie cette représentation en fonction de ce que mon échantillon m'apprend. C'est pourquoi, lorsque je soumets les résultats de mon travail à des opérations logiques d'analyses, celles-ci vont certainement modifier les concepts sur lesquels je m'appuie.

1.5.4 L'écrit de recherche : rendre compte du processus

Au travers de l'analyse des entretiens, je cherche à mettre en évidence qu'apprendre en groupe, entre pairs, influence la construction identitaire professionnelle. Les observations menées dans un institut de formation me permettent d'analyser les propos dans leurs ressemblances et leurs écarts avec les représentations recueillies.

L'objectif de l'écrit de recherche est bien de rendre compte de l'ensemble de ces constats. Pour autant, l'étude effectuée est un réel processus, une aventure complexe où observations-écoutes, regards-observations, discussions-entretiens, lectures, analyses et tentative de modélisations s'entremêlent.

Comment restituer à l'écrit la complexité de ce processus vécu, cette transformation du praticien-chercheur en apprenti-chercheur, toujours praticien par la force des choses, tout en respectant les contraintes d'une production académique attendue ? Comment rendre compte des interactions vécues entre les théories et l'empirie tout au long du parcours ? Comment rendre compte des rythmes vécus de la recherche, entre des moments-événements, entre des phases d'errances, d'enthousiasme ou de doutes ? Il est impossible de restituer finement la complexité vécue de la recherche et d'en restituer sa dynamique. Dans l'écrit, les choses sont présentées de façon séquentielle et non pas dynamique.

46 H.S. Becker, Les ficelles du métier. Paris. La Découverte. 2002. p. 34.

39

J'ai pourtant tenté de modéliser ce parcours et de structurer l'écrit en cinq parties. Je pense que l'organisation de ces chapitres peut au moins témoigner de l'évolution du principe organisateur de ma recherche.

Ainsi, nous trouverons ici trois processus enchevêtrés :

- le processus de conceptualisation du travail coopératif,

- le processus de conceptualisation de l'accompagnement et de la recension des travaux de recherche,

- le processus de modélisation théorique de la socialisation et de la construction de l'identité, essentiellement professionnelle.

Afin de rester fidèle à ma démarche inductive, j'ai choisi de présenter l'analyse de mes données en les couplant aux différents concepts déjà cités. Dans un certain sens, cette présentation me semble plus pertinente en termes de compréhension pour le lecteur et en adéquation avec le travail que j'ai effectué. Car il importe surtout de toujours bien voir que les concepts que j'ai choisis sont constamment reliés à mes analyses et ceci tout au long du parcours de ma recherche.

2. Champ conceptuel

2.1 Travaux relatifs à la question

Les lectures portant sur le thème des apprentissages et sur la notion de pairs, m'ont permis tout d'abord de pouvoir définir ces termes. Il est important pour le lecteur de situer ma recherche. Ainsi, l'activité de lectures préparatoires me donne la possibilité de mettre en évidence les perspectives les plus pertinentes pour aborder mon développement puisqu'elle est un recueil d'informations sur des recherches déjà menées, ce qui me permet de situer la nouvelle contribution que pourrait être mon étude.

Les situations d'apprentissage entre pairs ont été très largement exposées dans différents champs. L'objectif ici est d'évoquer les théories qui m'ont semblé être les plus significatives47.

47 Les théories abordées concernent le champ de la didactique, de la didactique professionnelle, des pédagogies, le champ de la formation adulte.

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Lorsqu'on évoque les apprentissages, d'une façon générale, on pourrait à juste titre se placer dans le champ didactique, puisque, comme l'explique Gérard Sensevy48, « d'un point de vue anthropologique, toute transmission de savoir est de la didactique ». L'objet d'étude de la didactique est « le » didactique, c'est à dire le phénomène didactique, « ce qui se passe quand quelqu'un enseigne quelque chose et ce qui se passe quand quelqu'un apprend ».

Le système enseignant-savoir-enseigné, parfois appelé « triangle didactique », est un concept qui est reconnu dans ce champ. On y définit aussi des notions de « contrat » entre les individus. Pour le dire très rapidement, la didactique a aujourd'hui pour vocation de construire une science permettant de saisir des causes, des conséquences, des liens, de chercher des moyens de comprendre et d'analyser la réalité (ou la représentation de ce que peut être la réalité) de la notion d'apprentissage. Gérard Sensevy explique, dans une de ses interventions auprès d'étudiants : « On peut dire, selon toute probabilité, si on agit ainsi, on peut s'attendre à tel résultat ». De mon point de vue, les relations entre l'enseignant, l'élève et le savoir, sont plus qu'un système qui peut produire des normativités et des ingénieries de fonctionnement. C'est avant tout un système d'interrelations humaines. Les situations que l'on appelle, en Sciences de l'Education, didactiques sont des moments où chaque individu, l'enseignant comme l'enseigné, fonctionne dans un milieu social particulier qui définit les rôles de chacun et les objectifs de ces apprentissages, explicités comme des savoirs scolaires à acquérir. L'école fonctionne donc « comme un dispositif de socialisation, un ensemble relativement cohérent de pratiques discursives, d'objets et de machines, qui contribue à fabriquer un type d'individus particulier et qui dépasse de beaucoup les seules interactions entre enseignants et élèves49 ». Car, à ces aspects explicites et éducatifs s'ajoute « une dimension implicite faite d'apprentissages plus diffus et moins visibles, des apprentissages d'un certain rapport au temps et à l'espace ainsi que des usages particuliers du corps, ou encore une intériorisation de schèmes sociaux liés à l'organisation de la société (définitions sociales de l'intelligence, de la division du travail, légitimité de l'ordre social) [...] auquel on peut ajouter [...] tout ce qui s'apprend à l'école dans les marges de l'institution, par exemple, la socialisation

48 G. Sensevy, professeur de sciences de l'éducation à l'IUFM de Bretagne (Université de Bretagne occidentale). Extrait de cours de master 2 EAD, 2013.

49 B. Lahire, Fabriquer un type d'homme autonome. Paris. L'Esprit sociologique, 2005.

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sentimentale ou culturelle par les pairs50 » . Si l'apport de la didactique est indéniable pour comprendre ce qui se passe dans les moments d'apprentissage, les notions de contexte et de pairs sont peu présentes. Une perspective « socio-didactique » peut certainement éclairer différemment les phénomènes.

Les apprentissages en formations professionnelles m'ont naturellement menée vers la didactique professionnelle. Cette expression se réfère à une théorie de l'activité dont Pierre Pastré51 est le concepteur. Ce professeur développe une thèse selon laquelle les humains apprennent tout au long de leur vie professionnelle. Selon lui, la capacité d'apprentissage est une des propriétés anthropologiques fondamentales des humains : dès qu'il y a activité, il y a un apprentissage, plus ou moins important. On apprend des savoirs, mais on apprend aussi des gestes, des procédures ou des modes opératoires, des manières de communiquer, de gérer ses ressources, de ressentir ses émotions... En se plaçant non pas du point de vue cognitiviste, mais du point de vue psychologique du « sujet capable », celui qui dit « je peux » avant de dire « je sais », en référence aux théories de Pierre Rabardel, Pierre Pastré met l'accent sur le développement des humains « dans et par le travail ». Cette théorie de l'activité est née du souci d'analyser l'apprentissage qui se fait dans l'exercice de l'activité professionnelle : on y apprend à faire, mais on y apprend aussi en faisant. Selon Pierre Pastré, « le terme d'apprentissage a deux sens. Dans le premier sens, quand on parle d'apprentissage sur le tas, par immersion, par frayage, on désigne un processus anthropologique fondamental qui accompagne toute activité, de sorte qu'en agissant un acteur produit en même temps des ressources qui vont lui servir à guider et orienter son action. Activité et apprentissage y sont indissociables52 ». Certains auteurs comme Pierre Rabardel et Renan Samurçay53 parlent d'activité productive et d'activité constructive. Ils pensent qu'en agissant, un sujet transforme le réel (réel matériel, social, symbolique) mais en transformant le réel, il se transforme lui-même. Et ces deux sortes d'activités, productive et constructive, constituent un couple inséparable. Pierre Pastré explique que dans le travail, le but de l'action est l'activité productive ; et l'activité constructive n'est qu'un effet, qui n'est généralement ni voulu ni conscient.

50 M. Darmon, op.cit., p. 63.

51 P. Pastré. La didactique professionnelle. Approche anthropologique du développement chez les adultes. Paris. PUF, 2011, 318 p.

52 Article de Pierre Pastré, « Apprendre à faire », p. 1, in E. Bourgeois et G. Chapelle, Apprendre et faire apprendre. PUF. 2006.

53 R. Samurçay R., P. Rabardel. « Modèles pour l'analyse de l'activité et des compétences », in Samurçay et Pastré, Recherches en didactique professionnelle, Toulouse, Octares. 2004. p.163-180.

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On peut parler alors d'apprentissage incident, d'apprentissage non intentionnel qui se réalise à l'occasion d'une activité mais qui vise un autre objectif. L'apprentissage incident est un produit dérivé non intentionnel d'une autre activité54. D'autre part, la notion de temps n'est pas la même pour l'activité productive et pour l'activité constructive : l'activité productive s'arrête avec la fin de l'action. Mais l'activité constructive peut se poursuivre bien au-delà, dans la mesure où un acteur peut revenir sur son action passée et la reconfigurer dans un effort de meilleure compréhension. D'où l'importance, dans l'apprentissage, des moments d'analyse des pratiques, de débriefing, c'est-à-dire de tout ce qui relève de l'analyse réflexive et rétrospective de sa propre activité. Dans son deuxième sens, l'apprentissage désigne ce qui se produit dans une école : l'apprentissage est si important chez les humains qu'on a inventé des institutions spécialement dédiées à cet effet55. Ce qui veut dire qu'on inverse la relation de subordination entre activité productive et activité constructive. L'activité constructive devient le but de l'activité. L'activité productive ne disparaît pas mais devient le moyen de réalisation de l'activité constructive. L'apprentissage n'est plus incident mais une intention. Le renversement entre activité productive et activité constructive entraîne une autre conséquence : les ressources qui visent à orienter et guider l'activité, que l'on appellera procédures, moyens, méthodes, procès... en fonction des milieux, vont être transformées en savoirs de manière à pouvoir être plus facilement transmises. La didactique professionnelle met donc l'accent sur l'analyse de l'activité constructive telle qu'elle se déploie dans l'activité productive. Cette théorie propose d'aller analyser l'apprentissage non pas dans les écoles mais d'abord sur les lieux de travail. Ces travaux de recherche sont dans la filiation des travaux de Gérard Vergnaud (1992), à savoir « l'étude des processus de transmission et d'appropriation des connaissances en vue de les améliorer » lorsque la personne est au travail. Pierre Pastré fait partie de ceux qui pensent le développement des adultes tout au long de leur vie professionnelle. Il estime que la construction de l'expérience et le développement de nouvelles ressources cognitives se mêlent indissociablement. Au

54 Dans son livre Psychology of the Human Learning, Me Geogh définit l'apprentissage « incident » comme un apprentissage qui se fait sans consigne formelle de la part de l'expérimentateur, et sans attitude à apprendre ni motif spécifique apparent de la part du sujet. Déjà, dans un article publié en 1935 (Journal of Experimental Psychology, Vol 18(2), Apr 1935, 195-201), W. M. Lepley affirmait qu'il s'agit d'une catégorie d'apprentissage qui se distingue de l'apprentissage volontaire par l'absence d'une motivation spécifique évidente.

55 Lorsque P. Pastré parle d'école, cette notion est à prendre au sens large : il désigne ainsi toute institution dédiée à un apprentissage intentionnel. Ceci inclut bien évidemment le système scolaire, mais également les écoles de ski, de danse, de musique, du rire...

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cours de mes recherches, j'ai pu constater que les interrelations entre les individus pendant leurs apprentissages sont peu abordées dans les écrits de Pierre Pastré. Ces lectures m'ont pourtant permis de mieux comprendre l'analyse de l'activité et d'améliorer mes observations en situation.

Le terme « apprentissage » caractérise le fait d'acquérir une connaissance, un savoir-faire. Depuis plusieurs années, pédagogues et chercheurs se sont intéressés à la notion d'apprendre.

Les conceptions du terme « apprendre » méritent d'être clarifiées. François Ott, docteur en Sciences de l'éducation, a mis en exergue dans sa thèse sur l'accompagnement56 une notion de subjectivité et d'objectivité intéressante. Il explique que les représentations du sens du mot apprendre peuvent prendre un sens subjectif : lorsque le fait d'apprendre réside dans la relation que nous avons avec un objet d'apprentissage, par exemple une information, nous sommes à la fois acteur et bénéficiaire de l'action : nous nous instruisons, nous acquérons des connaissances, nous apprenons pour nous-mêmes. Mais apprendre peut aussi prendre un sens objectif : apprendre à quelqu'un un art, une science, un métier. La relation différente que nous avons avec l'objet d'apprentissage donne à l'apprentissage un sens objectif : nous faisons connaitre, nous enseignons, nous transmettons... La distinction que nous opérons classiquement entre « apprendre » au sens enseigner et « apprendre » au sens de s'instruire n'est sans doute pas aussi claire si on accepte l'idée que celui qui enseigne peut aussi s'instruire, se former, apprendre, c'est-à-dire restructurer ses savoirs.

Cette notion d'apprentissage est située : l'acte d'apprendre est souvent dispensé dans des institutions spécifiques57. Les travaux de recherche sur les institutions de formation, sur l'Ecole, dans les différents pays francophones, sont nombreux. Un questionnement récurrent apparaît : apprendre, oui, mais comment ? De quelle façon « faire apprendre » ? Le constat est clairement établi que les difficultés d'apprentissage et les échecs sont nombreux dans nos sociétés. La faute à qui ? Les enfants qui ne sont pas motivés, les parents qui démissionnent, les milieux sociaux peu

56 F. Ott, Complexités de l'accompagnement en formations professionnelles : des conceptions en tensions : sujet(s), projet(s), organisation(s). Lille. Soutenance de thèse. 2009.

57 Tout dépend des apprentissages : par exemple, le sabotier apprendra d'un autre sabotier, sous la forme d'un compagnonnage.

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favorables, les professeurs insuffisamment formés, la société actuelle et ses valeurs ? Au-delà de considérations idéologiques, le problème semble bien plus complexe. Ne devons-nous pas questionner les individus sur leur désir de société et les moyens qu'ils mettent en place pour construire leur environnement ? Est-ce que « penser » l'Ecole n'est pas davantage réfléchir à « vivre ensemble »?

Du côté des pédagogies, les écrits sont variés. Les professionnels de « l'apprentissage », les enseignants et formateurs du XXIe siècle, espèrent-ils que la recherche puisse les aider dans leur pratique ?

Gaëtane Chapelle et Etienne Bourgeois58 prennent le parti d'affirmer que, même si la science ne peut apporter toutes les réponses attendues, elle peut identifier des conditions nécessaires mais non suffisantes pour « apprendre et faire apprendre » : des conditions liées aux spécificités psychologiques, sociales des apprenants en interaction avec celles de leur environnement d'apprentissage. Les psychologues d'aujourd'hui n'étudient plus l'apprentissage « avec un grand A », comme s'il s'agissait d'un objet défini et statique. Ils préfèrent en décrypter les mécanismes et les dynamiques spécifiques. Leur objet est donc moins « l'apprentissage » qu'apprendre, verbe d'action qui permet d'intégrer les facettes cognitives, affectives et sociales en jeu. L'expression « faire apprendre » rappelle par ailleurs que l'action ne se déclenche pas nécessairement d'elle-même. Elle nécessite une implication de l'apprenant lui-même, mais aussi de celui qui lui transmet connaissances et compétences : l'enseignant, le formateur ou tout autre éducateur. Ces auteurs font partie des chercheurs qui ont choisi de convoquer les sous-disciplines de la psychologie qui pourraient éclairer « l'apprendre » : les neurosciences cognitives, dont font partie la psychologie cognitive, la psychologie différentielle, qui cherchent à comprendre les spécificités individuelles, la psychologie du développement, mais aussi la psychologie sociale et la psychologie de la motivation. La pluralité des regards est dans l'air du temps et certainement nécessaire pour créer des situations plus confortables pour chacun des acteurs. Mon expérience de travail avec les étudiants pédicures-podologues couplée avec ma formation en Sciences de l'Education me permet d'avoir aujourd'hui une opinion : ma posture de formatrice est une posture impliquée, à l'écoute des besoins des étudiants. Les diverses formations techniques et universitaires que j'ai suivies, les différentes personnes que j'ai pu croiser ont eu une influence sur mes pratiques

58 G. Chapelle et E. Bourgeois. Apprendre et faire apprendre. Paris. Puf. 2006

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professionnelles. Aujourd'hui, je pense que comprendre comment les individus fonctionnent ensemble est gage de réussite dans les interactions. Cette compréhension évite l'implicite, source de méprise et de déception. Pour cela, il est nécessaire que les acteurs, étudiants et formateurs, soient formés aux différents concepts de la psychologie, certes, mais à ceux de la sociologie et de la pédagogie également.

Dans le champ des pédagogies, l'intérêt est souvent porté sur la notion de contexte, d'environnement dans lequel se trouve celui qui apprend. Philippe Meirieu59, par exemple, considère que « l'adulte a un impératif devoir d'antécédence. Il ne peut abandonner l'enfant sans l'inscrire dans une histoire et lui donner les moyens de se développer dans la collectivité qui l'accueille : lui apprendre les habitudes et savoir-faire qui lui permettent de vivre au quotidien, les langages fondamentaux pour communiquer avec ses semblables dans tous les domaines, les connaissances des phénomènes naturels et sociaux dans lesquels il devra s'insérer, l'identification des enjeux historiques, économiques, politiques auxquels il devra faire face, la maîtrise des mécanismes qui permettent de prendre une place parmi les hommes de son temps ». Cette pensée est dans la lignée des individus qui considèrent que l'on n'apprend jamais seul.

De nombreuses recherches montrent que les activités d'apprentissage sont des activités cognitives foncièrement sociales. Les théories des apprentissages, et notamment le courant socioconstructiviste, mettent l'accent sur le rôle des interactions sociales multiples dans la construction des savoirs. L'évolution des courants théoriques de l'apprentissage a permis l'émergence de cette approche socioconstructiviste. Julian Rotter et Albert Bandura60, dans leurs approches sociaux-cognitives, Jean Piaget61 dans son approche développementale et interactionniste (courant constructiviste) ou Robert Mills Gagné et David Ausubel dans le traitement de l'information et Jacques Tardif et Lafortune dans l'apprentissage stratégique (courant cognitiviste) ont permis d'établir de nouvelles théories dans ce domaine. Le socioconstructivisme est une démarche issue en partie du constructivisme qui propose une approche psychosociale

59 P. Meirieu, « Qu'est-ce que transmettre ? », Sciences Humaines. N° 36 -Mars/Avril/Mai 2002, Hors-série.

60 A. Bandura, psychologue canadien connu pour sa théorie de l'apprentissage social et son concept d'auto efficacité.

61 J. Piaget, psychologue, biologiste, logicien et épistémologue suisse, connu essentiellement en tant que psychologue de l'enfant et pour ses travaux sur les apprentissages. Ses travaux en psychologie du développement et en épistémologie à travers ce qu'il a appelé l'épistémologie génétique sont également une référence.

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des activités cognitives, inspirée des travaux d'Albert Bandura. En remettant en cause certains principes du cognitivisme, le socioconstructivisme insiste sur les dimensions sociales dans la formation de compétences : la construction d'une connaissance personnelle ne peut se réaliser que par sa construction sociale et les informations sont liées à un contexte culturel, à un milieu. Un étudiant organise sa compréhension du monde réel en comparant ses perceptions avec celles de ses pairs, de ses professeurs, de ses amis. Les processus d'acquisitions de savoirs ont donc une nature sociale.

Les théories du développement mental du XXème siècle font référence à deux psychologues évoluant chacun dans des paradigmes différents de la psychologie du développement. Celui de Jean Piaget « met l'accent sur les aspects structuraux et sur les lois essentiellement universelles, d'origine biologique, du développement, tandis que celui de Lev Vygotsky insiste sur les apports de la culture, l'interaction sociale et la dimension historique du développement mental62 ».

Dans ses premiers travaux, entre 1928 et 1932, Jean Piaget explique que seule la coopération, au sens de « tout rapport entre deux ou n individus égaux ou se croyant comme tels, autrement dit tout rapport social dans lequel n'intervient aucun élément d'autorité ou de prestige63» serait génératrice de raisonnement. L'auteur explique que « la psychologie de l'enfant ne saurait donc se borner à recourir à des facteurs de maturations biologiques, puisque les facteurs à considérer relèvent également de l'exercice ou de l'expérience acquise, ainsi que de la vie sociale en général ». Céline Buchs64 démontre que des échanges sociaux coopératifs sont nécessaires pour « contrer la tendance vers l'assimilation subjective ou l'accommodation docile ». C'est en confrontant l'enfant à un obstacle, un désaccord qu'on l'engage à modifier ses représentations et donc à progresser dans des apprentissages sociaux. Jean Piaget met en avant le rôle de la discussion dans des situations coopératives: « la discussion engendre la réflexion intérieure. Le contrôle mutuel engendre le besoin de preuve et d'objectivité65». Lev Vygotsky66 écrivait en 1932 : « C'est par l'intermédiaire des

62 Perspectives : revue trimestrielle d'éducation comparée. UNESCO : Bureau international d'éducation, vol. XXIV, n° 3/4 p. 794. 1994.

63 B. Inhelder et J. Piaget, La psychologie de l'enfant. Paris. Puf. 2012, p.8. [1ère édition 1967].

64 C. Buchs, maître d'enseignement et de recherche à l'Université de Genève. Interdépendance des ressources dans les dispositifs d'apprentissage entre pairs, menaces des compétences et dépendance informationnelle: vers des processus médiateurs et modérateurs. Thèse présentée pour l'obtention du grade de Docteur en Psychologie Sociale Expérimentale. Grenoble. 2002.

65 J. Piaget, « De la pédagogie », Revue française de pédagogie, Année 2000, Volume 132, Numéro 1 p. 174-176. [1ère édition 1976].

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autres, par l'intermédiaire de l'adulte que l'enfant s'engage dans ses activités. Absolument tout dans le comportement de l'enfant est fondu, enraciné dans le social [...]. Ainsi, les relations de l'enfant avec la réalité sont dès le début des relations sociales. Dans ce sens, on pourrait dire du nourrisson qu'il est un être social au plus haut degré ». La sociabilité de l'enfant est le point de départ de ses interactions sociales avec son entourage. Pour Lev Vygotski, le développement cognitif ne peut se faire sans apprentissage. L'idée selon laquelle un niveau de développement peut être atteint par un enfant lorsqu'il est guidé par un sujet plus expérimenté (tuteur-tutoré) a inspiré de nombreux travaux. Des chercheurs comme Ellice A. Forman67 ont émis l'hypothèse selon laquelle, dans certaines conditions, les théories vygotskiennes peuvent être utilisées, à savoir que les tuteurs de même âge que les tutorés peuvent fournir le même type de support et de guidage qu'un adulte. Les approches sociocognitives et socio-historico-culturelles de Jean Piaget et Lev Vygotski ont donc largement influencé les travaux sur les apprentissages entre pairs.

Du côté des théories de l'éducation, de la formation d'adulte et notamment de l'andragogie68, les spécialistes comme Malcom Knowles pensent que « dans de nombreuses formations, ce sont les individus eux-mêmes qui constituent la plus riche ressource de l'apprentissage.69 » L'auteur explique qu'il est nécessaire non seulement de solliciter la personne en formation, mais d'en faire aussi l'acteur et le centre du processus. En formation d'adulte, le conflit sociocognitif est important. Il s'agit de

66 L.Vygotsky, « Perspectives », Revue trimestrielle d'éducation comparée, Paris, UNESCO : Bureau international d'éducation. n° 3/4, 1994 (91/92), p. 799.

67 E.A. Forman, « Discourse, intersubjectivity and the development of peer collaboration: A Vygotskian approach », In L.T. Winegar & J. Valsiner, Children's development with in social contexts: Metatheoretical, theoretical and methodological issues, 1992, 143-159.

68 C'est en 1833 que le terme « andragogie » a été cité pour la première fois par Alexander Kapp, pour décrire la théorie éducative de Platon, en allemand der Andragogik. On retrouve la trace de ce terme, andragogik, en 1921 chez l'allemand Eugen Rosenstock, pour qui la formation des adultes nécessite des enseignants, des méthodes et une philosophie qui lui soient propres. Selon ce chercheur, l'andragogie est le véritable moyen par lequel les adultes entretiennent un rapport d'intelligence avec le monde moderne et représente le processus d'apprentissage dans lequel théorie et pratique ne font qu'un processus qui réconcilie connaissance théorique et affaire pratique au travers d'une expérience créatrice. Dans les écrits, nous trouvons que le concept « andragogie » est utilisé parfois en relation avec des a priori idéologiques ou politique et, d'autres fois, en association avec tout le champ de la formation continue des adultes ou avec certaines de ses problématiques. Par exemple, les chercheurs humanistes recourent au concept d'andragogie pour mettre en relief l'autonomie de l'adulte surtout ou pour attirer l'attention sur le contexte professionnel ou encore sur la conception de dispositifs de formation intégrés au milieu de travail et facilitateurs de l'implication des formateurs, des responsables de formation ou des cadres de l'entreprise dans la formation des adultes (Knowles, 1990).

69 M. S. Knowles, L'Apprenant adulte, vers un nouvel art de la formation. Paris. Éditions d'Organisation. 1990, p. 72.

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s'appuyer sur la dynamique des petits groupes qui sont à la fois des espaces de production, d'appropriation, de mémorisation et de débat. Bernadette Aumont, Pierre Marie Mesnier70 décrivent deux raisons essentielles à ce processus :

- ces espaces sortent le sujet apprenant de son isolement car « on n'apprend pas tout seul. Les liens avec les pairs, les personnes-ressources, l'environnement social constituent un facteur primordial de conquête active du savoir.»

Mon activité de formatrice, par exemple, m'a permis de constater l'intérêt de discussions instaurées en milieu « bienveillant », c'est-à-dire un espace où chacun respecte l'autre dans sa différence et où chaque individu peut prendre la parole et être écouté. Ces temps que je nomme « temps de participation active » peuvent être proposés aux étudiants pendant des cours magistraux qui, de ce fait, ne le sont plus vraiment. L'apprentissage est plus efficace car la participation et la confrontation des avis créent une motivation chez les étudiants puisque l'acquisition du savoir devient active. Ces modèles d'apprentissage, utilisés depuis de nombreuses années, sont assez peu développés dans le système éducatif français. L'enseignant a encore l'habitude de donner le savoir et l'enseigné de le recevoir. Ce phénomène explique sans doute que mes expériences de participation active sont plus ou moins réussies : il faut parfois plusieurs séances et des propositions de fonctionnement explicitées régulièrement pour qu'une dynamique de groupe s'installe.

Pour revenir à Bernadette Aumont, Pierre Marie Mesnier, ils considèrent que :

- ces situations de groupe sont proches des conditions professionnelles : « dans les situations ordinaires, l'action à plusieurs, outre sa valeur immédiate, revêt aussi une valeur d'apprentissage pour l'avenir et contribue à la constitution de savoirs. Les interactions de travail supposent toutes, de la part de ceux qui y participent, des inférences, des constructions de significations, des confirmations ou réfutations pratiques venant réactiver et enrichir un savoir préalable et contribuer à l'action future71

Quelles que soient les vertus du travail collectif, ces spécialistes considèrent qu'il ne faut pas omettre de susciter, voire de provoquer, dans des situations de formations plurielles, un autre type de conflit, le conflit « intra cognitif » où l'apprenant se retrouve face à lui-même et à ses difficultés.

70 B. Aumont, P.M. Mesnier, L'acte d'apprendre, Paris. PUF. 1996.

71 A. Borzeix, M. Lacoste, Apprentissage et pratiques langagières, Paris. PUF.1991.

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Si je me réfère à ma propre expérience, je place régulièrement mes étudiants dans ces situations, sur des temps informels, lors de leurs pratiques de soin. Je leur demande individuellement d'expliciter leur démarche, de justifier leurs actes et décisions, à l'oral. Je pense que ces temps individuels leur permettent d'accéder à une forme d'autonomie, nécessaire à leur future activité professionnelle (ce sont des futurs libéraux, qui travailleront seuls, par définition). Ces temps participent également à les rassurer sur leurs compétences, à leur donner confiance. Ce sont aussi des moments de régulation : ils leurs permettent de faire le point sur leurs acquisitions et la maîtrise de leurs savoirs. Dans la formation, ces temps de conflit « intra cognitif » sont matérialisés par des temps formalisés d'examens pratiques, de partiels. Chaque individu est évalué seul et doit prouver qu'il a acquis des compétences, des savoirs et savoir-faire tout au long de sa formation.

Ainsi, je partage l'avis d'Emile Bourgeois et de Jean Nizet lorsqu'ils énoncent que la conjugaison des dynamiques groupales avec les dynamiques individuelles apparaît aujourd'hui comme le garant d'une plus grande productivité pédagogique, cette double dynamique permettant à chacun de progresser, seul et avec les autres.72

Les autres... les pairs. Le dictionnaire Larousse définit ce mot comme un ensemble de personnes ayant la même profession, la même fonction ou ayant le même rang, la même dignité. En psychologie, ce terme est défini comme un ensemble de personnes présentant des éléments communs avec un individu (âge, milieu social, préoccupations, aspirations, etc.) et susceptibles de l'influencer. En sociologie, on parle de groupe de pairs, d'individus se caractérisant par leurs âges, par des valeurs et des traditions communes qui se traduisent par des habitudes langagières, vestimentaires, comportementales. Les pairs sont donc des individus de même génération qui se ressemblent et qui s'assemblent. Et inversement.

Les écrits sur la question évoquent une éducation par les pairs, classiquement décrite comme l'éducation des enfants, jeunes ou adultes par d'autres personnes de même âge, partageant la même histoire, la même culture, ou ayant le même statut social. Les classes à niveaux multiples correspondent à une forme d'éducation par les pairs. Une classe multi-niveaux est une classe dans laquelle on regroupe des élèves provenant de deux niveaux ou plus, dans un même local, avec le même enseignant. Les classes

72 E. Bourgeois, J. Nizet, Apprentissage et formation des adultes, Paris. PUF. 1997.

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multigrades existent depuis longtemps et se trouvent un peu partout dans le monde. En Nouvelle-Zélande, pays qui possède le taux d'alphabétisation le plus élevé au monde, les classes sont à niveaux multiples. La France, les États-Unis et les pays scandinaves connaissent depuis longtemps de telles classes73. En France, les classes à niveaux multiples sont pourtant souvent perçues de façon négative pour différentes raisons : diminution du nombre d'enseignants, suppression de classes, charge de travail trop importante pour l'enseignant, classes surchargées, manque de ressources, peu de formation pour le personnel enseignant74... Cependant, de nombreux rapports75 démontrent qu'il y a des effets bénéfiques pour les élèves inscrits dans de telles classes. Selon les auteurs, les fonctionnements de ces classes pourraient, si on les étudiait davantage, « constituer des foyers d'innovation pédagogique ». D'autres recherches démontrent que le développement psychosocial des élèves de classes multiprogrammes est équivalent, voire supérieur à celui des élèves de classes ordinaires. Le travail des enseignants est différent, plus orienté vers l'enrichissement du milieu que vers la conception de situations didactiques. Ce mode en classe multiple invite les enseignants à concevoir la classe autrement. Ces dispositifs de classe nécessitent la mise en place de stratégies qui favorisent le développement des compétences transversales et permet ainsi une plus grande individualisation de l'enseignement. Les différentes études évoquent un développement du sens de l'organisation des élèves, de leur sens des responsabilités, une acquisition progressive de l'autonomie, un respect des autres, plus jeunes ou plus âgés, avec leurs différences et leurs difficultés. Cet environnement favorise l'entraide entre les élèves.

La formation entre pairs désigne habituellement une modalité d'apprentissage entre les individus (adultes) d'un même groupe ou d'une même entité. Cet apprentissage envisage « la possibilité d'apprendre avec ses collègues, des personnes extérieures, sans passer par le canal de transmission du formateur, ce dernier, s'il est présent, exerçant alors une mission de facilitateur formateur76 ». Ce mode d'apprentissage développe le potentiel de l'intelligence interpersonnelle. Il est particulièrement en vogue, grâce aux réseaux sociaux notamment dans lesquels les individus interagissent et apprennent les uns avec les autres. Un grand nombre de travaux étudient les

73 Rapports UNESCO, 1996a, CONFEMEN, 1998, Little, 2001.

74 Leroy-Audouin et Mingat, 2006.

75 Oeuvrard, 1990, DEP d'Agnès Brizard, 1995, Ateliers UNESCO/UNICEF, 1995.

76 J. Frayssinhes. Les pratiques d'apprentissage des adultes en FOAD : Effet des styles et de l'auto apprentissage. Thèse de Doctorat en Sciences de l'Education - Université de Toulouse II Le Mirail. 2011. p. 90.

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relations sociales entre pairs dans le milieu scolaire en se concentrant notamment sur le groupe-classe sans tenir compte de la diversité des contextes au sein desquels peuvent se créer et évoluer ces relations. En effet, outre l'environnement scolaire, les jeunes entretiennent des relations avec leurs pairs dans d'autres milieux tels que le quartier, les associations sportives ou culturelles. Mais surtout aujourd'hui, c'est l'extension des moyens de communication qui va venir diversifier d'autant plus ces milieux. Les différents espaces en ligne (blog, Facebook, MicroSoft Network - MSN-, Twitter...) permettent aux individus de se connecter avec leurs pairs par de nouveaux et nombreux moyens. La plupart des personnes utilisent ces réseaux en ligne pour passer plus de temps avec leurs amis mais également, chez les plus jeunes, pour entretenir des rapports avec des camarades éloignés. Ils cherchent ainsi à étendre leurs relations amicales au-delà des contextes familiaux, scolaires et des activités sportives. Ainsi, l'influence que les pairs exercent sur le jeune individu ne se résume pas à celle qui se joue dans la classe, dans le collège, le lycée ou l'université. Les apprentissages « entre soi » participent également aux attitudes, aux comportements, à l'intégration de langage, sorte « d'habitus » qui caractérise un groupe d'individus, jeunes ou adultes. Peut-on alors, à l'instar de Marc Nagels77, affirmer que l'apprentissage par les pairs est une finalité, une valeur, une intention, ou même une perspective en termes d'apprentissage humain? Les apprentissages entre pairs sont-ils une variable anthropologique ou une variable d'un dispositif de formation? L'apprentissage par les pairs peut être classé avec les modalités « participatives », « collaboratives », « magistrales », « à distance »... qui caractérisent un dispositif de formation. C'est alors du côté du « rapport au savoir » et des compétences qu'il faudra aller chercher. Depuis plusieurs décennies, des chercheurs en différentes disciplines mènent des recherches sur ce rapport au savoir. Les angles d'approches sont parfois différents mais ces chercheurs ont en commun le souci d'examiner les phénomènes qui faciliteraient ou entraveraient la construction des apprentissages. Jacky Beillerot, lors de sa soutenance de thèse en 1987 Savoirs et rapport au savoir, a donné des définitions de cette notion. Selon lui, le rapport au savoir est la disposition d'un sujet envers le savoir qui met en jeu son histoire entière, sa façon de savoir, d'apprendre, son désir de savoir. Et on apprend rarement seul...

77 M. Nagels est coordinateur pédagogique du Master 2 IPFA, Université Paris Ouest Nanterre La Défense. Ses thèmes de recherche développés correspondent à l'approche par les compétences dans l'enseignement supérieur paramédical à la lumière, conjointement, de la théorie sociocognitive et de la didactique professionnelle.

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Les différents auteurs ayant traité de l'apprentissage entre pairs s'accordent pour exprimer que « entre pairs, on se comprend », « entre pairs, on se respecte et on co-apprend », que « être entre pairs », c'est « donner, échanger, mutualiser, partager ».

Ces écrits me confortent dans mon appréhension des situations que j'observe, des moments d'apprentissage entre soi, entre individus qui se rassemblent et qui apprennent ensemble. L'objet de ma recherche est ainsi plus clairement identifié : la notion d'apprentissage entre pairs met au centre les interactions humaines. J'ai choisi de porter un regard particulier sur ces situations, en me déplaçant, en faisant un pas de côté, pour les voir autrement...

Mes observations, mes lectures, mes entretiens se sont entremêlés dans un processus spiralé que j'ai choisi : laisser remonter les informations pour être au plus près de ce qui se passe, à l'instar de Howard S. Becker pour qui « étudier la société, c'est faire des allers-retours incessants : observer le monde, penser ce que l'on a vu et retourner observer le monde78

Les hypothèses que j'ai progressivement dégagées rompent avec les visions spontanées du monde social de l'apprentissage entre pairs. Voilà pourquoi mon travail d'analyse et de réflexions sur les données recueillies s'est construit autour des questions suivantes:

- Cette situation « entre pairs » permet-elle l'élaboration d'une posture professionnelle ?

- « Apprendre entre soi » influence-t-il une construction identitaire professionnelle ?

- Cette activité collective est-elle porteuse de potentiels d'apprentissages plus importants ?

Les étudiants pédicures-podologues apprennent à exercer une profession pendant leur formation. N'apprennent-ils pas autre chose que leur futur métier ?

2.2 Conceptualisation et définitions

Les concepts peuvent être comparés à des outils intellectuels permettant de fournir une compréhension du monde observé. D'un point de vue sémantique, le concept est une représentation mentale subtile de la réalité d'un objet, d'une situation, d'un

78 H.S. Becker, Les ficelles du métier. Paris. La Découverte. 2002. p.234.

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phénomène. « C'est l'idée générale et abstraite que se fait l'esprit humain d'un objet de pensée concret ou incorporel, qui lui permet de rattacher à ce même objet les diverses perceptions qu'il en a et d'en organiser les connaissances.»79 L'activité de recherche invite à « faire travailler » les concepts entre eux. En utiliser plusieurs, les articuler, me permet d'éclairer les phénomènes que j'observe dans une finalité de production de sens et d'ouverture à la réflexion. Un seul prisme visuel serait réducteur. C'est pourquoi j'ai choisi de regarder ces situations en mobilisant les concepts relatifs à l'accompagnement, à la coopération et collaboration mais également aux différentes formes de socialisations et de construction identitaire. Ces différents concepts vont accompagner l'analyse de mes matériaux.

L'objectif est de rendre visibles et compréhensibles les phénomènes observés. La démarche scientifique m'oblige à aller vérifier au plus près, le plus objectivement possible. J'ai pourtant conscience que nos observations subissent toujours des influences car elles sont toujours informées par nos concepts : nous voyons les choses sur lesquelles nous avons déjà des idées et nous ne pouvons voir les choses pour la description desquelles nous ne disposons d'aucune idée80.

Ce sont bien mes propres représentations qui ont déterminé l'orientation de ma recherche, comme le décrit le sociologue Herbert Blumer81 : elles ont caractérisé mes idées de départ, les questions que je me suis posées pour les mettre à l'épreuve des faits et les réponses que j'ai jugé possibles. Mes représentations sont en ce sens un type de « savoirs » dont j'avais à peine conscience avant d'entamer ce travail et sur lequel la tentation aurait été de me reposer. Attribuer un point de vue, une perspective, des motifs aux personnes dont nous analysons les actes, en soi, peut nous permettre d'identifier les phénomènes d'une manière scientifique, mais à certaines conditions. Un paramètre me semble essentiel : celui de toujours savoir avec quelle justesse et quelle précision nous décrivons le sens que les individus que nous avons étudiés donnent aux événements auxquels ils participent.

79 Dictionnaire Larousse.

80 T. Kuhn, philosophe des sciences et historien des sciences, a développé cette idée. Il s'est principalement intéressé aux structures et à la dynamique des groupes scientifiques à travers l'histoire des sciences. Il est le promoteur d'une science évoluant de façon discontinue, et l'inventeur des révolutions scientifiques (changements de paradigmes).

81 H. Blumer, sociologue américain, formé à la psychologie sociale. Il crée le terme d'interactionnisme symbolique, qui sera utilisé pour décrire la démarche des sociologues héritiers de l'École de Chicago. Auteur, entre autres, de L'interactionnisme symbolique: Perspective et méthode (1969).

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3. Limites et biais de l'enquête

La posture la plus délicate aura été d'observer « de l'extérieur » un objet situé dans mon champ professionnel, de le mettre à distance pour espérer effectuer un travail de recherche. Je n'avais pas le regard affuté et curieux, méthodo-logique82 du chercheur. C'est l'écriture besogneuse, tel l'ouvrage constamment remis sur le métier, qui m'a obligée à être plus précise, à décortiquer les éléments que je croyais reconnaître, à retourner fouiller, pour découvrir quelque chose de nouveau, de plus beau car inédit pour moi. La rigueur des écrits sur lesquels je me suis appuyée m'a fait comprendre l'exigence d'une recherche, aussi humble soit-elle. Les concepts théoriques qui ont éclairé mon objet n'ont été traités que partiellement, sans doute amputés d'éléments importants. Mais la conduite de ce travail m'a obligée à faire des choix, à restreindre les données théoriques pour garder le cap de ce qui me questionne, en veillant à garder la couleur de la réflexion sensée proposer de nouvelles grilles de lectures.

Lorsque j'ai commencé mes entretiens auprès de ces quelques étudiants, j'ai su que je n'allais pas opérer un simple prélèvement de discours. Cette expérience de terrain m'a permis de constater que la manière dont on organise des rencontres influence la production de parole. Même avec un guide d'entretien préparé et en étant à chaque fois très concentrée, je fus parfois directive dans mes interventions, peut être insuffisamment à l'écoute des silences, des mots pertinents à relever pour relancer les échanges. Cette étude fut une première expérience de terrain, et le terrain, ça s'apprend en faisant. Sans doute les étudiants interrogés auraient dit d'autres choses si les conditions avaient été différentes. Mais je suis assurée par mes enquêtés que les discours furent libres et ouverts : chacun d'entre eux a pris plaisir à verbaliser sur sa pratique et son histoire, a oublié que je faisais partie de l'équipe pédagogique, ce qui m'a permis de rassembler des données aussi riches.

Mon panel d'analyse ne comprend que douze personnes. J'ai entretenu huit autres étudiants dont les discours n'apparaissent pas dans mes annexes : quatre furent mes « essais exploratoires » et les quatre autres n'ont pu être retranscrits à la suite à une panne du matériel enregistreur. Malgré ce déboire, ces discours ont été reportés de

82 Néologisme inspiré de mes entretiens avec mon directeur de mémoire. En effet, ma «logique» méthodologique n'était pas la même que celle de mon accompagnateur. Il a fallu plusieurs mois de socialisation secondaire dans le milieu universitaire pour que j'assimile les devoirs et exigences de la recherche.

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mémoire dans mon carnet de bord et ont illustré mes propos. Mon échantillon de douze personnes ne permet pas une généralisation de mes résultats. Les entretiens approfondis ne visent pas à produire des données quantifiés ni à avoir pour vocation d'être représentatifs. L'objectif de mes travaux n'a jamais été de théoriser mais de simplement initier de nouvelles réflexions sur un sujet jusqu'à présent obscur dans le milieu de la formation en pédicurie-podologie. Par contre, j'aurais dû interroger des étudiants en deuxième année, « l'entre deux » dans la formation, ceux qui ont été tutorés, le sont encore un peu (mais beaucoup moins que les P1) mais qui ne sont pas encore accompagnateurs. Leurs discours et représentations auraient sûrement pu éclairer encore différemment mon étude. J'ai eu la maladresse de me concentrer uniquement sur les acteurs des binômes, les P1 et P3, sans penser que mon sujet allait traiter essentiellement d'une construction identitaire professionnelle : ce thème méritait d'entendre et d'analyser les propos des P2. J'ai manqué sans doute de lucidité puis de temps : je ne suis pas retournée sur le terrain. Cela fera partie des perspectives à venir de cette étude : aller vérifier du côté des P2 si les choses se ressemblent et s'accordent avec mes premières réflexions.

Le moteur de ce travail a débuté sur le doute de l'implicite, de ce qui se fait par habitude. Il s'enracine dans le nécessaire besoin de donner sens à ce que l'on fait et interroge les évidences, pour retrouver le goût de poursuivre. Cette posture qui est la mienne reste teintée d'un désir sûrement irrationnel d'essayer de comprendre pour atteindre « le palier plus serein d'un raisonnement83». J'ai dû, pour cela, parcourir des lectures et me frotter à la recherche. Cette traversée a évidement perturbé mes représentations. Mais elle aura comblé, au moins pour un temps, une appétence de recherche et un désir de compréhension.

4. Analyse et interprétation des résultats

L'être humain est rarement conscient, spontanément de ce qu'il est, fait et sait. Ceci provoque de grandes distorsions entre le « faire » et « dire sur faire ». Bernard Lahire explique dans L'esprit sociologique que « certes, les acteurs font ce qu'ils sont et savent ce qu'ils savent mieux que quiconque. Ils sont même sans doute les mieux placés pour dire ce qu'ils font et savent. Mais ils disposent rarement des moyens de

83 Anne-France Hardy, Développement professionnel du soignant-éducateur en santé scolaire, mémoire Master EAD, 2013, p.100.

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perception et d'expression qui leur permettraient de livrer ces expériences spontanément. Lorsqu'il est bien fait, le travail du sociologue, qui demande le concours et la confiance de l'enquêté, consiste à donner les moyens à ce dernier de dire des choses qui, sans lui, ne trouveraient pas (ou mal) le chemin de leur mise en visibilité84.» Les étudiants observés avec lesquels je me suis entretenue sont des acteurs sociaux détenteurs de savoirs difficilement exprimables à cause des inévitables distorsions entre faire et dire. Par exemple, beaucoup évoquent des situations qu'ils ont créées, vécues en les qualifiant de « normales » sans pouvoir vraiment les expliciter. Le travail de recherche consiste ici à décrire la réalité sociale et à risquer l'interprétation, avec cohérence et en évitant la dérive de sur-interprétation.

Mes données sont les observations in situ et les entretiens auprès des étudiants. Ce recueil de données nécessite une analyse. Au début, elle fut surtout exploratoire. Au fur et à mesure des lectures, l'analyse s'est focalisée sur certains liens qu'il me fut possible de faire apparaître entre différents thèmes dégagés par la grille d'analyse de chaque entretien85.

Afin de construire une grille d'analyse, j'ai tout d'abord découpé mes entretiens en extraits tels que, à la question « de quoi parle ce passage? », je puisse répondre d'un mot ou par un titre très bref. Ces mots-clés identifient les unités thématiques élémentaires des entretiens.

Par plusieurs relectures attentives, j'ai tenté de dégager tous les thèmes abordés en sélectionnant ceux qui sont davantage en rapport avec ce que dit l'interviewé qu'avec ce que je demande en tant que chercheur (par exemple, l'acquisition de savoirs est une notion exposée spontanément chez les étudiants). Je me suis efforcée d'être vigilante, de noter tous les thèmes qui n'étaient pas présents dans mon guide d'entretien86 (exemple, le développement des sentiments), et de préciser les sous-thèmes (exemple, la confiance). J'ai isolé les unités thématiques en choisissant pour chacune le mot-clé ou les mots-clés les mieux ajustés et les ai classés dans des dossiers thématiques correspondants. J'ai ensuite regroupé les différentes unités en thèmes (exemple, la construction identitaire professionnelle) et sous-thèmes (exemple, être accompagnateur) constituant ainsi ce qu'on appelle la grille d'analyse de l'entretien.

84 B. Lahire, L'esprit sociologique, Paris. La découverte. 2005. p.159-160.

85 P. Combessie, Socio-anthropologie du monde contemporain, « Atelier d'étude », HL SAR 604, Université de Paris Ouest. 2013.

86 Guide d'entretien. Annexe 1, p. 114.

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Commencer mes analyses a ressemblé à un exercice de reconstruction de puzzle : j'ai désormais des retranscriptions d'observations, des entretiens que j'ai classés et découpés, et il me faut les assembler pour donner corps à mes interrogations et réflexions.

Pour cela, je me suis appuyée sur le travail méthodologique décrit par Stéphane Beaud et Florence Weber87. Ainsi, je choisis de rendre compte de mon enquête en recoupant toutes les informations que j'ai recueillies et en les contextualisant. En effet, « le sens des paroles recueillies est strictement dépendant des conditions de leur énonciation.88» L'entretien, tout comme l'observation, ne prennent véritablement sens que dans un contexte immédiat. Mais la volonté d'analyser m'invite aussi à restituer un univers de références plus large, constitué par des allusions, dans une posture que Didier Demazière et Claude Dubar89 définissent comme analytique, c'est-à-dire reconstructrice de sens. Dans leurs questionnements sur « comment utiliser des entretiens de recherche en sociologie qui ne constituent pas des questionnaires déguisés », les auteurs remettent en question des postures de recherches sociologiques fréquemment utilisées dans l'analyse d'entretiens. La première est dite illustrative : les entretiens donnent l'impression d'être considérés comme des réservoirs de réponses ne servant qu'à illustrer les propos du chercheur, paraphrasant les discours des personnes enquêtées. La seconde posture critiquée est celle parfois utilisée dans les récits biographiques, nommée posture restitutive. Cette démarche présuppose qu'il suffit de lire pour comprendre comme si l'entretien et le langage étaient transparents à eux-mêmes. Or pour Didier Demazière et Claude Dubar, le sens d'un entretien réside dans sa mise en mots et obéit à des règles de production de sens, appuyé par des concepts éclairants. Le tout peut espérer être générateur de nouvelles réflexions.

Je me suis exercée à cette démarche analytique, en étant bien consciente que les risques de basculer dans l'une ou l'autre posture dénoncée étaient grands.

La grille de classification par thèmes et sous-thèmes que j'ai choisie est l'accomplissement d'un travail de lectures et de classement. Tel l'aménagement d'un lieu de vie, d'un coin de jardin, les objets que sont mes entretiens ont été regroupés, placés, déplacés jusqu'à ce qu'ils signifient quelque chose de pertinent en terme d'analyse. Certes, cette tentative de produire méthodiquement du sens est critiquable.

87 S. Beaud, F. Weber, op.cit., p.227-228.

88 S. Beaud, F. Weber, op. cit., p.218.

89 D. Demazière et C. Dubar, Analyser les entretiens biographiques. L'exemple de récits d'insertion. Paris. Nathan. 1997.

L'analyse thématique laisse au chercheur une grande latitude dans le codage des discours. Inévitablement, j'ai été orientée par mes habitus mais aussi par mes inscriptions disciplinaires et par mes choix méthodologiques.

Puisque la problématique de ce mémoire porte sur la socialisation des pédicures-podologues et son influence sur la construction identitaire professionnelle, mon travail d'apprentie-chercheuse consiste donc à comprendre comment les étudiants pédicures-podologues fonctionnent dans les dispositifs pratiques d'apprentissages au métier, comment les situations s'organisent et transforment, en mettant en évidence les rapports sociaux, les logiques d'actions engendrées et récurrentes, les processus qui caractérisent ces situations et qui les font exister90.

Ainsi, mes analyses se présentent de la façon suivante : j'ai tout d'abord référencé les différents apprentissages qui s'effectuent au cours de ces situations entre pairs, du côté des savoirs et savoir-être. Je cherche ainsi à faire apparaître ce qui est de l'ordre de la formation entre pairs et ce que cela apporte aux étudiants. La deuxième partie de mes analyses consiste à démontrer de quelle manière ces apprentissages entre pairs permettent de façonner une identité professionnelle en construction. Ces thématiques sont illustrées au fur et à mesure par des concepts éclairant mes analyses, ce qui me permet de croiser mes observations et les apports théoriques.

4.1. Etre entre pairs.

La formation entre pairs désigne donc une modalité d'apprentissage entre les individus d'un même groupe ou d'une même entité. Ce type de formation envisage la possibilité d'apprendre avec ses collègues et confrères. Les situations observées sont des moments pendant lesquels des étudiants travaillent ensemble leurs pratiques professionnelles.

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90 Problématique du mémoire, p.20.

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4.1.1 L'étudiant tutoré

4.1.1.1 Acquisition de savoirs

Les étudiants, en formation à l'acte de soin pédicural, sont donc réunis dans une salle contenant douze postes de travail. Chaque poste est équipé d'un fauteuil pour le patient et de deux fauteuils praticiens qui placent les étudiants légèrement plus bas que les pieds du patient. Chaque stagiaire possède un chariot (nommé poste de travail) sur lequel il positionne les différents instruments nécessaires à l'exécution d'un soin.

Lorsque tous les étudiants ont installé leur poste de travail, chaque binôme se rend dans la salle d'attente pour chercher un patient. Des rendez-vous ont été donnés à autant de personnes qu'il y a de groupes d'étudiants. Le patient s'installe dans le fauteuil et se déchausse.

L'étudiant P3 est généralement celui qui prend la parole au début de l'entretien avec le patient. Le P1 est dans un rôle de tutoré, celui à qui on apporte un renfort, un soutien, une aide, un appui, une assistance, une collaboration91.

Le P3 intègre parfois le P1 dans le questionnement de la personne mais rarement : c'est donc le P1 qui observe comment fait le P3, l'écoute aussi (notamment pour connaître le motif de la consultation puis pour décider comment procéder avec le patient). Thom, étudiant P1, explique : « je regarde comment faire, le coup de main, la manière dont procède le P3 et de fil en aiguille, j'essayerai d'appliquer ma méthode [...] on est avec quelqu'un qui a plus d'expérience, il peut nous apprendre à mieux manier les instruments92.» Helena, P3, explique : « je m'installe, mes instruments, mon plateau, et c'est la personne d'à coté [le P1] qui va regarder ce que je fais et qui va faire pareil93.» L'étudiant P1 apprend en essayant de refaire ce qu'il vient de voir faire par un tiers, le P3. Cette intervention par imitation de ce que l'on a observé a été décrite par des auteurs comme Maurice Reuchlin94 et Albert Bandura95. Selon ces auteurs, les apprentissages par expérience directe surviennent le plus souvent sur une base vicariante, c'est-à-dire en observant le comportement des autres et les conséquences qui en résultent pour eux. L'apprentissage vicariant pourrait

91 Définition du Larousse, 2013.

92 Cf. annexes entretiens T.30.

93 Cf. annexes entretiens H.30.

94 M. Reuchlin, Processus vicariants et différences individuelles. Journal de psychologie, volume 2. 1978. pp. 133-145.

95 A. Bandura, L'apprentissage social. Paris. Pierre Mardaga. 1995. 206 p.

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correspondre, dans ce contexte, à ce que l'étudiant peut apprendre en marge du discours du formateur proprement dit : en regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire. Maurice Reuchlin a mentionné l'intérêt pédagogique de ce processus : pour lui, la période d'observation permet au sujet de dégager les aspects pertinents de la situation et de faire porter ses propres essais sur ces aspects. Parce que l'étudiant P1 est à côté d'un autre étudiant plus expérimenté, il a la possibilité de prélever des indices sur le travail à effectuer. Ces prises d'indices permettent au P1 de progresser dans ces apprentissages.

L'apprentissage effectué concerne donc des savoir-faire, comment soigner un patient, techniquement. François, P1, considère que « le tuteur (le P3) montre plus que le formateur les petits gestes de base qu'il faut faire et le tutoré (le P1) se dit que c'est ça les gestes de base qu'il doit faire.96» L'étudiant va apprendre, progressivement, à partir du savoir-faire d'autrui, ce que le formateur a parfois du mal à expliciter. Il incorpore les manières de faire de son tuteur. Dans les premiers temps d'échanges entre étudiants au début de l'année, les savoirs enseignés par le tuteur-étudiant correspondent aux bases du futur métier. On note ici que le P3 a donc un rôle particulier qui est celui d'apprendre quelque chose au P1. Amel, P1, spécifie : «les professeurs nous enseignent mais aussi les P3, ils font le relais des connaissances97». Elle juge l'action d'un P3 très utile : « dans un cours, on écoute, mais on n'enregistre pas forcément tout et le fait qu'ils (les P3) en remettent une couche, je pense que c'est bien.98»

Les mots employés par l'étudiant sont « plus simples » que celui des professeurs, précise François : « quand on (le formateur) nous explique ce qu'il faut que nous fassions avec le patient, c'est un peu théorique. Là, on a quelqu'un (le P3) qui te dit `' ça, on te l'a expliqué, fais gaffe, c'est important, et ça, bon, ça l'est moins `'; ça permet de relativiser ce qu'il faut vraiment savoir99Cela signifie que l'enseignant, c'est-à-dire le formateur, n'est plus la seule interface aux savoirs. Pour l'étudiant P1, observer la réussite ou l'échec d'autres personnes dans une tâche peut jouer sur son sentiment d'efficacité100 par rapport à la tâche (ici, la prise en charge du patient en soin pédicural) surtout si ces personnes partagent avec lui un certain degré de similitude qui

96 cf. annexes entretiens F. 2.

97 cf. annexes entretiens Amel 32.

98 cf. annexes entretiens Amel 36.

99 cf. annexes entretiens F. 4 et 44.

100 A. Bandura, Auto-efficacité. Le sentiment d'efficacité personnelle. Paris. De Boeck Université. 2003.

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favorise le processus d'identification. Le P1 s'identifie au P3 puisqu'il deviendra lui-même cet étudiant au cours de sa formation. La comparaison sociale est efficace si l'objectif de la tâche est présenté comme une occasion de développer ses compétences ou habiletés101. C'est bien le cas dans ces situations : le P1 apprend du P3. La formation entre pairs crée de fait une interrelation entre les individus : les étudiants sont côte à côte et le formateur n'est pas présent à chaque instant. L'un d'entre eux n'a pas ou peu d'expérience dans l'acte de soigner : il est donc inévitablement invité à regarder comment procède son collègue plus expérimenté pour réussir la mission qui lui est confiée (prendre en charge un patient). Ainsi, le P1 apprend de son tuteur P3, quoi qu'il arrive. Plus ou moins, car les apprentissages vont bien sûr dépendre de ce que dit l'étudiant P3, de ce qu'il montre, donc de la posture qu'il adopte, plus ou moins aidante. Les étudiants P1 l'ont compris et c'est pourquoi ils jugent pertinent de ne pas être en binôme avec la même personne, à chaque stage102. L'institution leur laisse d'ailleurs le choix de changer de personnes et c'est ce que font les étudiants. Ils choisissent leur P3 à chaque début de stage. Comme les groupes d'étudiants changent toutes les trois semaines, chaque P1 remodèle ces savoirs, au fur et à mesure des stages, en fonction de ce qu'il voit et entend.

4.1.1.2 Relation à autrui

A l'évidence, apprendre entre pairs signifie améliorer ses connaissances techniques et théoriques. Mais ce que j'observe et entends m'oblige à penser que c'est plus que cela : être en binôme sous-entend un regard et une attention du P1 sur la façon dont procède le P3 pour entrer en communication avec un patient. Charlène, P3, explique : « on sait comment ça se passe avec un patient103.» Helena, P3, précise : « c'est davantage les P3 que les profs qui montrent comment on parle avec le patient104.» Alicia, P3, confirme : « c'est le plus «âgé» qui parle le plus avec lui [le patient], ça se passe toujours comme cela.105» C'est un apprentissage implicite et empirique qui

101 A. Bandura, Ibid.

102 Cf. annexes entretiens de P1, A. 26 et F.20 : « on n'apprendrait pas beaucoup de choses si on ne changeait pas de binôme, si on était toujours avec la même personne ». Clara, P3, pense que « c'est bien de changer de groupe, ou de binôme [...J c'est ça qui est enrichissant, d'avoir différentes personnes qui nous expliquent comment faire, car elles n'ont pas toutes la même façon de montrer, d'expliquer ».Cl.8 et 26.

103 Cf. annexes entretiens Ch. 56.

104 Cf. annexes entretiens H. 12.

105 Cf. annexes entretiens A. 64.

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s'effectue dans ces situations. Implicite parce qu'il n'est jamais évoqué par l'équipe pédagogique, empirique car cet apprentissage se passe au cours de mises en situations pratiques, c'est-à-dire avec des patients. Jusqu'à présent, les notions de communication, de relation entre un soignant et un soigné n'étaient pas théorisées dans la formation au métier de pédicure-podologue. Elles apparaissent aujourd'hui dans le nouveau référentiel de formation (en application depuis 2012, dans le cadre des réformes des études paramédicales), dans le cadre d'unités d'enseignements en sciences humaines, mais ne survient dans les programmes qu'au cours de la deuxième année. C'est sans doute une des différences majeures entre les formations au métier du soin : les études d'infirmiers ou d'ergothérapeutes, par exemple, abordent depuis très longtemps les disciplines de la psychologie, sociologie, pédagogie, contrairement aux études de pédicures-podologues. Ce nouveau référentiel marque sans doute une volonté des équipes pédagogiques à changer de paradigme, peut-être moins techno-centré, davantage tourné vers la personne, vers l'humain...

Jusqu'à présent, les étudiants pédicures-podologues n'étaient pas vraiment sensibilisés à ces notions, si ce n'est au travers de ces situations entre pairs, de façon implicite. Ce qui me laisse penser que ce n'est donc pas seulement pour des raisons techniques que certaines équipes de formateurs, dans leurs instituts, ont instauré ce mode d'apprentissage entre soi, même si les raisons de ces organisations restent opaques dans les projets pédagogiques que j'ai pu consulter.

Cet apprentissage à la relation à l'autre, ce que les professionnels en milieu médical nomment « relation soignant-soigné », s'effectue à deux niveaux. D'un côté, les formateurs s'entretiennent avec les patients au cours des stages pratiques, devant les étudiants. Les attitudes, les discours des enseignants sont perçus par les P1 et les P3. Mais dans l'exercice de l'apprentissage à l'acte de soin, le formateur passe peu de temps avec le patient. C'est donc l'étudiant qui échange davantage avec lui. « C'est nous qui l'accueillons, c'est nous qui lui parlons pendant le soin, c'est nous qui lui donnons des conseils même si, le formateur arrive et qu'il complète, mais on l'a [le patient] du début à la fin, donc oui, c'est plus les P3 qui montrent ça106». C'est le P3 qui conduit cette relation privilégiée puisque le P1 considère que c'est son « ainé » qui est le plus à même de mener les échanges. Le P3 reproduit donc des savoir-faire inculqués par le formateur et les reformule à sa façon devant le P1. On est donc face à

106 Cf. annexes entretiens H.12.

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des savoirs intégrés, retransmis d'une génération d'étudiants à une autre107, ce qui permet d'enrichir la relation à autrui par une diversité des approches. En soi, l'apport des pairs est « complémentaire de ce que peut apporter le formateur108» : transmettre des savoirs théoriques et des compétences relationnelles avec un patient sont des actions partagées entre les enseignants et les tuteurs. L'apprenant devient un partenaire actif du dispositif de formation.

Savoir comment se comporter avec un patient pour que la relation soit satisfaisante au regard de l'exigence d'acquisition de compétences professionnelles, confortable, agréable pour l'étudiant109 et la personne soignée, s'effectue essentiellement lors de ces situations entre pairs. Les étudiants apprennent à communiquer, à échanger lorsqu'ils sont ensemble.

4.1.2 L'étudiant tuteur

4.1.2.1 Production, appropriation et mémorisation de savoirs

Les étudiants échangent avec le patient et entre eux dans ces moments de consultation : le P3 explique au P1 ce qu'il faut regarder sur les pieds, les jambes du patient, comment on prend le pouls périphérique d'une artère du pied et à quoi ça sert... et de quelle façon on note sur le dossier du patient les différents renseignements rassemblés. Le P3 est donc le tuteur, celui qui guide, celui qui conduit, qui facilite un apprentissage110.

Franz analyse sa situation de P3 à côté d'un P1 : « ça oblige à faire un bilan de là où on en est. Ça oblige à se remettre en question.111 » Faire la part des choses sur ce que l'on sait est inévitable pour les étudiants qui accompagnent les plus novices dans la formation. Fanette, P3, précise que dans certaines situations « ils (les P1) nous demandent quelque chose et parfois on se sent un peu bête parce qu'on se dit `'mince, comment j'explique''112...» Pour Chris, P3, « en début d'année, c'était difficile pour

107 Baptiste, P3, pense « que ce sont les tuteurs d'avant qui nous montrent comment on fait avec les autres ». B.10.

108 Cf. annexes entretiens T.36 et 38.

109 Certains étudiants parlent de « bonne ambiance, de relations sympathiques entre eux-mêmes et les patients ».

110 Définition du Larousse 2013.

111 Cf. annexes entretiens F.26.

112 Cf. annexes entretiens Fan. 24.

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moi d'expliquer aux autres ce que je faisais et pourquoi je faisais comme ça.113» Apprendre à l'autre ce que l'on sait devient donc une injonction à « savoir » mais également à « pouvoir » transmettre des informations. Les propos d'Amel, P1, illustrent la situation : « je pense qu'il faut qu'ils(les P3) connaissent bien leurs cours pour pouvoir nous le répéter.114» « Le tuteur ne doit pas forcément avoir plus de connaissances que le tutoré » explique François, P3, « il doit surtout savoir mieux les exploiter115.» Selon Alain Baudrit, le tuteur n'est pas un simple pourvoyeur de savoirs et de savoir-faire : « c'est quelqu'un qui doit aussi réinvestir ce qu'il sait, se livrer à un travail d'explicitation en direction du tutoré.116» Comme le P1 a peu de connaissances, le P3 est obligé d'adapter son discours pour qu'il soit compréhensible : cela permet à l'étudiant de vérifier qu'il domine ses savoirs. Transmettre ses acquis permet donc une meilleure assimilation de ses connaissances, donc de progresser. Car ici, les étudiants s'instruisent, acquièrent des connaissances, apprennent pour eux-mêmes. Celui qui enseigne à l'autre s'instruit aussi, se forme, apprend, c'est-à-dire restructure ses savoirs. Cela signifie que les étudiants sont à la fois acteurs et bénéficiaires dans ces actions. Mais cette situation dans laquelle se trouve le P3 constitue également une source importante influençant le sentiment d'auto-efficacité décrit par Albert Bandura. Selon sa théorie, la perception qu'a un individu de ses capacités à exécuter une activité influence et détermine son comportement et son niveau de motivation.

La dynamique de ces petits groupes correspond bien à la fois à des espaces de production, d'appropriation et de mémorisation de savoirs et de savoir-faire.

Les étudiants accompagnateurs, les P3, acceptent cette situation en binôme certainement parce qu'ils y trouvent un intérêt : « Le P1 pose des questions qu'on ne se pose pas ou qu'on a oubliées, donc ça nous fait des rappels, on se rend compte de certaines lacunes, mais on se rend compte aussi qu'on sait des choses, que de les expliquer, ça clarifie dans nos têtes, et on apprend des autres aussi117». Clara, P3, explicite son propos : « je pense que savoir faire une chose, c'en est une mais pouvoir l'expliquer, le verbaliser, c'est encore mieux: il faut vraiment l'avoir tellement bien compris pour le dire de la façon la plus simple possible ! On est obligé de clarifier ses idées. Rien que ça, ça apporte aussi. Et puis, si un P1 pose une question à laquelle on

113 Cf. annexes entretiens CT 32.

114 Cf. annexes entretiens Am.34.

115 Cf. annexes entretiens F. 34.

116 A. Baudrit, Le tutorat. Richesse d'une méthode pédagogique. Paris. De Boeck Université.2007. p.56.

117 Cf. annexes entretiens Cl.34.

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ne sait pas répondre, on se dit `'tiens là, j'ai une lacune, et ça, il faudrait que je le bosse''118». L'effet tuteur qu'Alain Baudrit explicite dans son ouvrage Le tutorat, richesse d'une méthode pédagogique, serait précisément provoqué par une activité de guidage à travers laquelle un individu élabore et verbalise des explications afin d'en aider un autre à réaliser une tâche. Chris, P3, précise que « être avec un P1ou un P2 nous oblige à faire des liens entre ce que l'on fait et ce que l'on voit. Au lieu de foncer, on a une vision plus globale [...] ; les P3 aident les autres à faire des liens et inversement; les P2, par exemple en clinique, vont me dire `'mais pourquoi t'as fait ça, c'est quoi le lien ?»; donc nous les P3, ça nous fait réfléchir; on l'exprime à l'oral et ça nous entraîne, parce que les choses qu'on explique aux P2, on doit savoir les expliquer aux patients et à nos professeurs.» 119 Fanette, P3, explique qu'elle s'est « améliorée » depuis qu'elle aide les autres.120 L'activité de tutorat permettrait donc aux P3 d'améliorer leurs compétences cognitives et métacognitives, à l'instar de ce que décrit Alain Baudrit lorsqu'il décrit l'effet tuteur comme « ce travail d'élaboration et de mise en oeuvre d'un guidage de l'action de l'autre qui peut être profitable au tuteur à travers le type d'activité qu'il requiert, surtout s'il ne se contente pas de guider directement l'action du tutoré, mais cherche à lui expliquer comment s'y prendre121

4.1.2.2 Motivation de l'étudiant

A la fin du soin, c'est le P3 qui propose une prise en charge parfois nécessaire du patient, c'est-à-dire une orientation thérapeutique vers un autre soignant, des conseils ou la prescription de topiques. Le formateur valide les propositions du P3 en présence du P1. C'est donc un moment où l'étudiant P3 est évalué devant le P1. Cette situation renforce l'obligation de réussite du P3 car il est à la fois jugé par son professeur, de façon objective, mais également par son pair, implicitement. Chris, P3, explique : « devant un 1ère année ou un 2ème année, on est obligé de montrer l'exemple.122» Franz précise : « il y a le jugement de l'autre qui va regarder ou nous écouter, et ça, ce n'est pas toujours facile123». L'obligation de résultat devant un de ses pairs génère une motivation particulière dans l'apprentissage. Lorsque les P3 expliquent que « c'est

118 Cf. annexes entretiens Cl.4.

119 Cf. annexes entretiens CT 22 et 30.

120 Cf. annexes entretiens Fan.44.

121 A. Baudrit, op.cit., p.56.

122 Cf. annexes entretiens CT 6.

123 Cf. annexes entretiens F.40.

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plus les premières années qui nous font prendre conscience qu'on a grandi que le prof qui nous laisse passer124», c'est bien l'émergence d'effets émotionnels qui est décrite : la motivation à apprendre, la curiosité sont des effets accentués dans ces situations entre pairs. Soutenir la confiance en soi et l'engagement des apprenants peut donner un sens aux apprentissages125. Amel, P1, parle du plaisir du devoir, celui de s'occuper d'un confrère : « je pense qu'il va falloir à un moment aussi que je coucoune quelqu'un. Je sais que ça va me plaire aussi126 ». Les théories actuelles de la motivation soulignent l'imbrication entre les processus individuels (dont les sentiments font partie) et le contexte social. Chaque individu a des projets, des préférences, des croyances qui influencent sa motivation par rapport à telle ou telle activité, mais l'être humain est également sensible au contexte dans lequel il se trouve, notamment au contact d'autrui (enseignant ou pair). Un certains nombre d'éléments interagissent constamment. Trois constats se dégagent clairement des travaux scientifiques :

- la motivation est quelque chose de dynamique, qui se reconfigure au fil du temps.

- une diversité de facteurs et d'acteurs entrent en jeu dans la motivation.

- il existe des sources multiples de motivation : l'individu peut étudier parce qu'il veut s'améliorer, faire plaisir à ses parents, éviter de paraître nul, accéder à un métier qui lui plaît...

Ainsi, les objectifs guident l'attention et colorent les perceptions, mais dans le même temps, le type d'activités réalisées et les réactions d'autrui influent sur les objectifs que l'individu s'est fixé127. Une recherche action d'Alain Lieury dans un centre d'apprentis, a permis de mettre en évidence le fait que les élèves en situation d'acteurs (jeu de rôle) dans l'apprentissage obtiennent de meilleurs résultats que ceux positionnés en tant que spectateurs. La motivation ici est intrinsèque128 pour les élèves

124 Cf. annexes entretiens A. 54.

125 B. Galland, E. Bourgeois, Se motiver à apprendre. Paris. Apprendre. 2006.

126 Cf. annexes entretiens Amel 72.

127 A. Lieury, F. Fenouillet, Motivation et réussite scolaire. Paris. Dunod. 2006.

128Dans le chapitre 2 : « motivation intrinsèque et motivation extrinsèque », Alain Lieury et Fabien Fenouillet se réfèrent au besoin de curiosité mis en évidence par Butler Robert (1954).Ce dernier a montré que certains besoins ne sont pas satisfaits par une réponse à un besoin physiologique. C'est pourquoi, il parle de motivation cognitive ou besoin de curiosité. Les expériences d'Harry Harlow sur les singes ont montré que le renforcement cassait la motivation. Il a donc distingué deux catégories de motivations, les motivations extrinsèques régies par les renforcements (Loi de Hull, ...) et les motivations intrinsèques (curiosité, manipulations) régies par l'intérêt pour l'activité elle-même. Deci Edward a montré le même phénomène chez l'homme en reproduisant le même support

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acteurs et résulte d'une bonne compétence perçue et d'un libre-arbitre. Dans cette vision des choses, la responsabilité professionnelle des enseignants autour de l'apprentissage porte essentiellement sur les moyens. Il s'agit pour eux, à travers leurs activités professionnelles, de s'efforcer de mettre en place un environnement, un climat les mieux à même de susciter et soutenir la motivation des apprenants. Les choix pédagogiques de l'institut de pédicurie-podologie observé créent un contexte d'interrelations qui participe à la motivation à apprendre des étudiants.

4.1.3 Les modèles d'apprentissages entre pairs

4.1.3.1 Différents concepts

Ces pratiques dans lesquelles les étudiants interagissent avec d'autres étudiants afin d'atteindre un but, que ce soit l'accomplissement d'un geste de soin technique, la justesse d'un diagnostic, la pertinence d'une proposition de prise en charge thérapeutique ou la qualité de la communication avec le patient... m'invite à être attentive aux différentes connaissances détenues par les groupes et à ainsi concevoir l'apprentissage dans sa dimension collective. Les propos des étudiants permettent de reconnaître que ce ne sont pas seulement les individus pris individuellement qui améliorent leurs compétences dans les situations entre pairs mais que cette progression dans les savoirs et savoir-faire est le fait des ensembles qu'ils forment. Il est opportun de parler d'apprentissage collectif ou coopératif quand un individu partage ses connaissances avec un ou plusieurs autres membres de son groupe et que ceux-ci approfondissent ensemble l'objet d'apprentissage, ici l'exercice d'un métier de soin à la personne.

d'expérimentation, celui des puzzles. Il a pu montrer que donner un temps limite (soit une contrainte) dans la réalisation de la tâche baissait la motivation intrinsèque, par contre demander « d'aller le plus vite possible » n'induisait pas d'effet négatif. Les auteurs ont proposé une première théorie expliquant les motivations en termes de continuum en fonction de l'autodétermination des individus (intérêt pour l'activité elle-même). Plus l'individu est autodéterminé, plus il est motivé intrinsèquement et inversement, plus la cause de l'activité est parue externe (ex : école obligatoire), plus l'individu est extrinsèquement motivé. Tout ce qui entrave le libre arbitre soit les contraintes de temps limite, le contrôle, la pression, diminue la motivation intrinsèque. La motivation extrinsèque est liée au besoin de renforcements (argent, prix, ...) et la motivation intrinsèque est liée à l'intérêt de la tâche pour elle-même.

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Les différents travaux sur les apprentissages en groupe et entre pairs se sont multipliés depuis plusieurs décennies. Ils ont largement influencé les pratiques des enseignants et contribué à l'émergence de concepts, tel l'apprentissage en collaboration, l'apprentissage coopératif ainsi que les communautés d'apprentissage.

L'apprentissage en collaboration peut être décrit comme une stratégie d'apprentissage où un petit groupe d'apprenants travaille à atteindre un but commun sans séparation des tâches au préalable ; tout le monde est susceptible de prendre part et de participer à l'entièreté du processus.

Le terme d'apprentissage coopératif a des origines Outre-Atlantique. Ainsi, Johnson & Johnson, cités par Alain Baudrit, le caractérisent en un travail en petits groupes, dans un but commun, qui permet d'optimiser les apprentissages de chacun. Pour ces auteurs, les élèves des groupes coopératifs « peuvent atteindre leurs objectifs d'apprentissage si, et seulement si, les autres élèves avec qui ils sont comparativement associés atteignent les leurs.129» Le succès collectif semble ainsi être lié à l'efficacité de chaque membre, de l'investissement individuel dans la réalisation du projet commun. Ce fonctionnement se nomme interdépendance et suppose des rapports de réciprocité étroits à l'intérieur des groupes. Alain Baudrit insiste sur le fait que les groupes doivent présenter une certaine hétérogénéité, afin de favoriser les interactions et dynamiser les échanges. Ces notions d'interdépendance et d'hétérogénéité « font que les échanges entre élèves gagnent en coordination et en intensité, ce qui assure une certaine efficacité collective mais aussi des gains personnels130.» Les membres de ces groupes peuvent améliorer leurs connaissances et leurs compétences, en agissant activement ensemble. Ils sont donc amenés à progresser individuellement. Les propos de Chris, P3, qui compare les deux instituts qu'il a fréquenté, illustrent ce phénomène : « moi je sens qu'ici [le 2ème institut fréquenté] on peut facilement discuter, donner notre avis, ce qui va, ne va pas, on sent qu'il y a toujours une remise en question de l'école, de ce qui est fait. [...]Ici, on va plus facilement vers les livres, vers les profs, on pose plus facilement des questions parce qu'on est face à des gens plus ouvert ; donc, même en groupe, ça créer une dynamique. Les étudiants échangent, `'tiens moi y'a un prof qui m'a dit ça'Ç on se passe les infos et du coup, on sait qu'on peut aider, comme en clinique ou en soin. On dit à l'autre, `'tiens y'a ça qui va mais ça tu peux

129 A. Baudrit, L'apprentissage coopératif: Origines et évolutions d'une méthode pédagogique. Paris. De Boeck. 2007, p.94.

130 A. Baudrit, op. cit, p.7.

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faire autrement, ou là, tu te trompes». Ainsi, tout le monde s'interroge sur comment faire, et même les P1 ou les P2, quand on est en groupe, voient des choses qu'ils n'ont pas encore apprises et ça leur donne envie d'avancer131. » La motivation dans les apprentissages apparaît clairement ; c'est un élément important à intégrer dans le concept d'apprentissage coopératif.

Du coté européen, Philippe Meirieu132 développe une conception du fonctionnement groupal assez proche de celui exposé par Johnson & Johnson. Pour lui, ce type de groupes se distingue par « un mode de fonctionnement impliquant chacun à la tâche commune, de façon à ce que cette implication soit un moyen d'accès à l'objectif que l'on se propose d'atteindre.133 » L'idée que les élèves participent à une activité collective et que celle-ci leur permette d'acquérir des savoirs est développée également chez Robert Pléty134 lorsqu'il parle d'apprentissage coopérant. Selon cet auteur, ce travail de groupe permet à un certain nombre d'élèves, en situation d'échec, de réussir par le travail collectif. Pour cela, les groupes doivent être interactifs, faire preuve d'une véritable activité de « ce que les élèves peuvent s'apporter les uns aux autres, du fait de leur capacité en intelligence, action et organisation.135» La synergie créée par la collaboration fait donc émerger des facultés de représentation, de création et d'apprentissage supérieures à celles des individus isolés.

Certains processus du concept de collaboration s'appliquent à la situation observée dans les apprentissages entre pairs pédicures-podologues, à savoir :

- Les étudiants doivent se mettre d'accord sur l'objectif de soin et organiser leurs actions pour le réaliser.

- Il y a négociation par la discussion entre les étudiants.

- La collaboration à un acte de soin est la cause de l'apprentissage (c'est parce que les étudiants coopèrent qu'ils apprennent, même si d'autres situations leurs permettent d'acquérir des compétences).

131 Cf. annexes entretiens Chris 28 et 32.

132 P. Meirieu, Apprendre oui mais comment? ESF. Paris. 1998.

133 P. Meirieu, op.cit., p.15.

134 R. Pléty, L'apprentissage coopératif, Paris. Retz. 1996.

135 R. Pléty, op. cit, p. 153.

70

Apprendre, travailler ensemble relève également du concept de communauté d'apprentissage. Divers auteurs, comme Etienne Wenger136, se sont attachés à décrire une perspective sociale de l'apprentissage au travers de collectifs particuliers définis sous le terme de communauté de pratique. Classiquement, on distingue trois éléments essentiels à la constitution d'une communauté de pratique d'apprentissage :

- l'engagement mutuel,

- la négociation d'actions communes,

- un répertoire partagé.

Selon Etienne Wenger, l'appartenance à une communauté de pratique est un engagement des individus dans des actions dont ils négocient le sens, la finalité.

Concernant les actions communes, elles sont nécessairement négociées, ce qui crée des relations de responsabilités mutuelles entre les membres de la communauté.

Enfin, le répertoire partagé est l'ensemble des ressources qui réunissent des supports physiques, des outils, des procédures, des concepts que la communauté a créé ou adopté (par exemple, dans la situation observée, les concepts d'hygiène, de stérilisation, la façon d'utiliser les instruments de soin...) et qui sont incorporés dans les pratiques.

Ce principe de communauté de pratique suppose un rapport d'entraide entre les acteurs, condition nécessaire pour qu'il y ait partage des connaissances sur une pratique.

Etienne Wenger évoque aussi le fait que les communautés émergent de manière spontanée et informelle et que, dans ce contexte, les expériences, les interrogations des acteurs incitent au partage et à une recherche de solutions coconstruites. Sa définition met en évidence la maîtrise des connaissances, d'habileté ou d'habitudes comme des raisons d'être de la communauté.

La théorie des communautés de pratique invite à concevoir l'apprentissage du point de vue « participation sociale ». Ceci sous-entend que la participation n'est pas seulement un engagement de personnes dans certaines activités mais également un processus de « collaboration active aux pratiques d'une communauté sociale et de la construction d'identités en lien avec elle137». Etre acteur dans un groupe ou une équipe, constitue une forme d'appartenance à un type d'activité. Cet engagement transforme l'acte

136 E. Wenger, La théorie des communautés. Paris. Presses De L'université Laval. 2005.

137 E. Wenger, op. cit,. p. 2.

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d'agir mais aussi la manière d'être et de l'interpréter. Le phénomène décrit par Etienne Wenger correspond à la notion d'étudiant auteur/acteur que j'ai observée chez les étudiants pédicures-podologues.

Que l'on parle d'apprentissage collaboratif, coopératif ou de communauté de pratique, le dénominateur commun à ces différentes théories reste le groupe, cette structure dont l'intérêt est d'être propice à la mise en commun des idées, au partage d'information, à l'échange donc aux interactions sociales. J'ai mis en évidence que des dimensions individuelles et socio-organisationnelles cohabitent. C'est donc de et dans leurs interactions que les individus peuvent réaliser une partie de leurs apprentissages138.

4.1.3.2 Développement de sentiments

D'une certaine façon, cette conception d'apprentissage privilégie une interdépendance entre les étudiants, met en avant des relations de réciprocité où entraide et soutien mutuel occupent une large part. Regrouper des étudiants, les amener à étudier ensemble, les associer sur des projets, favoriser la discussion, les échanges entre eux, instituer donc des situations collectives de travail ont permis de mettre en évidence des conduites sociales comme l'altruisme et l'empathie.

Les sentiments ont effectivement une large place dans les propos recueillis chez les étudiants pédicures-podologues. Amel, P1, décrit que « le fait que l'on soit accompagné par un P3, je trouve ça plus confortable, en tout cas pour les débuts, que d'être avec un professeur, c'est moins stressant parce qu'il a une vision qui va lui permettre de nous dire que ce qu'on fait ce n'est pas bien, mais c'est vrai que l'on a l'impression qu'on a plus le droit à l'erreur.139» Elle précise : « à mon premier soin j'étais très stressée et le fait que justement ce soit un P3 à côté de moi m'a peut-être plus détendue, je pense, que si ça avait été un professeur, j'aurais plus eu peur de mal faire140.» Etre accompagné par un autre étudiant dans l'exécution de l'acte de soin auprès d'un patient rassure. « Moi je préférais être à deux que tout seul, même en fin d'année, j'étais plus rassurée » rapporte Amel. Les étudiants P3 se souviennent très clairement et rapportent avec beaucoup d'émotion leurs expériences passées, comme Charlène, P3, lorsqu'elle évoque son expérience de tutorée : « c'est un soutien d'être

138 Propos de Solveig Fernagu-Oudet, socio-pédagogue, recueillis en mars 2014 lors d'une Conférence-débat dans le cadre des formations SIFA de Rennes 2.

139 Cf. annexes entretiens Am.2.

140 Cf. annexes entretiens Am.4.

72

avec l'autre. Ici, à l'institut, on est dans notre petit cocon, et pour un P1, c'est ça qui est bien ,
· on se sent en sécurité. Au moins au début, c'est bien de sentir qu'on n'est pas tout seul, qu'on peut nous aider [...] ; on est content de travailler à deux.
» Clara, P3, retrace également son passé d'accompagnée : « même si on n'a pas vraiment peur de demander aux profs, c'est moins stressant de demander à un autre étudiant [...] pour des petits trucs, car on sait que l'autre est capable de nous montrer. C'est plus facile de demander et en plus, il est juste à coté ! » La proximité physique et la posture de même statut, celui d'étudiant, facilite les rapports et la possibilité de demander de l'aide. Ce qu'explique clairement François, P1 : « Je ne vais pas trop aller demander à un professeur parce que des fois que ça passe mal, mais à un P3, je n'ai pas de problème141.» La notion de confiance dans les apprentissages est prégnante dans le discours des étudiants, comme dans celui de François : « ça permet au début d'année de mettre en confiance parce qu'on n'est pas à l'aise face au patient, et puis de faire des soins ; on ne sait pas bien utiliser les instruments, on ne sait pas comment se comporter, on ne sait pas trop comment faire, on a juste les bases et le fait qu'il y ait quelqu'un à côté de nous, ça rassure, on peut se dire qu'il pourrait éventuellement rattraper les gaffes parce que lui sait le faire et il a le niveau pour au pire rattraper les bêtises que l'on fait142Le regard posé par le tuteur étudiant sur le travail effectué par le novice est perçu comme bienveillant, ce qui influe sur la prise de confiance des P1. Amel, P1, précise à ce sujet : « Ça joue beaucoup, pour moi, oui. Ça m'est déjà arrivé que le P3 regarde ce que j'avais fait et me dise `'c'est bon» et ça fait du bien. C'est très appréciable. Je pense même que c'est super important qu'on nous dise que c'est bien143.» Cette confiance se retrouve chez les P3 pour qui le rôle de tuteur « c'est avoir de la rigueur dans les connaissances, dans l'approche avec le patient mais aussi de la confiance parce que quelqu'un qui nous regarde avec des yeux plus novices, ceux qui sont en demande de connaissances, qui nous regardent en se disant `'toi, tu connais plus». Donc, forcément, ça donne de la confiance.144» Baptiste, P3, explique que devenir tuteur l'a « aidé à grandir dans les apprentissages [...], qu'en P3, on se sent plus fort. Que s'il n'y avait pas ça (les binômes), si on était tout seul, ce serait différent. Tout seul, il faut que tu montres que tu es crédible ,
· là, d'emblée, sans que tu fasses rien, on te montre que, oui, tu es plus crédible, donc c'est dans ce sens là, la

141 cf. annexes entretiens F. 21.

142 cf. annexes entretiens F. 1.

143 cf. annexes entretiens Amel 54.

144 cf. annexes entretiens B. 2 et 10.

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confiance. Ça, c'est confortable. » Passer à un statut de tuteur est d'emblée une posture de sachant pour l'étudiant, posture qui se vérifie par la pratique puisque « quand on commence la deuxième année et que les P1 arrivent et qu'ils savent rien, c'est vachement bien parce qu'on se rend compte qu'on sait plein de choses! C'est aussi valorisant145Si la grande majorité des étudiants interrogés évoque un sentiment d'altruisme, « c'est agréable de pouvoir aider », « on aime bien aider », « moi, j'aime donner des conseils, des petites astuces », « c'est bien de partager », certains stagiaires comme Charlène, P3, analyse les situations de façon plus distanciée : « bah, c'est peut-être avoir une reconnaissance, en fait. Se prouver quelque chose à soi-même, montrer qu'on est compétent ; c'est aussi se valoriser soi ; y'a une part de partage mais aussi une part d'égoïsme, je pense. Oui, c'est agréable de sentir qu'on a des compétences, qu'on peut expliquer ça à d'autres. En les aidants, on se fait du bien146! »

L'ensemble de ces propos expriment un lien social très prégnant, où l'altruisme, au sens de prendre soin de l'autre, coexiste avec un individualisme, un « prendre soin de soi », qui rassure l'étudiant sur sa propre évolution au cours de la formation. Si cette cohabitation de sentiments, somme toute antinomiques, peut exister, c'est que certainement individualisme dans les situations étudiées ne signifie pas narcissisme ou défaut d'empathie. Cet équilibre entre les différents sentiments est certainement une des raisons qui expliquent la réussite de la formation entre pairs, l'acceptation, par les étudiants, des règles de fonctionnement dictées par l'institution. Chacun y trouve son compte. Car il ne suffit pas de regrouper des élèves et de leur confier une tâche commune pour que se produisent des interactions et que celles-ci débouchent sur un résultat probant. Une des problématiques majeures de l'apprentissage coopératif tient donc au moyen d'induire des interactions fructueuses entre pairs.

4.1.3.3 Conditions des apprentissages coopératifs

De nombreux chercheurs, essentiellement américains, se sont intéressés aux facteurs, à savoir les processus et les ressources, qui régissent l'efficacité de l'apprentissage coopératif. Pour Philip C. Abrami, l'une des principales raisons du succès de ce type d'approche provient de la volonté et du besoin d'entraide mutuelle entre pairs dans

145 Cf. annexes entretiens Cl.14.

146 Cf. annexes entretiens Ch. 70.

74

l'optique de la réussite collective et des apprentissages individuels. Cette forme d'interaction entre les élèves, qui fait que le succès de l'un contribue à celui de l'autre et réciproquement, et qui pousse à la responsabilisation de chacun à l'égard du groupe est appelée « interdépendance positive ». Elle se distingue de « l'interdépendance négative » laquelle engage les élèves à travailler les uns contre les autres ou de « l'indépendance » qui caractérise des situations d'apprentissage au cours desquelles les élèves travaillent individuellement sans qu'il y ait coopération ou compétition147. Chris s'exprime à ce sujet : « Certains peuvent ne pas avoir envie de donner parce que c'est un concurrent. Mais ici, ce n'est pas comme ça148.» L'institution, en confiant des rôles de tutoré et de tuteur à chacun, inscrit les étudiants dans une démarche d'entraide, de coopération. Pour que les stagiaires aient envie de coopérer avec les autres, Philip C. Abrami évoque l'influence de motivations dont il distingue trois grandes catégories : celles liées aux résultats (les étudiants pédicures-podologues doivent avoir réussi à soigner un patient), les motivations liées aux moyens (ils ont su employer les bons outils et s'en servir) et les motivations liées aux relations interpersonnelles (leur coopération à créé un climat bienveillant, agréable, convivial pendant l'acte de soin). Les premières se rapportent aux récompenses, à la reconnaissance et à l'atteinte de l'objectif. Les deuxièmes sont en relation avec la tâche : son attrait, sa nouveauté et sa structure (ampleur, complexité, divisibilité). Les dernières sont activées par l'aide fournie et reçue des pairs.

4.2 Une construction identitaire professionnelle particulière

L'institution observée est un lieu d'acquisition de connaissances, mais en plaçant les étudiants dans des situations d'apprentissages entre pairs, elle a confié à chacun des stagiaires, des rôles spécifiques : certains sont tutorés, d'autres tuteurs. Les tutorés deviennent un jour tuteurs, les tuteurs deviennent des professionnels. Ce processus de construction identitaire est lié à une forme de socialisation, sorte de « culture professionnelle » inscrite dans le temps.

147 P.C. Abrami. L'apprentissage coopératif: théories, méthodes, activités. Paris. Éditions de la Chenelière. 1996. 233 p.

148 Cf. annexes entretiens Ch. 38.

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4.2.1 Etre accompagnateur

Dans les situations entre pairs autour du soin, les premières minutes passées avec le patient ont donc permis de prendre contact avec la personne. L'étudiant P3 évalue ensuite le travail technique à effectuer sur les pieds : y-a-t-il des ongles à couper, des durillons, des cors à exérer... C'est lui qui guide les actions à effectuer, en précisant à son binôme ce qu'il pourra faire et ce que le P3 terminera, si le P1 n'est pas en capacité d'effectuer les interventions. Fanette, P3, explique : « Moi je lui montre comment j'ai fait sur un pied, par exemple, et je lui dis `'voilà, tu peux faire comme ça, et quand tu auras fini, je regarderais ton travail''149». Amel, P1, raconte : « au tout début j'étais avec une P3 qui m'avait vraiment accompagnée, elle m'avait dit comment elle faisait, comment il fallait faire, elle m'avait vraiment accompagné et montré les gestes. Maintenant c'est un peu différent, des fois, on fait un briefing au départ, on regarde ce qu'il y a à faire. Le P3 dit `'je pense qu'il y a telle chose'' et il me laisse faire et si j'ai une question par contre je n'hésite pas à demander et généralement ils disent `'n'hésite pas à demander'' [...J quand je demande, ils m'expliquent; par moment ils me montrent sur le pied sur lequel je travaille. Sinon, ça m'est arrivé deux ou trois fois qu'ils me donnent des conseils, juste comme ça, pendant que je suis en train de faire et souvent ils demandent si ça va; ils sont très à l'écoute [...] comme s'ils me prenaient sous leurs ailes, en fait150.» Le P3 est donc dans un rôle d'accompagnateur, de guide, de conseiller. Thom, P1, explique que « même s'il y a des critiques [de P3], elles sont toujours là dans un but constructif. Je n'ai jamais eu à faire à un deuxième ou un troisième année qui me critiquait sans rien de constructif derrière, sans vouloir ne m'apporter aucune aide. C'était toujours `'tu as fait ça, c'est bien mais là, tu l'as fait comme ça, ce n'est pas bien, là il aurait plutôt fallu que tu le fasses comme çà'' ou alors il vient, il prend les instruments et il nous montre: `'voilà comme ça c'est mieux, c'est mieux fini, c'est plus pratique, on soulage mieux le patient''151».

Les situations d'apprentissages entre pairs étudiants pédicures-podologues mettent en évidence des rôles distincts : certains étudiants sont « aidants », tuteurs,

149 Cf. annexes entretiens F.28.

150 Cf. annexes entretiens Amel 8, 26 et 28.

151 Cf. annexes entretiens T. 20.

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accompagnateurs : ce sont les étudiants les plus « âgés » dans l'institution de formation, les P3. Les autres sont « aidés », tutorés, accompagnés : ils sont les plus jeunes, les premières années, les P1, les « petits » ou bien les « moyens », les deuxièmes années, les P2, les futurs « grands ».152

Les rôles sont distribués au début de l'année par les formateurs, lorsque les P1 arrivent dans la salle de soin. « On nous avait bien sûr indiqué que l'on allait travailler en binôme avec un deuxième ou un troisième année, enfin du moins quelqu'un qui a beaucoup plus d'expérience que nous. Si on avait des soucis, on pouvait demander soit à l'intervenant, donc au professeur qui était dans la salle de soin, soit justement à notre binôme qui était là pour ça153» explique Thom, P1. C'est le seul moment dans la formation où les rôles sont définis, succinctement. Amel explique : « Les professeurs nous ont dit qu'on était en binôme, ensuite c'est le P3 qui a pris le relais et qui nous a expliqué ce qu'il fallait prendre et qui nous a guidés ensuite. Je me rappelle avoir suivi la P3 et j'ai fait pareil en fait [...] Les professeurs passaient de temps en temps pour voir si ça allait, et si ça n'allait pas ils nous aidaient mais s'ils voyaient que ça se passait bien et que le P3 faisait son job, ils laissaient faire, mais ils surveillaient toujours154». C'est donc bien un nouveau travail qui est demandé aux P3, celui d'accompagner celui ou celle qui entre en formation. Les étudiants changent de statut lorsqu'ils passent en troisième année de formation : ils deviennent des personnes-ressources155, des accompagnateurs.

Depuis les années 1990, cette notion d'accompagnement s'est progressivement introduite dans une multitude de champs disciplinaires, de secteurs professionnels et de situations sociales. Dans chaque situation d'accompagnement identifiée, les rôles sont définis : une personne accompagne et une autre personne est accompagnée. La présence d'une finalité d'accompagnement, pouvant être explicitée, voire partagée,

152 Les termes «petit, moyen, grand» sont couramment utilisés par les étudiants en formation et par certains formateurs pour définir l'appartenance à une promotion.

153 Cf. annexes entretiens T.68.

154 Cf. annexes entretiens Amel 14 et 16.

155 Claudine Cornu, dans son mémoire de fin d'étude en juin 2004, définit le terme de personne-ressource: «la notion de personne-ressource vient de la gestion des ressources humaines. Le plus souvent, elle désigne une personne à laquelle on fait appel en raison de sa formation, de son expérience et de sa pondération. Soit parce qu'on pense que son avis peut aider à la consistance de solutions dans certaines situations difficiles. Soit parce qu'elle est en mesure de donner son avis sur une question purement technique relevant d'un domaine bien particulier. Dans les deux cas, une personne devient personne-ressource dans des occasions précises où ses connaissances et compétences spéciales peuvent être utiles».

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existe dans toutes les situations et les contextes, finalité qui s'inscrit dans des temporalités vécues par les personnes impliquées dans la situation d'accompagnement. A condition ici d'appréhender le verbe accompagner dans le sens de personnes humaines qui accompagnent des personnes humaines. En effet, d'autres occurrences du verbe accompagner existent dans des contextes différents, en musique156 et en cuisine157 par exemple.

Le recours à l'histoire permet de faire exister les mots tels qu'ils ont vu le jour et de mieux comprendre aujourd'hui toute la profondeur de leur sens. Guy Le Bouëdec nous éclaire sur l'étymologie et les usages anciens du mot accompagnateur. « Étymologiquement, le mot semble venir de `'cum» qui signifie `'avec» et de `'panis», pain. Le compagnon serait celui qui mange son pain en même temps qu'un autre. Et plus généralement, accompagner, c'est aller avec quelqu'un ou quelque chose. Dans les cours royales ou princières, accompagner c'était aller de compagnie ; les courtisans accompagnaient le prince dans ses voyages et dans ses représentations. Accompagner quelqu'un à son carrosse, c'était exprimer la considération et l'honneur qu'on lui portait. À partir du XVe siècle, le mot a commencé à être employé dans le domaine musical. Accompagner à l'orgue ou de la voix un thème principal, c'est soutenir la musique ou le chant, faire harmonie avec une mélodie, la mettre en valeur, en ayant soin de ne pas l'étouffer ni de la dominer. Plus récemment, le mot a été employé en aéronautique militaire : une mission d'accompagnement consiste, pour l'aviation de chasse, à escorter, pour les protéger, les appareils de reconnaissance, de bombardement ou de transport. Enfin, dans les chemins de fer, le personnel d'accompagnement des trains a pour mission de vérifier le bon fonctionnement du matériel roulant, éventuellement d'assurer les petites réparations ; mais ce n'est ni le personnel de conduite, ni celui du contrôle158. »

Ce qui ressort de ces usages, c'est l'idée que l'accompagnement concerne les situations où il y a un acteur principal. D'une manière ou d'une autre, il s'agit de marcher à côté de, de soutenir, de protéger, d'honorer, de servir, d'aider à atteindre son but, de guider.

156 En musique, le dictionnaire Larousse définit l'accompagnement comme l'ensemble des éléments vocaux et instrumentaux qui, subordonnés à la partie principale, lui donnent son relief, sa puissance expressive, sa vitalité rythmique, la signification de son déroulement, son contenu harmonique.

157 En parlant d'une sauce, d'une boisson, d'un légume, accompagner signifie être servi avec un mets. Larousse 2013.

158 Le Bouëdec G., Du Crest A., Pasquier L., Stahl R. L'accompagnement en éducation et formation. Un projet impossible? Paris. L'Harmattan. 2001. p.23.

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Mais en aucun cas il ne peut être question de supplanter l'accompagné en prenant sa place ou la direction des événements, de faire à la place de.

C'est nul doute une posture modeste ... à côté de... Posture de mise en valeur d'un autre ou d'autre chose, de service, de retrait, d'ombre, de second plan. Et pourtant, comme dans l'accompagnement spirituel ou l'accompagnement dans l'éducation, c'est certainement une posture essentielle159.

Certains auteurs ont fait de l'accompagnement leur observatoire de recherche, désirant comprendre le sens à donner à ce nouveau dispositif dans le champ de la formation, pratique qui s'est essentiellement développée chez l'adulte. La multiplicité des usages et des définitions a développé une « nébuleuse » de pratiques, de postures et de fonctions différentes qui ont fortement bousculé voire métamorphosé le champ de la formation160.

Pourquoi revendique-t-on de plus en plus souvent cette démarche d'accompagnement dans les pratiques de la formation161? Qu'est-ce que l'accompagnement ? Qu'est-ce qu'accompagner veut dire ? Pour Maela Paul, la notion d'accompagnement n'a pas encore été fondée conceptuellement et s'étend au-delà des champs disciplinaires et des secteurs professionnels. Dans son ouvrage L'accompagnement : une posture professionnelle spécifique, l'auteur pose l'hypothèse selon laquelle cette notion met en tension deux pôles : « d'un côté, la dimension anthropologique de l'accompagnement, fondée sur une disposition humaine à être en relation avec autrui, et les figures qui interrogent le sens et l'éthique de ce rapport ; de l'autre, la dimension conceptuelle de l'accompagnement, ses problématique actuelles et les logiques qu'elle combine, comme autant de critères d'adéquation à une situation sociale spécifique.»162 L'objectif de l'auteur est à la fois une classification conceptuelle et un étayage du sens. Maela Paul a choisi de délimiter son observation autour de quatre grands champs: celui du secteur social, qui fut sans doute le premier historiquement à utiliser les pratiques d'accompagnement, le champ de la formation compris comme secteur professionnel, le secteur de la santé impliquant aussi bien

159 J.P. Boutinet, Penser l'accompagnement adulte. Paris. Puf 2007.376 p.

160 M. Paul, L'accompagnement : une posture professionnelle spécifique. Paris. L'Harmattan. 351 p.

161 Ce questionnement existe dans la formation au métier d'infirmiers ; il est fréquemment évoqué dans des revues professionnelles, comme par exemple, Recherche en soins infirmiers, n° 110 de septembre 2012.

162 M. Paul, op. cit., p.8.

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l'accompagnement des personnes de leur naissance à leur mort que celui des personnes travaillant auprès d'elles et enfin le champ du travail, incluant toute la diversité des pratiques, du bilan de compétences au coaching. Au-delà de l'inventaire, l'auteur explore les différentes formes de l'accompagnement, propose des liens qui contribueraient à la composition d'un champ commun. Il ressort de ces travaux que l'accompagnement interroge, dans ses fondements, chacun des quatre champs : Celui du travail social, invité à aider à faire face pour s'adapter ; celui de la formation, invité à s'éloigner de la transmission unilatérale au profit de l'échange mutuel et à la réflexivité ; celui de la santé, invité à cesser son activisme prescripteur au profit d'un accord thérapeutique avec le patient ; celui du travail, investi du régime d'apprentissages tout au long de la vie par actualisation des compétences et l'opportunité des mobilités. Les travaux de Maela Paul participent également à la construction du champ sémantique de l'accompagnement, tout en prenant soin de replacer les termes et les formes qui le désignent dans le contexte où ils prennent sens. L'analyse d'articles décrivant les divers usages sociaux de cette notion permet à l'auteure de déchiffrer une ligne directrice au sein de la complexité du terme : « l'accompagnement est une relation par des personnes, pour des personnes, avec des personnes163». Elle considère que quatre éléments sont toujours inter-reliés : la fonction, la posture, la démarche et la relation. La fonction est attribuée et entraine une modification de la posture164 au sens d'une action d'échange et donc un changement d'attitude dans la relation à l'autre.

Ces éléments apparaissent dans les propos des étudiants pédicures-podologues : Baptiste, P3, explique que « tuteur, c'est un rôle qu'on nous donne165» et que dans cette nouvelle posture, « on prend la responsabilité du soin166». Clara, P3, dit que « en tant que P3, on a plus de responsabilités, on a la responsabilité d'expliquer, de mettre à l'aise, de rassurer parfois l'autre étudiant, par exemple, s'il fait saigner167». La fonction d'accompagnateur donnée au P3 par l'institution provoque donc une

163 Propos recueillis lors d'une conférence de Maela Paul, dans le cadre des conférences SIFA, Rennes 2, novembre 2013.

164 J'emploie le terme de posture, au sens où la définit Geneviève Lameul, à savoir « la manifestation d'un état mental, façonné par nos croyances et orienté par nos intentions, qui exerce une influence directrice et dynamique sur nos actions, leur donnant sens et justification». Geneviève Lameul est enseignante chercheure en sciences de l'éducation, responsable du master 1 SIFA (Stratégies et Ingénierie de formation) en coordination avec Jérôme Eneau, responsable du master ITEF, Rennes.

165 Cf. annexes entretiens B. 34.

166 Cf. annexes entretiens A.70 et B.30.

167 Cf. annexes entretiens Cl.30.

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modification du rôle de l'étudiant : Franz, P3, précise que « maintenant, c'est lui qui dit comment on va fonctionner ensemble168», que l'étudiant P3 doit par exemple « vérifier que le travail est bien fini, rattraper quelque chose avant que le formateur arrive169». La démarche est dans l'échange bienveillant : « il [le P3] me donne des conseils pendant que je suis en train de faire et souvent il demande si ça va170», mais aussi une démarche de responsabilité : le P3 devient plus autonome, en tout cas vis-à-vis des formateurs, puisque lui-même devient « transmetteur » de savoirs et organisateur d'un projet (celui de travailler ensemble sur un même patient). L'attitude des étudiants dans la relation à l'autre (le pair) est modifiée puisque le P3 devient celui qui aide, après avoir été P1, puis P2, c'est-à-dire celui qui a été aidé. L'accompagné est donc devenu accompagnateur au cours du processus de formation.

'',

ça

Selon Maela Paul, accompagner signifie créer des conditions de prise en charge de l'autre par lui-même, donc impliquer la personne et le projet est l'instrument de la prise en charge de chacun. Alicia, P3, explique sa manière de procéder avec un P1: « je lui demande de temps en temps s'il s'en sort [le P1] mais après, c'est à lui de poser des questions171». Helena, P3, pense qu'il « faut le laisser tout seul [le P1] par moment, le pousser à nous demander parce qu'ils n'arrivent pas tout seuls par moment, ils peinent un peu. Donc, on les laisse aller jusqu'au bout, se débrouiller et après on intervient et on leur dit ce qui ne va pas et ce qui est bien.» Clara, P3 pense comme Helena, qu'il « faut expliquer sans être trop intrusif dans ce que l'autre fait, il faut attendre que l'autre demande, qu'il se sente en difficulté. Pour qu'il prenne confiance, il ne faut pas être toujours derrière lui en lui disant `'fais comme si, comme il faut qu'il fasse tout seul. Il faut trouver la mesure, savoir être souple, ne pas

être braque, ne pas laisser penser qu'on donne un ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider. Il faut y mettre du coeur, avoir envie d'aider172.» Ce sont des situations que j'ai observées chez certains binômes : le P3 s'occupe du pied dont il a la charge, discute avec le patient, et quand le P3 a terminé ses actions techniques, il regarde terminer le P1 et lui explique ce que lui aurait fait. Tous ne fonctionnent pas ainsi ; certains regardent régulièrement ce que fait le P1, s'arrêtent de travailler et lui

168 Cf. annexes entretiens F.28.

169 Cf. annexes entretiens A.70 et H.44.

170 Cf. annexes entretiens Am. 26.

171 Cf. annexes entretiens A.6.

172 Cf. annexes entretiens Cl.36.

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expliquent ou lui montrent comment faire. Puis le P3 continue son travail. Chaque étudiant P3 a donc une manière particulière d'agir avec le P1. Il n'y a pas de règle.

Les étudiants P3 sont des accompagnateurs : ils ne font pas à la place de, ils sont bien à côté de et incitent leurs jeunes confrères P1 à s'impliquer dans le projet de prise en charge d'une personne.

D'une manière générale, la conception de la notion accompagner peut se penser en termes de liens interpersonnels à une relation visant la coopération, allant d'une posture d'empathie à une posture réflexive. Car, pour que les P1 s'impliquent dans l'action d'apprendre, il est essentiel d'être dans une situation de confiance : « il ne faut pas qu'il [le P1] ait peur de poser des questions173», « il faut lui transmettre notre confiance174» rapportent les P3. Les étudiants P1 précisent qu'un bon accompagnateur, « c'est quelqu'un d'ouvert, qui accepte de donner des critiques et qui a envie de nous apprendre aussi ce qu'il sait faire175.» Les conditions d'un accompagnement en apprentissage efficace résident dans une relation bienveillante, constructive car discutée et réfléchie.

Si le travail de Maela Paul permet d'y voir plus clair quant à ce que recouvre le terme d'accompagnement, il n'en est pas moins que cet état des lieux interroge sur la nature transdisciplinaire et pluri-professionnelle de cette notion. Christian Heslon176 examine la dimension culturelle qui entoure le terme d'accompagnement. Les pratiques qui répondent aux lignes principales de cette notion se déploient au dehors des quatre champs déjà exposés : dans l'éducation, on parle de soutien scolaire et d'accompagnement parental, autour des activités de loisirs. Le terme est utilisé dans l'apprentissage musical et l'entraînement sportif. Des séminaires de développement personnel, associant thérapeutique et créativité emploient ce vocable. Aussi, la conduite accompagnée, les guidances spirituelles et religieuses, les conseillers politiques, le coaching professionnel... forment un ensemble recouvrant des réalités plurivoques. Christian Heslon s'interroge sur le sens à donner à une telle diffusion des pratiques qui sont associées à l'accompagnement. Pour lui, le phénomène observé est davantage le produit d'une indiscipline qui laisse la place à l'improvisation et à l'intuition qu'une constitution de champs homogènes différents ou d'une méthode. Cette indiscipline serait le signe d'une « mutation anthropologique d'une société basée

173 Cf. annexes entretiens Fr. 47.

174 Cf. annexes entretiens A.28.

175 Cf. annexes entretiens Fr. 27.

176 C. Heslon, L'accompagnement, art de l'ajustement. Paris. L'Harmattan. 2009. 210 p.

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sur la transmission des pères vers les fils à une société mixte de pairs dans laquelle frères et soeurs ainés entretiennent de fraternelles relations de réciprocité avec leurs cadets et cadettes177?» Certains étudiants pédicures-podologues pensent d'ailleurs qu'être accompagnateur, ça ne s'apprend pas : « Y'a pas de recette miracle puisque chacun est différent. On ne peut pas formater quelqu'un, on réagit tous différemment178», dit Clara, P3. Il semble, à l'instar de ce qu'évoque Christian Heslon, que le rôle d'accompagnateur se construise à partir des expériences vécues par l'étudiant qui endosse cette nouvelle fonction : « les années précédentes m'ont servi à cela, dire dès fois ce qui m'avait manqué, ou d'une autre façon. Après, c'est ma façon de voir les choses, peut être que ça ne convient pas à tout le monde, mais c'est comme ça que j'ai fait, comment j'aurais moi aimé qu'on fasse avec moi179Fanette explique comment elle est devenue accompagnatrice et de quelle façon elle fonctionne : « Ce qu'on nous fait ou nous a dit en P1, qu'on trouve bien ou pas bien d'ailleurs, ça nous aide à devenir P3 ensuite. Par exemple, j'ai eu des expériences en soin que je n'ai pas aimées, des choses qu'on a faites à ma place, et je me suis dit `'quand moi je serai en P3, je ne ferai pas comme ça, je laisserais faire le plus jeune expérimenté, pas faire à sa place»[...] Moi, j'observe le plus jeune, beaucoup, pour voir quand est-ce qu'il a besoin de moi parce que, moi, quand j'étais en P1, je n'aimais pas trop qu'on fasse pour moi quand je ne savais pas trop encore comment m'y prendre, je voulais apprendre. Donc moi, je regarde, et je dis `'si tu as besoin de quelque chose, tu me demandes»180.» Il n'y aurait donc pas de méthode pour apprendre à devenir accompagnateur, hormis la nécessité d'avoir été soi-même un jour accompagné : « C'est parce qu'on a été tutoré qu'on sait comment devenir un tuteur181» explique Franz, P3. Ceci signifie-t-il que chacun sait ce qu'il doit faire ? A priori, la situation ne pose pas de problème aux étudiants. Pour Charlène, P3, la situation n'est pas ambiguë : « moi il [le P1] me demande de l'aide s'il a envie, et autrement, je le laisse, même si moi, j'aurais envie de lui donner un conseil ; je fonctionne comme cela182». Franz, P3, précise : « chacun se fait sa propre méthodologie de ce que je vais apprendre, comment je vais faire un soin. Et donc quand on devient tuteur, on dit au

177 C. Heslon, op.cit., p.76.

178 Cf. annexes entretiens Cl.26.

179 Cf. annexes entretiens Cl. 22.

180 Cf. annexes entretiens Fan. 26 et 34.

181 Cf. annexes entretiens F. 32.

182 Cf. annexes entretiens CH 12.

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P1 comment on a construit sa façon de faire183.» Ce mode de fonctionnement implique que les formes d'accompagnement sont différentes puisque propres aux individus, à leur caractère, à leur vécu, leurs représentations de ce que doit être cette fonction. Chacun se croit singulier et apte à inventer des manières de faire. Alors qu'en réalité, il a intégré des éléments d'apprentissage et de formation ; il les a faits siens et a oublié qu'il les a lui aussi appris. Pour autant, des similitudes apparaissent dans l'attitude des tuteurs : l'ensemble des étudiants enquêtés expriment qu'il faut être « patient, confiant, social, généreux », « qu'il faut expliquer sans être trop intrusif [...] ne pas laisser penser qu'on donne un ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider, qu'il faut y mettre du coeur184.» Tels des frères et soeurs aînés qui vivent en bonne entente avec leurs cadets et cadettes. Cette relation interpersonnelle pourra être dite « coopérative » puisqu'elle résulte en effet d'une manière de faire qui procède du partage185: la parole est partagée, les objectifs sont partagés, les actions de soin également. Mais pour qu'une relation interpersonnelle se fasse sous le signe de la coopération186, les deux personnes, ici le P3 et le P1, doivent se percevoir comme compétentes et percevoir l'autre comme compétent. De même, la priorité de la tâche à conduire ensemble, soigner un patient, se traduit par une définition des rôles. La clarification des rôles et la détermination d'une tâche commune contribuent à assainir la relation. Chacun est légitime dans son rôle, le P1 comme le P3. C'est certainement la raison pour laquelle ces situations entre pairs fonctionnent dans une ambiance bienveillante.

Le concept de l'accompagnement est donc une notion qui résulte d'un mélange de logiques imbriquées, liées aux contextes et aux individus. Les travaux de Maela Paul ont mis en évidence que l'accompagnement fédère un ensemble de pratiques qui lui sont co-existantes et qui entretiennent un certain flou : counseling, coaching, sponsoring, mentoring côtoient tutorat, conseil, parrainage ou compagnonnage. Chaque terme en usage trouve aujourd'hui place au sein d'une région spécifique du champ sémantique d'accompagner187. Au regard des différents travaux menés, il semble difficile de donner une description qui fasse unanimité en toute situation. Il y a

183 Cf. annexes entretiens F. 32.

184 Cf. annexes entretiens Cl.36.

185 M. Paul, « L'accompagnement comme posture professionnelle spécifique : L'exemple de l'éducation thérapeutique du patient ». Recherche en soins infirmiers, septembre 2012 ; 110 : 13-20.

186 Le concept de coopération est explicité page 68.

187 M. Paul, op. cit,. 76.

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pourtant une structure commune dans la diversité des représentations que suscite la notion d'accompagnement : être avec et aller vers. Dans nos sociétés fortement influencées par toutes formes de technologies, l'accompagnement peut appartenir à une nouvelle forme de contrôle des subjectivités pour répondre à l'injonction contemporaine qui est faite à chacun d'être autonome et intégré socialement188. Mais l'accompagnement est aussi fondé sur des valeurs éthiques humanistes, dès lors qu'il obéit à un ordre extérieur à soi mais qui trouve écho en soi. Le rôle d'accompagnateur, endossé par les étudiant P3, résonne en eux, pour la majorité de ceux que j'ai enquêtés. Que se passe-t-il ? Comment les étudiants adoptent et acceptent ces nouveaux rôles qui leurs sont confiés ?

4.2.2 Comment devient-on accompagnateur ?

L'étudiant P3 a une relative liberté d'action dans ce qu'il propose à son binôme : le stagiaire plus avancé dans la formation suggère en général au P1 de faire ce qu'il peut et veut, de lui poser des questions et lui montrer sa propre pratique. Ces actions ne sont pas commandées par l'institution puisque chaque P3 fonctionne comme il le souhaite avec son binôme : les formateurs ont simplement précisé au début de l'année que le P3 est présent pour aider son collègue P1. Fanette, P3, décrit la situation : « en soins, comme tout le monde doit faire son pied, en début d'année, on nous dit qu'il y a les premières année qui arrivent, qui n'ont pas d'expérience, et que petit à petit, il va falloir qu'il fassent seuls mais que le prof ne va pas être derrière chaque P1 donc que c'est à nous de faire attention à ce qu'ils font et de les aider si y'a besoin... s'ils le demandent189.» De la même façon pour les travaux de groupe en examen clinique, les P3 ont liberté de fonctionnement avec les P2. Ce sont donc les étudiants qui gèrent ces situations collectives et les interrelations. Plusieurs étudiants P3 rapportent que « personne, ni les formateurs, ni le directeur, nous a dit `'faites comme ça.''190» Chris, étudiant P3, explique que « personne ne m'a vraiment expliqué comment faire avec le P1 ou le P2 qui se trouve à coté de moi. Mais bon, c'est sympa, c'est moins académique. On fait des choses un peu comme on a envie191.» Le libre choix dans ces situations est-il illusoire ? Le P3 peut-il par exemple ne rien montrer, ne rien dire au

188 J.-P. Boutinet, Anthropologie du projet. Paris. Puf. 1990.397 p.

189 Cf. annexes entretiens, F.4.

190 Cf. annexes entretiens, B.10, Cl. 2.

191 Cf. annexes entretiens CT 6.

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P1 qui est installé à côté de lui ? Fanette, P3, explique : « c'est toujours le P3 qui est sollicité, celui à qui on demande et qui ne dit jamais non.192» Thom, P1, ajoute : « quels que soient les individus, même ceux qui parlent peu, dès qu'on leur demande de l'aide, ils ne vont jamais nous envoyer `'bouler'', ils sont toujours d'accord pour nous apporter leur savoir. Il y en a qui sont plus loquaces que d'autres. Mais même ceux qui ne parlent pas beaucoup, dès qu'on leur demande de l'aide, ils nous l'apportent.193» Les situations de binômes créent de fait une relation entre les étudiants et ceux-ci se trouvent dans une sorte d'obligation implicite de communiquer. Concernant le choix des binômes, les P3 ne s'autorisent pas à désigner leur P1 : « c'est tout le temps, les P3 s'installent, et les P1 disent `'est-ce que je peux me mettre avec toi'' et `'oui'Ç évidemment dit le P3...et justement, c'est tout le temps `'oui''...moi, j'oserais jamais dire à un P1 `' non, pas toi'Ç parce que ce ne sont pas des choses qui se font. Mais ça ne me choquerait pas non plus sur le fond parce que y'a des gens qui ne sont pas faits forcément pour bosser ensemble. Mais pour le coup, ici, ça ne se fait pas194.» C'est donc le P1 qui choisit avec quel P3 il va travailler. Les étudiants ont bien intégré un ensemble de règles, de normes et de valeurs propres à l'institution qui les forme.

D'ailleurs, le formateur présent dans la salle conforte généralement ce que l'étudiant P3 explique au P1, par exemple, au niveau de la répartition des opérations à mener (l'enseignant passe voir chaque binôme au début et au cours des soins). Ce qui signifie que le P3 connaît le fonctionnement de la formation, la reconnaît et applique les règles instituées. Le P3 est également celui qui apprend au P1 comment se comporter avec les enseignants. Baptiste, étudiant P3, illustre ce phénomène par ses propos : « quand tu vas être examiné par tel formateur, faut pas dire ça ; ça l'énerve.» Ou encore « là, faut le faire parce que... c'est comme ça, ici195.»

Les activités de groupe entre pairs constituent un ensemble de rapports sociaux entre des individus. Chacun adopte des comportements, forme des souhaits et conçoit des projets conformes à ses normes. Tout cela témoigne d'un rapport au monde, à l'espace et au temps qui a été précédemment inculqué. Chaque étudiant intègre un nouveau « monde », ici, un institut de formation en pédicurie-podologie, avec sa propre

192 Cf. annexes entretiens F. 21.

193 Cf. annexes entretiens T. 22.

194 Cf. annexes entretiens, F.14.

195 Cf. annexes entretiens, B.14.

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histoire, son vécu, ses habitudes, ses valeurs. Les stagiaires créent-ils leur propre chemin ? Ou est-ce le milieu (l'institution) qui s'en charge pour eux ? Les règles de fonctionnement sont acceptées et respectées par l'ensemble des étudiants. François, P1, décrit la situation : « quand on est avec le P3, on est le P1 qui apprend, on est toujours le `'petit» qui apprend. On a un statut de `'jeune» qui est là en apprentissage. C'est logique. 196» Les rôles attribués paraissent légitimes et ne sont pas discutés. Les P3 précisent : « je me souviens, quand j'étais en P1 et qu'il y avait les P3, je ne sais pas, y'a une notion de respect du fait que le P3 a des connaissances, ce sont nos ainés, quoi ! (rire)197». Baptiste, P3, se souvient : « moi quand j'étais en P1, je ne faisais même pas la différence si c'était un P2 ou un P3 à côté de moi ; pour moi, c'était quelqu'un qui savait plus que moi, donc j'écoutais ce qu'il me disait et voilà198

Les étudiants emploient des termes comme « normal, logique, naturel...» lorsqu'ils décrivent ces situations. Ils ont parfois du mal à expliquer ce qui se passe. Quand je leur demande les raisons pour lesquelles ils aident leurs confrères, ils hésitent et répondent par ces mots qui reviennent fréquemment « je ne sais pas... c'est normal.» Que signifie l'acceptation de règles, de normes ?

4.2.2.1 Processus de socialisation

L'ensemble des mécanismes par lesquels les individus font l'apprentissage des rapports sociaux entre les hommes et assimilent les normes, les valeurs et les croyances d'une société est caractérisé sous le terme de socialisation.

Murielle Darmon, chercheuse au CNRS, définit la socialisation comme « l'ensemble des processus par lesquels l'individu est construit, formé, modelé, façonné, fabriqué, conditionné, par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l'individu acquiert, apprend, intériorise, incorpore, intègre, des façons de faire, de penser, et d'être qui sont situés socialement.199»

La socialisation de l'enfant nomme le processus par lequel il s'approprie les normes, les valeurs et les rôles qui gouvernent le fonctionnement de la vie en société, à travers les interactions qui s'engagent tout d'abord avec ses proches. Murielle Darmon, dans

196 Cf. annexes entretiens F. 74.

197 Cf. annexes entretiens CH. 28.

198 Cf. annexes entretiens B.42.

199 M. Darmon, La socialisation. Armand Colin. 2011. p. 6.

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son ouvrage La socialisation, explique que pour comprendre ce qui est en jeu dans la socialisation, il faut se questionner sur ce qui permet à un ensemble d'individus de constituer une société et à chaque individu de trouver sa place au sein de cet ensemble, tout en en développant une capacité d'action autonome. Dans l'interaction sociale, il faut retenir des notions essentielles que sont les rôles, envisagés comme des modalités pratiques d'exercice d'une fonction, les valeurs, servant d'étalon ou de critères permettant une justification 200, les normes envisagées comme les façons acceptées de se conduire. Ces notions donnent forme aux différents mondes sociaux. Leur acquisition permet à l'individu d'y être pleinement intégré.

La construction de l'individu en société passe par la socialisation de l'enfant au contact des autres. Selon Emile Durkheim, l'éducation des enfants participe d'un processus de socialisation méthodique, conduit par les parents tout d'abord et les enseignants par la suite. L'objectif d'apprentissages systématiques serait des manières de pensées et d'agir attendues par la société dans laquelle les individus évoluent. Chaque société, chaque milieu établissent des normes et des façons d'être et de faire qui influencent fortement les différents acteurs. Cette socialisation ne se limite pas simplement aux faits éducatifs, elle assure également une intériorisation des normes et des valeurs propres au milieu d'appartenance et prépare les individus à exercer des rôles qu'ils occuperont dans la société. L'institut de formation en pédicurie-podologie étudié est un exemple d'institution organisée : « depuis qu'on est arrivé, on nous a dit vous `'vous mettez avec un plus grand que vous'', donc, quand on est plus grand, on se met avec un plus petit (rire), et puis, voilà201» me dit Helena, P3. « C'est clair, dès le début, qu'il y a aura toujours quelqu'un avec nous pour faire les soins.202»

Plusieurs courants de pensée ont permis d'analyser la socialisation : certains sociologues, influencés par le fonctionnalisme203, ont examiné la socialisation en termes d'inculcation et de soumission des individus aux impératifs sociaux. Pierre Bourdieu, par le concept d'habitus, a insisté sur le processus d'incorporation des

125 S.H. Schwartz, « Les valeurs de base de la personne : théorie, mesures et applications ». Revue Française de Sociologie. Presses de Sciences Po., 2006.

201 Cf. annexes entretiens H 26.

202 Cf. annexes entretiens F.66.

203 Talcott Edger Parsons, 1902-1979, sociologue américain, a élaboré une théorie qu'il appelle fonctionnalisme systémique de l'action. Cette théorie emprunte des éléments à différents auteurs (Sigmund Freud, Émile Durkheim, Max Weber, Pareto, etc.).

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conditions sociales et des expériences passées par l'acquisition, souvent inconsciente, de manières de parler, manger, marcher,... propre à chaque milieu social.

Pour autant, la socialisation peut être envisagée comme un processus plus interactif, à l'instar de la pensée interactionniste développée par George Herbert Mead204. L'individu est pensé, à la fois, dans sa nature sociale et dans sa capacité à réfléchir sur ses actes et prises de position (ce que l'auteur nomme « intelligence réflexive »). Il se construit dans une interaction permanente entre sa subjectivité (« je ») et son image sociale (« moi »). Pour George Herbert Mead, c'est le contact et la référence aux autres qui permet à l'individu de se construire.

L'enfant va s'approprier peu à peu des rôles sociaux incarnés par ses proches (son père, sa mère, son frère, sa maîtresse d'école...), souvent par le jeu, et va structurer sa personnalité. L'enfant imite, reproduit ou copie les attitudes et les conduites de celui que George Herbert Mead appelle « l'autre significatif » en se mettant à sa place. L'autre significatif symbolise la mère, le père, ou toute autre personne du groupe primaire dont fait partie l'enfant. A la façon d'un acteur, l'enfant se fait père, mère ou instituteur, de sorte qu'il endosse les rôles des autres significatifs jusqu'à ce que ces rôles deviennent les siens. Dans une certaine mesure, ce jeu contrôle et oriente le développement de sa personnalité. Puis, il élargit son champ de perception et comprend que le monde est constitué de tout un ensemble de personnes, ce qui l'amène à généraliser son point de vue et à se référer à « l'autre généralisé ». Pour George Herbert Mead, l'autre généralisé incarne la communauté organisée ou le groupe social structuré dont fait partie l'individu. C'est à ce moment que le sujet est vraiment socialisé : il se perçoit lui-même comme un « autre » et peut réfléchir sur ce qu'il fait et pourquoi. En passant des « autres significatifs » aux « autres généralisés », l'enfant prend conscience que la société est régie par des règles sociales qu'il va intérioriser. Il s'identifie alors comme « moi », individu doté d'un rôle et appartenant à un groupe (moi, fille de 13 ans, au collège de mon quartier et basketteuse). L'individu socialisé est donc un être réflexif qui s'identifie à une position sociale et qui peut faire jouer sa subjectivité dans l'interaction à tout moment. L'interactionnisme symbolique205 a donc mis l'accent sur le rôle actif de l'enfant dans le processus de socialisation.

204 G.H. Mead, L'esprit, le soi et la société. Paris. PUF. 2006.

205 Citons ici, entre autres, Anselm Strauss, Herbert Blumer, Howard Becker ou Everett Hugues.

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J'ai évoqué, dans la première partie de mes analyses, la notion d'apprenant-partenaire. Au cours de mon étude, j'ai effectivement pu mettre en évidence que l'injonction à transmettre ses savoirs à l'autre permet au P3 d'être auteur/acteur de son apprentissage. Le processus d'analyses des matériaux de l'enquête m'invite à penser que cette posture active et socialement située s'effectue notamment en devenant accompagnateur.

4.2.2.2 Socialisation primaire et secondaire

Le P3 est le plus « avancé » dans la formation. Pour les étudiants interviewés, il est « normal » que ce soit lui le responsable du P1, le tuteur, l'accompagnateur206, celui qui aide. Clara, P3, me confie : « c'est naturel quand on est en P1 ou en P3 de travailler avec les autres. Y a pas de raison de se mettre qu'avec un P3 quand on est un P3... je ne sais pas pourquoi, sans doute parce que c'est une habitude, depuis longtemps207...» Charlène, P3, explique les mises en route des pratiques de soin avec patient : « en fait, ça va de soi : même quand il y a des P2 [dans la salle de soin], c'est marrant, y a des P2 qui se mettent ensemble mais, nous, on se met toujours avec un P1; on ne se met ensemble que quand il manque des patients. C'est comme ça.208 » Il est donc acquis, pour l'ensemble des étudiants, que celui qui peut le mieux aider le P1, c'est forcément le P3 et qu'« être le tuteur, c'est presqu'un devoir.209 » Charlène précise : « j'ai des connaissances, donc j'ai ce devoir là, j'ai cette chance de pouvoir transmettre, en fait, à quelqu'un qui va faire la même formation que moi.210 » Aider celui ou celle qui appartient au même groupe (étudiants pédicures-podologues) est une évidence pour les étudiants. Thom, P1, m'explique : « [...] apporter la connaissance et aider les autres, c'est quelque chose de quotidien et de naturel.211 »

Couramment, on distingue la famille, l'école, les groupes de pairs, le métier. La sociologie fait une distinction entre socialisation primaire et socialisation secondaire. Murielle Darmon explique : « on appelle socialisation primaire celle qui a lieu dans la famille, et socialisation secondaire, celle réalisée par toutes les autres instances.212 »

206 Cf. annexes entretiens, B.14, 30, 34.

207 Cf. annexes entretiens Cl. 2.

208 Cf. annexes entretiens CH 64.

209 Cf. annexes entretiens CH 66.

210 Cf. annexes entretiens CH 66.

211 Cf. annexes entretiens T. 42.

212 M. Darmon, op.cit., p. 9 et 10.

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On peut comprendre que ces distinctions sont fragiles si on considère que, pendant la socialisation primaire, d'autres instances que la famille interviennent (comme les crèches, l'école, les professeurs, les autres enfants...) au même moment qu'elle.

Une autre définition de l'opposition de ces deux socialisations consiste à qualifier la socialisation primaire comme celle qui se produit pendant l'enfance et l'adolescence, et la socialisation secondaire, celle qui a lieu à l'âge adulte. Cette dénomination semble permettre un usage plus souple des concepts, car les recherches ont permis de rendre compte de la difficulté à scinder, de façon régulière et précise, ces différents moments de la vie, et donc ces deux types de socialisation. En ce sens, l'école peut apparaître comme une organisation de la socialisation primaire, associée à la famille, ou bien comme une instance de la socialisation secondaire, en tant que formation professionnelle. Ce qui ressort des nombreuses enquêtes menées en sociologie, c'est que leurs influences ne sont pas les mêmes. Ces différentes instances évoluent historiquement (l'importance de la famille suivant les époques, les modes de scolarisation, la culture...) et peuvent plus ou moins se coordonner. Les actions de ces instances peuvent se compléter (par exemple, famille et école) ou entrer en conflit en cas de trop grande distance entre culture familiale et culture scolaire.

Cette socialisation antérieure s'accorde-t-elle avec celle que les étudiants découvrent en entrant en formation ? Sont-ils face à des socialisations de renforcement ou de transformation213?

Peter Berger et Thomas Luckmann214 décrivent la socialisation primaire comme la première que l'enfant subit dans son enfance. La socialisation secondaire « consiste en tout processus postérieur qui permet d'incorporer un individu déjà socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de sa société.215 » Selon ces auteurs, une caractéristique oppose les deux types de socialisation : l'enfant semble intérioriser le monde familial comme seul monde envisageable alors que l'adulte a la capacité d'intégrer le monde de son travail (le travail de formation compris) de manière plus large et relative. Le processus de socialisation ne provoquerait pas, a priori, les mêmes modes « d'incrustation » chez l'individu216. Pour autant, Peter Berger et Thomas

213 M. Darmon, op.cit.

214P. Berger, T. Luckmann, La construction sociale de la réalité. Paris, Méridiens Klinckieck. 1986. 288 p.

215P. Berger, T. Luckmann, op. cit., p.179.

216Pour illustrer ce propos, citons Emile Durkheim qui écrit, dans L'Evolution pédagogique en France (1938), p.18-19: « en chacun de nous, suivant des proportions variables, il y a de l'homme d'hier ; et c'est même l'homme d'hier qui, par la force des choses, est prédominant en nous, puisque le présent

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Luckmann considèrent que cette distinction a ses limites. Ils expliquent que certaines socialisations secondaires peuvent se rapprocher des socialisations primaires « tant par leur prégnance que par leur dimension affective.217 » Certaines professions, notamment les professions de service, médicales ou paramédicales, peuvent être le lieu de construction d'une socialisation secondaire particulière218.

4.2.2.3 Reproduction sociale

Les représentations que les étudiants se font de la formation au métier de soin correspondent à l'organisation qui leur est proposée, c'est-à-dire travailler entre pairs et s'entraider. Les propos de Clara, P3, illustrent un modèle de socialisation secondaire de renforcement : « moi, je suis d'une fratrie où je suis la plus jeune, mon frère et ma soeur sont plus âgés que moi. Donc, moi, je n'ai pas eu l'habitude d'aider quelqu'un, mais quand j'étais en P1, ça m'a pas gênée, j'ai toujours fonctionné comme ça, mon frère et ma soeur m'aidaient parfois. Donc, ça m'a pas paru bizarre qu'un P3 s'occupe de moi au début... Ensuite, j'ai toujours eu des facilités à l'école, depuis toujours, donc j'avais l'habitude d'être avec des gens qui comprenaient moins vite que moi. Et du coup, expliquer aux autres, moi je l'ai toujours fait, ça ne me gène pas, au contraire. Donc, quand je suis passée P3, expliquer aux autres, c'était facile...219». Fanette, P3, est très explicite : « je crois que j'ai toujours été accompagnatrice de quelqu'un, de mon petit frère, mon père ayant eu pas mal de problèmes de santé... c'est moi, la soignante de la famille. Comme personne n'est médecin chez moi, et que j'ai quelques connaissances médicales, ça me donne ce rôle là facilement. Et puis, j'ai coaché aussi au basket des petites, donc j'ai toujours eu ce rôle là en fait. J'aime bien. Je ne me force pas. Moi, ça m'a servi beaucoup d'avoir coaché des équipes, d'abord d'avoir fait partie d'équipes au basket. Quand j'ai eu fait dix années de basket, on m'a dit `'maintenant tu peux t'occuper d'une équipe, tu vas expliquer tous tes gestes à des petites de sept ans'', j'ai dit O.K. Au début, en expliquant le plus simplement possible et quand j'ai vu que ça fonctionnait, j'ai trouvé ça super, donc on continue. Là, j'ai

n'est que bien peu de chose comparé à ce long passé au cours duquel nous nous sommes formés et d'où nous résultons. Seulement, cet homme du passé, nous ne le sentons pas, parce qu'il est invétéré en nous ; il forme la partie inconsciente de nous-mêmes.»

217M. Darmon, op. cit., p. 71 et 72.

218En référence, les deux parties que C. Dubar consacre à la socialisation professionnelle et aux enquêtes réalisées sur son fonctionnement dans La socialisation, Paris, A. Colin, 2000, p. 125-233. 219 Cf. annexes entretiens Cl. 4.

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arrêté car je n'ai pas le temps mais dès que je pourrai, je reprendrai une équipe, j'adore ça, je trouve que c'est mieux que de jouer, presque (rire)...» L'étudiante P3 rajoute : « j'ai eu deux frères dont un beaucoup plus grand que moi [...J ; mon frère s'est toujours occupé de moi. C'est vrai que quand on arrive en soins, c'est pareil, c'est des gens qui ont quatre ou cinq ans de plus que nous qui nous coachent. Moi, ça ne me dérange pas du tout, au contraire, j'ai l'habitude de ça, ça me va. Pareil, j'ai l'impression, maintenant quand je vois les P1, de voir mon petit frère, donc moi ça me convient de m'occuper d'eux.220»

Les situations entre pairs dans lesquelles sont placés les étudiants correspondent à une socialisation qui serait de l'ordre d'une reproduction sociale. La majorité des étudiants enquêtés, formellement ou de façon informelle, sont issus de fratries et les stagiaires ont appris le partage avec leurs proches. Ils ont été élevés, éduqués en groupe lors de leur scolarité et de leurs pratiques sportives. Les étudiants font un rapprochement avec ce qui se passe dans leurs familles ou leurs groupes de loisirs et comparent ces situations entre pairs avec leurs expériences antérieures. Selon eux, le plus « âgé », le plus expérimenté doit aider le plus « jeune », celui qui a moins d'expérience, c'est dans l'ordre des choses. Cette conception est vraisemblablement ce qui fait que le mode d'apprentissage dans cet institut est accepté et valorisé par les étudiants.

4.2.3 Socialisation pré-professionnelle

Les entretiens d'étudiants m'informent sur leurs représentations concernant la formation professionnelle qu'ils ont choisie : « le fait de venir dans cette formation signifie que, quelque part, on a envie d'aider les autres » spécifie Thom, P1. L'étudiant ajoute : « Personnellement je voulais faire un métier paramédical pour aider les autres. Donc aider les autres par le soin ou aider les autres en leur apportant une certaine connaissance, c'est quelque chose qui est normal pour moi et appréciable.221 » Amel, P1, souligne que, devenir pédicure-podologue, « c'est une profession paramédicale, donc, de toute façon, il faut que l'on soit généreux avec les patients et aussi entre nous.222 »

220 Cf. annexes entretiens F. 8.

221 Cf. annexes entretiens T. 42.

222 Cf. annexes entretiens Amel 76.

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Les représentations de ce qu'est le métier avant l'entrée en profession de pédicure-podologue sont singulières à chacun. En effet, les étudiants n'ont pas suivi de formation spécifique permettant l'accès au métier. Lorsqu'on les interroge, seulement 30% ont rencontré un professionnel avant de passer le concours d'entrée. Environ 50% des étudiants pédicures-podologues souhaitaient intégrer une formation en massage-kinésithérapie ; ces personnes sont donc en pédicurie-podologie par défaut, n'ayant pas réussi l'entrée par concours en kiné. Concernant les motivations à entrer en formation en pédicurie-podologie, 80% des étudiants expliquent qu'ils souhaitent devenir des soignants libéraux, 70% désirent exercer une pratique de santé n'engageant pas de pronostic vital, 80% d'entre eux mettent en avant des études courtes, professionnalisantes223.

Les conceptions de l'activité de soignant décrites par les étudiants sont plutôt traditionnelles : celui qui soigne doit être « patient, attentionné, calme, à l'écoute des autres, gentil, aidant, sérieux, rassurant224...» Ces caractéristiques comportementales constituent en quelque sorte des héritages identitaires à partir desquels le futur professionnel construit ses premières représentations. Lorsque l'étudiant choisit une formation au métier de soignant, nous pouvons donc en déduire qu'il pense avoir des aptitudes à l'altruisme et à la bienveillance. La préparation à l'insertion professionnelle ou socialisation pré-professionnelle s'établit sur un mode d'organisation des apprentissages, défini par l'institution, au travers des discours et messages véhiculés par les professionnels formateurs 225 mais aussi par le groupe des pairs étudiants. Si la majorité des étudiants estiment qu'« il faut que l'on soit généreux avec les patients et aussi entre nous226 » et que l'institution prône cette pensée, alors la norme, la règle est celle-ci. Dans la situation étudiée, un étudiant-novice est installé à côté d'un étudiant-expérimenté ; le P1 regarde, pose parfois des questions aux P3 : l'injonction à maîtriser des savoirs est évidente. Les étudiants P3 n'ont pas vraiment le choix ; ils doivent être capables de montrer et d'expliquer comment et pourquoi ils procèdent d'une certaine manière. C'est la crédibilité de l'étudiant P3 qui est en cause lors de ces situations : « quand même, si je ne sais pas lui expliquer [au P1], j'ai l'air

223 Ces pourcentages et propos d'étudiant résultent des enquêtes menées par l'institut de formation en pédicurie-podologie auprès des étudiants entrant en formation. Les chiffres qui m'ont été communiqués par l'administration sont stationnaires depuis cinq ans.

224 Propos d'étudiants recueillis lors d'entretiens informels au cours des stages pratiques de soin et de clinique.

225 Voir propos des formateurs, page 18.

226 Cf. annexes entretiens Amel 76.

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un peu bête ; je suis sensée connaître des choses, sinon, ça veut dire que je ne suis pas encore complètement compétente en podo227...» Les P3 sont donc fortement invités, au travers de l'organisation entre pairs, à endosser le rôle de celui qui sait et qui doit transmettre. Ceux qui ne jouent pas le jeu sont peu nombreux228 : j'ai observé et entendu que ces étudiants, identifiés comme « individualistes229», sont moins appréciés que leurs confrères aidant. La majorité des étudiants considèrent qu'ils doivent s'entraider, et ceux qui ne fonctionnent pas ainsi sont moins bien intégrés dans les échanges amicaux (soirées, weekend organisés par les étudiants). Tom décrit les situations entre pairs : « ça sert à connaître mieux les autres promotions. Sinon, on les croise pas en cours, on les croise rarement pendant les pauses, on les croise dans les fêtes mais les liens se tissent principalement dans les travaux inter-promotions comme les soins, les examens cliniques f...] comme on travaille ensemble, ça créé forcément des liens.230 » Ce mode de fonctionnement entre pairs permet l'intégration au groupe. Si l'étudiant veut être accepté, reconnu dans la communauté de ses pairs, il doit transmettre ses savoirs, donc apprendre à le faire.

La notion « entre nous », évoquée par Amel, caractérise une socialisation pré-professionnelle que je pourrais décrire comme préparatrice à l'appartenance à un groupe de pairs porteur d'une éthique. La constitution du groupe étudiant pédicures-podologues s'effectue à travers des valeurs, comportements propres à une identité particulière, celle véhiculée par un institut. Tous les étudiants pédicures-podologues seront diplômés d'Etat à la fin de leur formation, mais le fait qu'ils sortent de Marseille, Rennes ou Paris les différencie. Les apprentissages professionnels sont pratiquement identiques, issus des textes officiels : mais certains instituts proposent, par exemple, des orientations axées sur des pratiques plus biomécaniques ou davantage posturales dans leurs approches thérapeutiques cliniques. Les cultures institutionnelles créent donc des identités professionnelles légèrement différentes (dans le milieu professionnel, les pédicures-podologues qui sortent de Marseille ne sont pas reconnus de la même façon que ceux de Rennes, par exemple) et la mise en place des situations d'apprentissage (correspondant aux choix pédagogiques des équipes formatrices) influencent également les attitudes, les habitudes des futurs professionnels. Les processus de socialisation des pédicures-podologues ne sont pas

227 Cf. annexes entretiens Cl.6.

228 Propos d'étudiants lors d'entretiens informels.

229 Propos d'étudiants lors d'entretiens informels.

230 Cf. annexes entretiens T.64.

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les mêmes que ceux des autres formations para médicales231 mais les instituts de même formation professionnelle inculquent des cultures de groupe qui peuvent être également très différentes.

Pour autant, cette socialisation pré-professionnelle a ses limites.

L'institut de formation en pédicurie-podologie est une institution, au sens de Max Weber, soit « un groupement dont les règlements statutaires sont octroyés avec un succès relatif, à l'intérieur d'une zone d'action délimitante à tous ceux qui agissent d'une manière définissable, selon les critères déterminés.232 » Mes analyses me permettent d'avancer que les situations entre pairs instituées constituent une forme de socialisation.

Le cas de Lucien, P3, est significatif : ce jeune homme redouble sa troisième année à l'institut où j'ai mené mon observation ; il vient d'un autre institut qui ne pratique pas les apprentissages entre pairs, ce qui veut dire qu'il n'a pas eu l'habitude de fonctionner comme les autres étudiants auprès desquels j'ai enquêté. Au cours de notre entretien, il m'apprend qu'il fait partie d'une fratrie de trois enfants mais qu'il est le benjamin : son frère et sa soeur sont beaucoup plus âgés que lui. Il m'explique qu'il a été élevé par ses parents un peu comme un enfant unique. C'est un jeune étudiant sportif, qui pratique un sport individuel depuis plusieurs années. Lorsqu'il est arrivé dans le nouvel institut de formation, ses habitudes ont été perturbées : « cela n'a pas été évident pour moi, ayant été habitué à travailler seul depuis le début de ma formation [...] ; je trouve cette façon de travailler en binôme moins bien. Elle ralentit le soin, l'émulation entre étudiant peut être négative car tout est plus lent, et la qualité du soin moins poussée. Etre avec des étudiants P1 et P2 moins qualifiés peut donner un sentiment de suffisance car on soigne mieux qu'eux, alors qu'on peut être loin de l'objectif D.E [diplôme d'Etat] et du niveau d'un professionnel. Lorsque ces derniers posent des questions, leur répondre ne m'apporte rien.» Cet étudiant se trouve dans une situation où sa socialisation antérieure n'est pas en adéquation avec celle du nouvel institut dans lequel il termine ses études. Ces propos, recueillis après seulement deux mois de fonctionnement dans le nouvel institut, peuvent alors s'expliquer : « je

231 Rappelons les différences de contenus des référentiels de formation: par exemple, les enseignements en sciences humaines existent depuis très longtemps en formation infirmière ou ergothérapeute, alors qu'ils n'apparaissent pas ou très peu dans les formations des médecins et viennent juste d'apparaître dans les référentiels des pédicures-podologues. Ce qui peut influencer des attitudes morales différentes entre les différents métiers de soin.

232 M. Wéber, Économie et société, tome 1 - Les catégories de la sociologie. Paris. Pocket. 1971. p.94.

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trouve que fonctionner en binôme n'est pas bien, sauf en tout début de P1 pour être rassuré. Ensuite, il y a une gêne dans le soin, la gestion du temps, l'auto-évaluation... est-ce que je serai capable de soigner deux pieds en 45minutes ? La qualité de soin peut être altérée par mimétisme du binôme vers le bas». Durant trois années de formation, Lucien travaillait seul avec un patient, ne fut jamais accompagné par un autre étudiant en première année et le rôle d'accompagnateur en troisième année ne lui fut jamais confié. Comment Lucien peut-il adhérer aux codes du nouveau groupe d'étudiants qu'il fréquente ? Peut-il exister un désir d'assimilation au groupe qui lui permettrait la construction de nouveaux comportements ? Ce jeune homme ne perçoit pas les avantages d'un apprentissage entre pairs, contrairement aux autres étudiants que j'ai interviewés. Si la totalité des étudiants enquêtés sont convaincus que travailler à plusieurs, et surtout en binôme, est important, tous sont d'accord pour exprimer qu'au cours de la formation au métier, il est important d'être seul. Clara explique : « en P3, on n'est pas souvent assez mis tout seul; forcément, à deux, on partage le matériel, on attend que l'autre a fini, parfois on se gène... et du coup, quand on arrivera en remplacement, faudra tout faire en une demi heure, pas facile...233» Charlène précise : « quand on est en P3, on a parfois envie de travailler tout seul, pour voir si on a progressé soi-même [...] quand on est en P3, on attend moins du binôme. Ce qu'il nous apporte (le P1) c'est le fait de lui apprendre quelque chose, mais en échange, il `'nous prend un pied'', quoi ! (rire) au lieu, nous d'avoir les deux pieds, on doit partager.234 » Fanette donne son avis : « dans la formation, je pense qu'il manque une dernière étape, c'est d'être davantage seul pour être autonome, de A à Z, en soins et en clinique. On est trop rarement tout seul. Ce serait bien que la dernière année de formation, on ait davantage de créneaux où l'on soit seul. Parce que, c'est sûr, après on est libéral donc tout seul, et il faut qu'on sache se débrouiller. Alors sur les soins, c'est bien de travailler avec les P1, je trouve ça enrichissant, mais il faut aussi savoir si on est capable de travailler seul.» Certains P1, comme François, partage le même avis que les P3 : « j'ai bien aimé être à chaque fois avec un tuteur mais le fait d'avoir goûté au soin tout seul en fin d'année, j'aimerai bien, si ce sont des soins faciles, être tout seul pour voir si je suis capable de gérer un soin du début à la fin.235 » car, continue-t-il, « même si on sait bien faire à un moment, on reste dans

233 Cf. annexes entretiens Cl. 12.

234 Cf. annexes entretiens Ch. 80.

235 Cf. annexes entretiens F. 90.

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l'ombre du P3 [...] avec le P3, on n'est pas responsable du soin.236 » Etre à deux signifie que la tâche à réaliser est partagée, le résultat aussi, et qu'il est certainement plus difficile de savoir si individuellement, l'étudiant a acquis des capacités, voire des compétences. Les formateurs pédicures-podologues interrogés ne sont pas inquiets : des temps d'évaluations individuelles sont organisés pour les stagiaires au cours de la formation et cela permet à l'équipe pédagogique et à l'étudiant de savoir où il se situe dans ses apprentissages : c'est ce que pensent les formateurs. Les étudiants, eux, souhaitent davantage de mise en situations professionnelles où ils sont seuls pour s'évaluer plus souvent. Pour autant, quand j'interroge les P3 en leur demandant s'il faut supprimer ces temps de formation en binôme, tous me répondent que non, qu'il faut garder cette organisation. Charlène commente : « moi, je trouve ça bien qu'on a aménagé d'être tout seul une fois par semaine quand on est en P3, mais c'est bien d'être à deux aussi; surtout au début, quand on arrive en P3. On sent bien qu'on est les plus grands, on a plus l'habitude, on a nos repères, ça fait longtemps qu'on est là237 ». La possibilité de changer de statut, de devenir le plus expérimenté aux yeux des P1 compense le fait de ne pas être seul dans les apprentissages. Fanette, P3, explique : « après, d'être un P3, c'est bien de coacher car c'est une manière de voir si on a bien compris ce qu'on faisait. Pour moi, j'ai de meilleures notes cette année en soin, à l'oral, j'arrive mieux à expliquer, à justifier ce que je fais et mes choix. En fait, nous, on l'explique aux P1 et aux P2 quand on est en stage, et ça aide à savoir pourquoi on fait telle chose. On est obligé de mettre des mots sur nos actions. Moi, je trouve que je me suis améliorée depuis que j'aide les autres, au moins à l'oral. Expliquer aux autres, ça entraîne.238 » Pourtant, la relation à l'autre dans les apprentissages n'est pas systématiquement vécue comme un élément important de la formation, notamment pour Lucien, P3 qui arrive d'un autre institut. Il explique : « je me sens à l'aise dans la démarche de tuteur mais cela ne m'apporte rien. Au contraire, j'ai l'impression de ne pas me préparer correctement à mon objectif personnel qui est de s'entrainer pour le diplôme d'Etat.239 » Le travail de groupe ne le satisfait pas non plus : « concernant les examens cliniques, j'ai également trouvé désagréable le fait de travailler en groupe. Une passivité s'installe, même lorsque je prends en charge le patient. Ce n'est plus mon patient, mais un cas clinique que je ne

236 Cf. annexes entretiens F. 74 et 76.

237 Cf. annexes entretiens CH. 84.

238 Cf. annexes entretiens F.44.

239 Cf. annexes entretiens L. 12.

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m'approprie pas. Lorsque je prends le patient en charge, ce n'est pas moi qui fait l'interrogatoire, ni les manoeuvres cliniques, je regarde le patient, je laisse la consultation se dérouler. J'ai le sentiment d'être accessoire et d'attendre de devoir restituer des données que je n'ai pas recueillies moi même et dont je ne suis pas sûr de la véracité240.» Le partage, l'altruisme, la confiance dans l'autre ne sont pas des sentiments qu'il a totalement incorporés au cours de ses expériences personnelles antérieures. Lorsqu'il m'explique que « les questions techniques ou de connaissances peuvent aussi bien être posées au professeur directement lors de la validation du soin, et ils [les P1] auront la réponse ou verront le geste technique en direct d'un professionnel expérimenté, alors que la réponse d'un P3 peut encore être défaillante241 », j'en déduis que l'institution qui place le P3 dans un rôle d'accompagnateur légitimise certainement les savoirs de l'étudiant auprès des novices et plus encore, conforte le P3 dans ses compétences professionnelles. Le choix pédagogique d'un travail collectif et notamment de tutorat place l'étudiant dans un rôle d'acteur/auteur. Les P3 deviennent, en quelque sorte, partenaires des formateurs lors de ces stages pratiques. Ce que n'a pas connu Lucien auparavant.

Le cas de cet étudiant est un élément important dans ma recherche. Il pose la question suivante :

Si la socialisation primaire est si importante, si puissante, un individu peut-il intégrer d'autres socialisations ? Comment les composantes d'une socialisation secondaire peut-elle « s'arranger » de celles de la socialisation primaire ? Quelle peut être la cohérence de ces socialisations diverses et successives ?

Pour Murielle Darmon, le problème n'est pas tant de comprendre l'articulation des socialisations plurielles mais d'envisager la dynamique temporelle de socialisations diverses et successives. La question fondamentale serait donc « la cohérence entre les intériorisations originelles et nouvelles, et notamment le fait que la socialisation secondaire doive traiter avec un moi déjà formé et avec un moi déjà intériorisé.242 » La question, largement posée par Claude Dubar, dans son ouvrage La socialisation, chapitre 6, est la suivante : comment et dans quelle mesure la formation professionnelle construit-elle à nouveau l'individu ? De nombreux sociologues243

240 Cf. annexes entretiens L.8.

241 Cf. annexes entretiens L.2.

242 M. Darmon, op. cit., p.72.

243 Citons Claude Dubar, Robert Merton, par exemple.

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évoquent l'importance de ce qu'ils nomment « un apprentissage indirect » au cours duquel « les attitudes, les valeurs et les modes de comportements sont acquis comme des produits dérivés du contact avec les enseignants, les pairs, les patients que les étudiants vont rencontrer tout au long de leur formation244. » Les étudiants n'apprennent pas seulement ce qui leur est enseigné explicitement dans leurs cours ou stages pratiques, ils sont également transformés par leur investissement dans le milieu de formation, leurs interactions avec ses différents membres, l'échange des expériences et des idées, leurs observations. Le résultat du processus final tiendrait dans une capacité à fondre ensemble les normes d'une « culture podologique » (propre à un institut) en un tout cohérent, ce qui sous-entend former un certain type d'individu à une identité particulière245. Cette culture peut se définir comme un ensemble de normes partagées et transmises selon lesquelles les futurs pédicures-podologues sont censés orienter leurs actions. Elle définit donc un univers des possibles, celui des comportements prescrits, préférés, permis ou interdits, et elle codifie les valeurs de la profession. La socialisation anticipatrice, théorisée par des auteurs comme Robert King Merton, peut alors se définir comme l'ensemble des processus par lesquelles les étudiants « acquièrent les valeurs et les attitudes, les intérêts, habilités et savoirs qui sont ceux du groupe dont ils sont, ou souhaitent devenir, membres246». L'individu est socialisé en fonction d'un groupe auquel il n'appartient pas mais souhaite appartenir. Dans le cas de Lucien, cet étudiant manifeste des valeurs qui ne sont pas celles de son nouveau groupe d'appartenance (Lucien préfère travailler seul, juge inutile de demander de l'aide à un pair, préférant solliciter un formateur...) mais qui sont celles du groupe auquel il se réfère encore, celui de son institut d'origine, son « groupe de référence ». Lors de mes observations, j'ai constaté que Lucien était peu intégré dans la promotion de P3, souvent seul. Son attitude a également des incidences sur la perception des formateurs à son sujet : les enseignants sont tous sensibles aux interrelations entre étudiants et valorisent les attitudes d'entraide. Cela signifie que le groupe d'appartenance est bien sûr constitué par les étudiants mais également par l'ensemble des formateurs, ce qui crée une culture d'établissement.

Au cours de mes entretiens, j'ai remarqué que le groupe de stagiaires qui s'oriente très vite vers la perspective des attentes enseignantes est composé des membres des

244 M. Darmon, op. cit., p.75.

245 Notamment, un professionnel altruiste, bienveillant, si l'on se réfère au chapitre concernant les apprentissages des étudiants pédicures-podologues décrits précédemment.

246 M. Darmon, op.cit., p.76.

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fraternités dominantes. Les « indépendants » qui ne font partie d'aucune fraternité ou qui ont été élevés comme enfant unique restent indécis plus longtemps quant aux critères à appliquer et adoptent des comportements que je pourrais qualifier de déviants face à la situation dominante du groupe des fraternités247. Le cas de Chris, totalement et très vite intégré par ses nouveaux collègues P3, pourtant dans la même situation que Lucien, c'est-à-dire redoublant et originaire du même institut que Lucien, illustre ce phénomène. Cet étudiant explique : « je n'avais pas l'habitude [d'être en binôme] alors au début, c'était difficile et puis après on s'adapte. Je me suis dit, « alors là, t'es dans un autre institut, calme, tu te poses, tu expliques comment tu fais, tu regardes ce que fait l'étudiant à coté de toi et tu essayes de donner des conseils248.» Pour Chris, les modes pédagogiques choisis par le deuxième institut correspondent davantage aux socialisations antérieures qu'il a connues et intégrées : « c'est plus sympa d'être ensemble que de se sentir tout seul.» Chris appartient depuis plusieurs années à une fratrie et a développé des habitudes collectives. Selon Everett Hugues qui développe une étude sur la fabrique du médecin dans son ouvrage Boys in white publié en 1961, les cultures profanes et professionnelles coexistent et interagissent à l'intérieur de l'individu. Les deux cas d'étudiants, celui de Lucien et Chris, peuvent être analysés selon cette cohérence entre les intériorisations originelles et nouvelles que j'ai évoquées précédemment. Le fait que la socialisation secondaire doive traiter avec un moi déjà formé et avec un moi déjà intériorisé explique la différence d'adaptation des deux étudiants à un nouvel environnement de formation. Le plus souvent, l'action de l'individu va découler des perspectives précédemment intériorisées. En effet, si les parcours individuels s'inscrivent dans un territoire commun balisé par l'institution qui forme au métier, la socialisation professionnelle n'en est pas moins constamment pénétrée par des éléments qui ont leurs origines ailleurs, notamment dans la socialisation antérieure249.

4.2.4 Une identité professionnelle singulière

Lorsqu'ils entrent en première année à l'institut de formation, les étudiants intègrent un monde socialisé avec des habitudes, des normes et des valeurs spécifiques. La

247 M. Darmon, op.cit., p.84.

248 cf. annexes entretiens Chris 4.

249 M. Darmon, La socialisation. Paris. Armand Colin. 2011. p.88.

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socialisation des stagiaires est en relation notamment avec leur socialisation primaire. C'est sans doute ce qui peut expliquer l'utilisation du terme famille évoqué au cours de plusieurs entretiens, qui n'est pas seulement une facilité de langage, mais une référence à l'ensemble familial. Tom, étudiant P1, me décrit l'institut de formation : « il y a différentes familles chez les podos, entre promotions et entre les groupes250.» Chris, P3, me confirme qu' « ici, à l'école [l'institut de formation], ça fait plus comme une grande famille 251[contrairement à son ancien institut].» J'apprends également, lors d'entretiens informels, qu'il existe des parrains et des marraines pour chaque P1 entrant en formation. Un étudiant P2 est le parrain d'un P1, lui-même parrainé par un P3. Le rôle des parrains ou marraines est d'aider le ou la filleule, en lui donnant, par exemple, ses anciens cours, en prodiguant des conseils... Les « familles » se rencontrent dans l'institut mais aussi lors des soirées étudiantes que les stagiaires organisent. Le mot famille tel qu'ils l'utilisent définit des ensembles de personnes unies par des liens qu'ils ont eux-mêmes créés : chaque stagiaire est soit filleul (le P1), soit parrain ou marraine (le P2) soit « grand-parrain » ou « grande-marraine » (le P3). Chacun a donc un rôle et la tradition perdure depuis plusieurs années252. Outre le fait que l'institution place régulièrement les étudiants dans des situations de tuteur- tutoré et dans des moments collectifs, les stagiaires choisissent eux-mêmes d'appartenir à des groupes proches de leurs références familiales dans lesquelles les « aînés » aident les « plus jeunes ». Cette volonté traduit un engagement des individus dans des actions collectives de responsabilités où chacun se voit attribuer une identité par autrui, à la fois héritée et visée253. Héritée et plurielle car dès qu'une personne entre en formation, elle devient un nouvel étudiant en pédicurie-podologie, futur professionnel, tutoré et filleul (un P1); les P2 recomposent leurs identités puisqu'ils deviennent des parrains ou des marraines dès le début de l'année, sont toujours des futurs professionnels et visent à devenir des accompagnateurs d'étudiants; les P3 sont toujours des étudiants mais sont devenus également des accompagnateurs de P1 et P2 et visent une identité

250 cf. annexes entretiens T. 74.

251 cf. annexes entretiens CT 24.

252 Je n'ai pas pu retracer vraiment l'historique des «parrains-marraines» mais il semble que la coutume existe depuis une quinzaine d'année.

253 Jean-Marie Barbier, Etienne Bourgeois, Guy de Villiers, Constructions identitaires et mobilisation des sujets en formation. Paris. L'Harmattan. 2006.

102

professionnelle, celle de pédicure-podologue. Ces phénomènes traduisent un réel processus de socialisations successives254.

Les identités des étudiants pédicures-podologues sont en partie liées à leurs appartenances sociales (genre, âge, groupes socioculturels) et à leurs diverses trajectoires (type de baccalauréat, filières de formation...). La majorité d'entre eux sont issus de milieux plutôt aisés, les parents sont des cadres administratifs, entrepreneurs, enseignants ... Tous les étudiants interrogés au cours de mon enquête ont obtenu un baccalauréat série S et font partie de fratries. Ces divers éléments montrent que les stagiaires pédicures-podologues ont un profil identitaire assez similaire lié à des socialisations antérieures relativement semblables.

Les personnes que j'ai interrogées partagent une identité collective : elles se ressemblent par leur identité d'étudiant en pédicurie-podologie. Les stagiaires appartiennent au groupe étudiants pédicures-podologues, formés dans le même institut. Traditionnellement, la dimension sociale de notre identité est assurée par un sentiment d'appartenance à des groupes sociaux plus ou moins larges, dans lesquels notre généalogie nous a objectivement inscrits255. Les groupes d'appartenance sont variables culturellement et historiquement : clans, castes, classes sociales, nations, régions, villes, quartiers, villages, communautés religieuses, communautés ethniques... Le sentiment d'appartenance est généralement pluridimensionnel : groupe social, religieux, sexué, ethnique, professionnel... L'appartenance à un groupe s'exprime par son accord avec les standards, les normes régissant les conduites et les comportements256. Entrer en formation au métier de pédicure-podologue est bien une inscription sociale particulière. Le sentiment d'appartenance à un groupe est quelque chose qui se construit peu à peu. Les étudiants, au fil des trois années de formation, partagent une même réalité, des valeurs et des objectifs communs, ce qui crée un terrain favorable. De plus, pour se développer, le sentiment d'appartenance au groupe nécessite une qualité d'interactions avec les personnes, ce qui contribue au fait qu'on se sente bien et qu'on ait conscience de sa valeur au sein du collectif257. Les rôles de chacun, nous l'avons vu, sont clairement posés. Lorsque les étudiants se sentent

254J.Beckers, Compétences et identité professionnelles : L'enseignement et autres métiers de l'interaction humaine. Bruxelles. De Boeck Université. 2007.

255 Propos de Daniel Calin lors d'une conférence donnée le 11 décembre 1998 dans le cadre des Amphis de l'A.I.S. de l'I.U.F.M. de Paris.

256 J. Maisonneuve, La dynamique des groupes. Paris. P.U.F.Que sais-je ? 1968.

257 R. Muchielli, La dynamique des groupes. Paris. Ed. ESF, Entreprise Moderne d'Edition - Librairies techniques. 1989.

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reconnus, ils ont alors envie de s'engager, de s'identifier avec une certaine fierté à ce groupe dans lequel ils se sentent inclus. Si une part de responsabilité relève du milieu qui les accueille (dans le cas étudié, l'institut de formation en pédicurie-podologie, au travers des situations d'apprentissage entre pairs), une autre part dépend de leurs attitudes et de leurs propres efforts d'intégration. C'est à ces conditions que le collectif peut exister258. « Ce qui cimente une identité collective, c'est à la fois la représentation commune que les membres se font des objectifs ou des raisons d'un groupement et la reconnaissance mutuelle de tous dans cette représentation, sinon l'identité ne peut se former.259» L'identité de métier se construit sur la base d'une culture de métier qui se transmet260.

Pour l'ensemble des personnes observées, l'arrivée dans le secteur du soin ainsi que l'intégration à un nouveau cadre d'apprentissage axé sur le collectif, correspondent à une phase importante de l'élaboration identitaire professionnelle.

Les travaux de différents auteurs ont apporté des éclairages pertinents sur la manière dont se construit l'identité. Selon Jean-Marie Barbier261, l'identité tend à unifier des termes tels que caractéristiques, parcours, trajectoires, contenus d'activité projets. Claude Dubar explique que l'identité est une réalité génétique et éducative mais aussi un construit humain, produit de socialisations successives. « L'identité humaine n'est pas donnée, une fois pour toutes, à la naissance : elle se construit dans l'enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie. L'individu ne la construit jamais seul : elle dépend autant des jugements d'autrui que de ses propres orientations et définitions de soi262 ». Pour Erving Goffman, « le mot identité tend à désigner une

258 Solveig Fernagu-Oudet, Organisation du travail et développement de compétences/construire la professionnalisation. Paris : L'Harmattan. 2006. 321 p.

Dans cet ouvrage, l'auteure évoque le principe de concevoir des environnements capacitants, de construction d'organisations apprenantes. Solveig Fernagu-Oudet a démontré que les différents courants de recherches peuvent se centrer soit sur l'individu apprenant dans une situation de travail, soit sur le collectif apprenant ou non, soit sur l'organisation elle-même comme entité apprenante. Les contextes étudiés concernent essentiellement le milieu de l'entreprise. Il me semble pertinent de les transposer dans le milieu de la formation. Le rôle de l'encadrement émerge comme une variable importante et constante et renvoie aux notions de management des compétences. Cet ensemble de réflexion déplace et interroge le rôle des formateurs puisque cela met en évidence la place essentielle de l'individu dans les apprentissages, la place de l'erreur, la place de « l'événement », mais aussi la nécessité de communication dans l'institution, de reconnaissance des étudiants comme capables d'implications dans leur propre formation.

259 J. Freund, Penseur "machiavélien" de la politique. Paris. L'Harmattan. p. 78.

260 R. Wittorsky, La question identitaire dans le travail et la formation: contributions de la recherche, état des pratiques et étude bibliographique. Paris. L'Harmattan, Logiques Sociales.2008. p. 195-213.

261 J.-M. Barbier, E. Bourgeois, G. de Villiers,op.cit.

262 C. Dubar, op. cit. p. 15.

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étiquette sociale que les autres appliquent à l'individu en fonction de son rôle ou de sa position sociale, étiquette que cet individu peut changer en une « identité » s'il la reprend à son compte, mais dont il doit aussi négocier le contenu dans une interaction avec les autres263

Depuis les années 90, la notion d'identité a pris une place importante dans les discours. D'après Jean-Marie Barbier, cette montée en puissance s'explique selon un mode de pensée qui insiste sur les significations que les acteurs accordent à leurs activités et selon la mise en place de nouvelles organisations sociales faisant appel à leur autonomie. L'identité est envisagée comme « un ensemble de composantes représentationnelles (contenus de conscience en mémoire de travail ou en mémoire profonde), opératoires (compétences, capacités, habiletés, savoirs et maîtrises pratiques, etc.), et affectives (dispositions génératrices de pratiques, goûts, envies, intérêts, etc.) produits par une histoire particulière et dont un agent est le support et le détenteur à un moment donné de cette histoire264.» L'identité est donc constituée de ce qu'un individu est en capacité de faire et ce qu'il effectue, mais aussi de ce qu'il sait, de la façon dont il se représente les choses et lui même, du sens qu'il leur accorde, de ses émotions, de ses besoins et de ses valeurs. Cette conception de l'identité est intégrative, rendant compte de ce qui fait l'unicité de l'être, de sa singularité265. C'est avec toutes ces composantes qui le caractérisent que l'individu va s'engager dans les actions qui comptent à ses yeux dont on peut supposer que les actions pré-professionnelles266 font partie. L'identification par autrui de ses compétences, de son statut et de sa carrière possible et la construction par soi de son projet, de ses aspirations et de son identité professionnelle possible dépendent de l'issue de la confrontation et de l'articulation des différentes composantes qui caractérisent un individu267.

263 V. Descombes, Les embarras de l'identité. Paris. Gallimard.2013. p.37.

264 J.-M. Barbier, E. Bourgeois, G. de Villiers, op.cit., p. 40. 265J. Beckers, op.cit., Chapitre 4.

266 Au sens de formation à une profession.

267 C.Dubar, op. cit. p. 117.

105

4. Conclusion

Le contexte d'apprentissage entre pairs semble jouer le rôle de révélateur d'une identité latente, celle d'accompagnateur. Par un processus d'imprégnation d'une culture de travail avec ses normes et ses façons d'agir (les valeurs et modèles éthiques professionnels), l'étudiant poursuit une élaboration identitaire autour de cette image. Devenir un accompagnateur dans la formation étudiante signifie avoir acquis des capacités, des savoirs suffisamment légitimes pour les transmettre à un autre étudiant. Par une posture de tutoré, l'étudiant apprend à devenir accompagnateur, au fur et à mesure des expériences interrelationnelles. L'identité visée est, bien sûr, celle de pédicure-podologue. Mais les situations d'apprentissage entre pairs induisent autre chose : en devenant accompagnateur, l'étudiant est acteur de sa formation, il apprend à aider, à partager. Il devient un pédicure-podologue altruiste. La volonté de l'équipe pédagogique de l'institut observé est bien de construire une identité professionnelle particulière chez les futurs professionnels268. Les individus semblent garder ce même état d'esprit quand ils professent. Certains anciens étudiants pédicures-podologues, nommés P4, P5 et plus, continuent de venir à l'institut quand ils sont de passage dans la région, « dire bonjour » aux enseignants, « voir les petits nouveaux », s'inquiètent de savoir s'ils sont « sympas 269». Certains participent aux soirées étudiants. Ils sont des « arrières-arrières grands parrains ou marraines». Un grand nombre de professionnels exercent loin de l'institut de formation ce qui ne leur permet pas de participer à des moments festifs ou de passer régulièrement. Mais dès qu'ils le peuvent, ils reviennent donner de leurs nouvelles, se renseignent sur la façon dont se déroule la formation, si l'ambiance est toujours « sympathique ». Les anciens étudiants de l'institut communiquent entre eux par les réseaux sociaux, se retrouvent dans des congrès professionnels, élaborent ensemble des protocoles expérimentaux... Cette acquisition d'identité professionnelle altruiste n'est donc pas temporaire, au moins pour quelques uns.

Mon étude met en évidence le fait que les apprentissages des étudiants entre pairs permettent de renforcer leur esprit d'entraide et de collaboration, autorisent les stagiaires à apprendre par eux-mêmes et favorisent le développement d'une certaine

268 Inconsciemment car jamais évoqué lors des échanges que j'ai pu avoir avec les membres de l'équipe pédagogique.

269 Propos d'anciens étudiants pédicures-podologues de l'institut.

106

assurance et indépendance. Quotidiennement, pendant trois années, ils sont incités à articuler incorporation, transmission et émancipation de savoirs, savoir-faire mais aussi de savoir-être. C'est au cours d'une socialisation particulière, inscrite dans une temporalité nécessaire à son intégration, que les étudiants construisent leurs identités. Cette construction identitaire est un élément des identités personnelles : elle invite les étudiants à continuellement s'engager dans des négociations complexes avec les autres et avec soi-même pour se faire reconnaître270. C'est un élément extrêmement important rencontré en pédicurie-podologie. Les étudiants perçoivent assez vite que leur corporation est en « mal de reconnaissance » dans le milieu médical. Lorsque certaines personnes les questionnent sur leur formation, leurs interlocuteurs témoignent très souvent d'une méconnaissance de leur futur métier et de leurs compétences. Les acteurs du milieu hospitalier, que les étudiants fréquentent pourtant depuis de nombreuses années au travers de stages, avouent également ne pas connaître toutes les facettes du métier de pédicure-podologue. Très vite, les étudiants ressentent ce « mal d'identité ». Lorsqu'ils écrivent des rapports de stages, ils évoquent très souvent un défaut de communication : « il faut que nous nous fassions connaître », me disent-ils271, « nous devons faire de l'information auprès du grand public et auprès des médicaux », « les gens ne nous connaissent pas assez »... L'équipe pédagogique est consciente de cette situation et oeuvre depuis des années à la mise en lumière de la profession : les formateurs participent à des soirées thématiques dans différents milieux (médical, sportif...), sont présents sur les colloques professionnels, participent à des formations, conduisent, pour certains, des formations continues... La mise en place d'un nouveau référentiel des études est le signe d'un plus grand intérêt pour l'écriture et la réflexion puisque désormais les étudiants clôtureront leur cursus par l'élaboration d'un mémoire de fin d'étude, ce qui n'existait pas auparavant. Les équipes pédagogiques, les directeurs d'instituts sont convaincus que la reconnaissance professionnelle passe également par des écrits pertinents, construits, élaborés, à visées scientifiques.

Les étudiants pédicures-podologues ont compris qu'une coopération est nécessaire à la construction d'une identité professionnelle, que c'est ensemble qu'ils pourront acquérir une reconnaissance dans la société. Cette notion d'identité collective est donc une intention sociale, venant des groupes qui cherchent à revendiquer une place et à se

270C. Dubar. Op.cit.

271 Entretiens informels lors de stages pratiques à l'Institut.

faire reconnaître dans l'espace social, ici le monde médical. Quand Amel trouve important de « dire que nous, podologues, on fait ça272 », que Tom s'exprime en disant que « grâce à l'ordre des podologues, ça réunit quand même tous les podologues, ce n'est pas chacun dans son coin et chacun pour soi, c'est vraiment tous les podologues 273» et « qu'il est nécessaire de pratiquer des soins dans une démarche pluridisciplinaire », les étudiants montrent bien qu'ils ont un intérêt à « se serrer les coudes », à s'entraider, à faire attention à l'autre étudiant qui, comme lui, va devenir un pédicure-podologue. Ils ont compris que pour exister professionnellement, il faut faire corps.

En ce sens, les apprentissages entre pairs, en favorisant la collaboration, la coopération, participent à un projet identitaire, porteur des valeurs de solidarité et d'altruisme.

« Ni le langage, ni la libido, ni la technique, ni la station droite ne sont naturels en l'homme. L'homme est cet animal étrange qui a besoin du contact de ses semblables pour réaliser sa nature274».

107

272 Cf. annexes entretiens Amel 74.

273 Cf. annexes entretiens T. 82.

274 L. Malson, Les enfants sauvages. Paris. Union Générale d'Editions. 1964.

108

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113

Table des annexes

Annexe1. Guide d'entretien p.114

Annexe 2. Grille d'analyse des entretiens p.115

Annexe 3. Les entretiens p.116

Les étudiants de troisièmes années :

- Alicia p.117

- Franz p.124

- Charlène p.130

- Helena p.139

- Baptiste p.145

- Clara p.153

- Fanette p.159

- Chris p.167

- Lucien p.174

Les étudiants de premières années :

- Tom p.177

- Amel p.187

- François p.195

Annexe 4. Résumé p.204

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Annexe 1. Guide des entretiens

Les entretiens semi-directifs ont été menés selon une série de questions ouvertes. Ce sont les phrases qui m'ont servi de guide pour conduire mes entretiens ; je ne les ai pas toujours posées de cette façon (je fais ici référence à « l'improvisation réglée » décrite dans mon étude). Voici le type de questions que j'ai posé :

1. Quand vous êtes arrivé sur l'institut de Rennes, de quelle façon vous a-ton demandé de fonctionner en binôme ou en groupe ? est-ce que cela a été confortable ou difficile pour vous de travailler ainsi ?

2. Est-ce un exercice dans lequel vous vous êtes senti à l'aise (l'exercice est expliquer, montrer à ces collègues étudiants lorsqu'on est tuteur, ex. P3 avec un P1, ou avec les P2 en clinique)?

3. Quels sont, pour vous, les qualités nécessaires pour être le tuteur d'un autre ?

4. Selon vous, est-ce que le fait de travailler en binôme ou en groupe créé des situations particulières (comparativement au fait d'apprendre le métier seul, et non en binôme ou groupe ? par rapport à la formation, le métier, humainement... ?)

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Annexe 2. Grille d'analyse des entretiens

Grille de classification par thèmes

Les différents thèmes qui ont permis de classifier les données sont :

- Les acquisitions de savoirs

- L'appropriation de savoirs

- La relation à autrui

- La motivation des étudiants

- Les sentiments

- Etre accompagnateur

- Processus de socialisation

- Une reproduction sociale

- Les limites du processus entre pairs

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Annexe 3. Les entretiens

Chaque entretien a été retranscrit intégralement. Les étudiants sont identifiés par un

prénom que je leur ai attribué, de façon à conserver leur anonymat.

Pour chacun d'entre eux, j'ai récolté des renseignements:

- La date de l'entretien

- Leur nom/prénom

- Leur âge

- Le nombre de frères et soeurs

- Le métier des parents

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue

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Entretien avec Alicia, étudiante en 3ème année. Renseignements recueillis:

- La date de l'entretien : 13 décembre 2011

- âge : 22 ans

- nombre de frères et soeurs : 2 frères

- métier des parents : mère : institutrice/ père : commercial

- formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année

de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : a votre avis, y a-t-il des avantages à travailler en binôme lors des stages de soins à l'institut ?

2. A : je pense qu'il y en a. on peut parler plus librement qu'avec un prof qui est d'un niveau au dessus, on a le même langage, qui n'est pas forcément le même qu'avec une personne plus âgée. On a une différence de niveau avec un autre étudiant qui n'est pas énorme, donc le 3ème année peut comprendre plus facilement les difficultés que rencontre le 1ère année. Pour le 3ème année, on a plus de mal à le faire (travailler en binôme) qu'en 2ème année, car nous somme plus dans notre objectif des 40 mn (temps limite demandé pour une exécution de soins) et ça nous fait perdre du temps. Après, on sait que c'est bénéfique quand on est en P1 d'avoir ça, mais on est peut être moins indulgent et plus stressé que quand nous sommes en P2.

3. C : vous êtes en train de nous dire que de travailler en binôme en P2 signifie qu'il y a moins de pression par rapport à vos objectifs que quand vous êtes en P3 ? Vous avez l'impression de perdre du temps quand vous êtes en P3 ?

4. A : oui, je trouve. En P3, on a plus à faire notre soin en 40 mn tout seul plutôt que d'apprendre à un P1.

5. C : comme vous êtes obligé de travailler en binôme, est ce que vous mettez des stratégies en place pour arriver à donner des informations aux P1 et en même temps atteindre vos objectifs personnels?

6. A : pas spécialement. Moi, je laisse venir les questions ; je dis bien, dès le départ, au P1 qu'il n'hésite pas à poser des questions. Après, moi, je fais mon truc et, si, de temps en temps, « ça va, tu t'en sors ? ». Déjà au début du soin, on évalue ce que lui a à faire, si c'est complexe ou pas et moi je lui demande

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de temps en temps s'il s'en sort mais après, c'est à lui de poser les questions. Je vais pas passer mon temps à regarder ce qu'il fait, sinon, je ne men sortirais pas.

7. C : donc, sur un temps de séance, vous démarrez un soin avec un jeune P1, il y a le patient, comment vous procédez, plus précisément ?

8. A : au départ, j'essaye de mettre le P1 en confiance et lui dire que ça va bien se passer, et de ne pas hésiter à poser des questions quand il a un problème. En général, c'est le P2 ou P3 qui demande le motif de consultation au patient, mais après, moi, je suis partie et lui (le P1) fait à son rythme. Et, à la limite, si moi j'ai fini avant, je vais plus regarder ce qu'il fait, mais pendant que je suis dans mon soin, pas vraiment. J'attends qu'il vienne vers moi. Des fois, il me demande comment faire, alors je lui montre ou je lui dis que je ferai ça après, qu'il fasse ce qu'il peut d'abord. Voilà.

9. C : pour vous, il y a des inconvénients à être tuteur en 3ème année ?

10. A : oui, pour moi, en 3ème année, on perd du temps.et puis, de faire son soins à deux, même si on est deux P2 ou deux P3, ça devient un inconvénient, surtout maintenant, en milieu d'année de 3ème année, avant le DE. Après, en P2, c'est un avantage, je trouve. Là, on voit que nous en P2, on a évolué, en rapidité, etc., et qu'on ne s'en rendrait pas compte tout seul. Quand on commence l'année avec un P1 qui met plus de temps que nous, ça nous met en confiance. Puis on vient d'être tutoré en fait, on est plus dans le rôle de tuteur qu'en P3, je trouve.

11. C : plus aidant ?

12. A : oui. Plus proche du P1 qui débute

13. C : j'avais pensé vous poser la question : que vous a apporté le fait d'avoir été tutoré au cours de votre formation ?

14. A : ça permet d'être plus en confiance, de pas être laissé tout seul, parce que, même si le prof est là, il ne peut pas être derrière tout le monde, tout le temps, c'est bien d'avoir quelqu'un sur qui se reporter, qui est proche de nous et qui est là à tout moment. Je pense que ça met plus en confiance.

15. C : donc, être en confiance quand on est le tutoré, c'est être rassuré car il y a quelqu'un en permanence à côté de vous, de même statut, un étudiant ?

16. A : oui, et qui a plus d'expérience.

17.

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C : et au niveau des apprentissages, que ce soit techniques ou théoriques, dont vous avez besoin quand vous êtes avec un patient, est ce que cela apporte quelque chose d'être en binôme par rapport à ce qui a été enseigné en cours ou TP par les profs ?

18. A : si quand c'est la première fois, en soin, par exemple, tenir un bistouri, un manche de gouge, etc...., comme la première fois qu'on a un ongle incarné, et là ça devient plus complexe, mais après qu'on l'a fait deux ou trois fois, déjà on se débrouille beaucoup mieux. Au niveau du matériel, comment s'en servir, c'est intéressant. Oui, surtout ça.

19. C : et au niveau des binômes, les étudiants changent souvent au cours des semaines de stages car les groupes sont différents; est ce intéressant ou pas ?

20. A : quand on est tutoré, oui, parce que, on ne va pas se le cacher, y a des différences de niveau quand même, entre élèves, quand on est en P1, on ne sait pas comment et avec qui on se place. Et le contact va être différent, meilleur avec certaines personnes. Après, la méthode revient toujours au même, je pense parce qu'on a la même formation, mais le contact peut changer d'une personne à l'autre, oui.

21. C : donc, du côté des apprentissages, le contact humain est important, c'est cela ?

22. A : oui, oui. Comme dans la vie en général.

23. C : et du côté de la technique ou de la théorie, est ce que le fait de changer les binômes, cela change quelque chose ?

24. A : non, je ne pense pas. Dans la méthode, on a les même cours, les mêmes enseignements. Donc, non, ça ne change pas, je trouve. C'est plus le contact qui est différent. Mais, pour le reste, ça change pas grand-chose que les binômes ne soient pas toujours les mêmes.

25. C : le fait que les groupes de travail en soins changent au cours des semaines, est-ce confortable, intéressant ?

26. A : Si on restait toujours avec le même groupe, je ne suis pas sûre que tout le monde serait cent pour cent satisfait de la personne avec qui il serait, donc le fait qu'il y ait un roulement, je trouve que c'est pas mal. Il y a des fois où cela se passe moins bien, c'est sûr, mais tout le monde passera par là.je trouve bien qu'il y a un roulement, aussi bien quand est tuteur que tutoré.

27.

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C : d'après vous, quelles sont les conditions requises pour être un bon tuteur sur cette activité de soins ?

28. A : déjà être en confiance lui-même sinon il transmettra son angoisse au plus jeune, aussi la patience parce que parfois sur un gros soin, cela peut être lourd à gérer, et puis savoir mettre le plus jeune en confiance, lui transmettre notre confiance.

29. C : comment peut-on donner confiance à quelqu'un dans ce type de situation ?

30. A : en ayant confiance d'abord en soi, en donnant dès le départ tous les bons conseils au plus jeune. Si par exemple, on voit qu'il a un gros cor à soigner, on lui dit de commencer de se servir d'abord du bistouri puis après tu prendras la gouge, et ensuite lui dire que tout le monde est capable de le faire si on voit qu'il est angoissé. Après, il y a des personnes qui sont plus à l'aise que d'autres, qui n'ont pas besoin d'être rassurées. Et puis, il faut lui dire de ne pas hésiter à poser des questions, et nous lui donner les bons conseils.

31. C : c'est quoi, pour vous, les bons conseils ?

32. A : Hum...ça dépend de la situation.

33. C : qu'est ce qui vous permet de savoir si ce sont les bons conseils que vous donnez ? Vous lui dite cela, à votre jeune collègue, et vous savez que c'est bien qu'il fasse comme cela ?

34. A : le fait qu'on a eu ces conseils avant et qu'on les a mis en application et qu'on ai vu que c'était positif au niveau des résultats, que le patient était content, qu'il n'avait plus de douleur...

35. C : ça veut dire que ça passe par votre expérience, d'avoir vérifié vous-même que les conseils ou les actions que vous avez menées sont les bons ?

36. A : oui, ça passe par notre jugement sur les conseils qu'on nous a donnés auparavant.

37. C : est-ce que cela veut dire qu'un « bon » tuteur est forcément quelqu'un qui a été tutoré avant ?

38. A : oui, je pense, je pense que c'est très important. Mais il faut qu'il en ait envie aussi. S'il n'a pas envie de transmettre, il ne transmettra pas.

39. C : donc être un bon tuteur veut dire qu'il faut avoir été tutoré et d'avoir envie de transmettre ; c'est cela ?

40. A : oui

41. C : est ce qu'il y a besoin d'autre chose ?

42.

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A : je ne sais pas...

43. C : aujourd'hui, dans l'institut, on vous demande d'être tuteur ?

44. A : oui, c'est demandé, même si on n'en pas envie, on nous demande de le faire

45. C : de quelle façon c'est demandé ?

46. A : de toute façon, déjà le fait qu'il y ait 8 patients pour 16 étudiants, forcément on se retrouve à deux. Et moi, ça ne m'ai jamais arrivée de me mettre avec un autre P3 et de voir deux P1 ensemble, ça paraît pas logique. Donc, oui, on est plus ou moins forcé. Mais c'est vrai que s'il y a trop de patients parfois, on aime bien dire, bon moi, je prends un patient tout seul. Dans le groupe, on essaye de laisser un P3 tout seul quand c'est possible. Mais bon, ce n'est pas toujours possible.

47. C : et quand vous étiez « jeune apprenant » vous étiez tenu d'être avec un plus « grand » ?

48. A : oh oui, oui. Mais là, je pense qu'on l'accepte sans problème. Moi, je préférais être à deux que tout seul, même en fin de 1ère année, moi j'étais plus rassurée d'être à deux.

49. C : ça vous est arrivée de vous retrouvée seule en 1ère année ?

50. A : oui, en fin d'année. Bon, ça se fait mais c'est moins confortable.

51. C : pour vous, quand cela devient-il confortable de travailler tout seul ?

52. A : ça commence à être intéressant quand on commence à être tuteur, qu'on a vu qu'on avait évolué par rapport à celui qui est plus jeune, et que la, notre confiance est augmentée, en deuxième année, après quelques mois, en décembre, par là. Ça permet de voir qu'on a évolué. Moi, la première fois que j'ai eu un P1 avec moi, alors oui, j'ai vu qu'il y avait de la différence alors que je n'en avais pas du tout conscience avant.

53. C : est-ce que cela veut dire que le fait d'avoir réussi vos évaluations de fin d'année ne suffit pas à vous assurer que vous avez évoluée ?

54. A : non, c'est plus les 1ères années qui nous font prendre conscience qu'on a grandit que le prof qui nous laisse passer, en fait. Je sais qu'on en avait parlé, en début de P2, au R.U., » vous ne trouvez pas qu'il y a une différence quand même avec les 1ères années qui viennent d'arriver ? Oh, bah si, on va beaucoup plus vite », alors qu'on en avait pas conscience avant. Que le prof n'est pas là non plus pour nous dire « vous avez gagnez du temps ». Oui, on

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évolue d'un coup, je trouve, une fois que l'on a fait ses premiers tutorats. On voit aussi qu'on plus de connaissances sur le métier.

55. C : cela veut dire que c'est utile d'être tuteur en 2ème année ? C'est rassurant ?

56. A : oh oui.

57. C : et après, quand vous êtes en P3, c'est bien d'être tuteur?

58. A : c'est moins intéressant...

59. C : si vous aviez à décider d'organiser le travail de tutorat sur les trois années, que choisiriez-vous comme type de binômes ?

60. A : je verrais plus des P1 avec des P2 et au maximum, les P3 tout seuls pour apprendre à travailler tout seul, comme en cabinet.

61. C : une autre question : est ce que les apprentissages sont discutés entre les étudiants pendant les soins ?

62. A : non, pas beaucoup, c'est surtout les gestes qu'on regarde, et un peu la façon de parler au patient. On dit souvent au plus jeune, « ça, tu verras ça plus tard » quand c'est au sujet des connaissances. C'est rare qu'on me demande pourquoi je fais ça. C'est plus technique.

63. C : qu'est ce qui change quand vous êtes deux à vous occuper d'un patient au lieu d'un ?

64. A : c'est le plus « âgé » qui parle le plus avec lui, ça se passe toujours comme cela.

65. C : sans qu'on vous le demande ?

66. A : oui, ça se fait comme ça, naturellement. On est plus à l'aise en fin de P1 mais on laisse le tuteur prendre la main.

67. C : et ça, ça ne vous a jamais posé de soucis ?

68. A : Non, ça se fait comme ça. C'est drôle, on ne rend pas forcément compte, c'est en en parlant que je me rends compte.

69. C : vous avez eu les rôles de tutoré et de tuteur, est ce que ça toujours été des rôles confortables ?

70. A : (petit rire) eh, eh, non pas tout le temps. Dans la situation où quelque chose a été mal fait, ça retombe quand même sur le tuteur, c'est normal même si c'est pas lui qui a soigné le pied, on prend la responsabilité du soin. On prend conscience qu'on aurait du faire autrement pour que ça se passe mieux, même si c'est pas moi qui le faisait, j'aurais du regarder pour que ce soit mieux,

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vérifier que le travail est bien fini, rattraper quelque chose avant que le formateur arrive.

71. C : c'est la chose ma moins confortable dans le rôle de tuteur ?

72. A : oui, c'est pas très agréable. Mais bon, ça ne m'ai pas arrivé souvent. Ça se passe plutôt bien en général.

73. C : et donc, pour terminer notre entretien, y a-t-il un élément positif, vraiment, dans la situation de tuteur ?

74. A : oui, comment dire, de se sentir supérieur, meilleur parce qu'on a l'expérience aussi. Le travail porte ses fruits.

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Entretien avec Franz, étudiant en 3ème année.

- La date de l'entretien : Le 13 décembre 2011.

- âge : 26 ans

- nombre de frères et soeurs : 2 soeurs, 1 frère

- Le métier des parents : mère : assistante sociale/ père : gérant de magasin

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une

année de faculté en psychologie, une année de travail en école de musique, une

année de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : d'après vous, y-a-t-il des avantages à travailler en binôme lors de vos apprentissages de soins à l'institut ? D'abord du coté du tutoré puisque vous l'avez été.

2. F : beaucoup d'avantages. Le 1er est qu'on voit d'autres manières de faire ; on voit des erreurs ; on arrive en tant que tutoré à déceler des erreurs et on se dit qu'on ne les refera pas. On entend les corrections des formateurs et on se dit quand je saurais faire les gestes, c'est une erreur que je ne reproduirais pas. On voit l'expérience et du coup, y a pas mal d'échanges en termes de mots ou des gestes plus simples, ça simplifie beaucoup, beaucoup, parfois.

3. C : que veut dire gestes plus simples ?

4. F : c'est plutôt mots plus simples, les gestes ne sont pas forcément plus simples, mais moins techniques, pas forcément aussi précis, donc moins bien effectués et donc ça permet par échelon, de se dire qu'au minima, je peux me retrouver sur ce geste là ; ça peut fonctionner. Ça fait des sortes de niveaux. Bon, y a des défauts la dedans mais on acquiert aussi des défauts d'apprentissages. Mais je pense qu'on acquiert quand même les bons gestes si on est dans une bonne école, et que ceux qui nous montrent savent bien les gestes, ont bien suivi les cours. Si les tuteurs suivent bien les gestes des formateurs, si les tuteurs apprennent bien tout ce qu'ils doivent connaître et font les gestes comme on les leur a enseignés, à priori, le tutoré fera moins d'erreurs. Sachant que le tuteur a lui-même été tutoré avant.

5. C : êtes-vous en train de dire que pour être un bon tuteur, il faut avoir été tutoré ?

6.

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F : oui, et qu'il ait des connaissances suffisantes, en plus d'avoir eu lui-même un bon tuteur, en plus de ses formateurs. Et aussi, l'envie d'être pédagogue, sinon, ça se voit en dehors de la pédicurie, en clinique podologique, ça se voit très très bien, sinon, les gens ne montrent pas forcément les gestes, ils ne dialoguent pas, certains ne dialoguent pas forcément avec le patient. Y a pas forcément d'humour, pas de dialogue entre pairs, y a parfois rien.

7. C : ça arrive, ça ?

8. F : oui, oui, ça arrive. Petites tensions, oui. Donc du coup, ça fait faire plein d'erreurs ; je pense qu'il y a des personnes qui n'emmagasinent pas pareil que d'autres.

9. C : vous êtes en train de dire que ça dépend des binômes ?

10. F : ça dépend de celui qui est tuteur, de ce qu'il a envie de partager, comme un prof et ça dépend du tutoré, ce qu'il a envie d'entendre. Ce qu'il est capable d'entendre. Ça dépend aussi de l'ambiance entre les deux, de la convivialité, s'il se passe quelque chose entre les deux. S'il se passe rien... je pense qu'on choisi d'ailleurs les gens avec qui on se met et si on choisi pas, à ce moment là, il se passe toute autre chose ! Pas forcément bien ou mal, mais parfois c'est excellent, d'autre moins.

11. C : donc, pour vous, y aurait-il des avantages à choisir son tuteur, choisir son tutoré, son binôme de travail?

12. F : ici, dans l'institut, globalement on choisit. Ceux qui n'ont pas choisi prennent ce qui reste. Si on choisi la personne avec qui on est, que ce soit un garçon ou une fille, parfois il ya des liens de séduction et s'il y a ce lien, alors la personne va vouloir tout déballé, tout monter, va les faire les choses en grande pompes. Mais elle ne va pas forcément montrer les choses correctement, certains voudront paraître ou pas mais en tout cas, y a du bien comme du moins bien. Mais je pense que c'est intéressant qu'il y ai ce choix possible. On dit « ah, je me mets avec toi », ça créer une émulation. Donc y a la ponctualité qui est importante pour choisir avec qui on va se mettre, et puis quand on sait qu'on va se retrouver ensemble, le même groupe, on décide parfois avant de travailler ensemble. Si on ne choisit pas la personne avec qui on est, alors... déjà ça veut dire qu'on a du attendre que tout le monde soit pris, ça veut dire qu'on vous a pas choisi tout de suite.

13.

126

C : cela veut dire que, en général, les tuteurs sont choisis et que les tutorés choisissent aussi leur tutoré ?

14. F : oui, oui. C'est un facteur de choisir. Un jour, en tant que tuteur, je me suis mis avec un élève qui était un gros fêtard. Je me suis dit qu'il serait peut être pas très bon, et bien j'ai été très surpris car il était très très fort devant les patients. On s'était choisi par affinité au départ mais le bilan était super. Et puis peut être que la personne voulait bien faire, du coup, comme y avait de l'affinité entre nous, moi je le laissais libre dans ses gestes, il pouvait me poser des questions sans problème ; quand je voyais qu'il faisait moins bien, je lui faisais quand même la remarque. Mais je le laissais faire et poser toutes les questions ; ce qui n'est pas forcément le cas quand il n'y a pas cette affinité. Enfin ça dépend avec qui on est. En tout cas, c'est très très important, cette affinité. Alors après ça se fait naturellement, y a pas besoin de nous dire « mettez vous avec qui vous voulez » ;

15. C : ça pourrait être quelque chose qui vous serait imposé ?

16. F : ça serait marrant parce que je pense que l'ambiance dans la salle ne serait pas pareille. Et donc le patient sera différent et s'il n'est pas bien, les binômes qui soignent ne vont pas être bien et du coup ça va se ressentir. Surtout que les patients viennent aussi pour la bonne ambiance.

17. C : êtes vous en train de dire que l'ambiance entre les binômes peut retentir sur le patient qui est soigné mais aussi sur le grand groupe dans la salle de soins ?

18. F : parce que l'intérêt d'être en binômes, c'est de faire une équipe, plus ou moins soudée et du coup, cette équipe là va dialoguer avec le patient ; s'il n'y a pas d'échange entre le binôme, c'est froid entre eux, il n'y aura pas forcément de lien avec le patient. En tout cas, ce ne sera pas un échange à trois, peut être à deux, mais ce sera difficile. Il y aura des gènes, des malaises. Je pense que ce sera très préjudiciable pour les échanges qu'il doit y avoir entre les pairs. Comment apprendre à travailler avec quelqu'un qui par exemple a des aprioris sur nous ? Par exemple, si notre tutoré nous fait comprendre qu'on est nul ou pas intéressant. Alors ça arrive quand on écoute ce qui se passe sur les groupes d'à coté, on est surpris de voir qu'il n'y a pas, parfois, beaucoup d'échanges. Alors quand on écoute comme ça et qu'on voit que nous ça se passe très bien et que les autres non, je pense que le tutoré pour qui ça se passe pas très bien se dit qu'il aurait du être avec une autre personne.

19.

127

C : le fait que les étudiants peuvent choisir leurs binômes, c'est plutôt mieux, d'après vous. Mais les groupes ne sont pas toujours les mêmes, les binômes changent donc. Est-ce une bonne chose ou faudrait-il avoir le même tuteur ou tutoré toute l'année ?

20. F : bah, non, parce qu'on n'apprendrait pas beaucoup de choses si on ne changeait pas de binôme, si on est toujours avec la même personne. Quand la personne a donné toutes ses connaissances, l'autre n'apprend plus alors qu'il pourrait apprendre autre chose avec quelqu'un d'autre. Et puis si on emmagasine des bêtises, non, non, c'est mieux que ce soit hétérogène. On peut se faire son point de vue en voyant d'autre personne fonctionner, jusque dans sa façon de se présenter avec le patient, d'avoir de l'humour, tout cela.

21. C : donc, d'après ce que vous dite, il y a plutôt des avantages à travailler en binômes ?

22. F : par rapport à l'ambiance, oui. Pour le climat de travail aussi. Et pour tous les gestes de soins. Le tuteur montre plus que le formateur les petits gestes de base qu'il faut faire, et le tutoré se dit que c'est ça les gestes de base qu'il doit faire. Aussi par rapport aux connaissances, comme en pharmacologie par exemple, y a des connaissances de base ; on entend toujours les tuteurs dirent à peut près les mêmes choses qui reviennent, donc on comprend quand on est tutoré que les traitements sont souvent les mêmes.

23. C : c'est plus le tuteur qui fait comprendre au tutoré quelles sont les bases, en termes de gestes ou de connaissances utiles au soin ? Plus que le formateur ?

24. F : oui, souvent. Ça veut dire que le tuteur doit avoir de bonnes bases, qu'il en connaisse, pour que le tutoré puisse se débrouiller par exemple quand il est en examen de soin. Même si il ne sait plus bien son cours, il se rappelle ce qu'il a vu et ce que lui a dit son tuteur. C'est toute la connaissance pratique et ça c'est utile.

25. C : est ce que cela veut dire que le tuteur doit faire le point sur ce qu'il pense être essentiel ?

26. F : oui, savoir ce qu'il donne, ne pas donner en trop grosse quantité, mais surtout d'être sur de ce qu'il donne, sur de la pertinence de ce qu'il diffuse comme info. Ça oblige à faire un bilan de là ou on en est, en tant que tuteur. Ça oblige à se remettre en question, sans se prendre trop au sérieux parce que l'autre le sent.

27.

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C : il n'y a pas un risque, justement, de se prendre au sérieux quand on est le plus grand, le tuteur ?

28. F : si, si, il y a la domination de l'ainé. Parfois, c'est fort. Moi, je ne l'est pas connu mais des amis l'ont vécu, et c'était difficile pour eux. Ça créer des tensions certains jours, car quand on sait qui est trop sérieux et prétentieux, personne ne veut plus se mettre avec cette personne. Celui ou celle qui n'avait pas le choix pense alors que c'est comme un soin de perdu parce que l'ambiance est tendue et du coup, même les gestes sont moins bien. Mais bon, ça montre aussi ce qu'il ne faut pas faire, quand on est tutoré, car un jour on devient tuteur, et on se rappelle.

29. C : si on revient sur le fait qu'on vous demande de travailler à deux avec un patient, ça vous ai demandé de quelle façon ?

30. F : de façon très simple. « vous allez devoir travailler en binômes » voila, y a pas plus d'explication. Par contre, « vous serez avec quelqu'un qui est plus expérimenté que vous ». C'est assez simple ce qu'on nous dit, mais c'est assez précis. Y a pas davantage d'explications, mais je ne pense pas qu'il y a pas besoin. Chacun sait à peu près ce qu'il va falloir faire, puis les rôles se jouent naturellement, je pense.

31. C : chacun sait ce qu'il doit faire ? Ce n'est pas explicité par l'organisme, l'institut ? Comment les étudiants peuvent savoir ce qu'il faut faire pour être tuteur ou tutoré ?

32. F : je pense que ça se fait naturellement car chacun se fait sa propre méthodologie de ce que je vais apprendre, comment je vais faire un soin. Et donc quand on devient tuteur, on a envie de dire comment on a construit sa façon de faire, on a envie de l'enseigner et du coup, on le dit naturellement, oui, je pense que c'est normal. Et puis, c'est surement parce qu'on a été tutoré qu'on sait comment faire pour devenir un tuteur.

33. C : mais il pourrait ne pas avoir l'envie de transmettre sa méthodologie, de donner ses conseils ? Pourquoi les tuteurs donnent sans qu'on les oblige ?

34. F : parce que il y a un intérêt. De gagner du temps quand on est à deux, pour ne pas trop en perdre, on donne sa méthodologie au tutoré, on le conseille ; on cherche à fonctionner de façon sincrome, de pouvoir utiliser les machines chacun son tour.

35. C : donc, il y a un intérêt technique ?

36.

129

F : oui, et puis contrôler ce que fait l'autre, pour nous aussi pouvoir l'évaluer, et ça oui, on nous le demande parfois, certains formateurs nous demande de le faire ;

37. C : est-ce intéressant pour le tuteur d'évaluer le tutoré ?

38. F : oui, ça permet toujours de faire un bilan sur soi, « alors oui, il a fait ça alors faut continuer ou bien, c'est bien fait ». On est obligé d'avoir un avis tranché.

39. Silence

40. F : oui, je pense qu'il faut avoir envie de donner, d'oser et il y a plein de facteurs qui font que ce n'est pas donné à tout le monde. Quand on est tuteur, il faut se sentir apte à aider l'autre. Mais il y a le jugement de l'autre qui va regarder ou nous écouter, et ça, ce n'est pas toujours facile. Et si on a un mauvais jugement vis-à-vis de soi, une estime de soi qui est plutôt faible, ça inhibe tout le naturel de la situation, et prendre son rôle de tuteur serait difficile.

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Entretien avec Charlène, étudiante en 3ème année.

- La date de l'entretien : Le 14 février 2012.

- âge : 22 ans

- nombre de frères et soeurs : 1 frère

- métier des parents : mère : assistante de direction/ père : ingénieur

informatique

- formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année

de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : d'une façon générale, que vous apporte le fait d'être tuteur de P1?

2. CH : le fait de transmettre, de savoir qu'on a de l'expérience, ça permet d'avoir un peu d'assurance ; c'est agréable de pouvoir aider, quelqu'un ; moi, je le vis comme ça ; c'est intéressant d'aider la personne, de la conseiller, sans vraiment être intrusif dans son soin, laisser faire la personne mais répondre à ses questions, c'est intéressant ; c'est aussi un peu l'aboutissement des trois années, pouvoir apporter nos connaissances aussi ; moi, je trouve que c'est enrichissant d'être à deux, même si parfois on a envie d'un peu d'indépendance, avoir envie d'être tout seul, car on est serré. En fait on est partagé entre ces deux choses là ; être content de transmettre a l'autre et en même temps, faut que je pense a moi, j'vais sortir ; mais on a été bien content aussi d'avoir été conseillé alors, il faut se mettre à la place de l'autre ; enfin, moi, je trouve que je n'ai pas été très bien, enfin , la promo du dessus n'a pas été très attentionnée envers nous. J'ai trouvé ça dommage, ça m'a manqué, qu'ils nous apportent pas ça ; c'est ça qu'on attend en fait de la part de l'autre, de ceux qui sont au dessus.

3. C : donc, le fait d'avoir « manqué », vous fait accepter aujourd'hui d'être dans cette bivalence, le fait d'avoir envie en 3ème année d'être indépendant pour apprendre le métier et en même temps remplir un rôle d'aide pour les plus jeunes ?

4. CH : oui, c'est ça ; et les conseils qu'on a eu d'un prof, on a trouvé que ça marchait très bien, donc le montrer à la personne (P1), elle va arriver à

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comprendre des choses grâce à ce conseil là ; les profs ne peuvent pas être là tout le temps non plus, donc c'est important.

5. C : donc, ça veut dire que vous, P3, quand vous êtes avec des P1, vous avez l'impression d'être une aide en plus du professeur ?

6. CH : oui, moi je pense comme ça. Après, on n'a pas le rôle non plus du prof, faut rester à sa place, y'a des limites. Faut rester dans le conseil, sans obliger les gens à faire comme nous. Et puis, si on n'est pas sure, moi, je dis, « bah, là, on va montrer au professeur et puis il t'expliquera ou te montrera mieux que moi» ? Quand c'est des gestes plus précis à montrer, par exemple.

7. C : Et si ce sont des gestes que vous connaissez bien, comment vous pouvez vous garantir d'être dans le bon conseil, s'il n'y a pas le professeur qui est là ?

8. CH : ça dépend de la technique dont on a besoin ; ça dépend aussi du moment de l'année en début ou à la fin de l'année ; ça dépend aussi si on a un patient à risque, comme un diabétique, je ne vais pas dire au P1 de dégager dans les sillons, de s'occuper d'une incarnation, incrustation...

9. C : donc, c'est vous qui dite au P1 « tu peux faire ça », l'orienter et lui dire, « ça, tu es capable de la faire » ?

10. CH : oui, mais moi je sens qu'ils (les P1) n'ont pas toujours envie de laisser faire le tuteur ; je sens bien parfois que le P1 n'a pas envie que je touche au soin, et bien je le laisse ; je ne m'impose pas. Après, il faudrait peut être que je m'impose, mais bon, je préfère dans ces cas là que ce soit le prof qui vérifie, ce que je comprends.

11. C : donc, en fait, vous laissez le choix à votre P1 de vous demander de l'aide ou pas, c'est cela ?

12. CH : oui, moi il me demande de l'aide s'il a envie, et autrement, je le laisse, même si moi, j'aurais envie de lui donner un conseil ; je fonctionne comme cela.

13. C : est-ce que c'est confortable de ne pas dire ?

14. CH : non, pas toujours ; mais bon, parfois, faut dire les choses quand même ; quand on a un patient qui présente des risques, c'est aussi notre rôle car nous, on a des réflexes qu'ils (lesP1) n'ont pas encore.

15. C : ça veut dire que parfois vous imposez des choses, même si vous sentez que le P1 ne veut pas trop que vous lui disiez ?

16. CH : oui, parce que je pense qu'on est un peu responsable de ce qu'il fait aussi.

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C : comment cela se fait-il que vous sentiez responsable du P1 qui travaille avec vous ?

18. CH : par l'accumulation des expériences, des connaissances, forcément on a plus d'assurance, ce qui fait qu'on se permet, en fait, de dire les choses. Mais je pense que c'est un plus pour la personne qui reçoit les conseils, après c'est réutilisé, ce qu'on a pu dire.

19. C : est ce que le fait de conseiller, c'est bien vécu, est-ce que globalement, tous les P1 avec qui vous avez travaillé ont accepté votre rôle de tuteur ?

20. CH : ah oui, parfois on sent un peu d'agacement, en fait, on entend, « moi j'ai mes impressions, toi tu as les tiennes », ça, ce que les P1 peuvent dire et, oui, j'ai vu que les P2 acceptent encore moins bien quand on est avec eux ; ils sont un peu plus réticents, ils aiment moins qu'on leur donne des conseils.

21. C : vous pensez que les P1 acceptent mieux que les P2 d'être conseillé par vous ?

22. CH : oui, les P1 sont plus en demande, les P2, faut plus s'imposer pour dire alors que les P1, ils demandent, même ils viennent, ils posent des questions,

23. C : vous êtes vous retrouvé dans une situation où un P1 n'accepte pas que vous lui donniez des conseils ?

24. CH : non, ça ne s'est jamais passé comme ça ; Non, moi, ça s'est toujours bien passé.

25. C : ça dépend que quoi pour vous, que ça se passe bien ?

26. CH : dans les deux cas, faut pas, quand on est tuteur, faut pas non plus en faire trop parce que, enfin, faut pas dépasser ses limites, et étant tutoré, faut accepter d'être au début et c'est normal de recevoir, comme nous par rapport aux professeurs ; on attend qu'une chose, c'est qu'on nous donne des expériences, je pense que c'est pareil. Et après, ce sont des relations entre collègues.

27. C : est-ce qu'on accepte de la même façon les conseils d'un autre étudiant, de la même façon qu'on l'accepte d'un professeur ?

28. CH : je ne pense pas. Y'a toujours une notion, je ne sais pas si c'est une question de crédibilité ou le statut qui fait que ; mais non, ce n'est pas la même chose, même si je pense que ça peut être tout autant pertinent, le statut fait que. Même si je me souviens, quand j'étais en P1 et qu'il y avait les P3, je ne sais pas, y'a une notion de respect du fait que le P3 a des connaissances, ce sont nos ainés, quoi (rire) !

29.

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C : vous respectiez d'une façon général tous les P3, ou bien y-avait-il des critères qui permettaient d'accepter plus facilement de certains P 3 leurs conseils, leurs réflexions ?

30. CH : oui, y'a des caractères qui font que les gens vont être plus ou moins à l'aise. Y'a des gens qui ont plus ou moins envie de transmettre aussi, y-en a qui n'ont pas forcément envie, oui.

31. C : est ce que cette envie ou pas de transmettre quand on est P3 peut faire que le P1 respecte l'autre différemment ?

32. CH : oui, c'est important cette relation même si, je pense qu'un P1 qui a eu un soin avec un P3 qui lui a donné des conseils, avec qui il a discuté, et tout ça, il va en ressortir quelque chose de positif.

33. C : Quand vous êtes en 1ère année, on vous demande de vous asseoir à coté d'un P3 ; est-ce qu'il y-a une attente systématique de votre part, même si ça n'est pas dit, expliqué par les profs ?

34. CH : oui, moi je me souviens que je n'osais pas forcément poser des questions aux P3, y avait des choses que je ne savais pas faire mais je n'osais pas poser la question.

35. C : est ce que vous osiez la poser aux profs ?

36. CH : oui, la par contre, oui.

37. C : et vous aviez analysé un peu pourquoi vous n'aviez pas demandé aux P3 ?

38. CH : oui, parce que le prof, il a sa place, son devoir entre guillemets d'enseigner, de transmettre, tout ça, alors que le P3, s'il n'a pas forcément envie de nous aider, on n'ose pas lui demander ; j'étais intimidé, je pense.

39. C : plus intimidé par l'étudiant que par le prof ?

40. CH : oui, et là, ça se fait encore ; je le sens entre les P1 et Les P3, que certains n'osent pas me demander, la, cette année que je suis P3.

41. C : et vous vivez cela comment ?

42. CH : moi, ça m'étonne parce que je ne suis pas quelqu'un qui ne communique pas, je communique plutôt facilement avec les gens ; mais oui, je pense qu'il y a ce statut de 1ère année, 3ème année, c'est dans des cases...

43. C : y a des moyens de sortir des « cases » ?

44. CH : oui, moi, généralement, je pose des questions aux P1, j'essaye de mettre une dynamique, en parlant aussi au patient, de demander au P1 « est ce que tu te sens à l'aise maintenant, est ce que tu sens que t'as progressé, est ce que t'as

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peur de couper », des choses comme ça. Pour mettre à l'aise, je pense, c'est ça qu'est important. Parce que si on est à l'aise, après y-aura plus d'échanges. Parce que si le soin commence et qu'on ne se parle pas ... et puis, j'aime bien aussi quand les deux personnes se parlent, le binôme parle au patient ; c'est pas qu'une seule personne qui parle. Faut de l'échange, en fait.

45. C : est ce que, si c'était dit plus clairement que le P3 doit vous aider, en plus de faire aussi un soin, est ce que ça changerait les choses ?

46. CH : oui, je pense, dire aux P3 que aider c'est intéressant, « montrer lui les techniques que vous utilisez, conseillez le, donner lui des astuces », oui, ce serait bien de le dire. Ce serait plus facile pour le P1 après de poser des questions aux P3, d'oser, quoi.

47. C : alors, pour vous, que faut-il en fait pour être tuteur ?

48. CH : Faut être accessible, dans son caractère, faut mettre la personne en confiance, montrer qu'on a envie de partager mais sans juger, pas être moralisateur. Parce que nous, on peut pas ; le professeur peut, dire « ça c'est pas bien », nous, on peut pas. Je pense, le tuteur, il ne juge pas, il oriente, il aide, mais il ne juge pas le travail. Moi, j'vais pas dire « ça c'est pas bien », j'vais dire plutôt « tiens, si t'essayes comme ça ce sera plus facile » ou « là, tu risques de blesser »...

49. C : donc, vous estimez que ce n'est pas votre rôle de dire si c'est bien ou pas ?

50. CH : non, je ne pense pas, c'est vraiment le conseil, sans jugement de valeur.

51. C : ça vous est arrivé quand vous étiez P1 qu'on juge votre travail ?

52. CH : euh, non, je ne pense pas. Plus être frustrée de pas pouvoir faire des choses. Par exemple, en fin d'année ; j'avais eu un ongle incrusté, et le P2 avec qui j'étais avait dit que ça devait être lui qui allait faire les deux pieds ; et moi, ça m'avait vexée (rire)...je me disais, « mais moi, j'ai envie de faire ; si je le fais pas, j'arriverais jamais ; pourquoi je n'ai pas le droit de le faire » ; et là, je me suis dit, mais il est en intrusion !

53. C : est ce que cette expérience vous sert maintenant que vous êtes P3 ?

54. CH : oui, c'est pour ça que maintenant, si je sens que le P1 n'a pas envie que j'intervienne, je le laisse ; je comprends qu'il a envie d'essayer, faut pas le frustrer.

55. C : encore, une question : de quelle façon vous demande-t-on de travailler en binôme ? comment vous percevez cela ?

56.

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CH : le fait qu'il y a souvent des P1 et des P3 ensemble, c'est aussi une sécurité entre guillemets, parce que, on connaît les règles d'hygiène, on sait comment ça se passe, avec un patient. Maintenant je me rends compte qu'on a un rôle, si on est avec les P1, c'est pas pour rien ; on a vraiment un rôle qui faut pas négliger en fait.

57. C : et avoir ce rôle, que quelle façon on vous l'a demandé ? Quand vous arrivez en 3ème année, qu'est-ce qu'on vous dit ?

58. CH : on nous demande pas trop, en fait ; et je pense qu'il faudrait qu'il y ai un petit topo en disant « bah, voilà, vous êtes avec des P1, vous êtes en binôme, et votre rôle, c'est pas une démonstration, c'est plus une collaboration » ; oui, c'est pas dit... Alors après, c'est au bon vouloir de chacun ; celui qui a envie d'aider son voisin, il l'aide, sinon, il peut très bien faire son soin tout seul...

59. C : ça arrive, ça ?

60. CH : oui.

61. C : donc, quand vous arrivez dans la salle de soin, les professeurs ne vous disent rien sur votre organisation à deux ?

62. CH : bah non, on nous dit rien, on s'installe, on a nos petites habitudes. Pareil, y-a toute la cérémonie de la mise en place des plateaux ; si le P3 dit pas « y a ça à faire », et bien... moi, je me rappelle, la première fois, personne m'expliquait, alors je regardais où on prenait les choses ; alors que moi, la première fois que j'ai eu un P1, je lui ai dit « voilà, tu prends un plateau, faut le nettoyer, là, tu prends des gants » ; et puis après, une fois que c'est enregistré, c'est bon ; ça, c'est un exemple.

63. C : pourquoi, du coup, les P3 s'installent pas entre P3 dans la salle ? en vous observant, j'ai eu l'impression qu'à chaque fois, un P3 s'installait avec un P1 ; je me trompe ?

64. CH : non, c'est vrai ; en fait, ça va de soi ; même quand y a des P2, c'est marrant, y a des P2 qui se mettent ensemble mais, nous, on se met toujours avec un P1 ; on se met ensemble que quand il manque des patients. C'est comme ça.

65. C : Alors, pourquoi l'étudiant donne-t-il des conseils, des explications si c'est pas demandé par l'institut ? ou comment cela se fait-il qu'il donne des conseils ?

66.

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CH : comme quoi, ça doit être un peu dans les..., pas les réflexes, mais des ..., je ne sais pas comment dire... c'est vrai, on se dit « j'ai des connaissances, donc j'ai ce devoir là, j'ai cette chance de pouvoir transmettre, en fait, à quelqu'un qui va faire la même formation ». être le tuteur, c'est presqu'un devoir... Mais c'est marrant parce que même quelqu'un qui n'y connaît rien à la podologie, on a envie de lui expliquer des choses ; on sait que quand on est face à quelqu'un qui est intéressé, on a envie de transmettre.

67. C : comment ça se fait que vous avez envie ?

68. CH : moi, je dirais que c'est avoir de la pédagogie. Et ça, les prof en ont, ou doivent en avoir. Je trouve que c'est très important.

69. C : et vous, pourquoi avez-vous envie de transmettre, de parler de votre futur métier ?

70. CH : (hésitation) bah, c'est peut être avoir une reconnaissance, en fait. Se prouver quelque chose à soi-même, montrer qu'on est compétent ; c'est aussi se valoriser soi ; y-a une part de partage mais aussi une part d'égoïsme, je pense. Oui, c'est agréable de sentir qu'on a des compétences, qu'on peut expliquer ça à d'autres. En les aidants, on se fait du bien ! (rire)

71. C : est-ce que, quand vous travaillez à deux, les relations entre vous peuvent-elles être différentes, et si oui, est-ce que ça peut modifier votre travail autour du soin ?

72. CH : oui, le fait d'être à l'aise, de sentir que l'étudiant qui est supérieur ne juge pas mais qu'il est là pour aider, mine de rien, ça met à l'aise et ça compte pour le soin parce que c'est quand même des gestes précis. Donc, le fait d'être en confiance, c'est très important. Quand on est en P1, on a envie d'être en confiance, on sait pas trop ce qu'il faut faire, on a peur aussi de ne pas bien faire et de blesser, par exemple.

73. C : donc, vous me dites que si les gens sont en confiance, les gestes techniques de soin vont être plus précis, moins risqués ?

74. CH : oui, je pense. C'est marrant, je trouve, parce que, par exemple, quand on va à l'hôpital (faire des soins aux personnes hospitalisées), et qu'on nous dit, « mettez vous à deux pour soigner un patient », on est content.

75. C : pourquoi ? Comment ça se fait que vous êtes content ?

76. CH : c'est un soutien d'être avec l'autre. Même ici, à l'institut, on est dans notre petit cocon, et pour un P1, c'est ça qui est bien ; on se sent en sécurité.

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Au moins au début, c'est bien de sentir qu'on n'est pas tout seul, qu'on peut nous aider. Après, on a envie de progresser aussi. Oui, je pense qu'il y a deux choses, parfois, on est content de travailler à deux, et puis des fois, on a envie de travailler tout seul. Pour voir qu'on a progressé soi même, voilà, j'ai fais mon pied tout seul, on n'y a pas retouché, ça veut dire que je sais faire, mieux qu'avant.

77. C : être seul à travailler, ça permet d'être plus sûre de soi ?

78. CH : oui, c'est important de pouvoir sentir ça.

79. C : et quand vous êtes à deux, vous sentez moins cela ?

80. CH : non, pas forcément. Quand on est en P3, on attend moins du binôme. Ce qu'il nous apporte (le P1) c'est le fait de lui apprendre quelque chose, mais en échange, il « nous prend un pied », quoi ! (rire) au lieu, nous d'avoir les deux pieds, on doit partager.

81. C : alors, est ce que c'est plaisant en fait d'être à deux à travailler sur un patient ?

82. CH : C'est ambivalent ; y-a vraiment deux choses : y-a aussi le caractère, aimer partager, être accessible, c'est important, je pense.

83. C : et si on vous donnait le choix, pensez-vous qu'il serait mieux d'être tuteur de P1 quand on est P2, ou quand on est P3 ?

84. CH : je pense qu'en 3ème année, c'est plus adapté d'être tuteur. C'est un aboutissement, on est en fin de cursus, on a plus d'expérience que les P2, des cours en plus, donc des connaissances en plus, la clinique aussi (sous-entendu, la maitrise de l'examen clinique, autre technique de prise en charge de patients par des bilans posturaux qui débouchent sur d'éventuelles confection de semelles orthopédiques), ça fait penser autrement, on a d'autres méthodes de réflexion. Oui, je pense que vraiment, si c'est des 3ème années, c'est pas pour rien. Moi, je trouve ça bien qu'on a aménagé d'être tout seul une fois par semaine quand on est en P3, mais c'est bien d'être à deux aussi ; surtout au début, quand on arrive en P3. On sent bien qu'on est les plus grand, on a plus l'habitude, on a nos repères, ça fait longtemps qu'on est là, donc ...

85. C : on pourrait dire que ça fait du bien d'être »grand » ?

86. CH : (rires) oui, c'est ça ! C'est marrant, ça se fait naturellement, je pense que c'est dans la nature humaine de se dire, ça, c'est mon territoire, « moi, je suis là depuis plus longtemps que toi », même si ce n'est pas négatif, ce sentiment ;

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moi, j'ai mes marques. Donc, y-a quand même un rapport comme ça ; mais bon, moi, j'attendrais de quelqu'un qui serait au dessus de moi qu'il se met à ma hauteur, dans ses paroles, dans son ouverture... parce que c'est facile de regarder les gens d'en haut ! y-aura toujours quelqu'un au dessus ; enfin, moi, je n'aime pas les gens qui prennent les autres de haut ; L'échange, j'aime bien, moi. Le fait d'être en binôme avec quelqu'un, je n'ai jamais trouvé ça contraignant. Juste quand même le stress après de se retrouver tout seul en cabinet et devoir faire les deux pieds ! (rire)

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Entretien avec Helena, étudiante en 3ème année.

- La date de l'entretien : Le 16 février 2012.

- Age : 22 ans

- Le nombre de frères et soeurs : un frère, une soeur.

- Le métier des parents : mère : professeur d'anglais/ père : chef de district

ERDF

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une

année de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : que vous apporte le fait d'être tutoré ?

2. H : c'est assez intéressant car ça nous oblige à nous renseigner plus, à s'appliquer, à savoir ; on est obliger de se creuser les méninges pour pas être ridicule à coté de l'autre, et puis à coté, on aime bien aider ; moi, j'aime bien donner des conseils, tout ce que les formateurs peuvent nous dire, comme des petites astuces, c'est bien de les partager, donc c'est pour ça que c'est intéressant d'être à deux. Ce que j'aime bien, c'est que quand ils repartent (les P1), ils retiennent quelque chose de leur pratique.

3. C : vous dites que vous aimez bien cette relation, aider un plus jeune à faire un soin ?

4. H : oui, et puis aussi le laisser tout seul par moment, le pousser à nous demander, parce qu'ils n'arrivent pas forcément, ils peinent un peu donc on les laisse aller jusqu'au bout, se débrouiller, et après on intervient et on leur dit ce qui va pas (rires) et ce qui est bien surtout. Y a un petit échange quand même ; c'est bien pour nous et c'est bien pour eux, je pense... (silence)

5. C : quand vous dites bien, pour vous, ça veut dire que ça vous oblige à quelque chose ?

6. H : oui, ça oblige à revoir tout ce qu'on sait et puis même, ils posent des questions toutes bêtes auxquelles on n'a pas forcément pensé, et on se dit « mince, ça je ne sais pas forcément » donc on cherche ou alors on demande aux formateurs et dans ce cas là, on apprend des choses.

7. C : et pour les P1, à quoi pensez-vous que cette situation puisse leur servir ?

8.

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H : c'est dans les techniques, comment on fait pour aller plus vite, pour être plus efficace, quel instrument on prend, c'est vraiment dans cela. Et puis, même, dans le discours avec le patient. Moi, je me rappelle quand j'étais en 1ère année, j'étais très observatrice, comment ils font, et puis on apprend vite, et on prend la main après.

9. C : donc, ça veut dire que dans la discussion avec le patient, c'est plus le P3 qui parle ?

10. H : au début, oui, mais maintenant, je vois que les P1 sont quasiment aussi à l'aise que nous, alors c'est devenu ...normal.

11. C : c'est davantage les P3 qui montrent comment on parle avec le patient que les profs en salle ?

12. H : Bah oui, largement, parce que c'est nous qui l'accueillons, c'est nous qui lui parlons pendant le soin, c'est nous qui lui donnons des conseils même si, le formateur arrive et il complète, mais on l'a du début à la fin, donc oui, c'est plus les P3 qui montrent ça.

13. C : montrer quel instruments qu'il faut utiliser, comment s'en servir, vous pensez que c'est vous qui leur expliquez le plus ?

14. H : oui, mais en fait, c'est plus eux qui observent que nous qui leur disons, parce qu'on chacun notre technique et c'est à eux de trouver, pour eux, quelle est la bonne. Après, y a le formateur qui peut passer et qui peut rectifier certaines choses. C'est vrai, qu'eux, ils sont plus observateurs, nous, ça va être des conseils mais on ne donne pas d'ordre.

15. C : ça ne se fait pas de dire à un P1 « fait comme ça, c'est mieux » ?

16. H : non. C'est toujours une proposition à faire comme ça pour voir s'il n'est pas plus à l'aise parce que je sais qu'on a chacun notre technique. Et puis, c'est à eux de chercher aussi (rire), ça vient comme ça ; c'est à force de faire qu'on doit trouver tout seul parce que si on met tout sur un tapis, c'est trop facile. Je pense que si on trouve tout seul, on a plus de facilité après quand on utilise des instruments, par exemple. Après, c'est des petits détails qu'on règle.

17. C : donc, vous pensez que c'est mieux pour eux qu'on ne leur donne pas tout, et qu'ils doivent trouver tout seul ?

18. H : oui, c'est comme ça qu'on apprend le mieux. (silence)

19. C : voyez-vous autre chose qui vous satisfasse dans votre rôle de tuteur ?

20.

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H : quand on arrive en fin d'année, on aimerait que ça aille plus vite (rire), on les presse un peu, parce que nous des fois on pense au diplôme, donc c'est vrai qu'on n'aimerait bien pas faire un patient en deux heures, mais plus de le faire en une heure. Oui, ça c'est le gros point noir, mais sinon, on voit la différence entre le début de l'année et maintenant, ils vont plus vite, donc c'est moins gênant.

21. C : si vous aviez le choix, en P3, vous travaillerez tout seul tout le temps, ou parfois en binôme comme en ce moment ?

22. H : moi, je dirais les deux. Je commencerais par des stages en binômes et puis après tout seul parce qu'on a appris des choses et il faut qu'on les mette en pratique, et si on est à deux, on va s'appuyer sur l'autre et on aura moins de pression, donc ça va pas être forcement très efficace. Je vois les P1, on les a formés, maintenant, si on les met tout seul, ils vont avoir plus de pression, donc ils vont aller plus vite. Comme nous, quand on est tout seul, on est plus rapide, plus attentif. Et puis, revenir après leur soins, pour fignoler, et puis, ils auront sûrement d'autres questions parce qu'ils se sont retrouvés tout seul. C'est bien qu'ils nous posent des questions.

23. C : donc, c'est les plus jeunes qui doivent vous poser des questions ?

24. H : oui, c'est eux qui doivent montrer aussi qu'ils ont envie de savoir plus. Moi, je leur donne des conseils mais après, c'est eux qui me posent des questions. Faut qu'ils montrent qu'ils sont intéressés. Parce que, de toute façon, si on dit plein de choses à quelqu'un qui n'est pas intéressé, il ne va pas retenir, alors... Et puis, certains, les premières informations, ça leur suffit, ils verront par la suite. Donc, faut laisser du temps, aussi.

25. C : de quelle façon vous demande-t-on de travailler en binôme ?

26. H : c'est plutôt automatique ; oui, pour les soins, c'est automatique. Depuis qu'on est arrivé, on nous a dit « vous vous mettez avec un plus grand que vous », donc, quand on est plus grand, on se met avec un plus petit (rire), et puis, voilà. On garde ce pli mais ça reste normal. Après, ça parait normal parce que si on mettait deux P1 ensemble, ça prendrait trop de temps pour soigner quelqu'un, donc ce ne serait pas une bonne idée (rire).

27. C : vous pensez que c'est l'unique raison ou il pourrait en avoir d'autres ?

28. H : après ça paraît normal. Moi, je ne me voyais pas toute seule avec un autre P1 à soigner un patient quand moi j'y étais, surtout en début d'année, parce que

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il y a plein de choses qu'on ne sait pas faire, on a plein d'interrogations. Et puis on apprend à connaître les personnes (les P3) parce qu'on les voit pas forcément en journée, donc, y a que là qu'on se voit vraiment.

29. C : comment se passe ces temps de binômes ? Comment cela s'organise ? Ce sont les P3 qui disent aux P1 comment les choses vont se dérouler ?

30. H : non. Moi, je m'installe, mes instruments, mon plateau, et c'est la personne d'à coté qui, soit, va regarder ce que je fais et va faire pareil, soit elle va faire sa technique et je la laisse faire. Sauf si je pense que ce n'est pas bien, là, je lui dis. Mais sinon, je la laisse faire comme elle veut.

31. C : alors, pour vous, qu'est-ce qu'un « bon » tuteur ? les conditions nécessaires ?

32. H : c'est être à la portée, c'est toujours avoir une petite oreille qui traine pour les petits conseils. C'est observer aussi, parce que, on peut tomber sur quelqu'un qui parle pas du tout, et voir si c'est bien, s'il se débrouille, et puis, il faut installer une confiance, une ambiance sereine, tranquille ; et puis, booster à la fin parce qu'on est toujours en retard, mais bon, commencer tranquille et après, on accélère. Mais, ça dépend des gens, s'ils sont stressé, je vais regarder un peu plus comment ils font, sinon, si je vois qu'ils sont sereins, je fais mon pied, et je les laisse faire, mais je suis attentive s'ils ont besoin de moi.

33. C : y-a-t-il des différences entre les binômes, alors ?

34. H : ah oui, y a des différences. Y en a qui ont compris le geste dès le début, d'autres un peu moins ; y a aussi faire deux choses en même temps, parler et travailler (rire), y a la rapidité aussi qu'est pas la même. Y en a qui se débrouille bien, d'autres moins.

35. C : choisissez-vous votre binôme lors de vos stages ?

36. H : non, généralement, moi je pose ma mallette là où il y a de la place, et puis après, je demande qui est tout seul et ça se fait. Mais bon, personne choisi vraiment, ça peut changer au dernier moment, s'il manque des patient par exemple. Moi, je ne suis jamais tombé avec les même P1.

37. C : c'est quelque chose d'agréable de changer de binôme ?

38. H : c'est mieux, parce que si on se met avec les même personnes, y a déjà une confiance, il manque quelque chose, comment dire... ça permet au P1 d'apprendre à aller de l'avant, de demander, de pas avoir peur, et puis ça

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permet au P1 d'avoir plusieurs avis. Et puis nous, ça change de discussion. Ça aide à connaître aussi la promotion. Ça nous force à parler avec tout le monde, et après, c'est plus plaisant, on peut plus rigoler ensemble (rire).

39. C : est ce que les relations entre binôme influence le travail autour du soin ?

40. H : pas forcément. Après un binôme qui s'entend trop bien, pour certaines choses, ça va être plus poussé car le P1 ne va pas hésiter à demander et son soin ne va pas être trop repris après. Mais quand il n'y a aucune discussion dans le binôme, on est peut être plus concentré et peut être plus efficace aussi. Dès fois, ça fait du bien de se faire plus confiance et dire « j'y vais et on verra après », c'est comme si on était seul. C'est vrai que quand on est première année, c'est plus délicat parce qu'on sait jamais trop les limites. Ça permet d'apprendre quand le formateur reprend le soin, « la prochaine fois, je ferais mieux ». Y-a du bon dans toutes les situations, même si c'est mieux quand les gens s'entendent bien, surtout pour le patient. Pour lui, c'est mieux d'avoir deux personnes qui ont le sourire, qui s'entendent bien, qui parlent. Après, un binôme qui s'entend super bien et qui parle entre eux, sans parler au patient, c'est autre chose (rire).

41. C : et d'un point de vue technique pure, vous pensez que ça change quelque chose ?

42. H : non, pas forcément.

43. C : ça vous est arrivé de vous retrouvé avec quelqu'un avec qui ça fonctionnait mal ?

44. H : avec quelqu'un avec qui je ne parlais pas, oui, ça m'est arrivé, en P3. Et bien, je fais mon soin, je suis concentrée, je parle un peu avec le patient et puis après, je regarde quand même l'autre pied, c'est ... parce que quand le formateur arrive, c'est le P3 qu'on regarde. S'il y a vraiment rien de fait du coté du P1, c'est qu'il y a un souci. On a quand même un travail, pour moi, je dois vérifier que le soin du P1 soit correct avant d'appeler le formateur, sinon, le formateur, il va grogner.

45. C : ça, c'est quelque chose qu'on vous demande, de vérifier à la fin le soin de votre binôme, en tant que P3 ?

46. H : (rire) non, on nous le demande pas, mais bon, on le fait. Bon, déjà, le P1 préfère quand c'est le P3 qui regarde pour voir s'il n'y a pas de grosses erreurs.

47. C : pourquoi est-ce qu'il préfère ?

48.

144

H : (rire) parce qu'il peut modifier juste avant, et puis c'est bien de ne pas être repris, ça fait plaisir. Et puis, si nous on peut donner des conseils, il a 5 minutes pour modifier un peu et puis comme ça, y a moins de choses à reprendre pour le formateur.

49. C : vous faites cela pour alléger le travail des profs ?

50. H : (rire) oui, mais bon, s'il y a moins de choses à reprendre, plus on est rassuré sur ce qu'on sait faire ; on se dit qu'on commence à avoir la main, donc on a plus confiance et après, on va plus vite ; Et puis, si le P1 n'a rien a retoucher, et bien , on lui fait le compliment ; moi, je lui dit « c'est bien », et si le formateur le félicite après, ça fait plaisir. Après, que ce soit moi ou le formateur qui finissons le pied, ça montre au P1 que nous aussi, on sait faire. C'est rassurant pour nous.

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Entretien avec Baptiste, étudiant en 3ème année.

- La date de l'entretien : Le 16 février 2012.

- âge : 22 ans

- nombre de frères et soeurs : un frère, une soeur

- métier des parents : mère : contrôleuse de gestion téléphonique/ père :

technicien chez Orange

- formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année

de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : que vous apporte le fait d'être tuteur?

2. B : moi, je pense que ça apporte de la rigueur, parce qu'on est obligé un minimum d'être sûr de savoir de quoi on parle, parce que la personne pose des questions et on est censé savoir répondre. Donc, c'est avoir de la rigueur dans les connaissances, dans l'approche avec le patient, presqu'aussi de la confiance parce que quelqu'un qui nous regarde avec des yeux plus novices, plus ceux qui sont en demande de connaissances, qui nous regardent en ce disant « toi, tu connais plus ». Donc, forcément, ça donne de la confiance, je pense.

3. C : ça oblige donc à être plus rigoureux ?

4. B : oui, sur les connaissances, sur les techniques, et aussi avec le patient, même si, ce n'est pas de la flatterie, mais de la crédibilité par rapport au patient aussi, parce qu'il sent que, moi, je suis dans la position de celui qui apprend à l'autre. Donc, forcément, le patient me regarde avec plus de crédibilité que l'autre.

5. C : vous êtes celui qui sait ?

6. B : oui, voilà, c'est ça.

7. C : confiance ? rigueur et reconnaissance du patient, crédibilité, tout cela est lié ?

8. B : oui, tout cela participe au fait, qu'en P3, on se sent plus fort. Alors que s'il n'y avait pas ça, si on était tout seul, ce serait différent. Tout seul, il faut que tu montres que tu es crédible ; là, d'emblée, sans que tu fasses rien, on te montre que, oui, tu es plus crédible, donc c'est dans ce sens là, la confiance. Ça, c'est confortable. (silence)

9. C : de quelle façon vous demande-t-on de travailler en binôme ?

10.

146

B : ce que j'en ai perçu, c'est que, on nous dit pas, on nous dit rien, en fait ; on nous dit, quand on est en P1, « vous allez être avec des étudiants de 2 ou 3ème année, vous regardez comment ils font, si vous avez des questions, vous leurs demandez, et puis s'ils ne savent pas vous répondre, vous demandez aux formateurs ». Ensuite, en tant que tuteur, on ne nous dit rien ! Je pense que ce sont les tuteurs d'avant qui nous montrent comment on fait avec les autres, et je pense aussi que c'est la façon dont on a ressenti la chose, quand nous, on était tutoré, qui fait aussi qu'on change. Y des choses qui m'ont pas plu, donc, je me suis dit, « moi, je ne fais pas comme ça « et puis d'autres choses qui m'ont plus, donc ça c'était bien » et ça, ça m'a aidé à grandir dans l'apprentissage et je me dis, « ça faut le faire, en tant que tuteur ». Donc, c'est plus (davantage) comme ça ; personne, ni les formateurs, ni le directeur, nous a dit « faites comme ça ». Après je pense que si vraiment un formateur voit quelque chose qu'il ne trouve pas normal, va aller le dire, « non, faut pas faire comme ça ». Mais sinon, c'est vrai que c'est assez autonome et... c'est pas plus mal, je trouve...

11. C : pourquoi ce n'est pas plus mal ?

12. B : parce que sinon, on serait bridé, on se dirait, « ah, non, ça, faut pas que je dise ça, que je fasse ça ». Là, c'est comme on le sent, et moi, « j'ai envie de te dire ça, donc je te le dis » et je pense qu'on partage plus l'expérience parce qu'on n'est pas à se dire « ah, on m'a dit de faire ça et ça... », mais plus, on pense, comme je vous l'ai dit avant, on a vu ce que les autres nous disaient, et ça on a aimé, ou ça, non, donc je fais autrement. Donc, moi je fais à ma manière, quoi ! Et, soit ça plait, soit ça plait pas ; bon, on fait en sorte que ça plaise, parce que le but c'est quand même que ... moi, je me dis « j'ai pas aimé ça », ou certains regards qu'on a porté sur moi. Moi, j'ai envie de montrer que « faut être cool, faut être sympa, faut aider ». On est là pour vraiment aider, quoi ! Donc, je trouve que c'est plus intéressant de faire genre « faites comme vous voulez » et au moins, y-a tout, pas de restriction.

13. C : est-ce que ça sous entend que aider, ou être aider, c'est normal ?

14. B : pour moi, oui. Surement pas pour tout le monde mais, oui, pour moi c'est normal. Et puis, à l'institut, je pense que c'est le but, c'est complètement le but. Un formateur ne peut pas faire ce que le tuteur fait. Parce que lui, il est dedans, il sait, il va avoir un jugement plus objectif que le formateur et que s'il

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y a des défauts dans l'apprentissage, et bien l'étudiant tuteur va le voir parfois plus et pouvoir le dire. Par exemple, il va dire « quand tu vas être examiné par

tel formateur, faut pas dire ça ; ça l'énerve », alors qu'un formateur ne peut pas dire ça ! ce n'est pas possible alors que le tuteur, il peut dire ça. Après, nous, on prend ce qu'il nous semble être bon, bien ; on fait à notre sauce et puis, on se dit, « moi, en cabinet, tout seul, je serais comme ça, mais, là faut pas le faire parce que ... c'est comme ça, ici ».

15. C : c'est presque rappeler les règles aux P1 pour que ça se passe bien ?

16. B : oui, je pense. Et toujours dans l'intérêt pour que ça se passe bien. C'est dire « moi, y a eu des couacs là-dessus, donc fais gaffe».

17. C : est ce que cela se passe avec tout les P1 ou bien cela dépend des personnes ?

18. B : non, moi ça ne dépend pas des gens avec qui je suis. Y a forcément du contact donc y a des gens avec qui on va super bien s'entendre ; donc, on va

beaucoup plus être à l'écoute de la personne et des gens avec qui ça va moins

bien se passer. Mais bon, c'est comme un formateur, on ne peut pas toujours
être impartial, ce n'est pas vrai ; c'est de l'humain, donc forcément y a des

changements entre quelqu'un que je vais beaucoup apprécier et même quelqu'un que je ne vais pas apprécier, il y aura forcément des différences mais ... ce qui change aussi, c'est peut être comment la personne prend les conseils. Moi, je montre que c'est bienveillant que ce n'est pas pour « casser », mais y a certainement des gens aussi, on voit bien qu'ils n'aiment pas les réflexions alors on leur dira un ou deux conseils et après on se dit, « bon, ça sert à rien ». Moi, j'ai envie de le faire de la même façon pour tout le monde mais forcément, je ne le fais pas de la même façon, mais j'essaye de le faire.

19. C : donc, votre relation va dépendre de la façon dont vous percevez comment vos conseils sont reçus ?

20. B : oui. Forcément, ça, ça joue.

21. C : de quelle façon donnez-vous des conseils, des explications aux P1 ?

22. B : Moi, je lui dis directement, dès le départ, « ça va, t'as pas de problème ? ». Ou bien, je ne sais pas, par exemple, je vois un soin qui va être compliqué, je

vais lui demander « tu en as déjà fait » : donc, si c'est oui, bon « t'as pas besoin », et puis suivant la réponse, « si jamais tu as besoin, tu demandes ; de toute façon, avant d'appeler le formateur, quand moi j'aurais fini, je

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regarderais » et puis voilà. Mais bon, oui, je suis dans la position de celui qui sait mais je ne sais pas tout parce que je suis étudiant, donc moi, je dis, « je te regarderais mais je n'ai pas la science infuse donc je vais dire ce que moi, j'en pense mais si cela se trouve, le formateur, il va te dire autre chose.

23. C : est ce que ça sous entend que vous avez un rôle d'apprenant ?

24. B : oui, c'est un peu le pré jugement qu'on fait en tant que P3. Si mon jugement à moi est bon, logiquement, ça devrait bien se passer, ou pas trop

mal. Mais de toute façon, moi, généralement, si je vois qu'il y a quelque chose de pas bien fait, je ne vais pas dire « bah, appelle le formateur », j'vais dire « non, non, l'appelle pas ».

25. C : pourquoi faites vous ça ?

26. B : Parce que, en fait, c'est moi qui est responsable.

27. C : et pourtant, ce n'est pas dit, ça, par l'institut ?

28. B: non, ce n'est pas dit mais c'est implicite, je pense. Et puis on voit bien que , enfin, surement que ça a dû arriver, que j'appelle le formateur et que le soin

n'était pas bien fait et que le formateur s'est tourné vers moi, l'air de dire « bah, alors, vous n'avez pas regardé ce qu'il a fait, le P1 ? », oui, çà a du arriver, donc, j'ai du me dire les fois d'après « ah oui, oui, oui, faut que je regarde avant », oui.

29. C : donc, la réussite de la confection du soin dépend de vous ? Vous vous en sentez responsable, même si vous êtes deux à travailler ?

30. B : c'est vrai, et pourtant, je ne crois pas l'avoir entendu de la bouche d'un formateur, « vous êtes responsable » mais au final, c'est implicite que celui qui

est le tuteur qui est responsable. Et je pense que c'est normal aussi compte tenu du statut de celui qui est plus crédible, comme je disais tout à l'heure, donc c'est lui qui est responsable. On peut pas avoir le statut du plus crédible et dire

« ce n'est pas de ma faute », c'est forcément ... si on assume le statut de « je suis plus crédible », à coté de ça, faut...assurer aussi vis-à-vis du patient qui est

là, mais aussi vis-à-vis de formateur. Mais, du coté du patient, on entend aussi

« ah, ça se sent que vous êtes en 3ème année, le geste est plus sûr », moi, je vais dire « oui, et c'est normal », mais si, à coté, le formateur vient derrière et dit

« c'est nul », ça coince, là. Ça veut dire, oui, je suis plus sûr de moi, mais je suis nul. Donc, non, faut être logique et s'appliquer pour être vraiment crédible.

31.

149

C : et donc, quand le P1 qui travaille avec vous effectue « mal » son soin, vous le prenez pour vous quand le formateur vient vérifier et juge ce qui a été fait ?

32. B : oui, oui. Bon, si le soin n'est pas terrible, ça ne veut pas dire que je suis un mauvais podo, puisque ça n'est pas moi qui ai travaillé sur ce pied, mais ça veut dire que je n'ai pas été un bon tuteur ; c'est pas la même chose. C'est pour ça que c'est dommage, je vais être plus déçu de moi quand je vais sortir de la salle de soins d'avoir raté un soin, et vraiment, ça va me casser, je vais l'avoir dans la tête pendant un moment ; alors que si le pied de l'autre , je l'ai pas regardé, bon, sur le coup, je vais être un peu embêté, et puis après, bon, c'est pas grave, mon boulot de podo, je l'ai fait bien.

33. C : ce sont deux rôles différents que vous avez ?

34. B : oui, oui. Dans le métier, on est tout seul donc... du moment que moi, je me sens apte à faire mon futur métier, ça me va. Et après, tuteur, c'est un rôle qu'on nous donne, faut le faire bien parce que ... si je ne sais pas lui expliquer [au P1], j'ai l'air bête ; je suis sensé connaître des choses, sinon, ça veut dire que je ne suis pas compétent en podo... moi, c'est plus dans le sens « ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse », et moi, je veux et j'aime avoir des gens qui sont là pour m'aider et qui le font bien. Donc, ça me parait logique de le faire pour les autres. Donc, c'est plus dans ce sens là que ça va m'embêter, « ah, oui, j'ai mal fait ce boulot là » : bon, ce n'est pas mon futur métier, donc... ce n'est pas comme si je me destinais à être formateur, par exemple. Là, je me dirais, alors, ça va pas, quoi, ou si on venait me dire, « t'es un mauvais tuteur » alors que je voudrais être professeur, alors là je me remettrais en question. Mais ce n'est pas le cas, donc ...

35. C : est-ce que vous aidez parce qu'on vous a aidé avant ?

36. B : pas forcément, enfin, si, c'est un peu pour ça, mais c'est aussi parce que ça me semble ... normal... ça me semble, je sais pas comment dire... je ne sais pas comment expliquer. Je pense que ça vient de l'éducation, moi, c'est comme ça qu'on m'a éduqué, donc, je trouve ça normal. Et pas forcément parce que j'ai envie qu'on le fasse pour moi, même si on le faisait pas pour moi, ça me parait normal d'aider. A la limite, si c'est quelqu'un qu'est pas destiné à çà, ce ne sera pas son métier, je lui dirais « non, n'a pas besoin de savoir ça » ; donc, je ne culpabiliserais pas de me dire, « non, j'ai la flemme de t'expliquer ». Là, je me dis « non, il a besoin de savoir » ... « alors, ça tu ne

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sais pas comment on fait, et bien attend, je vais t'expliquer, moi, je sais » et puis je vais lui montrer, et ça me parait logique.

37. C : d'après vous, en tant que P3, c'est une organisation qu'il faut conserver de travailler en binôme avec un plus jeune ?

38. B : oui. Alors, c'est intéressant en termes de connaissances. Après... oui, c'est intéressant pour connaître les autres promotions ; c'est sympa aussi, car il y a des gens que je ne connais pas, que je n'ai pas vu et de travailler en semble, ça permet de sympathiser, oui. Par contre, c'est pénalisant dans le sens où je pense qu'on n'a pas assez de temps, quand on est en P3, pour faire tout seul. On est trop souvent avec les autres et c'est vrai qu'il y a une grosse, grosse différence entre un P1 et un P3 au niveau du rythme et moi, je pense que, quand je vais être diplômé, bientôt j'espère (rire), et bien je pense que je vais avoir du mal à faire, à tenir dans le temps en cabinet. Quand on va me dire, « et bien maintenant c'est 45 minutes de A à Z », et bien, ça va être ... « chaud ». Au début, ça va être stressant. Je pense que c'est là-dessus où, ici, on n'est pas assez bon.

39. C : est-ce que ça veut dire que les P3 devraient faire des soins tous seuls ?

40. B : non, parce que je trouve que c'est bien, c'est intéressant de mettre un P3 avec un P2 ou avec un P1, enfin, de tout mélanger, P2, P1, donc, je trouve çà très intéressant, mais, faudrait plus de créneaux tous seuls. Là, on a qu'un créneau et je trouve que ce n'est pas assez parce que c'est un créneau ... toutes les trois semaines. Il en faudrait au moins un toutes les semaines si ce n'est deux, enfin, un toutes les semaines, sinon, ce sera dur, ça ferait beaucoup quand même. Mais faut garder çà, le P3 P1...

41. C : mieux P3-P1, que P2-P1 ?

42. B : c'est un peu différent quand c'est P2-P1, parce que, moi, le ressenti que j'avais, c'est que je me sentais moins professionnel quand j'étais P2, « j'ai des connaissances, mais j'ai des lacunes sur les choses d'avant, et en plus, j'ai des lacunes car il y a des choses que je n'ai pas encore vu ». Donc, on sait un peu plus, mais bon, ce n'est pas pareil. Alors que là, en P3, en soins, je vais pas dire que je me sens au top, mais bon, je pense que je suis presque un professionnel donc je suis beaucoup plus sûr pour donner des conseils ; je me sens plus légitime à expliquer ou à montrer que quand j'étais en P2 . Après, est-ce que ça change vraiment les relations de tuteur, je ne sais pas.

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Honnêtement, moi quand j'étais en P1, je faisais même pas la différence si c'était un P2 ou un P3 à côté de moi, pour moi, c'était quelqu'un qui savait plus que moi, donc j'écoutais ce qu'il me disait et voilà. Je pense que c'est plus moi, dans mon ressenti de tuteur que je me sentais moins légitime.

43. C : pensez-vous que les relations entre les binômes influencent le travail autour du soin ?

44. B : bonne question. Je me suis jamais vraiment posé la question...

45. C : si je la pose différemment : vous changez de binôme, vous n'êtes jamais avec la même personne ?

46. B : oui, oui, je change tout le temps.

47. C : donc les relations ont été différentes à chaque fois ?

48. B : oui, forcément.

49. C : il y a eu des situations qui ont été plus confortables que d'autres ?

50. B : ah, oui, j'ai un souvenir où moi, j'étais P1 et avec une P3 et là, c'est sûr que ... je raconte l'anecdote ? ça va vous embêter...

51. C : (rire), non, non, pas du tout, allez y !

52. B : en fait, la patiente était sous anticoagulant et j'ai fait une effraction, donc, ça saigne et l'étudiante à côté de moi, elle a... « pété un câble », quoi. Mais c'était incroyable « mais qu'est ce que tu fais, mais t'as coupé ! » ; « oui, j'ai coupé !». Mais en plus, moi, j'avais déjà quelques semaines avant, coupé un patient qui était sous anticoagulant, donc j'avais eu peur la première fois et on m'avait expliqué, « ce n'est pas grave, ça arrive, bon, ça va être plus long pour arrêter le saignement et tout ça. Elle, elle a « fondu un câble » et moi, je lui ai dit « mais c'est bon !» mais elle « mais stresses toi, là, sérum physiologique, coton », « ouais, bah c'est bon, je prends mon coton », « allez, plus vite, plus vite » et du coup, moi je lui ai dit « tu dégages parce que moi, j'arrête le soin, j'arrête, t'es folle », et la patiente lui a dit « mais calmez vous » et elle est sortie. La patiente m'a dit « mais elle est complètement cinglée votre collègue » et elle est revenue, et après, c'est sûr que le soin, enfin moi, je devais être moins bon qu'avant l'incident. Donc, c'est sûr que ça peut jouer. Quand ça se passe mal, ça peut jouer. Moi, personnellement, ça s'est passé mal qu'une fois, mais en général ça se passe bien, donc là ça joue pas, le soin est le même.

53.

152

C : si, par exemple, vous êtes avec quelque pour qui vous avez de la sympathie et un autre avec qui vous en avez moins, ça change quelque chose sur le boulot ?

54. B : je ne pense pas, sur le boulot, non. Après, le contact avec le patient, oui, forcément. Parce que le patient préfère avoir deux personnes qui s'entendent bien, où il y a une bonne ambiance, il le ressente, les patients. On est au bout de leurs pieds. Un échange entre deux personnes, si c'est « électrique », il ne se sent pas bien. Si c'est agréable, si ça rigole, je pense que lui-même, il passe un bon moment et il est content. Si on considère, et moi, je le considère comme çà, que ça, ça fait partie du boulot, le fait que le patient a passé un bon moment et qu'il parte avec la « banane »et qu'il est content, forcément, ça joue. Après le boulot clinique, technique, je ne pense pas. Quand ça se passe bien, non. Et ça se passe quand même généralement bien.

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Entretien Clara, étudiante en 3ème année.

- La date de l'entretien : le 21 mai 2013

- Age : 24 ans

- Le nombre de frères et soeurs : un frère, une soeur.

- Le métier des parents : mère : ophtalmologue/ père : responsable de service SNCF

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, deux années en faculté de médecine, deux années de préparation aux concours paramédicaux.

1. C- Pouvez-vous me parler de cette organisation en soin ou en clinique, dans laquelle vous travailler avec d'autres d'élèves, d'autres promotions ? Qu'en pensez-vous ?

2. Cl- En fait, ça s'est toujours fait comme ça, et je pense que ça fait des années que ça existe. Du coup, c'est naturel quand on est en P1 ou en P3 de travailler avec les autres. Y a pas de raison de se mettre qu'avec un P3 quand on est un P3...je ne sais pas pourquoi, sans doute parce que c'est une habitude, depuis longtemps...

3. C- Est-ce que ça vous a surpris cette organisation quand vous êtes arrivée dans la formation ?

4. Cl- Je n'ai pas été surprise parce que, avant d'arriver, je ne m'étais pas intéressé à comment ça allait se passer. Je ne savais pas comment ça fonctionnait une école de podo. Donc, voilà, on m'a dit ça fonctionne comme ça, donc bah oui (rires), je ne suis pas posé plus de questions. Après, je pense qu'on a tout à apprendre des autres que ce soit en P1, il y a forcément l'expérience des autres et quand on est en P3, comme il y a différents genres de soins, de formateurs, différentes façons de faire, des techniques qu'on apprend avec certains et qu'on ne verrait pas avec d'autres...Moi, je suis d'une fratrie où je suis la plus jeune, mon frère et ma soeur sont plus âgés que moi. Donc, moi, je n'ai pas eu l'habitude d'aider quelqu'un, mais quand j'étais en P1, ça m'a pas gênée, j'ai toujours fonctionné comme ça, mon frère et ma soeur m'aidaient parfois. Donc, ça m'a pas paru bizarre qu'un P3 s'occupe de moi au

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début... Ensuite, j'ai toujours eu des facilités à l'école, depuis toujours, donc j'avais l'habitude d'être avec des gens qui comprenaient moins vite que moi. Et du coup, expliquer aux autres, moi je l'ai toujours fait, ça ne me gène pas, au contraire. Donc, quand je suis passée P3, expliquer aux autres, c'était facile... Et puis, je pense que savoir faire une chose, c'en est une mais pouvoir l'expliquer, le verbaliser, c'est encore mieux : il faut vraiment l'avoir tellement bien compris pour le dire de la façon la plus simple possible. On est obligé de clarifier ses idées. Rien que ça, ça a apporte aussi. Et puis, si un P1 pose une question à laquelle on ne sait pas répondre, on se dit « tiens là, j'ai une lacune, et ça, il faudrait que je le bosse ». Oui, ça m'est arrivé...pas souvent, une fois...

5. C- Et alors ?

6. Cl- Et bien c'est un peu la honte...mais bon, on ne peut pas tout savoir non plus. Après, qu'on soit en P1 ou en P3, se rendre compte qu'on a des lacunes, c'est jamais agréable... quand même, si je ne sais pas lui expliquer [au P1], j'ai l'air un peu bête ; je suis sensée connaître des choses, sinon, ça veut dire que je ne suis pas encore complètement compétente en podo...

7. C- Est-ce la même chose si c'est un prof qui vous pose une question et que vous ne savez pas ou si c'est un collègue étudiant ?

8. Cl- Je m'en veut plus si c'est un prof qui me demande que si c'est un élève. Si c'est un élève, bon on est entre nous, nous lui aussi il aura des lacunes, c'est sur. Du côté du prof, il a plus le jugement, du style, à la fin de l'année, « tiens elle, elle ne savait pas ces cours » (rires). Avec les autres élèves, du coup, on se sent plus libres, mais bon, chacun a sa façon de fonctionner. Par exemple, en examen clinique, je travaille souvent avec L. (étudiante P3) parce qu'on a la même façon de faire, bien carrée et que ce n'est pas le cas de tout le monde dans notre groupe. Donc, on préfère travailler toutes les deux. C'est peut être un tort parce que, du coup, on n'apprend pas des autres mais quand c'est vraiment trop bordélique, ce n'est juste pas possible. Du coup, L. et moi avons beaucoup fonctionné avec les P2 à expliquer, à leurs poser des questions pour les faire réfléchir, notamment à faire des liens, parce qu'on nous demandait d'en faire mais on ne nous donnait pas beaucoup d'exemples. Alors, on a passé du temps avec les autres pour les aider à cela. C'est pour cela que c'est bien de

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changer de groupe, ou de binômes. Chacun a une façon de travailler et on apprend avec les autres...

9. C- Quand vous êtes en soin, qui choisi le binôme ?

10. Cl- C'est plutôt le P1 qui choisi, mais bon, moi j'arrive souvent dans les premières, alors je m'installe et c'est un P1 qui vient nous demander. Après, ça peut être vexant parfois quand on voit les P1 qui passent et qui ne nous demande pas d'être avec eux. Bon, bah y'a personne qui veut se mettre avec moi...

11. C- ah oui, ça arrive, ça ?

12. Cl- oui, oui, ça m'est arrivé ; on s'en remet. Et puis, ça m'a permis parfois de travailler toute seule. Et c'est bien aussi, car, en P3, on n'est pas souvent assez mis tout seul ; forcément, à deux, on partage le matériel, on attend que l'autre a fini, parfois on se gène...et du coup, quand on arrivera en remplacement, faudra tout faire en une demi heure, pas facile...

13. C- Donc, tout a l'heure, vous m'avez dit que d'être accompagnateur, c'était utile pour clarifier les choses, pour savoir si vous maitriser...

14. Cl- Oui, et puis je vois, c'est extrêmement valorisant. Moi, je sais qu'en fin de P1, ça me stressait de me dire, maintenant c'est moi qui va devoir expliquer à d'autres. Et puis quand on commence la deuxième année et que les P1 arrivent et qu'ils savent rien, c'est vachement bien parce qu'on se rend compte qu'on sait plein de choses ! C'est aussi valorisant.

15. C- Est-ce que vous rapprochez cela de vos examens, le fait d'être en 2ème année, puis en 3ème année, d'être avec les plus jeunes ? À quoi ça participe ?

16. Cl- Forcément, j'étais contente d'avoir les examens, mais on sait qu'on est jugé par les professionnels mais avec les autres élèves, on n'est pas dans le jugement. J'ai trouvé presque plus valorisant d'expliquer. Et du coup je me suis plus rendu compte que je savais des choses parce que j'arrivais à les expliquer à un autre étudiant que de réussir mes examens. C'est très valorisant. L'autre se dit « elle m'a appris quelques chose ». Et ça reste. Moi je me souviens encore de la personne, une étudiante, qui m'a appris à faire des raghades...Après, je ne sais pas si les P1 se rappelleront, mais moi, oui, c'était important.

17. C- Serais-ce de l'ordre du modèle, quand on est P3 ?

18.

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Cl- Oui, c'est important parce qu'on a moins peur, même si on n'a pas vraiment peur de demander aux profs, mais c'est moins stressant de demander à un autre étudiant. Après, c'est bien aussi d'avoir le prof qui montre aussi dans certains conditions. Mais pour des petits trucs, oui, car on sait que l'autre est capable de nous montrer. C'est plus facile de demander et en plus, il est juste à coté !

19. C- et en clinique, avec un groupe plus grand, comment ça se passe ?

20. Cl- Non, ce n'est pas pareil, d'abord on est plus nombreux. On ne fait pas la même chose en soin parce que si on est en P1, en P2 ou en P3, y'a des choses qu'on maitrise mieux, mais on fait un soin complet du pied. En clinique, c'est plus sectorisé. Y'a moins d'intimité. Le fait d'être deux, on sait que ...y'a moins la crainte du jugement, on n'est que deux, ça reste entre nous, alors qu'à quatre, par exemple, c'est moins intime, ce n'est pas la même relation. C'est plus vexant, je crois, quand en clinique y'en a un qui pose une question pour faire remarquer qu'on a oublié un truc, ça, ça n'arrive pas en soin, quand on est que deux. Et ça, quand j'étais en P2, y'avait des P3 qui interrompaient tout le temps, avant qu'on termine notre exposé et je ne trouvais pas ça bien et donc, en tant que P3, j'ai fais attention à cela. Dire à l'autre, mais qu'à la fin, « et ça tu as pensé, ou cela, il faut mieux que tu regardes...mais sinon, c'est bien ce que tu as fait » !

21. C- Donc, vous êtes dit, moi, en tant que P3, je me sers de ce que j'ai vécue avant, quand j'étais P1 puis P2 ?

22. Cl- Oui, les années précédentes, elles m'ont servi à cela, dire dès fois ce qu'il m'avait manqué, ou d'une autre façon. Après, c'est ma façon de voir les choses, peut être que ça ne convient pas à tout le monde, mais c'est comme ça que j'ai fait, comment j'aurais moi aimé qu'on fasse avec moi. Et je comprends bien que ça ne peut pas plaire à tout le monde. C'est comme les manières de faires des profs ; à certains, ça convient et à d'autres moins.

23. C- Et vous, auriez pu faire autrement dans ce rôle d'accompagnateur ?

24. Cl- Je ne sais pas.

25. C- Est-ce que, en P3, on vous a dit, pour accompagner, faut être comme ça ?

26. Cl- Non. Mais y'a pas de recette miracle puisque chacun est différent. On peut pas formater quelqu'un, on réagit tous différemment...et c'est ça qui est enrichissant d'avoir, quand on est en P1, différentes personnes qui nous

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expliquent comment faire, car elles n'ont pas toute la même façon de montrer, d'expliquer, donc, on va bien trouver au bout du compte quelqu'un qui va nous expliquer comme on comprend. Après, moi ça m'a jamais gênée d'expliquer aux autres, mais je pense que pour certains qui n'aiment pas faire ça, il faudrait peut entre leur expliquer comment faire. Mais bon, je ne suis pas sure qu'on puisse expliquer comment accompagner...par exemple, si deux personnes travaillent ensemble, entre une qui est très réservée et l'autre qui n'ose pas trop demander, ça peut vite faire quelque chose de « y'a personne qui se parle et c'est moyen ». Moi, ça ne m'est pas arrivé mais je pense que c'est possible. Après, c'est une question de tempérament...

27. C- Et dans votre rôle de P3, cette année, est-ce vous qui « mener la danse »quand vous êtes en binôme ou en groupe ?

28. Cl- En fait, je pense que personne ne définit les règles. Chacun fait son boulot. Mais bon, à chaque fois que j'ai changé de binôme, par exemple, je dis au P1 « t'hésite pas, si tu as besoin de moi, tu me demandes »...donc, oui, c'est vrai du coup, c'est moi qui dit comment on va fonctionner (rire) J'essaye de mettre à l'aise, pour que s'il y a une question, l'autre n'hésite pas. Mais s'il me demande de vérifier, je vais le faire mais s'il ne me le demande pas, je ne le fais pas. Je vais m'imposer. Si on le demande pas, c'est presque vexant, l'autre peut penser « il ne me fait pas confiance ». Après, ça m'est arrivée d'être dans des situations où l'autre ne me demande pas forcément de l'aide, et l'ambiance était pour autant sympa. Sauf une fois, une P1 qui a appelé le formateur en soin pour lui demander une explication alors que j'aurais pu lui dire, moi je savais ! Ce jour là, j'étais un peu vexée, oui ! Car je lui avais dit qu'elle pouvait me poser des questions. Je n'ai pas forcément compris, parce que moi, quand j'étais en P1, j'étais plus à l'aise de demander aux P3 que de demander aux profs. Alors, j'avoue, je n'ai pas bien compris, cette fois...ou alors, c'est qu'elle ne me faisait pas confiance. Ce que je peux comprendre ; les étudiants peuvent se dire, « le prof a eu son DE, je lui fais plus confiance qu'à un autre étudiant », oui...

29. C- Est-ce que vous vous sentez responsable de ce qu'il se passe autour du patient quand vous êtes le P3 avec un plus jeune ou est-ce que c'est partagé ?

30. Cl- C'est plutôt partagé. Après, on a plus de responsabilité en tant que P3, on a la responsabilité d'expliquer, de mettre à l'aise, de rassurer parfois l'autre

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étudiant, par exemple, s'il fait saigner, en soin, et qu'il n'y est pas d'angoisse, surtout devant le patient.

31. C- En parlant des patients, avez-vous vu une différence d'attitude des patients vis-à-vis de vous, quand vous étiez P1 ou P3 ?

32. Cl- Il y a des patients qui ne demandent pas, mais beaucoup, oui. « Et vous êtes en quelle année ? » Du coup, il y a en a qui ne parlent qu'aux P3. Ils doivent croire que l'autre ne sait rien faire...

33. C- Qu'est ce que ça vous a apporté d'être accompagnatrice pendant votre formation ?

34. Cl- Le P1 pose des questions qu'on ne se pose pas ou qu'on a oubliées, donc ça nous fait des rappels, on se rend compte de certaines lacunes, mais on se rend compte aussi qu'on sait des choses, que de les expliquer, ça clarifie dans nos têtes, et on apprend des autres aussi.

35. C- D'après vous, quelles sont les qualités requises pour être un « bon » accompagnateur ?

36. Cl- Déjà, il faut être sociable, ne pas avoir peur de parler aux gens, sinon, ça va être difficile de mettre l'autre à l'aise. Après, faut expliquer sans être trop intrusif dans ce que l'autre fait, il faut attendre que l'autre demande, qu'il se sente en difficulté. Pour qu'il prenne confiance, il ne faut pas être toujours derrière lui en lui disant « fais comme si, comme ça », il faut qu'il fasse tout seul. Il faut trouver la mesure, savoir être souple, ne pas être pas braque, ne pas laisser penser qu'on donne un ordre à l'autre, mais seulement un conseil, pour l'aider. Il faut y mettre du coeur, avoir envie d'aider. Il faut être du coup généreux, pédagogue aussi. Mais ça, ça dépend des gens, y'a aussi des profs qui ne sont parfois pas pédagogues, on en a tous rencontré et c'est compliqué. Je pense que c'est presque inné d'être pédagogue... Il faut surement être humble aussi, pas prétentieux en tout cas. Motivé et bien sur tolérant. Pour moi, c'est une évidence, j'ai été élevé comme ça, dans la tolérance alors parfois je n'y pense plus, mais oui, c'est évident. Il faut aussi être sérieux, pour avoir des choses à transmettre, sinon, on n'est pas à sa place. En tant que P3, c'est évident, par respect pour soi et pour les autres. Si un P2 connaît plus de choses que le P3, on n'est juste pas à sa place...Pour moi, tout cela, c'est des valeurs de base. C'est la façon dont moi aussi j'ai été élevé, donc pour moi, c'est normal.

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Entretien Fanette, étudiante en 3ème année. P3, 22 mai 2013

- La date de l'entretien: le 22 mai 2013

- Age : 23 ans

- Le nombre de frères et soeurs : deux frères

- Le métier des parents : mère : inspectrice en assurance/ père : conseiller

immobilier

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, deux

années de préparation aux concours paramédicaux.

1. C- Durant votre formation, vous a-t-on demandé explicitement de travailler en groupe ?

2. F- en fait, ça va de soi, car dès le début d'année, quand on commence la formation, on nous demande de nous placer un 1ère année et un 3ème année pour soigner un patient. En clinique, c'est le même phénomène puisque qu'on est huit dans un groupe, il y a souvent quatre patients, donc on est forcément on est deux P3 ensemble plus après les jeunes. De la même manière, on fait quelques travaux de groupes, en Santé publique avec des fiches de lectures, pour le TER, ou là, on est à plusieurs... Moi, j'aime bien.

3. C- Vous pouvez préciser comment on vous a présenté cette organisation ?

4. F- C'est surtout en soins, car en clinique, on n'a pas forcément les mêmes choses à faire. Mais en soins, comme tout le monde doit faire son pied, en début d'année, on nous dit qu'il y a les 1ères année qui arrivent, qui n'ont pas d'expérience, et que petit à petit il va falloir qu'il fassent seuls mais que le prof ne va pas être derrière chaque P1 donc que c'est à nous de faire attention à ce qu'ils font et de les aider si y'a besoin...s'ils le demandent.

5. C- Et cela vous semble être demandé assez clairement ?

6. F- En début d'année, oui, avant qu'on commence les soins, on faisant un petit briefing ; pas mal de prof l'ont fait, oui, c'est expliqué.

7. C- Si vous vous rappelez votre arrivée dans la formation, quand vous étiez P1, cette organisation vous a-t-elle surprise, étonnée ?

8. F- Moi, j'ai eu deux frères dont un beaucoup plus grand que moi ; il a dix ans de plus que moi, donc du coup, mon frère s'est toujours occupé de moi. C'est vrai que quand on arrive en soins, c'est pareil, c'est des gens qui ont quatre ou

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cinq ans de plus que nous qui nous coachent. Moi, ça ne me dérange pas du tout, au contraire, j'ai l'habitude de ça, ça me va. Pareil, j'ai l'impression, maintenant quand je vois les P1, de voir mon petit frère, donc moi ça me convient de m'occuper d'eux. Bon, c'est vrai, je me souviens, quand j'étais en 1ère année, je ne savais pas où me mettre en soins, avec qui, pour être à l'aise, parce que j'avais vu que certains P3 parlaient, expliquaient, d'autres moins ; et moi, j'avais besoin, pas qu'on me montre mais qu'on me dise comment faire au début. Et ça, on ne connaît pas les gens au début, on ne sait pas sur qui on va tomber. Y'a quelques soins que je n'ai pas très bien vécu à cause de cela. Un peu la trouille de faire le soin, pas forcément quelqu'un de rassurant à côté de moi, donc du coup, y'a eu quelques expériences pas très agréables pour moi.

9. C- Est-ce que cela veut dire que « devoir » choisir avec qui travailler en binôme était quelque chose d'insécurisant pour vous ?

10. F- Un peu, au début, quand on ne connaît pas encore les gens. Moi, très vite, j'essayais d'aller vers les gens que je connaissais le plus. Je me souviens d'être allé vers ma « grande marraine » parce que j'avais pu discuter avec elle auparavant, je savais qu'elle causait, qu'elle était rassurante, donc je me suis dit qu'avec elle, ce serait bien. Et puis, dès fois, je n'ai pas fait attention avec qui je me suis mise et c'est vrai que, j'ai pas mal vécu le soin mais c'était un soin difficile, je n'avais pas trop d'aide, pas savoir comment m'y prendre, donc, c'est vrai que c'est pas mal de choisir avec qui on se met.

11. C- Est-ce facile de choisir les personnes avec qui vous voulez travailler ?

12. F- Oui, souvent, les P3 arrivent les premiers dans la salle et là, faut demander « est-ce que je peux me mettre avec toi ». Bon après, on n'aime pas forcément ne pas se mettre avec quelqu'un, de peur de froisser, faut essayer de la jouer un peu finaude, d'aller vers les gens avec qui on est le plus à l'aise.

13. C- Ce sont donc les P1 qui choisissent les P3, en soin ?

14. F- Oui, c'est tout le temps, les P3 s'installent, et les P1 « est-ce que je peux me mettre avec toi » et « oui », évidemment. .et justement, c'est tout le temps « oui ». .moi, j'oserais jamais dire à un P1 « non, pas toi », parce que ce ne sont pas des choses qui se font, mais ça ne me choquerait pas non plus sur le fond parce que y'a des gens qui ne sont pas fait forcément pour bosser ensemble. Mais pour le coup, ici, ça ne se fait pas.

15.

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C- Est-ce que les choses changent en cours d'année, quand vous vous connaissez mieux, après les fêtes entre vous, par exemple ?

16. F- Oui, forcément, pendant les soirées, on s'entend bien avec certains, et ils me disaient « tu te mettras avec moi en soin », donc, c'est parfois un peu couru d'avance quand on arrive en soin, mais bon, ça reste quand même toujours le P1 qui va vers le P3 à chaque fois.

17. C- Cela est valable en soins, et en clinique, comment cela se passe-t-il ?

18. F- En stage, y'a le nom des patients au tableau, les P3 se placent d'abord, pour savoir qui prend en charge et les P2 après vont indiquer leur nom à côté du P3 avec qui ils veulent être.

19. C- ça se fait aussi par affinité, ce choix ?

20. F- Déjà, les P2 sont en binôme de travail eux aussi, et du coup le binôme va où il y a de la place...mais moi, quand j'étais P2, je choisissais par affinité, ou alors, par rapport au patient. Par exemple, moi, c'est bête, mais j'essayais d'avoir des patients assez jeunes. Alors du coup, quand je voyais un prénom assez jeune, je fonçais dessus, « ouais, pas un vieux » (rire) ! Mais, bon, c'est souvent les P2 qui vont vers les P3 aussi...

21. C- Donc, c'est toujours le P3 qui est sollicité, celui à qui on demande et qui ne dis jamais non ?

22. F- Oui, c'est ça.

23. C- Et vous maintenant que vous êtes une P3, vous a-t-on expliqué ce que vous deviez faire pour aider vos collègues, les P1 ou les P2 ?

24. F- Non, pas vraiment, on nous dit juste que les P1 sont là et que nous ne pourrons plus être entre nous. Après, c'est sur, on arrive en soin, ils nous demandent quelque chose et parfois on se sent un peu bête, parce que on se dit « mince, comment j'explique ». On ne nous a pas dit de faire très attention à comment on expliquait et on ne fait pas un petit briefing sur les gestes à bien faire, c'est à nous de savoir.

25. C- Cela veut dire qu'il faut que vous sachiez comment aider l'autre ?

26. F- Oui. Moi, j'observe le plus jeune, beaucoup, pour voir quand est-ce qu'il a besoin de moi parce que, moi, quand j'étais en P1, je n'aimais pas trop qu'on fasse pour moi quand je ne savais pas trop encore comment m'y prendre, je voulais apprendre. Donc moi, je regarde, et je dis « si tu as besoin de quelques chose, tu me demandes, mais moi, je ne vais pas te demander toutes les cinq

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minutes si ça va ». Donc, une fois que je vois ou j'entends qu'il se dépatouille pas trop, je lui dis « qu'est-ce tu as comme problème » et on le fait tout le temps en dernier, à la fin du soin. Comme ça, ça le met en confiance qu'il fasse les autres choses avant. Le problème, on le garde pour la fin et j'essaye d'expliquer ma technique à l'autre mais en disant bien que c'est la mienne et que c'est pas la seule façon de faire, même si je pense que je ne me débrouille pas trop mal...par exemple, moi qui suit gauchère, c'est souvent très difficile de montrer comment se servir d'un instrument, mais bon, j'y arrive.

27. C- Donc, c'est vous qui expliquer au P1 comment vous allez faire le soin, tous les deux ?

28. F- Oui, et ça n'arrive pas que le P1 ne soit pas d'accord. Moi je lui montre comment j'ai fait sur un pied, par exemple, et je lui dis « voilà, tu peux faire comme ça, et quand tu auras fini, je regarderais ». Quand les P1 n'ont pas utilisé des outils comme la turbine, je leur propose et on fait ensemble. Et je vois qu'ils sont souvent contents à la fin du soin...Donc c'est moi qui dit comment on va fonctionner ensemble, oui.

29. C- Et en clinique, comment ça se passe ?

30. F- C'est un peu différent car les rôles sont définis à l'avance. Quand ils arrivent en clinique, les P2, ils sont sensés avoir vu un certains nombres de choses et c'est eux qui les font, nous, on est là pour contrôler qu'ils les font bien, et donner des petits conseils s'il y a des choses mal faites. Après moi, le problème que j'ai en clinique, moi je suis à fond dans les cliniques parce que j'adore, je ne sais pas trop comment m'y prendre avec les P2 parfois parce que, parfois je trouve qu'ils n'ont pas envie. Je ne sais pas si c'est la peur de se tromper mais ils ne vont pas crocher dedans ; en fait, j'ai l'impression, dès fois, que plus moi j'en fais, moins eux ils auront à faire. Donc du coup, je leur propose, j'essaye de leur dire « vous n'avez pas envie de faire ça » mais ce n'est pas défini exactement comme en soin où on doit, de toute façon, rendre un pied propre. En clinique, comme c'est nous, les P3 qui allons présenter, au final, le prof ne sait pas forcément ce qu'ils ont fait et du coup...c'est dommage pour eux, je trouve. En soins, on a chacun notre pied, même si moi je vérifie toujours celui qui est fait par le P1 avant le prof, mais je ne refais pas forcément le soin du P1. En clinique, c'est moi qui présente le cas du patient et si le prof me demande une explication, je préfère avoir fait l'examen aussi ou

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l'avoir bien vérifié, si ce n'est pas bon, ça m'embête. Donc oui, c'est un peu différent entre le soin et la clinique. Par exemple, en soin, maintenant que je suis à l'aise, ça ne me gène pas d'être avec quelqu'un qui soigne pas comme moi ; par contre en clinique, quelque un qui voit pas les mêmes choses que moi, qui va pas faire son examen dans le même sens que moi, je trouve cela beaucoup plus compliqué de travailler avec quelqu'un de différent, qui n'a pas la même approche du patient. Par exemple ceux qui sont super à l'aise avec un patient tout de suite, moi, ça me chamboule dans mon examen. Enfin, ça, ça dépend aussi des gens, des promos, tout le monde est différent et c'est normal. Mais, bon, en soin, un P1 accepte qu'on critique son travail, qu'on lui dise comment faire. En clinique, avec les P2, c'est plus difficile. Souvent les P2 pensent qu'ils font bien, et moi, j'étais comme ça, mais parfois on se trompe et c'est plus dure à dire en clinique quand soin pour le P3...

31. C- Pourquoi ?

32. F- Parce que quand on est en P2, on a un peu d'expérience, on a notre façon de faire et on croit que c'est forcément la bonne, donc on accepte moins bien la critique.

33. C- Est-ce que le fait d'avoir été P1, puis P2, aussi bien en soin qu'en clinique, vous a permis de savoir comment faire avec les plus jeunes aujourd'hui ?

34. F- Oui, c'est sur. Ce qu'on nous fait ou nous dit en P1, qu'on trouve bien ou pas bien d'ailleurs, ça nous aide à devenir P3 ensuite. Par exemple, j'ai eu des expériences en soin que je n'ai pas aimé, des choses qu'on a faites à ma place, et je me suis dit « quand moi je serais en P3, je ne ferais pas comme ça, je laisserais faire le plus jeune expérimenté, pas faire à sa place ». Après, je ne sais pas pourquoi, il y a des gens qui se disent « moi, on m'a fait ça, je n'ai pas vraiment aimé, mais bon, il faut passer par là, alors je fais comme on m'a fait, même si c'est un peu désagréable ». C'est un peu comme l'intégration, personne n'aime ça, tout le monde à la fin de l'année dit que c'est nul mais l'année suivante, il faut que l'on le fasse quand même, on en un peu sué et il faut que les autres subissent aussi, comme si c'était un passage obligé. Moi, je n'étais pas d'accord là-dessus ; l'année où nous avons organisé l'intégration des P1, j'ai proposé qu'on fasse des jeux, pas des trucs pourris balancés sur les étudiants. Et bien, on n'était pas nombreux à vouloir que ce soit différent des

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autres années, du coup, y'a eu quelques trucs pourris. Moi, je ne comprends pas bien cette attitude, c'est curieux...

35. C- Et donc, vous en devenant P3, qui devez aider des plus jeunes, au moins dans l'activité soin, comment vous êtes-vous senti dans ce nouveau rôle ?

36. F- Moi, je sais qu'en fin de P2, les profs ne retouchaient pratiquement plus mes soins, donc je me suis dit « ça y est, je peux montrer à quelqu'un comment faire sans lui montrer des bêtises » et ça m'a rassurée. Alors que je me rappelle, en P2, ça m'est arrivée d'avoir un P1 avec moi car il manquait du monde et là, je n'étais pas sure d'avoir encore les bons gestes et de pouvoir bien expliquer. Alors que je réussisse mes examens en fin de P2, du coup, je me suis dit que je pourrais être de bons conseils. Aussi, moi je suis assez patiente, ça ne m'a jamais déranger d'expliquer, de prendre le temps et d'aider. Mais tout le monde n'est pas pareil...

37. C- Justement, à vote avis, que faut-il pour être « accompagnateurs » « tuteurs » en podo ?

38. F- Moi, je pense qu'il faut savoir rassurer la personne, être zen déjà soi-même. Parce que si dès que quelque chose ne se passe pas super bien, c'est la panique du côté du P3, c'est impossible que le P1 ait confiance en lui. Je pense qu'il faut être sur de soi, tranquille et la patience est importante, aussi. Je vois parfois des P3 qui en ont marre en soin car ils ont fini leur pied depuis longtemps, du coup, ils finissent presque le soin du P1. Pour moi, faut pas faire ça. S'il faut attendre, moi j'attends, je regarde si l'autre a besoin de moi, je suis là...

39. C- Qu'est-ce qui fait que vous êtes patiente ? Que retirez-vous de votre rôle d'accompagnatrice ?

40. F- Je crois que j'ai toujours été accompagnatrice de quelqu'un, de mon petit frère, mon père ayant eu pas mal de problème de santé... c'est moi, la soignante de la famille. Comme personnes n'est médecin chez moi, et que j'ai quelques connaissances médicales, ça me donne ce rôle là facilement. Et puis, j'ai coaché aussi au basket des petites, donc j'ai toujours eu ce rôle là en fait. J'aime bien. Je ne me force pas. Moi, ça m'a servit beaucoup d'avoir coaché des équipes, d'abord d'avoir fait partie d'équipe au basket. Quand j'ai eu fait dix années de basket, on m'a dit « maintenant tu peux t'occuper d'une équipe, tu vas expliquer tous tes gestes à des petites de sept ans » ; j'ai dit ok. Au

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début, en expliquant le plus simplement possible et quand j'ai vu que ça fonctionnait, j'ai trouvé ça super, donc on continue. Là, j'ai arrêté car je n'ai pas le temps mais dès que je pourrais, je reprendrais une équipe, j'adore ça, je trouve que c'est mieux que de jouer, presque (rire)...

41. C- Quand vous dites « équipe », pensez-vous qu'il y ait quelque chose de cet ordre à l'institut ?

42. F- Oui, c'est sur, mais pas avec tout le monde. Du coup, ça joue beaucoup d'avoir fait partie d'une équipe de sport avant d'arriver ici parce que, moi, les gens dont je suis le plus proche, pour bosser, c'est aussi des gens qui connaissent ce type de fonctionnement. Par exemple, les gens vont penser à prendre tes instruments pour le lendemain, pour t'aider, sans qu'on leur demande. D'autres, ce n'est pas méchant mais ils n'y auront juste pas pensé. Je retrouve ça chez des gens qui ont fait des sports collectifs, qui se sont pas mal occupé des autres avant. Moi j'ai remarqué que les gens avec qui je m'entendais le mieux, c'était ceux qui avaient des frères et soeurs, des familles assez soudées, ce qui est le cas chez moi aussi. On a donc plus de facilité à se comprendre, je crois. A l'institut, je pense que ça fonctionne un peu comme ça.

43. C- Que pensez-vous de ce travail collectif ou en binôme dans votre formation ? Est-ce que la formation serait la même si vous n'étiez qu'entre P1 ou P2 ou que des P3 ensemble ?

44. F- Moi, je trouve que c'est bénéfique, pour un P1 d'être aider pour pouvoir faire un soin tout seul mais d'avoir un oeil bienveillant à coté ; je trouve que c'est important. Et puis aussi, quand on nous explique ce qu'il faut que nous fassions avec le patient, c'est un peu théorique. Là, on a quelqu'un qui te dis « ça, on te l'a expliqué, fais gaffe, c'est important, et ça, bon, ça l'est moins » ; ça permet de relativiser, en fait, ce qu'il faut vraiment savoir, et le reste... Après, d'être un P3, c'est bien de coacher car c'est une manière de voir si on a bien compris ce qu'on faisait. Pour moi, j'ai de meilleures notes cette année en soin, à l'oral, j'arrive mieux à expliquer, à justifier ce que je fais et mes choix. En fait, nous, on l'explique aux P1 et aux P2 quand on est en stage, et ça aide à savoir pourquoi on fait telle chose. On est obligé de mettre des mots sur nos actions. Moi, je trouve que je me suis améliorée depuis que j'aide les autres, au moins à l'oral. Expliquer aux autres, ça entraine. Après, dans la formation, je pense qu'il manque une dernière étape, c'est d'être davantage seul pour être

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autonome, de A à Z, en soins et en clinique. On est trop rarement tout seul. Ce serait bien que la dernière année de formation, on est davantage de créneaux où l'on soit seul. Parce que, c'est sur, après on est libéral donc tout seul, et il faut qu'on sache se débrouiller. Alors sur les soins, c'est bien de travailler avec les P1, je trouve ça enrichissant mais il faut aussi savoir si on est capable de travailler seul; par contre, en clinique, je vois moins l'intérêt de travailler en groupe, avec des P2 ; parce que on explique moins aux P2 en clinique, peut être parce qu'on maitrise moins aussi, et les gens sont moins demandeurs en clinique. En soin, y'a plus de risque si on fait mal le boulot, alors qu'en clinique, si on fait une mauvaise mesure, ce n'est pas trop grave. En soins, on voit tout ce qu'on fait, ou pas, alors qu'en clinique, c'est facile de se planquer, les profs ne voient pas forcément. Ça joue aussi sur l'ambiance, sans doute. Et peut être que si on était en binôme en clinique comme en soin, ce serait différent, plus comme en soin. On délimiterait bien qui fait quoi dans l'examen, que le P2 n'aurait pas le choix que de faire sa partie, alors ce serait différent, plus riche sans doute. Et puis, quand on est deux P3 ensemble avec des P2, on a sans doute plus intérêt à demander conseil aux collègues P3, donc on oublie un peu les P2, qui ont l'impression de ne servir à rien. J'ai remarqué que quand je me suis retrouvée toute seule en P3 avec deux P2, les choses se passaient mieux. Donc, je pense qu'on gagnerait plus à être en binôme en clinique que plusieurs P3 avec des P2, par exemple.

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Entretien Chris, étudiant en 3ème année.

- La date de l'entretien : le 24 mai 2013

- Age : 26 ans

- Le nombre de frères et soeurs : deux frères, une soeur.

- Le métier des parents : mère : vendeuse/ père : retraité de la Marine Nationale-cuisinier

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, deux années en faculté de mathématiques, trois années de formation en pédicurie-podologie dans un autre institut que celui étudié.

1. C- Quand vous êtes arrivé sur l'institut actuel, de quelle façon vous a-ton demandé de fonctionner en binôme ou en groupe ?

2. CT- moi, on m'a rien demandé.je suis arrivé ici de façon « éclair », parce que je m'attendais pas à arriver ici. Je voulais arrêter la podologie parce que l'école de M., ça un peu dégouté. Je voulais travailler et passer mon diplôme d'état en candidat libre. Et un professeur de M., qui est parti de l'école, qui était très compétent. M'a dit « je te déconseille de faire ça, cherche une autre école, ne retourne pas à M.». Excusez-moi mais je raconte un peu mon parcours avant d'arriver ici. Du coup j'ai envoyé un message à Marie et Mathieu (étudiants issus de l'institut de M. ayant effectué une 4ème année à l'institut étudié), qui m'ont répondu et m'ont dit « viens à R. ». Alors, moi j'étais du Sud, je me suis dit « non, ce n'est pas possible », je ne vais pas aller à R., là-bas il pleut, je ne connais pas la vie, je ne connais pas la région, et Mathieu m'a dit « fais-moi confiance ». Alors du coup, j'ai appelé le directeur de R., et agréablement surpris, j'ai atterri ici. Donc, au début, ça fait bizarre car ici, y'a du mouvement, y'a beaucoup d'étudiants, l'école est immense, y'a beaucoup de professeurs, d'élèves. Ça semble familial et en même temps, professionnel. Enfin, comment dire... on est en même temps autonome, et en même temps encadré. Ce n'est pas comme à M., on était encadré mais c'était très prescriptif. Du coup, on avait peur de faire les choses. Et quand on a peur de faire les choses, on a peur de faire des erreurs et on ne disait pas les choses. Et du coup, je suis arrivé ici où on travaille en binôme. J'ai appris qu'on travaillait tout le temps en binôme, les mémoires, c'est en groupe, l'examen clinique, c'est en

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groupe aussi et c'est à l'opposé de l'école de M. Là-bas, on fait tout tout seul. Le soin c'est tout seul et le plus rapidement possible, l'examen clinique c'est pareil, le mémoire c'est aussi tout seul, et du coup, j'étais un peu chamboulé au début. On ne m'a pas dit qu'il fallait que je le fasse, je l'ai fait naturellement. Y'a quelqu'un qui m'a dit « je peux me mettre avec toi ? », je n'allais pas lui dire « non » (rire). Au début, ça me semblait bizarre, parce que, en général, on veut être seul, enfin ,moi, j'étais habitué comme ça, à être seul, à travailler le plus rapidement possible, parce que on parlait beaucoup d'argent à M., qu'il fallait faire du chiffre, et qu'il fallait être rapide, aller directement au but. Alors d'être ici où il faut vraiment aller au motif de consultation, prendre bien en charge le patient et en même temps avoir une autre personne à côté de soi. Avoir un 2ème année ou un 1ère année, c'est-à-dire un 1ère année qui connaît rien ou un 2ème année qui connaît certaine chose, moi, il fallait que je me positionne en tant que 3ème année, mais qui arrivait de M.. Ça veut dire que la personne qui était à coté de moi ne connaissait pas mes compétences donc du coup, il n'avait aucune confiance en moi. Donc, j'étais obligé en même temps de bien faire, en même temps d'expliquer, et ...comment dire, faire valoir ce que je savais faire. Il fallait que je prouve des choses. Enfin, c'est normal. M., elle n'a pas une super réputation. Donc du coup, j'entendais « moi, je suis en 2ème année mais bon toi tu viens de M.... » Donc c'était un peu bizarre. J'ai donc été obligé de montrer que je savais des choses et au fur et à mesure, le 2ème année, il redescend un peu d'un étage et donc ça se passe bien. En fait, c'est juste cette barrière en début d'année, où il faut montrer que ce qu'on appris à l'école de M., y'avait des choses bien , des choses pas bien et heureusement parce que sinon...Et à partir de ce moment là, on se met en mode où on va essayer de faire apprendre des choses aux 2ème années, des choses un peu différentes et en même temps des choses qu'on appris dans cette école et dans celle de M....

3. C- est-ce que ça, ça été difficile pour vous ?

4. CT- au début, oui. Parce que, il fallait...comment dire...en fait, il fallait prendre son temps. Et moi, je n'avais pas l'habitude de prendre mon temps, j'avais l'habitude d'aller vite et de pas faire attention aux autres. Et là, faire attention aux 1ères et aux 2ème années, ça change. Alors au début on fait notre soin, par exemple sur le pied, on voit qu'on a fini et le 2ème année, il finit pas :

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donc au début, on est impatient et on est limite énervé. Après, on voit les autres autour, les autres P3 qui ont l'habitude de discuter, de parler, « fais ci, fais ça, et si tu faisais comme ci ou comme ça », et ils étaient zen, en fait. Ils étaient zen et ils n'avaient pas la pression des professeurs qui étaient là en train de dire « faut que tu bouges là » ; ceux de Rennes, ils sont plus là ...enfin, les étudiants lèvent la main, appelle le prof « voilà, là j'ai ça, est-ce que vous pouvez m'expliquer les choses ? ». Bah, ça, je n'avais pas l'habitude alors au début, c'était difficile et puis après on s'adapte. Alors, je me suis dit, « alors là t'es à Rennes, calme, tu te poses, tu expliques comment tu fais, tu regardes ce que fait l'étudiant à coté de toi et tu essayes de donner des conseils. Et voilà. (6 mm 37)

5. C- C'est donc le fait d'être en salle de soin, d'entendre, de voir les autres P3 faire, que vous vous êtes dit « c'est comme ça qu'il faut faire ? »

6. CT- Oui, parce que personne ne m'a vraiment expliqué comment faire avec le P1 ou le P2 qui se trouve à coté de moi. Mais bon, c'est sympa, c'est moins académique. On fait des choses un peu comme on a envie. Et puis, les soins en pédicurie, y'a rien de mathématique. Alors on utilise les instruments qu'on veut...Mais, devant un 1ère année ou un 2ème année, on est obligé de montrer l'exemple, et puis lui dire, « tu fais comme ça, tu fais ci », « faire saigner, c'est pas grave » ; la prise en charge du patient , c'est comme ça, faut que tu comprennes pourquoi tu fais ça...Donc, ça remet les idées en place...

7. C- c'est-à-dire ? comment ça remet les idées en place ?

8. CT- Déjà sur les connaissances, sur les techniques, des choses qu'on a oubliées. Les P1 nous parlent de pathologies, notamment de pathologies pédicurales qu'on voit en 1ère année, qu'après on revoit plus trop, donc du coup, ça nous oblige à revoir le cours. Ça permet l'échange. Après, on essaye de donner des techniques aux autres pour aller plus vite, pour faire des liens...Après, y'a pas que ça. On est en groupe, en soins, en clinique. Mais ici, c'est aussi une ville étudiante, et souvent avec les évaluations, comme on se connaît, on travaille ensemble le soir avec certains, sur ce qui faut faire pendant l'examen, les pièges à éviter...et ça, c'est sympa, y'a des échanges qu'il n'y avait pas à M.

9.

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C- Donc, vous me dites qu'ici, il y a des échanges, nombreux, avec vos collègues étudiants, aussi bien en pratique, mais aussi au cours de soirées. C'est cela ?

10. CT- Oui...

11. C- Et à M., il n'y avait pas ce type d'échange ?

12. CT- (rire) oui, forcément, y'a toujours des échanges, mais après... (hésitation)

13. C- Si c'est différent, à quoi est-ce dû, d'après vous ?

14. CT- En fait, ce que je veux dire, c'est que quand j'étais à M., la curiosité, j'avais arrêté. Et j'ai repris gout à cette curiosité ici. Et qui dit être curieux, dit faire des recherches, s'intéresser aux choses, discuter...tout le monde ici est curieux ; c'est ce que j'ai remarqué. A l'extérieur, on discute de cas qu'on a vu ensemble, en stage. Et du coup, ça éveille, ça rend curieux. Et puis c'est plaisant, parce que du coup, c'est des connaissances. Ici, à Rennes, c'est ça. Le fait de travailler en groupe, ça éveille la curiosité. Et ça va avec la motivation, du coup.

15. C- Donc, vous me dites que travailler en groupe, avec des plus jeunes professionnellement parlant, créer de la curiosité et de la motivation en tant qu'étudiants ?

16. CT- oui, oui, mais pas que quand on travaille avec des P1 ou des P2. Aussi quand on travaille avec les autres de sa même promotion. Moi, je vais plus vers les P3 aussi parce que ils ont appris des choses que je n'ai pas vu à M., alors c'est intéressant pour moi. Après, je sais pas comment les autres P3 se positionnent...

17. C- Est-ce que vous, vous avez eu l'impression de recevoir et donner dans ces situations ?

18. CT- Je pense beaucoup recevoir. Et donner, j'espère un peu (rire)...

19. C- Si vous comparer à votre activité à l'école de M., travailler tout seul souvent vous a apporter des choses. Lesquelles ?

20. CT- ça m'a permis d'essayer d'être rapide, techniquement, et de percuter vite. Et il faut percuter vite sinon, on est mal. Et il faut comprendre pourquoi on ne percute pas suffisamment vite. Par exemple, trouver des raccourcis pour faire telle ou telle chose. Donc, on est obligé d'être efficace.

21. C- Est-ce que le fait de travailler en groupe limite cette efficacité que vous parlez ?

22.

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CT- Il y a être efficace rapidement et efficace lentement. Ça dépend de la mentalité. Si on faire du fric, vaut mieux être efficace rapidement. Nous, la prof, elle nous disait si je fais un soin en 20 minutes, je suis efficace. Alors, c'est un travail un peu à la chaine, un patient sort et un autre rentre. Donc, « vous devez être rapide et efficace. Les finitions, plus tard ». Enfin, on les faisait beaucoup en 1ère année et après, moins. Ici, on réfléchit plus à pourquoi il y a ci, cela. Et je crois que d'être avec un P1 ou un P2 nous oblige à faire des liens entre ce que l'on fait, ce que l'on voit. Au lieu de foncer, on a une vision plus globale. Du coup, je pense que c'est bien d'avoir les deux. Travailler tout seul pour être rapide techniquement, et en groupe pour mieux comprendre ce qui se passe.

23. C- Ce travail en groupe, d'après vous, est différent de ce que vous avez connu, me dites vous. Qu'est-ce que cela génère du point de vue professionnel, humain ?

24. CT- Humainement, on est moins dans la concurrence. Moins dans le vouloir être le meilleur. Après, moi ce que j'ai remarqué, c'est que dans le milieu de la podologie, tout le monde est un peu dans son coin, chacun essaye de récupérer des patients à droite, à gauche. Alors qu'ici, à l'école, ça fait plus comme une grande famille, même si on ne s'entend pas avec tout le monde, ce serait trop beau. Après, quand j'étais à M., j'avais du mal à faire confiance, même aux profs, pour plein de raisons, et même entre les élèves. Certains avaient des infos qu'ils ne donnaient pas forcément aux autres. Mais quand il y a la peur de l'échec, on ne peut pas partager ; on garde le maximum d'infos pour soi, on veut ne pas partager.

25. CT- cela veut dire qu'ici, il n'y a pas la peur de l'échec ?

26. CT- C'est une autre peur : on a peur parce qu'on pense aux cours qu'on doit connaître mais on ne pense pas à l'image qu'on va donner aux professeurs. On est soi même. Et les professeurs sont différents, ils sont eux-mêmes aussi. A M., les profs semblaient avoir peur, c'était chacun pour soi. Ici, quand un professeur a son idée, on voit bien qu'il en discute avec les autres profs, et ce n'est pas le plus fort qui l'emporte ! (rire) Et à partir de là, ça change tout.

27. C- Vous êtes en train de dire que le travail collectif entre les profs, vous le ressentez en tant qu'étudiants ?

28.

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Oui, moi je sens qu'ici on peut facilement discuter, donner notre avis, ce qui va, ne va pas, on sent qu'il y a toujours une remise en question de l'école, de ce qui est fait. Donc, moi je n'ai rien à dire. Certains étudiants ici critiquent. Moi, je leur dit, « allez voir à M., et ensuite vous verrez »...parce que, ici, on se sent plus libre. Et ça éveille la curiosité. On va plus facilement vers les livres, vers les profs, on pose plus facilement des questions parce qu'on est face à des gens plus ouverts ; donc, même en groupe, ça créer une dynamique. Les étudiants échangent, « tiens moi y'a un prof qui m'a dit ça », on se passe les infos et du coup, on sait qu'on peut aider comme en clinique ou en soin. On dit à l'autre, « tiens y'a ça qui va mais ça tu peux faire autrement, ou là, tu te trompes ». ainsi, tout le monde s'interroge sur comment faire, et même les P1 ou les P2, quand on est en groupe, voient des choses qu'ils n'ont pas encore appris et ça leur donne envie d'avancer.

29. C- Pourquoi pensez-vous que ça fait avancer ?

30. CT- Les P3 aident les autres à faire des liens et inversement ; les P2, par exemple en clinique, vont me dire « mais pourquoi t'as fait ça, c'est quoi le lien », donc nous, les P3, ça nous fait réfléchir. On l'exprime à l'oral et ça nous entraine ; parce que les choses qu'on explique aux P2, on doit savoir les expliquer aux patients et à nos professeurs. Du coup, ça nous fait avancer.

31. C- Est-ce que c'est un exercice difficile d'expliquer à ces collègues étudiants ?

32. CT- oui, parce que c'est difficile de réfléchir (rire). En début d'année, pour moi, c'était difficile d'expliquer aux autres ce que je faisais et pourquoi je faisais comme ça. Après, je pense qu'il faut être ouvert, pour entendre que l'autre ne fait pas tout à fait comme soi. On fait un mix de ce que je sais et ce que l'autre fait et dit. Après, on s'imprègne de la formation, on prend le positif de ce qu'on a pris à droite, à gauche, on en parle avec les autres étudiants qui vont te dire « et, ce n'est pas idiot ce que tu dis, c'est une bonne idée, je fais faire ça moi aussi ». ça c'est agréable. Et puis, c'est plus sympa d'être ensemble que de se sentir tout seul. Enfin pour moi, parce que je sais qu'il y en a qui aiment bien être seul.

33. C- Que pensez-vous des étudiants qui sortent d'ici et de M., sachant que d'un côté, il y a beaucoup d'apprentissages entre étudiants et de l'autre, davantage des apprentissages qui se font tout seul ?

34.

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CT- C'est différent. Par exemple, l'association des anciens étudiants est moins forte à M. qu'ici. Déjà, M. n'est pas une ville étudiante ; donc, pour sortir, se retrouver à la B.U, dans les appartements des uns ou des autres, c'était moins facile. M., c'est pas toujours bien fréquenté, alors qu'ici, c'est plus tranquille. Et comme on avait beaucoup de contrôles-surprises, comme au collège (rire), on sortait moins. Même si on ne bossait pas plus, on sortait moins. Y'avait pas une super ambiance. Ce qui manquait, c'était ces temps de sortie, de discussions. Et puis, comme on est souvent ensemble, on ne discute pas forcément que de la podologie, on parle d'autre chose, donc ça créé des liens. Donc, y'a les deux, la ville qui est plus facile et l'ambiance de l'école qui donne envie de se voir en dehors.

35. C- Quels sont, pour vous, les qualités nécessaires pour être le tuteur d'un autre ?

36. CT- De la patience, d'abord, des connaissances, bien sur, des qualités humaines...

37. C- C'est-à-dire ?

38. CT- Compliquée, votre question...c'est avoir une personnalité. On peut être sérieux et être un bon tuteur, on peut aussi aimer rigoler avec les autres...je ne sais pas si il y a un profil type du bon tuteur... bon, faut quand même avoir envie d'accompagner un autre, ça oui. Qualités humaines... ça peut être le partage, être généreux parce qu'on a envie de donner. Mais certains peuvent ne pas avoir envie de donner parce que c'est un concurrent. Mais ici, ce n'est pas comme ça. Le fait de travailler en groupe, ça nous permet aussi de ne pas avoir peur de discuter avec les autres en général ; ça nous apprend à parler avec les autres professions de santé, les kinés et les ergothérapeutes, qui travaillent à côté, à savoir qui on est et qui ils sont. Et ça, ça peut aider à pouvoir ensuite travailler ensemble, dehors, quand on sera diplômé.

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Entretien Lucien, étudiant en 3ème année.

- La date de l'entretien : le 16 octobre 2013

- Age : 26 ans

- Le nombre de frères et soeurs : un frère et une soeur.

- Le métier des parents : mère : laborantine/ père : cadre-administrateur dans le bâtiment.

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année en faculté de médecine, trois années de formation en pédicurie-podologie dans un autre institut que celui étudié.

1. C. Quand vous êtes arrivé sur l'Institut de Rennes, de quelle façon vous a ton demandé de fonctionner en binôme ou en groupe ? Est ce que cela a été confortable ou difficile pour vous de travailler ainsi ?

2. L. Quand je suis arrivé à l'IFPP de Rennes, on m'a demandé de travailler en binôme de manière implicite pour les soins, et on m'a expliqué comment fonctionneraient les examens cliniques en groupe. Concernant les soins, cela n'a pas été évident pour moi. J'étais habitué à travailler seul depuis le début de ma formation. La plus grande difficulté est de travailler rapidement, tout en conservant un niveau de qualité de soin élevé. Je trouve cette façon de travailler en binôme moins bien. Elle ralentit le soin, l'émulation entre étudiant peut-être négative car tout est plus lent, et la qualité du soin moins poussée. Etre avec des étudiants P1 et P2 moins qualifiés peut donner un sentiment de suffisance car on soigne mieux qu'eux, alors qu'on peut être loin de l'objectif DE et du niveau d'un professionnel. Lorsque ces derniers posent des questions, leur répondre ne m'apporte rien. Cependant ils osent davantage poser des questions à un P3 qu'aux professeurs pourtant très accessibles, et les questions techniques ou de connaissances peuvent aussi bien être posées au professeur directement lors de la validation du soin, et ils auront la réponse ou verront le geste technique en direct d'un professionnel expérimenté, alors que la réponse d'un P3 peut encore être défaillante.

3. C. Vous ne pensez pas qu'un P3 peut avoir la bonne réponse ?

4. L. Si, bien sur, mais ce ne sera jamais aussi sur que celle du formateur. Alors pourquoi s'en priver...

5.

175

C. Donc, la situation en binôme, vous en pensez quoi ?

6. L. Moi, je trouve que fonctionner en binôme n'est pas bien, sauf en tout début de P1 pour être rassuré. Ensuite il y a une gêne dans le soin, la gestion du temps, l'auto-évaluation (serai-je capable de soigner 2 pieds en 45min ?), une qualité de soin pouvant être altérée par mimétisme du binôme vers le bas. Lorsqu'on est seul avec le patient on s'en occupe, on lui parle, il y a un dialogue. Quand on est deux, les étudiants ont plus tendance à parler entre eux et à oublier le patient.

7. C. Et quand vous êtes en groupe, en examen clinique, est-ce pareil ?

8. L. Concernant les examens cliniques, j'ai également trouvé désagréable le fait de travailler en groupe. Une passivité s'installe, même lorsque je prends en charge le patient. Ce n'est plus mon patient, mais un cas clinique que je ne m'approprie pas. Lorsque je prends le patient en charge, ce n'est pas moi qui fait l'interrogatoire, ni les manoeuvres cliniques, je regarde le patient, je laisse la consultation se dérouler. J'ai le sentiment d'être accessoire et d'attendre de devoir restituer des données que je n'ai pas recueilli moi même et dont je ne suis pas sur de la véracité. On a une distance avec le patient, alors qu'on devrait avoir un contact. Pour moi c'est le ressenti qui prime lors de la manipulation du patient, et en P3 on ne le fait pas. Pourtant on est responsable du patient. Du fait d'être à plusieurs, les étapes de l'interrogatoire sont figées, et bloquent le patient dans ses dires. On n'obtient en général pas toutes les informations. C'est désagréable. Lorsqu'il y a des hésitations, le consensus se fait souvent en fonction de la facilité, et par le questionnement mutuel, il n'y a pas de positionnement clair. C'est comme les réunions dans les entreprises qui ont pour but premier de ne pas vraiment prendre de décision, et de se couvrir pour pouvoir dire je ne suis pas le seul à avoir pensé ça. On n'est pas du tout dans une approche professionnelle. Je trouve qu'être en groupe bloque la réflexion personnelle et le cheminent intellectuel, et la responsabilisation. C'est en étant responsable qu'on retient, pas en étant spectateur, ce qui est très fortement le cas lorsqu'on est le deuxième P3 à prendre en charge le patient. Personnellement je n'arrive pas à suivre la consultation, à m'approprier le patent lorsque je ne le prends pas en charge de A à Z...

9. C. Donc, pour vous, ce n'est pas un mode qui vous convient, d'être à deux ou en groupe avec un patient ?

10.

176

L. Non. Le travail en groupe me gène, je pense qu'il vaut mieux voir moins de patients mais les prendre en charge complètement. On se rapprochera alors plus d'une démarche professionnelle qu'étudiante, ce qui est le but en P3. Mais bon, faut dire que je n'ai jamais été habitué à travailler en groupe, aussi...

11. C. Pour autant, être en binôme est-il un exercice dans lequel vous vous êtes sentis à l'aise, c'est-à-dire montrer, expliquer à ses collègues étudiants?

12. L. Je me sens à l'aise dans la démarche de tutorat, mais cela ne m'apporte rien. Au contraire j'ai l'impression de ne pas me préparer correctement à mon objectif personnel qui est de s'entrainer pour le DE, et agir en praticien professionnel. Mais bon...

13. D'accord... Mais pour vous, quelles sont pour vous les qualités nécessaires pour être le tuteur d'un autre ?

14. L. Je pense que pour être un bon tuteur il faut à la fois, maîtriser ses connaissances, être clair dans sa tête, ne pas avoir de priorités plus importantes à gérer, avoir le temps ...et sans doute être sécurisé dans son statut, ses connaissances.

15. C. Selon vous, est ce que travailler en binôme ou en grouper créer des situations particulières, comparativement au fait d'apprendre le métier seul, et non en binôme ou groupe ? Par rapport à la formation, le métier, humainement?

16. L. Oui travailler en binôme ou en groupe créer des situations particulières. Par rapport au métier, je trouve inadapté à la pratique de la profession, où on sera seul à devoir résoudre la plainte du patient. Par rapport à la formation, un ralentissement de la réflexion et de la capacité de prise en charge autonome du patient, de la responsabilisation. De plus je trouve un ralentissement des actions, le temps libéré pourrait être mieux exploité. Humainement, ce n'est pas selon moi sur le temps de travail à l'institut, de plus avec des patients, que se travaillent les relations humaines amicales.

Entretien de Thomas, étudiant en 1ère année.

- La date de l'entretien : le 18 mars 2013 - Age : 21 ans

- Le nombre de frères et soeurs : Un frère

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- Le métier des parents : mère : professeur des écoles/ père : ingénieur informaticien

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : Que vous apporte le fait d'être tutoré ?

2. T : C'est une bonne chose en soi, parce qu'on en est avec un troisième année ou un deuxième année, avec quelqu'un qui a plus d'expériences, il peut nous apprendre à mieux manier les instruments, à s'en servir de façon moins académique. C'est très bien car on voit différentes facettes qu'on ne verra pas en cours. On nous explique que chaque instrument à sa fonctionnalité propre, alors qu'avec un troisième ou un deuxième année qui a plus d'expériences et qui a pu apprendre auprès d'autre professeur, comme par exemple Mr Leparoux, va se servir d'autres instruments pour faire le travail de manière similaire voire plus efficace par moment. Et en même temps ils nous apprennent à aller plus rapidement, à avoir des mouvements plus efficaces et ils nous donnent des « trucs » sur des pathologies, nous conseillent d'appliquer telles ou telles méthodes ; c'est plus simple, plus rapide, plus efficace et corriger certaines lacunes que l'on peut avoir. Pour moi, c'est la finition des ongles essentiellement et c'est de travailler pour avoir une meilleure finition. Les deuxièmes ou troisièmes années m'ont quand même donné quelques astuces pour y arriver.

3. C : Quand vous dites astuces, « trucs », c'est des choses que seules les étudiants peuvent vous donnez, ce ne sont pas les professeurs qui peuvent donner ce genre de chose ?

4. T : Par forcément, les professeurs peuvent également nous les donner, mais vu que l'on est principalement avec les deuxièmes et troisièmes années, ils nous en apprennent un petit peu plus.

5. C : Donc c'est le fait que vous soyez beaucoup avec eux ou de façon très proche avec les étudiants, qu'il y a plus de choses qui se passent qu'avec le formateur ?

6. T : Oui, mais vu que l'on est avec eux durant le soin et non après, on peut leur demandé directement comment faire pour arriver à tel résultat, et ils peuvent

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nous montrer tout de suite sans que l'on est besoin d'attendre que le professeur viennent pour ensuite lui demander. Il nous donnera les mêmes astuces mais ce sera toujours en décalé, tandis qu'avec le deuxième ou troisième se sera toujours au moment où l'on rencontre le problème.

7. C : Est-ce que ça veut dire que votre tuteur, le troisième année, est d'avantage disponible que le formateur?

8. T : Oui, parce que l'on a directement sous la main.

9. C : Est-ce que d'être juste à côté du troisième année va vous permettre de lui poser plus facilement des questions ?

10. T : Oui, ça favorise les échanges. Et vu que l'on est sur le même patient, la discussion vient plus facilement sur comment résoudre tel problème.

11. C : Et cette notion de « truc », astuce, c'est plus des échanges entre étudiants ? Est-ce que les formateurs vous donnent des « trucs » et des astuces ?

12. T : Les formateurs nous donnent des « trucs » et des astuces mais c'est toujours en gardant à l'esprit que tel instrument à tel fonctionnalité. Cela reste comme même assez académique. Même si par moment on s'en éloigne un petit peu du côté académique, mais ça reste toujours assez centré. Tandis que les étudiants par exemple vont nous dire qu'avec une fraise boule, si tu as des cors profonds, tu y vas avec, alors qu'en cours on nous dit plutôt que sur la peau, on prend une fraise à peau.

13. C : Du coup ça veut dire que le discours des « trucs », les astuces des étudiants sont moins académiques quelque part que ceux des professeurs, du coup il y a un côté plus pratique ?

14. T : Voilà, c'est ça.

15. C : Ça c'est possible parce que ce sont d'autres étudiants ?

16. T : Oui mais j'imagine que les professeurs doivent connaître toutes ces astuces, simplement à mesure où ils ont leur statut de professeur et qu'ils doivent nous enseigner les pratiques de manière académique, c'est leur rôle, donc ils se cantonnent, ils nous l'enseignent comme cela et ils essayent des fois de nous donner des petites astuces sans pour autant rentrer dans le « bricolage ». Mais certains professeurs le font.

17. C : Est-ce que vous pensez que la situation du tutoré est une situation confortable ?

18.

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T : Oui, parce qu'ils nous apportent une aide et nous enseignent un certain savoir-faire. Donc même s'ils ont une critique à faire si elle est constructive, c'est toujours bien pris. Tandis que s'ils font une critique pour le plaisir de faire une critique, ce sera souvent sous la forme d'une boutade ou quelque chose comme ça, mais il y aura toujours quelque chose derrière. S'ils vont se moquer, par exemple, si l'on a fait un soin dégoutant, et ils vont dire que l'on a « taillé un steak », c'est immonde, ce sera comme même pour préciser qu'il faut lisser tout ça, que ce soit joli, harmonieux. Parce que même si l'on a soigné le patient, si on lui laisse un pied dans un état ragoutant, bon...

19. C : Ça se passe ainsi ? Vous me dites que c'est confortable parce qu'il y a de l'aide. Mais est-ce qu'il y a-t-il critique et si oui, comment c'est formulé ?

20. T : S'il y a des critiques, elles sont toujours là dans un but constructif. Je n'ai jamais eu à faire à un deuxième ou un troisième année qui me critiquait sans qu'il n'y est rien de constructif derrière, sans vouloir m'apporter aucune aide. C'était toujours : « tu as fait ça, c'est bien mais là, tu l'as fait comme ça, ce n'est pas bien, là il aurait plutôt fallu que tu le fasses comme çà » ou alors il vient, il prend les instruments et il nous montre : « voilà comme ça c'est mieux, c'est mieux fini, c'est plus pratique, on soulage mieux le patient».

21. C : j'ai vu que vous changiez de binôme ; ça se passe bien avec toutes les personnes avec qui vous avez pu travaillez ?

22. T : Quelques soit les individus, même ceux qui parle peu, dès qu'on leur demande de l'aide, ils ne vont jamais nous envoyer « bouler », ils sont toujours d'accord pour nous apporter leur savoir. Il y en a qui sont plus loquace que d'autres. Mais même ceux qui ne parle pas beaucoup, dès qu'on leur demande de l'aide, ils nous l'apportent et ceux qui parle beaucoup, ce n'est pas tout le temps pour nous donner de l'aide mais ils vont aussi nous donner de l'aide sans aucun problème, et ils vont des fois essayer d'anticiper sur les questions que l'on va leur poser.

23. C : Qu'est-ce qu'est le plus confortable ? Pour vous, quelques sont les situations où çà été le plus simple ?

24. T : Personnellement, ça ne me dérange pas d'avoir soit quelqu'un qui me parle à côté ou quelqu'un qui ne me dit pas grand-chose. C'est assez rare, quand même, vu qu'en soin, on parle beaucoup entre nous. C'est plus gênant quand c'est le patient qui reste dans sa bulle, tandis que notre binôme généralement,

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sauf si c'est quelqu'un d'assez effacé et introverti, ce qui est assez rare quand même, la discussion s'installe facilement. Et même s'il n'y a pas de discussion, ce n'est pas gênant en soi.

25. C : Ce n'est pas gênant parce que ça ne vous pose aucun problème de poser une question à quelqu'un, à un autre étudiant ?

26. T : Non, si j'ai besoin de poser une question, je la pose. Ça ne me gêne pas de poser des questions et vu que j'attends toujours une aide, donc ça me permet d'améliorer ce que j'ai à faire.

27. C : J'aimerais savoir comment les tuteurs vous donnent des conseils, des explications ? Comment ça se passe ? Par exemple, quand vous êtes arrivé en première année ?

28. T : La première fois que j'ai eu soin, j'ai eu un patient qui avait des cors et j'étais avec un troisième année, et lui aussi avait des cors donc je lui ai demandé comment faire, parce qu'on avait vu en théorie comment retirer les cors, comment soigner la pathologie, mais il manquait le coup de main ; parce que c'est bien la théorie mais il faut aussi le coup de main. Le troisième année m'a simplement proposé de regarder comment lui faisait. Je l'ai regardé extraire un cor ensuite j'ai essayé de faire exactement pareil et il regardait ma manière de procéder et il me conseillait « aller cherche plus en profondeur, un petit plus en largeur...

29. C : Donc, le troisième année vous proposait de le regarder un peu ?

30. T : Je lui avais demandé si ça le dérangeait pas de le regarder. Enfin, c'est chacun qui voit sa méthode, moi personnellement je regarde comment faire, le coup de main, la manière dont procède une personne ensuite j'essaye de reproduire, puis je regarde la manière d'une autre personne et de fil en aiguille, j'essayerai d'appliquer ma méthode.

31. C : Et ça se passe toujours bien ?

32. T : Oui, je n'ai pas de souvenir de soin qui se soit pas mal passé.

33. C : J'aimerai bien savoir ce que vous pensez : qu'est-ce qu'un bon tuteur pour vous ? Qu'est-ce qu'il faut ?

34. T : Faut avoir des connaissances ; si le tuteur à moins de connaissances que le « tutoré », c'est gênant et dans ce cas-là les rôles s'inversent mais c'est jamais le cas. C'est la principale qualité. Qu'il apporte des critiques constructives et pas négatives ou par plaisir de critiquer, mais ça n'arrive pas ou c'est des

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boutades, de l'humour mais dans ce cas ce ne sont pas des critiques, ce sont juste des boutades.

35. C : Ca veut dire qu'il faut être bienveillant, gentil ?

36. T : Il ne faut pas non plus que ce soit de la pitié. Il faut aussi qu'il soit moins académique que les professeurs parce que s'il est aussi académique, se sera toujours bien parce qu'il pourra nous apporter des connaissances mais dans ce cas-là on pourrait très bien demander au professeur exactement les mêmes choses. Durant le soin, dès qu'on demande à un professeur de venir parce qu'on a un souci, il nous apporte un point de vue correct, très professionnel et académique. Je dirai que si le tuteur, deuxième ou troisième année, est très académique en soi, on pourra lui demander parce qu'il est sous la main mais autant aller demander à un professeur parce qu'il a plus d'expériences et de savoir-faire.

37. C : Etes-vous entrain de me dire que c'est complémentaire d'avoir un tuteur ?

38. T : Oui, même s'ils ont moins d'expériences, ça reste quand même complémentaire.

39. C : Est-ce que vous pensez que les P3 ont tous envie de vous aider ?

40. T : Je dirai, que déjà le fait de venir dans cette formation signifie que, quelque part, on a envie d'aider les autres donc partant de ce principe, j'imagine que le fait d'apporter des critiques constructives, un certain savoir-faire, reproduire un savoir, c'est quelque chose qui n'est pas gênant et que chacun, je suppose, apprécie de faire.

41. C : Vous pensez que, rentrer dans une formation paramédicale comme podologue, ça sous-entend que les gens sont forcément des gens qui aiment bien aider les autres?

42. T : S'ils sont venus dans le but d'aider les autres, ce qui est quand même la majorité des cas ici et pas juste pour avoir un métier qui leur apporte de l'argent, oui. Et puis vu qu'il y a un certain contact humain, même si le but premier n'était pas forcément d'aider les autres, il y a forcément ce contact qui vient et au bout des trois années, le contact est là et ils font avec, et donc d'apporter la connaissance et aider les autres, c'est quelque chose de quotidien et de naturel. Personnellement je voulais faire un métier paramédical pour aider les autres donc aider les autres par le soin ou aider les autres en leur apportant

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une certaine connaissance est quelque chose qui est normal pour moi et appréciable...mais ensuite il ne faut pas prendre la grosse tête.

43. C : Ça c'est une autre qualité qu'il faut voir, ne pas être prétentieux ?

44. T : Tout à fait, car c'est toujours embêtant d'avoir à côté de soi quelqu'un qui pense toujours mieux savoir que tout le monde.

45. C : Donc un peu d'humilité est intéressante ?

46. T : Oui, car ça peut être gênant pour le première année qui se retrouve à côté de quelqu'un qui dit « mais non ce n'est pas comme ça qu'on fait, regarde c'est comme ça qu'on fait, tu fais mal, c'est comme ça, moi je sais et toi tu ne sais pas ». Que les professeurs soit comme cela, c'est tout à fait normal parce qu'ils sont là pour nous prodiguer un certain savoir-faire, parce qu'ils ont de l'expérience, du vécu. C'est normal qu'un première année face à un professeur qui a 20, 30 voire 40 ans d'expériences, on peut partir du principe que si le professeur dit « moi je sais et toi tu sais pas », il y a une certaine légitimité, même si ce sera mal perçu parce qu'on dira que le professeur n'est pas très pédagogue, mais il reste une certaine légitimité. Tandis que le troisième année, il n'a juste que deux ans d'expériences de plus que nous, donc ça ne sera pas très bien et il va se recevoir des boutades et tout le monde va se moquer de lui.

47. C : A l'inverse, que faut-il d'après vous comme qualité pour être un bon tutoré ?

48. T : Savoir écouter, ne pas avoir peur de poser des questions sous divers prétextes, par exemple parce qu'on n'a pas envie de passer pour quelqu'un de stupide, quelqu'un qui ne sait pas, mais c'est assez rare. Il ne faut pas être susceptible car certains deuxièmes ou troisièmes année ont une manière de prononcer les choses qui seront parfois un peu brusque, donc si on prend tout de suite la mouche, ça peut être gênant parce qu'on risque de ce braquer et de devenir hermétique à tout conseil et que l'on verrait comme de la condescendance ou certaine forme de pitié, ce qui n'est jamais très apprécié.

49. C : Ce sont des choses que vous avez ressenti ?

50. T : J'avais remarqué que certain donnait des conseils d'une manière un petit peu brusque, par exemple : « non, arrête tu fais n'importe quoi » et qui après rectifiait le tire en nous indiquant comment faire. Vu qu'il y avait quelque chose de constructif derrière, j'essayais de ne pas trop m'arrêter sur la forme et plutôt me concentrer sur le fond, mais j'imagine que certaines personnes qui

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accordent beaucoup d'importance à l'emballage risqueraient d'être un peu gênées.

51. C : Vous pensez que c'est important d'être quelqu'un de relativement aimable et de précautionneux finalement dans les conseils ?

52. T : Il faut aussi faire attention à la personne que l'on a à côté de nous. Si c'est une personne qui est assez susceptible, il faudra parfois prendre des pincettes et si c'est quelqu'un qui n'est pas susceptible ou beaucoup moins, ils pourront se « lâcher » un petit peu plus.

53. C : Est-ce que c'est plus simple de travailler avec des gens que l'on connaît un peu ?

54. T : Une fois que l'on connaît quelqu'un, c'est beaucoup plus simple parce qu'on hésite moins à poser une question, même stupide, on a beaucoup moins d'appréhension et la personne aura plus tendance à prendre des pincettes ou à le dire les choses sur le ton de l'humour plutôt que de le dire d'une façon assez sèche et direct.

55. C : Est-ce que, travailler avec un P3, ça peut servir à autre chose que l'apprentissage du métier ?

56. T : Oui, on peut toujours leur poser des questions sur tout et n'importe quoi mais ensuite on est plus sur un modèle de tuteur/tutoré, là c'est plus un pied d'égalité vu que c'est des questions qui ne touche pas forcément la profession. Dans ce cas-là, il n'y a plus vraiment de raison qu'il y en ait un qui prodigue des conseils et l'autre qui écoute sauf si on se pose des questions externes au métier, dans ce cas-là on est plus sur un pied d'égalité.

57. C : Est-ce que ça permet de se connaître entre promotion ?

58. T : Oui, mais généralement ce genre de question ne se pose pas dans la salle de soin, ou alors au niveau du secteur de décontamination des instruments ou dans les vestiaires, rarement devant le patient.

59. C : est-ce que le fait de se retrouver, à un certains moments, obligé de travailler ensemble permet des relations entre vous?

60. T : Oui, s'il n'y avait pas ces temps ensemble, je pense que l'on resterait plus entre promotion, même si certaines personnes iraient voir plus loin.

61. C : Est-ce qu'il y a un autre moment où vous pouvez être avec les autres promotions ?

62.

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T : Pour connaître les autres promotions il y a les salles de soin, les examens cliniques...les fêtes organisées !

63. C : Est-ce que cette situation en soin sert à connaître un plus les autres ?

64. T : Oui, ça sert à connaître mieux les autres promotions. Sinon, on les croise pas en cours, on les croise rarement pendant les pauses, on les croise dans toutes les petites fêtes mais les liens se tissent principalement dans les travaux inter-promotions comme les soins, les examens cliniques à ce que j'ai pu voir et sinon c'est pendant les soirées ou quand il y a des redoublants qui connaissent déjà les autres promotions.

65. C : Donc ce genre d'organisation favorise d'après vous le fait qu'il y ait des liens inter-promotions ?

66. T : Oui, vu que l'on travaille ensemble, ça créé forcément des liens.

67. C : Comment l'institut vous propose de travailler à deux ? Quand vous êtes arrivé la première fois en salle de soin, est-ce qu'on vous a donnez des consignes ?

68. T : Oui, on nous avait bien sur indiqué que l'on allait travailler en binôme avec un deuxième ou un troisième année, enfin du moins quelqu'un qui a beaucoup plus d'expérience que nous, si on avait des soucis, on pouvait demander soit à l'intervenant, donc au professeur qui était dans la salle de soin, soit justement à notre binôme qui était là pour ça.

69. C : Les gens de l'institut vous dise « voilà c'est comme ça que ça se passe » ?

70. T : Tout à fait, ils nous disent « vous serez avec un binôme et il va vous guider et vous enseigner beaucoup de savoir-faire ». Parce qu'on a l'enseignement théorique, ça c'est avec tous les professeurs et ensuite on a vraiment tout ce qui est pratique, disons que l'on a moins souvent l'occasion d'observer un professeur en train de faire un soin ou autre qu'un autre étudiant. Pour la salle de soin, le professeur sera essentiellement là pour vérifier que l'on a bien fait le soin et éventuellement corriger si on a fait des erreurs ou alors nous indiquer quelles erreurs on a commise pour pouvoir justement les rectifier donc on a pas tout le temps l'occasion de les voir à l'oeuvre.

71. C : est-ce que d'après-vous les relations entre les binômes peuvent, d'après vous, entrainer des modifications autour du soin ? Est-ce que ça change l'exécution du soin ?

72.

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T : Je pense que ça joue quand même. On a une vision du soin qui est le soignant et le patient qui forme un petit peu un tout donc, quand il y a deux soignants, ça reste tout de même un groupe, donc si jamais le contact passe bien entre les élèves, ils auront plus tendance à parler aussi avec le patient tandis que s'il y a un silence qui s'installe directement, j'imagine que le patient sera moins à l'aise donc il parlera un peu moins. Ensuite au niveau de la qualité du soin, je ne pense pas que ça joue beaucoup.

73. C : Vous disiez tout à l'heure que si c'est difficile pour un première année de poser des questions à d'autre, on va peut-être moins apprendre ?

74. T : Si on ose moins, oui. Mais c'est plus vraiment au début de l'année quand on commence les soins, que l'on ne sait pas, que l'on ne connaît personne donc on peut hésiter à poser des questions. Mais après, au fil du temps, vu qu'on commence à les connaître et il y a aussi plein de « grande famille », tous les podologues, ensuite il y a différentes « familles », entre promotions et entre les groupes aussi, mais chaque fois c'est assez soudé.

75. C : Donc ça veut dire qu'il y a une « famille » podologue ?

76. T : Une « famille », c'est peut-être un grand mot mais oui, c'est vraiment un groupe.

77. C : Il est comment ce groupe ?

78. T : Il y a de tout, il y a la « grande famille » IFPEK notamment quand on fait tout ce qui est match de rugby et puis ensuite à l'intérieur de l'IFPEK des fois, on s'envoie des piques entre les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes et les podologues et puis aussi entre les podologues, on s'envoie des piques entre les premières, les deuxièmes et les troisièmes années et au sein même des années, on s'envoie des piques entre les groupes. C'est comme ça mais ça reste quand même assez bonne enfant, c'est soudé.

79. C : Ce n'est pas par hasard que vous avez employé le mot « famille » ?

80. T : Oui, c'est une sorte de relation assez forte.

81. C : Est-ce c'est une notion qui est importante pour vous ?

82. T : Oui, c'est important parce qu'après, notamment grâce à l'ordre des podologues, ça réunit quand même tous les podologues, ce n'est pas chacun dans son coin et chacun pour soi, c'est vraiment tous les podologues tout comme les médecins ; on peut dire que tous les médecins forment en sorte de « grande famille » des médecins. Ensuite il y a la « grande famille » des

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métiers de soin, et la « grande famille des kinésithérapeutes, des aides-soignants, des infirmiers... Ça reste dans le même schéma de groupe. Et c'est plutôt bien en soi, ça évite l'individualiste en outrance : « voilà moi je fais ça comme ça, dans mon coin ». Non, c'est vraiment un groupe et il faut travailler ensemble. Le travail pluridisciplinaire pourrait très bien illustrer ça. On pourrait dire que ça part du principe que l'on est vraiment dans une « grande famille » de métiers de soin, donc il ne faut pas hésiter ou avoir d'appréhension pour envoyer un patient chez un collègue qui ne fait pas forcément notre métier ou un collègue qui fait notre métier mais qui fait un facette de notre métier un petit mieux que nous, par exemple si on se spécialise en pédicurie et que le patient a besoin de podologie, il ne faut pas hésiter à l'envoyer chez le collègue ; donc je dirai que le travail pluridisciplinaire reste vraiment dans cette optique : tous les soignants sont là pour faire le métier de soin et pas « je suis podologue, je suis avec les podologues », « je suis médecin, je reste avec les médecins », c'est vraiment « je suis médecin, je suis dans un métier de soin ». C'est la vision que j'ai ; on est là pour aider le patient donc ensuite les petites querelles internes...ce serait bien qu'il y en ait moins.

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Entretien d'Amel, étudiante en 1ère année.

- La date de l'entretien : le 19 mars 2013

- Age : 20 ans

- Le nombre de frères et soeurs : un frère, une soeur

- Le métier des parents : mère : professeur d'anglais/ père : opticien

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une

année de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : Que vous apporte le fait d'être tutoré cette année ? Est-ce que c'est une situation confortable ?

2. Am : Selon moi, le fait que l'on soit accompagné par un P3, je trouve ça plus confortable, en tout cas pour les débuts que d'être avec un professeur, c'est moins stressant parce qu'il a une vision qui va lui permettre de nous dire que ce qu'on fait ce n'est pas bien, mais c'est vrai que l'on a l'impression qu'on a plus le droit à l'erreur. Après, moi je trouve ça bien parce qu'il y a quand même les professeurs qui sont là derrière donc on a comme même l'avis des professeurs et la vision du P3 va pas forcément être la même que celle du professeur et donc si le P3 est dans l'erreur c'est bien des fois de nous recadrer aussi. Donc c'est bien parce qu'on n'est pas qu'avec le P3. J'ai essayé pour les évaluations de soin le fait d'être toute seule et c'est vrai que c'est plus confortable au niveau « espace » mais après c'est plus stressant parce que si on fait une erreur c'est nous et c'est à nous de rattraper, sans personne pour nous aider mais en même temps ça nous responsabilise et au final au cabinet on sera tout seul donc c'est bien aussi.

3. C : Comment vous sentez-vous quand vous êtes avec un P3 par rapport à des situations où vous êtes seule ?

4. Am : Plus détendue, et c'est vrai qu'on est très stressé au niveau des soins. A mon premier soin j'étais très stressé et le fait que justement ce soit un P3 m'a peut-être plus détendue, je pense que si ça avait été un professeur, j'aurai plus eu peur de mal faire alors que ça ne change rien.

5. C : Est-ce qu'un P3 juge votre travail ?

6. Am : Non, en tout cas moi je ne me sens pas jugée quand je suis avec eux.

7. C : Alors comment ça se passe quand vous êtes avec eux ?

8.

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Am : Déjà ça à évolué depuis le début de l'année de toute manière parce que moi je sais faire des choses maintenant qu'au début de l'année je ne savais pas faire donc au tout début j'étais avec une P3 qui m'avait vraiment accompagné, elle m'avait dit comment elle faisait, comment fallait faire, elle m'avait vraiment accompagné et montrer les gestes. Maintenant c'est un peu différent, des fois on fait un briefing au départ, on regarde ce qu'il y a à faire, le P3 dit « je pense qu'il y a telle chose » et il me laisse faire et si j'ai une question par contre je n'hésite pas à demander et généralement ils disent « n'hésite pas à demander ». Parce qu'il y a peut-être des personnes qui n'osent pas forcément mais je n'ai pas eu de problème par rapport à ça et j'ai toujours demandé, il n'y a jamais eu de problème.

9. C : Quand vous dites « il n'y a pas eu de problèmes », vous avez osé demander au P3 et on vous a toujours répondu quel que soit les gens avec qui vous avez travaillez ?

10. Am : Oui, et je voyais que ça ne les dérangeais pas.

11. C : Les choses se sont passées de la même façon quelque soient les P3 avec qui vous avez travaillé ?

12. Am : Oui, même avec un P2 ça m'est déjà arrivé et c'était pareil. On m'a toujours mise à l'aise, on m'a toujours épaulé, accompagné, on m'a toujours répondu avec plaisir et je trouve qu'on voit qu'ils aiment ce qu'ils font, du coup ça ressort.

13. C : De quel façon on vous demande à l'institut de travailler à deux, en binôme ? Est-ce qu'on vous a expliqué les choses, est-ce qu'on vous a dirigé ?

14. Am : Les professeurs nous ont dit qu'on était en binôme, ensuite c'est le P3 qui a pris le relais et qui nous a expliqué ce qu'il fallait prendre et qui nous a guidés ensuite. Je me rappelle avoir suivie la P3 et j'ai fait pareil en fait.

15. C : Ce sont les P3 qui vous ont dit après quoi faire ?

16. Am : Les professeurs passaient de temps en temps pour voir si ça allait, et si ça n'allait pas ils nous aidaient mais s'ils voyaient que ça se passait bien et que le P3 faisait son « job », ils laissent faire, mais ils surveillaient toujours. Il y a toujours quelqu'un de présent si on a un problème ou quoi que ce soit. Mais c'est plutôt le P3 qui a pris le relais, les professeurs ne peuvent pas être avec sept P1 en même temps sur sept postes différents.

17.

189

C : Est-ce que c'était confortable les premières fois où on vous a dit « vous vous installez où vous voulez » et c'est tout ?

18. Am : Moi ça ne m'a pas gêné. Je ne connaissais pas les P3 de toute manière donc si on m'avait dit de choisir par préférence, j'aurai été embêté donc ça a été au hasard et au final ça a fait bien les choses.

19. C : Donc pour vous ça a été suffisant ?

20. Am : Oui.

21. C : Et après, comment s'est passé la séance de soin entre vous et le P3 ?

22. Am : Je ne sais pas s'il y a eu un briefing avec les P3 parce qu'ils avaient l'air de savoir qu'il fallait nous épauler, parce qu'ils ont été à notre place aussi mais je ne sais pas s'il on leur en a parlé mais ils avaient l'air de gérer et de savoir quoi faire. C'est vrai qu'au début, moi je n'osais pas forcément parler et elle m'a mise en confiance.

23. C : Du coup c'était confortable ?

24. Am : Tout à fait, oui.

25. C : Comment les tuteurs, les P3, vous donnent-ils des conseils, des explications ? Comment ça se passe ?

26. Am : Ca dépend parce que des fois c'est moi qui demande. Je préfère toujours demander, dès que j'ai un petit doute je n'hésite pas donc quand je demande ils m'expliquent par moment ils me montrent sur le pied sur lequel je travaille. Sinon ça m'est arrivé deux trois fois qu'ils me donnent des conseils juste comme ça pendant que je suis en train de faire et souvent il demande si ça va, ils sont très à l'écoute. Ça m'arrive que ce soit un petit peu long parce qu'on est encore en première année et tout de suite ils demandent si ça va, si on veut qu'ils reprennent la main, qu'on les laisse faire un peu plus si on est stressé. Au début ils nous demandaient ce qu'on voulait faire et ce qu'on n'osait pas encore faire.

27. C : Avez-vous perçu une forme d'attention des P3 pour vous ?

28. Am : Oui, comme s'il me prenait sous leurs ailes en fait. Moi j'ai vraiment l'impression que c'est ça. C'est agréable et c'est pour ça que ça me fait un peu mal de dire que quelque part quand je suis toute seule j'aime bien avoir ma place, mon espace parce qu'à côté de ça j'adore sentir qu'ils sont là. C'est un petit peu ambiguë, d'un côté j'aime bien qu'ils soient là et de l'autre côté j'aime bien être seul.

29.

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C : Pour vous, qu'elles sont les conditions requises pour être un bon tuteur ?

30. Am : Déjà, aimer ce que l'on fait, c'est la condition principale pour moi et pouvoir se mettre à la place de l'autre, être déjà passé par là du coup, ne pas oublier que le patient est là parce que c'est vrai que des fois on parle entre nous et je trouve ça pas forcément bien parce que le patient est là et qu'au final le patient passe en premier, à mes yeux en tout cas et le fait que l'on parle des fois ensemble, si le patient est présent et que l'on sent qu'il écoute ce que l'on dit je pense que c'est mieux de discuter avec le patient après c'est vrai que lorsqu'on est à deux c'est difficile parce qu'il y a forcément un des deux qui prend le pas sur l'autre, une discussion à trois c'est plus difficile surtout quand il y a un P3 et un P1 parce que le patient écoute forcément plus le P3.

31. C : Est-ce qu'aimer son activité, aimer ce qu'on fait suffit pour donner des explications et des conseils ?

32. Am : Non, c'est aussi oser soit même faire les choses, parce que si on est avec un P3 qui n'ose pas lui-même, nous on ne va pas se sentir en confiance et avoir un minimum de connaissances parce que les professeurs nous enseignent mais aussi les P3, ils font le relais des connaissances.

33. C : Donc quelque part ils enseignent aussi ?

34. Am : Moi je trouve, parce que si on a la version du professeur et la version du P3 qui est différente, il y a un moment où l'on ne sait plus donc je pense qu'il faut qu'il connaisse bien leur cours pour pouvoir nous le répéter. Je pense que s'ils ne savent pas, qu'ils ne connaissent pas la théorie en pratique, ça ne marche pas non plus.

35. C : Alors pour vous, redonner de la formation théorique, est-ce que c'est quelque part transmettre et enseigner ?

36. Am : Moi je pense, parce que dans un cours on écoute mais on n'enregistre pas forcément tout et le fait qu'ils en remettent une couche, je pense que c'est bien.

37. C : Est-ce que redonner de l'information vous semble quelque chose d'indispensable pour remplir un rôle de tuteur ?

38. Am : Oui, sinon je ne serai pas à l'aise si je voyais que l'on ne m'expliquait pas...

39. C : Est-ce que vous vous êtes retrouvé dans une situation où vous pouviez sentir que l'étudiant, le P3, aimait son travail mais qu'il n'avait pas forcément envie de vous donner des conseils, des explications ?

40.

191

A : Non, ça n'est pas arrivé.

41. C : Et si cela s'était passé ?

42. A : Je pense que ça me gênerait un peu, je ne me sentirai pas forcément appréciée, pas à ma place, j'aurai l'impression que le P3 veut être tout seul.

43. C : Donc du coup il ne serait pas un bon tuteur? Il faut qu'il vous donne quelque chose ?

44. Am : Oui, il faut qu'il ait envie de nous aider. C'est un échange, moi je suis là pour apprendre mais j'apprends aussi ce qu'il me dit, ce qu'il me montre. Apprendre tout seul, c'est difficile.

45. C : Donc, avoir envie de donner, de transmettre, ça fait partie des conditions pour être un bon tuteur ?

46. A : Oui, et un bon podologue.

47. C : C'est-à-dire, un bon professionnel ?

48. Am : Oui, un bon professionnel de la santé parce que si on a envie de donner au patient, on a envie de donner au P1 aussi.

49. C : Est-ce que vous pensez que les relations entre les deux étudiants peuvent modifier le travail autour du soin ? Est-ce que vous pensez que le type de binôme peut faire varier le travail technique et relationnel avec le patient ?

50. Am : Le relationnel avec le patient, oui, j'en suis persuadée parce que si le patient sent que les deux étudiants ne s'entendent pas, il ne sera pas forcément à l'aise. Après au niveau du travail, je ne sais pas, ça ne m'est jamais arrivé. Au début, oui parce que du coup nous on n'est pas sûr en tant que P1, on n'est pas sûr de ce qu'on fait et donc on se sent mal à l'aise et le patient va le ressentir aussi, après maintenant, je ne sais pas.

51. C : Vous m'avez dit que ça c'était bien passé, mais est-ce que ça a toujours été pareil ou c'était différent ?

52. A m: Non, après il y a des gens plus timides... La personne la plus timide à qui j'ai eu à faire c'était lors du premier soin et au final, ça c'est bien passé, elle m'a expliqué certaines choses, elle n'osait peut-être pas beaucoup mais au final, ce qu'elle m'a dit était suffisant parce qu'au premier soin, il ne faut pas non plus en donner trop parce qu'on se sent dépassé ; sinon, donc au final pour moi, c'est très bien tomber et puis au fur et à mesure j'ai eu des personnes qui était un peu plus extraverties et qui m'ont donné plus d'informations et finalement, c'était bien parce que j'en voulais plus justement. Par contre si je

192

dois retomber sur une personne qui ne me donne pas trop de choses maintenant, je ne sais pas si justement ça me dérangerais parce que j'en attends plus ou si ça ne me dérangerais pas justement parce que maintenant je sais faire ; mais je ne sais pas tout faire non plus, donc si j'ai un soin pas trop difficile, je pense que ça ne va pas me gêner qu'on ne m'explique pas plus de choses mais si j'ai un soin que j'ai jamais fait ou autre, là je pense que j'attendrai plus d'information et un vrai retour du P3. Donc oui, je pense que ça peut modifier le soin, le déroulement du soin le fait que l'on s'entende plus ou moins.

53. C : Est-ce que l'échange avec le P3 peut avoir une influence sur votre propre prise de confiance dans vos apprentissages ?

54. Am : Ça joue beaucoup, pour moi oui. Ça m'est déjà arrivé que le P3 regarde ce que j'avais fait et me dise « c'est bon » et ça fait du bien. C'est très appréciable. Je pense même que c'est super important qu'on nous dise que c'est bien. Qu'on sache dire quand ce n'est pas bien mais aussi quand c'est bien.

55. C : Ressentez-vous la même chose quand c'est l'étudiant avec qui vous travaillez qui vous dit « là ce que tu as fait, c'est bien » et quand le professeur vous félicite sur votre soin ?

56. Am : Non, ce n'est pas pareil. Quand le P3 te dit « c'est bien », ça fait plaisir et quand c'est le professeur, on se sent fière parce qu'il y a toute l'expérience derrière, c'est différent, ce n'est pas juste l'avis d'un élève. Y a un regard vraiment avec l'expérience, on sait que si le professeur dit que c'est bien, c'est bien. Si c'est le P3 qui nous dit que c'est bien, alors on peut penser que « oui, c'est pas mal », mais j'attends quand même le regard du professeur.

57. C : Pour quelle raison ?

58. Am : Je pense qu'il y a une hiérarchie.

59. C : Qu'est-ce qui pourrait faire que le P3 vous dise « c'est bien » et que vous n'êtes pas sûre de son jugement ?

60. Am : Du coup, il perd un peu de sa crédibilité si moi je trouve que ce n'est pas top et qu'il me dit que c'est bien, j'ai l'impression que c'est un travail bâclé, en fait...

61. C : C'est-à-dire ?

62.

193

Am : Je peux penser qu'il s'en fout... Ou alors que ce n'est peut-être pas un très bon P3. Après, on a tous le droit à l'erreur ; ça m'est déjà arrivé de trouver que mon travail était bien et qu'en fait non, donc ça arrive à tout le monde.

63. C : Est-ce de se mettre en binôme avec quelqu'un avec que vous connaissez, qui est peut être un ami, est-ce que ça modifie votre façon de travailler ou ce qu'il se passe entre vous ?

64. Am : Par rapport à la conversation avec le patient, je vais plus oser prendre la parole parce que je vais me sentir plus d'égal à égal avec le P3, après au niveau des soins, est-ce que ça joue réellement, je ne sais pas parce que le fait que je sois ami avec le P3 ne change pas au final mon travail...

65. C : Est-ce que vous avez vu une différence suivant les binômes ?

66. Am : Entre le début de l'année et maintenant, ils donnent peut-être un peu moins de conseils parce qu'on sait le faire au fur et à mesure ; mais est-ce que c'est dû au fait qu'on se connaisse mieux maintenant ou est-ce que c'est dû au fait que l'on sache mieux faire, ça je ne sais pas ; je ne saurai pas dire si c'est le relationnel entre le P1 et le P3 qui joue, ou pas.

67. C : Est-ce que c'est évident d'être tutoré ?

68. Am : Pas toujours, parce que je pense qu'en troisième année ils ont pris leurs habitudes et il y a sans doute des choses qu'ils ne font plus forcément exactement dans les règles et c'est très difficile pour nous d'arriver et de dire « tu le fais pas bien », c'est quasiment impossible en fait. On n'a pas notre mot à dire, sur notre travail on a notre mot à dire mais sur leur travail, non. En tout cas je ne me permettrai pas de juger parce qu'ils ont des connaissances que moi j'ai pas et c'est pas mon rôle de dire que ce qu'ils font n'est pas bien ou alors il faudrait vraiment dans ce cas-là que ce soit devenu vraiment un très bon ami et encore, il y a des P1 à qui je n'oserai pas le dire. Donc non, ce n'est pas toujours évident. C'est une position agréable quand on nous explique mais quand nous on a quelque chose à dire, c'est moins évident.

69. C : Et de recevoir des conseils, c'est facile ?

70. Am : Moi ça ne me gêne pas, j'aime bien. Je pense que la vision de chacun est bonne à prendre. J'aime bien que l'on me donne des conseils, ça veut dire justement que l'on prête attention à ce que je fais. Après c'est vrai que quand je fais mon truc et que je suis sûr de moi y a des moments où je me dis que je n'ai pas besoin de ça mais au final j'aime bien.

71.

194

C : C'est une situation confortable d'être « les petits » comme certains professeurs vous appellent ?

72. Am : Oui, encore une fois quand on dit « les petits » c'est synonyme de, justement, qu'on nous couve un peu en fait donc on se sent en sécurité. Moi pour l'instant ça me plait. C'est très sécurisant. Mais je pense qu'il va falloir à un moment aussi que je coucoune quelqu'un. Je sais que ça va me plaire aussi.

73. C : Alors justement, le faire d'avoir été « coucouné », vous donne envie de « coucouner » quelqu'un d'autre après ?

74. Am : Mais oui, mais après je ne sais pas si c'est le cas de tout le monde. Parce que j'ai envie que quelqu'un se sente aussi bien que moi j'ai ressenti. Pouvoir expliquer... Mais c'est aussi parce que j'aime ce que je fais, quand j'aime faire un truc, j'aime bien montrer aux autres comment on fait et voir que l'autre aussi aime ça. Moi ça me donne envie de montrer l'année prochaine à ceux qui vont arriver, surtout qu'il y en a la moitié qui ne vont pas forcément aimer ça tout de suite, et pouvoir montrer qu'en fait c'est vachement bien et les faire changer d'avis...Dire que nous podologues on fait ça, j'aime bien.

75. C : Pour avoir cette attitude, que faut-il comme qualité ?

76. Am : Pour être tuteur dans le cadre des soins, il faut être généreux mais aussi parce que c'est une profession paramédicale donc de toute façon il faut que l'on soit généreux avec les patients et aussi entre nous. C'est important je pense d'avoir envie de donner, se sentir important et pouvoir faire en sorte que l'autre se sente bien.

77. C : Est-ce que l'ambiance de salle est différente suivant les jours?

78. Am : Pas tellement, parce qu'il y a toujours des patients qui parlent, il y a toujours des patients qui ne disent rien pendant une heure et demi, il y a toujours des rires et il y a toujours des personnes super sérieuses, super concentrées. Mais l'ambiance reste toujours à peut-près la même quel que soit les étudiants, le professeur, quel que soit le jour, que ce soit le matin ou l'après-midi...

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Entretien de François, étudiant en 1ère année.

- La date de l'entretien : le 20 mars 2013

- Age : 21 ans

- Le nombre de frères et soeurs : une soeur

- Le métier des parents : mère : professeur en gestion et tourisme / père : directeur marketing

- Les formations antérieures à celle de pédicure-podologue : Bac série S, une année en faculté de médecine, une année de préparation aux concours paramédicaux.

1. C : Qu'est-ce que vous pensez du fait d'être tutoré ? Qu'est-ce que ça peut apporter ?

2. F : Je trouve ça très bien, ça permet au début d'année de mettre en confiance parce qu'on est pas à l'aise face au patient et puis de faire des soins, on ne sait pas utiliser les instruments, on ne sait pas comment se comporter, on ne sait pas trop comment faire, on a même pas les bases et le fait qu'il y ait quelqu'un à côté de nous, ça rassure, on peut se dire qu'il pourrait éventuellement rattraper les gaffes parce que lui sait le faire et il a le niveau pour au pire rattraper les bêtises que l'on fait. Oui, ça rassure beaucoup en début d'année et, au fur et à mesure, on apprend beaucoup du tuteur, des techniques qu'on n'aurait pas forcément eu l'idée, des instruments et à cette période-là de l'année, c'est très agréable surtout quand il dit « t'as fait du bon boulot », c'est gratifiant.

3. C : Donc ça veut dire qu'ils ont ce rôle-là aussi, les P3, de pouvoir dire « c'est bien » ou « ce n'est pas bien » ?

4. F : Oui, je demande toujours.

5. C : C'est vous qui demandez ?

6. F : Oui, et parfois il me dit « oui, c'est pas mal ».

7. C : Et si c'est moins bien, ils le disent aussi ?

8. F : C'est pareil, ils le disent aussi.

9. C : Et ils l'ont le droit de faire ça ? Vous l'autorisez ?

10. F : Si je demande, c'est que j'attends une réponse.

11. C : Et quand vous demandez et que ça arrive ?

12.

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F : Oui, moi ça ne me gêne pas qu'on me dise franchement les « trucs ». De toute façon je le sais si je fais un « truc » pourri, moins bien ou quand je ne suis pas fier de moi, et en plus ça se voit. Donc après, ça ne me gêne pas qu'on me le dise vu que je suis déjà au courant.

13. C : Si je comprends bien, le tuteur vous aide à faire, vous apprends des choses ; est-ce que c'est différent, similaire par rapport au travail des professeurs ?

14. F : Non, c'est différent. Moi je vois surtout au niveau des professeurs, c'est assez théorique pour l'instant, par exemple en pathologies pédicurales, on voit toutes les pathologies et les moyens de les traiter mais on ne voit pas en cas congrès sur le patient. On ne voit pas comment on met un traitement, le proposer suivant le patient qu'on a en fasse. Là c'est très pratique, on est devant le patient et vu qu'on ne sait pas trop faire, « là je proposerai bien çà ou çà mais lequel ? - Celui-là je l'ai déjà proposé et il marche très bien et surtout avec les pieds qu'il a et il ne peut pas se baisser... Ça marche bien. - Ah bon, d'accord. Celui-là. »

15. C : Donc c'est le P3 qui vous aide dans ces situations ?

16. F : A choisir, pour l'instant. Au fur et à mesure de l'année, on prend un peu plus d'autonomie mais je sais qu'au début, je n'étais pas capable de voir tous les détails.

17. C : Donc le P3 c'est lui qui aide, qui fait la transition entre la théorie et la pratique ?

18. F : Oui, qui peut éventuellement aider dans les choix. Après il ne faut pas lui demander de faire tout le boulot, ça ne sert à rien.

19. C : Est-ce qu'il y a des différences de langage quand vous êtes avec un P3 et quand vous êtes avec des professeurs ?

20. F : Ah oui, on est beaucoup plus proche des P3 parce qu'on a déjà fait des soirées ensemble, on les connait. Et après il y a toujours la barrière professeur/élève. Même si l'on peut demander des choses au professeur, on ne va pas leur parler comme on parle au P3.

21. C : Est-ce que ça ça permet de poser d'avantage de questions à un autre étudiant ?

22. F : Oui. Surtout des questions que je trouve un peu « bêtes », ou les questions où j'ai un trou... Je vais pas trop aller le demander à un professeur parce que des fois que ça passe mal, mais à un P3, je n'ai pas de problème.

23.

197

C : Donc le fait d'avoir à peu près le même statut d'étudiant facilite les rapports ?

24. F : Le statut d'étudiant aide beaucoup, oui. Et le fait de savoir qu'il risque de connaître la réponse, c'est pas mal.

25. C : Justement, d'après vous c'est quoi un bon tuteur ?

26. F : C'est d'abord quelqu'un qui est capable d'arrêter son soin pour venir nous aider alors qu'on est en difficulté, de répondre aux questions sans se creuser la tête.

27. C : Est-ce que ça sous-entend qu'il faut qu'ils aient envie de vous aidez?

28. F : Il faut qu'ils aient envie de répondre aux questions mais il ne faut pas qu'ils se sentent obligés non plus. Après, il faut amener la question comme il faut aussi. Un bon tuteur, c'est quelqu'un d'ouvert, qui accepte de donner des critiques et qui a envie de nous apprendre aussi ce qu'il sait faire.

29. C : Tout à l'heure, vous avez parlé des connaissances, en disant que si vous posez une question il va pouvoir vous répondre. Donc ça veut dire quoi pour vous concrètement ?

30. F : il faut que le tuteur connaisse son cours.

31. C : Qu'il ait plus de connaissance que vous ?

32. F : Oui, à chaque fois c'était ça. Surtout les P3, ils connaissent les cours de pathologies, les pieds... Ils connaissent tout cela par coeur.

33. C : Donc un tuteur doit avoir systématiquement plus de connaissance qu'un tutoré ?

34. F : Pas forcément d'avantage, mais de savoir mieux les exploiter. C'est surtout cela, car pour moi ils ont plus d'expériences, du coup, si je leur propose par exemple, « là à ton avis, je fais quoi ? - Ah moi je fais comme ça », alors que je n'avais vu qu'on pouvait le faire comme cela.

35. C : Vous me parler d'expérience technique ?

36. F : Oui, mais c'est une application des connaissances. Savoir quel instrument prendre dans tel cas, quel traitement proposer, reprendre si je fais mal un geste. J'appelle cela l'application des connaissances, l'accumulation de l'expérience qu'eux, on eu en trois ans et que nous ne faisons que cette année.

37. C : Est-ce que ça pourrait être de l'ordre des choses d'astuces, des choses comme cela ?

38.

198

F : Oui, c'est des astuces, c'est ce qui leur convient le mieux à eux, ce qu'ils ont éprouvé, fait plusieurs fois, ils ont testé leurs procédés et eux ça leur convient après c'est à nous de choisir si on veut faire pareil ou pas mais pour moi, ce que j'ai vu à chaque fois, par exemple pour le traitement d'un ongle incarné, c'était un des professeur qui avait fait ça au burin et la deuxième fois que j'ai vu quelqu'un le faire autrement et avant on faisait une entaille avec une pince à ongle pour faciliter la coupe de l'ongle et je n'avais pas compris pourquoi on faisait comme ça ; l'étudiante avec qui j'étais m'avait expliqué et c'était clair.

39. C : Est-ce que ça veut dire que parfois le P3 va vous expliquer de façon plus claire les choses ?

40. F : Pas forcément, c'est pas une question de clarté d'utiliser le burin ou à la gouge, mais c'est avec différent mot, vu qu'il n'y a pas la barrière professeur/élève, on est très direct et on enjolive pas les choses.

41. C : Il y a d'autre condition pour être un bon tuteur ?

42. F : Il faut être capable de bien s'entendre devant le patient, avoir une bonne relation avec le patient, parce que s'il y a ça, après ça permet de faire accepter plus de chose au patient. Par exemple si l'étudiant va regarder le pied et que le patient n'est pas à l'aise avec cette personne-là, pour lui ça ne va pas passer et nous en tant que P1, on le sens un peu quand le patient est un peu réticent.

43. C : Est-ce que la relation qui se passe entre les binômes peut modifier ce qui se passe en dehors du soin, de la technique ?

44. F : Je suis tombé sur des patients assez différents et il y en a où l'on ne peut rien faire, surtout une patiente que j'ai eu où l'on en pouvait rien faire et où elle hurlait tout le temps, on en pouvait pas la toucher. Dès que le P3 faisait quelque chose, moi je ne devais rien faire parce que sinon elle ne pouvait plus se concentrer sur la douleur. Mais la P3 avait amené sa façon à lui expliquer qu'il fallait avancer un petit peu mais gentiment, clairement et c'était bien passé. Et à l'inverse, il y a des patients on peut tout leur faire, ils lisent un livre et ils s'en fichent complètement et après c'est un métier où il y a une relation avec le patient qui doit se faire, et là, le fait d'être en binôme parfois on parle un peu entre nous, plus qu'avec le patient, et moi en tant que patient, deux personnes qui parlent entre eux ça ne me plairait pas forcément. La plupart du temps les P3 disent « au fait, vous venez d'où, vous faites du sport ? », ils

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cherchent un sujet de conversation ou au lieu de faire une conversation en duo, ça passe avec le patient et du coup, après il est plus réceptif au soin, accepte mieux que l'on fasse éventuellement une bêtise. Par exemple, « je vous mettrai un petit pansement à la fois du soin. - Oh, c'est pas grave ».

45. C : Donc les relations qui se passent dans cette espèce de trio peuvent être différentes en fonction des personnes ?

46. F : Oui, des personnes et des soignants aussi.

47. C : Tout à l'heure vous m'avez donné vos idées sur le fait d'être un bon tuteur, et inversement, pour vous c'est quoi être un « bon » tutoré ?

48. F : Quelqu'un qui est d'accord de recevoir des remarques, qui écoute ce qu'on lui dit et qui essaye de faire mieux la fois suivante c'est-à-dire, qui s'adapte aux remarques qu'il reçoit. Quelqu'un qui a envie d'apprendre un peu du tuteur, qui est intéressé par les soins en général, qui est là pour apprendre des choses des professeurs et du P3 qui est à côté s'il y a besoin d'apprendre un « truc » sur le coup ; et il ne faut pas qu'il est peur de poser des questions.

49. C : Est-ce que ça pourrait vouloir dire que pour des gens qui seront extrêmement timide, ça serait compliqué ?

50. F : L'avantage c'est que, même pour des gens timides, c'est un peu plus simple de poser des questions parce que c'est des personnes que l'on connait à partir du début de l'année. On peut choisir nos binômes, c'est un moyen de connaître des gens. Moi je connais quelques P3 parce que je l'ai ai eu en soin dans l'année...

51. C : Donc ça sert à ça ou ça peut servir aussi à ça ?

52. F : Il y a un relationnel aussi avec les P3 et ça fait que si on les revoit après même dans les couloirs « ah tient, j'ai une question », et si on les recroise après dans la salle de soin, on ose clairement : « la dernière fois tu m'as dit qu'il fallait faire ça ; par contre là, il y a toujours un petit problème, tu ferais comment là ? ». On ose plus facilement, il n'y a pas ou moins de barrière, même si c'est des P3 et même avec des P2 vu qu'on est entre étudiant. Après si c'est quelqu'un de timide en général, il aura moins de mal à poser sa question plutôt que d'aller voir un professeur. çà permet aussi de travailler un peu le relationnel entre étudiant et pas forcément de se libérer complètement de sa timidité mais d'adapter et de lui permette d'oser poser des questions.

53.

200

C : Comment ça se passe généralement, parce que vous avez déjà un peu d'expérience sur les binômes, vous n'êtes jamais tombé avec le même P3, ça changeait régulièrement ?

54. F : Oui, je change tout le temps de binôme.

55. C : Est-ce que les relations sont toujours les mêmes ?

56. F : En règle générale, je m'entends toujours bien avec le P3 mais après selon le jour, l'humeur et la personnalité, ça n'accroche pas forcément toujours aussi bien. Mais on ne va pas se taper dessus après un soin.

57. C : Est-ce que vous avez remarqué de la part de votre tuteur, des façons de faire un peu différentes dans la façon d'interagir ?

58. F : Oui, dans les techniques et dans les types de travail. Il y en a qui vont toujours commencer par la coupe d'ongle ensuite le reste, d'autre vont d'abord traiter la zone douloureuse et si on a le temps on fait le reste. Dans une technique et dans l'approche avec le patient, c'est différent moyen d'approche et d'autre qui ne parle pas du tout avec le patient et qui préfère nous montrer à nous, d'autre qui parle exclusivement avec le patient et peu avec nous mais quand on a besoin d'aide, ce n'est pas un problème. Mais ils ont tous une personnalité différentes et ils font tous différentes choses et c'est ça qui est sympa à voir...

59. C : Vous trouvez ça intéressant ?

60. F : On apprend plus de chose quand restant toujours avec le même modèle, même si après on peut juger et choisir de faire comme ça plutôt que de cette façon-là...

C : Est-ce que cela pourrait être confortable d'être toujours avec le même tuteur...

61. F : Moi je préfère en voir des différents. Après je choisis quand même à chaque fois des personnes avec qui je m'entends bien. Mais je préfère voir différents tuteurs comme ça pour chaque technique, ils ont tous une façon de faire différentes et c'est agréable, ça change un peu aussi.

62. C : De quel façon on vous demande de travailler ensemble ? Est-ce que vous vous souvenez comment l'institut vous propose cette pratique-là à deux en soin?

63. F : C'est proposé...

64. C : Imposé ?

65.

201

F : Ce n'est pas imposé parce que ce n'est pas forcément gênant mais on nous dit « vous allez travailler avec un P3, il va vous montrer comment il faut faire, il va vous dire quand ça ne va pas, rattraper vos bourdes en début d'année ».

66. C : C'est ce que les professeurs vous disent ?

67. F : C'est ce que j'ai compris, oui. Ce n'est pas imposé mais on n'a pas forcément le choix non plus. C'est que ça sera comme ça, « t'es pas d'accord mais ça sera comme ça quand même ». Mais après ce n'est pas plus mal parce que, moi, au début, devant le patient, je ne savais pas où me mettre, surtout que le premier soin, on ne fait rien, on est juste là en tant qu'observateur et tu te dis « heureusement que je ne fais rien parce que je ne sais même pas ce qu'il faut faire ». C'est clair dès le début qu'il y aura toujours quelqu'un avec nous pour faire les soins.

68. C : On vous le dit qu'il y aura un plus grand qui est là pour vous aider, pour vous donner des conseils... Du coup vous savez quand vous êtes avec un P3 que vous avez le droit de poser une question ?

69. F : Oui, on nous amène ça de façon à ce qu'on puisse faire des soins dès le début de l'année alors qu'on ne sait pas très bien utiliser les instruments, même si on ne fait pas tout le soin.

70. C : Est-ce que le fait d'être accompagné par un plus grand, vous vous pensez que c'est utile sur toute une année ?

71. F : C'est utile surtout au début, même encore maintenant, après c'est plus agréable qu'utile.

72. C : C'est confortable. Au début, c'est nécessaire ?

73. F : Oui, c'est nécessaire parce qu'on tremble devant le pied, et on a besoin de poser des questions toutes les cinq minutes. Maintenant et depuis l'évaluation, j'ai vu que c'est quand même agréable d'être tout seul même si on ne fait pas forcément ce qui était demandé, c'est quand même assez agréable de ne pas être tout serré, de faire son pied, on a plus de place, d'espace donc c'est aussi une autre approche qui n'est pas déplaisante.

74. C : Est-ce que derrière le plus de place, c'est physique mais aussi mental ? Quelle place vous avez quand vous êtes le « jeune » avec le patient ?

75. F : Quand on est tout seul face au patient, d'un côté c'est plus de responsabilité mais c'est aussi pas forcément plus agréable, mais quand on est avec le P3, on est le P1 qui apprend, on est toujours le « petit » qui apprend. On a un statut de

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« jeune » qui est là en apprentissage. C'est logique. D'un côté, ils disent ça pour nous excuser si on fait des bêtises mais quand on est tout seul, c'est un avantage parce qu'on a aucune excuse et ça permet d'avoir une autre relation avec le patient aussi. Même si on sait bien faire, même si on ne fait pas trop de bêtises, on reste toujours dans l'ombre du P3.

76. C : Et quand vous êtes tout seul, c'est vous qui géré le soin ? ça veut dire que quelque part qu'on on vous autorise à faire ?

77. F : Oui, çà veut dire qu'on est capable, et avec le P3, on n'est pas responsable du soin et dès qu'on a une décision à prendre, on demande au P3 avant.

78. C : Vous ne dites jamais « je pense que sur mon pied, y-a ça », sans demander au P3 ? Ça ne se fait pas?

79. F : Si, sur mon pied mais je trouve que ça ne se fait pas de critiquer le travail du P3 devant le patient ou le prof, même si j'aurai plutôt proposé tel traitement, je lui aurais plus demandé pourquoi il ne propose pas un autre traitement que celui qu'il fait là.

80. C : Et vous n'allez pas dire d'emblée, là il y a une mycose et vous parlez avec le patient « voilà y a une mycose donc je vais vous proposer tel traitement », ça ne se fait pas ça ?

81. F : Tant qu'il y a le P3, non. C'est lui qui prend la décision. Depuis le début et à chaque fois que j'avais un problème...

82. C : Vous n'envisagez pas de dire ? parce que désormais, vous avez des connaissances?

83. F : Oui mais je ne sais pas si ça se fait, en fait. Ils sont là pour m'aider depuis le début de l'année, et maintenant que je sais faire, je ne vais pas pourrir leur soin.

84. C : Donc vous respectez le P3 ?

85. F : Oui. Déjà, je ne suis jamais sûr à cent pour cent, et entre deux traitements différents, je ne pourrais pas forcément choisir le bon et du coup, vu que l'on pense qu'il sait toujours mieux que nous, et le fait qu'il soit là dès qu'il a une décision importante, je lui demande d'abord.

86. C : Est-ce que vous vous êtes retrouvé dans des situations ou vous n'étiez pas forcément d'accord avec ce que proposait le P3 ?

87. F : L'avantage, c'est que l'on a chacun un pied. Je n'ai pas eu beaucoup de traitement à proposer, c'est plus en rapport avec la théorie mais j'essaye et si

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ça convient pas, j'arrête. S'il me dit « fait plus comme ça, moi je n'utiliserai pas celui-là », et non je veux que ça reste mon « morceau » à moi et je fais ce que je veux dessus, même si je fais une bêtise, j'aurai le droit à un « je te l'avais dit, ce n'est pas grave » mais ça reste mon problème.

88. C : L'autre peut vous donnez un conseil mais si ça ne vous convient pas...

89. F : On est en droit de ne pas le suivre et ça n'a jamais posé de problème mais après il faut accepter les critiques, « tu as fait une connerie, tu assumes ».

90. C : Est-ce qu'il autre chose qui vous semble importante par rapport à ça ?

91. F : J'ai bien aimé être à chaque fois avec un tuteur mais le fait d'avoir goûté au soin tout seul en fin d'année, j'aimerai bien, même si ce sont des soins faciles, être tout seul pour voir si je suis capable de gérer un soin du début à la fin ne serait-ce que hors évaluation, parce que c'est assez stressant, c'est un cadre autre que le soin les évaluations.

92. C : Etes-vous en train de dire que le fait d'être accompagné, globalement c'est quelque chose de confortable mais qu'à un moment, on a envie de le lâcher un peu pour mieux voir ce sur quoi on a progressé ?

93. F : Oui, et là où l'on a toujours des problèmes.

94. C : Donc, d'après vous, ça pourrait être intéressant d'avoir des périodes où vous êtes à deux, et d'autre un petit peu tout seul et revenir ensuite à un travail à deux ?

95. F : Oui, en début d'année d'être toujours à deux et bien accompagné et qu'au milieu de l'année, ils nous laissent faire nos soins et qu'ils n'interviennent que si besoin, et maintenant qu'ils nous laissent ne faire qu'un soin tout seul, que l'on puisse voir de quoi on est capable hors évaluation et même avant les évaluations.

Annexe 4 Résumé :

Devenir un professionnel de la santé nécessite des enseignements spécifiques, techniques et théoriques pour une prise en charge thérapeutique. L'apprentissage du métier de pédicure-podologue est un processus qui met en relation des individus avec des statuts différenciés : enseignants, patients et étudiants. Certaines situations de formations à l'acte de soins, instituées en binômes, créent de l'interrelation transpromotionnelle entre étudiants. Que se passe-t-il dans ces moments de stages ? Existe-t-il un intérêt à favoriser un travail coopératif ? Qu'en pensent les étudiants pédicures-podologues ?

Mon travail a donc été d'observer et questionner les individus concernés. Cette enquête de terrain a permis de récolter des perceptions et des représentations. La confrontation de ces informations avec les différents concepts des champs de la sociologie, de la psychologie, de la pédagogie, les analyses des entretiens auprès des étudiants, m'invite à voir, dans ces situations apparemment banales, un phénomène de l'ordre de l'identitaire. Sommes-nous face à une identité professionnelle en construction ? La recherche à visée scientifique est certainement le moyen de le découvrir. Les analyses développées dans ce mémoire s'emploient à le définir plus précisément.

Mots clés : apprentissage entre pairs, socialisation, accompagnement, construction identitaire professionnelle

Abstract :

Becoming a health care professional requires that students receive specific, technical and theoretical lessons to become therapists. Learning the podiatrist trade is a process that connects individuals of different statuses : teachers, patients and students. Some situations of training for care act, established in pairs, create transpromotional interrelation between students. What is happening in these moments of internship ? Is there an interest in fostering a cooperative work ? What do the chiropodist students think ?

Therefore, my job has been to observe and question the concerned individuals. The field survey has collected the impressions of students during their studies and their representations of facts. The comparison of these data with the various concepts in the fields of sociology, psychology, pedagogy and the analysis of the interviews given to students invited me to perceive, in these seemingly mundane situations, the construction of a phenomenon in relation with identity. Scientific research is certainly the way to find it out. The analyses developed in this paper are applying themselves to define it with more precision.

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Key words : peer learning, socialisation, support, professional identity construction






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery