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La loi handicap du 11 février 2005 - quelle reconnaissance de la langue des signes française?


par Magali Leske
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes - Maîtrise Droit Public et Science Politique 2009
  

Disponible en mode multipage

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2009

La loi handicap

du 11 février 2005

Quelle reconnaissance

de la langue des

signes française ?

Mémoire pour la maîtrise de sciences politiques,
Université de Droit et des Sciences Politiques de Nantes

Magali Leské

08/06/2009

2

REMERCIEMENTS

A Monsieur Goulven Boudic, Maître de Conférences en Sciences Politiques à la Faculté de Nantes. Je tiens à vous témoigner ma profonde gratitude, pour avoir dirigé ce mémoire. Je vous remercie également pour vos enseignements, vos conseils et votre disponibilité.

Aux représentants de la Fédération Nationale des Sourds de France, du Mouvement des Sourds de France et d'OSS 2007, pour avoir accepté de me recevoir. Merci pour votre patience et votre enthousiasme.

A Monsieur Daniel Corre, Inspecteur à la Direction Générale des Affaires Sociales, et à Monsieur Pierre-François Gachet, Chef du bureau de l'adaptation scolaire à la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire, pour m'avoir reçue.

A Marie-Christine Le Goff, documentaliste à La Persagotière, pour m'avoir permis d'accéder à la littérature spécialisée.

A Isabelle, pour ton aide à la retranscription des entretiens. A mes proches, à mes amis, pour leur soutien sans faille.

A Angela, à Enzo, parce que vous m'enrichissez, parce que vous êtes riches de vos différences.

3

INTRODUCTION

« Si nous n'avions point de voix, ni de langue et que nous voulussions nous montrer les choses les uns aux autres, n'essaierions-nous pas, comme le font en effet les Muets, de les indiquer avec les mains, la tête et le reste du corps ? 1». L'auteur de ces lignes n'est autre que Platon, pour lequel le langage est imitation. Il nous permet de rendre compte de l'origine lointaine de la langue gestuelle. Déjà au Vème siècle avant Jésus-Christ, ceux qu'il nomme les Muets usaient de leurs mains pour communiquer, faute d'entendre et de pouvoir parler. Mais si ce langage du corps s'impose à Platon, comme une évidence, il reste que le regard porté sur le Sourd et sa langue portera très tôt à controverse. Considérant, en effet, que l'homme est le seul animal à être doué de parole, par laquelle il exprime un raisonnement, une morale2, Aristote affirme clairement dans son « Histoire des Animaux » que les « sourds de naissance », à l'instar des animaux, « sont également tous muets. Ils émettent des sons mais n'ont pas de langage 3». La déduction établie par Aristote entre la parole et le langage, la parole et la pensée nous invite très directement à la remise en cause des facultés intellectuelles des « sourds de naissance ». Ne sont-ils rien d'autre, sous une forme humaine, que des animaux ? Cette représentation du Sourd traversera les siècles, et pénètrera le Siècle des Lumières. « Parle et je te baptise » dira le cardinal de Polignac à l'orang-outan du Jardin du Roi4. La parole est divine, le Sourd qui ne peut, faute de pouvoir parler, être baptisé, serait renvoyé au rang animal. Dans son « Essai sur l'origine des langues », Rousseau va aussi établir que ce qui distinguerait fondamentalement l'homme de l'animal, ce serait le langage, la parole... L'humanisme d'un Montaigne n'aura pas suffit, trois siècles plus tôt, à renverser l'idée dominante d'un Sourd proche de l'animal, sauvage, et non pas politique. Dans « Les Essais », Michel de

1 Platon, Le Cratyle XXXIV, 422d-423b

2 Aristote, La Politique, Livre I, ch.II

3 Aristote, Histoire des Animaux, Livre IV, ch.9

4 Diderot, Le rêve de d'Alembert

4

Montaigne déclarait en effet que « Les Muets disputent, argumentent et content des histoires par signes... si souples et formés à cela, qu'à la vérité il ne leur manquoit rien à la perfection de se sçavoir faire entendre 5». Pourtant, au milieu du XVIIIème siècle, un homme d'Eglise, Charles Michel Lespée dit l'abbé de l'Epée, va consacrer une partie de son existence au développement de la langue gestuelle. Disciple de Saint-Augustin, qui pensait que l'enseignement des Evangiles pouvait se faire au moyen des signes gestuels6, son ambition première est de démontrer que tous les sourds-muets sont éducables, et qu'ils peuvent ainsi faire de bons chrétiens. Cette intention est révolutionnaire. Si quelques sourds-muets issus de bonnes familles reçoivent les enseignements de précepteurs, pour garantir la transmission de l'héritage qui se fait alors par voie orale, si Etienne de Fay, qui était lui-même sourd-muet, a ouvert une école, qui s'éteindra avec lui, pour quelques-uns de ses semblables, il reste que l'éducation de masse envisagée par l'abbé de l'Epée n'a connu aucun précédent. Son souhait de mener à Dieu ces sourds-muets en marge de la société, sa méthode qui repose sur une codification de la langue française en signes, rencontreront les faveurs de la Révolution française. L'idéologie révolutionnaire tend à la construction d'une communauté unitaire, voire uniforme. La philosophie universaliste qui s'impose viendra contrer les particularismes, jusqu'à vouloir les éradiquer. Le paradigme de l'inclusion sociale, cette vision du monde qui tend à la construction d'une société dans laquelle chaque individu est incorporé, formant un tout, anime les esprits révolutionnaires. Le peuple, masse informe dépossédée de tout particularisme, ne pourra exprimer sa diversité. Les sourds-muets seront à l'époque éduqués dans des Instituts spécialisés. Le politique fera appel à la médecine pour les rendre à la société des semblables. A la fin XIXème siècle, la consolidation de la Révolution conduira à l'interdiction de leur langue, la langue des signes. Cette langue a survécu à cent ans d'interdiction. Ca n'est qu'à partir de 1976 qu'un arrêté ministériel, du Ministère de la Santé, autorisera à nouveau l'enseignement de la langue des signes au sein des

5 Michel de Montaigne, Les Essais, Livre II, Chapitre XII.

6 Jean-René Presneau, ..., dans Le Pouvoir des Signes, 1989, P20.

5

établissements spécialisés. Pour autant, l'éducation spécialisée ne donne pas satisfaction aux Sourds, qui ne se considèrent ni malades, ni handicapés. Les Sourds demandent la reconnaissance de leur langue, une reconnaissance officielle, par l'Etat, pour pouvoir recevoir un enseignement en langue des signes à l'école ordinaire. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées comportera deux articles sur la langue des signes. Désormais, la langue des signes est une langue à part entière. Quel changement va générer cette reconnaissance ? Pour répondre à cette question, nous allons nous intéresser à l'histoire de la langue des signes et à l'histoire de ses locuteurs. Puis nous nous pencherons plus précisément sur la loi du 11 février 2005, pour envisager la question du changement.

PARTIE 1 :

LA NATURALISATION DES SOURDS

CHAPITRE 1 : L'INVENTION D'UNE CATEGORIE.

C'est au Moyen-Age que la communication par les signes fut pour la première fois favorablement accueillie7, par l'Eglise. La communauté religieuse, en effet, acceptait de baptiser, marier, confesser au moyen des signes et de l'écrit. Astreints à la règle du silence, les moines bénédictins avaient eux-mêmes adopté un langage gestuel qui devait permettre aux moines du monde entier de se comprendre. Ce projet fut vain. Les moines l'abandonnèrent ou créèrent des variantes à ce langage. L'historienne Aude de Saint-Loup déclare que ceux que l'on appelle à l'époque les sourds-muets étaient mieux intégrés à la société que les autres « handicapés », parce qu'ils vivaient parfois au sein de ces communautés religieuses ou parce qu'ils travaillaient. Robert Castel relativisera la place du travail dans l'intégration sociale au Moyen-Age, considérant que l'incapacité de travailler était compensée par l'appartenance à une communauté territoriale, laquelle portait secours à ses membres, par charité chrétienne8. Mais si le travail n'est pas un facteur essentiel d'intégration, il reste que le regard de la communauté sur ces individus, au handicap invisible et qui pouvaient travailler, ne pouvait être le même que celui porté sur un individu marqué physiquement par l'infirmité. Le sourd-muet au Moyen-Age n'est donc pas exclu de la société, même si sa langue naturelle diffère des autres langues, parce qu'elle repose sur l'usage des signes et non pas sur la parole. Cependant, à compter du XVIème siècle, des procédés vont être élaborés pour faire parler les sourds-muets issus de

7 Aude de Saint-Loup, Les sourds-muets au Moyen-Age, Mille ans de signes oubliés, dans Le Pouvoir des Signes, 1989, P11-19.

8 Robert Castel, Les Métamorphoses de la question sociale, P.99.

7

l'aristocratie9. Mêlant les gestes, l'écriture et l'articulation artificielle, ils leurs permettront d'hériter du patrimoine familial et de contracter car, selon le droit en vigueur, la volonté individuelle ne peut se manifester que par la parole. Donc, dans un premier temps, seule cette élite recevra une éducation, par l'intermédiaire de précepteurs. L'éducation de masse est envisagée au cours de la deuxième moitié du XVIIIème siècle. La philosophie universaliste des Lumières imprègne le siècle et affecte la représentation de l'homme. Parce qu'ils sont déclarés être tous égaux, la nation française qui se construit s'impose d'inclure tous les hommes à son projet unitaire, celui d'une République qui deviendra en 1792 une et indivisible. La méthode d'enseignement élaborée par l'abbé de l'Epée, basée sur ce que l'on appelle alors le geste, aura les faveurs de la Révolution. Destinée aux sourds-muets, elle participera à leur inclusion sociale, en adéquation avec les politiques conduites par les révolutionnaires. Il reste que la consolidation de l'Etat nation, à la fin du XIXème siècle, conduira à l'interdiction des signes, au motif qu'ils éloignent le sourd-muet de la société des parlants.

I- LA REVOLUTION FRANCAISE ET LE PARADIGME DE

L'INCLUSION SOCIALE.

Alexis de Tocqueville a montré que la Révolution française marque la fin d'une étape, celle de la transformation de la société féodale en une société démocratique. La volonté de rompre avec l'Ancien Régime est formellement inscrite dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, dès son préambule. Le texte va formaliser l'abolition des privilèges et donner naissance à un corps social, une société unie et égalitaire. Influencés par l'esprit des Lumières, les hommes de 1789 vont reconnaître des droits naturels à l'homme, aux nombres desquels la liberté et

9 Jean-René Presneau, Le son « à la lettre », dans Le Pouvoir des Signes, 1989, P21.

8

l'égalité : Les hommes naissent libres et égaux en droits10. L'individu devient alors un sujet de droit. Pour autant, l'impératif démocratique qui animait les instigateurs du nouvel ordre visait la restitution du pouvoir au peuple, par l'affirmation de la souveraineté populaire. Qu'en est-il alors de l'individu, quand c'est au peuple que revient la souveraineté ? C'est l'élu de la nation qui va donner corps à la société française et place à l'individu: le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément11. Ainsi, l'Etat-Nation qui se constitue va-t-il centraliser et exprimer la parole du peuple, par les lois. Pour garantir l'unité de la nation, l'Etat va, au nom de l'égalité de tous les citoyens, inclure le citoyen à la société. Et pour concrétiser et rendre effective cette entreprise d'incorporation sociale, les révolutionnaires vont activement mettre en oeuvre une politique d'unification linguistique. Dans ce contexte, la méthode gestuelle développée par l'abbé de l'Epée bénéficiera des faveurs des milieux politiques de l'époque.

A- De l'unité républicaine à l'unification linguistique.

C'est en 1792 que la Convention va décréter que la République française est une et indivisible. Le passage de la société divisée, celle de l'Ancien Régime, à une nation qui se veut « une », n'est possible que par un changement de paradigme. Pour pallier aux inégalités naturelles, l'égalité des droits est proclamée en 1789. Cependant, ce projet universaliste fera abstraction des différences, des particularismes. Les individus ne seront pas intégrés mais inclus à la nation. Pour soutenir cette entreprise, une politique d'unification linguistique verra le jour, pour faire en sorte que le français s'impose sur l'ensemble du territoire national.

10 Article Premier de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

11 Idem, article 3.

9

1/ L'égalité ou « la passion de l'inclusion 12».

La révolution de 1789 est une révolution individualiste, en ce sens qu'elle accorde un statut juridique à l'homme, lequel se voit doter d'un nouveau droit, celui de participer à l'élaboration de la norme, par l'intermédiaire de ses représentants. Mais ce que la loi va exprimer, ça n'est pas une volonté propre à des catégories d'individus ou à des individus singuliers : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous (...) 13». Ainsi en 1789, les politiques ont-ils pensé un système politique total, au nom de l'unité de la nation, sur la base d'un postulat : l'égalité des hommes. Les lois sont alors conformées à l'expression majoritaire et, par avance, toute pensée minoritaire est discréditée. Déjà en 1762, Jean-Jacques Rousseau, le théoricien de la République, croit fermement à l'égalité des hommes et préconise l'égalité en droit contre les inégalités naturelles. Dans son Contrat Social, il dépeint un citoyen obéissant au pouvoir politique et soumis à la volonté générale, parce qu'il est persuadé que l'idée majoritaire est sa propre volonté. En effet, l'homme de la société des égaux ne se pense plus que comme la partie d'un tout. Cette aliénation de l'homme, qui se dessaisit de sa liberté individuelle pour la donner à un tout repose sur l'intériorisation d'une idéologie, posée comme réelle et universelle. Cette idéologie, c'est celle de l'Etat, qui diffuse ses nouvelles valeurs par le droit. De cette construction juridique nait ce que Pierre Rosenvallon nomme « l'âge de

l'abstraction 14». La réalité est mutilée par l'identification totale à des idées, abstraites. L'homme n'est plus qu'un « sujet collectif 15», le peuple est une masse, une entité aux contours obscurs : « Dans la démocratie, le peuple n'a plus de forme : il perd toute densité corporelle et devient positivement nombre, c'est-à-dire force composée d'égaux,

12 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, PV.

13 Article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

14 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998.

15 Idem P13.

10

d'individualités purement équivalentes sous le règne de la loi 16». La loi Le Chapelier de 1791 en est l'expression concrète. Elle consacre l'intérêt particulier et l'intérêt général. Entre l'individu et l'Etat, il n'y a pas de place pour les intérêts collectifs, les rapports sociaux. L'Etat ne devient alors qu'une agrégation d'individus et absorbe, par la centralisation administrative, toute dimension collective. Marcel Gauchet et Gladys Swain en concluent à une « philosophie de la domination » : « le fondement du social est en haut, du côté du pouvoir et des forces de réunion et de coercition, la cohésion du corps social est ontologiquement première, l'inclusion de l'individu dans le collectif et sa subordination sont natives 17». Effectivement, l'homme de 1789 n'est plus membre d'une catégorie particulière de la société française. L'homme de 1789 est un individu isolé, indépendant, incorporé à la nation française par un Contrat Social qui le modèle en citoyen. En définitive, la Révolution française a transformé en profondeur la place de l'homme dans la société. Les différences, les particularismes sont fondues dans une société homogène. La Révolution donne naissance à société de semblables. Mais pour autant, la réalité sociale est naturellement hétérogène. La multitude de langues pratiquées en France manifeste cette diversité. Pour conformer l'homme à leur image, les hommes de 1789 vont alors tenter d'imposer l'unité nationale par l'unité linguistique. La langue devient un symbole de la République, une et indivisible : « pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le méchanisme et faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage 18». La politique de la langue et la construction de la nation vont de pair.

2/ La politique d'unification linguistique.

La politique de la langue menée par les Constituants n'avait de révolutionnaire que son nom. Déjà sous l'Ancien Régime, l'ordonnance Villers-Cotterêts de 1539 visait à

16 Idem P14.

17 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, P388.

18 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, Le rapport Grégoire, P341.

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l'extension de la langue de l'Etat, contre le latin et les langues régionales. S'en suivront des Edits, à partir de la deuxième moitié du XVIIème siècle qui imposeront l'emploi exclusif de la langue française dans la perspective de le faire entendre des sujets du royaume et d'« offrir au roi l'hommage de ses sujets 19». Une même volonté centralisatrice et unificatrice de l'Etat français conduira les révolutionnaires à poursuivre cette politique de la langue. Comment le citoyen peut-il s'identifier à la Révolution s'il ne comprend pas les lois votées en son nom ? L'idée première de la traduction des décrets dans les langues du peuple, décidée le 14 janvier 1790, sera abandonnée en 179320. Dans l'esprit des révolutionnaires, les pays à idiome sont le lieu de la contre-révolution. Dès 1790, l'abbé Grégoire avait élaboré un questionnaire destiné aux gens de la campagne pour préparer sa politique de destruction des langues régionales et mesurer le niveau de diffusion de la pensée révolutionnaire hors de Paris. La séparation récurrente, dans le discours de Grégoire, entre « eux » et « nous » démontre sans ambiguïté que la politique linguistique initiée par Grégoire vise à l'unification d'une France divisée21. Mais l'ouvrage collectif de Michel De Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel nous en dit plus sur l'idéologie révolutionnaire. Les réponses apportées au questionnaire de Grégoire feront l'objet d'analyses épistémologiques, qui ancreront l'entreprise révolutionnaire dans l'histoire, celle du mythe biblique de Babel, celle d'une pluralité linguistique fautive, qu'il faut réorganiser, rationaliser et simplifier pour que la langue devienne à nouveau universelle. L'outil de la rationalisation, ce sera la science. La science au service du politique. La méthode cartésienne de recherche de la vérité par la science avait déjà bouleversé le XVIIème siècle. C'est aussi à la même époque, en 1635, que sera créée l'Académie française, chargée de clarifier la langue française. Les Encyclopédistes s'en feront les héritiers. Ils travailleront à reconstruire une langue primitive, originelle, naturelle dont s'empareront les acteurs de 1789 pour concrétiser leur

19 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la République, P910.

20 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P13.

21 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P56.

12

projet universaliste. Ainsi, le Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française remis par l'abbé Grégoire en 1794 a-t-il une double ambition. Tout d'abord, celle de redessiner les contours d'une langue pure, parfaite, simple, originelle et unique, pour l'imposer à l'humanité entière. Et parallèlement, celle d'unifier le pays en instrumentalisant la langue, en imposant le français au nom de l'unité de la Nation. En conséquence, les gens de campagne, les « sauvages22 », vont se voir interdire l'usage de leurs langues, qualifiées de

« pathologie sociale23». Ces langues, essentiellement véhiculées par l'oral, ne sont pas intégrables au système de parenté imaginé. Désormais, « la République est une langue, et la langue une République 24».

Dans cette période fusionnelle, la France universaliste et civilisatrice va accorder une place aux signes, alors que l'oralisme, l'apprentissage oral de la langue nationale, est défendu ailleurs en Europe. Les sourds-muets feraient-ils exception à la politique linguistique révolutionnaire ? Se verraient-ils accorder le droit à l'usage de leur langue naturelle dans un pays en proie à l'unification linguistique ? Les signes ont été portés à la connaissance des politiques par un ecclésiastique, l'abbé de l'Epée, un entendant. Sa découverte des signes est née d'une rencontre avec deux soeurs jumelles sourdes, en 1760. Il entreprend alors de développer ce moyen de communication pour éduquer les sourds-muets et les socialiser. L'abbé de l'Epée est un homme en avance sur son temps. Son projet sera repris et intégré au nouvel ordre révolutionnaire.

B- Le projet de l'abbé de l'Epée, conforme au nouvel ordre.

Très tôt, les révolutionnaires se sont emparés de la question de l'instruction publique pour agir sur le corps social et travailler à son homogénéisation. L'école doit former

22 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P121.

23 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P19.

24 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la République, P910.

13

les nouveaux citoyens de la nation. L'abbé de l'Epée a lui-même consacré la dernière partie de son existence à l'éducation des sourds-muets, en communiquant avec eux par l'intermédiaire d'une méthode mixte, dite « méthode gestuelle ». L'adéquation entre le projet initié par l'abbé de l'Epée, sa méthode d'enseignement, et la politique révolutionnaire va donner lieu à la création des Instituts de Sourds-Muets.

1/ L'instruction au service de l'unification.

Dès 1790, Talleyrand invite les Constituants à se pencher sur les vertus de l'instruction pour accomplir le projet révolutionnaire et « imprimer dans l'âme des citoyens 25» les nouvelles valeurs nationales. La politique de l'instruction publique va donc avoir pour objectif de façonner les français à l'image du système nouvellement institué, de construire une identité nationale. Avant la Révolution, seuls les enfants sourds-muets issus de l'aristocratie recevaient une instruction, par l'intermédiaire d'un précepteur. Après sa rencontre avec les deux soeurs jumelles, l'abbé de l'Epée entreprend de regrouper les sourds-muets et d'ouvrir une classe chez lui, à Paris. Alors que le courant majoritaire au sein de l'Eglise craignait que l'éducation ne vienne bouleverser l'ordre social, l'abbé de l'Epée, proche du courant janséniste, considérait pour sa part que l'éducation permettait de rendre les hommes à Dieu. Dans son unique ouvrage intitulé La véritable manière d'instruire les sourds et muets, daté de 1774, l'abbé de l'Epée déclare que les sourds-muets appartiennent à « une classe vraiment malheureuse d'hommes semblables à nous 26», qu'il faut éduquer et socialiser, en vue d'assurer leur salut devant l'éternel. L'idée d'une similarité entre les hommes, de leur inclusion sociale par l'éducation collective, convient à l'idéologie révolutionnaire qui sera ordonnée quelques années plus tard. C'est pourquoi, avant sa mort à la fin de l'année 1789, l'Assemblée Nationale s'est préalablement engagée auprès de l'abbé de l'Epée à poursuivre son oeuvre27. En 1791, la Constituante va

25 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, P12.

26 Cité par Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, P14.

27 Le pouvoir des signes, P49.

14

créer l'Institut National des Sourds-Muets, à Paris. Son directeur est l'abbé Sicard, disciple de l'abbé de l'Epée, qui ouvrira un deuxième institut à Bordeaux en 1793. Les deux écoles seront placées sous la tutelle du département de l'Intérieur. Les Instituts vont ainsi devenir le lieu de l'unification. Ils le seront d'autant plus que la méthode mise au point par l'abbé de l'Epée rejoint aussi la politique linguistique de l'abbé Grégoire.

2/ La méthode gestuelle, une méthode révolutionnaire.

La méthode élaborée par l'abbé de l'Epée allie le français écrit, les gestes et l'articulation. Elle vise à simplifier et rationaliser la langue française pour la rendre accessible aux sourds-muets. Dans son ouvrage, l'abbé de l'Epée affirme clairement ses intentions : « l'unique moyen de les rendre totalement à la société est de leur apprendre à entendre des yeux et à s'exprimer de vive voix 28». A l'évidence, l'abbé de l'Epée ne considère pas la langue des sourds-muets comme une langue à part entière, comme une langue constituée d'une syntaxe et d'une grammaire propre. Il souhaite que ses élèves accèdent à la connaissance du français écrit et à la parole. Cette méthode mixte est donc une transposition du français, au moyen des signes. Ce que l'on appelle de nos jours le français signé. S'il n'a pas rédigé un Dictionnaire, comme il était d'usage à l'époque, son successeur, l'abbé Sicard, grammairien de formation, s'y attellera. La méthode de l'abbé de l'Epée obtiendra ainsi les faveurs de la Révolution, parce qu'elle ne bouleverse pas l'ordre établi et mieux encore, parce qu'elle s'y inscrit pleinement. L'abbé Grégoire, lui-même, dans son rapport de 1794, préconisait de s'inspirer de cette méthode pour corriger les « anomalies » de la langue française. Il considère, en effet, que les enfants sourds-muets « qui apprennent la langue française ne peuvent concevoir cette bizarrerie, qui contredit la marche de la nature dont ils sont les élèves ; et c'est sous sa dictée qu'ils donnent à chaque mot décliné, conjugué ou construit,

28 Cité par Jean-René Presneau, Comment faisait-on parler les « muets » avant le Congrès de Milan, dans la revue internationale Surdités, P29.

15

toutes les modifications qui, suivant l'analogie des choses, doivent en dériver 29».

Certes, l'institutionnalisation du projet initié par l'abbé de l'Epée a été favorisée par une relation privilégiée30 entre l'abbé Sicard et les membres d'une Société philanthropique proche du pouvoir. Mais au départ, ne serait-ce pas la rencontre entre deux croyances, qui visent toutes deux à unifier la société française, par l'apprentissage du français, qui aurait permis la tutelle de l'Etat français sur l'éducation des sourds-muets ? N'est-ce pas aussi ce qui aurait conduit au rejet de la méthode oraliste allemande, alors qu'elle visait elle aussi à faire parler les sourds-muets ? Samuel Heinicke, contemporain de l'abbé de l'Epée, avait effectivement mis au point une méthode au sein de l'institution des sourds-muets de Leipzig, qu'il avait fondée, laquelle excluait tout recours aux signes31. Comme le souligne l'historien Günther List, cette méthode reposait sur un enseignement individuel, sur l'intériorisation par l'élève de la méthode, c'est-à-dire sur « l'assimilation acceptée et mise en oeuvre par les sujets eux-mêmes 32». Contre ce « processus isolant 33», la France avait fait le choix de l'éducation collective, pour l'inclusion sociale. La méthode allemande n'est donc pas conforme à l'esprit de la Révolution. C'est donc la méthode de l'abbé de l'Epée qui trouvera toute sa place dans la République française.

Le processus d'inclusion des sourds-muets est entamé. Leur langue n'est pas une langue à part entière et l'éducation qui leur est offerte vise avant tout à les faire parler et accéder au français. Elle bénéficie ainsi des faveurs de la politique révolutionnaire et la méthode gestuelle sera placée sous la protection de l'Etat. Cependant, ce dispositif inclusif ne répondra pas aux attentes des politiques. A la fin du XIXème siècle, l'Etat français interdira l'usage des signes au sein des Instituts.

29 Michel de Certeau, Dominique Julia, Jacques Revel, Une politique de la langue, Rapport Grégoire, P350.

30 François Buton, Historicités de l'action publique, P66.

31 Günther LIST, Le pouvoir des signes, P58.

32 Idem P57.

33 Ibid.

16

II- LA CONSOLIDATION DE L'INCLUSION.

L'école communale n'est pas en mesure d'enseigner les méthodes de l'abbé de l'Epée. L'éducation des sourds-muets n'est envisagée que dans le cadre de l'éducation spécialisée. Les Instituts créés à partir de 1791 renvoient le sourd-muet, transitoirement, dans une société en marge de la société, pour les rendre ensuite à la société. Pour autant, ces Instituts ne comportent qu'une soixantaine de places chacune. Le dispositif éducatif va alors s'avérer insuffisant au regard de la population sourde. Pour renforcer l'inclusion des sourds-muets, le politique va refonder leur éducation et recourir à la médecine. Ces médecins vont intégrer les Instituts dans l'optique de guérir les sourds-muets d'une pathologie inventée. Puis le renouveau d'un nationalisme exacerbé à la fin du XIXème siècle donnera lieu à l'interdiction des signes, au nom de la supériorité de la parole pure.

A- La « biologisation » de la politique34.

Les Instituts de sourds-muets sont dans un premier temps un lieu de transmission du savoir, où une éducation spéciale est dispensée. Cependant, des doutes subsistent sur l'intelligence des sourds-muets. L'arrivée des médecins au sein des Instituts, sous la direction du pouvoir central, va transformer le regard sur la surdité. Les sourds-muets ne seront plus des êtres éducables, ils seront avant tout des malades à soigner.

1/ Emergence de l'éducation spécialisée.

L'Institut National des Sourds-Muets est créé à Paris en 1791. Il sera placé sous la protection de l'Etat, qui va inventer une nouvelle catégorie administrative, regroupant les sourds-muets et les aveugles35. Ces deux populations étant privées

34 André Pichot, La société pure, 2000. P33.

35 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P65.

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d'un sens, ce que l'on nommera ultérieurement le handicap sensoriel, le pouvoir central les a arbitrairement rassemblées dans une même catégorie. Les Instituts seront ensuite classés parmi les établissements de bienfaisance en 1799, sous le Consulat, et rattachés directement à l'Etat, au Ministère de l'Intérieur36. A la fin du XVIIIème siècle, ces écoles sont avant tout des « institutions pédagogiques 37». Mais ces établissements vont servir de « machine à socialiser 38», de sas, c'est-à-dire de lieu transitoire de la transformation des individus à l'image de la société. Le docteur Itard illustre parfaitement cette volontaire ségrégation. En 1842, dans son « Traité des maladies de l'oreille et de l'audition », il décrit son idéal pour l'assimilation des sourds-muets. Cet idéal, c'est celui d'une « colonie organisée en société 39» car «la restitution à la dimension sociale passe par la séparation d'avec la société globale 40». Ainsi, cette mini-société isole collectivement les sourds-muets, pour les rendre ensuite à la société. Le « monde des égaux 41» s'installe, pour réduire l'altérité, et la démarche vise à « exclure en fait pour inclure en droit 42». Cependant, si les établissements sont classés, les individus qui y sont scolarisés restent invisibles. L'administration ne s'intéressera à la population des sourds-muets et des aveugles qu'à partir de 1851, lors d'un recensement qui vise à classer ces individus selon leur potentiel d'éducabilité43. Leur potentiel d'éducabilité, c'est justement ce qui fait très vite débat au sein des Instituts. En 1841, à l'heure où l'Institut parisien devient établissement général de bienfaisance, sous le contrôle d'un bureau spécialisé du Ministère de l'Intérieur, l'objectif éducatif disparaît44. Il s'agira alors de normaliser l'anormalité. En 1920, les Instituts seront transférés au ministère de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociale.

36 Idem P66.

37 Idem P65.

38 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, Chap.VI.

39 Cité par Marcel Gauchet et Gladys Swain, P207.

40 Ibid.

41 Marcel Gauchet, Gladys Swain, La pratique de l'esprit humain, Chap XVII.

42 Ibid.

43 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P68.

44 Idem P67.

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Désormais il n'y a plus de doute, dans les représentations collectives, la surdité devient une maladie mentale, qu'il faut guérir.

2/ De la surdité à la déficience intellectuelle.

Jean-Marc Gaspard Itard fut nommé médecin de l'Institut National des Sourds-Muets de Paris en 1800, par le Ministère de l'Intérieur. Elève de Philippe Pinel, ami d'Esquirol, célèbres pour leurs tentatives de guérison de la folie et acteurs de la politique asilaire, il sera missionné pour soigner l'enfant sauvage de l'Aveyron, privé de langage, à l'Institut de Paris. La représentation des sourds-muets à la fin du XVIIIème siècle permettait-elle de concevoir le traitement de l'enfant sauvage dans leur Institut ? Les sourds-muets seraient-ils des sauvages relevant du rang animal comme le suggérait Aristote ? En 1774, l'abbé de l'Epée n'avait pas cette vision des sourds-muets. Pour autant il déclarait : « Nos Lecteurs pourront être surpris de la bassesse de nos exemples ; mais je les supplie de se souvenir que ce sont des Sourds et Muets que nous instruisons 45». A l'évidence, sa représentation des sourds-muets les renvoyait à une sous-catégorie, celle des hommes déficients intellectuels. C'est dans le même esprit, après son expérience peu concluante avec l'enfant sauvage de l'Aveyron, que le docteur Itard s'intéressera à la surdité. Fondateur de l'ORL, il inventera l'articulation artificielle pour faire parler les sourds-muets et permettre à ceux d'entre eux ayant suffisamment de restes auditifs d'intégrer le système éducatif ordinaire. Les autres seront classés dans la catégorie des déficients intellectuels et seront pris en charge au sein des Instituts. L'enseignement leur sera alors dispensé par l'intermédiaire des signes. La surdité étant considérée comme une maladie mentale, leur langue en deviendra l'expression, un symptôme. Pour soigner les sourds-muets, le docteur Itard leur réservera des traitements particuliers : purgatifs, vomitifs, perforation de la membrane tympanique46... Deux arguments vont être avancés pour justifier ces interventions : il est possible de guérir la majorité des

45 Cité par Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P15.

46 Bernard Jeudy, Surdité et Ethique médicale, dans Le Pouvoir des signes, 1989, P141.

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sourds-muets et l'usage des signes interfère dans l'apprentissage de la parole en provoquant des maladies respiratoires, par l'inactivité de certains organes47. Toutefois, face à une méthode qui ne fit pas ses preuves, l'Académie de médecine préconisera en 1828 la réintroduction des signes en complément de l'apprentissage auditif48. Pour autant, dès l'année suivante, une circulaire interne à l'Institut prévoit la disparition progressive des signes49. Le politique reste le commanditaire dans cette entreprise collective. En 1861, un rapport de l'Institut de Paris envisage même une séparation des enfants sourds-muets selon leurs capacités à oraliser : « aux intelligences inférieures, la langage des signes et les bribes de langue écrite qu'il est possible de leur inculquer 50». Les signes apparaissent alors comme le dernier recours, le moyen ultime à mettre en oeuvre pour tenter de sauver les âmes malades. A la fin du siècle, dans les représentations collectives, le sourd-muet est clairement catégorisé dans la catégorie des déficients intellectuels. Il n'est plus un homme semblable à rendre conforme à la société, par l'éducation. Il est un homme à soigner. A l'occasion d'une visite à l'Institution de Bordeaux du président Félix Faure, le journaliste Gaston Stiegler écrit dans « l'Echo de Paris » du 7 juin 1895 : « Rien n'est plus désolant que le silence absolu de ces jeunes bouches et le demi-silence de ces yeux ternes, reflets d'une intelligence incomplètement développée. Je ne sais si la vue de ces êtres élémentaires, de ces demi-humains, n'est pas plus attristante encore que l'idée de la mort (...). Admirable et navrante caricature de ceux que la nature a faits conformes à des types ordinaires (...). 51». Y a-t-il encore une frontière entre les Instituts de Jeunes Sourds-Muets et les asiles psychiatriques ?

La logique inclusive instaurée par l'idéologie révolutionnaire conduit ainsi à qualifier de pathologique tout ce qui est hors de la norme. L'abbé Grégoire ne qualifiait-il pas

47 Michel Poizat, La surdité de l'histoire, dans la revue internationale Surdités, P111.

48 Yves Bernard, Handicaps et Langages, dans La nouvelle revue de l'AIS, P32.

49 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P 100.

50 Jean-Jacques Valade-Gabel, Lettres, notes et rapports, Grasse, 1894, cité par Yves Bernard dans Surdité et Intégration, dans La nouvelle revue de l'AIS, P33.

51 Extraits dans Le pouvoir des signes, 1989, P106.

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les langues régionales de pathologie sociale ? André Pichot présente la

« biologisation » de la politique comme un moyen efficace d'appréhender le social52. Elle simplifie la donne. Le nouvel ordre politique qui émerge à la fin du XIXème siècle conduira à l'interdiction pure et simple des signes, au sein des Instituts Nationaux de Sourds-Muets français.

B- Le congrès de Milan et l'interdiction des signes.

Après la défaite de 1870 contre l'Allemagne, le nationalisme français « inspire le boulangisme, la pensée de Maurras ou de Barrès, est un nationalisme susceptible, volontiers xénophobe et exclusif 53». Ce nationalisme ancré plus à droite, nostalgique de l'Ancien Régime, est imprégné de conservatisme en réaction à la centralisation administrative, à la démocratie, à l'universalisme. Il se rapproche de l'Eglise traditionnelle et s'inscrit dans « l' historicisme ». Cette idéologie « met l'accent sur la singularité des destinées nationales, l'affirmation de la diversité ; et il propose aux peuples de retourner à leur passé, de cultiver leurs particularismes, d'exalter leur spécificité 54». La langue redevient l'objet d'étude des philosophes, des grammairiens. Elle est à nouveau un outil pour constituer l'unité nationale. A Milan, des experts se réunissent pour échanger sur l'éducation des sourds-muets. Une résolution va discréditer les signes. Elle sera adoptée à l'unanimité. Les politiques français appliqueront cette décision, qui n'a pourtant aucune portée obligatoire, et vont congédier les professeurs sourds-muets qui officiaient au sein des Instituts.

52 André Pichot, La société pure, 2000. P33.

53 René Rémond, Le XIXème siècle, 1815-1914, 1974. P190.

54 Idem. P181.

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1/ La proclamation de la parole pure.

En cette fin de siècle, des relations diplomatiques se nouent en Europe. Dans le cadre d'une alliance, la France et le Piémont se sont rapprochés55. Le choix de Milan pour tenir un Congrès international en 1880 sur l'amélioration du sort des sourds-muets, initié par la France et l'Italie, n'est donc pas fortuit56. Deux ans plus tôt, un Congrès international s'était déjà tenu à Paris pour débattre de l'éducation des aveugles et des sourds-muets. L'abandon des signes est suggéré, au motif qu'ils défavorisent l'inclusion sociale des sourds-muets57. Puis, viendra le Congrès international de Milan, qui proclame la supériorité de la méthode orale déjà en vigueur en Allemagne, rejointe par l'Italie. Y participent 256 congressistes, des éducateurs et des religieux pour l'essentiel. Dix nationalités sont représentées mais les français et les italiens sont largement majoritaires. Quant aux sourds-muets, ils ne seront que trois à être invités, deux français et un américain58. Ce Congrès s'organise comme un procès, celui de la « mimique », qui menace la diffusion de la parole pure. Des arguments médicaux et religieux sont avancés. L'utilisation des signes génèrerait des problèmes de santé, ceux décrits par le docteur Itard, et la vulgarité du langage gestuel serait une offense à la divine parole. Mais pour Christian Cuxac, les raisons invoquées sont plus profondes encore59. Il s'agirait en premier lieu d'un rejet du corps par la morale religieuse. Puis, d'une volonté politique de relancer l'unification linguistique après la défaite française de 1870 face à l'Allemagne. Enfin, d'une réponse clientéliste à la bourgeoisie française qui refuse la mixité sociale au sein des institutions. Un nombre important d'écoles privées se sont créées en France mais la formation des enseignants à la pratique des signes est trop longue pour répondre à la demande d'inscriptions. L'institutionnalisation de l'oralisme, en lieu et place des signes, serait plus efficace pour satisfaire cette classe sociale. C'est pourquoi Christian Cuxac qualifie ce

55 René Rémond, Le XIXème siècle, 1815-1914, 1974, P188.

56 Christian Cuxac, Le pouvoir des signes, 1989, P101.

57 Idem.

58 Yves Bernard, Les Congrès de Sourds-Muets après Milan, dans Surdités, décembre 2001, P64-65.

59 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P102-103.

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Congrès de « mascarade »: « tout le monde est par avance d'accord, le ministre (de l'Intérieur), les rapporteurs comme les participants pour la plupart triés sur le volet et dont les frais de séjour et de déplacement ont été en partie payés par les frères Pereire 60». Ces frères Pereire, descendants de Jacob-Rodrigues Pereire, l'inventeur d'une méthode oraliste dans la première moitié du XVIIIème siècle, ont en effet ouvert deux écoles privées à Paris. A l'issue des débats, les votants proclameront à l'unanimité l'interdiction des signes au motif que «les signes creusaient le fossé entre minorité silencieuse et majorité entendante 61». Les résolutions adoptées reflètent clairement la volonté inclusive qui anime les participants. Il faut « rendre le sourd-muet à la société » (résolution I), « l'enseignement des sourds-muets doit se rapprocher, le plus possible, de celui des entendants-parlants » (résolution III)62. Désormais, les Instituts vont se donner comme priorité de faire parler les sourds-muets.

2/ Le réorganisation des Instituts.

« Pour apprendre une langue, il faut commencer par l'isoler, il faut n'avoir affaire qu'à elle 63». Ces propos auraient pu être tenus dans le cadre du Congrès de Milan mais ils sont ceux du législateur français, en 1890. Les préconisations d'Irénée Carré, le promoteur de l'immersion linguistique, obtiennent les faveurs du Ministre de l'Instruction Publique. L'objectif est alors d'imposer le français à l'école, devenue obligatoire en 1882. La politique révolutionnaire d'unification linguistique se consolide à la fin du XIXème siècle. L'idée d'interdire les langues régionales est réintroduite. Après le Congrès de Milan, bien que les résolutions n'aient pas de portée obligatoire, leurs effets se feront ressentir au sein des Instituts français de sourds-muets. Ils n'auront d'ailleurs d'effets qu'en France, l'Italie pratiquant déjà la méthode orale. Le Congrès de Milan a bien servi de « couverture » à l'Etat français

60 Idem P101.

61 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P101.

62 Idem P105.

63 Patrick Cabanet, Dictionnaire critique de la République, P913, citation de l'Instruction officielle du 15 juillet 1890.

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pour reprendre le propos de Christian Cuxac64. Un nouveau programme d'enseignement pour les enfants sourds-muets, acté par le Ministère de l'Intérieur et le Ministère de l'Instruction publique, entérine la méthode orale pure en 1889. L'objectif est de démutiser les sourds-muets, par la rééducation auditive, la lecture labiale et des exercices d'articulation. Les médecins viendront à la rescousse de cette politique unificatrice. Le discours médical a totalement pénétré les consciences. Ainsi, dans son discours de distribution des prix de 1887, le Directeur de l'Institut parisien déclare : « Semblables au chirurgien qui remplace la jambe perdue de son patient par une jambe de bois, nous suppléons à la langue naturelle absente par une langue artificiellement donnée(...). Les jambes de bois ne courent pas comme les jambes naturelles. Encore rendent-elles quelques services 65». Rendre service, et inclure, c'est aussi ce qui motive les recommandations des frères de l'Institut nantais en 1893 : « Mettons dans leurs mains d'autres livres que ceux faits spécialement pour eux. Ne les tenons plus dans un monde à part. Ayons l'air de les traiter en entendants-parlants et bientôt ils en prendront eux-mêmes les allures. Alors ils seront vraiment de la société ». (La Persago P22). La IIIème République achève le programme révolutionnaire et renforce l'inclusion sociale des individus. Mais l'interdiction des signes va conduire à l'éviction des enseignants sourds-muets des Instituts66. Ces derniers ne seront alors plus d'aucune utilité. Ils seront congédiés. L'Etat réorganise les Instituts, au sein desquels médecins et professeurs entendants s'évertueront à rééduquer les élèves. En 1909, deux psychologues français, A. Binet et Th. Simon, procèderont à une enquête statistique, probablement contestable au regard des techniques actuelles. Néanmoins, ils concluront dans leur rapport intitulé « Peut-on enseigner la parole aux sourds-muets ? » : « pour épargner à ces enfants les fatigues et les pertes de temps de l'enseignement oral qui, après statistiques, échoue complètement et lamentablement chez plus des quatre-

64 Christian Cuxac, Le Congrès de Milan, dans Le pouvoir des signes, 1989, P101.

65 Cité par Yves Bernard, Surdité et Intégration, dans la nouvelle revue de l'AIS, N°9, 2000, P41.

66 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P50.

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cinquièmes d'entre eux 67», il serait préférable de revoir les méthodes d'enseignement. Ces arguments ne trouveront pas d'oreille attentive au sein des Ministères avant la fin du XXème siècle.

La politique inclusive à l'attention des sourds-muets, commandée par l'Etat français, est un échec. Si le français est devenu la langue de l'enseignement, les élèves, internes au sein des Instituts, continuent à pratiquer entre eux leur langue naturelle, la langue des signes, malgré l'interdiction. Une identité sourde se perpétue au sein des établissements collectifs. Ils deviendront très vite le lieu de la revendication, celle d'une identité singulière.

CHAPITRE 2 : LA REVENDICATION D'UNE IDENTITE

SINGULIERE.

« La volonté de reconnaissance apparaît chaque fois qu'une offense, vécue comme une injustice, est infligée à un individu ou à un groupe, au point d'en compromettre l'identité et, par suite, la viabilité 68». La langue n'est pas qu' « un simple instrument de

communication », elle a une fonction identitaire individuelle, et elle est aux fondements de la communauté linguistique69. Selon l'ethnologue Yves Delaporte, « le critère déterminant de l'ethnie est la communauté linguistique 70 ». En France, le déni de reconnaissance de la langue des signes, appelée par les pouvoirs publics « geste », « signes », voire « mimique », est vécu comme une injustice par les sourds-muets. L'élite issue des Instituts va, dès la première moitié du XIXème siècle, se structurer pour affirmer son identité compromise. Les sourds-muets ne vont pas se satisfaire de leur statut d'invisibles, produit par le processus de bureaucratisation. Ils vont s'organiser et agir collectivement pour affirmer leur identité. Mais pour « exister

67 Cité par Christian Cuxac dans Le congrès de Milan, op.cité, P110.

68 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la reconnaissance, dans Esprit, juillet 2008, P129.

69 Louis-Jean Calvet, La Sociolinguistique, 2005, P42.

70 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça, Ethnologie de la surdimutité, Paris, 2002, P72.

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comme humain, c'est alors être confirmé, par un biais ou par un autre, par une procédure de reconnaissance qui met en jeu une communauté de sujets dont la valeur est préservée par le droit. La procédure de reconnaissance exhibe l'humain, le rend pour ainsi dire visible 7f». Cette demande de reconnaissance appelle donc une réponse des institutions, une légitimation de l'identité des sourds-muets par les pouvoirs publics. Cette réponse n'interviendra qu'à la fin du XXème siècle, en 1991, à l'occasion du vote d'un amendement déposé par Laurent Fabius. Limitées aux établissements spécialisés, les dispositions contenues dans la loi seront revues, sans être corrigées, dans la loi du 11 février 2005. Désormais, contre l'inclusion sociale, le mot d'ordre, c'est l'intégration.

I- UN COMBAT POLITIQUE POUR L'INTEGRATION.

Au XIXème siècle, la politique menée à l'attention des sourds-muets est un échec. L'Etat reste impuissant à les rendre semblables, à les inclure à la société idéalisée. Le traitement de masse s'est avéré inefficace, et il contribue même à la formation d'une identité collective. En effet, si les institutions ne parviennent pas à modeler les sourds-muets, elles deviendront toutefois le berceau de la résistance, d'un mouvement identitaire formé en réaction aux traitements thérapeutiques, et aux attaques portées contre leur langue naturelle, la langue des signes. Les sourds-muets revendiquent une identité propre, qui ne fusionne pas à l'entité abstraite qu'est le peuple. Contre l'illusion de l'unité, contre une égalité intolérante à toute manifestation de l'altérité, les sourds-muets, acteurs de leur époque, revendiquent l'intégration sociale et politique. Ce combat pour l'intégration est interrompu par la Seconde Guerre Mondiale, mais par la suite le développement des procédés pour faire parler les Sourds, leur classement administratif dans la catégorie des « déficients auditifs » va attiser la colère des Sourds dans les années 1970. Leur combat se trouvera légitimé par un laboratoire américain de recherche en linguistique. Les chercheurs concluent en effet que la langue des signes est une langue à part entière.

71 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la reconnaissance, dans Esprit, juillet 2008, P128.

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A- Un problème porté dans l'espace public.

La France n'est pas devenue ce pays homogène tant désiré. En 1830 et 1848, l'universalisme républicain trouve ses limites, dans un climat de tensions sociales bouleversant. La nation est tiraillée entre son projet politique unitaire et un peuple qui clame sa diversité. Les sourds-muets participeront à ce mouvement de réalisation, de concrétisation du peuple, en affirmant leur identité singulière, loin de l'image véhiculée par l'Etat, aidé des médecins.

1/ Contre l'universalisme républicain.

La première mobilisation de la communauté sourde trouve son origine dans les attaques portées contre leur langue par les administrateurs de l'institution parisienne, dans les années 1830. Ce combat est engagé par une élite sourde formée au sein des Instituts, où l'« enseignement mutuel », les meilleurs élèves devenant à leur tour professeurs, a permis la consolidation du langage des signes72. Un Comité de sourds-muets voit le jour à Paris en 183473. Il est présidé par Ferdinand Berthier, le doyen des professeurs sourds-muets de l'Institut parisien. Un banquet est organisé en mémoire à l'abbé de l'Epée, qui les a regroupés. Des membres de la communauté sourde internationale y sont conviés, ils viennent d'Europe, des Etats-Unis et d'Amérique du Sud. Les sourds-muets déclarent appartenir à une minorité linguistique. Ce que revendiquent les sourds-muets, c'est une identité autre, une différence, non pas parce qu'ils seraient malades, mais parce que leur langue naturelle se distingue de la langue parlée. Dans les années 1880, après le Congrès de Milan, la réaffirmation d'une identité sourde-muette se retrouve dans le vocabulaire de la langue des signes. En opposition à la classification opérée au sein des Instituts entre les sourds-muets, ceux qui signent, et les sourds- parlants, qui utilisent

72 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P71.

73 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P340.

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l'articulation artificielle, les sourds-muets désignent les autres, ceux qui ne partagent pas leur identité et leur langage, par le signe « parlants »74. Entre temps, le Comité parisien est devenu Société universelle, une Société qui transcende l'Etat-Nation. A l'évidence, les sourds-muets se considèrent comme un peuple international75, comme une catégorie particulière de la nation certes, mais qui dépasse les frontières de la nation française. La légitimité nationale est clairement contestée, au moment où le courant socialiste internationaliste prend de l'ampleur. Les sourds-muets se sont donc attachés à se distinguer socialement, en tant que minorité linguistique. Tout au long du XIXème siècle, le terme « minorité » est d'ailleurs largement et diversement employé. Cette notion « permet de rassembler commodément sous une même expression des manières très différentes de nouer représentation politique et classification sociale. Elle fait aussi le lien entre les diverses appréhensions de l'égalité électorale, renvoyant aussi bien au registre de l'égalité quantitative (la minorité comme résidu arithmétique) qu'à celui de l'égalité qualitative (la minorité comme forme générique des divers groupes dominés) 76». Dans l'idée de faire ce lien entre la réalité sociale et la représentation politique, les sourds-muets français vont s'investir dans le champ politique.

2/ Pour une meilleure représentation politique.

La multiplication des conflits sociaux, qui affectent la première moitié du XIXème siècle, rendent compte de la rupture entre un idéal républicain, qui a conduit à l'abstraction de la société française, et la demande sociale de reconnaissance politique d'une société hétérogène. Les représentants du peuple parlent au nom d'une masse informe, indissociable, qui néglige la représentation concrète de la réalité sociale. Les clivages sociaux sont pourtant bien réels. La séparation qui se consomme entre républicains et socialistes en est une preuve. En 1848, le suffrage universel masculin est établi. Néanmoins, le système représentatif reste guidé par la philosophie de

74 François Buton, L'Etat et ses catégories comme objets d'analyse socio-historique, dans Historicités de l'action publique, 2003, P76.

75 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P279.

76 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998, P150.

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l'égalité, au nom de l'universalisme républicain. Toutes les voix se confondent et se perdent dans la masse. Pour autant, les sourds-muets, à l'instar de la classe ouvrière, luttent pour une représentation politique qui tienne compte des divisions sociales. En 1848, Ferdinand Berthier se présente aux élections législatives qui se tiennent à Paris. Les revendications de la communauté sourde-muette s'organisent autour de deux axes principaux. Tout d'abord, la reconnaissance de la langue des signes au sein des Instituts, pour que l'enseignement soit dispensé dans la langue naturelle des sourds-muets. Mais aussi le rattachement des institutions au Ministère de l'Instruction Publique car, à l'époque, ces établissements sont placés sous la direction de la Bienfaisance du Ministère de l'Intérieur, au même titre que les hospices, les asiles ou les pénitenciers77. Ce que Ferdinand Berthier souhaite alors, c'est la représentation politique d'une minorité linguistique, que le processus bureaucratique a rangé parmi les déficients, et l'intégration de cette identité particulière au système institutionnel ordinaire. La question de la représentation proportionnelle, instaurée en Angleterre en 1860, a été posée sous le Second Empire pour assurer une meilleure représentation politique des minorités sociales. Mais cette « technique de pacification sociale 78», qui induit un accroissement des pouvoirs du parlement, ne verra pas le jour en France. Tout comme le projet de loi présenté par Léon Blum le 27 avril 1937, visant à rattacher l'enseignement des élèves « déficients sensoriels » au Ministère de l'Education Nationale. L'espoir de voir se réaliser une des revendications majeures de Ferdinand Berthier s'est envolé avec la démission du gouvernement, deux mois plus tard79.

Alors que les succès électoraux des socialistes en 1890 et la création de la CGT en 1895 attestent du renforcement de ce mouvement général pour la reconnaissance, la théorie de la dégénérescence pénètre en France. Le célèbre inventeur du téléphone,

77 Voir à ce sujet la contribution d'Yves Bernard dans la revue internationale Surdité, décembre 2001, P75.

78 Pierre Rosenvallon, Le peuple introuvable, 1998, P162.

79 Dominique Gillot, Le droit des Sourds : 115 propositions, 1998, P63.

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l'américain Graham Bell, recommande dès 1884, dans son « Mémoire sur la formation d'une variété sourde de la race humaine 80», de légiférer sur le mariage entre sourds-muets ou entre personnes ayant des sourds-muets dans leur famille, pour éviter une dégénérescence de la race humaine81. L'apparition de cette théorie, dans une France déstabilisée, n'est pas le fruit du hasard. « Il est alors possible de demander à la biologie, et spécialement à la génétique, de résoudre toutes sortes de troubles sociaux 82».

B- L'invention des Sourds.

Au début du XXème siècle, l'eugénisme a le vent en poupe. L'idée de stériliser les personnes jugées inaptes pour garantir la pureté de la société se diffuse aux Etats-Unis et en Europe83. Les sourds-muets font l'objet d'études, ils seront classés parmi les inaptes, notamment dans le projet de loi « modèle » de l'américain Henry H. Laughlin, qui ne sera pas mis en application84. L'Allemagne nazie concrétisera ces thèses par la loi du 14 juillet 1933 relative aux maladies héréditaires et le décret du 1er septembre 1939, permettant d'affliger la « mort de grâce » aux malades incurables, dont les sourds-muets faisaient partie. D'abord stérilisés, ils seront ensuite exterminés. Après la Seconde Guerre Mondiale, une évolution notable dans le statut des sourds-muets relève du vocabulaire employé pour les désigner. Pour les médecins, les sourds-muets deviennent des sourds, que l'administration française classera dans la catégorie des déficients auditifs. Dans les deux cas, la représentation du sourd reste celle d'un malade à soigner. Repris par la communauté sourde, le terme Sourd s'écrira avec un S majuscule, marque de l'appartenance à une communauté linguistique. Les Sourds ne s'estiment pas muets, puisqu' ils

80 Graham Bell, Memoir upon the formation of a deaf variety of the human race, Washington, 1884.

81 Yves Bernard, Les Congrès de sourds-muets après Milan, dans la revue internationale Surdité, décembre 2001, P69.

82 André Pichot, La société pure, 2000, P157.

83 Voir le chapitre d'André Pichot intitulé Génétique et Eugénisme.

84 André Pichot, La société pure, 2000, P214-215.

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s'expriment par la langue des signes. Les études américaines sur la langue des signes viendront légitimer ce renouveau du combat pour l'intégration. Deux représentations de la surdité vont à nouveau s'opposer : la vision médicale et administrative, et la vision culturelle.

1/ Le sourd, un déficient auditif.

La loi de 1945 instaurant la Sécurité Sociale ne traite pas du handicap. Au sortir de la Guerre, la catégorie des sourds-muets, inventée par l'administration de 1791 et associée à celle des aveugles, reste en vigueur. Mais le terme sourd va être imposé par le secteur médical, avec le développement de l'orthophonie et de la technique des prothèses auditives85. Dire des sourds qu'ils sont muets reviendrait en effet à discréditer les soins que le monde médical leur prescrit. Les médecins poursuivent donc la mission qui leur a été confiée au siècle précédent : il faut guérir les sourds de leur maladie et les faire parler. La surdité se trouve d'ailleurs répertoriée dans la Classification Internationale des Maladies (CIM), établie en 1948 par l'Organisation Mondiale de la Santé. Désormais, la surdité est entendue comme une déficience auditive, divisée en quatre sous-catégories, selon le niveau de la perte auditive (sourd léger, moyen, sévère, profond). Cette vision médicale de la surdité sera formalisée dans le rapport de François Bloch Lainé de 1967, commandé par le premier ministre, Georges Pompidou et intitulé De l'inadaptation des personnes handicapées. Outre le fait que ce rapport envisage les personnes handicapées comme des personnes inadaptées à leur environnement, donc à la société, il donne aussi naissance à une sous-catégorie administrative, celle des déficients auditifs, comme le suggère la classification médicale. Les sourds se retrouvent ainsi classés, nommés par rapport à ce qui leur manque : l'audition. Comme le souligne l'ethnologue Yves Delaporte, « c'est le propre de l'ethnocentrisme, partout et toujours, que de définir l'autre par ce qu'il a en moins par rapport à soi. A la différence du racisme, il ne manifeste aucune

85 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P125.

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hostilité vis-à-vis d'autrui ; il n'est fait que de fausses évidences et de bonnes intentions (...) 86». Ce terme « déficient auditif » est déjà en usage, notamment au sein des associations de parents d'enfants sourds telles que l'ANPEDA (Association Nationale des Parents d'Enfants Déficients Auditifs) ou l'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale des Déficients Auditifs). Ces associations acceptent et souhaitent la médicalisation de la surdité car elles défendent une éducation oraliste des enfants sourds, en milieu scolaire ordinaire87. Pourtant, les Instituts Nationaux de Jeunes Sourds, sous l'autorité du Ministère de la Santé Publique, ont aussi pour mission « de contribuer au dépistage, de participer à la recherche et d'assurer un enseignement »88. Ils intègrent donc la vision médicale de la surdité. Mais ce que veulent ces associations, c'est l'insertion sociale, l'intégration des sourds au système scolaire ordinaire, non pas au nom de leur différence, mais au nom de l'égalité. Ces revendications seront inscrites dans la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, qui élève « la prévention et le dépistage des handicaps, les soins, l'éducation, la formation et l'orientation professionnelle, l'emploi, la garantie d'un minimum de ressources, l'intégration sociale et l'accès aux sports et aux loisirs » au rang d'obligation nationale. Cette loi envisage la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire, et l'enseignement spécialisé, tel que décrit par Jean-Gaspard Itard au XIXème siècle, reste en 1975 le lieu de la ségrégation. En effet, les enfants handicapés « pourront être accueillis dans des structures d'action médico-sociale précoce en vue de prévenir ou de réduire l'aggravation de ce handicap 89». Toutefois, si l'éducation des élèves handicapés relève désormais du Ministère de l'Education Nationale, les « déficients sensoriels » feront exception à la règle. Une circulaire conjointe du Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de l'Action Sociale du 8 juin 1978 s'accorde sur le maintien des élèves sourds dans l'éducation spécialisée. Serait-ce lié au « réveil Sourd » qui va retentir

86 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça. Ethnologie de la surdimutité, 2002, P361.

87 Bernard Mottez, Les Sourds existent-ils ?, 2006, P361.

88 Décret N°74-355 du 26 avril 1974 du Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, article 2.

89 Article 3 de la loi du 30 juin 1975.

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avec force en France ? Dès 1976, le Ministère de la santé a réintroduit l'enseignement de la langue des signes au sein des Instituts90. Dans le sillage des mouvements identitaires américains, les Sourds de France se sont à nouveau mobilisés pour le respect et la reconnaissance de leur langue.

2/ Le « Réveil Sourd », une action collective pour la reconnaissance.

Au cours des années 1960, des mouvements identitaires vont émerger aux Etats-Unis pour revendiquer la reconnaissance du pluralisme des identités. Comme l'indique Laurent Bouvet, « ces minorités combattent davantage au nom de la reconnaissance de leur spécificité identitaire (leur différence) que de leur inclusion dans le grand récit consensualiste américain 91». Effectivement, aux côtés des Noirs, des Femmes ou des Homosexuels, les Sourds américains vont clamer leur différence et revendiquer la reconnaissance de leur langue. Après l'interdiction de la langue des signes en Europe, l'Université Gallaudet, (Washington D.C.), devient le bastion du combat pour la reconnaissance de la langue des signes, contre l'oralisme qui pénètre les écoles américaines92. Les Sourds français et américains entretiennent des relations privilégiées, la langue des signes ayant été exportée aux Etats-Unis par un français, Laurent Clerc, élève de l'Institut National parisien. Avec l'américain Thomas Gallaudet, ils fonderont tous deux la première école pour Sourds, dans le Connecticut, dans laquelle l'enseignement est bilingue, c'est-à-dire dispensé en langue des signes et en anglais écrit. Le slogan du « Deaf power », le pouvoir Sourd, « nous ne sommes pas des handicapés, nous sommes une minorité linguistique 93», va pénétrer en Europe, d'abord dans les pays scandinaves, puis en France94. Ce mouvement sera accompagné par la diffusion des travaux de Harry Markowicz, chercheur en linguistique au sein du laboratoire de l'université Gallaudet, dirigé par William Stokoe. Les linguistes sont

90 Arrêté du 15 décembre 1976.

91 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et réalités, Paris, 2007.

92 Harlan Lane, Les Sourds aux Etats-Unis après Laurent Clerc, dans Le pouvoir des signes, 1989, P218.

93 Bernard Mottez, op.cité, P129-130.

94 Ibid. P279.

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formels, la langue des signes est une langue à part entière, leurs locuteurs forment une communauté linguistique. En France, en 1973, au retour d'un séjour aux Etats-Unis, des Sourds et des parents d'enfants sourds vont fonder l'association 2LPE (Deux langues pour une Education), pour diffuser la langue des signes et permettre un enseignement collectif des enfants sourds en langue des signes95. Les acteurs de ce mouvement demandent la reconnaissance de cette langue par les pouvoirs publics et l'intégration des Sourds au système scolaire français. S'ils refusent l'éducation spécialisée, comme les associations ANPEDA ou UNISDA, ils refusent aussi de considérer les Sourds comme des déficients auditifs, comme des malades à soigner. A la fin des années 1970, les Sourds français vont nationaliser leur langue, comme aux Etats-Unis96, et donner naissance à la Langue des Signes Française (LSF). Pour coller à l'espace de décision ? Ce « réveil Sourd » va générer un véritable engouement, pour la défense de la langue des signes. Vont être créés, entre autres, le Théâtre Visuel International (IVT) de Paris, l'Académie de la Langue des Signes Française et des Centres Socio Culturels des Sourds. Relayé par les politiques, l'activisme des Sourds conduira à la reconnaissance de la langue des signes en tant que langue à part entière. Les Sourds pourront officiellement recevoir un enseignement dans leur langue.

II- LA RECONNAISSANCE DE LA LANGUE DES SIGNES.

« Le droit est un instrument des politiques publiques, il reflète la façon dont les problèmes sociaux sont appréhendés et les réponses qui leur sont apportées. Il encadre les pratiques sociales et contribue à forger les représentations collectives 97».

95 Guy Bouchauveau, La langue des signes française de 1978 à nos jours, dans Le pouvoir des signes, 1989, P209.

96 Bernard Mottez, op.cité, P131.

97 Danièle Lochak, dans La France invisible, ouvrage dirigé par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade Lindgaard, Paris, 2006, P.507.

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La langue des signes a survécu à plus d'un siècle d'interdiction, les Sourds revendiquent désormais sa reconnaissance par les pouvoirs publics, par le droit. Les prémices de la reconnaissance de la langue des signes en France interviennent, dans un premier temps, dans le cadre de l'enseignement spécialisé, placé sous tutelle du Ministère de la Santé. Les professeurs reçoivent à nouveau une formation sur la langue des signes, pour communiquer avec leurs élèves sourds. Après l'alternance politique de 1981, deux Ministères vont adopter des positions radicalement opposées. D'un côté le Ministère de l'Education Nationale recommande dès 198298 la suppression de l'éducation spécialisée pour rendre effective la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées de 1975, qui préconise « l'accès du mineur et de l'adulte handicapés aux institutions ouvertes à l'ensemble de la population et leur maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie 99». De la langue des signes, Alain Savary, ministre de l'Education Nationale, dira même qu'elle « ne peut traduire la très grande richesse d'une langue 100». D'un autre côté, le Ministère des Affaires Sociales persiste à vouloir diffuser la langue des signes au sein de l'enseignement spécialisé, en autorisant les candidats sourds à postuler aux fonctions de professeur de LSF101. Mais si la France est en proie à des querelles interministérielles sur la question Sourde, que le gouvernement n'arbitre pas, il en est tout autre sur le plan européen. Le mouvement sourd va porter ses revendications à l'échelle européenne, par la création notamment de l'Union Européenne des Sourds (EUD) en 1985. Trois ans plus tard, une première résolution sur la langue des signes est votée par la Communauté européenne. Elle invite chaque Etat membre à reconnaître la langue des signes en usage sur son territoire. Dans ce contexte, l'intervention de Laurent Fabius, député socialiste et élu au Parlement européen, va inscrire la langue des signes dans une loi française. Mais cette disposition restera limitée à l'éducation spécialisée et n'obligera en rien l'éducation nationale. Il faudra attendre la loi du 11 février 2005 pour que la

98 Circulaire Questiaux-Savary du 29 janvier 1982.

99 Article premier de la loi N°75-534 du 30 juin 1975.

100 Yves Delaporte, Les sourds, c'est comme ça, Paris, 2002. P9

101 Décret n° 86-1151 du 27 octobre 1986, Ministère des Affaires Sociales.

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langue des signes soit reconnue comme une langue à part entière et pour que le législateur français autorise son enseignement au sein du système éducatif ordinaire.

A- Une reconnaissance encadrée en 1991.

Dans les années 1980, deux projets de loi auraient pu donner satisfaction à la communauté sourde. La proposition de loi socialiste sur « Les langues et les cultures minoritaires de France », mais il n'était pas fait mention de la langue des signes, puis la proposition de loi communiste de juin 1985 qui visait à sa reconnaissance par les pouvoirs publics102. Cette loi ne sera pas adoptée. Sollicité par les associations de Sourds103, Laurent Fabius va déposer un amendement qui inscrira pour la première fois la langue des signes française dans une loi de la République. Mais l'application de cette disposition ne va pas franchir les portes de l'Education Nationale.

1/ Un problème porté par le politique.

A la veille de Noël 1990, Laurent Fabius déposera un amendement au cours des débats portant sur le projet de loi relatif à la santé publique et aux assurances sociales. Cet amendement envisage la liberté de choix pour l'éducation des élèves sourds : soit une communication bilingue (langue des signes et français), soit une communication orale. Adopté et inscrit en marge de la loi, dans les « dispositions diverses », l'article 33 de la loi du 18 janvier 1991 prévoit en outre que le Conseil d'Etat fixera « les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l'éducation des jeunes sourds ». Cet article confirme les décisions prises par le Ministère de la Santé, dès 1976, mais elle introduit la notion de libre choix. Cependant, la diffusion de la langue des signes va rester limitée à l'enseignement spécialisé. Comment aurait-il pu en être autrement dans un texte relatif à la santé publique, et non pas à l'éducation nationale ? Avant la loi de 1991, la priorité éducative dans les

102 Bernard Mottez, op.cité, P281.

103 Entretien avec René Bruneau du Mouvement des Sourds de France, en annexe.

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établissements spécialisés se concentre sur la démutisation, conformément à la vision médicale de la surdité104. Comment vont se concilier cette priorité éducative et l'introduction du libre choix ?

2/ Une reconnaissance limitée et extrêmement encadrée.

L'apport de l'article 33 de 1991 consiste à donner le « libre choix » entre la communication orale et la communication bilingue. Par un décret d'octobre 1992, soit près de deux ans après le vote de la loi, le Ministère des affaires sociales et de l'intégration vient préciser les modalités d'application de cette disposition. La Commission Départementale de l'Education Spéciale (CDES), l'équivalent de la COTOREP mais pour les enfants, « enregistre » le choix de l'enfant ou de ses parents et « propose une orientation conforme à ce choix 105». Le libre choix est donc respecté. Toutefois, il est intéressant de noter que le français oral reste obligatoire quel que soit le choix effectué : « le libre choix est défini comme étant soit le français oral et écrit soit la LSF et le français oral et écrit 106». Pourtant, l'alternative proposée par la loi de 1991 se situait entre un mode de communication bilingue et une communication orale. Les Sourds, qui ne se considèrent pas comme les porteurs d'une déficience, mais comme une minorité linguistique, ne demandent pas à être rééduqués, à accéder à l'oral à tout prix : « Nous, nous ne pouvons pas parler le français comme vous. Vous vous pouvez apprendre notre langue, nous on ne parlera jamais comme vous 107». Leur souhait, c'est de pouvoir recevoir un enseignement bilingue en langue des signes et en français écrit. Mais à l'évidence, le Ministère des affaires sociales et de l'intégration fait résistance et envisage leur éducation par la voie de l'oral. La politique éducative mise en oeuvre pour les Sourds est un échec. En 1998, le rapport de la députée socialiste Dominique

104 Décret N° 88-423 du 22 avril 1988, annexe XXIV quater, article 2 : le développement de la communication entre le « déficient auditif » et son entourage fait appel « à l'éducation auditive, à la lecture labiale et ses aides, à l'apprentissage et à la correction de la parole ainsi qu'éventuellement la langue des signes française ».

105 Décret N°92-1132 du 8 octobre 1992, article 3.

106 Idem article 2.

107 Entretien avec trois représentants de la Fédération Nationale des Sourds de France, en annexe.

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Gillot, adressé au Premier Ministre, dresse un tableau très alarmant : 80% des Sourds profonds sont illettrés et seulement 5% d'entre eux rejoignent l'enseignement supérieur108. Ils rencontrent ainsi de grandes difficultés pour accéder à l'information ou pour trouver un emploi. Par ailleurs, le législateur français envisage le placement sous curatelle des Sourds illettrés109. Dans ce cas de figure, les Sourds ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière, puisqu'ils ne peuvent être élus, voire même inscrits sur les listes électorales. Pour les Sourds, la solution à l'illettrisme réside dans la reconnaissance par l'Etat français de leur langue, pour que l'enseignement leur soit dispensé en langue des signes et non pas en français oral : « Un enfant sourd, qui va à l'école ordinaire où les cours ne sont pas dispensés en langue des signes, est vite déconcentré. C'est très fatigant de lire sur les lèvres, c'est impossible pour un enfant de rester concentré toute une journée avec un professeur qui oralise. Et puis, avec la rééducation, l'enfant doit sortir de la classe, il se sent différent, il ne participe pas à toutes les activités avec les autres élèves. Non, ce qu'il faut c'est une intégration collective et ne pas perdre de temps avec cette rééducation parce que chez les Sourds, il y a beaucoup d'illettrés. La priorité, c'est que l'enfant sourd apprenne à lire, apprenne tout court. La question du français oral, ça vient après, c'est pas le plus urgent 110». En 2002, le Président Jacques Chirac annonce la refonte de la loi sur le handicap de 1975, loi qui avait été votée alors qu'il était chef de gouvernement, sous le mandat présidentiel de Valéry Giscard D'Estaing. Ce projet va se concrétiser le 11 février 2005, par la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Pour la première fois, la langue des signes est reconnue comme une langue à part entière.

108 Rapport de Dominique Gillot au Premier Ministre, Le droit des Sourds : 115 propositions, 1998, P90.

109 L'article 936 du code civil français dispose que : « Le sourd-muet qui saura écrire pourra accepter lui-même ou par un fondé de pouvoir. S'il ne sait pas écrire, l'acceptation doit être faite par un curateur nommé à cet effet, suivant les règles établies au titre De la minorité, de la tutelle et de l'émancipation ».

110 Entretien avec trois représentants de la Fédération Nationale des Sourds de France, en annexe.

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B- Une reconnaissance influencée en 2005.

En juin 2000, les sénateurs du groupe Communiste, républicain et citoyen présentent une proposition de loi « tendant à la reconnaissance de la Langue des signes française ». Ce texte ne sera pas suivi d'effets. Deux mois après la crise politique consécutive aux élections présidentielles de 2002, Jacques Chirac annonce le lancement de trois grands chantiers pour le quinquennat. Le Président veut rétablir la cohésion autour de trois thèmes fédérateurs : la diminution des accidents de la route, la lutte contre le cancer et l'insertion des personnes handicapées. Le projet de loi initial ne fait pas mention de la langue des signes. C'est l'intervention du sénateur Nicolas About, membre du groupe Union Centriste, qui va permettre l'insertion d'un article reconnaissant la langue des signes comme une langue à part entière. Finalement, la mobilisation de porteurs d'intérêts va contraindre le législateur à étendre l'enseignement de la langue des signes à l'Education Nationale.

1/ L'inscription de la langue des signes sur l'agenda politique.

En juillet 2002, Paul Blanc, membre du groupe Union pour un Mouvement Populaire au Sénat, va déposer un rapport d'information, au nom de la commission des affaires sociales, intitulé Compensation du handicap : le temps de la solidarité111. Ce travail, initié en 2001, avant les élections présidentielles, va être le socle des discussions parlementaires à venir. Paul Blanc sera d'ailleurs nommé rapporteur des travaux de la commission sénatoriale. Toutefois, un des problèmes soulevés par cette commission en 2002 va être écarté du projet de loi de mai 2003, c'est celui de la scolarisation des jeunes sourds. Le rapport remis par Paul Blanc répondait très exactement à la demande des Sourds, toujours la même depuis Ferdinand Berthier. Il préconisait en effet une scolarisation en milieu ordinaire, avec un enseignement en langue des signes. Le sénateur Nicolas About, membre du groupe Union Centriste et

111 Rapport d'information N° 369 (2001-2002) de Paul Blanc, au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 juillet 2002.

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par ailleurs maire d'une commune qui comporte une classe d'intégration pour enfants sourds, portera à nouveau ce problème sur l'agenda politique. Il déposera un amendement, présenté le 1er mars 2004, lequel « vise à reconnaître officiellement la langue des signes française et le braille, au sein de la République française ». Toutefois, « ce type de langage » pourra seulement être choisi par les élèves comme « langue vivante étrangère 112». Adopté à l'unanimité pour ce qui concerne la langue des signes, le braille n'étant pas une langue, cet amendement ne donnera que partiellement satisfaction à la communauté sourde. Si le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture comporte désormais un article selon lequel « la langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière 113», il reste que l'enseignement en langue des signes n'est pas envisagé. La langue sourde pourrait être enseignée mais au même titre que l'espagnol ou l'allemand. Les débats se prolongeront jusqu'en janvier 2005.

2/ Le rôle des porteurs d'intérêts.

Le projet de loi voté par le Sénat en mars 2004 est renvoyé devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée Nationale, dont Jean-Paul Chossy, député UMP, sera le rapporteur. Un amendement supprimant la distinction entre enseignement ordinaire et enseignement spécialisé, pour ce qui concerne la diffusion de la langue des signes, va être déposé par la députée UMP Nadine Morano. Cette proposition, si elle n'avait pas été rejetée, aurait soumis l'Education Nationale à l'application de l'article 33 de la loi de 1991. Le Ministère aurait donc été contraint d'aménager un enseignement en langue des signes pour les élèves sourds. Mais la commission des affaires culturelles ne se contentera pas de rejeter cet amendement, elle va aussi supprimer toute contrainte en matière d'enseignement de la langue des signes au motif qu' « aucun professeur n'est actuellement chargé spécifiquement de cet enseignement » et que le niveau atteint par les enseignants

112 Amendement présenté par Nicolas About le 1er mars 2004, N°132 rect.

113 Projet de loi adopté par le Sénat en première lecture le 1er mars 2004, N°64.

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spécialisés « reste insuffisant pour enseigner cette langue ». De plus, le libre choix accordé aux parents « rend les prévisions complexes » et la langue des signes « enferme dans un mode de communication unique, qui ne permet pas toujours aux personnes sourdes de maîtriser convenablement la lecture et l'écriture 114». Jean-François Chossy, approuvé par Bernard Accoyer, alors député UMP exerçant la profession de médecin ORL, considère qu'il existe des outils permettant au Sourds d'oraliser115. La petite loi adoptée par l'Assemblée Nationale en juin 2004 va maintenir la reconnaissance de la langue des signes comme une langue à part entière mais désormais elle n'impose plus rien pour son enseignement : « le Conseil supérieur de l'Education veille à favoriser son enseignement 116». C'est le Sénat qui, en deuxième lecture, soulèvera à nouveau le problème de l'enseignement, après l'adoption d'un amendement du gouvernement, représenté par Marie-Anne Montchamp, alors Secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. En octobre 2004, le projet de loi présenté par le Sénat en deuxième lecture va donc établir que « tout élève doit pouvoir recevoir un enseignement en langue des signes française ». Mais l'Assemblée Nationale va contredire ce projet. Le rapporteur de la commission des affaires culturelles, Jean-François Chossy, déposera lui-même quatre amendements sur l'article relatif à la langue des signes, et s'opposera à ceux d'Hélène Mignon, députée socialiste, qui souhaite notamment préciser les conditions de l'enseignement en langue des signes de la maternelle jusqu'à l'université117. Ainsi, le projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en deuxième lecture, va rétablir la position de juin 2004 : « le Conseil supérieur de l'Education veille à favoriser son enseignement 118». Le texte définitif de 2005 va conserver cet article, en l'état. La langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière, mais les Sourds ne peuvent pas être recevoir un enseignement dans leur

114 Rapport de Paul Blanc, déposé le 13 octobre 2004, N°20.

115 Travaux parlementaires de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales du 9 juin 2004.

116 Projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en première lecture, adopté le 15 juin 2004, article 32 quinquies.

117 Rapport de Jean-François Chossy, enregistré le 15 décembre 2004, N°1991.

118 Projet de loi modifié par l'Assemblée Nationale en deuxième lecture, adopté le 18 janvier 2005, N°371.

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langue. C'est alors qu'intervient le réseau associatif. Le jour du vote de la loi au Sénat, des représentants du Mouvement des Sourds de France et la

Fédération Nationale des Sourds de France s'aperçoivent qu'il n'est plus fait mention de l'enseignement en langue des signes. René Bruneau, aujourd'hui président du Mouvement des Sourds de France, assiste régulièrement aux débats parlementaires119. Il a accès au cercle des décisions. Soutenus par Michelle Demessine, sénatrice communiste, et Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste, les représentants des deux associations vont pouvoir s'entretenir avec le chef de Cabinet d'Anne-Marie Montchamp. A ce stade de la procédure, seul le gouvernement peut proposer une modification de la loi. La Secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, dont nous avons vu qu'elle était favorable à l'enseignement en langue des signes, va demander aux associations de rédiger un texte, qui sera présenté le soir même aux sénateurs. Dans l'urgence, les associations vont reprendre les termes d'une disposition législative en vigueur, l'article 33 de la loi de 1991, qu'avait déposé Laurent Fabius en 1990. Il sera voté à l'unanimité.

Le 11 février 2005, Jacques Chirac promulgue la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Deux articles de cette loi vont légitimer la langue des signes. Si selon Danièle Lochak120 le droit « encadre les pratiques sociales et contribue à forger les représentations collectives », en l'occurrence, ces deux articles reflètent deux représentations sociales des Sourds et de leur langue. L'article 75 tout d'abord, qui reprend les termes du texte proposé par l'Assemblée Nationale et qui dispose que « La langue des signes française est reconnue comme une langue à part entière. Tout élève concerné doit pouvoir recevoir un enseignement de la langue des signes française. Le Conseil supérieur de l'éducation veille à favoriser son

119 Entretien avec René Bruneau du Mouvement des Sourds de France, en annexe.

120 Citée P43.

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enseignement. Il est tenu régulièrement informé des conditions de son évaluation. Elle peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation professionnelle. Sa diffusion dans l'administration est facilitée ». Cette représentation de la surdité ne repose pas, comme nous l'avons vu, sur une approche culturelle de la surdité. Imprégnée de la vision médicale, puisqu'il existe des moyens de faire parler les Sourds, elle n'envisage pas le bilinguisme. La langue des signes pourrait être enseignée mais au même titre que toute autre discipline scolaire. Puis, l'article 19-V, incorporé à la loi en urgence, après l'intervention des associations : « Dans l'éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française, et une communication en langue française est de droit. Un décret en Conseil d'Etat fixe, d'une part, les conditions d'exercice de ce choix pour les jeunes sourds et leurs familles, d'autre part, les dispositions à prendre par les établissements et services où est assurée l'éducation des jeunes sourds pour garantir l'application de ce choix ». Ici, c'est une vision multiculturaliste qui est représentée, c'est le souhait de « rompre avec la domination d'un groupe culturel sur d'autres pour laisser place au respect de l'ensemble des cultures et de leurs différences 121». La loi du 11 février 2005 reconnait donc la langue des signes comme une langue à part entière et, a priori, elle ne prend pas partie pour l'une ou l'autre représentation de la surdité. Elle entérine deux conceptions antagonistes. Il convient ici de s'interroger sur la mise en oeuvre des dispositions légales. Comment concilier l'expression de deux représentations de la surdité qui s'opposent depuis deux siècles ? La loi du 11 février 2005 va-t-elle impulser un changement de paradigme, celui de l'intégration sociale, en lieu et place de l'inclusion ? Le grand chantier de 2005 se contentera-t-il de rénover la politique du handicap ou va-t-il encourager l'émergence d'une autre société où l'intégration, ce « processus dynamique à double sens d'acceptation mutuelle 122», est favorisée ? Le 9 juin 2008, à l'occasion de la première

121 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et réalités, 2007, P51.

122 Définition de l'intégration lors de la conférence ministérielle européenne sur l'intégration, Vichy, novembre 2008, www.ue2008.fr.

Conférence nationale sur le handicap qui se tient à Paris, cinq membres du mouvement OSS 2007 (Opération de Sauvegarde des Sourds) entament une grève de la faim, dans les locaux de l'Institut National des Jeunes Sourds. Ils demandent la constitution d'un Observatoire des affaires sourdes, sous l'autorité de la Fédération nationale des Sourds de France, pour que les enfants sourds puissent recevoir un enseignement en langue des signes. Les acteurs du groupe OSS 2007 considèrent en effet que la loi a été votée dans l'urgence mais qu'au final il ne se passe rien123. Une pétition circule sur internet et invite les Sourds à lutter « pour le respect des droits de l'Homme Sourd et pour la biodiversité culturelle 124». Mais cette biodiversité n'est-elle pas préservée par la loi ? Les droits des Sourds ne sont-ils pas respectés en 2005 ? Dénonçant avec force un « génocide linguistique et culturel », les membres du groupe OSS craignent pour leur existence, celle de leur communauté linguistique, celle de leur langue, la langue Sourde. Ces propos radicaux reflètent-ils une réalité occultée par la reconnaissance formelle de la langue des signes ?

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123 Entretien avec trois représentants du mouvement OSS 2007, en annexe.

124 www.OSS2007.net

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PARTIE 2 :

QUEL CHANGEMENT POUR LA LANGUE DES SIGNES ?

CHAPITRE 1 : LA LOI DU 11 FEVRIER 2005.

L'élection présidentielle de 1981 a vu pour la première fois un socialiste accéder aux commandes de l'Etat français. Le programme politique de François Mitterrand, formalisé dans 101 propositions, ne comportait ni la réforme de la politique du handicap, ni la reconnaissance de la langue des signes. Néanmoins, la volonté politique de promouvoir les langues et cultures minoritaires125 ou l'instauration du scrutin proportionnel aux élections législatives126 annonçaient un changement idéologique dans l'appréhension de la société. Pour illustrer ce changement de paradigme, nous pouvons nous arrêter un instant sur un évènement, le bicentenaire de l'Institut National des Jeunes Sourds de Paris, célébré en 1989 sous le Haut-Patronage de François Mitterrand. Cet évènement donne lieu à l'édition d'un ouvrage collectif Le pouvoir des signes et à une exposition. Il est intéressant ici de souligner le propos du directeur de l'Institut, Patrick Monod-Gayraud, rapporté dans la préface de l'ouvrage: « cette exposition apporte le témoignage de la vitalité d'une minorité qui entend vivre pleinement sa citoyenneté dans le monde d'aujourd'hui ». Le pouvoir politique, les institutionnels de 1989 considèrent et affirment que les Sourds forment une minorité. Au second tour de l'élection présidentielle de 2002, qui l'opposait à Jean-Marie Le Pen, Jacques Chirac est réélu à la tête de l'Etat, dans un climat politique et social tendu. La réforme de la loi handicap de 1975 qui s'annonce va voir renaître le paradigme de l'inclusion. Le 11 février 2005, c'est une loi ambitieuse qui est adoptée. Elle comporte en effet 101 articles et engage 22 ministères et secrétariats d'Etat. Sa mise en oeuvre, dans bien des domaines, va être différée.

125 56ème proposition.

126 47ème proposition.

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I- UNE LOI POUR L'INCLUSION SOCIALE.

Intégration ou inclusion ? Le vocabulaire employé n'est pas choisi au hasard, le rapporteur des travaux parlementaires pour l'Assemblée Nationale, Jean-François Chossy, le rappellera à plusieurs reprises. L'intégration suppose une reconnaissance et un droit à la différence. Elle repose sur une démarche commune et convergente de deux acteurs qui souhaitent vivre ensemble, sans que l'un ou l'autre ne se sente pour autant défait de ses particularités. La loi du 11 février 2005 ne fait jamais usage du mot intégration. La France s'est inscrite, à l'instar d'autres Etats membres de l'Union européenne, dans un processus d'inclusion sociale. Contre la discrimination, contre l'exclusion, certains Etats membres de l'Union européenne, dont la France, ont majoritairement fait le choix d'une politique inclusive notamment en matière de scolarisation des enfants handicapés127. La loi de 2005 s'inscrit dans cette vision normalisatrice.

A- Une loi globale.

Le terme handicap viendrait de l'expression anglo-saxonne « hand in cap » que l'on peut traduire par « la main dans le sac ». Il désignait au début du XIXème siècle un système d'égalisation des chances pratiqué lors des courses de chevaux. Les animaux ayant le plus de chances de gagner devaient porter un poids supplémentaire pendant la course pour permettre aux moins chanceux de rivaliser avec eux128. Toutefois, il est intéressant de noter que, pour ce qui concerne les personnes handicapées, il a toujours été question de compenser le handicap en agissant sur elles, plutôt qu'en adaptant la société. En 1945, la sécurité sociale est créée pour faire face aux risques liés à la maladie, à la vieillesse et aux accidents du travail. La question du handicap n'est pas envisagée. La loi de 1975 ne donnera pas non plus de définition du

127 Organisation d'une conférence sur l'inclusion sociale des personnes handicapées en octobre 2008, www.ue2008.fr.

128 Pierre Rabischong, Le handicap, 2008, P47.

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handicap. Mais le statut d'handicapé est accordé sur critères, par l'administration. C'est en 2005, que, pour la première fois, le législateur définit le handicap, dans des termes généraux, basés sur une vision médicale. Cette définition globale du handicap permet la négation des particularismes.

1/ La définition médicale du handicap.

En 1980, l'Organisation Mondiale de la Santé établit une Classification Internationale des Handicaps, qui distingue les déficiences, les incapacités et les désavantages. Cette grille introduit une dimension environnementale à la dimension médicale129, car l'OMS tient compte des conséquences du handicap dans la vie quotidienne. De là nait le terme de « personnes en situation de handicap ». A l'occasion de la 54ème Assemblée Mondiale de la Santé, en 2001, une Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé est adoptée. Il s'agit d'un instrument de mesure des « déficiences et leur résultante, le handicap, dans un environnement particulier 130». Cette vision médicale et rationaliste du handicap tient compte des conséquences du handicap au quotidien, mais elle repose avant tout sur la déficience d'une personne, sur son manque. Les Sourds sont donc toujours classés selon l'importance de leur perte auditive, en décibel (léger, moyen, sévère, profond). Paul Blanc, dans son rapport de 2002, suggère d'adopter ce modèle proposé par les Nations-Unies, qualifié d' « environnemental », pour ne pas dire médical. En 2005, la loi retient donc la définition suivante : « constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant 131». Certes, la dimension sociale est bien prise en compte dans cette définition, mais à l'origine des

129 Ibid. P56-57.

130 Pierre Rabischong, Le handicap, 2008, P61.

131 Article 2 de la loi du 11 février 2005.

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limitations ou restrictions d'activité, il y a toujours une déficience, ou devons-nous dire plutôt, une altération. Un dernier exemple, enfin, de cette conception médicale du handicap avec l'article 5 de la loi de 2005 qui établit une relation étonnante entre la consommation d'alcool chez la femme enceinte et la naissance de leur enfant handicapé, pour responsabiliser les femmes et pour prévenir la naissance de ces enfants déficients. Cette définition médicale du handicap est unanimement rejetée par les associations. Les Sourds ne se sentent pas handicapés : « Les décideurs ne connaissent pas les personnes sourdes. La preuve, c'est justement la loi de 2005. Le concept même de cette loi montre que les décideurs ne nous connaissent pas. Ils pensent que les Sourds sont des personnes handicapées. Il suffirait de changer ce concept pour que la loi soit meilleure. Cette loi elle est globale, elle traite en même temps des aveugles, des personnes en fauteuil, de ceux qui ont un problème mental... Pourtant les situations ne sont pas les mêmes 132». Effectivement, la spécificité des Sourds, qui se considèrent comme une minorité linguistique, va être diluée dans la globalité.

2/ Une particularité fondue dans la globalité.

Comme le soulignait un représentant de la Fédération Nationale des Sourds de France, la situation n'est pas la-même entre toutes les personnes regroupées dans la catégorie « handicapé ». Pour autant, Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, indiquait à l'occasion du Congrès de l'UNISDA de 2005 que la définition du handicap « englobe tous les types de handicap (...) sans jamais les confondre, sans jamais en exclure 133». Mais la demande du sénateur Nicolas About sur la reconnaissance de la langue des signes et du braille n'est-elle la conséquence du processus bureaucratique qui, depuis le XIXème siècle, regroupe les aveugles et les Sourds sous la dénomination « handicap sensoriel » ? Cette construction politique, qui tend à englober des groupes sociaux bien différents, conduit à l'invisibilité sociale. Danièle Lochak nous rappelle, dans La

132 Entretien avec la Fédération Nationale des Sourds de France.

133 Congres.unisda.org

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France Invisible qu'il s'agit d'une « occultation volontaire », au nom de « l'idéologie universaliste 134». Pierre-François Gachet, responsable de la scolarisation des élèves handicapés au Ministère de l'Education Nationale, l'exprime aussi très clairement : La loi reconnaît la LSF (langue des signes française) comme une langue à part entière, comme une langue, mais la loi ne se prononce pas sur les Sourds, en tant que tels. Tout simplement parce que ce serait anticonstitutionnel de stigmatiser une catégorie de personne ». Pourtant, étymologiquement, discriminer ne veut pas dire stigmatiser. Discriminer, ça signifie distinguer. En fait, c'est l'âge de l'abstraction décrit par Pierre Rosenvallon qui fait son retour. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, déclarait au Congrès de l'UNISDA en 2005 : « Il n'y a pas de handicap, si lourd soit-il qui doive imposer l'enfermement, le repli sur soi, le renoncement à communiquer, à dialoguer, à agir, à vivre au milieu des autres, avec les autres, comme les autres ». Au nom de l'égalité de tous les citoyens, nous assistons en 2005 à une représentation déformée de la réalité, la même qui était dénoncée par les Sourds au XIXème siècle. Dans les représentations collectives, les Sourds ne sont pas autres, pratiquant une langue distincte, ils sont des handicapés parmi d'autres handicapés. Pour preuve encore cette étude de la Direction de la Recherche, des Etudes, de l'Evaluation et des Statistiques (DREES) qui fait état du nombre de locuteurs de la langue des signes et qui en conclut que « moins de 1% des déficients auditifs (44 000 personnes) déclarent utiliser la langue des signes ». Il y aurait pourtant 120 000 Sourds en France... mais la DREES a inclus dans son chiffre global les personnes âgées devenues sourdes.

B- Une loi pour l'inclusion sociale.

« Aujourd'hui, dans pratiquement tout discours public qui porte sur les politiques de protection sociale, il semble difficile de trouver un rejet explicite de l'égalité de traitement,

134 Danièle Lochak, dans La France invisible, ouvrage dirigé par Stéphane Beaud, Joseph Confavreux, Jade Lindgaard, Paris, 2006, P.499.

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d'accès, des droits ou des chances. L'égalité est devenue une valeur qui n'admet pas la contradiction : d'une certaine manière, c'est une offre communicationnelle que l'on ne saurait refuser 135». En 2005, l'égalité des droits et des chances est un thème récurrent au sein de l'Union européenne136. Il est aux antipodes de l'exclusion et repose sur le principe de non-discrimination. La loi de 2005 s'en fait écho, dans son intitulé et dans les solutions proposées pour inclure le citoyen handicapé à la société française. Le législateur remédie à la fracture sociale, par les notions d'accessibilité ou de compensation du handicap. En outre, il va s'attacher à rénover le vocabulaire en usage dans le secteur du handicap.

1/ Du Welfare State au Workfare State.

L'Etat Providence, construit au sortir de la Seconde Guerre mondiale, est en phase de déconstruction. Le projet présenté au Sénat le 13 mai 2003 propose une loi « rénovant la politique de compensation du handicap »137 mais cette loi ne se contentera pas d'une rénovation. Le grand chantier de 2005 a bâti une législation fondée sur la responsabilité individuelle. Pour clore l'exposé des motifs du projet de 2003, Jean-François Mattéi, Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, déclare, au nom de Jean-Pierre Raffarin, alors premier Ministre, que ce projet de loi entend valoriser les capacités, les potentialités et compenser les manques des personnes handicapées. L'Etat français ne conçoit plus de redistribuer la richesse nationale en fonction des besoins des personnes handicapées. Il leur offre des opportunités, pour les rendre actrices de leur vie. Désormais, à elles de faire des efforts et de mériter les prestations octroyées. L'égalité des chances viendrait ainsi corriger les écarts entre les citoyens. Mais ici il n'est nullement question de faire des

135 Wendelin Reich et Dimitris Michailakis, La notion d'égalité des chances dans la communication politique, dans Politiques en faveur des personnes handicapées, Grandes tendances dans quelques pays européens, dans la Revue française des Affaires Sociales, N°2, avril-juin 2005, P36.

136 Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche, Les politiques en faveur des personnes handicapées dans cinq pays européens. Grandes tendances, dans la Revue française des Affaires Sociales, N°2, avril-juin 2005, P12.

137 Annexe au procès-verbal de la séance du 13 mai 2003, N°287.

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différences en faveur d'un groupe désavantagé. Il s'agit de compenser le handicap, en fonction de critères pré-déterminés par l'administration. Pour les Sourds, la loi prévoit une aide humaine de 30 heures par mois pour leurs besoins de communication, c'est-à-dire pour financer des interprètes138. Mais la loi n'envisage ni le financement des cours de langue des signes pour le Sourd, ni pour sa famille139. Pourtant, 90% des Sourds naissent de parents entendants, lesquels a priori ne maîtrisent pas la langue des signes140. Les parents qui font le choix du bilinguisme doivent donc financer leur formation et prendre sur leur temps personnel pour se former. Cette politique publique fondée sur l'égalité des chances permet en définitive au système politique de s'exonérer de toute responsabilité. L'objectif à atteindre n'est pas la résolution d'un problème politique, mais d'apporter au public visé des moyens que le politique juge utile de lui accorder. Ce que les sociologues Wendelin Reich et Dimitris Michailakis résument par : « cette logique permet au système politique de gérer plus efficacement le flux toujours croissant des demandes de compensation - et ce sans rejeter systématiquement les demandes d'égalité, mais plutôt en en limitant et en en contrôlant la portée légitime 141». Avant la France, d'autres pays européens comme l'Espagne ou la Suède ont mené une politique du handicap menée sur la non-discrimination, sur l'égalité des chances. Trois expertes ont démontré que ce changement de paradigme a conduit à réduire le nombre de pensionnés d'invalidité par la restriction des prestations (aides individualisées), à responsabiliser les employeurs (politique des quotas), la famille, et les collectivités locales, ce dont nous traiterons ultérieurement. Enfin, d'une manière générale, l'accent est mis sur les personnes les plus lourdement handicapées142, ce qui est le cas en France avec les dispositifs d'accompagnement à

138 Décret N°2005-1591 du 19/12/2005, article D245-9.

139 L'article 12 de la loi de 2005 prévoit des aides humaines, techniques, animalières, l'aménagement du logement et des aides exceptionnelles.

140 Avis N°103 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre 2007, P7.

141 Wendelin Reich et Dimitris Michailakis, op.cité, P37.

142 Sylvie Cohu, Diane Lequet-Slama et Dominique Velche, op.cité, P11-33.

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l'école par exemple143. Pour accompagner ce changement de paradigme, le législateur s'est attaché enfin à rénover le vocabulaire en vigueur dans le secteur du handicap.

2/ Une rénovation du paradigme de l'inclusion.

Le rapporteur de la loi de 2005 pour l'Assemblée Nationale, Jean-François Chossy, a fait du vocabulaire son cheval de bataille, que ce soit lors des travaux parlementaires, dans son rapport de 2005 ou lors d'une contribution dans une revue spécialisée, la revue Reliance. Monsieur Chossy nous invite à « encore et toujours changer les mots, à défaut de changer le monde, pour faire bouger les mentalités 144». En conséquence, il suggère de remplacer les formules intégration scolaire par scolarisation, prise en charge par accompagnement, insertion professionnelle par implication sociale145 etc... Il peut être tentant de penser que cette police de la langue ne vise qu'à enjoliver la réalité, la même qui transforme un balayeur en technicien de surface par exemple. La rénovation du vocabulaire est pourtant symbolique. Elle contribue à ancrer dans les représentations collectives le nouveau paradigme qui traverse la politique du handicap. Scolarisation pour inclusion, accompagnement, implication sociale pour responsabilité individuelle et égalité des chances. Mais le regard sur les personnes handicapées a-t-il véritablement changé ? Il n'a pas été suggéré de supprimer le terme invalide par exemple. En effet, la carte d'invalidité est toujours inscrite dans la loi. Et elle est toujours accordée en fonction d'un taux d'incapacité146. Il n'est pas prévu non plus de renommer le Comité technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI). La philosophie des Lumières investit aujourd'hui encore le discours politico-administratif. Nous pouvons nous

143 Laurent Wauquiez, porte-parole du gouvernement, déclarait le 30 octobre dernier sur le site du premier Ministre que les Aides à la Vie Scolaire (AVS) sont réservés « à ceux qui en ont vraiment besoin ».

144 Jean-François Chossy, Une lecture critique de la loi du 11 février 2005, dans la revue Reliance, Mars 2007, P54.

145 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P11.

146 Article 65 de la loi de 2005.

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arrêter un instant sur les propos d'un représentant de la Direction Interministérielle aux Personnes Handicapées, au sujet de l'éducation des enfants handicapés. C'était en 2007 : « certes, l'éducation est au coeur de la pensée des Lumières et de sa confiance dans la perfectibilité de l'homme. Mais c'est seulement à notre époque après des évolutions radicales et parfois dramatiques de la démocratie que ce principe a pris tout son sens. Tout être humain est éducable (...) 147».

A l'heure où la droite, nationaliste, relance le débat sur l'identité nationale et républicaine, la politique publique en direction des personnes handicapées est elle aussi envisagée sous l'angle de l'inclusion sociale, de l'uniformisation, de l'unité nationale. Nous assistons donc au retour du paradigme de l'inclusion. Voici une définition extrême de la solidarité, appliquée aux personnes handicapées, par le Front national: « La démarche du FN est de respecter l'étymologie du terme « solidarité », qui provient du latin « in solidum », soit « pour le tout », pour toute la nation et non pas pour dresser les catégories les unes contres les autres en les communautarisant 148». Toutefois, la loi va générer un profond changement au sein des Institutions chargées de la mise en oeuvre de la politique du handicap. Associé au fait que la loi ne prévoit pas de date d'entrée en vigueur de ses articles, la mise en oeuvre de la loi de 2005 va révéler une inertie-politico-administrative.

II- LA MISE EN OEUVRE DE LA DECISION.

« La décision publique est le produit de la rencontre entre une volonté politique et une structure administrative ». Elle est « nécessairement collective car son élaboration et sa mise en oeuvre nécessitent la participation de plusieurs acteurs 149». La décision politique de

147 Allocution d'un représentant de la DIPH lors de la journée académique du 24 janvier 2007 sur le thème de l'unité pédagogique d'intégration, intitulé Projet de vie et parcours de scolarisation. Site internet de l'Académie de Lyon.

148 Les actions du front national en faveur des personnes handicapées : www.veritesurlefn.org

149 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P154. Charlotte Halpern.

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2005 ne peut se réaliser sans l'intervention d'un acteur incontournable : les institutions. Cependant, le système institutionnel français chargé de mettre en oeuvre la politique publique du handicap va connaître une profonde transformation. A l'échelle nationale, ce rôle a été confié à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), qui est un établissement public national à caractère administratif. Elle a été créée après la canicule de 2003 pour collecter les recettes issues de la journée de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. La CNSA est chargée de verser aux départements et aux établissements médico-sociaux la contribution de l'Etat au financement de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Cependant, la réforme engagée par la loi de 2005 va bouleverser le système institutionnel car le législateur a défini un nouveau mode de gouvernance pour le financement de la politique du handicap. L'inertie politico-administrative viendra renforcer la lente mise en oeuvre de la décision politique.

A- La nouvelle gouvernance.

Patrick Le Galès définie la gouvernance « comme un processus de coordination d'acteurs, de groupes sociaux et d'institutions, en vue d'atteindre des objectifs définis et discutés collectivement150 ». Le rapporteur de la Commission des affaires sociales du Sénat, Paul Blanc, va qualifier le nouveau mode de gouvernance issu de la loi de 2005, d' « inédit ». La loi, en effet, instaure un « fonctionnement en agence avec un pilotage local fort (ni décentralisation, ni déconcentration) ». Ce système est « une piste d'avenir pour la gestion de notre protection sociale 151». Il reste cependant que la profonde transformation du système institutionnel va déstabiliser les institutions locales.

150 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P245.

151 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul Blanc, Loi « handicap » : pour suivre la réforme..., N°359, 2007. P12.

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1/ Un « gouvernement à distance »152 ?

Placée sous la tutelle de l'Etat, la CNSA s'est vue confier une double mission: elle assure la régulation nationale du financement de l'accompagnement de la perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées153, tandis que des Caisses départementales assurent la régulation départementale, et elle met en oeuvre, gère les objectifs déterminés avec l'Etat. Ces objectifs sont formalisés au sein de conventions quadriennales. La CNSA va donc à la fois orienter et gérer les moyens financiers de la politique publique du handicap. Une fois les objectifs annuels de dépense de santé fixés, la CNSA répartit les crédits destinés à financer les établissements et services médico-sociaux, les Maisons départementales du handicap (MDPH) et la prestation de compensation du handicap (PCH), destinée aux personnes handicapées. Cette prestation remplace l'allocation adulte handicapé (AAH) et l'allocation d'éducation spéciale (AES), qui étaient des prestations forfaitaires. Pour ce qui concerne le financement des établissements et services médico-sociaux, la CNSA va répartir des « dotations régionales limitatives154». Pour ce faire, elle va s'appuyer sur des « programmes interdépartementaux », présentés comme un instrument de réduction des inégalités entre les territoires. Ces programmes sont un outil de régulation, de rationalisation des dépenses. Ils sont établis par les préfets de région, qui dressent une liste des priorités financières, laquelle tient compte des schémas départementaux présentés par les préfets de département155. Pour les MDPH et la PCH, la CNSA va conclure des conventions avec les départements, qui comprennent des « objectifs à poursuivre 156». Les crédits sont répartis en fonction du respect de « tout ou partie » des critères répertoriés à l'article 61 de la loi de 2005. Ces critères ne sont pas maîtrisables par les collectivités locales. Toutefois, certains Conseils Généraux pourront se voir attribuer un complément de dotation, calculé à

152 Renaud Epstein.

153 Article 56 de la loi de 2005.

154 Article 59-II de la loi de 2005.

155 Article 58 de la loi de 2005.

156 Article 60-III de la loi de 2005.

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partir des dépenses et du potentiel fiscal du département157. La thèse du sociologue Renaud Epstein, sur le « gouvernement à distance », semble s'appliquer à la politique du handicap. L'Etat a externalisé la conduite de cette politique publique à la CNSA, organisme gestionnaire, qui fait appel à une multitude d'acteurs, tout en conservant le pouvoir puisque l'Etat fixe ses objectifs à la Caisse nationale. Quant aux Conseils Généraux, ils se retrouvent soumis à des règles de gestion opaques puisque les critères de répartition des crédits peuvent être remplis soit totalement, soit partiellement pour ouvrir droit à crédit. La négociation des objectifs inscrits au sein des conventions CNSA-département laisse aussi penser qu'un jeu de concurrence est susceptible de s'installer entre les territoires.

2/ Des institutions locales déstabilisées.

La création d'une institution crée « une période d'instabilité et d'incertitudes 158». Les Maisons départementales du handicap (MDPH) ont été crées par la loi de 2005. Elles sont placées sous la tutelle administrative et financière du département et ont le statut de Groupement d'intérêt public (GIP). Guichet unique et départemental pour les questions de handicap, elles comprennent des équipes pluridisciplinaires, pour l'évaluation individuelle des besoins des personnes handicapées, et des Commissions des droits et de l'autonomie (CDA), qui regroupent les anciennes COTOREP et CDES, et qui se prononce sur l'orientation scolaire, professionnelle et sociale des personnes handicapées159. Le législateur a souhaité qu'elles soient opérationnelles moins d'un an après le vote de la loi, soit au 1er janvier 2006160. En 2007, la Commission des affaires sociales du Sénat fait un constat accablant de la mise en application de la loi par ces MDPH. Elle déplore l'absence d'une politique des

157 Article 61-II de la loi de 2005.

158 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P141, Thierry Delpeuch et Cécile Vigour.

159 Article 64 de la loi de 2005.

160 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul Blanc, Loi « handicap » : pour suivre la réforme..., 2007. P12.

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ressources humaines ou l'absence de compatibilité entre les applications informatiques des différents partenaires161. Le poids des routines est aussi évoqué. Certaines MDPH se contentent en effet « d'assurer la continuité des missions des anciennes COTOREP et CDES 162». Cependant, les MDPH ont dû faire face, avec la loi de 2005, à la réforme des droits des personnes handicapées ainsi qu'à la rénovation des institutions de la politique du handicap. La prestation de compensation du handicap est désormais individualisée, selon les besoins réels du demandeur, et nécessite un remboursement sur justificatifs alors qu'auparavant les personnes handicapées percevaient des allocations forfaitaires. Les MDPH se trouvent alors débordées par les demandes d'informations et les Commissions des droits et de l'autonomie connaissent une « explosion de leur activité 163», qui a conduit à un retard considérable dans le traitement des dossiers. Selon le Délégué interministériel aux personnes handicapées : « l'ensemble des acteurs aspirent à une pause législative et réglementaire », pour « digérer » les réformes 164». A la lenteur administrative va s'ajouter l'inertie des politiques.

B- L'inertie politico-administrative.

La loi du 11 février 2005 ne fixe pas de date d'entrée en vigueur pour ses articles, hormis quelques cas particuliers comme les MDPH. Au terme du délai de 6 mois que les parlementaires s'étaient fixés pour la publication des textes, « aucun dénombrement des textes réglementaires nécessaires à la mise en application n'a été communiqué, aucune programmation de la publication des textes d'application de chacun des grands pans de la loi n'a pu être présentée ». Selon Jean-François Chossy, un délai de publication d'un an

161 Ibid P15-18.

162 Ibid P18.

163 Ibid P20.

164 Rapport de la DIPH, Bilan de la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons Départementales des Personnes Handicapées, Patrick Gohet, juillet 2007. P64.

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aurait été « acceptable » compte tenu de la masse de travail nécessaire165. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille depuis juin 2005, va établir des priorités. Mais les délais de publication ne sont pas les seuls facteurs de la lente application de la loi de 2005.

1/ Une politique des priorités.

La loi de 2005 comprend 101 articles. Sa mise en oeuvre s'avère difficile. En décembre 2005, seules 22 dispositions de la loi ont reçu un texte d'application et 112 ne sont pas applicables en l'état. Les textes et les procédures sont particulièrement complexes. Par exemple, « la rédaction du décret d'application relatif à la prestation de compensation est totalement incompréhensible 166» selon Muriel Marland-Militello, députée UMP. En outre, la rédaction des décrets implique un nombre important de ministères et le gouvernement a engagé des concertations avec les associations, avec la Commission européenne, notamment sur l'accessibilité du cadre bâti167. Pour mettre en oeuvre le grand chantier de 2005, des priorités ont donc été fixées par les ministères : la réforme de l'allocation adulte handicapé, le maintien à domicile des polyhandicapés et la mise en place de la CNSA168. Les mesures adoptées pour les Sourds, relatives à l'accessibilité, n'en faisaient pas partie : « Le volet de la loi du 11 février 2005 relatif à l'accessibilité reste de loin celui le moins applicable 169». Ainsi, l'adaptation des sites internet, l'accessibilité des programmes télévisés, la communication devant les juridictions, l'assistance lors du permis de conduire et l'interprétariat simultané dans les services publics ont été renvoyés à des dates et réunions ultérieures. Mais des solutions pragmatiques ont été proposées, comme celle d'augmenter le son pour

165 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P12

166 Ibid P136

167 Ibid P15.

168 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P137.

169 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul Blanc, Loi « handicap » : pour suivre la réforme..., 2007. P79.

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l'accessibilité des « personnes malentendantes » aux sites internet...170. A ce jour, il semblerait toutefois que deux décrets, sur la réception et l'orientation des appels d'urgence et sur les aménagements pour le passage d'examens et concours soient parus.

2/ Les relations interministérielles.

La Délégation interministérielle aux Personnes Handicapées (DIPH) a été créée en 2004. Placée sous l'autorité du Ministère de la Santé et des Solidarités et du Ministère délégué à la Sécurité Sociale, elle est aujourd'hui sous tutelle du Ministère du travail et des solidarités. Elle travaille « en étroite collaboration avec les administrations impliquées dans la politique du handicap couvrant l'ensemble des ministères ainsi qu'avec les associations représentatives, les instances européennes 171». Après le vote de la loi de 2005, la DIPH « a engagé une réflexion sur la coopération entre les institutions adaptées et l'école ordinaire 172». En effet, les enseignants spécialisés avaient rejoint le Ministère de l'Education Nationale en 1978, à l'exception des enseignants spécialisés dans le handicap sensoriel. Des tentatives de rapprochement et d'harmonisation de la législation ont eu lieu en 1999 à l'occasion du plan Handiscol, puis en 1985. Ces tentatives ont échoué après la suspension des discussions par l'Education Nationale173. En 2006, un texte réglementaire devait être présenté pour régir la coopération entre l'éducation ordinaire et l'éducation adaptée pour la fin de l'année 2006 au plus tard. En juillet 2007, ce texte n'était toujours pas paru174. Ainsi, aujourd'hui encore, il existe deux types d'enseignants spécialisés, les uns relevant du Ministère de l'Education Nationale, les autres du Ministère des Affaires Sociales.

170 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P115.

171 www.travail-solidarité.gouv.fr

172 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François Chossy, Décembre 2005. P74

173 Dominique Gillot, Le droit des Sourds : 115 propositions, 1998, P70.

174 Rapport de la DIPH, Bilan de la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 et de la mise en place des Maisons Départementales des Personnes Handicapées, Patrick Gohet, juillet 2007. P13.

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Pourtant, la mutualisation des compétences est souhaitée au sein de la Direction générale des affaires sociales : « Comment on fait pour être aussi lent, pour ne pas, par exemple, mutualiser les compétences qui existent dans la prise en charge des jeunes sourds. Bon, maintenant, le fait d'être dans un système de..., un peu comme des chiens de faïence qui se regardent : l'éducation d'un côté, le médico-social de l'autre et les difficultés à créer les passerelles, à ne pas mutualiser les compétences, c'est vrai que c'est... qu'on est là devant une lenteur qui est impressionnante 175». Selon la Direction de générale de l'enseignement scolaire : « Les raisons administratives, c'est le fait que, la République Française étant ce qu'elle est, quand on est dans un ministère et qu'on veut aller dans un autre ministère, c'est la croix et la bannière. Et puis il y a des problèmes de rémunération. En moyenne les professeurs CAPEIS sont mieux payés que nos profs à nous 176».

Différents facteurs viennent justifier la lente mise en oeuvre de la loi de 2005 : l'instauration d'un nouveau mode de gouvernance, la création d'institutions, la loi elle-même, complexe et ambitieuse, et la difficile coopération entre les ministères. Mais un autre facteur vient expliquer des résistances au changement, c'est l'absence de changement de paradigme.

CHAPITRE 2 : LES RESISTANCES AU CHANGEMENT.

Après l'alternance politique de 1981, le Ministère de l'Education Nationale annonce l'intégration individuelle des enfants handicapés et la mise en place d'un traitement différencié pour ces élèves : « Ce n'est qu'à compter du 29 janvier 1982 et la première circulaire sur l'intégration individuelle des élèves handicapés que le handicap devient un vecteur d'individualisation. De ce point de vue la décennie 1980-1990 présente une période décisive en ce qu'elle met en place graduellement une prise en compte des besoins différenciés

175 Voir l'entretien avec Daniel Corre, Inspecteur à la DGAS.

176 Voir l'entretien avec Pierre-François Gachet, Chef du bureau de l'adaptation scolaire à la DGES.

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des élèves qui trouve un débouché avec la loi de 1989 qui place l'élève au centre du système et l'intégration scolaire des élèves handicapés au rang de ses missions 177». Dans les années 1980, le paradigme de l'intégration va tenter de se substituer à celui de l'inclusion. Désormais, l'école doit s'adapter aux élèves et tenir compte de leurs différences. Pour autant, la circulaire conjointe du Ministère de l'Education Nationale et du Ministère de l'Action Sociale du 8 juin 1978 est toujours en vigueur. Elle maintient les élèves sourds dans l'éducation spécialisée. La langue des signes va donc rester cantonnée aux Instituts. C'est à l'heure de la troisième cohabitation, en 1998, que le rapport de Dominique Gillot au Premier Ministre, Lionel Jospin, préconise la mise en oeuvre de l'intégration scolaire pour les enfants sourds. La députée socialiste propose alors de « mettre le jeune sourd au coeur du dispositif de scolarisation, en tenant compte de ses réelles capacités et en répondant à la diversité de ses besoins spécifiques 178». Dominique Gillot deviendra Secrétaire d'Etat aux Personnes Handicapées en 2001, au sein du Ministère délégué à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, conduit par Ségolène Royal. La ministre, qui était préalablement en charge de l'enseignement scolaire, avait lancé le plan Handiscol en 1999, pour l'intégration scolaire. L'intégration scolaire est aussi une démarche soutenue par Jack Lang, ministre de l'Education Nationale. Il déclare que « depuis 1991, il revient naturellement aux parents de choisir le mode de communication pour leur enfant sourd ou malentendant. Il revient à la puissance publique la responsabilité d'organiser l'enseignement en conséquence 179». Le ministre ira même plus loin, en déclarant implicitement que la langue des signes est une langue à part entière. En effet, c'est Jack Lang qui lance le projet de créer un référentiel, à partir du cadre de référence conçu pour les langues par le Conseil de l'Europe, en vue de créer des diplômes d'enseignement de et en langue des signes. Mais ce processus d'intégration scolaire va être stoppé, après les élections présidentielles et

177 Philippe Mazereau, Evaluer les aptitudes des élèves, définir les handicaps : les différents régimes de l'adaptation scolaire, dans La nouvelle revue de l'adaptation et de la scolarisation, avril 2007, P39.

178 Rapport de Dominique GILLOT au Premier Ministre, Le droit des Sourds : 115 propositions, 1998, P90.

179 Allocution de Jack Lang le 8 novembre 2000 à Paris en clôture de la réunion nationale des Inspecteurs académiques et des Directeurs départementaux de l'Education Nationale et des Affaires Sanitaires et Sociales. www.education.gouv.fr.

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législatives de 2002. A ce jour, la langue des signes n'a toujours pas pénétré l'école de la République. En outre, dans le cadre de la politique de santé publique, l'Etat français va à nouveau recourir à la médecine, pour soigner les Sourds.

I- L'ECOLE, LE LIEU DE L'INCLUSION.

La loi du 11 février 2005, dans son article 75, reconnait explicitement la langue des signes comme une langue à part entière. Le choix entre une éducation bilingue (langue des signes-français) et une éducation oraliste, c'est-à-dire un enseignement dispensé uniquement en langue française, a été concédé dans les conditions décrites précédemment et est formulé à l'article 19-V. L'Education Nationale se trouve alors face à un dilemme. Tout d'abord parce qu'il est inscrit dans l'article 2 de la Constitution française que « la langue de la République est le français » et que cet article a été érigé au rang des principes majeurs de la République en 1992. Ensuite parce qu'en avril 2005, une loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'Ecole est votée et rappelle que « la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République 180». Aussi, l'école doit garantir à chaque élève l'acquisition d'un socle commun qui comprend en premier lieu la maîtrise de la langue française181. Admettre sur l'ensemble du territoire national un enseignement dans une langue qui n'est ni le français, ni une langue régionale182 remet en cause le principe constitutionnel. Selon le linguiste Laurent Sagart, directeur de recherche à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, « en France, on a une peur panique du bilinguisme 183» car le bilinguisme suppose l'existence de minorités au sein de la nation. Or, la France, comme tout Etat nation, a le souci de l'unité, de l'unification. L'individu doit être incorporé au sujet collectif. C'est pourquoi d'ailleurs la France a

180 Article 2 de la loi du 23 avril 2005.

181 Article 9 de la loi du 23 avril 2005.

182 L'article 20 de la loi du 23 avril 2005 prévoit un enseignement de langues et cultures régionales sur les territoires « où ces langues sont en usage ».

183 Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene, Cécile Lestienne, La plus belle histoire du langage, 2008, P123.

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émis une réserve à l'article 27 du Pacte international sur les droits civils et politiques, entré en vigueur en 1976, sur la base de l'article 2 de la Constitution, car cet article reconnait le droit aux minorités linguistiques de pratiquer leur propre langue. De même, la Charte européenne des langues régionales et minoritaires adoptée en 1992 par le Conseil de l'Europe n'a pas été ratifiée par la France, au motif qu'elle est contraire à la Constitution française parce qu'elle octroie des droits collectifs à des groupes particuliers et parce qu'elle favorise la pratique de langues autre que le français dans la vie publique184. Dans ce contexte, c'est le Ministère de l'Education Nationale qui va être chargé d'interpréter l'article 75 de la loi de 2005 sur le bilinguisme, c'est-à-dire d'intégrer une langue française minoritaire dans le système éducatif français, et ce, sur l'ensemble du territoire. Le législateur a été prudent, la loi n'impose rien, et le Conseil d'Etat n'a pas souhaité se prononcer, considérant que la définition du bilinguisme ne relève pas d'une notion juridique185. Pour inclure il faut réparer le handicap.

A- L'école de la République.

La reconnaissance du bilinguisme n'était pas désirée. Ce sont les groupes de pression qui ont conduit à imposer dans l'urgence l'enseignement de et en langue des signes dans l'éducation des jeunes sourds. C'est au Ministère de l'éducation qu'il reviendra d'interpréter et de mettre en application la législation. Le Bureau de l'adaptation scolaire et de la scolarisation des élèves handicapés186, dirigé par Pierre-François Gachet, va donc constituer un groupe d'experts, présidé par Pierre Encrevé, linguiste à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Au sein de l'administration, le bilinguisme va prendre forme mais le libre choix d'y accéder est encadré. En outre, les modalités d'application de l'article 19-V dans l'enseignement ne sont pas définies.

184 Hugues Moutouh, La République face à ses communautés, dans Cahiers de la Recherche sur les Droits Fondamentaux, Caen, 2003, P88.

185 Entretien avec Pierre-François Gachet, de la Direction Général de l'Enseignement Scolaire.

186 Bureau qui relève de la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire.

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Par exemple, il n'est pas prévu de créer des postes d'enseignants pour les jeunes sourds, au sein de l'Education Nationale. En effet, la loi n'impose rien. La commission de l'Assemblée Nationale, dans son rapport de 2005, indique qu'il n'est pas nécessaire de publier des textes réglementaires pour la mise en oeuvre de la loi. Il s'agira de « mobiliser des moyens humains et financiers, voire la diffusion d'informations à destination des établissements 187».

1/ Une liberté de choix encadrée.

Le Ministère de l'Education Nationale s'est prononcé sur l'application de l'article 75, l'enseignement de la langue des signes, deux ans après le vote de la loi. En effet, l'arrêté du 12 octobre 2007 instaure une épreuve facultative de l'enseignement de la langue des signes au baccalauréat des sections générales et technologiques. Dans cette hypothèse, la langue des signes est une matière optionnelle qui peut être étudiée au même titre que toute autre discipline d'un programme scolaire188. A l'évidence, le public visé n'est pas le public sourd. D'abord parce que cette langue est généralement acquise par les Sourds avant qu'ils n'intègrent le lycée, ensuite parce que les Sourds n'accèdent pas tous à ce niveau d'études. Toutefois, le Ministère de l'éducation nationale va fixer un an plus tard le programme de l'enseignement de la langue des signes à l'école primaire189, en précisant la notion de bilinguisme. Après consultation d'un groupe d'experts, présidé par le linguiste Pierre Encrevé, et au sein duquel sont représentées des membres des associations de Sourds, le Ministère retient que ce bilinguisme comportera de la langue des signes, en tant que « langue première » et du français écrit, « langue seconde ». Le français oral est envisagé « dans la mesure du possible », le groupe s'étant fixé une « priorité sur l'acquisition de la LSF 190».

187 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005, P71.

188 Article 75 de la loi de 2005 : « Elle peut être choisie comme épreuve optionnelle aux examens et concours, y compris ceux de la formation professionnelle ».

189 Article 1 de l'arrêté du 15 juillet 2008, Ministère de l'Education Nationale : « Cet enseignement sera dispensé aux élèves concernés dans le cadre horaire de l'enseignement du français ».

190 BO N°33 du 4 septembre 2008 pour l'école primaire.

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Ainsi, pour la première fois en septembre 2008, le Ministère de l'éducation nationale va répondre positivement aux revendications de la communauté Sourde. Les Sourds peuvent intégrer le système scolaire ordinaire et recevoir un enseignement en langue des signes. Toutefois, le Ministère de l'Education Nationale a décidé que pour l'application de ce texte, un « diagnostic constatant les difficultés d'accès à la communication orale et la nécessité du recours à des modalités adaptées de

communication 191» doit précéder l'inscription du mode de communication dans le projet de vie de l'enfant. Ce projet de vie est recueilli par la Maison Départementale des personnes handicapées, le financeur. Donc, en définitive, le bilinguisme n'est pas accessible à tous les enfants sourds mais uniquement à ceux pour lesquelles un diagnostic, dont nous ne connaissons ni les critères, ni l'organisme chargé de l'évaluation, établit la nécessité de recevoir un enseignement en langue des signes. En somme, la liberté reste encadrée par l'administration, elle n'est pas réelle. Mais il reste aussi que les modalités d'application de l'article 19-V de la loi de 2005, sur les conditions de scolarisation, ne sont toujours pas envisagées à ce jour.

2/ Une mise en oeuvre retardée.

L'article 19-III de la loi de 2005 a posé le principe de la scolarisation individuelle pour les enfants handicapés : «Tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l'école ou dans l'un des établissements mentionnés à l'article L. 351-1, le plus proche de son domicile, qui constitue son établissement de référence ». Mais nous venons de voir que désormais les Sourds peuvent bénéficier d'un enseignement en langue des signes. Faudra-t-il pour ce faire détacher un enseignant par enfant sourd, s'il est scolarisé individuellement dans une classe ordinaire ? Il semblerait qu'un certain nombre de parents ait souhaité un interprétariat individuel mais pour des raisons budgétaires et pour satisfaire

191 Décret du 3 mai 2006, Article R351-22 du Code de l'Education.

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« l'exigence intellectuelle » des linguistes192, l'éducation nationale envisage un regroupement partiel d'enfants sourds au sein de pôles ressources. En effet, la langue des signes est une langue « orale », qui ne s'écrit pas, qui ne s'entretient qu'au sein de la communauté. Des pôles ressources pourraient regrouper les élèves sourds pour l'enseignement de la LSF et du français écrit, tandis que les autres matières pourraient être enseignées en commun avec les enfants entendants193. Ces pôles ressources, qui ne sont mentionnés dans aucun texte règlementaire à ce jour, existent déjà pour les enfants sourds, mais sous un autre nom, les CLIS (classes d'intégration scolaire). Ces classes ne donnent pas satisfaction à la communauté sourde car d'une part les enfants doivent s'adapter à deux classes et d'autre part l'enseignant de la classe ordinaire ne dispense pas son cours en langue des signes. Les Sourds revendiquent l' « intégration collective 194» et citent très souvent le modèle suédois195. La Suède en effet a créé cinq écoles publiques régionales qui regroupent tous les Sourds, et qui peuvent intégrer des entendants, aussi. Dans ces écoles, la langue des signes est la langue première des élèves196. Ainsi les jeunes sourds regroupés dans une même classe reçoivent un enseignement en langue des signes. L'administration française a choisi de maintenir le système actuel, en lui donnant le nom de « pôle ressource » tandis que la loi n'a pas prévu de créer de postes d'enseignants spécialisés, qui soient en mesure de communiquer en langue des signes. La loi prévoit que les enseignants et les personnels des établissements scolaires reçoivent une « formation spécifique » comprenant « une information sur le handicap (...) et les différentes modalités d'accompagnement scolaire 197», c'est tout. C'est pourquoi l'administration envisage de recourir à des contractuels, qui ne seront pas nécessairement des enseignants. Un diplôme d'enseignant de LSF est prévu dans les années qui viennent mais les modalités ne sont toujours pas définies. Quant aux

192 Entretien avec Pierre-François Gachet.

193 Ibid.

194 Entretien avec la FNSF.

195 Voir le dossier de presse du groupe OSS 2007 notamment.

196 Nina Timmermans, Le statut des langues des signes en Europe, Juin 2005, P80.

197 Article 19-VII de la loi de 2005.

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professeurs CAPA-SH198, professeurs spécialisés de l'Education Nationale, qui souhaitent se former à la langue des signes, leur formation se limite à 50 heures, ce qui - aux dires mêmes de Pierre-François Gachet - est insuffisant pour enseigner à des Sourds199.

A ce jour, l'enfant sourd qui pratique la langue des signes devra, comme avant la loi, être pris en charge par un établissement médico-social pour recevoir un enseignement de et en langue des signes. En effet, le Ministère de l'éducation nationale a défini la langue des signes conformément aux attentes des associations représentatives de Sourds mais à ce jour aucun dispositif n'est envisagé pour la mettre en application. La situation est donc identique à 1991, la loi de 2005, à ce jour, n'a rien changé : soit les enfants sont intégrés individuellement en milieu ordinaire dans la perspective d'une éducation oraliste, en français, soit ils sont scolarisés dans le cadre de l'éducation spécialisée, qui relève du Ministère des affaires sociales, pour recevoir un enseignement de et en langue des signes. Mais les établissements médico-sociaux sont en pleine mutation.

B- Le secteur médico-social.

En juin 2008, Patrick Braouezec, député de la Gauche Démocrate et Républicaine, a questionné le gouvernement sur le thème Langue des signes et bilinguisme au motif que « la reconnaissance de la langue des signes ne se traduit pas dans la pratique par l'obligation de l'enseignement et le développement des lieux d'usage de cette langue 200». A l'automne, le gouvernement a formulé la réponse suivante : « la contribution des Services de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire (SSEFIS) est déterminante. Ces services relèvent du ministère chargé des relations sociales et sont destinés aux élèves de 3 à 20

198 Certificat d'aptitude professionnel pour les aides spécialisées et la scolarisation des élèves handicapés.

199 Entretien avec Pierre-François Gachet.

200 Journal Officiel du 17 juin 2008.

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ans 201». Le gouvernement reconnaissait par la même son intention de ne pas mettre en oeuvre un enseignement bilingue au sein du système éducatif ordinaire. Il s'en remet au Ministère chargé des affaires sociales, placé sous l'autorité du Ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité et de la Ministre de la santé et des sports. Ces établissements spécialisés chargés de l'éducation des jeunes Sourds peuvent dispenser un enseignement de et en langue des signes, mais ils ont aussi pour mission de rééduquer les Sourds. Cependant, la loi de 2005, qui donne la priorité à la scolarisation dans le système de l'éducation nationale, va contribuer à en faire des établissements subsidiaires.

1/ Bilinguisme contre rééducation.

Depuis 1976, la langue des signes a été réintroduite dans les établissements spécialisés et, nous l'avons vu, la loi de 1991 a permis aux parents de choisir entre l'enseignement en français, uniquement, et un enseignement dit bilingue mais qui recourt aussi au français oral. Cela s'explique par le fait que ces établissements relèvent du secteur médico-social. L'enseignement dispensé par les établissements spécialisés comprend donc un volet médical. Ces établissements sont le lieu de la rééducation, par l'orthophonie notamment, pour apprendre aux Sourds à oraliser. La loi de 2005, qui reprend dans son article 19 les termes de la loi de 1991, n'a donc rien changé au sein des établissements spécialisés. Un enfant accompagné dans sa scolarité par un établissement spécialisé doit toujours être rééduqué et recevoir un enseignement du français oral. En effet, la seule définition du bilinguisme qui exclut le français oral est celle qui est issue du groupe de travail organisé par le Ministère de l'éducation nationale. Mais les établissements spécialisés, qui sont placés sous l'autorité du Ministère des affaires sociales, ne sont pas concernés par cette réglementation. Et le Ministère des affaires sociales n'a pas suivi l'éducation nationale dans sa définition, il n'a pris aucune mesure réglementaire en la matière.

201 Journal Officiel du 18 novembre 2008.

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En définitive, comme l'éducation nationale n'a pas organisé l'enseignement en langue des signes, les enfants dont les parents ont fait le choix d'une éducation bilingue, n'ont pas d'autre alternative que l'établissement spécialisé. Mais la contrepartie, c'est la rééducation, l'apprentissage du français oral. La loi de 2005 n'a produit aucun changement. Quant aux Services de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire, cités par le gouvernement, ils consistent à détacher des enseignants spécialisés au sein des écoles, quelques heures par semaine, près de chaque enfant scolarisé individuellement. Dans cette dernière hypothèse, l'intervention sporadique des enseignants spécialisés, liée au fait qu'il faut un enseignant par enfant, ne permet pas un enseignement bilingue. L'intervention d'un SSEFIS convient aux enfants pour lesquels leurs parents ont fait un choix de communication orale, puisque l'enfant est immergé dans un milieu où enseignants et élèves parlent français. Les enfants sourds sont donc contraints de poursuivre leur scolarité au sein de l'enseignement spécialisé pour recevoir un enseignement dans leur langue. Mais le secteur médico-social suppose, comme son nom l'indique, un volet médical. Les établissements sont en partie financés par la sécurité sociale, laquelle fait l'objet d'une politique de restrictions budgétaires.

2/ Des établissements subsidiaires.

Depuis la loi de 2005, les enfants handicapés sont prioritairement scolarisés dans l'école la plus proche de leur domicile. En conséquence, les établissements spécialisés deviennent des lieux de scolarisation « subsidiaires 202». Pour autant, à lire le premier rapport de Paul Blanc, on s'aperçoit que d'autres problèmes viennent justifier la décision de rassembler tous les enfants à l'école de la République. Le manque important d'enseignants spécialisés est évoqué, le fait que ces établissements soient des lieux de ségrégation, ou encore le manque de places disponibles au sein des services médico-sociaux. Notons sur ce dernier point, que les chiffres de la DREES,

202 Rapport de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul Blanc, 2007. P58.

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présentés dans le même rapport de 2002, font pourtant état de 1000 places vacantes en 1998 au sein des Instituts de Jeunes Sourds. Mais les chiffres retenus sont des chiffres globaux, qui tiennent compte de l'ensemble de la population handicapée. Le problème principal, que Paul Blanc développe particulièrement dans son premier rapport, est économique. En effet, durant le premier mandat de Jacques Chirac, période marquée par la troisième cohabitation, les prestations relatives à la prise en charge en établissement sont en forte augmentation, tandis que d'une manière générale, l'Etat français fait le choix politique de se désengager progressivement du financement de la politique du handicap. Pour preuve la diminution des prestations sociales consacrées au handicap qui passent de 2.1% du PIB en 1985 à 1.7% du PIB en 2001203. La Haute Autorité de Santé, à l'occasion d'une étude sur le dépistage néonatal de la surdité, que nous évoquerons plus loin, a clairement indiqué pour ce qui concerne la scolarisation des Sourds que «l'impact économique de la surdité se caractérise par un surcoût important pour la société (...) dû principalement aux dépenses d'éducation en milieu spécialisé et aux pertes de productivité 204». En 2008 enfin, à l'occasion du séminaire d'échange sur les ARS (Agences Régionales de Santé), créées pour mieux maîtriser les dépenses de santé, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, annonce la « fongibilité des enveloppes (budgétaires) » entre le sanitaire et le médico-social, à la demande de Nicolas Sarkozy205. Les établissements spécialisés vont devoir se conformer à la politique de rationalisation des dépenses de santé et les enfants scolarisés au sein des établissements spécialisés vont être considérés comme des patients, des personnes « lourdement handicapées 206». Mais qui décide qu'un enfant est lourdement handicapé ? Ce sont les Commissions des droits et de

203 Rapport d'information de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul Blanc, 2002.

204 Rapport de la Haute Autorité de Santé, Evaluation du dépistage néonatal systématique de la surdité permanente bilatérale, Synthèse et perspectives, Janvier 2007, P8.

205 Discours de Roselyne Bachelot lors du séminaire d'échanges sur les ARS. www.sante-jeunesse-sports-gouv.fr,

206 Rapport d'information de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul Blanc, déposé le 24 juillet 2002 : « Les progrès de la scolarisation en milieu ordinaire vont inévitablement conduire les établissements médico-sociaux à recentrer leur activités sur les enfants les plus lourdement handicapés » ainsi que la déclaration de Laurent Wauquiez citée plus haut.

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l'autonomie207. Les décisions sont motivées et susceptibles d'appel mais l'accès à l'éducation spécialisée reste sous contrôle de l'Administration.

La priorité est donc donnée à la scolarisation dans l'école la plus proche du domicile de l'enfant. Peut-on s'autoriser à se poser la question de l'avenir de l'enseignement spécialisé ? Le législateur en 2005 a supprimé du vocabulaire toute référence au mot spécial. Les établissements spécialisés deviennent ainsi des « établissements ou services d'enseignement qui assurent, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social 208». Peut-être que ce représentant de la Direction

interministérielle aux personnes handicapées y répond en partie : « Les établissements craignent pour leur survie et s'interrogent sur leur avenir alors qu'ils peuvent légitimement se prévaloir d'avoir pendant de nombreuses années contribuées à une prise en charge efficace et dévouée des jeunes handicapés 209».

III- LA BIOLOGISATION DE LA POLITIQUE.

Avant même la question de la compensation, des ressources, de l'accessibilité, de l'accès à la citoyenneté, dès le titre 2 de la loi de 2005 il est fait référence à la prévention, la recherche et l'accès aux soins, comme dans la loi de 1975. La loi de 2005 prévoit la mise en oeuvre de politiques de « prévention, de réduction et de compensation des handicaps », pour la « limitation des causes du handicap » et le « développement de la capacité de la personne handicapée 210». Elle envisage de « développer des actions de réduction des incapacités et de prévention des risques » grâce à la recherche médicale211, de former les professionnels « aux innovations thérapeutiques,

207 Article 21 loi 2005.

208 Article 21-III de la loi de 2005. Article L351-2 du code de l'éducation.

209 Allocution d'un représentant de la DIPH lors de la journée académique du 24 janvier 2007 sur le thème de l'unité pédagogique d'intégration, intitulé Projet de vie et parcours de scolarisation. Site internet de l'Académie de Lyon.

210 Article 4 de la loi de 2005.

211 Article 6.

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technologiques 212» tandis que des expertises médicales sont instituées pour s'assurer que les personnes handicapées « bénéficient de l'évolution des innovations thérapeutiques et technologiques pour la réduction de leur incapacité 213». La caisse nationale de solidarité pour l'autonomie est assistée d'un Conseil scientifique qui a pour rôle d'évaluer les besoins des personnes handicapées et les aides techniques disponibles214. Dans son Programme de travail de l'observatoire du marché et des prix des aides techniques défini en juin 2007, la commission va se fixer quatre actions prioritaires, dont trois d'entre elles concernent directement les Sourds. Le suivi statistique relatif à la fabrication et à l'innovation en matière d'aides techniques, la prévision d'une étude comparative européenne des prix et enfin une enquête sur le service rendu et la qualité des audioprothèses215. Comme au XIXème siècle, le politique va avoir recours à la médecine pour inclure le Sourd à la société des semblables.

A- La surdité, un problème de santé publique.

La commission des affaires sociales du Sénat, dans le cadre du rapport déposé en 2002, a auditionné diverses personnalités dont la présidente de l'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale des Déficients Auditifs), qui déclare qu'

« actuellement, les tests pour les petits enfants sourds ne sont pas systématiques, ce qui a pour conséquence que la surdité est souvent dépistée tardivement 216». Par un arrêté du 19 novembre 2003, le Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées crée un groupe de travail sur le dépistage néonatal de la surdité.

212 Article 7.

213 Article 8.

214 www.cnsa.fr, présentation du conseil scientifique.

215 Ibid.

216 Rapport d'information de la Commission des Affaires Sociales du Sénat, Paul BLANC, 2002, www.legifrance.fr.

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1/ Le dépistage précoce de la surdité.

Le 28 janvier 2004, le ministre Jean-François Mattéi annonce lors d'une conférence de presse la généralisation du dépistage de la surdité bilatérale et congénitale de l'enfant, qui entraîne des difficultés d'oralisation à la naissance. Des expérimentations vont être menées dans six départements pilotes217. Ainsi, la surdité va être dépistée au même titre que cinq maladies rares, comme la mucoviscidose par exemple. Quel peut-être l'intérêt de dépister précocement la surdité ? La Haute Autorité de Santé, créée en août 2004 par la loi relative à l'assurance maladie, considère que «la pathologie concernée est génératrice de handicap définitif et d'une altération de la qualité de vie 218» et que « l'histoire naturelle de la maladie a révélé que, en l'absence de diagnostic et de traitement, la surdité (...) dans la moitié des cas, s'accompagnait de difficultés cognitives, comportementales, ou sociales 219». Pourtant les Sourds ne se considèrent pas comme des malades, leur surdité ne met pas leur vie en péril. D'ailleurs, la DREES dans son étude sur Le handicap auditif en France a constaté qu' « en l'absence de déficience associée, les déficients auditifs ne déclarent pratiquement jamais d'incapacité sévère dans la vie quotidienne 220». Mais, comme au XIXème siècle, la médecine est appelée à guérir les Sourds : « le dépistage systématique avant la sortie de la maternité favorise le repérage des enfants sourds congénitaux et augmente les possibilités de diagnostic et de traitement avant l'âge de 6 mois 221». La loi de 2005 consacre son titre II à la prévention, recherche et accès soin. Il n'est donc à priori pas seulement question de prédire la surdité, mais aussi de la prévenir, d'agir, de restaurer la fonction auditive : « avoir une attitude prévisionnelle nous place dans la perspective d'une réflexion et d'une

217 Rapport de Jean-François Mattéi au premier ministre, Mesures pour améliorer la vie sociale des personnes handicapées », www.archives.handicap.gouv.fr.

218 Synthèse du rapport d'évaluation de la Haute Autorité de Santé, Traitement de la surdité par pose d'implants cochléaires ou d'implants du tronc cérébral, Mai 2007, P9.

219 Rapport de la Haute Autorité de Santé, Evaluation du dépistage néonatal systématique de la surdité permanente bilatérale, Synthèse et perspectives, Janvier 2007, P7.

220 Etudes et Résultats de la DREES, Le handicap auditif en France : apports de l'enquête Handicaps, incapacités, dépendances, 1998-1999, Août 2007, P5.

221 Rapport de la Haute Autorité de Santé, Evaluation du dépistage néonatal systématique de la surdité permanente bilatérale, Synthèse et perspectives, Janvier 2007, P12.

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analyse, dans un contexte donné et en vue d'une action. La prévision inclut la décision et l'action, pas seulement le « dire » auquel peut se limiter la prédiction. (...) Ainsi à travers ce simple changement de mot, ce n'est plus un résultat de test qui se profile mais un ensemble complexe tant dans ses aspects individuels que collectifs 222». Le traitement qui pourrait être prescrit aux Sourds avant l'âge de 6 mois, c'est l'implant cochléaire.

2/ La science au service de l'inclusion.

Dernière grande innovation technique en matière de prothèses auditives, les implants cochléaires ont pour fonction de pallier à la surdité, au moyen d'électrodes implantées dans l'oreille interne. La Haute Autorité de Santé estime que «l'implantation cochléaire apporte une amélioration de la qualité de vie de la population concernée, a un impact positif sur la scolarisation des enfants (données non confirmées en France cependant), et se révèle coût-efficace. (...). Compte tenu de ces éléments, on peut considérer que l'implantation cochléaire a un impact en santé publique 223». Deux arguments s'avèrent intéressants. Tout d'abord, celui de la scolarisation. Dès 2001, la direction de l'hospitalisation adressait à certains établissements hospitaliers une circulaire relative au « soutien financier exceptionnel », évalué à près de 4 millions d'euros, « pour conforter la technique des implants cochléaires », indiquant que « l'objectif est de permettre de surmonter le handicap par une insertion ou une réinsertion du patient dans un circuit de vie normale, ce que permet cette technique dans la majeure partie des cas 224». L'objectif reste, comme au XIXème siècle, de normaliser l'anormalité pour inclure les Sourds à la société des égaux. Par ailleurs, ces implants, nous dit la Haute Autorité de Santé, sont « coût-efficaces ». Mais efficaces pour qui ? La même année, le Comité Consultatif National d'Ethique, créé en 1983, déclare que les résultats des

222 Anne Cambon-Thomsen, Emmanuelle Rial-Sebbag, Anne-Marie Duguet, Recherche en génétique et santé publique : place de la réflexion éthique dans Ethique de la recherche et santé publique : où en est-on ?, 2006, P28.

223 Synthèse du rapport d'évaluation de la Haute Autorité de Santé, Traitement de la surdité par pose d'implants cochléaires ou d'implants du tronc cérébral, Mai 2007, P59.

224 Circulaire du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, Direction de l'Hospitalisation, 25 octobre 2001, P2.

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implants cochléaires « sont encore loin d'être parfaits 225». Mais le marché des technologies pour la santé est un marché porteur. La Haute Autorité de Santé indique que les ventes de prothèses auditives « couvrent moins de 10% des besoins mondiaux 226 ». La France se situe dans cette moyenne, seul 1/10ème des Sourds déclare utiliser des prothèses auditives227. L'étude prospective commandée par l'Agence nationale de la recherche la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie révèle que le marché mondial est évalué à 185 milliards d'euros et connait une croissance de 5 à 6% par an228. Mais la France est « loin derrière 229» les Etats-Unis et l'Allemagne. Les pouvoirs publics français, dans la perspective de rattraper leurs concurrents, vont encourager la recherche et l'innovation, notamment par l'intermédiaire de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR). Cet établissement public à caractère industriel et commercial, transformé en société anonyme en juin 2005, est détenu à 100% par l'EPIC OSEO, placé sous la double tutelle du Ministère de l'Economie et du Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche230. Les pouvoirs publics ont confié à OSEO une mission d'intérêt général, celle de soutenir les projets innovants des PME et d'en garantir le financement231. Parmi ces projets, on peut noter que sont cités les implants cochléaires ou les tests de dépistage précoce232. Ainsi, l'Etat français finance des entreprises privées pour qu'elles puissent développer leurs produits et conquérir des places de marché en France et à l'étranger.

225 Avis N°103 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, décembre 2007, P14.

226 Rapport d'évaluation de la Commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute Autorité de Santé ( has-sante.fr), Les appareils électroniques correcteurs de surdité, avril 2008. P21.

227 Etudes et Résultats de la DREES, Le handicap auditif en France, Août 2007. P7.

228 Etude prospective sur les technologies pour la santé et l'autonomie, Alcimed, à la demande de l'Agence Nationale de la Recherche et la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie, octobre 2007. P55.

229 Ibid.

230 Rapport d'information du sénateur Maurice Blin, au nom de la commission des finances du Sénat, L'ANVAR, une gestion à l'envers, N°220, 11 avril 2007.

231 www.oseo.fr

232 Plaquette commerciale Innovation, P23-24.

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La science est à nouveau mise à contribution par le politique. La loi du août 2004 relative à la politique de santé publique dispose que « les critères utilisés pour apprécier l'importance d'un problème en termes de santé publique doivent être définis de façon explicite. Ils comprennent : d'une part, des éléments décrivant le retentissement du problème sur la santé en termes de morbidité et de mortalité évitables, de limitations fonctionnelles et de restrictions d'activité ou de qualité de vie des personnes atteintes ;d'autre part, l'expression de valeurs de notre société à un moment donné, en termes d'importance relative accordée à différents événements de santé ou à différents groupes démographiques et sociaux ».

Cette politique à l'attention des Sourds ne serait-elle pas conditionnée, en définitive, par la seule « expression de valeurs de notre société à un moment donné » ? Mais certains médecins s'élèvent contre cette politique médicale. En 2005, à l'occasion d'une audition publique sur l'expertise scientifique, le Professeur Arnold Munnich, membre de l'Académie des sciences, déclare : « Si l'on prend des décisions sur la base d'une conception génétique, on s'expose à d'énormes erreurs. Il y a dans cette salle des gens qui ne seraient pas parmi nous s'ils avaient été l'objet d'un diagnostic prénatal. Beethoven (qui était sourd) aurait probablement été l'objet d'une interruption médicale de grossesse en raison d'une malformation d'un gène de l'oreille interne 233». Un an plus tard, le docteur Benoît Drion, praticien hospitalier, déclare qu'il n'existe « pas d'autres exemples d'une communauté humaine à ce point en danger du fait des soins qu'on veut lui apporter234 ».

B- Un déni de reconnaissance.

Le Groupe Européen d'Ethique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission Européenne adopte un avis le 16 mars 2005 dans lequel il déclare que « les efforts déployés pour promouvoir cette technologie posent des questions éthiques quant à son impact sur le porteur de l'implant et sur la communauté des sourds (notamment ceux qui

233 Rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Audition publique sur l'expertise scientifique, 6 décembre 2005. P36.

234 Benoit Drion, entretien pour Le journal du médecin, Belgique, 14 novembre 2006, bdrion.over-blog.net

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communiquent par langue des signes). Ils ignorent le problème de l'intégration sociale du porteur de l'implant dans cette communauté et ne prêtent pas une attention suffisante aux incidences psychologiques, linguistiques et sociologiques. Avant toute chose, ils promeuvent une vision particulière de la « normalité » 235». En février 2007, la Fédération nationale des Sourds de France saisie le Comité consultatif national d'éthique sur le risque de « discrimination et de stigmatisation que le dépistage systématique de la surdité pourrait faire courir à la population concernée 236». Ils sont accompagnés par le Réseau d'actions médico-psychologiques et sociales pour enfants sourds qui interpelle le comité d'éthique sur les risques psychologiques mais aussi le manquement à des critères internationaux sur le dépistage systématique comme la gravité de la maladie, la disponibilité d'un traitement préventif ou la fiabilité du test237. L'avis rendu par le comité d'éthique en décembre 2007 annonce qu'il s'agit d'une « politique sanitaire standardisée, trop médicalisée et indifférente aux aspects humains des déficits auditifs 238». Ces avis auront-t-ils un impact politique ?

1/ Le choix des acteurs dans les consultations.

Le premier article de la loi de 2005 est consacré à la représentation des associations au sein des instances consultatives. Toutes les instances nationales ou territoriales doivent comprendre des membres d'associations représentatives. Toutefois, le gouvernement n'a pas souhaité se prononcer sur la question de la représentativité, bien qu'elle ait été évoquée au Parlement239. Dès lors, « chaque autorité administrative

235 Avis du Groupe Européen d'Ethique des sciences et des nouvelles technologies auprès de la Commission Européenne, Aspects éthiques des implants TIC dans le corps humain, Stefano Rodotà et Rafael Capurro, adopté le 16 mars 2005. P25.

236 Avis N°103 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre 2007. P3.

237 Avis N°103 du Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé, 6 décembre 2007. P4.

238 Idem P3.

239 Rapport d'information de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales et Sociales de l'Assemblée Nationale, Jean-François CHOSSY, Décembre 2005. P17.

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doit prendre les dispositions nécessaires 240». En France, les deux principales associations nationales de Sourds se sont constituées sur deux représentations différentes de la surdité. L'Union nationale pour l'insertion des déficients auditifs (UNISDA) promeut l'oralisme, revendique l'insertion sociale des Sourds, qu'elle nomme déficients auditifs conformément à la vision médicale de la surdité, tandis que la Fédération nationale des Sourds de France (FNSF) défend une vision culturelle de la surdité et revendique à ce titre la reconnaissance réelle de la langue des signes. La première est particulièrement visible. L'UNISDA est en effet représentée au sein de plusieurs instances : la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, le Conseil scientifique de cette même caisse, l'Observatoire national sur la formation, la recherche et l'innovation sur le handicap etc... Quant à la FNSF, elle participe peu à l'élaboration des décisions au sein de ces instances car elle s'y sent inutile, sous tutelle : « C'est comme à la Haute Autorité de Santé, pour que nous soyons crédibles, il faut qu'un entendant vienne confirmer ce que l'on dit », voire « on nous traite de menteurs 241». Selon le politologue Pierre Muller, « la définition d'une politique publique repose sur une représentation de la réalité qui constitue le référentiel de cette politique 242». La politique du handicap mise sur la prévention, la recherche et l'accès aux soins pour l'insertion sociale des personnes handicapées. La vision médicale de la surdité, qui est celle d'une maladie à soigner, va donc s'imposer comme cadre de référence pour cette politique publique. Et au sein des instances consultatives, la représentation de l'UNISDA, qui correspond au référentiel global de la politique du handicap sera créditée243. Toutefois, il faut noter que l'UNISDA tend aujourd'hui à intégrer la langue des signes dans ses revendications et que l'Académie nationale de médecine a réagi en 2008 à l'avis du comité d'éthique. Elle déclare que l'objectif du dépistage est « une prise en charge diagnostic précoce avec le respect du choix des parents dans l'éducation

240 Ibid.

241 Entretien avec la Fédération nationale des Sourds de France.

242 Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet (sous la direction de), Dictionnaire des politiques publiques, 2006. P373.

243 Ibid. P376.

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de leur enfant 244». Les représentants des associations de Sourds ne s'opposent plus au dépistage précoce. Mais ils condamnent fermement les propositions qui en découlent, à savoir l'implant cochléaire, et pas la langue des signes. Dans sa thèse sur Les Sourds et la représentation que les médecins ont de leur soin, Candice Audran, médecin généraliste, constate effectivement que « l'existence d'une problématique identitaire Sourde échappe en grande partie aux enquêtés 245». Cette déclaration est toujours d'actualité.

2/ Le déni de reconnaissance de la langue des signes.

Depuis le vote de la loi de 2005, des études ont été menées par la Haute autorité de santé, mais aussi par d'autres organismes comme le Comité technique national d'études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations (CTNERHI), qui concernent le dépistage précoce et l'implant cochléaire. Ces études montrent clairement que, malgré la reconnaissance de la langue des signes comme une langue à part entière en 2005, cette langue est manifestement niée. Dans un rapport d'avril 2008 sur les appareils électroniques correcteurs de surdité, la commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute Autorité de Santé avance que « l'intégrité de la fonction auditive est nécessaire au développement du langage. L'immersion dans le monde sonore permet au nourrisson de développer ses capacités phonologiques, lexicales et syntaxiques, et d'accéder à une (des) langue(s), vecteur privilégié de la connaissance et des échanges interhumains 246». Ces héritiers d'Aristote considèrent que la langue des signes n'est pas une langue parce que le langage présuppose la parole mais aussi que l'absence de parole conduit à l'ignorance et à l'isolement. Nous tenons ici la preuve manifeste de ce que les Sourds déclament depuis toujours : les politiques, les médecins ne nous connaissent pas. Le nombre d'associations, de centres socio-culturels Sourds, à lui-seul, vient balayer ces propos. L'administration

244 Communiqué de l'Académie nationale de médecine, François Legent, 2 juillet 2008.

245 Candice Audran, thèse pour le diplôme d'Etat de Docteur en médecine, Septembre 2007, P141.

246 Rapport d'évaluation de la Commission d'évaluation des produits et prestations (CEPP) de la Haute Autorité de Santé ( has-sante.fr), Les appareils électroniques correcteurs de surdité, avril 2008. P20.

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française n'est pas en reste. La Direction générale de l'action sociale (DGAS) a adressé une réserve d'interprétation au Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes, avant la ratification de la Convention internationale des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées, qui a été adoptée en décembre 2006. Cette réserve concerne directement la langue des signes, et les Sourds : « La présente convention semble faire un amalgame entre personnes sourdes et langues des signes. En effet des progrès technologiques significatifs en matière d'appareillage auditif, implants cochléaires, prothèses numériques, aide du langage parlé complété ou du Cueed-Speech... permettent aux personnes sourdes d'effectuer leur parcours d'intégration dans la société en valorisant d'autres aides à la communication que la langue des signes. Ainsi il convient de souligner qu'en tout état de cause, les langues des signes, si elles sont de nature à promouvoir l'identité linguistique, ne promeuvent que l'identité des personnes qui la pratiquent (sourdes ou non) et en aucun cas une supposée identité de la communauté des personnes atteintes de surdité 247». Là encore, la langue des signes n'est pas considérée comme une langue, elle ne serait qu'une « aide à la communication ». Quant à ses locuteurs, la DGAS tient à rappeler qu'ils ne forment pas une communauté car la langue n'aurait une fonction identitaire que pour la personne qui pratique cette langue. A se demander pourquoi, alors, la Constitution française contient un article mentionnant que la langue de la République est le français. Le Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes va répondre à cette réserve. Il indique notamment que, depuis le 11 février 2005, « la langue des signes est une langue à part entière, au même titre que la langue française 248».

247 voir cfhe.fr, annexe 5, P53.

248 Ibid. P56.

Quatre ans après le vote de la loi, la reconnaissance de la langue des signes par les pouvoirs publics n'est toujours pas réelle. En raison du retour du paradigme de l'inclusion, la politique publique menée à l'attention des personnes handicapées n'a produit aucun changement. La langue des signes, comme l'indiquent les travaux parlementaires, a même été qualifiée d'étrangère par certains. Le discours politique sur la scolarisation des enfants handicapés n'a pas changé non plus. En 2007, un homme politique affirmait qu'« il est scandaleux qu'un enfant ayant un handicap ne puisse pas être scolarisé dans une école entre guillemets normale (...). C'est important pour l'enfant ayant un handicap mais c'est encore plus important pour nos autres enfants qui n'ont pas de handicap et qui, au contact de cet enfant différent, apprendront que la différence c'est une richesse 249». Il est intéressant de constater qu'au XIXème siècle déjà, une circulaire du 20 août 1858 du Ministère de l'Intérieur énonçait que « grâce à ce contact incessant, ses condisciples se familiariseront avec ses moeurs, ses besoins, son langage : (...) ils continueront adultes et hommes ces rapports qui se sont établis entre eux au début de la vie, et protecteurs naturels ils lui faciliteront l'entrée des ateliers et l'apprentissage d'un état 250».

La grève de la faim menée par les membres d'OSS 2007, au nom du peuple Sourd, est une demande de reconnaissance, en réponse au déni de reconnaissance des pouvoirs publics. « Le déni de reconnaissance (...) apparaît comme une violence préjudiciable pour une vie car sa visibilité sociale (ou du moins l'un de ses traits) est rendue incertaine ou, pire, annulé 251». Les Sourds aspirent à vivre avec leur langue, leur histoire, leur culture. Et ce projet n'invite pas à l'enfermement, au repli identitaire : « Pourquoi nous refusez-vous le droit d'exister non pas avec notre handicap qui est en fait une vue de votre esprit, mais avec notre différence linguistique et culturelle porteuse de mille possibles ? », nous demande Patrick Bellissen252. Ce projet est multiculturaliste, ce que Laurent Bouvet

249 Débat entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy après le premier tour des élections présidentielles, 2 mai 2007, dailymotion.com.

250 Cité P62 du rapport de Dominique Gillot au 1er Ministre, 1998.

251 Guillaume Le Blanc, L'épreuve sociale de la reconnaissance, dans la revue Esprit, juillet 2008, P129.

252 www.oss2007.fr

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définit comme le souhait de « rompre avec la domination d'un groupe culturel sur d'autres pour laisser place au respect de l'ensemble des cultures et de leurs différences 253».

Mais assiste-t-on pour autant à un « génocide linguistique et culturel » comme l'indique le mouvement OSS 2007 ? Le linguiste Claude Hagège considère qu'il y a ethnocide lorsqu'il y a « l'élimination d'une culture et d'une langue, sans qu'il y ait massacre de ses porteurs 254». « On peut donc dire qu'une langue est éteinte quand elle n'a plus de locuteurs de naissance, c'est-à-dire d'utilisateurs qui l'apprennent depuis le début de leur vie dans le milieu familial et social 255». La politique de dépistage précoce et la pose des implants cochléaires pourraient-ils conduire à l'extinction de la langue des signes ? Un groupe d'experts de l'UNESCO sur les langues en danger a déterminé les critères de vitalité et de disparition des langues. Les principaux facteurs qui concourent à leur vitalité sont : « la transmission de la langue d'une génération à l'autre, le nombre absolu de locuteurs, le taux de locuteurs sur l'ensemble de la population, l'utilisation de la langue dans les différents domaines publics et privés, la réaction face aux nouveaux domaines et médias et les matériels d'apprentissage et d'enseignement des langues 256». La vitalité de la langue des signes française semble précaire aujourd'hui au regard des critères posés par l'UNESCO. D'autant plus précaire que l'UNESCO elle-même ne répertorie pas la langue des signes française parmi les 26 langues de France. En définitive, «la chose la plus importante que l'on puisse faire pour empêcher une langue de disparaître est de créer des conditions favorables pour que ses locuteurs la parlent et l'enseignent à leurs enfants. Cela nécessité souvent des politiques nationales qui reconnaissent et protègent les langues minoritaires, des systèmes éducatifs qui promeuvent l'enseignement en langue maternelle, ainsi qu'une collaboration créative entre les membres de la communauté et les linguistes afin d'élaborer un système d'écriture et d'introduire un enseignement formel de la langue. Dans la mesure où le facteur primordial est l'attitude de la communauté de locuteurs à l'égard de sa propre langue, il est essentiel de créer un environnement social et politique qui encourage le

253 Laurent Bouvet, Le communautarisme, mythes et réalités, 2007. P51.

254 Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Odile Jacob, Paris, 2000. P119.

255 Ibid P88.

256 UNESCO, Vitalité et disparition des langues, www.unesco.org.

plurilinguisme et le respect des langues minoritaires afin que l'utilisation de celles-ci soit un atout plutôt qu'un handicap 257».

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257 www.unesco.org

ANNEXE 1

Direction Générale des Affaires Sociales
Monsieur Daniel CORRE
Inspecteur
Samedi 14 mars 2009
Durée
: 1h50

Monsieur Corre, pourriez-vous présenter vos missions?

Je suis à la Cellule d'Inspection Pédagogique et Technique de la Direction Générale de l'Action Sociale (DGAS) au sein d'une équipe très réduite d'ailleurs de deux inspecteurs qui avons pour mission d'évaluer la qualité des interventions auprès des jeunes sourds dans les établissements médico-sociaux qui les accueillent.

D'accord. Cette cellule elle existe depuis combien de temps ?

Je ne sais pas exactement, mais elle est très ancienne cette cellule puisque, en tout cas, moi quand j'ai commencé professionnellement, elle existait déjà, mais elle a probablement existé sous des formes différentes. En tout cas, je peux dire au moins que dès les années 1970 il y avait ce corps d'inspection, mais c'est une bonne question car je ne me suis jamais posé la question de savoir quand ça a commencé la cellule d'inspection. Mais au moins dans les années 1970, c'était déjà le cas.

Et la prise en charge de la surdité et de l'éducation de l'enfant sourd par le Ministère de la Santé, c'est...

Alors là, il me semble que c'est l'histoire la plus ancienne, je veux dire ...cette figure de la surdité qu'est l'abbé de l'Epée par exemple, que les sourds vénèrent, c'est l'abbé de l'Epée, c'est 1760, par-là. L'abbé de l'Epée, c'est le premier qui..., bon on ne

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va pas redire son histoire, il rencontre deux jeunes filles et il observe une communication qu'elles mettent en place et il s'intéresse à cette communication particulière. Alors... c'est vrai que l'on peut se poser... l'abbé de l'Epée était un janséniste... donc un petit peu rebelle quand même et, il s'est peut-être dit que les sourds pouvaient accéder à la parole de Dieu autrement que par le souffle que l'on peut retrouver d'ailleurs sur les peintures. La parole de Dieu c'était un souffle et donc les sourds en étant privés ne pouvaient pas être... y avoir accès. De la même manière que les sourds ne pouvaient pas hériter, par exemple, parce que l'acte notarié devait être écrit, etc. il y avait beaucoup de choses comme ça...bon...

Et à votre avis, son regard sur les sourds justement il était lequel. Est-ce qu'il avait affaire à des enfants malades ou est-ce qu'il avait affaire à des enfants qui avaient un problème de communication, tout simplement ?

Je crois que, je ne pense pas qu'à cette époque l'abbé de l'Epée devait réfléchir en ces termes. Je pense, c'était un religieux, il faisait une démarche d'aide, voilà. Le milieu médical n'était pas organisé comme il a pu l'être cinquante, cent ans plus tard. Mais par contre, bon, en même temps que l'abbé de l'Epée, il y avait aussi un précepteur qui était Péreire et Péreire et l'abbé de l'Epée sont les deux grandes figures... Je trouvais toujours intéressant de lier l'abbé de l'Epée à une vision du sujet collectif sourd tandis que Pereire, en fait Pereire serait le digne représentant des SSEFIS, faisant des rééducations individuelles et lui-même très oraliste, etc.

Et pourquoi ce besoin de faire oraliser l'enfant sourd justement, d'éduquer par

l'oral ?

D'abord Pereire appartenait à la noblesse et justement on parlait de ces histoires d'héritage, il était donc important qu'il y ait cette oralisation, voilà. Je crois que l'abbé de l'Epée, lui, de son côté, il a jeté un regard positif sur un phénomène qui était

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singulier. Il observait que les sourds pouvaient se mettre en place un système de communication entre eux qui était différent. Il s'y intéressait plutôt.

Et est-ce que l'oralisation aurait une relation avec la politique d'unification linguistique en France ?

C'est avec la naissance de l'école de Jules Ferry qu'on a assisté au... comme ça, à l'idée par l'école de faire une république « une et indivisible » et tout le monde parle la même langue. Moi, si je regarde du côté de mes parents, je n'ai pas hérité de la langue maternelle, la langue bretonne parce qu'on ne me l'a jamais parlée. Et ma mère qui est âgée aujourd'hui, quand j'échange avec elle sur ce qu'elle a vécu à l'école, c'était un interdit de parler la langue. Elle, elle a vécu ça, donc, elle a vécu cette honte de sa propre langue donc elle ne nous l'a pas transmise. Et c'est vrai que la langue des signes en 1880 faisant l'objet d'un interdit était dans cette dynamique là, ça n'est pas un cas isolé. Mais avec autre chose en plus, c'est que les premiers agencements qu'il y a eus en terme de jeux de pouvoirs c'était le religieux et le politique. Et puis au XIXème siècle sont venus de nouveaux acteurs, notamment la science, la science et la médecine devenant très puissantes donc l'enfant sourd a été à la fois, enfin la langue des signes a été un peu prise en otage de cette problématique là, à la fois de religion...de médecine...

C'est donc à cette même période que le sourd a été catégorisé parmi les malades,

au XIXème siècle ?

Oui, et le vocabulaire utilisé, les débiles...bon, les asiles... On retrouve dans les travaux de Michel Foucault, tout l'univers de Surveiller et Punir, les établissements... parce que quand on regarde les établissements de sourds, l'architecture, elle n'est pas très différente de celle des prisons : c'est de longs couloirs, des classes ou des cellules de chaque côté... C'est un peu pareil, les grands internats. Mais bon les écoles comme beaucoup d'écoles primaires sont aussi comme ça. C'était des lieux quand même

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pour surveiller et punir comme disait Foucault. J'exagère peut-être un peu, mais bon il n'y a pas beaucoup de différence entre les bâtiments d'une école, d'une maison de retraite... Les bâtiments anciens étaient comme ça. Donc, je crois que la question de la surdité n'est pas un phénomène isolé des autres faits sociaux de l'histoire, mais malgré tout, tout ce XIXème siècle a été ce désir de maintenir les jeunes sourds dans un univers de rééducation, de... D'ailleurs, moi, quand j'ai commencé mon activité professionnelle, il n'y avait pas encore les services d'éducation précoce qu'on connaît aujourd'hui.

C'était en quelle année ?

C'était dans les années 70, en 1974, par-là. Oui, 74 j'ai commencé, on appelait ça des classes de démutisation. Alors le premier souvenir que j'ai, moi, de ma rencontre avec les sourds, c'était, ça a été une stupéfaction quoi. Moi j'étais à l'époque jeune, à l'université... et lorsque j'ai eu ce contact avec les jeunes sourds ça a été une révélation, quelque chose de... J'avais un petit emploi de surveillant d'internat pour arrondir mes fins de mois d'étudiant et du jour au lendemain je me suis retrouvé avec soixante-dix jeunes sourds dans un internat, avec qui je ne pouvais pas communiquer, ils signaient, c'était très impressionnant et j'avais vraiment l'impression d'être dans un autre monde. Et ça m'a intrigué suffisamment pour que plus tard je reste travailler avec eux finalement jusqu'à aujourd'hui. Mais, je veux dire, c'était un phénomène vraiment particulier, vraiment particulier.

Et aujourd'hui justement, votre regard sur la surdité : c'est quoi un sourd ? C'est quoi être sourd ?

Alors, être sourd d'abord c'est d'avoir probablement un rapport au monde qui est un peu différent de celui qui entend et justement parce qu'il n'entend pas, parce que la personne n'entend pas. On est dans une société qui est majoritairement entendante, où tous les médias, les systèmes de communication sont faits pour l'oreille. Et donc

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lorsque l'on n'entend pas bien, eh bien, ce rapport au monde est différent. Et je prends souvent l'exemple moi, avec l'expérience d'un enfant sourd, du repas de famille. Je vais vous prendre un exemple qui est l'humour. On est à table, on discute en famille, tout le monde est heureux, il y a quelqu'un qui dit une bêtise et tout le monde rit. L'enfant sourd qui est à table avec nous, il ne rit pas. Pourquoi il ne rit pas ? Parce qu'il n'a pas entendu... la blague. Et alors il demande pourquoi, pourquoi on rit. Quand on se met à expliquer la blague, c'est déjà fini. C'est trop tard. Parce qu'on ne peut pas expliquer une deuxième fois l'humour, c'est passé...

Et à l'inverse, il y a des blagues de sourds qui ne nous font pas rire, nous autres entendants.

Vous avez raison. Une année, j'allais accompagner des étudiants qui étaient à l'IUT à Nantes pour les aider dans leurs études et notamment pour signer les cours et tout ça... et, un jour, un professeur fait un cours sur ... sur Raymond Devos et voilà ce professeur qui rentre avec un magnétophone dans la salle, ... à ce cours, il y avait 5-6 étudiants sourds. Alors évidemment... Le professeur a utilisé son magnétophone et les sourds qui étaient là m'ont dit à un moment, ils m'ont interpellé, moi qui étais leur interprète, en me disant (Monsieur Corre signe) : nous on n'entend pas... le magnétophone ! Alors donc j'arrête le cours, enfin je demande à la personne, je lui dis ben moi avec les jeunes sourds qui sont là, ça marche pas, etc. Et alors le professeur donne les textes de Raymond Devos, donc c'est un humour, bien sûr l'absurde avec les mots, etc. Les sourds se mettent à lire au lieu donc d'entendre le magnétophone, pendant ce temps, pendant qu'ils lisaient, ils tournaient la tête de temps en temps parce qu'ils regardaient leurs collègues entendants qui riaient. Et eux ne riaient pas, bon, parce qu'ils n'entendaient pas. Ils n'avaient pas le même rapport au monde, comme je disais tout à l'heure. Le temps des entendants et le temps des sourds n'était pas le même. Donc, quand on n'est pas dans le même temps, il y a quelque chose qu'il faut quand même prendre en compte...

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Alors est-ce qu'on peut dire alors qu'il s'agit d'une minorité culturelle puisqu'ils ont des codes, ils ont une langue qui se distingue finalement de la culture dominante. Est-ce que les Sourds appartiennent à une minorité culturelle et linguistique ? Ou est-ce que l'on a affaire à une maladie puisque la surdité à la base c'est un problème physiologique ?

Une maladie certainement pas. ... Le positionnement de la médecine par rapport à ce qu'est la déficience auditive, à la déficience d'une oreille, c'est un... je veux dire c'est tout à fait légitime. Euh... et que la science effectivement puisse s'y intéresser et essayer de soigner nos difficultés, qui là, en l'occurrence, concernent l'oreille, mais ça peut concerner d'autres problèmes : pour marcher, pour se déplacer... bon là, c'est pour entendre. Bon c'est compliqué mais il y a une légitimité effectivement du médical et de la technologie médicale à s'intéresser à cette question. Mais de là à faire d'un problème d'oreille un problème de personne, il faut aller doucement là... Parce que... et être aussi précis sur les termes qu'on utilise. Par exemple, quand on dit, euh... on va voir, on va plus facilement entendre du médical par exemple « la personne déficiente auditive », « c'est un déficient auditif », nommer une personne à travers son manque, c'est, c'est pas acceptable. Et moi, je préfère les sourds qui viennent me dire moi je suis sourd, je préfère qu'on utilise finalement les termes du sens commun : sourd, malentendant tout ça, ça me...plutôt que d'utiliser, de réinjecter dans notre vocabulaire quotidien des savoirs savants qui deviennent alors complètement dénaturés. Vous comprenez ?

Oui. Et est-ce que ces savoirs savants ont eu un impact sur la lente reconnaissance de la langue des signes ?

La première reconnaissance officielle de la langue des signes dans cette histoire récente, c'est 1991, c'est ce qu'on appelle l'article 33 de ce que l'on a appelé la loi Fabius aussi. Et alors je ne me souviens plus exactement, mais il faudrait aller

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vérifier, cet article se trouve entre deux autres, ... dont l'un doit concerner les retraites de gens à Mayotte et l'autre je ne sais pas si ça n'est pas des nomenclatures de médicaments. Et puis c'est un article sur l'éducation. C'est quand même bizarre de trouver un tel article dans un code de la sécurité sociale, quand même, hein ! Un article qui dit désormais que dans l'éducation, les enfants sourds ont le choix entre une éducation orale ou une éducation bilingue. Cet article là, qui date de 1991, a été reproduit tel quel dans la nouvelle loi. Même si la loi de février nous dit peu de choses sur la place du médico-social dans cette affaire, c'est quand même une loi qui positionne fortement les choses en matière d'accessibilité, accessibilité aux lieux de droit commun dont l'école. C'est une bonne chose, c'est une bonne chose. Je veux dire, peut-être qu'il y a eu une époque très ancienne, très, très ancienne où le fait de ne pas être comme les autres on vous jetait des pierres, hein ? Etre aujourd'hui dans une époque où on dit : « oui bon, ton oreille ne fonctionne pas bien mais bon tu as le droit d'aller à l'école comme les autres... » C'est génial. C'est un fait social et humain qui est devant nous. Et quand on regarde l'histoire la plus récente quand même de la prise en considération par notre société des problèmes de handicap, c'est plutôt positif.

Et...

Normalement, pour comprendre, on n'a pas besoin de temps. La compréhension est immédiate, mais çà c'est une autre affaire. Mais effectivement, bon là, on a une histoire qui est lente mais qui évolue quand même favorablement. Maintenant, il y a des points de vue qui sont diachroniques, qui sont très rassurants. Et puis, il y a des points de vue synchroniques à avoir, ici et maintenant pour notre histoire de vie à nous, personnelle. Comment on fait pour être aussi lent, pour ne pas, par exemple, mutualiser les compétences qui existent dans la prise en charge des jeunes sourds. La prise en charge des jeunes sourds elle est conduite depuis très très longtemps, on parlait de l'abbé de l'Epée tout à l'heure, mais ça a donné naissance à des Instituts de

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jeunes sourds partout en France, regardez, il y en a un à Nantes ici, il y a un grand Institut. Il y en a un à Auray, il y en a à St Brieuc, il y en a à Angers, il y en a partout. Vous n'avez pas d'autres handicaps qui ont la chance de bénéficier de toutes ces infrastructures et de cette logistique là. Bon, maintenant, le fait d'être dans un système de... de..., un peu comme des chiens de faïence qui se regardent : l'éducation d'un côté, le médico-social de l'autre et les difficultés à créer les passerelles, à ne pas mutualiser les compétences, c'est vrai que c'est... qu'on est là devant une lenteur qui est impressionnante.

Juste pour conclure sur cette lenteur et sur la loi de 2005, est-ce que vous n'avez pas le sentiment, comme pour la loi dite Fabius dont cet article 33 effectivement était un peu perdu parmi des articles qui n'avaient aucun rapport avec la surdité ou avec la langue, la loi de 2005 elle-même contient un nombre considérable d'articles. Est-ce que ça peut être un frein aussi à la mise en oeuvre de la loi ? C'était un chantier considérable.

C'est un chantier considérable. Tout le travail interministériel qui s'est fait montre que c'est complexe... c'est complexe. Et puis il y a des échéances qui ont été manquées, parce que tout ne peut pas se faire d'un seul coup. Regardez le sous-titrage, il y a obligation pour les chaînes d'y arriver à terme, les chaînes publiques, en tout cas, et là-dessus en France on était en retard par rapport aux Anglais, aux pays nordiques etc. Donc l'accessibilité aux sous-titrages, les questions aussi des, comment on appelle ça... de l'accessibilité aux alertes en cas de..., etc., tout passant par la radio, les sourds pouvaient y être exclus. Donc, il y a des centres « d'audio-touchement » qui vont être mis en place, il y a énormément de choses. C'est extraordinaire, c'est extrêmement important ces différentes rencontres entre les différents ministères. Ca touche l'équipement, le tourisme, la justice, c'est... c'est très impressionnant. Moi, c'est plutôt la question... je pense que là le législateur il est allé loin. La question, pour moi, c'est mon domaine, hein, je peine à voir que les choses ne

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vont pas assez vite dans le champ de l'éducation. Parce que le champ de l'éducation s'intéresse d'abord aux enfants, donc il y a tout un devenir chez ces enfants. Alors que la loi va donner des réponses pour déjà, les sous-titrages, ça va être accessible pour tout le monde. Mais le temps de l'éducation, c'est du temps, donc là-dessus j'ai du mal à comprendre pourquoi ça ne va pas plus vite.

Et...

Pourtant je suis tout le temps sur ce sujet là parce que je pense qu'il y a encore des représentations qui doivent fonctionner en matière de handicap, parce que tout à l'heure vous m'avez demandé si c'est une maladie, j'ai dit non. Est-ce que c'est un handicap ? Oui, oui parce que... et la loi justement elle a revu ces notions de handicap puisqu'elle parle de situation de handicap plus que de personne handicapée. C'est-à-dire qu'elle a mis l'accent aussi sur l'environnement qui est en fonction des réponses qu'apporte l'environnement, la difficulté de la personne, elle est plus ou moins grande, hein. Donc nécessité de changer cet environnement avec des aides matérielles, des aides humaines et ça ne concerne pas que le handicap de la surdité ça concerne d'autres handicaps aussi. Donc, il y a effectivement des situations de handicap que le jeune sourd pourra rencontrer et rencontrera probablement même toute sa vie. Bon, ça veut pas dire que ça doit donner un regard de compassion et de pitié sur la personne etc., non ! Parce que justement quand on s'habitue à regarder cette personne qui a un handicap on est aussi surpris du génie des personnes à s'adapter à un environnement difficile, hein. Donc il y a les deux aspects : il y a l'environnement qui peut être pénalisant et il y a les ressources de la personne qui sont plus ou moins disponibles en fonction de son histoire, de son affectivité, de son vécu... de la crainte qu'elle peut avoir d'évoluer dans un monde qui ne lui est pas toujours favorable ou alors du défi de mettre, de conquérir ce monde et de dire, moi je suis sourd, j'existe aussi, etc., de se battre pour ça. Donc il y a donc sur l'aspect du handicap, il y a l'environnement qui favorise ou empêche la

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réalisation de la personne et le potentiel qu'a la personne elle-même, qui s'exprime ou pas, en fonction de pas mal de critères.

Et en termes d'éducation, il y a quand même besoin d'une véritable reconnaissance de la langue si l'on souhaite que justement ce génie puisse ... « se faire

entendre »... j'me permets...

Ouais, ouais. Bon alors vous savez que dans l'éducation aujourd'hui, les parents sont supposés faire un choix entre l'oralisme, l'école de l'oralisme, c'est l'école ordinaire. L'école ordinaire c'est un instituteur qui parle, c'est des enfants qui oralisent. Et puis voilà, il y a quelques enfants sourds qui sont par-là, c'est une école de l'oralité. Mais, la langue des signes, c'est aussi une école de l'oralité, dans un environnement, je dirais, socioculturel où les gens pratiquent cette langue. Donc, que cette langue ait sa place à l'école, c'est évident.

Il y a eu du changement, est-ce que cela a créé du changement, ne serait-ce qu'au sein de votre service ? Cette loi, est-ce qu'elle a apporté quelque chose de nouveau pour vous, en tant que spécialiste de l'éducation des sourds ? Et comment elle a été reçue ?

C'est-à-dire que moi, par rapport à moi, j'avais déjà une expérience avant d'être au ministère, de la fréquentation des personnes sourdes, d'être dans le champ de l'éducation des personnes sourdes depuis très longtemps. Donc, ça a pas, pour moi... non ! Par contre, effectivement, il y a de nouvelles, de nouvelles... comment dire ça... de nouvelles actions de formation, par exemple, qui ont été mises en place. Moi, j'ai ma collègue qui était dans le bureau voisin, toute la semaine dernière, elle était en formation de langue des signes. L'appel à des interprètes aussi est beaucoup plus fréquent qu'avant, des budgets existent derrière.

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Et le fait que la loi ne cite pas l'éducation spécialisée et que l'on axe finalement l'éducation de l'enfant sourd sur le tableau ordinaire de l'éducation nationale, cela a changé des choses ?

Moi j'ai tendance à penser que les mots ne sont pas les faits. Les mots ils changent, le balancier revient toujours si vous voulez. Un jour on va dire que c'est spécialisé, le lendemain on va dire que ça ne l'est pas. Sachez que tous les progrès en matière d'éducation sont venus de l'éducation spéciale. C'est pas les directives officielles qui ont fait les progrès de l'éducation. C'est des pédagogues qui se sont mis parfois en situation mais alors difficile face à l'autorité académique et justement ils ont fait quelques entorses à l'Académie pour qu'il y ait de la création. Pour qu'il y ait de la création, il faut des espaces de liberté. Il y a des pédagogues qui l'ont pris, des gens comme Célestin Freinet, Montessori, c'est des gens qui étaient...pas dans le long fleuve tranquille de l'éducation et qui ont créé des courants pédagogiques, sur les bords, là, qui ont remué parfois l'eau avec de la boue. Et on n'y voyait pas trop clair et puis ces courants là ont apporté des nouveautés.

L'éducation nationale finalement, elle, n'a pas cette histoire, cette expérience que vous avez, vous, dans l'éducation spécialisée.

Mais moi, si j'avais le... le pouvoir de... la baguette magique, je réinjecterais rapidement les savoir-faire du médico-social dans le champ de l'éducation. Je chercherais pas à... je me dis c'est pas l'an I, il ne faut pas tout réapprendre, il faut mutualiser ce qui existe. Et le fait est que les professeurs, par exemple, des instituts médico-sociaux, les professeurs CAPEJS par exemple, ce sont des enseignants qui sont un peu dans l'héritage de l'abbé de L'Epée et de Pereire. L'abbé de l'Epée, donc, plutôt le professeur, au sens classique, qui enseigne et qui avait repéré cette réalité de langue signée avec une fonction sociale parce que, deux, trois le parlaient ensemble donc vraiment il avait repéré qu'il y avait là une langue, pas une espèce de

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gesticulation mais une langue, bon ! Et puis Pereire qui fait cette éducation de la parole... parce que, il a le projet que les enfants oralisent. Et puis finalement le professeur CAPEJS, c'est quelqu'un qui est formé dans cette double compétence. Il est à la fois enseignant, c'est-à-dire qu'il a le projet que les enfants apprennent les savoirs disciplinaires de l'école : l'histoire, la géographie, les mathématiques... Mais en même temps, pour que les enfants y parviennent, ce pédagogue-là, des disciplines, il doit être un super spécialiste au point de vue linguistique et donc ces enseignants sont formés dès la première année par exemple à des unités de valeurs concernant la linguistique, l'acoustique physique, la phonétique, etc.

Donc la langue des signes au sein de l'éducation spécialisée était reconnue avant même que le législateur ne vienne reconnaître la langue ?

Oui, c'est-à-dire que les, les... Mais je reprends ça, mais si je termine donc je réinjecterais cette approche globale de l'enfant avec des pédagogues qui sachent communiquer avec les enfants, qui soient des spécialistes de la langue et qui à cette condition pourront les faire entrer dans les apprentissages. Parce que pour l'instant, le système ordinaire dispose d'enseignants qui sont obligés de sous traiter par du soin, quand je dis soin entre guillemets, la problématique linguistique. Donc ce n'est qu'une question d'évolution conceptuelle, pour moi. Pour moi, la question linguistique chez les jeunes sourds n'est pas une question de soin, c'est une question d'éducation. Mais comme le milieu ordinaire n'a pas fait cette révolution encore mais considère toujours que la question linguistique du jeune sourd serait une question de soin, on accepte que les enseignants puissent être là sans disposer de ces compétences linguistiques. C'est aberrant. Donc c'est pour ça que je pense que la réinjection dans le milieu ordinaire d'une approche beaucoup plus globale du métier d'enseignant de jeunes sourds et notamment du métier CAPEJS, je pense que le métier de CAPEJS qui paradoxalement est un métier de la santé est largement en avance sur le plan sociétal que le métier aujourd'hui de prof spécialisé parce que

l'école fait des professeurs de matière, elle fait des professeurs de maths, des professeurs de... il faut être professeur de maths et là chez les CAPEJS on s'occupe d'abord de dire « ah c'est un enfant sourd », « ah ben oui, il a besoin de ceci, il a besoin de cela ». Ah ben non ! On va quand même essayer de s'ajuster à lui et puis après, ensemble, on va faire le voyage de l'éducation, des apprentissages, hein.

Mais si vous vous n'avez pas la baguette magique justement pour faire fusionner ces deux systèmes, qui peut le faire ?

Bon, moi je pense quand même que... Vous savez en 1978, il y a eu un texte réglementaire qui a intégré à l'éducation nationale tous les éducateurs scolaires qui travaillaient dans le médical sauf les professeurs de déficience sensorielle. Alors les raisons pour lesquelles ça ne s'est pas fait, bon... tiennent pour une part au fait je pense que ce système était déjà bien organisé et essentiellement dans le privé. Que, à l'époque les établissements de jeunes sourds étaient dirigés plutôt par des congrégations religieuses, qu'il y avait là probablement des systèmes qui ne convergeaient pas tout à fait, bon. Mais ce n'est pas la seule explication à mon avis. Mais en tout cas, on peut penser qu'il y avait, parce que derrière, c'est... c'est pour ça que je parlais tout à l'heure de tous ces établissements qui existent, il y a une richesse en France au niveau de la prise en charge des enfants sourds qui... c'est extraordinaire, extraordinaire. Et aujourd'hui qu'est-ce qu'on voit, on voit des instituts médico-sociaux qui sont vides. Qu'on continue à entretenir quand même, hein, avec l'argent de nos impôts. Mais...

Pourquoi sont-ils vides alors ?

Ils sont vides parce que les enfants fréquentent beaucoup plus les milieux ordinaires que par le passé.

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Donc il n'y a pas de demande d'éducation spécialisée avec la langue des signes ?

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Attendez, il me semble... Parlons de la langue des signes, c'est une langue, c'est une langue donc elle a une fonction sociale et pour que cette langue soit parlée il faut être au moins deux mais il faut qu'il y ait du collectif. Là, le fait d'un enfant sourd d'être en intégration individuelle ne lui donne pas ... ne lui permet pas de fréquenter un contexte socioculturel où la langue des signes s'exerce. Donc la langue des signes,... en tous cas l'idée de dire que la langue des signes est importante pour les enfants sourds pour apprendre, pour vivre, bon c'est utile, etc., - c'est une évidence, suppose un champ, suppose un contexte d'éducation qui donne à la langue des signes cette fonction sociale, donc suppose du collectif.

Oui. Alors quel avenir pour la langue des signes si la priorité est donnée à l'intégration individuelle ?

Quand je disais tout à l'heure que les bâtiments sont vides, ça veut dire qu'ils sont vides parce que les territoires ne sont plus les mêmes. Mais les équipes de ces établissements, c'est-à-dire qu'un projet d'établissement dans un établissement médico-social aujourd'hui, un projet d'établissement il est moins structuré, il est plus systémique. Il s'applique à l'extérieur des locaux mêmes de la structure, bon. Et du coup, le risque aussi c'est que... les enseignants soient beaucoup plus isolés, qu'ils partagent moins une culture d'entreprise que par le passé, par exemple. Ca c'est un peu, c'est un peu difficile. Euh, mais j'ai perdu le sens de votre question...

Alors la question c'était quel avenir pour la langue des signes si on fait de l'éducation ordinaire mais vous venez de me répondre que les enseignants spécialisés sont toujours là mais intégrés à l'école.

Ils sont toujours là avec leurs compétences, c'est-à-dire que beaucoup d'enseignants connaissent la langue des signes ou le français signé. En général, il y a beaucoup plus de gens qui pratiquent le français signé que de gens, chez les professionnels, qui connaissent véritablement la langue des signes. Il n'y en a pas beaucoup en fait.

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Donc finalement la langue des signes elle a déjà pénétré l'éducation nationale mais par un autre vecteur, par celui, par votre ministère.

Euh oui, c'est vrai, c'est vrai,... peut-être qu'il y avait dans les CLIS, les UPI c'est encore assez récent, mais dans les CLIS option A où on accueille des jeunes sourds... Il y avait peut-être déjà des pratiques de langue des signes qui existaient mais je ne connais pas bien ce dispositif. Enfin... non, je crois... vous savez ... les établissements de jeunes sourds étaient, en fait, ont toujours été les lieux d'ancrage de la communauté des sourds. Un établissement de jeune sourd dans les années 1970, c'était, par exemple à La Persagotière (Institut Public de Nantes), c'était si vous vous promenez dans les bâtiments, vous allez voir que c'est très grand et il y avait des classes, il y avait vingt, trente classes dans cet établissement depuis les tout-petits jusqu'à l'enseignement professionnel. Il y avait des ateliers.

Qu'est-ce qu'ils vont devenir ces points d'ancrage ?

Ce que je veux dire, c'est que les enfants entraient touts petits dans l'établissement et en sortaient presque adultes avec le métier qu'on avait choisi pour eux. C'est-à-dire qu'ils devenaient peintres ou menuisiers ou pardon ajusteurs ou tourneurs. Donc, l'établissement était un peu comme un village, il y avait des associations qui occupaient les locaux, des personnes âgées aussi. Je vous disais ça l'autre jour (référence à notre entretien téléphonique, la veille), les enfants pouvaient voir un grand-père sourd. Comment un enfant qui est tout seul en SSEFIS, le soir il va rentrer dans sa famille, qu'est-ce qu'il va voir du phénomène sourd ? Moi je pense effectivement qu'il y a un phénomène socioculturel autour de la surdité évidemment, bon, après quand on dit la culture sourde, bon, je suis... ça dépend ce que l'on entend par culture, hein. Il y a des manifestations culturelles évidentes à travers le phénomène surdité, par la langue des signes certainement, par l'oralisme, non, il n'y avait rien, hein. Mais par la surdité, oui, il y a un phénomène culturel. Dire ensuite que c'est un

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phénomène social c'est une autre affaire et il y a aujourd'hui des gens qui militent pour une communauté, au sens communautariste du terme, une communauté sociale sourde, bon je pense que ça c'est une autre histoire, hein ! Mais il y a effectivement un phénomène social et culturel sourd qui mériterait que l'école prenne en compte cette dimension. Ca n'est pas une fiction, c'est évident que les enfants sourds, les enfants sourds profonds, les enfants sourds sévères le cas échéant ont besoin de se rencontrer, ont besoin d'être ensemble, donc la meilleure chose qui puisse leur arriver c'est d'aller à l'école comme tout le monde mais d'avoir le droit d'aller dans une classe où on ne communique pas tout à fait comme les autres, et que la maîtresse quand elle écrit au tableau elle ne continue pas à parler, elle se tourne, pour permettre la lecture sur les lèvres. Il y a des postures, il y a des choses chez... des manières d'évoluer dans l'espace, quand on enseigne au jeune sourd qui n'est pas commune à toutes les classes.

Et votre idéal pour l'éducation des enfants sourds, ce serait quoi ? Au sein de l'éducation nationale avec le savoir de l'éducation spécialisée ?

Je pense qu'il faudrait reconnaître des espaces juridiques qui existent dans le médico-social en termes d'accueil des enfants. Il y a..., disons, des établissements médico-sociaux fonctionnent en sections et services. Aujourd'hui, on a tendance à être dans le tout service. C'est sûr que l'on réussit sa vie, seul, vous n'allez pas réussir ma vie, moi je ne vais pas réussir la vôtre, c'est évident, mais une fois qu'on a dit ça, on vit quand même ensemble, hein. Et donc, je pense que les sections des établissements, dont beaucoup pensent aujourd'hui qu'il faudrait que ça existe plus, c'est une vieille affaire qui est terminée, c'est une grave erreur. C'est une grave erreur parce que ce sont les lieux de régulation justement de la... pour les jeunes sourds, de l'articulation indispensable qu'il y a entre le tout ordinaire et le... ce qui est un peu plus singulier quand même, hein ? La langue des signes c'est pas ordinaire. Alors on peut dire, oui, une reconnaissance de la langue des signes, oui mais c'est la langue des signes, c'est

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singulier. Si vous voulez, je pense qu'il faudrait réinjecter, je pense que l'idée d'injecter des sections de ces établissements (médico-sociaux) dans le milieu ordinaire, par exemple en articulation avec les UPI ou avec les CLIS, c'est une bonne chose pour les enfants sourds parce qu'ils ont besoin de... d'être ensemble, de vivre ensemble, parce qu'ils se reconnaissent, parce qu'ils pratiquent la même langue, etc. Ils ont besoin... ce qui n'empêcherait pas, à partir de ces pôles, de pouvoir à l'intérieur d'un projet d'école ou d'un projet de collège ou de lycée d'avoir des jeunes qui pourraient pour telle ou telle discipline y aller seuls. Pourquoi pas ? Ensuite, ensuite, effectivement, je trouve que ces... ces sections là, qui existeraient dans leur identité collective... d'accueil collectif sourd ont toute leur légitimité pour être les lieux de régulation, entre le tout spécialisé ou le tout ordinaire, parce que les réponses ne sont jamais dans les extrêmes, c'est pas vrai, hein ? Il faut construire quelque chose... qui serait à la fois de garantir que ces enfants ont des enseignants qui les comprennent, qui peuvent communiquer avec eux. On n'est pas obligé de sous-traiter du soin, ce qui coûte d'ailleurs beaucoup plus cher à la sécu que..., on pourrait faire autrement, hein ? Dire que tous les enfants sourds doivent être scolarisés suppose d'aller plus loin que le mot scolarité mais d'aller dans la pédagogie, dans le rapport au savoir, à l'apprentissage, comment on apprend quand on est sourd ? Est-ce que un enfant sourd, je prends un exemple, mais est-ce qu'un enfant sourd peut apprendre la conjugaison comme un enfant entendant ? Ben non, parce que la conjugaison on l'apprend par l'oreille pour beaucoup... donc avec les enfants sourds il y a un temps différent pour cette approche. Euh, on va peut-être passer plus par le lien à l'écrit, on va le reformuler peut-être plus oralement avec le code (il s'agit d'une référence au Langage Parlé Complété-LPC, code qui permet de faciliter la lecture labiale) par exemple de façon plus précise etc., pour qu'il ne, parce qu'il ne peut pas avoir un accès immédiat. Donc il y a... je pense que les... il y a un débat qui existe depuis longtemps sur le fait que les enfants sourds devraient faire leur CP en deux ans, on entend beaucoup ça. Et moi je remarque beaucoup dans les instituts, alors parfois je rencontre des gens qui disent « ben non, ils doivent faire un an comme les autres », mais moi je dis

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« pourquoi pas en deux ans, on a toute une vie pour être heureux, hein ? ». Et je pense, oui ! que l'apprentissage déterminant du CP sur la maîtrise de l'écrit, enfin de l'entrée dans l'écrit, c'est tellement déterminant que pourquoi pas ? D'ailleurs, quand on a organisé la scolarité en cycles, c'était dans cet esprit là. C'était... les évaluations qui sont faites au milieu des cycles sont des évaluations de fin de cycle. D'ailleurs pendant trois ans, on a le temps de venir. Donc dire les enfants sourds ça doit être comme ci, ça doit être comme ça, je pense qu'ils ont leur rythme. La surdité c'est là où il y a handicap, c'est effectivement de ne pas avoir accès aux infos à la même vitesse, à la même rapidité que celui qui entend. Bon, donc ça veut dire qu'ils ont donc besoin d'un peu plus de temps, ben il faut leur donner du temps et puis c'est tout. Mais si on leur donne ce temps, ils peuvent arriver à des niveaux d'étude et des niveaux de réussite comme les autres. Comme les autres ! La surdité, c'est pas, c'est pas...un empêchement d'apprendre, pas du tout. Mais ça suppose que les enfants sourds aient en face d'eux des gens compétents, des gens qui savent communiquer avec eux, qui savent, qui comprennent comment les enfants s'organisent dans leur rapport au monde justement dont je parlais tout à l'heure, qui n'est pas tout à fait le même.

Et...

Et justement ces pôles, ces structures qui devraient exister, alors il faudrait faire des études un peu géographiques, quoi... parce que si on prend le département de la Loire-Atlantique, Nantes étant dans le tiers-sud du département, ça n'est pas évident pour les gens qui habitent à St Mars-du-Désert ou à Chateaubriand de venir. L'enfant peut avoir des temps de transport absolument inouïs mais par contre c'est d'aller vers les lieux et s'organiser alors dans un contrat avec une école, avec un collège, un lycée, ces pôles un peu plus spécialisés, des enfants sourds peuvent être accueillis sans préjudice du fait qu'ils pourraient être suivis individuellement pour telle ou telle matière, telle ou telle discipline.

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Donc finalement, vous pensez qu'il est préférable que l'enfant soit intégré à

l'Education Nationale.

Moi, comme on dit, enfin, dans mes rêves, dans mes espoirs, c'est effectivement que l'enfant sourd soit un citoyen de l'école à part entière. Pour moi, la question de la surdité, bien sûr, bon il y a une question de diagnostic, il y a une question d'appareillage, il y a une question du suivi régulier du handicap mais bon, mon expérience moi de parent, c'est que si mon enfant, parce qu'il a eu un problème de santé, bah, on allait voir notre généraliste. Quand il a eu un problème d'oreille on avait notre ORL aussi et on avait notre audioprothésiste. Donc, on n'a pas besoin d'institution qui médicalise le handicap, on va voir notre médecin, notre ORL et puis l'affaire est... puis la sécu finance ça comme tout le monde, et puis voilà. Donc, effectivement... dans mes rêves, je pense que la situation des enfants sourds doit être une situation d'enfant qui, qui va à l'école et puis... Mais je suis prudent parce que je dis qu'il faudrait que l'on évolue sur le plan conceptuel. Qu'on ne parle plus du même mot pour dire la même chose, parce que si on raisonne en termes de soins ou qu'on raisonne en termes d'éducation, on ne parle pas de la même chose.

Sur la question du coût, le coût journalier en section c'est je crois un peu plus de 160€ par jour pour la prise en charge des enfants sourds.

Moi, il me semble déjà que si les autorités en termes de, de prise en charge entre guillemets, qui est un mot pas très joli hein, faisaient une différence très claire entre ce qui relève de l'hébergement, déjà, internat ou pas, et ce qui relève de, de... je veux dire de l'activité de nuit ou de jour en termes d'accueil, on met un terme, on peut imaginer que ça représente des coûts de... de logement, etc. Et puis, il y a l'activité au quotidien qui, elle, est d'ailleurs, le rapport entre section et semi-internat est immédiat. Mais moi je vois pas le rapport de, c'est-à-dire que, si vous voulez, les sections pour moi ce sont des sections d'éducation et d'enseignement spécialisés,

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donc si je prends les termes qui définissent ces sections, l'enjeu il est enseignement et éducation spécialisée. C'est pas internat. Or, on mélange les situations, on oppose en tous cas les situations de SSEFIS aux situations de SEES en disant les SEES ça coûte plus cher mais en fait, ça coûte aussi cher que le SSEFIS puisqu'on continue à faire valoir du soin parallèlement au système éducatif qui, lui, ne peut pas apporter toutes les réponses. Et en plus, comme ce sont des réponses individualisées, les coûts de transport que ça représente de personnel, par exemple, c'est inouï. Donc ça coûte beaucoup plus cher à la sécu que, enfin bon euh...

Le ministère de la Santé a lancé une étude sur le dépistage précoce de la surdité, et sur les implants cochléaires. Est-ce que ça ne concerne que la Direction de la Santé ou est-ce que vous y participez ?

Oui, enfin... Bon, par exemple la DGAS (Direction Générale des Affaires Sociales) a une commande auprès du CTNERHI (Comité Technique National d'Etudes et de Recherches sur les Handicaps et les Inadaptations) sur le suivi longitudinal des enfants implantés. Bon... Quand j'étais jeune professeur, à Nantes ici dans les années 1970, le discours médical c'était un discours oraliste. On disait aux parents... « surtout... faites attention à la langue des signes parce que si il fait de la langue des signes votre enfant ne parlera pas. » Or, c'est pas parce qu'on fait de la langue des signes qu'on parle pas. Bon... Donc, il y avait un discours qui était assez cohérent, finalement, je trouve. C'était logique qu'un médecin dont le métier c'est de réparer l'oreille, de... de réhabiliter l'audition conseille un système éducatif oraliste, bon ! Et c'est encore plus vrai aujourd'hui, je reconnaîtrais encore plus le discours du médecin là-dessus, parce que la technologie est encore meilleure.

Et le médecin est dans son rôle.

Mais le problème, c'est que les médecins aujourd'hui ne raisonnent plus comme ça. Ils ont un pari sur l'implant en tant qu'appareil et ils sont persuadés que l'implant, et

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puis... après ça marche. Donc, le conseil donné aux familles aujourd'hui est dans un consensus mou. C'est-à-dire que le débat, les débats intellectuels qu'on a pu connaître sur les partisans du geste, de l'oral, plutôt l'oral dans le milieu médical, le geste dans le milieu éducatif plutôt, ... dans le sanitaire plutôt l'oralisme et puis, dans la vision plutôt médico-sociale, les gestes... Aujourd'hui on est dans un consensus mou, aujourd'hui là-dessus. C'est ça... Ca, je trouve qu'on est dans un peu tout quoi ! On est dans un peu tout. Et donc... préconisations, moi je pense que les préconisations en termes de port d'implant et de laisser, après, dire « Oh ! bah ! oui, vous pouvez faire le choix de la langue des signes ou vous pouvez faire... », « c'est votre choix après tout ». On dit aux parents « c'est votre choix », c'est un peu comme à la télé, « c'est mon choix », oui, mais sauf que un choix, c'est partir dans une direction et pas dans l'autre. Donc ce choix, il est impossible pour les parents, je pense, c'est, c'est une mauvaise approche. On devrait être plutôt dans une approche qui serait de dire « bon voilà écoutez, avec un enfant sourd, il y a ça comme outillage, il y a ça, ça, ça. Et à mon avis, intéressez-vous à tout ça, et puis essayez de voir comment tout ça peut se mettre en place parce que l'enfant, lui, il va prendre tout, il va tout prendre ». Un enfant c'est tout neuf, un enfant c'est... Bon, et c'est nous les parents qui, les parents, les éducateurs, qui mettons des barrières en disant « ça doit être comme ci, ça doit être comme ça et pas ça et pas ça » parce que c'est des... des débats idéologiques qui n'ont rien à voir avec la réalité concrète des besoins de l'enfant. Donc, je veux dire, moi ça me paraît logique de dire « Bon voilà, pari de l'audition, de la réhabilitation, donc projet oraliste ». Bon, parce qu'il y a des échecs de l'implant qui tiennent aussi, à mon avis, hein, qui peuvent tenir à ... l'implant il marche pas bien, la greffe n'a pas pris,... je sais pas. C'est pas, c'est pas, c'est moins vrai qu'autrefois. Mais, il peut y avoir des sujets qui sont moins réceptifs, bon. Il peut y avoir des problèmes techniques. Et puis après, l'implant... c'est aussi l'enfant avec son implant, donc, une réalité sociolinguistique dans laquelle l'enfant évolue, bon ! Et puis les efforts qu'on demande à un enfant pour entendre, ils sont numériques. Avec l'implant, c'est tout un travail d'éducation, qui nécessite beaucoup d'efforts,

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beaucoup de travail, beaucoup d'attention, c'est pas simple, ça va pas de soi, c'est pas évident. C'est pas vrai, un implant pof ! ça marche, non ! Il y a un suivi post-implant, qui, qui est... Il y a des réglages, on va souvent au médecin, on va souvent à l'hôpital, on va... bon. Il y a beaucoup de suivi et puis l'enfant, lui, il peut très bien... Il va rencontrer des copains sourds, naturellement avec des copains sourds on va se mettre à signer et puis il va faire..., émotionnellement c'est chouette, et puis il va faire ce choix là. Et peut-être que le choix de la concentration...sur l'implant, et tout, va finalement aller en sens contraire du pari de réhabilitation de l'audition. Je fais une simple hypothèse.

Oui bien sûr.

Et à la mise en oeuvre du bilinguisme à l'école, vous y participez ?

Je vais souvent à des réunions avec Pierre-François Gachet... On parle souvent du bilinguisme en éducation, on fait du bilinguisme, on dit, aussi, on fait du SSEFISME. Le bilinguisme, c'est un état, c'est le résultat d'une action. Quelqu'un qui est bilingue c'est quelqu'un qui peut parler dans les deux langues, qui peut s'exprimer dans les deux langues. Mais pour arriver à cette maîtrise des deux langues, on suppose une action éducative pour y parvenir, une situation de scolarité, de pédagogie... d'être en classe. Bon ! La classe, pour moi, c'est un endroit un peu différent du centre aéré quand même, c'est un peu différent des lieux d'expression de la société, c'est un peu comme un laboratoire dans lequel on essaie d'appréhender la réalité, de la reconstruire en miniature, enfin bon, on apprend des savoirs, des savoir-faire, dans différentes disciplines, donc c'est un milieu, cela ne va pas de soi, il faut faire des efforts. Apprendre ça passe par rencontrer des obstacles, les surmonter, en rencontrer d'autres, etc. Donc le fait, la logique d'apprendre, la logique d'être à l'école passe par une logique qui va de « difficile à facile » pour moi. L'idée de dire, c'est facile tout va bien, donc, avec la langue des signes y'a beaucoup cette idée-là, ça va être facile, c'est plus facile... Sauf que c'est le contraire de la démarche de l'apprentissage.

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L'apprentissage... c'est pour ça que, pour moi, il me semble qu'en tout cas, dans l'espace de la classe, moi, à travers mes pérégrinations comme inspecteur, moi qui ne connaissais pas bien la question du LPC, quand je vois aujourd'hui ce que produit le LPC, je suis très envieux des gens qui ont cette maîtrise, et je constate que les situations où... je me rappelle une inspection, un jour, dans un établissement où le directeur me propose de lire son projet d'établissement, et dans le projet d'établissement, il était fait référence à tout, pour bien se vendre un projet d'établissement, c'est fait pour se vendre, aux parents, on est les meilleurs, venez chez nous, etc. Donc on faisait la verbo-tonale, le LPC, on faisait tout. Sauf que, moi, mon métier c'est d'aller voir les gens concrètement et puis, je me rends compte que c'est bien joli de l'écrire mais dans la réalité tout le monde ne le fait pas, et je dis au directeur : « Ecoutez, moi je viens de voir un professeur, là, je lui ai posé comme question, lors de notre entretien, après l'avoir observé faire la classe, je lui ai demandé pourquoi il ne pratiquait pas le LPC, mais pas du tout, alors que c'est écrit dans le projet d'établissement. Alors ce professeur m'a dit qu'il était, bah, il était quand même à deux ans de la retraite, c'était un peu tard pour lui, etc. J'ai dit bon, bon, bon, bon, bon ! D'accord, d'accord ! Puis j'en ai vu un deuxième professeur, lui, je l'ai vu coder pendant, j'sais pas, cinq six minutes, à certains moments... Je lui ai dit, « Tiens, c'est intéressant, je vous ai vu coder un petit peu, pourquoi vous avez utilisé le code, pourquoi pas plus, pourquoi, un peu, comme ça... » Elle me dit « Parce que moi je code, comme ça, pour coder un mot nouveau. » Ouais, j'ai dit c'est bien, mais, bon... c'était un peu plus que le premier. Et puis, je vois un troisième professeur qui lui codait beaucoup. Je me dis, tiens, voilà trois professeurs qui sont dans le même établissement, qui ont le même projet d'établissement, mais les trois n'utilisent pas l'outil du code de la même façon. Ca manque un peu d'harmonie tout ça ! Parce que les enfants peuvent passer d'un professeur à l'autre, ils ne vont pas avoir la même offre. Bon ! Et puis, celui qui m'a effectivement le plus épaté, c'est celui qui utilisait le plus le code... celui qui l'utilisait pas, il m'a pas épaté par rapport au code, il l'utilisait pas, donc pas... défaut d'utilisation. L'autre l'utilisait. Et je

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discute avec ce professeur, et... bon. Il utilisait le code et il utilisait les gestes aussi ! Et, lui, il avait une approche de l'utilisation des signes et de l'oral, de proposer la langue orale d'abord. C'est-à-dire de proposer l'effort, de partir du plus difficile. Le rôle de l'enseignant étant de faciliter les tâches, vous comprenez le rapport entre « difficile facile » et la facilitation à mettre en place. Vous comprenez ? Eh donc, comme il avait une relation formidable avec les élèves, il s'exprimait oralement en codant ses messages d'abord avec une bonne diction, une bonne oralisation, parce qu'on n'en parle pas beaucoup de ça non plus. Hein, bon, avant de parler de l'utilisation du code, avant de parler de... il faut dire qu'il faut parler doucement, bien articuler, il faut avoir une bonne lecture labiale aux enfants, c'est très important, et finalement chaque fois, il utilisait le principe de la reformulation pédagogique et je pense que le principe de la reformulation pédagogique chez les sourds vaut à la fois sur le plan des outils de communication - ça vaut le coup de se répéter, d'abord, comme ça on comprend mieux - mais on peut tout à fait envoyer une info en code et donc l'enfant fait un effort en code, et c'est comme le forgeron hein, c'est en forgeant qu'on devient forgeron, donc quand on offre la langue française avec le code, ça donne des performances chez les enfants en lecture labiale qui sont réelles, c'est pas une fiction, certains vont gagner 60-70%, c'est-à-dire que... 80% de réussite en lecture sur les lèvres, ça veut dire que ces enfants vont avoir une pratique du français comme langue d'usage et les apprentissages linguistiques ça se fait par la langue d'usage. Si comme vous m'avez dit tout à l'heure (à mon arrivée), à d'autres moments, on va signer, on va pas chercher à faire du code, etc., en classe on est dans une situation d'apprentissage, donc tout ça c'est réglementé, c'est organisé, c'est pas le centre aéré. Donc, ce professeur que j'ai pu voir faire dans ce que moi je considère être l'approche la meilleure en matière de bilinguisme, c'est qu'il donne d'abord... il met les enfants dans une situation difficile, mais il les met, pas pour les embêter, pas pour leur faire du tord, mais pour pouvoir ensuite, pour être pour eux finalement à terme le meilleur médiateur de leur intégration future, parce que c'est ça qu'ils vont rencontrer à l'extérieur, des situations d'oralisation, partout. Donc, il les entraîne à

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ça. Résultat : dans l'entretien avec lui, je lui ai dit, mais ça marche ? Il me dit « Il y a des enfants dont les parents pratiquent, donc ils sont déjà plus à l'aise. D'autres, les parents pratiquent pas, donc ils ont appris... ils ont plus de retard que les autres ». Il y a des enfants qui réagissent plus vite que d'autres, parce que je pense que la lecture labiale, c'est déjà, une histoire de compétence, au départ hors LPC, je pense qu'il y a ... Moi j'ai pu voir ça de ma pratique, de constater qu'il y a des jeunes sourds qui ont un don, peut-être, à ce niveau de lecture labiale facile. D'autres ont plus de mal avec la labiale, beaucoup plus. Ils sont perdus parce qu'ils n'ont pas la méthode non plus. Il y en a qui vont être dans une approche linéaire du discours, ils bloquent sur un mot, paf, ils bloquent sur tout le reste. Y'en a qui ne vont pas tout comprendre mais ils vont comprendre les indicateurs du contexte, ils vont se servir du contexte. Donc, il y a des manières de lire sur les lèvres qui ne sont pas très différentes des critères que l'on prend pour comprendre une situation, par ailleurs. Donc je pense qu'il y a des jeunes qui sont de bons lecteurs déjà, d'autres moins, bon. Mais la lecture labiale, seule, est très complexe. Le LPC, faut pas oublier qu'on est dans une langue syllabique et que le LPC syllabe la langue. En plus, il donne, il rythme - la parole c'est du rythme, mais il y a un rythme biologique de la langue des signes qui n'a rien à voir avec le rythme d'une bande audio-vocale, c'est pour ça que le bilinguisme de deux langues audio-vocales et le bilinguisme de la langue des signes et d'une langue audio-vocale, c'est un autre sujet. On peut prendre des éléments, par exemple on peut prendre des éléments de cohérence de discours. Moi, je me rappelle d'une réunion de parents d'élèves, à une époque, la maman était pour les signes, le papa oraliste. Ils viennent en réunion de parents, moi je faisais donc la réunion, je leur explique un peu comment je faisais, eh puis... Parce que moi, j'ai toujours procédé comme ça, c'est-à-dire que j'ai toujours eu tendance... mais je ne pratiquais pas le code à cette époque, mais j'essayais de voir quelles chances pouvait avoir l'enfant de saisir les messages oralement. Alors à l'époque on était utilisait la dactylologie, on utilisait le dessin, des tas de choses, bon ! Et puis, je signais dans un deuxième temps. Si j'avais connu à l'époque le LPC, je crois que j'aurais été encore plus performant

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dans mon approche, parce que je pense que c'est la meilleure, pour moi. Donc, c'est de proposer à l'enfant avec le code de rentrer dans la langue française, mais surtout de veiller à ce que ça marche. Il s'agit pas de le faire et que ça marche pas ! Or, on se rend compte que tous les enfants n'y arrivent pas au même rythme, que tous n'ont pas la même histoire dans le contact avec le LPC parce qu'ils ont pu l'avoir dans la famille ou pas, mais que ça marche. Et, l'idée... d'abord un professeur de jeune sourd c'est quelqu'un qui doit avoir une habileté du code et qui doit maîtriser la langue des signes et je pense que le bilinguisme, enfin la situation le contexte d'éducation bilingue, consiste à donner à l'enfant des repères clairs dans l'une ou l'autre langue, le malheur c'est qu'on est dans le pidgin du français signé donc qui est une commodité pour l'enseignant qui donne l'illusion de bien communiquer mais cela ne permet pas à l'enfant de faire des repères clairs dans l'une et l'autre langue. Je pense que le bilinguisme c'est d'aboutir à la fin à une situation où le jeune va rencontrer des signeurs, plus besoin d'oralité et puis dans d'autres contextes où il va rencontrer des entendants, qu'il soit pas complètement perdu. Il sera pas en situation de force...

Oui et...

... Un sourd au milieu des entendants n'est pas en situation de force, mais quand, moi, quand je passe une journée - je le fais moins maintenant que je suis en inspection - mais avant, je pouvais aller à des rencontres avec des sourds, à la fin de la journée avec des sourds, j'en avais un ras le bol des sourds parce que je n'arrivais pas, moi, à avoir la concentration au niveau visuel que les sourds sont habitués à avoir, j'étais fatigué après une journée chez les sourds, et donc je comprends qu'un sourd avec une journée avec les entendants, il est fatigué aussi. Mais, c'est encore plus dur pour les sourds parce que moi j'arrivais toujours à avoir des gens qui oralisaient mais... Et puis l'oreille, à part chez certains animaux, - on voit les oreilles qui bougent comme ça, hein, ...mais - l'oreille, elle est passive. Les yeux, il faut qu'ils aillent chercher l'information, c'est beaucoup d'énergie à mettre en place, c'est

beaucoup plus fatigant. Mais je crois que, pour réussir le bilinguisme, il faut donner aux enfants des repères dans l'une et l'autre langue et je pense que si on commence par l'offre en LSF on rentre dans une logique de rapport à l'apprentissage qui va de facile à un difficile qui restera difficile et qu'on n'atteindra peut-être pas. Donc...

Mais les deux ne peuvent pas...

Si !

... se mettre en place en même temps ?

Je donne... je pense qu'une langue s'apprend par le bain de langage qu'on a dans cette langue...

Mais prenons la situation du bébé qui, lui, ne va pas pouvoir entendre ni parler, est-ce qu'avec lui la langue des signes n'est pas...de meilleur emploi.

Ah si ! Moi je pense à ce que je vous ai dit...

Donc, finalement, on ne peut pas commencer par l'oralisme !?

Non, mais là je parle d'enfants qui sont en situation scolaire, c'est-à-dire qu'il y a un moment, je pense, par exemple, pour un enfant sourd profond, je pense que c'est la langue des signes qui est le premier vecteur, cela me paraît évident.

Ensuite si j'ai bien compris vous préconisez que les deux langues soient au même plan, considérées de même façon, qu'il n'y en ait pas une qui soit dévalorisée par rapport à l'autre et qu'elles soient employées dans un cadre qui soit respectueux de ces deux langues.

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Oui.

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Le niveau de LSF, savez-vous s'il est prévu de l'évaluer ?

Disons que là, pour l'instant, on a fait une avancée, quand même, parce que, je veux dire, la LSF, on a parlé de la loi de 1991, hein, reconnaissance, on va dire que réglementairement avant 91, vous savez bien qu'elle était interdite, depuis... 1800 je ne sais plus, elle était interdite... mais en fait, avant 91, la langue des signes a commencé à rentrer dans les établissements, peut- être un peu dans la clandestinité des salles de classe, mais petit à petit c'est venu, bon ! Dans les annexes XXIV quater, par exemple, on a reconnu dans les équipes, le profil d'adulte sourd. Et moi, je considère que adulte sourd, c'est pas un métier ! Par contre, que des adultes sourds puissent se faire reconnaître à travers des compétences de métiers, oui ! Vous comprenez ? Donc on est à une étape où je pense, progressivement, on va... parce que la meilleure chose qui ait pu arriver à la langue des signes c'est la reconnaissance de son enseignement, bien entendu, mais cela prendra un peu de temps !

Oui, pour l'instant, il n'est pas prévu d'enseigner en langue des signes.

La circulaire sur le bilinguisme qui est sortie, là, au mois d'août ça laisse plutôt entendre quand même un peu ça, puisque on dit que la langue orale ne fera pas l'objet ni d'une évaluation ni d'un enseignement.

Hum.

Moi je pense d'abord que tout est une histoire d'harmonie,... d'abord 1) de pas priver les enfants d'une capacité qu'ils auraient d'apprendre, donc dire qu'il y a un siècle, il ne fallait pas qu'ils signent, dire maintenant qu'il ne faut pas qu'ils oralisent, c'est la même stupidité, hein donc, dire que la langue des signes empêche l'oralité, c'est stupide aussi, il n'empêche quand même que, en matière d'apprentissage, non pas de la communication, parce qu'on nous parle de la communication tout le temps, moi

j'ai une réflexion qui va jusqu'à la conquête du langage, des compétences langagières ; or, les compétences langagières, on les acquiert par l'usage.

Vous êtes donc favorable à un enseignement par l'oral.

Moi je pense que les enfants... Je pense qu'un vrai bilinguisme c'est un bilinguisme langue des signes d'un côté et langue française orale, lue et écrite, d'un côté et que il faut permettre aux enfants de faire un apprentissage dans ces deux registres, donc, effectivement, on a l'impression que la langue des signes est pauvre à côté de la langue orale qui a une transcription écrite, lue et écrite. Bon ! Ben oui, mais c'est comme ça ! Ceci dit, le fait aujourd'hui comme à Toulouse de dire en gros que la langue écrite c'est la langue écrite de la langue des signes, c'est faux, non ? La langue écrite est la langue écrite de la langue orale française, pas de la langue des signes. Donc, c'est un arrangement conceptuel pour essayer de définir quelque chose de..., à part entière. Mais c'est faux, moi je pense que... donc je vous ai dit, dans la démarche pédagogique du rapport à l'élève et à l'apprenant, moi je suis pour le bilinguisme, je suis, je pense que si on n'offre pas le français oral d'abord, et si on offre les signes d'abord, l'effort à faire pour le français oral est inutile, devient inutile. Parce que dans l'espace entre l'enfant et le professeur, si on lui dit ! « tu as compris ? », bon et il a compris, si on fait le signe. L'effort qu'il aurait à faire pour dire : « tu as compris, il ne le fera pas, puisqu'il a compris ». Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire...

Si, si.

..., c'est-à-dire que, en fait, dans la fenêtre linguistique de la langue des signes - elle a cette taille-là - elle occulte complètement celle-ci, donc...

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L'objectif, c'est de faire en sorte que les enfants parlent d'abord ?

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Non, attendez, moi, je parle pas pour ce qui serait ou qui se passe, moi ce que je veux dire c'est qu'il fut un temps, moi quand j'ai commencé mon métier, les premiers temps où je suis allé dans les salles de démutisation, ça m'a fait hérisser les poils, ça me paraissait violent. Et l'idée, c'était de faire oraliser pour obtenir de l'articulation et moi je pense que c'est un objectif secondaire, par contre, c'est jouer la langue, je ne parle pas que de la question de l'articulation chez les sourds, au niveau d'une performance esthétique m'intéresse peu, parce que je sais qu'il y a des sourds qui n'oralisent pas parfaitement mais par contre ils ont une sacrée maîtrise de la langue française et donc c'est de donner l'occasion aux sourds de pratiquer la langue française, de l'avoir comme langue d'usage et la question qu'ils ont à faire pour articuler n'est pas importante pour moi. Ceux qui y arriveront tant mieux, ceux qui y arriveront pas, eh bien, ils parleront moins et la réalité, c'est ça : vous avez des sourds qui oralisent plutôt bien et d'autres...

Donc acquérir un français oral de qualité n'est pas évident. Quels sont les moyens mis en oeuvre pour que les Sourds pratiquent bien la langue des signes, pour qu'ils maîtrisent au moins une des deux langues ?

Disons que, maintenant il va y avoir, dans les emplois du temps des élèves, il va y avoir maintenant l'apprentissage de la langue des signes. La question c'est de savoir si on veut que les enfants apprennent la langue des signes dont l'usage et la fonction sociale sera limitée à la communauté de ceux qui la pratiquent mais si, en même temps, on a une ambition par rapport à la langue française, dont la maîtrise leur sera particulièrement utile, pour réussir leur parcours voire leurs études.

Et votre solution à vous ?

Ma solution elle est que... bon, si moi je vais prendre mon expérience, Jeremy est sourd, il a des copains sourds, pour lui c'est absolument salutaire qu'il rencontre cette communauté d'appartenance culturelle mais ce n'est pas pour autant qu'il n'est

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pas notre enfant, de ses parents qui sont entendants, et qu'il n'appartient pas aussi, d'une certaine façon, au monde des entendants, donc nous on l'a toujours habitué à fréquenter le monde des entendants, tout en sachant que c'était pas le mieux pour lui, mais on n'a pas du tout, on n'a pas eu du tout le projet de l'isoler dans un monde de surdité ou de « surditude » ou de langue des signes. Vous comprenez ? Je veux dire, c'est le projet d'un enfant citoyen du monde, et donc, qui va avoir la langue des signes et les préoccupations que j'ai, que j'ai toujours eues en tant que pédagogue, c'était pas la capacité que les enfants avaient à apprendre la langue des signes, j'ai pas de souci là-dessus.

Donc finalement, l'effort du système éducatif français doit plutôt axer sur la langue orale, plus que sur la langue des signes ?

Je pense que..., je constate qu'il y a des enfants... que chaque jeune, chaque apprenant n'apparaît pas comme identique à l'autre, que chacun est unique et que chacun développe un potentiel qui lui est propre ; je vous ai dit tout à l'heure qu'il y a des sourds qui arrivent à avoir une intelligibilité de leur expression orale qui est absolument épatante, surprenante à tel point que l'on peut se demander « est-ce qu'ils ne seraient pas étrangers pour quelqu'un... » et d'autres qui n'arrivent pas. Les premiers, tant mieux, les autres faut-il les forcer à oraliser, non ! Par contre ce qui peut être commun aux deux - moi j'ai vu des élèves qui avaient une très bonne diction, une très bonne oralisation et qui avaient une bonne maîtrise de la langue, j'ai vu des élèves qui avaient une très mauvaise... en intelligibilité orale, c'était bas bon, ils ne comprenaient pas, mais qui avaient aussi cette maîtrise de la langue, et j'ai vu d'autres élèves qui oralisaient très bien les mots mais qui ne mettaient pas de sens, vraiment, dessus. Chaque enfant est unique. Donc moi, mon idée, c'est de dire, « qu'est-ce qui est bon pour les enfants » ? Et mon discours il est complètement, il est en-deçà des querelles de vouloir la langue des signes ou de vouloir le français. C'est un débat qui est dépassé pour moi, depuis longtemps. Je l'ai vécu à une époque, à

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une époque... lorsque j'étais à l'université - j'ai fait mon mémoire sur les sourds - j'étais... je disais, mais les sourds, ça doit être la langue des signes point. Mais depuis que je suis passé, par exemple, à l'Inspection et que je suis allé voir des exemples de réussite avec les enfants, je me suis dit qu'il ne fallait pas opposer la sublimation de la langue des signes et le bonheur que cela peut représenter pour les sourds, avec la langue orale qui serait l'objet d'une souffrance pour les sourds, etc., et je pense que l'avenir n'est pas à construire sur l'idée de la revanche, je pense que... On s'en fiche complètement de ça, ça n'a pas d'intérêt, l'intérêt c'est de dire, voilà, un enfant c'est un potentiel de réalisable extraordinaire et que si on sait lui donner le plaisir d'apprendre, il apprendra aussi bien la langue orale que la langue des signes. Simplement, le plaisir personnel qu'il pourra avoir à utiliser la langue orale va être limité, ça va être plus frustrant évidemment, parce que quand on est sourd, y'a cinq six personnes qui discutent oralement, on est un peu perdu, etc... N'empêche que le fait d'acquérir, le fait pour un sourd de lui apprendre à comprendre le monde des entendants c'est lui permettre d'être lui-même sourd avec la langue des signes et d'être pas le dernier de la classe dans le monde des entendants, vous comprenez, on est plus riche de deux langues que d'une langue....

Oui. J'ai une question parce que vous avez utilisé un mot que j'ai rencontré dans les travaux parlementaires, c'est le mot étranger. Est-ce que vous pensez que le sourd est un étranger, dans son pays ?

Moi, je considère que même dans notre famille et pour certains membres de la famille Jeremy est un étranger.

Et comment vous l'expliquez ?

C'est comme ça ! C'est la langue ?

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C'est que... si... Jeremy m'avait dit une fois : «moi, j'aime pas Mamie », j'ai dit « comment ça t'aime pas Mamie ? », « parce que je comprends pas, Mamie elle signe pas », et moi je lui ai dit « Tu dois aimer Mamie, même si elle signe pas ». On rejoint la « part entière » et tout le truc-là, parce que je lui ai dit : « Mais Mamie signe pas, c'est pas pour ça que tu dois pas l'aimer ». Il me semble, moi je suis pas sourd, je peux pas parler à la place des sourds, bon, je vous donne mon avis, moi, sur l'observation du phénomène, les ressentis que j'ai par rapport à... puis la réflexion intellectuelle que je peux avoir sur ce phénomène, c'est tout, mais je pense que... l'idéal de construction d'un monde sourd avec une culture une langue, etc., autosuffisant, je ne vois pas trop quoi...

C'est peut-être parce que la société leur renvoie aussi cette image « d'autre », « étranger » ?

Mais c'est quand même, c'est presque inévitable, c'est inévitable, c'est pour ça que, il y a une situation de handicap quand même, et c'est beaucoup plus prudent de dire, de ne pas être dans une vision d'idéalisation des choses qui n'est pas réelle, qui n'est que la projection de ce qu'on voudrait... Faut voir ce qui est quoi, moi j'essaie de réfléchir à ce qui est, ce qui est le plan du vécu, ce qui a été, les souffrances des sourds dans les écoles oralistes d'autrefois, ça importe peu pour expliquer ce qui est, et ce qui est ne peut pas être défini non plus parce que l'on voudrait que ce soit. Bon, je ne sais pas si je suis clair ?

En définitive, si j'ai bien compris, c'est que le sourd est un étranger dans son pays.

Euh, oui... à tel point qu'il peut être même moins étranger dans un autre pays frontalier, parlant une autre langue que la langue nationale de notre pays, qu'étranger dans son propre pays. Parce qu'il me semble que si les sourds - vous savez, il y a une littérature sur les sourds qui utilise des termes assez étonnants et assez exotiques comme « le monde des sourds », y'avait un film aussi, c'était « Le

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Pays des Sourds », comme si les sourds étaient sur un autre univers, une autre planète, et c'est un peu vrai, c'est un peu vrai, mais je crois que, moi, mon raisonnement est de rattacher toujours l'individu à la communauté des autres hommes, c'est ça qui m'importe beaucoup, et ce qui m'exaspère le plus, c'est les aspects, les discours de certaines personnes qui me paraissent manipuler un peu, manipuler un peu le monde des sourds dans... peut-être pour leur propre construction intellectuelle à elles...

Qui les enfermerait en fait ?

Qui les enferme, voilà, je pense que l'avantage de la langue des signes, c'est effectivement de sortir des établissements médico-sociaux, elle n'y était, elle n'était pratiquée que dans les établissements de jeunes sourds, les établissements de jeunes sourds s'ouvrent donc la langue des signes a besoin de lieux d'expression en tant que fonction sociale, donc dans le champ de l'éducation dont nous avons parlé, de l'importance de l'accueil collectif des enfants sourds, dans leur éducation, bien sûr, sinon, il n'y a pas de fonction sociale. L'enfant sourd qui est en SSEFIS, il va avoir un contact avec la langue des signes, non pas en tant que langue d'usage, mais parce que des professionnels qui la pratiquent le cas échéant vont la lui apporter. Et, je reprenais l'autre jour l'image du pédagogue de l'Antiquité, c'est pas avec vous que j'ai parlé de cela l'autre fois, vous savez dans le pédagogue dans l'Antiquité, c'était l'esclave qui accompagnait le fils du maître chez le magister, le savant, avec sa toge et tout ça et qui donc, expliquait les savoirs savants, consacrés, etc.,. Et le pédagogue, cet esclave qui accompagnait l'enfant, dans le mot pédagogue il y a le mot « péda » aller et « aqui », sur ce chemin-là, je ne sais plus quel est l'auteur qui raconte ça mais il apprenait les choses de la vie en fait et petit à petit le pédagogue est rentré dans l'école et a remplacé le magister, finalement. Le magister, on le trouve encore dans les amphi des universités, il est au-dessus de tout le monde, et puis il parle, il fait un discours et on écoute, et c'est passionnant - parfois quand on est étudiant les gens

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qui, les sociologues, par exemple, sont épatants mais c'est une habileté intellectuelle, le goût de la polysémie... Avec la sociologie, on peut tout expliquer, et construire, c'est formidable, mais la réalité c'est le quotidien, c'est ce que vivent les gens et moi, l'ambition que j'ai toujours eue c'est d'essayer de défendre une éducation des enfants sourds qui soit, elle, inclusive, oui, de tous les moyens d'y arriver et qui commence pas par dire : « attendez, c'est pas... l'identité, la culture », oui, tout ça c'est des mots, c'est des mots. La culture, je crois... Mais en tant que communauté sourde, je veux dire, tant qu'on est dans le confort ouaté de l'école, y'a pas de problème, y'a pas de problème, y compris au lycée ou à l'université, on est cocooné, étudiant c'est formidable. Puis quand on n'est plus dans cet univers d'accompagnement que ce soit scolaire ou médico-social ou autre, y'a un moment où on plonge dans la vie, c'est-à-dire qu'il faut trouver un job, faut trouver un boulot, faut aller sur le marché de l'emploi, et dans ce cas on rencontre la réalité de la vie. Combien de jeunes, moi j'ai entendu dire, qui à une époque ne voulaient pas de l'orthophonie parce que moi je signe, je suis sourd, etc., et quand arrive le moment d'aller sur le marché du travail et qu'ils n'ont pas, ni appris par forcément l'oralisation, mais quand on apprend une langue, on n'apprend pas que l'aspect phonologique de la langue orale, on apprend la pragmatique de la langue, on apprend la proxémique de la langue, on apprend plein de choses, qui permettent au-delà des mots de se situer dans un contexte culturel aussi porté par la langue, par les représentations que ça véhicule et dans la culture du corps, dans la culture des mots. Donc,...

Donc, il est préférable d'adopter la culture ou la langue dominante du pays dans lequel on se trouve.

Hum, oui... pas l'exclure en tout cas, pas l'exclure, bon, mais d'être bilingue, je pense que..., en tout cas pour les enfants qui ont une surdité importante qui sont sourds, je pense que le bilinguisme est presque leur projet, quoi. Bon, maintenant, si il y a des enfants qui veulent... des parents qui parlent à la place des enfants, après tout, parce

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que l'enfant quand il a trois ans, quatre ans, cinq ans, son projet de vie, c'est pas lui qui le construit, on décide pour lui, bon, n'empêche que je connais aussi des enfants qui sont uniquement dans la langue des signes et qui ont de telles difficultés en français, qui ne savent pas lire, qui ne savent pas écrire, bon voilà, moi... je me dis mais oui, la langue des signes, bien sûr, mais l'apprentissage de la langue et de la langue écrite me posent beaucoup plus de... il y a beaucoup plus d'organisations, et... Je pense pas, moi, que par exemple, des débats sur la mise en place de la conscience phonologique, par exemple, nous savons lire parce que nous avons appris le « b-a ba » de la lecture. Picasso est un génie parce qu'il a les bases de la peinture et moi je sais lire parce que j'ai appris le mécanisme d'apprentissage audio-phonatoire, audio-phonologique de la même manière que je sais conduire parce que, il y a eu un moment où ça a été un peu pénible parce que je me demandais quel pied... sur quelle pédale il fallait appuyer et où mettre machin et puis ce temps-là est passé et aujourd'hui des fois je me dis quand je suis sur l'autoroute, je me dis, je prends un risque énorme, parce que le moindre, le moindre accroc dans l'environnement et ça y est je me tue, quoi. Et pourtant, j'ai même pas conscience que je bouge mes mains, que j'appuie sur la pédale, que je... mon cerveau a incorporé le savoir. Bon, donc, en matière d'apprentissage de la lecture, on me dit aujourd'hui que on peut apprendre à lire avec la langue des signes et puis pas besoin de se construire une conscience phonologique, bon, quand je regarde du côté de ce qui a été fait en matière d'apprentissage de la lecture idéo-visuelle chez les enfants entendants, j'allais dire, c'est pas prouvé que ça marche ! Bon, les Chinois qui ont une langue plus idéo-visuelle que nous, nous l'ayant syllabique, moi je considère qu'il y a un rythme biologique de la langue des signes qui n'a rien à voir avec le rythme syllabique de la langue française qui fait des trucs comme ça (geste !), la langue des signes c'est beaucoup plus spatial, c'est une langue plus riche en terme de rapport à l'altérité qu'une langue audio-vocale et encore les Italiens sont plus communicants que les gens, je ne sais pas moi, du Nord, qui font des gestes, les Italiens, y'en a qui ont des expressions plus riches, etc.

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Mais, avec ce que vous venez d'expliquer, est-ce qu'on ne va pas être tenté quelque part de favoriser une langue par rapport à une autre ?

Mais moi, en fait, je raisonne pas comme ça, je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne suis pas dans un débat d'opposition, je trouve que ça n'a aucun intérêt de dire, vous ne croyez pas que...

Mon idée n'est pas de les opposer mon idée c'est de dire, qu'est-ce que le bilinguisme, si vraiment on veut faire du bilinguisme, est-ce qu'il ne faut pas qu'on les porte, les deux ?

Mais si, mais si ! Mais j'entends bien que... Alors, il y a une expression du bilinguisme qui est véhiculée de la façon suivante : il y a des gens qui ont une approche du bilinguisme de type consécutif, bilinguisme consécutif. Je m'explique : il fut un temps, on faisait peu de cas de la langue des signes, c'était l'oralisme qui était de droit, et donc, on disait il faut que les enfants oralisent puis, on verra la langue des signes après, bon ! Maintenant, on a des gens qui nous expliquent : non, maintenant c'est le contraire ! La langue des signes d'abord et l'oral, pfff ! On verra après ! Ca c'est des bilinguismes consécutifs. Il y a des bilinguismes que moi j'appellerais, je ne sais pas quel terme prendre, alternatifs, c'est-à-dire, on a dans une équipe d'enseignants le professeur entendant et puis il y le professeur sourd et donc, l'enfant va s'identifier au professeur entendant, au professeur sourd, il y a quelque chose qui tourne autour de la construction de la démarche... le bilinguisme que moi je défends, c'est un bilinguisme simultané, c'est-à-dire une seule personne qui est compétente. L'enfant sourd, comme les autres enfants, il a son prof à l'école, en CP, en CE, etc., et le prof, lui, il est hyper-formé, on ne se contente pas de mettre des enfants dans une école inclusive sans se demander si les profs doivent être formés ou pas. Ou en se disant, mais attendez, on est obligé de sous-traiter par du soin, comme je disais tout à l'heure, ça ne va pas ça, moi je suis pour qu'un enfant sourd ait en face de lui

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quelqu'un qui connaisse la langue des signes, qui connaisse le LPC, qui connaissent la verbo-tonale parce que ça va être les outils de la profession : le LPC c'est l'aide à la réception des messages par l'enfant sourd sur le plan oral - compétence en lecture labiale améliorée largement - ; on va dire : est-ce que si on code on ne respecte pas du tout l'enfant, quelle que chose comme ça..., moi je ne raisonne pas du tout comme ça. Y'en a qui disent y'a des sourds, bah quoi ? Ben oui, mais c'est sympa, une fois qu'on a dit ça, bon...

Et en fait, c'est l'enseignant qui adapte en fonction des matières, en fonction des besoins de l'enfant. Finalement, l'enseignant lui-même est porteur du bilinguisme...

Mais bien sûr ! Il témoigne ! Autrement, c'est un bilinguisme de... territoire, on est...ça ne peut produire que des conflits, vous comprenez ? Moi, je vais vous dire... supposons, voilà, on est dans une activité de lecture en classe, bon. Pourquoi je vais demander à un enfant de faire l'effort d'oraliser la lecture ? Parce qu'à l'école, les enfants oralisent à haute voix. La maîtrise va dire : « on va lire le texte... » Les enfants... « Il était une fois, ... ». Est-ce que je vais demander cet effort à un enfant sourd ? Bien sûr ! Mais pas pour qu'il me fasse une belle voix, pas pour... de l'orthophonie. Pour qu'il puisse jouer la langue. Et la manière dont il y arrive, peu ou prou, même si c'est pas très juste, la partition, à ce moment-là, c'est pas très grave. On est en apprentissage, on a le droit de se tromper. C'est se tromper qui permet d'apprendre. Donc, je vais lui demander d'oraliser la langue, parce que je vais lui donner un ressenti, à sa manière, du rythme syllabique de la langue française, d'accord ?

Hum...

Il y a des mots qui sont de trois syllabes, la plupart, deux quatre cinq six sept, il y en a beaucoup moins, et c'est possible sans chercher à ce qu'il soit un perroquet, ou

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quelqu'un qui...non, il joue la langue, c'est ma langue française, moi je suis ton professeur je fais le pari que je vais te la donner ma langue française et tu vas l'avoir parce que moi j'ai une ambition pour toi. Voilà comment on devrait parler à un enfant ! Au lieu de dire... au lieu d'être militant de la langue des signes ou d'être militant de l'oralisme, ça va pas, non, on s'occupe du concret de la vie réelle, pas de ce qui devrait être ou de ce qui a été pour expliquer ce qu'on va faire, non, on fait, on dit, voilà ! Et puis après, ... donc je le ferai oraliser - et quand je dis, j'ai même honte d'utiliser cette expression, je le ferai oraliser, non, je jouerai avec lui la langue - j'ai dit, bon tu vas me lire, alors le gamin : « Ir-ré-té une fois,... » Super, Bien, Bravo, et... parce que tout le problème que les sourds nous rappellent c'est que, avant, c'est pas ça qu'on voulait, on voulait qu'ils articulent! Moi, quand je suis rentré dans le métier, il fallait qu'ils apprennent « PE », on leur faisait souffler sur des papiers pour apprendre le « PE », après on lui apprenait le « A », après on apprenait « PA » et un jour on lui disait : « tu vois c'est ton papa ! C'était... l'horreur ! ». Vaut mieux dire : « Tu vois, ça c'est ton papa, bon OK, bon, maintenant on va apprendre la lecture, tu vas venir avec moi, tu vas parler avec moi, alors, voilà, et il faut savoir faire, il faut aimer les enfants, il faut aimer le savoir, il faut vouloir que l'autre apprenne. Par contre, le texte de lecture, moi je vais dire au gamin : « Tiens, tu me lis ce texte-là, tu le lis voix silencieuse, tu lis avec tes yeux,..., bon, tu as fini ? ». Je vais lui dire : « Tiens, première phrase ». Le gamin me dit « bah... bon ». Il va peut-être me dire... Il va me montrer le signe ( ?). « Chaperon, c'est quoi ? ». « Ah !». Je vais lui montrer l'image, la petite fille-là... « Et là, Chapeau, tu vois. Cha-pe-ron, Cha-peau, c'est pareil, eh bien, il est content, ça suffit. Mais on a déjà fait de lui quelqu'un qu'on a... parce qu'on le fait rentrer dans l'étymologie, vous vous rendez compte, en CP ?

Hum...

Mais attendez, y'a des gamins qui... le problème, c'est que je trouve qu'on... parce que... après, c'est tout... Enseigner, c'est savoir faire apprendre. Mais, une fois qu'on

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a dit ça, encore faut-il s'y coller, mais, vous comprenez, j'utiliserai les outils si je veux savoir si il a compris. Un enfant qui entend, qui parle, si la maîtresse lui demande : « Bon, alors tu vas me lire le texte tu vas me dire ce que tu as compris ». Alors un enfant va dire : « Il était une fois un petit chape... » Il va utiliser la langue pour expliquer ce qu'il a compris. Alors le petit chaperon... Alors la maîtresse peut lui dire : « Oui, mais tu m'as lu la phrase mais tu m'as pas dit ce que tu as compris ». Alors, donc on va rentrer dans l'explication : « chaperon, c'est quoi ? ». « Ah ben, je sais pas, j'ai jamais vu ce mot ». Bon après elle va lui expliquer le petit chaperon. « Ah oui, dans l'image, le petit chaperon rouge avec son petit panier, ah ben oui ! ». Eh bien avec la langue des signes, on gagne beaucoup plus de temps à rentrer dans le sens qu'avec l'oral, à ce moment-là ! Donc, finalement, la lecture doit s'apprendre, à ce moment-là, doit se faire apprendre avec les deux langues. Bah, bien sûr, je dirais pas « doit », c'est le terme « doit » parce que, vous, vous avez un raisonnement qui est pas comme le mien, moi, je dis « il faut », c'est pas... comment vous dire, c'est que je pense que, vous l'avez bien dit tout à l'heure, l'enfant sourd qui a en face de lui, quelqu'un qui soit sourd ou entendant d'ailleurs, mais qui serait réellement bilingue, qui témoigne, qui témoigne, lui, de compétences qu'il prétend faire acquérir à l'enfant, non pas pour être dans la culture des sourds à un moment ou dans la culture des entendants, mais pour être un citoyen instruit et éveillé qui lui, ira dans toutes les cultures, il sera à l'aise partout puisqu'il aura peur de rien parce que l'important, c'est pas de créer un type d'individu, c'est de donner des compétences à un individu qui en fera ce qu'il voudra après, mais, les moyens pour y arriver, en matière de pédagogie, c'est pour ça que je dis que le mot pédagogie, faudrait peut-être qu'on en parle un petit peu, parce que c'est compliqué, mais c'est vrai que c'est beaucoup plus facile de parler de scolarité, parce que scolarité c'est mettre dans des lieux qui sont reconnus comme étant les lieux de l'éducation. Bon, très bien, mais, mais après, il faut se demander, qu'est-ce qu'on y fait. Et donc, c'est pour ça que... enfin, si j'ai bien compris votre projet de vous interroger sur ces métiers d'enseignants auprès des jeunes sourds et des CAPEJS, par exemple, eh bien, si votre

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travail peut amener ces gens à avoir des références, aussi, intellectuelles et de reconnaissance sociale, par rapport à leur métier, je trouve que c'est bien, je trouve que c'est bien, parce qu'ils sont aujourd'hui un peu otages de discours intellectuels qui opposent le soin à l'éducation, l'éducation étant le monopole de l'école, le soin de la médecine et le médico-social, entre les deux, il est ni médecine, ni social, il est les deux et c'est assez compliqué, et donc dans cette période de mutation, la meilleure chose qui puisse arriver, je pense, aux jeunes sourds, en tout cas, il sera peut-être pas possible d'avoir des profs spécialisés enfin des profs, quand je dis spécialisés, c'est-à-dire des profs, des gens doués pour faire l'éducation des enfants sourds dans toutes les écoles de France et de Navarre, parce que c'est pas possible, mais que les pôles qui puissent être identifiés pour les enfants qui ont besoin à mon avis, qui ont largement avantage à bénéficier d'un enseignement collectif, hein, parce qu'ils représentent les mêmes problématiques, on est en train de le faire pour les TSL et on voudrait plus le faire pour les sourds, mais c'est, c'est idiot, eh bien je pense qu'il faut faire ces pôles d'excellence !

Pouvez-vous me rappeler ce que c'est TSL ?

Les enfants qui ont des Troubles Sévères du Langage ou troubles dits TCL, troubles complexes du langage, moi je connais pas bien parce que, il y a des problématiques très diverses, dans ces cas-là, mais sur la surdité, je connais mieux ce sujet bien sûr et... c'est pour ça, si vous voulez que je ne raisonne pas tellement en terme de conquête, de bagarre, de territoire, non, le seul territoire qui m'intéresse c'est celui de l'enfant, comment il va se construire, qu'est-ce qu'il va apprendre, pour être le plus fort possible. Donc, au lieu de perdre de l'énergie à vouloir créer tel type d'individu dans telle société, etc., ce qui est un sujet intéressant, moi je suis un pédagogue, donc moi je ne parle que par rapport, d'abord à une expérience d'enseignement que j'ai eue pendant longtemps, et puis, l'avantage que j'ai d'aller voir les gens travailler aujourd'hui et de me dire, de mon propre point de vue, - je suis désolé mais je ne

peux pas parler à la place d'autres qui regarderaient la même chose, moi je dis, ça c'est hyper bien ça, là les gamins apprennent, et puis des fois je vais et là je dis, pfft... Vous avez été à l'école, vous, avant ?

Un peu.

Vous vous rappelez de certains profs que vous avez eus ?

Bien sûr !

Et puis y'en a d'autres, vous vous rappelez aussi, mais, pas un très bon souvenir... On se rappelle les gens qui nous ont appris des choses, qui ont été bons, les mauvais on s'en rappelle plus ou y'en a qu'ont été très mauvais même, c'est vrai, moi j'ai des profs, je me souviens d'eux, parce qu'ils étaient certainement de très bons pédagogues, et parfois ils étaient pas toujours commodes, hein ? Mais bon, voilà ! Apprendre, apprendre... On apprend pas sans effort, et donc, la logique de l'apprentissage faut bien comprendre comment elle se construit, ce qui empêche pas d'en faire une source de plaisir pour les enfants. Y'en a qui l'ont bien démontré. Donc, moi ce que je crois c'est qu'il faut pas mettre la langue des signes en opposition à l'oral, puis après, je crois pas trop, je vous l'ai dit au bilinguisme consécutif, hein parce que c'est futuriste, c'est complètement hypothétique c'est un peu comme...le discours c'est de dire il apprendra la langue des signes et puis il sera un vrai citoyen, etc., ben faudra voir quand il aura son autonomie à démontrer, qu'il aura plus les parents derrière, qu'il sera... bon. Je n'aime pas non plus le discours, on va réparer l'oreille après il entendra, c'est un discours futuriste, c'est des discours futuristes... Moi je je m'intéresse...

Pour moi c'est un discours multiculturaliste...

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Comment ?

C'est un discours multiculturaliste, bilinguiste !

Oui, le bilinguisme pour moi c'est déjà pas commencer à diminuer les objectifs en terme d'apprentissage, c'est-à-dire à une époque on disait non pas la langue des signes parce qu'après il ne parlera pas, c'est idiot, c'est une approche par le manque ; puis l'autre dit, ben non, l'oral ? il faut pas... parce que... on va opprimer les sourds, c'est pas vrai, c'est pas vrai. Eh voilà, moi, je suis pour un bilinguisme simultané, c'est-à-dire, dans le temps présent, de l'apprentissage, dans ce que Philippe Meirieu appelait le « moment pédagogique », l'enfant sourd et en face de lui quelqu'un qui maîtrise l'ensemble des outils et qui va utiliser les signaux de la communication en fonction des objectifs qu'il a de réalisation de l'enfant, soit en terme d'écoute, soit en terme de production, si c'est en lecture ça peut être de comprendre un texte écrit ou ça peut être, à son tour, de produire de l'écrit, ben on va utiliser l'oral, on va utiliser les signes, on va utiliser toute la technologie qu'il y a on va utiliser les ordinateurs... Autrefois, moi, quand j'étais jeune professeur, on n'avait pas d'informatique, donc on passait des soirées entières à découper des images, à les coller pour préparer la classe pour le lendemain, mais on étaient passionnés, bon, aujourd'hui, vous mettez, vous allez sur un ordinateur, tic, tac, vous cliquez sur, comment on appelle ça, des... qui partent, vous avez une image tout de suite « Ah bah tu sais pas « Chaperon rouge », attends,... pstt, « ben tu vois ça, c'est chaperon rouge ». Bon, mais il faut aussi accepter de mettre des moyens par exemple, alors moi je dis ça dans les établissements, je dis mais il faudrait des ordinateurs dans les classes pour tous les enfants, parce que les enfants sourds il faut sortir des images, tout ça. Oh ben oui, mais Monsieur Corre, ça coûte cher ». Attendez, mais on met bien l'argent dans d'autres choses, hein ?

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Oui, j'espère que vous serez entendu.

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Oh ! Mais moi je ne me fais pas d'illusion, moi je prends mon bâton de pèlerin, j`avance, je fais ce que je peux...

ANNEXE 2

Direction Générale de l'Enseignement Scolaire
Pierre-François GACHET
Chef du bureau de l'adaptation scolaire et
de la scolarisation des élèves handicapés.
Durée
: 1 h 10

Monsieur Gachet, pourriez-vous dans un premier temps m'expliquer vos missions au sein de l'Education Nationale ?

Je dirige un bureau, un service qui se situe... qui est l'un des services qui se situent au sein de la Direction Générale de l'Enseignement Scolaire, laquelle Direction d'une manière générale... c'est la Direction principale du Ministère dans la mesure où c'est la Direction Pédagogique, c'est celle qui fixe l'organisation du système éducatif, les programmes scolaires et également qui attribue les moyens dans les Académies, donc finalement c'est un petit peu, comment dirais-je, non pas le coeur, mais plutôt le cerveau organisateur du système éducatif - école, collège, lycée... scolaire : pas pour ce qui concerne l'université. Absolument pas. On n'a que peu à voir avec l'enseignement supérieur. Et donc pour ce qui me concerne, l'équipe que je dirige ici a pour tâche d'organiser au nom du ministre et sur les injonctions du ministre, enfin en tout cas sur les directives que le ministre nous donne, la façon dont le système éducatif s'organise pour permettre la scolarisation des élèves handicapés. Alors, aujourd'hui cette tâche se résume, mais le mot résumer est une douce litote, à mettre en place les effets de la loi de 2005 et ça depuis maintenant plus de trois ans, trois ans, pas tout à fait, la loi est entrée en vigueur pour le pays tout entier au 1er janvier 2006 et donc pour l'Education Nationale au 1er septembre 2006, donc c'est la 3ème rentrée scolaire, la dernière, celle de septembre 2008 était la 3ème rentrée scolaire qui

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était organisée à partir de cette loi. Notre tâche, c'est ça, alors il y a une partie réglementaire, il y a création de textes réglementaires, ça c'est toujours extrêmement long, extrêmement compliqué, parce que il faut tenir compte de tout l'état du droit existant qui est d'une complexité folle, il faut négocier avec des quantités de partenaires, très importants, notamment les associations représentatives de parents d'enfants handicapés, par exemple, l'établissement gestionnaire, etc., les syndicats de personnels , de tous ordres, donc c'est un travail qui aboutit à un texte, à un nombre de textes relativement limité, parce que vous voyez par exemple depuis le vote de la loi, pour le simple secteur scolaire, ça peut paraître pas beaucoup, on a véritablement trois décrets, deux ou trois arrêtés et puis deux ou trois circulaires. Mais à chaque fois, c'est très important. Ensuite une deuxième partie de notre travail, c'est justement de négocier, négocier c'est trop fort, de discuter avec l'ensemble des partenaires sociaux, au sens le plus large du terme, qui sont pour l'essentiel présents ou participants au CNCPH, vous savez ce qu'est le CNCPH...

Oui.

... donc l'ensemble des partenaires sociaux, pour justement continuer à travailler sur l'organisation, les évolutions du système, que faut-il faire, à la fois gérer le présent et un peu anticiper l'avenir. Troisième axe de travail très important également, qui est important, c'est de faire des enquêtes et des évaluations, ça ça appartient en propre à la Direction Générale, c'est toujours un petit peu compliqué, parce que le terrain, ce qu'on appelle le terrain, familièrement, c'est tout à fait impropre d'ailleurs parce que le terrain c'est-à-dire en fait les services déconcentrés de l'Education Nationale ; comme vous le savez il y a trente Académies et 100 départements, dans chaque département il y a une Inspection Académique et l'harmonisation, enfin les Recteurs sont responsables de la mise en oeuvre des politiques publiques dans l'Académie. Les services déconcentrés ont, en général, tendance naturellement à penser qu'ils ont un milliard de choses à faire et que nos pauvres enquêtes n'est pas leur priorité, mais

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sans enquête et sans connaissance du terrain, on ne peut pas savoir ce qui se passe et c'est très difficile de piloter ; donc, concevoir des enquêtes, les organiser, les créer, tout cela en tenant compte des réglementations, notamment celles qui sont imposées par la CNIL, ensuite, recevoir les résultats, les traiter, les analyser, fournir des rapports au Ministre - mon champ d'activité, c'est aussi un travail de bureau et puis le dernier « rush » parmi les principaux, c'est le fait de sillonner la France pour expliquer la loi, expliquer la réforme, expliquer les modifications que le système éducatif doit mettre en place, qui sont plus que des modifications, qui sont des bouleversements, rencontrer les acteurs de terrain, alors pas tous évidemment, je ne peux pas rencontrer tout le monde, bien sûr, il y a 70 000 établissements scolaires, il y a 850 000 professeurs - il est hors de question de rencontrer tout le monde ! - mais d'une manière générale, mes interlocuteurs les plus fréquents sont les inspecteurs d'Académie, quelques responsables recteurs dans les rectorats, et puis dans les départements les inspecteurs d'Académie qui ont eux en charge la mise en oeuvre concrète des réformes dans les établissements scolaires. Et pour tout ce travail, on va dire, de pédagogie, d'explication et en même temps d'aide, parce que c'est pas seulement de l'explication c'est aussi du conseil d'une certaine façon, on fait souvent un travail qui s'apparente à un travail de consultant, quelque part, souvent. Je fais souvent ce travail là, c'est à dire que je vais dans un département, dans une académie, et j'aide les responsables locaux à analyser leur terrain, à mieux comprendre comment les choses se passent chez eux, à essayer de mettre en évidence quelques lignes de force parfois quelques faiblesses aussi, c'est un peu le but quand même, et puis éventuellement leur donner des conseils pour réorienter, affiner ou réajuster leur politique.

Et au sein de votre direction, vous êtes organisés de quelle façon ? Est-ce qu'il y a un bureau par catégorie de handicap ou comment sont traités en fait tous ces handicaps puisque la loi est globale et traite des enfants handicapés en général ?

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Ils sont traités - c'est une bonne question en terme d'organisation du travail -, ils sont traités en principe exactement à égalité. Nous sommes une petite équipe, moi je dirais, je ne dirige pas la Direction, il y a un Directeur Général de l'Enseignement Scolaire qui dirige ce qu'on appelle administrativement un Bureau et qui est en fait une espèce de Service puisque cela comporte plusieurs personnes, mais nous ne sommes pas si nombreux que ça nous sommes une petite dizaine en tout à peine dont trois d'ailleurs ont une tâche qui consiste uniquement à être en contact avec les familles, à répondre au téléphone, aux courriers et aux courriels que les familles et les usagers nous envoient quotidiennement et qui nécessitent pour répondre bien souvent une enquête parce que quand les gens nous écrivent c'est que ils ont un gros problème et qu'ils veulent que ce problème soit réglé et qu'ils n'ont pas trouvé de solution satisfaisante avec leurs interlocuteurs locaux immédiats, c'est en général pour ça qu'ils nous écrivent. Donc oui, les différents types de handicaps normalement sont traités absolument de la même façon, c'est à dire que l'on considère chaque fois les problèmes que ça pose et les solutions que l'on peut y trouver, mais il est évident que, je dirais, il y a des catégories qui nous demandent plus de travail, je ne dis pas qu'elles sont plus importantes mais elles nous demandent plus de travail, parce que tout simplement dans l'histoire elles ont peut-être été moins prises en compte, moins abordées et depuis moins longtemps. Il y en a deux particulièrement qui mobilisent depuis plusieurs mois maintenant la grande majorité de mon temps, c'est justement la surdité et le handicap auditif et puis l'autisme.

D'accord.

Dans deux genres totalement différents, cela n'a rien à voir. Et à l'inverse, par exemple, il y a des types de handicaps comme le handicap visuel ou le handicap moteur simple, la paraplégie par exemple, qui ne nous demandent pas un investissement considérable - on suit cela de près, mais ils ne nous demandent un

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investissement considérable parce que globalement ça se passe bien, c'est des gens organisés depuis très longtemps, ça marche bien, cela peut paraître paradoxal mais globalement en France si vous êtes aveugle vous êtes en moyenne un meilleur élève que si vous ne l'êtes pas. Les enfants aveugles à l'école réussissent mieux que les autres. Il y a très peu d'enfants aveugles à l'école, il y en a très très peu, il y a 12,5 millions d'élèves en France, il y en a 4000 qui sont aveugles, c'est une toute petite quantité, mais il se trouve que les enfants aveugles réussissent en moyenne mieux à l'école. Alors que, à l'inverse, les enfants sourds, en moyenne, réussissent moins bien. Donc ils demandent plus d'attention, plus de travail, plus de sollicitude de notre part.

Et comment l'expliquez-vous ?

Par une raison très simple, et qui est... Alors, il y a un faisceau de raisons. En fait j'ai dit il y a une raison très simple, en fait, il n'y en a pas qu'une, mais toutes se ramènent à un résultat c'est que 'y a rien de plus difficile pour un pédagogue, il n'y a rien de plus difficile, absolument plus difficile pour un pédagogue que d'apprendre à lire à un sourd. C'est la tâche la plus compliquée et la plus difficile qui soit. Certaines situations de handicap mental sont plus faciles à traiter, à aborder d'un point de vue pédagogique pour l'apprentissage de la lecture que la surdité. Donc cela veut dire que pendant des décennies et des décennies les enfants sourds n'ont pas reçu un apprentissage convenable en lecture et dans une société évoluée comme la notre, que ce soit en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne ou autre, une personne qui ne sait pas lire ni écrire a toutes les chances de ne pas s'insérer socialement, d'être exclue.

Ce serait lié à une question de méthode... ?

C'est lié à plusieurs choses. D'abord, il y a un facteur historique : vous avez entendu parler du Congrès de Milan, je n'y reviendrai pas, donc il y a ce phénomène-là, ce

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phénomène-là qui pendant des décennies depuis la fin du XIXème siècle, l'époque triomphante de la morale victorienne jusqu'aux années 70 - c'est à dire après mai 68 en fait, qui là aussi a été un bouleversement, sur cela aussi, il y a eu un rejet du corps et donc de la langue des signes qui est extrêmement corporelle, plus encore pour les signeurs de naissance que pour les entendants, qui deviennent signeurs par apprentissage, parce que, quoi qu'on dise, vous le savez bien, quand on est entendant de naissance quand on apprend la langue des signes comme une seconde langue, c'est comme quand on apprend le chinois ou le japonais, on devient jamais tout à fait à 100% un natif, si je puis dire, on peut devenir très bon - les interprètes eux-mêmes qui ont le diplôme d'interprètes et qui donc sont excellents nous disent qu'un sourd les reconnaît immédiatement au premier coup d'oeil si je puis dire, au sens strict du terme, au premier coup d'oeil, c'est le mot qui convient, parce qu'ils ont un accent, qu'un sourd de naissance n'a pas. Voilà c'est une évidence, c'est comme une langue orale, c'est la même chose. On sait d'ailleurs depuis quelque temps que ce sont les mêmes aires du cerveau qui sont sollicitées. Paradoxalement, cela peut sembler paradoxal, parce que, ce sont les aires de Broca, notamment, les aires temporales droites (gauche ou droite il faudrait vérifier) qui sont sollicitées pour le langage des signes comme pour le langage oral. C'est à dire qu'en fait, il y a dans le cerveau un siège du langage qui est le même siège quel que soit le mode de langage utilisé, la langue utilisée. Après, comment dirais-je, les vecteurs, physiologiques, biologiques que ce soit l'appareil articulo-phonatoire ou que ce soit l'appareil gestuel qui soit utilisé, c'est différent bien sûr mais au niveau du cerveau, c'est la même aire et on sait maintenant qu'il y a des dyslexies et des dysphasies, c'est à dire des enfants - il y en a très peu - des enfants qui, la dyslexie ne paraît qu'avec la lecture, donc laissons de côté la dyslexie mais la dysphasie est un handicap naturel, biologique qui affecte la capacité à s'exprimer oralement. C'est à dire que la personne pense, elle pense très bien, elle est capable de tout comprendre, de comprendre tout ce qu'on lui dit, elle est capable de signer les objets, d'avoir une pensée articulée et cohérente mais dans un certain nombre de cas et parfois dans de très nombreux cas et parfois

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toujours, elle ne parvient pas à mettre les mots sur ce qu'elle pense. Elle pense par concept, elle pense par pensée conceptuelle comme on la définit aujourd'hui mais les mots ne lui viennent pas et lorsque, en revanche, on lui dit quelque chose et qu'on lui dit « oui, bien sûr, c'est cela, c'est ce que je voulais dire », mais les mots ne viennent pas. Or ce type de handicap qui peut être extrêmement invalidant existe aussi chez les sourds signeurs. C'est comme ça qu'on a su, notamment en étudiant certains par le biais de l'IRM, régulièrement le cerveau de certains patients ou de grands accidentés de la route, par exemple, de la route ou d'autre chose, souvent de la route, on a pu découvrir ça. Donc, c'est la même aire cérébrale qui commande le langage quel que soit le vecteur utilisé pour communiquer.

Donc finalement, est-ce qu'il est possible de dire que le problème des sourds, c'est un problème de communication essentiellement ? Un problème de langue ?

Exclusivement, c'est un problème de langue. C'est comme si vous et moi on se trouvait parachutés au milieu de la Mongolie Extérieure sans aucun apprentissage. Eh bien on serait sourd aux gens qui sont en face de nous. Eventuellement on comprendrait un sourire, un regard, une mimique agressive, une claque dans la figure, ça on comprendrait assez facilement je pense, mais tout ça c'est gestuel, c'est visuel. Alors, avec cette différence qui est qu'on aurait un avantage sur les sourds c'est que si on est piloté, parachuté du jour au lendemain en Mongolie Extérieure, eh bien, ne pouvant pas faire autrement, très rapidement, on s'y mettrait et en quelques mois de temps, on finirait par communiquer oralement avec les Mongols. Et donc on apprendrait la langue mongole, qu'on le veuille ou non, parce que c'est ça ou mourir, d'une certaine façon, je prends un exemple un peu extrême mais c'est obligatoire, mais on pourrait apprendre la langue, ça prendrait peut-être plus ou moins de temps, parce qu'il y a des gens plus ou moins doués, bon, on le sait bien, mais en tout cas, on finirait par apprendre la langue, c'est ce que font toutes les personnes qui sont immergées dans une culture extérieure à la leur avec aucune possibilité de parler leur

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propre langue, un jour ou l'autre, elles finissent bien par apprendre la langue dans laquelle elles sont immergées. Tandis qu'un sourd, vous pouvez l'immerger pendant cinquante ans au milieu des entendants, s'il est tout seul malentendant, il n'apprendra jamais la langue des entendants, quelle qu'elle soit, que ce soit l'anglais, le français ou le mongol donc c'est pas, le... et j'en reviens à la question que vous m'avez posée au début, quelles sont les raisons qui expliquent cette difficulté d'apprentissage, - vous savez que plus des 3/4 des adultes sourds en France sont illettrés, en France et en Europe de façon générale, et c'est pas un hasard. C'est parce que, donc, il y a eu ce rejet de tout ce qui était gestuel pendant des décennies et des décennies qui a fait qu'on a considéré les sourds comme étant des personnes qui étaient dans le versant de la déficience, ce qui est une forme de déficience, incontestablement, on peut pas dire que d'être sourd - sourd profond de naissance - personne ne peut dire que c'est, avec tout ce que ce mot peut avoir de respectueux, que c'est normal, parce que le développement humain, c'est pas d'être sourd. La norme humaine, c'est pas d'être sourd. (Excusez-moi : sonnerie portable). La norme humaine, c'est pas d'être sourd. Donc, effectivement, personne ne peut prétendre... donc, je mets beaucoup de guillemets autour de ce mot normal, vous verrez pourquoi tout à l'heure, parce que je reviendrai sur ce concept, mais il n'empêche que bien sûr que ça correspond à une déficience, seulement c'est une déficience, c'est une déficience portant uniquement sur la communication. Pendant de très nombreuses années, on a pensé que les sourds étaient muets. Ce n'est pas vrai, même si cela n'offre pas trop d'intérêt, mais surtout on a pensé que les sourds étaient atteints de déficience intellectuelle et on l'a crû consciencieusement, des médecins ont appris de génération en génération de médecins, ils l'ont appris pendant de très nombreuses années, jusqu'aux années 70 en France. Pourquoi ? D'abord parce que les sourds produisent des sons qui ne se maîtrisent pas toujours, c'est pas parce qu'ils sont sourds qu'ils sont muets, ils produisent des sons, à la fois corporels mais aussi des sons corporels que tout un chacun dans la vie ordinaire a appris à gérer, parce que les règles, le bon usage social fait que il y a des bruits corporels qu'on contrôle

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soi même, qu'on contrôle instinctivement, on n'apprend pas et encore, si, un bébé, un enfant on lui apprend encore une fois à contrôler certains bruits corporels mais de toutes façons, il le voit très bien, il le comprend très bien et quand il s'insère peu à peu dans la société, à l'âge adulte, il maîtrise ses bruits corporels. Un sourd ne les entend pas, comment les maîtriserait-il ? Alors évidemment, par l'intérieur, par les vibrations, il peut le sentir, mais tout ça ça mérite un apprentissage Et puis, surtout, il produit des sons vocaux qu'il n'entend pas et que donc il ne maîtrise pas, la plupart du temps. On peut lui apprendre à les maîtriser, mais spontanément il ne les maîtrise pas. Et dans les temps anciens, je parle de ça, tout au long du XXème siècle, au moins la 1ère moitié du XXème siècle, eh bien ces sons étaient apparentés à l'extérieur ou ressemblaient, entendus de l'extérieur par des gens ordinaires qui ne s'étaient jamais penchés sur la question, qui n'avaient pas réfléchi, qui ne s'étaient pas du tout intéressés à la question, étaient ressentis comme des sons proches de ceux que produisaient par ailleurs, par des arriérés mentaux.

Vous parlez ici des médecins ?

Pas seulement les médecins, l'opinion publique en général. Monsieur Tout le Monde, Monsieur Tout le Monde. Donc il y avait de la part des sourds, pas de la part des sourds, de la part des personnes ordinaires, des personnes entendantes une représentation première, non travaillée, non réfléchie, mais en pensée qui assimilait plus ou moins la surdité à un handicap intellectuel. Et ils ont gardé ce boulet, les sourds, pendant des décennies et des décennies, jusqu'à ce que les gens se mettent à réfléchir, un petit peu. D'une part, y'a eu tout ça, donc on a considéré les sourds comme des personnes déficientes, malades, handicapées, trouvez le mot que vous voulez - avec les époques les mots changent mais les idées restent à peu près les mêmes et on s'est dit...

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Ce sont lesquelles, ces idées justement ? Puisqu'on a affaire à un problème de communication et plus précisément de langue, est ce que l'on peut considérer, est-ce que l'on peut catégoriser les sourds parmi les handicapés, les malades ou éventuellement une minorité linguistique ?

Ah ! Voilà une question ! Voilà une question ! Alors, certains pensent, notamment, certaines associations extrêmement mobilisées, militantes, - et le mot est faible - envers la LSF, pensent qu'il s'agit d'une minorité linguistique. La loi ne dit pas cela. La loi reconnaît la LSF comme une langue à part entière, comme une langue, mais la loi ne se prononce pas sur les sourds, en tant que tels. Tout simplement parce que ce serait anticonstitutionnel de stigmatiser une catégorie de personne. Il est hors de question de stigmatiser ou de disserter sur une catégorie de personne. « Tous les êtres humains... », Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, « naissent et demeurent libres et égaux en droit, etc., etc. y compris les personnes handicapées. Alors, on parle aujourd'hui, non plus tellement... on dit bien sûr dans la vie quotidienne, « une personne handicapée ». Déjà quand on ne dit pas « un

handicapé » c'est déjà très bien, parce qu'il y a encore des gens qui disent « les handicapés », et même au plus haut niveau de l'Etat parfois on entend des gens qui devraient un peu plus surveiller leur langage, je ne vise personne, et qui disent : « les handicapés ».

Parce que les handicapés n'étaient pas considérés comme des personnes ?

Presque pas ! Alors, après on s'est habitués à dire : « les personnes handicapées » ou « les sportifs handicapés » ou « les étudiants handicapés », et puis « les travailleurs handicapés ». Déjà, c'est beaucoup mieux, parce que, c'est une catégorie sociale qui a un handicap. Ca, c'est pas tellement contestable. Aujourd'hui, on a pris l'habitude d'utiliser une autre expression qui consiste à dire : « les personnes en situation de handicap ». Alors, bien sûr, on pourrait dire, on pourrait ricaner en disant : Oh, oui,

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c'est toujours la même chose, c'est comme les techniciens de surface, c'est politiquement correct. Y'a un peu de ça sans doute, y'a un petit peu de ça. Mais pas que ! Parce qu' il y a une différence énorme. Quand on dit « personne en situation de handicap », on insiste sur le mot : « situation », c'est à dire que l'on insiste sur l'environnement, le contexte. Une personne est handicapée, non pas simplement parce qu'elle porte en elle-même une déficience, bien sûr qu'elle porte une déficience, mais c'est en cela que nous, nous ne suivons pas dans leurs idées, certains de ce que l'on appelle un petit peu les « extrémistes », les plus ardents militants de la LSF. Une personne handicapée porte en elle une déficience, incontestablement, mais cette déficience ne suffit, ne peut pas suffire à la caractériser. Ce qui caractérise son handicap, c'est l'articulation de cette déficience et de son environnement. C'est un peu l'histoire... c'est tout à fait le syndrome de Gulliver : Gulliver chez les Géants, Gulliver à Lilliput. Eh bien, d'un côté comme de l'autre, Gulliver est en situation de handicap, parce que, par rapport à nous Gulliver est un homme normal mais (23], mais dans la situation dans laquelle il était plongé, il était pas comme tout le monde et donc il était en situation de handicap parce qu'il ne pouvait pas avoir une vie normale, que ce soit chez les Géants que ce soit à Lilliput, d'un côté comme de l'autre il est en situation de handicap, donc c'était pas... c'est même la métaphore de Gulliver, c'est même la métaphore extrême parce que, lui n'avait pas de déficience d'une certaine façon, mais, en tout cas, c'est tout à fait ça. On est handicapé que par rapport à un environnement, c'est l'articulation entre sa propre déficience et son environnement. Les personnes sourdes qui ne vivraient qu'au milieu d'un monde de sourds ne seraient pas handicapées, puis qu'il n'y aurait pas de communication verbale, il n'y aurait que de la communication gestuelle. Elles ne seraient plus handicapées. Donc, pendant les cinquante, soixante premières années du XXème siècle, disons, depuis la fin du XIXème, alors que si on remonte beaucoup plus loin en avant l'abbé de l'Epée avait fait des choses formidables pour la langue des signes et puis c'était tombé en désuétude , complètement, ça avait été abandonné, on a dit les personnes sourdes, les enfants sourds sont des personnes déficientes qu'il va

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falloir, donc, rééduquer et on a dit, il faut les « démutiser », un mot absolument barbare, les démutiser, c'est à dire les rendre « non-muet », donc, leur apprendre à parler, et leur apprendre à parler, c'est leur apprendre à produire un langage oral articulé à partir de sons qu'ils n'entendent pas, en utilisant des sons qu'ils n'entendent pas. Quand on y réfléchit, c'est pas loin de la mission impossible, c'est pas loin de la mission impossible ! Parce que, certes, la pensée est là, et la pensée peut être brillante, elle peut être parfaitement articulée, mais, il faut pour arriver à faire ça, il faut deux, il faut réunir deux conditions : la première, c'est la réception du message de l'autre et la seconde c'est la production d'un message, l'émission du message - c'est la sémiologie de base... La réception du message, pour un sourd, elle ne peut se faire que par la lecture labiale, elle ne peut se faire, si il n'y a pas de geste, que par la lecture labiale, or la lecture labiale est tout à fait approximative, si bonne soit elle, elle est, de toutes façons, toujours approximative, c'est pour ça qu'on a inventé le LPC d'ailleurs, le LPC qui comme vous le savez n'est pas une langue, c'est simplement un soutien gestuel pour la lecture labiale, c'est tout, c'est une sorte de façon de souligner ce qu'on a appelé les synonymes labiaux. Il y a des sons qui sont utilisés avec les mouvements de lèvres et de langue qui sont à peu près semblables et donc, du coup, la personne qui se contente de lire sur les lèvres peut faire de la confusion et donc la lecture labiale, quel que soit l'apprentissage que vous conduisez vers un enfant sera toujours... c'est jamais du 100%. Même avec le codage LPC, avec le codage LPC on s'approche du 98, 99 %, avec un bon codeur. Mais, seul, c'est jamais du 100%. Eh donc c'est toujours approximatif et ça induit de nombreuses incompréhensions, ce qu'on appelle en langage familier et vulgaire un dialogue de sourd ! Cette expression a un sens très fort et elle dit bien ce qu'elle veut dire. Et, ça c'était pour la compréhension. Et pour l'émission du message on a donc voulu apprendre aux enfants et cela a duré pendant de très nombreuses années, on a voulu leur apprendre à produire un message sonore correspondant au nôtre, avec, donc, un apprentissage forcé de la production sonore, mais qu'ils ne maîtrisent pas, puisqu'ils ne l'entendent pas ! Et quand vous entendez un sourd qui parle et il y a des sourds qui parlent très

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bien, j'en connais quelques uns, très peu, très très peu, parce que c'est très difficile objectivement, il faut être vraiment quelqu'un d'extrêmement brillant, avec un encadrement de qualité et de proximité permanent, avec un soutien orthophonique quotidien, je dis bien quotidien pour arriver à être un bon oraliste. Donc, c'est très difficile, et comme c'est très difficile, il y a beaucoup d'échecs, parce que tout le monde n'a pas la chance d'avoir autour de soi ce qu'il faut pour, parce que tout le monde n'a pas la volonté, parce que les enfants, les sourds sont comme les autres, ils sont plus ou moins intelligents, comme tout le monde, donc l'apprentissage de l'oralisme est extrêmement difficile et n'offre que peu de chances de réussite. Et donc du coup, on « surhandicape » la personne sourde d'une certaine façon en l'obligeant à s'inscrire dans un échange de communication dont il ne maîtrise ni vraiment la réception ni vraiment l'émission. En plus c'est extrêmement fatigant, ça nécessite une mobilisation intellectuelle d'une très grande intensité et une personne sourde ne peut pas suivre une conversation... si vous étiez sourde et que vous soyez lectrice labiale, tout ce que je vous dis là, vous auriez décroché parce que ça demande..., c'est trop intense et c'est extrêmement fatigant, cela demande une concentration intellectuelle considérable. Et chez un petit enfant de trois, quatre, cinq ans, ils sont comme les autres, on ne peut pas leur demander plus que ce qu'ils peuvent donner. Et donc, du coup, tout ça vous explique qu'il y a eu énormément d'échecs, énormément d'échecs, et donc, les enfants, en plus la-dessus, vous ajoutez le fait que beaucoup d'enfants sourds, 92% d'enfants sourds naissent de parents entendants, les parents entendants quand ils découvrent qu'ils ont un enfant sourd, leur premier réflexe, un peu aujourd'hui, mais il y a encore quelques années en arrière, leur idée, c'était pas de penser à tous ces problèmes linguistiques, philosophiques, etc., c'était de se dire, mais non d'une pipe comment je vais faire avec cet enfant, comment je vais communiquer avec lui, on a vu, alors, des cas extrêmes, comme toujours, bien sûr, et minoritaires, peu nombreux, marginaux mais on a vu des parents rejeter leur enfant, parce qu'ils ont le sentiment d'être incapables de communiquer avec lui. On a vu des enfants sourds acquérir une sorte d'autisme secondaire uniquement dû à l'absence

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de communication avec la mère, uniquement dû à l'absence de communication avec la maman principalement.

Alors si on veut trouver une solution, comme vous le disiez, pour que les sourds puissent acquérir la lecture et puis surtout pour pallier à cet illettrisme, quelles pourraient être les solutions puisque vous nous expliquiez en fait que l'oralisme, c'est pas une réussite garantie. Aujourd'hui, quelles sont les méthodes pour acquérir la lecture pour un sourd ?

Eh bien, il n'y a pas de panacée, malheureusement ! Il n'y a pas de panacée. L'oralisme, comme vous avez bien résumé le sujet, n'est pas une réussite garantie, mais je ne voudrais pas donner l'impression que l'oralisme c'est le diable après avoir été le bon dieu. Il ne s'agit pas de dire aujourd'hui, pendant tant d'années les personnes qui s'occupaient des sourds ont eu tendance à répéter que la LSF, il fallait la diaboliser et que la seule solution passait par l'oralisme, on va pas aujourd'hui tenir un propos strictement symétrique. Ca serait aussi ridicule. Ce que nous disons, et ce n'est pas moi qui le dis, c'est un constat, les enfants qui ont eu la chance de pouvoir s'initier, notamment les enfants sourds de parents sourds, les quelques enfants sourds de parents sourds pour qui la LSF était une langue maternelle, naturelle, spontanée, pour peu qu'ils aient eu la chance de rencontrer des enseignants compétents sont entrés dans la lecture avec à peu près pas plus de difficultés que les enfants ordinaires. Donc, la solution c'est pour l'apprentissage de la lecture, c'est construire une méthode d'apprentissage de la lecture adaptée à ce mode de connexion particulier, à cette langue particulière qu'est la LSF. C'est à dire, non pas fondée sur le code de correspondance « phonème-graphème » mais fondé sur autre chose. Comment apprend-t-on à lire en France depuis toujours, j'ai envie de dire, toujours, depuis...Platon. On apprend à lire en faisant « b-a ba », « p-a pa », « r-a ra », quoi qu'en ait dit certains de nos ministres précédents, quoi que puissent en dire certains cercles d'intellocrates parisiens, la méthode globale n'a jamais existé en

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France, jamais, n'a jamais été utilisée nulle part et tous les enfants de France apprennent avec une méthode syllabique et ont toujours appris avec une méthode syllabique, tout le reste n'est qu'agitation médiatico-politique. Et un enfant ordinaire, à l'école, il apprend en faisant « p-a pa », « r-a ra », alors après on met tout un tas de fioritures autour, parce qu'il faut rendre la chose motivante, parce que la lecture c'est pas seulement... si on ne fait que ça, c'est de la mécanique, la lecture c'est pas seulement de la mécanique, la lecture c'est d'abord de l'intelligence, c'est de l'accès au sens, c'est l'accès à la beauté d'un texte, c'est l'accès à un univers, c'est, c'est l'accès au message donc la mécanique est au service de l'accès au message, on est bien d'accord là-dessus. Mais n'empêche que, à un moment, il faut passer par la mécanique. Une mauvaise image, je pourrais dire qu'on peut toujours rêver à faire des voyages, si on se contente de voyager à pied, on n'ira pas bien loin. Donc, la mécanique de la lecture n'est qu'un moyen d'accès au sens, c'est entendu, mais c'est un moyen absolument indispensable, or, le code de correspondance phonème-graphème, ce qu'on appelle le code de correspondance phonème-graphème qui veut dire « p-a pa », eh bien pour les sourds, il n'a aucun sens ! Puisqu'il en manque la moitié. Il n'a absolument aucun sens. Donc, il faut trouver une autre méthode d'analyse et de synthèse de l'univers écrit et cette autre méthode passe nécessairement, là pour le coup, par, d'une part, en premier lieu un apprentissage long et massif global, de lecture globale -alors, effectivement, chez les sourds, c'est le seul cas de figure où on peut prôner la lecture globale pour commencer, c'est à dire que les enfants sourds, il faut leur apprendre des quantités de mots, en correspondance « graphie - image » et la correspondance « graphie - image » permet d'accéder au concept. Si vous dessinez une table et qu'à côté vous écrivez le mot table, à force de voir ensemble les deux choses, l'enfant - je simplifie à l'extrême - l'enfant va comprendre que ce signe qu'il voit, cet ensemble de tracés qu'il voit sur le papier cela correspond à une table et ainsi de suite... Alors, évidemment, cette méthode a ses limites, parce qu'elle ne peut concerner que les objets concrets, simples et concrets - table, chaise, maison, voiture, papa, maman, ce que vous voulez - et si

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vous voulez lui faire lire le mot « aimer », ça va être compliqué avec un simple dessin.

Donc il faut aussi qu'il ait un support linguistique - je pense là notamment à la langue des signes pour pouvoir exprimer aussi ce qu'il voit, pour démontrer justement...

Alors justement, à partir de la base globale que l'enfant aura acquise, on va travailler sur l'alphabétisation, c'est à dire que l'on va passer à l'apprentissage des syllabes et des lettres. Et l'enfant sourd, même s'il ne peut pas les prononcer peut parfaitement comprendre comment s'opère le découpage d'un mot en syllabe et peut parfaitement comprendre qu'il y a 26 lettres et que ces lettres s'organisent ensemble pour former des mots, pour former des syllabes et puis des mots, ça il peut parfaitement comprendre. Il ne sait pas quel bruit cela fait, c'est entendu ( !), mais il peut parfaitement comprendre, vous connaissez peut-être le fameux triangle didactique de la prise de la lecture, c'est le sens, le signe et le son. Bien, si on enlève le son, il reste le sens et le signe. Or, on peut attribuer un signe à un sens et un sens à un signe. Donc, c'est comme ça qu'on procède, et puis peu à peu, l'enfant va arriver à décomposer tout les mots pour finir par comprendre et retenir les signes qui font l'écrit, les 26 lettres, plus la ponctuation, plus la différence, minuscule, majuscule, enfin, quelque chose comme ça et à partir de là, on va lui apprendre à les recombiner et c'est par aller-retour permanent, par découverte du sens qu'il va pouvoir comprendre un mot, c'est à dire que une méthode de lecture idéale pour un élève sourd, ça consiste à lui faire découvrir un mot par le sens dans un contexte et ensuite réutiliser ce mot dans un autre contexte.

Alors comment le réutilise-t-il, justement ? Par l'écrit ?

Par l'écrit ! Forcément par l'écrit. Mais alors, la langue des signes est le vecteur de communication entre le maître et l'élève, parce qu'il faut bien qu'ils communiquent

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d'une manière ou d'une autre le maître et l'enfant dans cette situation là, donc ils communiquent par le signe, par la langue des signes je veux dire, de la même façon que quand un maître de CP, une maîtresse de CP apprend à lire à ses élèves, elle leur parle en français ou en anglais ou en allemand si c'est en Angleterre ou en Allemagne. Dans ce cas-là la langue c'est le vecteur de communication qui permet de travailler sur l'objet d'apprentissage qui est le code écrit. Alors bien sûr qu'un enfant sourd va devoir accéder au code écrit, simplement il va devoir accéder au code écrit sans passer par la phonologie, du tout ou alors, mais j'y reviendrai après... Donc s'il ne passe pas par la phonologie, cela veut dire qu'il ne peut passer que par le sens et par les lettres. Il apprend la dactylologie - vous savez qu'il y a 26 signes gestuels qui correspondent aux 26 lettres, et puis il y a aussi des virgules, les points, et quelques bricoles de ce genre qui sont utiles et nécessaires pour les enfants et à partir de là, peu à peu, alors c'est plus long, c'est plus long, incontestablement, si brillant soit-il un enfant sourd peut ne pas savoir lire à 6 ans 1/2. Il faut du temps, il faut du temps. En général, on considère qu'il est normal, normal d'observer entre un et deux ans de décalage avec un enfant ordinaire à intelligence égale pour un bon apprentissage de la lecture.

D'accord. Vous parliez d'une alternative...

Alors, l'alternative qui a été utilisée pendant de très nombreuses années dans tous nos pays, enfin surtout en France, plus encore qu'ailleurs, en Italie aussi, c'est de passer par la voie orale. C'est à dire que comme je le disais tout à l'heure on

« démutise » les enfants - on les oblige à oraliser et ensuite on essaie de leur apprendre le code de correspondance « phonème-graphème », le même que vous et moi on a étudié, quand on étaient petits. Mais ça ne marche pas ! Et c'est pour ça qu'il y a 75% d'échec. Chez les enfants ordinaires il y a entre 5 et 8 % d'échec pour l'apprentissage de la lecture, chez les enfants sourds, il y a 75 %. Pourquoi ? Parce que quand on essaie de faire apprendre le code de correspondance « phonème-

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graphème », c'est à dire le « b-a ba » dont je parlais tout à l'heure à un enfant sourd, eh bien, même si on lui a appris à oraliser, ça ne marche pas. Dans 3 cas sur 4, ça ne marche pas. Et pour autant je ne suis pas en train de dire qu'il faut bannir ou oublier, évacuer dans les poubelles de l'Histoire - et j'utilise le mot poubelle à dessein parce que certains l'utilisent - l'oralisme, parce que l'oralisme est utile pour un enfant qui en grandissant va devoir s'insérer dans une société faite d'entendants et dont les 9/10èmes ne maîtriseront jamais la langue des signes et il faut donc bien qu'il communique avec ses concitoyens. Eventuellement il peut avoir des amis entendants, souvent d'ailleurs les amis entendants se mettent à signer mais pas tous. Et s'il est sourd lui-même un jour il aura un travail, un emploi, je veux dire, faut pas rêver, dans son emploi, il n'aura pas un interprète à côté de lui, pour parler avec ses collègues ou avec son patron. Donc il faut bien que, aussi - c'est une double charge de travail quelque part - il faut bien qu'il apprenne aussi à communiquer avec le monde entendant. Et la communication avec le monde entendant, qu'on le veuille ou non aujourd'hui, la seule dont on dispose réellement c'est l'oralisme. Mais ce que nous disons avec certitude, c'est que autant l'oralisme est quelque chose qui est sans doute - j'allais dire presque un mal nécessaire, c'est presque exagéré mais pas tout à fait, mais en tout cas nécessaire parallèlement à la langue des signes, c'est à dire que l'idéal pour un enfant c'est d'être trilingue, c'est de connaître la langue des signes, le français oral et de connaître le français écrit. Ca c'est merveilleux. Il peut tout connaître. On en est loin aujourd'hui pour tous les enfants sourds de France, on en est très loin, mais c'est ce vers quoi on essaie d'aller. Mais en tout cas, pour l'apprentissage de l'écrit, on sait que l'oralisme c'est pas la bonne voie. Il faut donc développer un apprentissage fondé sur la LSF. Alors, qu'est ce qu'on a fait pour ça ? Eh bien on a essayé de s'organiser peu à peu à l'Education Nationale. On a fait plusieurs choses à la fois, parce que la loi d'abord nous y oblige, formellement, la loi a reconnu la langue des signes comme langue à part entière, donc à partir de là elle devient une discipline scolaire d'enseignement, point. En plus la loi va plus loin, elle dit que les élèves concernés peuvent, doivent pouvoir recevoir un enseignement de

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LSF et que c'est une langue et que c'est leur langue. Donc, du coup, il nous faut, nous, organiser un enseignement de la LSF. On est obligé de le faire, pour les élèves concernés. Alors qu'est-ce qu'un élève concerné ? Eh bien c'est un élève dont les parents ont fait le choix du bilinguisme, ce que nous appelons le bilinguisme, c'est le français LSF.

Alors, français, écrit-oral ?

Nous l'avons défini comme étant la LSF plus le français écrit. Nous avons à priori exclu l'oral, non, pas exclu l'oral, mais nous l'avons pas introduit dans la définition du bilinguisme, la loi ne nous dit pas ce qu'est le bilinguisme et le Conseil d'Etat ne s'est pas prononcé. Le Conseil d'Etat a été interrogé là-dessus, il a considéré que ce n'était pas une notion juridique, et qu'il n'avait pas à se prononcer sur ce qu'était le bilinguisme. Donc, nous avons, nous décidé à l'Education Nationale après de très nombreux travaux avec des experts de tous ordres, nous avons décidé que le bilinguisme c'était la LSF et le français écrit pleinement, l'oral, c'est la formule aujourd'hui consacrée étant donné par surcroît.

Par qui ?

Par la famille essentiellement, par les orthophonistes, par les orthophonistes. Et donc, dans notre projet, nous n'enseignons pas l'oral à l'école aux enfants sourds. On peut utiliser l'oral, si l'enfant le maîtrise, mais cela n'est pas un objet d'enseignement, et encore moins, alors là c'est clair et net, on a proscrit toute évaluation, toute notation à l'oral. En revanche, la LSF sera évaluée, c'est un apprentissage, comme un autre. Alors, pour pouvoir apprendre ce qu'il faut apprendre à l'école, c'est à dire lire écrire, compter - les maths, l'histoire, la géo, les sciences, etc, etc., etc., il faut bien un vecteur de communication et c'est la raison pour laquelle nous avons l'obligation d'organiser un enseignement DE la LSF et puis l'enseignement EN LSF. Mais pour que l'enseignement EN LSF fonctionne, c'est comme en français, il faut un

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enseignement de la LSF correct. Parce qu'on ne peut pas enseigner EN à quelqu'un qui ne maîtrise pas. Aller enseigner les maths en anglais à quelqu'un qui ne parle pas un mot d'anglais, vous ne pourrez pas lui enseigner les maths, aussi brillant soit il en mathématiques. C'est pareil pour la LSF. Donc, il faut, il faut conduire parallèlement les deux. Et c'est très compliqué, bien sûr. Et nous n'avons pas des professionnels pour ce faire. Nous avons procédé selon une méthode qu'on pourrait presque qualifier de façon imagée et burlesque de charge de la brigade légère, c'est à dire qu'on a mis en place un dispositif, on a donné aux recteurs et aux académies des obligations de résultat, on a conçu des programmes scolaires d'enseignement de la LSF, on a organisé une épreuve facultative au Bac pour la LSF et bientôt d'autres examens scolaires et tout ça sans avoir le moindre professeur pour l'enseigner. Donc autrement dit, on a donné des objectifs, on a donné des cibles, on a donné des consignes et on n'a pas la ressource pour le faire.

Et les professeurs CAPEJS ? Qui sont eux... enfin qui ne relèvent pas du même ministère.

Cela ça n'a aucune importance.

Qui relèvent des Affaires sociales, est-ce que ça peut pas justement être...

Bien sûr que ça peut nous aider !

...Un renfort pour l'Education Nationale ?

Mais bien entendu. Alors vous touchez du doigt un problème sensible, à plusieurs titres, sensible entre les ministères, parce que pendant très longtemps, le Ministère des Affaires Sociales a souhaité que les professeurs CAPEJS soient intégrés à l'Education Nationale, ce qui n'a pas été fait. Qui n'est pas à l'ordre du jour...

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Ca date de quand ? Est-ce que cela peut être lié avec la loi de 1991 qui reconnaissait déjà le bilinguisme ?

Ca date de 1978.

D'accord.

Cela date de 1978, cela date de 78, parce qu'en 78 pour des raisons qui seraient trop longues à expliquer ici, on a décidé d'intégrer dans l'Education Nationale, tout, allez, on va dire ce qu'on appelait dans le temps l'éducateur spécialisé, l'éducateur technique spécialisé qui enseignait dans des établissements médico-sociaux à des enfants handicapés mentaux, moteurs, etc., et aveugles, non, pas aveugles justement ; et on a laissé de côté les professeurs qui enseignaient aux sourds et aux aveugles. Et depuis cette époque là, plus ou moins, ils réclamaient leur intégration dans l'Education Nationale. Ce qui ne leur a jamais été accordé. Pour des raisons que je ne m'explique pas bien, c'était bien avant que j'arrive, de toutes façons, ce sont des décisions politiques qui ne me passionnent pas, nous sommes dans la sphère administrative et puis locale, nous ne sommes pas dans le politique. Depuis la loi de 2005, la question a été remise sur le tapis et la réponse a toujours été la même, non ! Pas d'intégration ! Mais c'est pas le problème majeur parce que les professeurs CAPEJS sont des professeurs diplômés, certifiés, qui reçoivent une vraie formation, ce sont des enseignants, tout ce qu'il y a de compétent sur le plan pédagogique et qui méritent autant de respect que nos professeurs à nous. Certains d'entre eux sont spécialisés en LSF, d'autres en LPC, d'autres ni l'un ni l'autre et puis il y a des professeurs pour les aveugles également. Mais nous n'en parlons pas de ceux-là. Pourquoi, pour le moment les professeurs CAPEJS n'ont pas été plus sollicités. Alors, il y a des raisons à la fois administratives et financières et il y a des raisons idéologiques. Les raisons administratives, c'est le fait que, la République Française étant ce qu'elle est, quand on est dans un ministère et qu'on veut aller dans un autre

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ministère, c'est la croix et la bannière. C'est bien plus facile d'aller travailler dans le privé quand vous venez d'un ministère que de changer de ministère. Donc les détachements d'un ministère à l'autre sont extrêmement compliqués, cela s'améliore un peu mais pas beaucoup et tout ça est très filiarisé et très verticalisé ce qui fait qu'il n'y a pas d'habitude d'avoir recours aux professeurs CAPEJS. Ca ça peut changer, une habitude ça ce change. Encore faut-il des impulsions. Et puis il y a des problèmes de rémunération. En moyenne les professeurs CAPEJS sont mieux payés que nos profs à nous. Donc il fallait aussi trouver une solution qui n'a jamais été trouvée réellement, soit qu'on a jamais cherchée, soit pour permettre aux professeurs CAPEJS de garder leur rémunération, pourquoi les payer moins sous prétexte qu'ils passeraient chez nous ou alors permettre aux nôtres d'être payés un petit peu plus. Tout ça n'a jamais véritablement été abordé de front, considéré sans doute comme trop compliqué par... la sphère politique. Et puis il y a une raison idéologique qui est bien plus importante encore, c'est que les tenants de la LSF et certaines associations, nombreuses en France, considèrent que les professeurs CAPEJS sont de très mauvais signeurs et pas capables d'enseigner la LSF. Et donc ils ne veulent pas que leurs enfants, en milieu scolaire, soient enseignés par des professeurs CAPEJS et donc pour éviter des incidents diplomatiques, on a évité d'y avoir recours. Mais ça viendra un jour, ça viendra, parce que, je vous disais tout à l'heure que nous avions organisé un système qui consiste à dire voilà : dans toutes les académies, il y aura des pôles ressource - c'est une des raisons de mes déplacements en province, les plus fréquentes actuellement, je me déplace en moyenne bien au moins une fois par semaine, les 3/4 de mes déplacements sont autour de la LSF. Nous avons organisé des pôles ressource - je vous donnerai la référence du texte officiel, vous allez voir sur le B.O. (Bulletin Officiel) - je pense que vous la lirez avec intérêt compte tenu de tout ce que je vous ai dit. Donc vous demandez aux recteurs d'organiser des centres, des lieux, dans lesquels un enfant qui entre à la maternelle dont les parents ont fait le choix bilingue, uniquement, puisse se voir offrir un parcours de formation bilingue jusqu'au Bac. Bien sûr aujourd'hui, il n'y en a pas mais un jour cela viendra et on leur

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dit voilà, il faut que cela soit fait de telle sorte que, modulons les questions de transport, les enfants, les familles qui font ce choix puissent avoir un pôle ressource à une distance raisonnable de chez eux, c'est à dire qui leur permette, qui permette à l'enfant de rentrer en taxi à la maison, tous les soirs. On ne souhaite pas imposer l'internat aux familles, quoi que, en province, il y a énormément d'enfants, vous le savez bien, et d'adolescents notamment qui vont au collège en internat. Enfin, bon... Seulement, la question qui s'est posée, c'est qui va assurer cet enseignement ? Pour l'instant, on n'a pas. Et comme on n'a pas, on a dit, soit, on va embaucher par contrat sous format contractuel, donc pour un certain temps, en CDD, des gens qui sont eux-mêmes signeurs, des bons signeurs. Evidemment, on préfère embaucher des entendants, alors ça plaît pas aux associations de personnes sourdes ! Pourquoi on préfère embaucher des entendants ? Parce que si l'on embauche quelqu'un qui est totalement bilingue et qui peut travailler en effet avec les enfants sourds mais qui entend comme vous et moi, eh bien il peut s'insérer plus facilement dans une équipe de professionnels dans une école ou un collège. Tandis que sinon il nous faut un interprète en plus. Cela devient très compliqué. Ou alors il faut que lui-même, il oralise, et c'est très lourd ! Nous avons des professeurs sourds, contractuels, nous en avons dans différents établissements mais ce sont des gens à qui on demande, comment dire, à qui on demande, en permanence, un effort double de leurs collègues, parce qu'on leur demande d'enseigner leur discipline, c'est à dire la LSF, bon, ça d'accord c'est facile pour eux - on vérifie quand même que ce sont des bons signeurs, premièrement et puis on vérifie aussi qu'ils ont une bonne relation pédagogique, un bon sens pédagogique, on leur donne des conseils, c'est pas le plus compliqué, mais il faut aussi qu'ils puissent échanger avec les parents - ils sont pas toujours signeurs, faut qu'ils puissent communiquer avec les autres profs de l'établissement - aucun n'est signeur pratiquement, il faut qu'ils puissent communiquer avec le chef d'établissement, avec l'administration, donc, qu'est-ce qu'ils font, tous ceux que nous avons - on n'en a pas beaucoup, on doit en avoir une petite dizaine, actuellement, ben qu'est-ce qu'ils font, eh bien ils oralisent, tout

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simplement, parce qu'ils n'ont pas d'autre moyen. Ils sont tellement contents de travailler... d'abord de travailler premièrement, pour les sourds déjà, c'est un objectif social important en soi, tous les sourds n'ont pas accès à l'emploi, donc déjà travailler, de gagner leur vie. Et puis pour remplir une mission qui évidemment est une mission qui est pour eux et surtout pour nous, extrêmement noble, extrêmement importante qui est d'enseigner la LSF à nos enfants sourds, donc, ils considèrent que c'est suffisamment important pour se donner à eux-mêmes, en quelque sorte, la peine de communiquer en oralisant avec les autres. Cela dit, il est clair que c'est un peu plus facile quand la personne est elle-même entendante. Mais certains nous disent attention, attention, vos entendants, si bons soient-ils, ils ne seront jamais capables d'être aussi bons qu'un sourd.

Qui vous dit ça ?

Les associations, certaines associations de parents d'enfants sourds. Et certaines associations de promotion de la LSF. Parfois animées par des sourds mais pas seulement, par des sourds et également par des entendants. Donc, les professeurs CAPEJS, pour en revenir à votre question sont des personnes qui un jour ou l'autre ont vocation à venir enseigner la LSF chez nous, alors cela pose aussi des problèmes administratifs parce que, si, en admettant, un professeur CAPEJS veut faire, je ne sais pas, 20 heures de cours par semaine, j'en sais rien, c'est un chiffre, admettons, si on lui demande de venir en faire 10 chez nous, eh bien cela va faire 10 de moins qu'il va faire dans l'établissement où il travaillait avant. Donc ça va être très coûteux pour l'établissement, il va falloir qu'ils embauchent d'autres professeurs, donc il va falloir qu'il y ait compensation financière, tout cela est très compliqué à mettre en oeuvre. Jusqu'à présent cela ne s'est pas mis en oeuvre, à cause de ces complexités là. Mais à partir du moment où on a lancé le déclic où on a donné le déclic de départ en disant, si vous voulez, en disant aux Académies, il faut le faire, eh bien il va bien falloir qu'ils trouvent un moyen et le moyen, l'un des moyens aujourd'hui les plus simples

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et les plus rapides, les plus efficaces, les plus performants, c'est d'utiliser les profs CAPEJS. Donc, cela va venir, peu à peu.

Parce que, les profs CAPEJS sont déjà au sein de l'Education Nationale, concrètement, c'est à dire qu'ils animent aujourd'hui, ils enseignent aux côtés d'instituteurs,...

Oh ! Pas tous, pas tous !

Il semblerait que les établissements spécialisés, les instituts se vident aujourd'hui avec justement la loi de 2005 qui incite à l'intégration...

C'est vrai.

... individuelle.

Alors, c'est pas tout à fait comme ça que ça se passe, c'est à dire que les instituts aujourd'hui ont eu tendance à externaliser leur propre formation et au lieu de les garder dans les murs, de les implanter dans les établissements scolaires ; et c'est la raison pour laquelle, effectivement, les professeurs CAPEJS, au quotidien, travaillent au sein des établissements scolaires, ça c'est vrai, c'est vrai, mais c'est pas tout à fait la même chose que les pôles ressource qu'on a imaginés parce que, encore une fois, le professeur CAPEJS, il enseigne l'histoire ou la géographie, son métier c'est d'enseigner l'histoire ou la géographie, c'est pas d'enseigner la LSF ! Et la LSF n'était pas une discipline d'enseignement. Et il enseigne l'histoire ou la géographie, la plupart du temps, par la voie oraliste. Rares sont les professeurs CAPEJS qui signent. D'après nos collègues des Affaires Sociales, ce sont des gens avec qui on travaille énormément, forcément, nécessairement, nous, moi, dans nos bureaux, ce sont pratiquement nos premiers partenaires, ce sont nos premiers partenaires, nos collègues des Affaires Sociales, ils estiment, eux, parce que c'est leur domaine, et je

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les crois, bien entendu, qu'il n'y a pas plus de 15% des professeurs CAPEJS qui signent réellement. Et certaines associations de personnes sourdes considèrent que des professeurs CAPEJS qui se disent signeurs sont de mauvais signeurs. Il est évident que ce n'est pas moi qui vais aller trancher dans ce conflit, je ne me permettrai pas d'aller évaluer le niveau de LSF d'un professeur quelconque de CAPEJS, je n'en ai pas la compétence et même si j'avais la compétence, je n'en aurais pas l'intention. Mais donc on est obligé de tenir compte de tous ces points de vue. Donc pour le moment, ça commence tout juste mais peu à peu cela va se développer, en quelque sorte on a dit au système éducatif - on a fait l'inverse de ce qu'on fait toujours - on n'a pas dit on va construire d'abord des ressources et des moyens et puis après on va se fixer des objectifs on va mettre tout ça en place, on a fait l'inverse. On a fait l'inverse, on a fixé des objectifs et des dispositifs, on a dit aux gens maintenant il faut travailler sur les moyens.

Alors, justement, au sein de votre Direction, quels sont les moyens qui sont engagés et quelles conséquences a eu cette loi de 2005, est-ce qu'il y a eu des formations de lancées, est-ce à vous de lancer ces formations pour les professeurs à l'attention des élèves sourds ?

Des formations de profs ?

Oui.

Y'en a, ça se développe. Pas encore énormément mais y'en a. Alors nous avons d'abord, des diplômes spécialisés qui sont des diplômes il faut bien le dire essentiellement pédagogiques, je veux dire, à connotation principalement pédagogique dans lesquels, - peu importe comment on appelle ces diplômes-là, on les appelle les CAPA-SH - c'est un peu compliqué comme terminologie et le sens exact de ce sigle n'a pas très grand intérêt pour vous, je pense, CAPA-SH dans le 1er degré, 2 CA-SH dans le 2nd degré, enfin peu importe, ce sont des formations un peu

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lourdes qui durent un an, quand même, et qui sont données à des professeurs déjà titulaires. Ce sont des formations essentiellement pédagogiques, en quelque sorte, de spécialisation pédagogique, mais ils reçoivent quand même une initiation à la LSF, mais ça n'est qu'une initiation, il y a 50 heures de cours sur un an, qu'est ce que c'est que 50 heures, ça permet tout juste à un débutant de balbutier, d'entrer en communication, j'allais dire la communication primaire pour les choses toutes simples : « viens ici, viens là, sors, c'est l'heure de la récré, comment tu t'appelles, moi je m'appelle untel, enfin bon ! Ca suffit pas pour enseigner, ça suffit pour entrer en communication mais ça suffit pas pour enseigner. Cela dit, la plupart des professeurs qui ont reçu cet enseignement ensuite poursuivent, c'est à dire, qu'ils s'inscrivent à des formations que nous proposons qui sont des formations complémentaires, de perfectionnement. On estime qu'après 300 heures, ils peuvent devenir suffisamment bons signeurs, pour enseigner en LSF, pas pour enseigner la LSF ! Parce que pour enseigner la LSF. Pour enseigner en LSF, on pense que 300 heures, c'est suffisant. Et l'expérience montre que c'est le cas. Et donc, un certain nombre de ces professeurs-là, qui sont encore peu nombreux, je vous l'accorde, on les compte sur la France entière, par dizaine ou par centaine, pas par milliers, un certain nombre de ces professeurs-là donc s'inscrivent à des formations complémentaires, au fil des années et deviennent de bons signeurs. Pas suffisant, pour être des experts linguistiques, mais assez pour communiquer à l'aise avec des enfants. Alors souvent, d'ailleurs, les enfants rigolent en disant : « oui, oui - quand on les interroge de façon anonyme et très finement, on fait des enquêtes, il y en a eu de faites - les enfants disent « oui, oui, ce professeur il est super sympa, mais bon, je signe mieux que lui, c'est pas grave, on se comprend ! C'est très fréquent, c'est très fréquent et les profs le savent et ils apprennent beaucoup de leurs élèves, d'ailleurs, parce que finalement c'est en forgeant qu'on devient forgeron et le prof qu'a eu le pied à l'étrier, qu'a reçu une première formation qui lui a permis d'entrer avec ses élèves en communication peu à peu avec ses élèves, et il apprend avec ses élèves, il s'améliore, parce que un adulte s'améliore plus vite qu'un enfant, quoi qu'on dise, quoi qu'on dise, un enfant

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a beaucoup de mémoire, mais il faut des situations d'apprentissage très longues. Un adulte qui est motivé, il apprend très vite. Donc peu à peu, enfin, vous le savez bien, il s'exerce au quotidien et puis il fait des inférences, il tire des conclusions, il établit ses propres lois, ce qu'un enfant ne sait pas faire, et ensuite, il sait comment s'exercer, les exercices qu'il doit généraliser, là où il doit faire des progrès, il est son « auto-apprentisseur », si je puis dire, - c'est pas très français ce que je viens de dire mais enfin bon, on comprend -, ce qu'un enfant tout seul ne peut pas faire, ne peut pas faire. Donc nos enseignants, finalement, s'améliorent. Et puis, alors là c'est la cerise sur le gâteau, nous sommes en train de créer un diplôme, qui n'existe pas encore, j'insiste bien sur ce point, mais le ministre l'a annoncé pour 2010, c'est pour ça que je me permets de le répéter qui sera le CAPES de LSF, comme il existe des CAPES d'histoire, de sciences, de maths, de lettres, d'anglais, d'allemand, etc., etc. Il y aura un CAPES de LSF. La première promotion, le premier concours sera organisé en juin 2010.

D'accord. Les sourds pourront y accéder ?

Oui. Tout à fait. Et c'est là une grande première dont nous sommes assez fiers, c'est que pour la première fois les sourds pourront accéder à un concours de recrutement d'enseignants de l'Education Nationale, dans une discipline qui est la leur, c'est à dire la LSF, mais alors attention, ce concours, il faudra pas le donner dans une pochette surprise, c'est à dire que ça sera un vrai concours, il y a un vrai programme à ce concours. D'abord il faudra évidemment savoir lire et écrire le français très correctement, sinon, on ne devient pas professeur de l'Education Nationale, si on ne sait pas lire et écrire correctement le français. Toujours pareil, nos associations de personnes sourdes sont scandalisées, sur ce point, elles disent « oui, mais c'est un scandale, vous allez défavoriser les personnes sourdes ». Je leur ai dit « écoutez, certes, au début on va défavoriser un certain nombre de personnes sourdes, mais premièrement, quand on est adulte sourd, eh bien on peut se donner la peine

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d'apprendre à lire et à écrire, c'est possible, il y en a des quantités qui le prouvent tous les jours, donc, on peut, je parle d'adultes, hein, et puis de toutes façons, il n'est pas question qu'on recrute des professeurs fonctionnaires de l'Etat, qui ne sachent pas lire ni écrire, ce serait humiliant pour eux, ce serait de la discrimination à l'envers, ce serait une sorte de ségrégation, c'est pas possible ! Ils ont droit à la même carrière, à la même dignité au même salaire que leurs collègues et donc ils ont aussi un certain nombre de devoirs et parmi ces devoirs il y a la nécessité de savoir lire et écrire. Mais ce sera ouvert aux personnes sourdes, ce qui est une grande première, comme vous le savez, les sourds sont les seuls pour l'instant qui n'ont véritablement pas accès aux concours de recrutement de professeurs, mais ça sera aussi ouvert à d'autres, il y aura donc un contrôle de l'aptitude à la lecture et à l'écriture en français. Toutes les épreuves qui ont été imaginées pour ce CAPES sont des épreuves bilingues, français - LSF, écrit-LSF ou LSF-écrit, enfin sous forme de vidéos, enfin il y a des choses très compétitives qui vont être mises en place, c'est un concours qui va coûter très cher mais cela ne fait rien et puis bien entendu, bien entendu, il faudra faire également la preuve d'une excellente maîtrise de la LSF, quasi-comparable à celle d'un interprète, tout cela est codifié, on connaît parfaitement les niveaux de langue qui sont requis, comme vous le savez il existe un référentiel européen pour les langues qui est admis dans toute l'Europe. On considère que le niveau C1 - vous savez, il y a A, B, C, et puis A1, A2, A, etc., on considère que le niveau C1 est suffisant pour devenir interprète. Interprète, c'est le summum, c'est le top, on ne peut pas faire mieux, donc on a posé pour le CAPES, au minimum le niveau B2, c'est-à-dire, juste au-dessus du niveau C1, donc il y aura quelques universitaires qui interrogeront les personnes pour s'assurer qu'elles maîtrisent la LSF à ce niveau-là. Parce que vous savez sans doute aussi bien que moi, même parmi les sourds signeurs il y a une énorme diversité, il y a des sourds qui ne signent pas et il y a des sourds qui signent très mal. Ceux qui n'ont jamais appris, qui n'ont jamais été confrontés, pas confrontés mais mis en présence d'autres sourds, comment l'auraient-ils appris ? Ils ne pouvaient pas, donc il y a des sourds qui ne signent pas ou très très mal.

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Sur le CAPES, j'aimerais juste m'assurer que j'ai bien saisi, pour les enseignants sourds, il y aura une épreuve de lecture et écriture ?

Oui.

Mais la lecture, vous le disiez vous-même, le bilinguisme c'est LSF et français écrit. Comment un enfant qui a suivi ce parcours bilingue « LSF-Français écrit » pourra ensuite passer cette épreuve de lecture ?

Y'a pas d'oral ! Y'a pas d'oral. On va... il y a plusieurs façons de procéder. On ne sait pas encore, tout ça n'est pas fixé, - il y a encore une réunion cet après midi-même à ce sujet - il y a plusieurs façons de procéder. On peut imaginer de donner un texte à la personne sourde, à lire et puis ensuite on l'interroge, un examinateur LSF en face à face l'interroge sur le texte.

D'accord, c'est de la compréhension de texte !

Oui, la lecture et la compréhension...

D'accord.

Et ça se fera sans doute, à un moment ou à un autre, ça se fera. On peut lui demander de nous lire un texte et de signer. Il est enregistré en vidéo, il est enregistré en caméra, par exemple, puis ensuite l'examinateur regarde la vidéo et met une note. Il a le texte, évidemment, l'examinateur, et il met une note. Simplement la lecture signée, c'est tout. On lui donne trois pages de Victor Hugo, et voilà : « vous lisez, vous signez les trois pages de Victor Hugo, sans aucune interprétation de votre part, vous vous contentez de faire ça ». On va bien voir, on va bien voir ! On va lui donner une vidéo sur laquelle, il y aura un débat ou une conférence en LSF, alors 5 minutes, pas pour une heure, quelques minutes et on va lui dire, maintenant « vous nous

retranscrivez tout ça par écrit, en français écrit ». Donc il y a des manières de faire, mais jamais d'oral, strictement « LSF-écrit/écrit-LSF ». Eh puis il y aura des épreuves, strictement de LSF.

Donc là, on peut penser que la question de l'enseignement de la langue des signes est résolue...

Elle sera résolue !

A l'horizon 2010...

En tout cas, elle commencera à l'être.

D'accord. Pour ce qui est de l'enseignement en langue des signes, je reviens sur les pôles ressource, qui va constituer..., comment vont être constitués ces pôles, qui va les animer ?

Alors, il y a plusieurs pistes, mais on a pensé à plusieurs entrées, et c'est en combinant toutes les entrées qu'on réglera le problème. Première entrée, les enseignants dont je vous parlais tout à l'heure et qui ont obtenu un diplôme spécialisé et se sont perfectionnés et qui sont donc capables d'enseigner en LSF, d'enseigner le français écrit, d'enseigner les maths, d'enseigner l'histoire, encore une fois je répète, la litanie des différentes disciplines scolaires qui existent à l'école et que les enfants sourds, comme les autres, doivent apprendre, ni plus ni moins, mais pas moins ! On aura, éventuellement encore pendant un certain nombre d'années parce qu'on ne pourra pas l'éviter, des contractuels - alors bien sûr, c'est l'emploi précaire, oui d'accord, OK, mais il y a un moment où il faut aussi savoir ce qu'on veut !

Ils sont formés par qui ? Parce que Chambery forment les CAPEJS.

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Les contractuels ? Non !

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Vous formez...

Non, on met les annonces à l'ANPE.

Donc, il faudra qu'ils soient enseignants...

Faudra d'abord qu'ils soient excellents signeurs, sourds ou pas sourds, puis ensuite on verra avec eux, quels peuvent être également leurs champs d'enseignements, est-ce que par ailleurs ils ont fait des études de maths ? Pourquoi pas ! Dans ce cas-là, on va leur dire, bien écoutez, on vous propose d'enseigner les maths, est-ce qu'ils ont fait des études, on va dire, généralistes - ils ont fait une licence de philo, de socio, de psycho ou Sciences Po, tiens, pourquoi pas ? Et on leur dira, soyez professeurs des écoles et vous enseignez tout, à l'école on enseigne tout. Le même enseignant est généraliste. La polyvalence, ça s'appelle pas généraliste, ça s'appelle polyvalent et on aura différentes possibilités, mais en tout cas, on n'évitera pas le recours à un certain nombre de contractuels et puis on vérifiera leurs capacités pédagogiques, si au bout d'un certain temps on s'aperçoit que ça colle vraiment pas, il faudra bien qu'on leur explique que ça colle pas, on les accompagnera sur le plan pédagogique et il y aura du soutien pédagogique, avec des conseillers pédagogiques. Il y aura une troisième voie, une troisième voie, une source d'approvisionnement, si je puis utiliser ce vilain mot, ce sera ce qu'on va appeler le certificat complémentaire, c'est à dire qu'on va prendre les profs actuellement en poste, à la fois dans les écoles et dans les collèges, volontaires, bien sûr, évidemment, cela tombe sous le sens, à la fois dans les écoles et dans les collèges ou dans les lycées même, on va leur dire : « voilà, vous êtes profs, très bien, OK, vous êtes reconnus comme profs, vous avez 10, 15, 20 ans de métier derrière vous. Il se trouve que vous êtes signeurs, déjà, parce que vous avez un papa sourd ou un enfant sourd ou un copain sourd ou votre femme est sourde » - et on s'aperçoit qu'il y en a beaucoup, si vous saviez le nombre de profs qui signent en France, moi je m'imaginais pas, depuis qu'on a lancé cette recherche, on en découvre

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tous les jours de nouveaux dans les Académies, encore la semaine prochaine, je vais en voir un à Besançon, à Vesoul, exactement. Des profs, qui exercent leur métier de prof dans un établissement depuis parfois 20 ans, même leurs collègues ne savent pas qu'ils signent, parfois, et on découvre qu'ils savent signer ! Parce que leur femme est sourde ou leur mari ou leur père ou leur mère ou leur gosse, enfin. Et donc, on va les voir, on vérifie leur capacité à signer et on leur délivre ce qu'on appelle un certificat complémentaire. C'est à dire qu'à partir de là, si ils sont profs de maths, - celui que je vais voir la prochaine fois là, prochainement, il est prof de maths justement -, ils sont profs de maths, ils deviennent profs de maths avec certificat complémentaire en LSF. Donc, ils peuvent enseigner les maths à tout le monde et en plus ils peuvent enseigner les maths en LSF à des enfants sourds. Ca c'est officiel, c'est tamponné. Alors, y'a pas une paye plus importante à la fin du mois, mais en tout cas, ça leur permet aussi d'utiliser « un plus » dans leur exercice professionnel et donc on va leur proposer, on va pas leur imposer, jamais ! Vous savez on n'impose pas grand chose à l'Education Nationale, contrairement à ce qu'on pourrait croire, pratiquement jamais rien - on va leur proposer de bien vouloir enseigner dans les pôles ressource. Et on va comme ça constituer des équipes, soit d'enseignants qui auront appris la langue des signes secondairement, c'est la première filière, soit d'enseignants qu'on découvre signeurs ou qui se disent « attendez, moi je suis signeur, ça m'intéresse » et à qui on va donner un diplôme, on va vérifier bien sûr, évidemment, on va leur passer un petit entretien de trois quart d'heure avec un universitaire qu'on a sous la main, un très bon signeur ou deux même, éventuellement, pour être sûr qu'il y a pas de... parce que c'est vrai, en général, que les certifications professionnelles dans les jurys, il y a toujours au moins deux personnes, pour que ce soit plus juste, plus équitable et on va leur donner un certificat complémentaire, on va leur dire « dorénavant vous êtes enseignant de maths ou enseignant professeur des écoles, mais en LSF ». On va utiliser encore des contractuels et puis on aura nos certifiés un jour pour enseigner la LSF. Et donc, avec tout ça on va réussir peu à peu - je ne vous dis pas que ça sera demain matin, ça va

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prendre des années, mais on va réussir peu à peu à couvrir tout le spectre. Et ça commence, on a déjà au moins une dizaine de pôles ressource qui fonctionnent de façon empirique, artisanale, c'est du bricolage bien souvent. Au Mans, nous avons un pôle ressource qui fonctionne remarquablement, avec des enseignants, ils sont trois, deux professeurs des écoles, une professeure des collèges, qui ont appris la LSF. Cela fait des années qu'elles l'apprennent, elles continuent à se former à se perfectionner, maintenant elles sont bonnes, mais au départ elles l'étaient pas du tout. Alors je ne parle pas de Toulouse et Poitiers, c'est à part...

Les professeurs des RASED ?

Rien à voir !

Et rien à voir pareil dans la filière... ce dont vous parliez tout à l'heure...

Les RASED ?

Oui, le fait...que ce soit totalement à côté ? C'est un secteur autre, à part ?

Tout à fait à part.

Et ces enseignants là, comme ils travaillent aussi dans les CLIS...

Ah non ! Pas du tout !

Alors, vous pouvez m'expliquer ?

Les enseignants du RASED, ils travaillent avec les élèves tout venant qui ont des difficultés scolaires mais qui ne sont pas dans le champ du handicap. Alors vous allez me dire, qu'est ce que c'est que cette difficulté scolaire qui est pas dans le champ du handicap. Eh bien c'est un élève qui n'a pas réussi à apprendre parce qu'il

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a pas eu de chance ou alors il a eu un problème personnel ou un problème familial ou il a eu un mauvais enseignant, cela arrive aussi malheureusement, il est passé à côté de certains apprentissages, il arrive à 7, 8, 9 ans et il ne sait pas bien lire et il sait pas écrire. Les professeurs des RASED sont chargés de s'occuper de ces enfants-là. C'est des enfants en difficulté scolaire qui ne sont pas dans le champ du handicap ! Ils ont eu des problèmes d'apprentissage, sérieux, graves, souvent, parce que normalement si les problèmes sont pas sérieux ce sont des petits problèmes de rien du tout, en principe cela se règle dans la classe en théorie, faut espérer et le plus souvent c'est ce qui se passe, mais quand ce sont des problèmes sérieux que la maîtresse dans la classe ne peut pas écouter parce qu'elle en a 25 à faire marcher en même temps, elle ne peut pas non plus s'occuper de tout, tout le temps, eh bien à ce moment-là on a recours aux RASED. Mais cela n'a rien à voir avec le handicap, alors il se trouve que parmi les profs RASED, il y en aura peut-être certains d'entre eux qui par ailleurs seront signeurs, mais c'est une pure coïncidence, alors ceux-là on les utilisera comme les autres, mais il n'y a pas de lien de cause à effet entre les deux. Les CLIS, c'est autre chose, les CLIS, ce sont des classes aujourd'hui des classes, dans lesquelles on a regroupé des enfants présentant un type de handicap on va dire, grosso modo, comparable, à peu près similaire. Et, les CLIS pour enfants sourds, il y en a très très peu parce que la plupart des enfants sourds sont dans les classes ordinaires, la plupart, de ceux qui sont à l'école, en tout cas, ils sont dans les classes ordinaires.

Donc finalement, le système qui va être mis en place avec les pôles ressource, c'est un système qui n'entre pas...

... en concurrence ?

...qui ne répond pas à l'invitation d'intégration individuelle dans le milieu ordinaire, finalement. C'est à dire que vous allez créer...

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...des filières.

Oui, des classes avec des enfants sourds essentiellement...

Oui, c'est un petit peu ça, c'est un petit peu ça. Alors c'est effectivement un reproche qu'on pourrait nous faire mais on s'est trouvés devant, quand on a réfléchi à ça en 2006/2007, on s'est trouvés devant un choix, pas tout à fait cornélien mais pas loin : les spécialistes de la LSF nous disaient et les linguistes, les linguistes, des grands linguistes, notre groupe de travail, groupe de travail que j'ai constitué à l'époque a été placé sous le haut patronage et sous la présidence intellectuelle d'un très grand professeur de linguistique qui s'appelle le Professeur Encrevé, Pierre Encrevé, qui est directeur d'études et professeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, professeur d'université et qui par ailleurs est, de manière j'allais dire, sans aucun lien du tout, un des plus grands spécialistes de la peinture contemporaine , et notamment, qui a écrit plusieurs ouvrages sur le peintre Soulage, mais peu importe, donc c'est lui qui est en quelque sorte la caution scientifique autour de ce groupe. Nous nous sommes trouvés devant un choix cornélien. Les linguistes nous disaient : la LSF est une langue et comme toute langue elle s'acquiert dans la communication avec des pairs, p-a-i-r-s, parce que si vous isolez un sourd tout seul dans un coin, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, il n'apprendra pas bien la LSF, il faut qu'il y ait des échanges entre pairs, mais l'école, c'est pareil, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les enfants apprennent mieux en groupe que tout seuls, je parle des enfants ordinaires, parce qu'il y a évidemment toute une série d'effets, qu'on appelle les effets vicariants, le socio-constructivisme... je vais vous épargner tout le discours savant là-dessus, c'est pas le sujet ce matin, mais qui font que les enfants apprennent mieux, enfin faut pas que les groupes soient trop gros, parce que au-delà d'un certain nombre, après, il y a des effets pervers qui font que ça annihile les apprentissages, c'est clair et contrairement à ce que croient beaucoup de gens, les enfants apprennent mieux dans des groupes hétérogènes que dans des groupes homogènes. Vous savez

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peut-être, c'est une parenthèse que je fais dans mon discours, il y a en France 7 000 classes uniques, c'est à dire 7 000 classes dans lesquelles - primaires, hein - les enfants sont réunis dans la même classe - je ne sais pas si vous avez vu le film « Etre et Avoir » eh bien c'est ça, de 3-4 ans jusqu'à 12 ans, 11 ans. Il y en a 7 000 des classes comme ça eh bien, en moyenne, les enfants réussissent deux fois mieux dans ces classes que dans les autres. La réussite scolaire est incomparablement meilleure dans les classes uniques - si vous voulez que votre gosse réussisse très bien à l'école, mettez-le en classe unique, - un aveugle en classe unique, alors là, c'est merveilleux, non je plaisante, c'est de l'humour noir - mais en tout cas en classe unique les enfants apprennent mieux que dans les écoles ordinaires. Pourquoi ? A cause de l'hétérogénéité et à cause de l'autonomie, parce que le maître, il s'occupe évidemment des enfants, groupes par groupes, et donc, il demande beaucoup d'autonomie aux élèves et puis parce que les enfants apprennent beaucoup entre eux, les uns des autres, les plus grands s'occupant des plus petits, ce qui dans une classe homogène n'existe pas. Fin de la parenthèse. Donc, pourquoi j'ai dit tout ça ?

Parce que je vous ai parlé de la question des pôles ressource qui deviendraient finalement des lieux de bilinguisme mais dans lesquels...

Je parlais de choix cornélien : donc on avait le choix, soit de satisfaire les exigences d'un certain nombre de parents qui voulaient que l'enseignement ait lieu en milieu ordinaire au milieu des autres, avec un interprétariat individuel, c'était ça la demande, c'était ça, soit de satisfaire, comment dirais-je, l'exigence intellectuelle, théorique des linguistes qui disaient attention, attention, attention, les enfants n'apprendront bien que s'ils sont entre pairs. La première exigence était, de toutes façons, irréalisable sur le plan matériel et financier on a donc voulu combiner les deux, d'où cette idée de pôle ressource qui sont des manières effectivement de regrouper des enfants sourds d'âge comparable dans des petites unités, sur des petites unités de 8 à 10 élèves, mais qui vont avoir une part de leur enseignement,

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notamment l'enseignement de la LSF, ça c'est clair, ce sera regroupé, probablement aussi l'enseignement du français écrit, très largement regroupés entre eux parce que c'est vraiment spécifique, mais les autres enseignements pourront se faire pour partie dans des classes ordinaires, pour partie dans des classes ordinaires, à condition que l'on puisse régler la question de la communication entre le maître et l'élève...

Oui, parce que sinon ce ne sont pas des enseignements en LSF.

Non, ce ne sont pas des enseignements en LSF. Il y aura des enseignements en LSF mais pas que, et si on veut effectivement, alors d'un autre côté on peut imaginer l'école Jules Ferry du village de ...« x », près de Nantes, admettons, eh bien vous avez 5 classes dans l'école, vous avez une 6ème classe dans l'école, c'est l'école des enfants sourds. Avec le prof qui sera le prof bilingue, enseignant la LSF et enseignant en LSF. Et à partir de là, les enfants recevront tout leur enseignement - ils seront dans la cour avec les autres, par imprégnation les autres enfants vont vite commencer à discuter avec eux, ça existe déjà, ça se fait déjà, et puis par ailleurs eh bien pour certaines activités où une communication simple par lecture labiale peut suffire - par exemple l'éducation physique, les arts plastiques, eh bien les enfants iront dans les classes ordinaires avec les autres instits pour travailler avec leurs camarades et donc il y aura des allées et venues, mais oui, il y aura des temps de regroupement importants dans la semaine. Alors, c'est pas un enfermement, c'est une façon de mettre en synergie l'enseignement entre pairs.

Peut-être pour terminer la-dessus, vous parliez des parents d'enfants sourds qui demandaient une intégration individuelle avec un interprète individuel, enfin, un interprète pour l'enfant ? Est-ce que la demande de LSF est importante finalement, est-ce que la demande de regroupement LSF, est que vous pensez que ce système va répondre à une demande ? Est-ce qu'il y a eu des enquêtes très concrètes faites sur les parents d'élèves, sur leur demande de communication...

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On n'est pas capable, on sait pas faire ça. L'enquête auprès des parents d'élèves, on sait pas faire. On sait pas comment les joindre, on sait pas où les joindre et on sait pas comment régler les problèmes purement simplement déontologiques d'enquête. Simplement on sait qu'il y a eu des demandes, il y a des demandes de scolarisation individuelle, il y en a c'est vrai, même certaines sont d'une exigence telle qu'elles font parfois un petit peu... par exemple, je parlais d'extrémisme tout à l'heure, c'est un mot fort, mais pas péjoratif, certains, peu nombreux, mais certains parents d'enfants sourds exigent que leur enfant soit en milieu ordinaire et refusent de passer par la MDPH, c'est à dire refusent même qu'on puisse envisager que le mot handicap soit prononcé et donc ce sont ceux-là qui veulent une scolarisation ordinaire avec un interprète à temps plein. Mais ça, c'est purement et simplement pas possible. D'abord, on n'en a pas et puis si on en avait ça serait absolument hors de prix.

C'est à dire qu'ils ne veulent pas de reconnaissance par l'intermédiaire de la MDPH, néanmoins ils veulent quand même de la Langue des signes ?

Oui, oui parce qu'ils considèrent - c'est leur point de vue - que l'Education Nationale a obligation de mettre en place les outils d'accessibilité pour les personnes sourdes, les moyens d'accessibilité et que pour eux l'interprétariat c'est un moyen d'accessibilité, mais ils sont dans la contradiction permanente parce que d'un autre côté, comme ils refusent même le concept de handicap, on ne met pas en place des conditions d'accessibilité pour des personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Le concept d'accessibilité, c'est un des fondements de la loi pour les personnes handicapées. Cela dit, ces points de vues sont des points de vues ultra minoritaires, il faut bien... dans la communauté sourde, ce qu'il est convenu d'appeler la communauté sourde ce sont des points de vues ultra minoritaires, mais qui existent, qui existent et qui ont un certain écho. L'immense majorité des parents souhaite d'abord que leur enfant apprenne bien et apprenne de la façon la plus complète possible. Mais donc, on a fait le choix de ne pas aller vers une mise en

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interprétariat systématique de tout enfant sourd où qu'il soit, pour des raisons matérielles et aussi pour des raisons linguistiques. D'où la notion de pôle ressource, d'où la notion de regroupement, mais de regroupement non ségrégatif, parce que dans une école, encore une fois, quand vous avez une classe bilingue avec un maître bilingue, même si l'oral est très peu ou pas utilisé, les enfants sont dans l'école avec les autres. Alors, on pourrait nous dire c'est une forme de CLIS oui, ça s'appelle pas comme ça mais quelque part ça ressemble à une sorte de CLIS, un regroupement d'élèves qui ont une situation particulière, des besoins particuliers, qui nécessitent des moyens particuliers avec des enseignants spécialisés. Alors il se trouve qu'il y a des enseignants spécialisés dans la communication, ça pourrait être dans autre chose, oui, ça fonctionne comme une sorte de CLIS, effectivement.

Mais, finalement, ces réactions de parents, même si elles sont minoritaires démontrent en fait, c'est le reflet du débat...

Bien sûr !

... de la première question, à savoir est-ce qu'un sourd a essentiellement un problème de communication et de langue ou alors est-ce qu'on peut le mettre dans la catégorie des malades ou de personnes handicapées ?

Mais bien sûr, c'est pour ça que cet extrémisme, d'abord, moi je ne le juge pas, je ne me sens pas le droit et je n'ai pas la compétence pour le juger, mais surtout je ne le condamne pas, parce qu'il est le fruit de décennies d'ostracisme, d'exclusion. Et même on pourrait dire de maltraitance. Donc, il arrive un moment où il y a eu des personnes sourdes qui ont dit « Halte-là ! On se révolte », et c'est légitime et la révolte, cela donne parfois des positions extrémistes, c'est comme ça, mais c'est aussi de ça que naissent... c'est aussi ça qui fait bouger les lignes, c'est aussi ça qui fait bouger les lignes, alors après, il faut construire, après ça suffit plus, après, il faut construire, il faut élaborer, il faut tenir compte des autres, il faut tenir compte de tout

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le reste, il faut tenir compte des moyens qu'on a, il faut construire, nous, notre travail, c'est de construire, évidemment.

Pourriez-vous me dire ce que c'est être Sourd ? C'est être malade, handicapé, c'est appartenir à une minorité culturelle, linguistique ?

ANNEXE 3

Fédération Nationale des Sourds de France

Annette LEVEN, Vice-Présidente
Josette BOUCHAUVEAU, Responsable des Séniors Sourds de France
Jean-François BURTIN, Conseiller
Mardi 31 mars 2009
Durée
: 1h40

Quelles sont les missions de la FNSF ?

La FNSF regroupe les associations de personnes sourdes, présentes partout en France. Nous agissons notamment pour la défense des droits des Sourds et la promotion de la langue sourde, auprès des pouvoirs publics. Mais notre mouvement est divisé.

L'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale des Déficients Auditifs) défend l'oralisme quand nous, nous défendons notre langue, la langue sourde. L'UNISDA considère que le LPC (Langage Parlé Complété) doit être défendu au même titre que la langue sourde alors que le LPC est un code, c'est un outil qui permet de faciliter l'oralisation. Nous, nous considérons que l'orthophoniste, la rééducation de la parole et le français oral ne doivent pas avoir leur place à l'école des Sourds. L'école, c'est le lieu où les enfants apprennent un savoir. La rééducation, elle doit se faire hors de l'école, pour ceux qui le souhaitent.

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Malade... non !!! Les docteurs disent que les Sourds sont malades. Pourtant ça ne fait pas mal d'être Sourd ! Et notre oreille, elle reste bien en place, bien accrochée, elle ne va pas tomber ! Mais, dans leurs usines, nous ne sommes que des cobayes, notamment pour tester la technologie des implants. Si les Sourds étaient considérés comme des personnes normales, il n'y aurait plus de travail pour ces médecins et moins d'argent à gagner.

Mais c'est vrai que celui qui n'est pas Sourd de naissance, celui qui devient Sourd après avoir entendu, lui il peut se sentir malade ou au moins handicapé. Du jour au lendemain, il perd une fonction, son audition, tandis que nous, nous n'avons jamais entendu. C'est différent. Ca ne nous manque pas.

D'ailleurs, on ne se sent même pas handicapé. Le handicap, ça n'est pas une affaire de personne mais une question d'environnement, d'autonomie. Le problème au fond, c'est qui dicte la norme ? Parce qu'en matière de handicap finalement on fait toujours référence à une norme. Mais tout est relatif ! Nous, nous avons des capacités d'adaptation. Tout ce que l'on demande, c'est l'accessibilité : à l'école, au tribunal... Il faut que notre langue soit reconnue. Les Sourds seront handicapés le jour où quelqu'un viendra leur couper les mains.

Alors vous considérez que vous formez une minorité ?

Oui, mais là le problème c'est que la France ne veut pas des minorités. C'est une question de mentalité, à cause de notre Histoire. Alors maintenant la Haute Autorité de Santé (HAS) se demande s'il faut faire un dépistage précoce pour la surdité. Pourtant les parents voient bien au bout d'un moment que leur bébé n'entend pas. Ils l'emmènent d'eux-mêmes voir un spécialiste s'ils ont des doutes. Le dépistage précoce, à la naissance, c'est donner du souci aux parents pour rien. Il vaut mieux laisser à la mère le temps de choyer son bébé, plutôt que de le soumettre à des tests inquiétants. Mais les médecins veulent le dépistage précoce pour pouvoir implanter l'enfant le plus tôt possible, pour qu'il puisse parler et devenir comme les entendants.

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Mais un enfant sourd, même implanté, ne deviendra jamais un véritable entendant, et il ne sera plus tout à fait sourd. Heureusement, nous siégeons au sein de la HAS. Nous pensons qu'ils vont préconiser d'attendre que l'enfant ait six mois minimum avant de faire le dépistage.

Et la loi de 2005, qu'est-ce que vous en pensez ? Qu'est-ce qu'elle a apporté aux Sourds ?

A. LEVEN : c'est mieux, il y a des avancées, mais pas d'argent pour financer. Donc la loi n'est pas mise en application, c'est difficile.

JF BURTIN : moi, franchement, cette loi, c'est direction la poubelle. D'accord nous avons besoin d'interprète, la question de l'accessibilité c'est important. Mais je veux être traité comme un entendant, pas comme un handicapé.

Et pour la scolarisation des enfants sourds ?

Avec la loi de 2005, c'est pire qu'avant. D'abord avec l'intégration individuelle. C'est bien de vouloir donner des cours de langue des signes aux enfants mais ce qu'il faut avant tout, c'est que les enfants sourds apprennent avec la langue des signes. Pour ça il faut regrouper les Sourds, embaucher des professeurs sourds qui signent bien, pour qu'ils puissent communiquer ensemble, apprendre ensemble. Nous, nous ne pouvons pas parler le français comme vous. Vous vous pouvez apprendre notre langue, nous on ne parlera jamais comme vous. Un enfant sourd, qui va à l'école ordinaire où les cours ne sont pas dispensés en langue des signes, est vite déconcentré. C'est très fatigant de lire sur les lèvres, c'est impossible pour un enfant de rester concentré toute une journée avec un professeur qui oralise. Et puis, avec la rééducation, l'enfant doit sortir de la classe, il se sent différent, il ne participe pas à toutes les activités avec les autres élèves. Non, ce qu'il faut c'est une intégration collective et ne pas perdre de temps avec cette rééducation parce que chez les Sourds, il y a beaucoup d'illettrés. La priorité, c'est que l'enfant sourd apprenne à lire,

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apprenne tout court. La question du français oral, ça vient après, c'est pas le plus urgent. Mais cette loi, elle compte sur les implants, sur le LPC pour faire oraliser les Sourds et pour les intégrer individuellement. Nous, on défend le bilinguisme, langue des signes et français écrit, avec des professeurs d'histoire, de mathématiques qui sachent signer correctement, pas comme certains.

L'éducation nationale envisage d'ouvrir le CAPES aux Sourds, en 2010, pour qu'ils puissent enseigner la langue des signes...

(Sourires). C'est bien... mais on est sceptique, on aimerait bien voir ça... Et la loi de 1991, elle permettait déjà le bilinguisme ?

Cette loi, elle est passée sous silence, elle n'a pas été suivie au sein de l'Education Nationale. Il aurait fallu l'approfondir. La loi de 1991, c'était juste pour nous faire plaisir. Bon, c'était un premier pas mais le résultat aujourd'hui, c'est que ceux qui ont voulu la faire appliquer, comme à Toulouse ou à Massy, ils rencontrent des problèmes de financement. Les associations ont créé des écoles bilingues mais elles n'ont pas d'argent pour fonctionner. Et aujourd'hui, la loi de 2005, ce qu'elle propose c'est l'intégration individuelle, pas des regroupements. Les enfants ont deux heures par semaine d'accompagnement avec un professeur spécialisé, c'est un échec assuré pour l'éducation des enfants sourds. Mais quand on dit ça, on se fait taxer de menteurs. C'est comme à la Haute Autorité de Santé, pour que nous soyons crédibles, il faut qu'un entendant vienne confirmer ce que l'on dit. Les décideurs ne connaissent pas les personnes sourdes. La preuve, c'est justement la loi de 2005. Le concept même de cette loi montre que les décideurs ne nous connaissent pas. Ils pensent que les Sourds sont des personnes handicapées. Il suffirait de changer ce concept pour que la loi soit meilleure. Cette loi elle est globale, elle traite en même temps des aveugles, des personnes en fauteuil, de ceux qui ont un problème mental... Pourtant les situations ne sont pas les mêmes. Et pour les Sourds, ils ont fait

une grande salade : un mélange de LPC, oral, signes. Il faut séparer tout ça. Ils donnent l'impression de jouer un jeu où ils comptent les parties perdues. Pourtant l'illettrisme chez les Sourds, c'est pas un jeu.

Des enquêtes ont été faîtes sur la population illettrée parmi les Sourds ?

Nous, on n'a pas de chiffres officiels, mais on le voit bien, c'est beaucoup. La seule explication, c'est l'éducation, la mauvaise éducation. Avec les interprètes, les professionnels spécialisés c'est mieux même s'ils ne sont pas toujours bien formés à la langue des signes. Reste que les illettrés parmi les Sourds sont encore nombreux. Nous, ce que l'on veut ce sont des enseignants sourds, pour un enseignement de qualité et pour promouvoir notre langue. Et puis il y a tellement de Sourds au chômage, ça pourrait être une solution pour eux de trouver du travail.

Ce qu'il nous faut, ce sont des fondations solides. C'est en priorité apprendre la langue des signes aux bébés sourds pour qu'ils puissent communiquer. Parce qu'il y a des parents qui pensent qu'en leur parlant ils vont devenir entendants, comme eux. Mais leur parler, s'ils ne peuvent pas répondre, ça sert à quoi ?

Vous menez des actions en direction des parents, pour les sensibiliser ?

La première personne que les parents rencontrent, c'est le docteur, l'ORL. Les médecins vont expliquer aux parents qu'il existe des techniques, les implants, comme si la surdité était une maladie à soigner. Alors il ne faut pas compter sur eux pour leur parler de la langue des signes.

Sinon, les parents peuvent s'informer auprès des CIS (Centres d'Information sur la Surdité) mais ces Centres ne fonctionnent pas bien, il faudrait les refaire.

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Et les MDPH ?

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Franchement, les MDPH, c'est nul. (rires)

En fait, les parents ne sont pas bien informés, ils ne sont pas accompagnés. Ils sont tristes d'avoir un enfant sourd alors ils écoutent les docteurs qui leur disent : « il faut lui parler, il va devenir comme toi ». C'est plus rassurant.

Et avec les politiques, vous entretenez quel type de relations ?

Bah, les politiques ils nous donnent cent euros par mois alors il ne faudrait pas que l'on se plaigne. Non, les politiques ils nous manipulent. Et quand ils ont besoin d'inviter des Sourds, ils font appel à l'UNISDA car leur représentant parle bien. Il a été élevé au LPC ...

Charte des Droits

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Préambule

La communauté sourde, ses proches et ses représentants par le biais de la Fédération Nationale des Sourds de France, signataires de la présente Charte,

Considérant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen proclamée par l'Assemblée Nationale le 26 août 1789 ;

Considérant la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme approuvée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948 ;

Considérant la Convention Européenne des Droits de l'Homme signée par les gouvernements membres du Conseil de l'Europe le 4 novembre 1950 ;

Considérant que la société française se doit de respecter les Droits du citoyen atteint de surdité, dans la ligne des textes cités ci-dessus, et de favoriser l'intégration civique, sociale, culturelle et professionnelle des personnes sourdes

Considérant que « Sourd(e) » signifie l'appartenance à une minorité linguistique et culturelle : la communauté sourde ;

Considérant que la langue des signes française (langue sourde) est la langue naturelle des Sourds ;

Considérant que la communauté sourde permet à la personne atteinte de surdité, de vivre en tant que Citoyen à part entière, libre, autonome, responsable et Sourd ;

Soulignant la valeur de l'interculturel et du bilinguisme, et considérant que la protection et l'encouragement de la langue des signes, langue minoritaire en France, ne doivent pas se faire au détriment de la langue officielle, la langue française, et de la nécessité d'y avoir accès ;

Réaffirmant que le respect des Droits de l'Homme et du Citoyen en faveur des personnes sourdes implique la reconnaissance à tous les niveaux de la langue des signes : enseignement, justice, autorités administratives et services publics, médias, activités et équipements culturels, vie économique et sociale ;

En conséquence, la Charte des Droits du Sourd est ratifiée par l'Assemblée générale de la Fédération Nationale des Sourds de France représentant la communauté sourde, le 24 octobre 1998 ;

Ainsi, la Charte des Droits du Sourd sera soumise à l'Assemblée Nationale représentant le peuple français, dont les français sourds ;

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Sont convenus de ce qui suit :

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Article 1 : La langue des signes 1- Tout(e) Sourd(e) a droit à l'usage de la langue des signes. 2- Par conséquent, la langue des signes est reconnue officiellement par l'Assemblée nationale représentant le peuple français. 3- Nul ne peut être privé de sa langue des signes.

Article 2 : La vie associative 1- Tout(e) Sourd(e) a droit de participer à la vie

associative. 2- Le but de toute association est de promouvoir la vie de la communauté des Sourds, et de favoriser les rencontres entre Sourds afin de préserver leurs droits naturels. Ces droits sont l'épanouissement par la rencontre de leurs semblables, l'usage de la langue des signes, la conservation et le développement de la culture sourde.

Article 3 : La vie politique et civique 1- Tout(e) Sourd(e) a droit d'exercer ses droits et devoirs de citoyen en pleine connaissance et conscience. 2- Tout(e) Sourd(e) doit donc avoir accès à toutes les informations de la vie politique et civique.

Article 4 : Les projets et décisions 1- Tout(e) Sourd(e) a droit de participer aux projets et décisions qui le concernent. 2- La communauté sourde, par le biais de ses représentants, doit être consultée pour les décisions concernant les affaires privées et publiques des personnes atteintes de surdité, à tous les niveaux : enseignement, justice, autorités administratives et services publics, médias, activités et équipements culturels, vie économique et sociale.

Article 5 : L'éducation 1- Tout(e) Sourd(e) a droit à une éducation normale et équitable. 2- L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité sourde. 3- L'éducation doit assurer une vraie formation du citoyen telle qu'elle est définie par la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, la Convention européenne des Droits de

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l'Homme, la Constitution française de 1958, la Convention des Droits de l'enfant de 1989, et enfin par la Charte des Droits du Sourd. 4- L'éducation des enfants sourds et des jeunes Sourds doit être conçue et organisée sur la base de la reconnaissance réelle de la langue des signes et de la communauté sourde dans le milieu familial, éducatif et scolaire, et ce depuis leur naissance.

Article 6 : Les enfants sourds de parents entendants Tout enfant et jeune sourd(e) de parents entendants a droit de participer à la vie de la communauté sourde.

Article 7 : Les parents sourds 1- Tout parent sourd doit être respecté intégralement dans ses droits de parents. 2- Tout parent sourd a droit de décision sur l'éducation de son enfant sourd ou entendant. 3- Nul ne peut intervenir dans la vie privée et familiale d'un(e) Sourd(e).

Article 8 : La formation et le métier 1- Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir sa

formation et son métier. 2- La formation doit viser à la meilleure qualification de toute personne atteinte de surdité. Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir parmi les services de formation. Ceux-ci doivent pouvoir l'accueillir pour honorer son droit au choix de formation ou d'orientation professionnelle. 3- Tout(e) Sourd(e) a droit à choisir son métier même s'il présente une incompatibilité apparente avec la surdité. 4- Nul ne peut être privé de son emploi en raison de sa surdité. Les pouvoirs publics et territoriaux et la société française doivent apporter des solutions pour adapter ou aménager les postes de travail, afin de pouvoir offrir un métier à la personne sourde, y compris dans la fonction publique.

Article 9 : La justice 1- Tout(e) Sourd(e) a droit à l'usage officiel de la langue des signes dans le cadre juridique. 2- Tout(e) Sourd(e) a droit à une protection légale contre toute discrimination à tous les niveaux dans sa vie privée, sociale et

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professionnelle. 3- Nul ne peut être privé de la présence d'au moins un interprète et d'aides techniques complémentaires à la communication dans le cadre juridique.

Article 10 : L'information et la culture 1- Tout(e) sourd(e) a droit à l'accès total à l'information et à la culture en langue des signes. 2- L'information doit être totalement transmise - en privilégiant la langue des signes, et par le biais du sous-titrage - dans tous les médias publics et privés, notamment dans la télévision et le cinéma. 3- La culture doit être accessible dans tous ses domaines : arts, littérature, sciences et techniques, musées. 4- L'information dans tous les lieux publics doit être diffusée par support visuel. 5- Nul ne peut être privé de l'information quelle que soit son importance.

Article 11 : La sûreté et la sécurité 1- Tout(e) Sourd(e) a droit d'être visuellement prévenu(e) et informé(e) pour la sûreté de sa personne. 2- La sécurité doit être assurée dans tous les lieux et les bâtiments publics et privés obligatoirement dotés d'un moyen de prévenir et d'informer visuellement les personnes atteintes de surdité en cas d'urgence, de danger et/ou d'alerte.

Article 12 : La médecine 1- Tout(e) Sourd(e) a droit de décider de ce qui le concerne dans le cadre médical. 2- Nul ne peut être obligé de subir un traitement médical sans une information préalable complète sur la procédure des soins et sur toutes ses conséquences. 3- Aucun traitement de la surdité touchant à l'intégrité de sa personne ne peut être imposé à un enfant mineur.

Article 13 : L'accessibilité 1- Tout(e) Sourd(e) a droit à la gratuité des moyens d'accessibilité. 2- Les moyens d'aménagement et d'équipement facilitant l'accessibilité dans la vie privée et publique de la personne atteinte de surdité, doivent être gratuits ou financés par les pouvoirs publics. 3- Les lieux et instances

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publiques doivent pourvoir par tous les moyens à l'accessibilité sociale et professionnelle pour les personnes sourdes.

Article 14 : Les activités culturelles, sportives et de loisirs 1- Tout(e) Sourd(e) a droit à l'accès aux activités culturelles, sportives et de loisirs. 2- Tout(e) Sourd(e) doit pouvoir participer à part entière et de plein droit aux activités proposées par la Société.

Article 15 : L'interprétation 1- Tout(e) Sourd(e) a droit au service gratuit d'interprétation langue des signes / langue française. 2- Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir l'interprète qui lui convient. 3- Nul ne peut être obligé d'avoir recours à un interprète. Tout(e) Sourd(e) a droit de choisir son mode de communication dans toute situation le concernant.

Article 16 : Le respect des droits Tout(e) Sourd(e) a droit au respect de ses Droits de Sourd quel que soit son mode d'expression.

Article 17 : Les Sourds atteints physiquement et mentalement Tout(e) Sourd(e), même porteur(se) d'atteintes physiques et mentales associées, doit voir respecter tous ses Droits de Sourd, tels que définis dans la présente Charte.

ANNEXE 4

Mouvement des Sourds de France

René BRUNEAU, Président
Jeudi 2 avril 2009
Durée : 45 minutes

Monsieur Bruneau, pourriez-vous me présenter vos missions au sein de l'UNISDA et au sein du Mouvement des Sourds de France ?

Bon alors, mes missions... C'est que je suis secrétaire général de l'UNISDA depuis 2004 et je suis aussi président du Mouvement des Sourds de France depuis mars de l'année 2008. J'ai été vice-président jusqu'en 1994, en 1994 je suis devenu secrétaire général jusqu'à 2008 où je suis passé président.

Pourquoi le Mouvement des Sourds de France est fédéré au sein de l'UNISDA et pourquoi cette division au sein du mouvement des Sourds avec d'un côté l'UNISDA qui fédère des associations de Sourds et la FNSF qui fédère de son côté d'autres associations ?

Euh... Bonne question et je crois que vous avez mis le doigt exactement sur... C'est-à-dire que le Mouvement des Sourds de France s'est créé en 1985. Et pourquoi il a été créé ? Tout simplement c'est parce que la Fédération Nationale des Sourds de France, bah... elle ne faisait rien. Je vais être critique mais de toute façon c'est de notoriété donc euh... je ne vais rien raconter. Elle se contentait de faire des réunions de temps en temps dans l'année et d'encaisser, d'empocher les dons qu'elle pouvait recevoir puisqu'elle est reconnue d'utilité publique. Et de cet argent là elle n'en a jamais rendu compte et il y a des personnes sourdes qui se sont fâchées, qui ont dit « y'en a marre », leur rôle c'est de défendre le droit des personnes sourdes, ils ne font absolument rien si ce n'est se promener avec l'argent des dons. Euh... je vous citerai

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pas où ça allait mais ça allait dans des endroits euh... bon, bref. Et donc bah c'est une personne qui s'appelle Jean KACZMAREK qui a décidé de fonder le 28 novembre 1985 le Mouvement des Sourds. J'ai adhéré en 86, donc trois mois après j'ai adhéré au Mouvement des Sourds. On a fait une importante manifestation un 1er février 1986 à Paris, nous étions environ 4000 personnes sourdes à défiler. Donc c'est de là qu'a démarré le Mouvement des Sourds. C'est vrai que la Fédération a tout fait pour nous sabrer, pour pas qu'on existe, parce qu'on devenait concurrent. On a joué notre rôle, on a rencontré les partis politiques, on a rencontré les responsables administratifs et les responsables gouvernementaux. Il s'est trouvé que beaucoup d'associations se sont affiliées chez nous parce qu'elles ont trouvé qu'on était à la pointe de la bataille et en 1989 nous avons changé de titre en mettant Mouvement des Sourds de France. Nous sommes devenus association nationale, dont la première association qui s'est affiliée chez nous est l'association des Sourds de La Persagotière...

D'accord et...

C'est la première association qui s'est jointe à nous. D'autres après bien sûr. Ensuite, et bien, nous avons continué notre travail, nous avons été dans l'amendement Fabius, bah le fameux amendement Fabius... nous avons été l'association principale qui nous sommes battus avec un Monsieur BOUILLON à l'époque de l'Education Nationale pour faire reconnaître la langue des signes à l'école, l'enseignement de la langue des signes à l'école. Euh... Fabius dans un DMOS a, c'était d'ailleurs la veille d'un Noël 90 je crois, euh... a donc fait une Décision Modificative d'Ordre Social qui disait que la langue des signes devait être enseignée à l'école, enfin bref, tout ce que nous avons sur la loi de 1991 sauf qu'il n'y a jamais eu de décret qui sont parus par la suite. Donc l'Education Nationale n'a jamais pris en compte... ça a été... bon, disons que Monsieur FABIUS a voulu nous faire plaisir peut-être mais enfin en attendant rien n'a été fait. Nous avons continué le combat, le combat aussi pour la télévision, on s'est battu pour les sous-titrages à la télévision hein en 92-93, nous avons saisi les

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autorités, nous avons eu des promesses, nous avons eu... enfin bref, euh je vais pas tout vous raconter... Et il s'est trouvé que la Fédération, plutôt que de jouer le jeu de partenariat avec nous, ou tout au moins de nous accompagner d'une manière parallèle a continuellement euh... s'est continuellement battue contre nous. Je ne vous citerai pas la pléthore de présidents qu'ils ont eue, euh la pléthore de problèmes qu'ils ont eu, de problèmes financiers avec des faillites avec des euh... mise en tribunal, enfin bref. Et puis il y a même des gens qui se sont barrés avec la caisse, hein si des fois vous avez le temps vous vous renseignerez là-dessus. Bref, avec la Fédération nous n'avons jamais été en odeur de sainteté. Malgré tout, dans les dernières années, il y a un rapprochement qui s'est fait. Euh, le rapprochement le plus important qui s'est fait c'est avec l'actuel président, euh qui est euh... mais bon ça reste toujours euh... disons un rapprochement euh disons de politesse. Hein, on pourrait dire ça. Mais il se trouve qu'à l'intérieur de la Fédération, il y a des gens qui ne nous aiment toujours pas, bon. Malgré tout le président de l'UNISDA, Jérémie BOROY a été membre du Mouvement des Sourds de France pendant de nombreuses années et, il y a trois ans, a décidé de rejoindre le Conseil d'Administration du Mouvement des Sourds de France. Donc il est administrateur au Mouvement des Sourds de France. Et pour ne pas faire de polémique a accepté aussi d'être administrateur à la Fédération et ensuite est passé secrétaire général de la Fédération.

D'accord. L'objectif c'était d'unir un peu ce mouvement ?

Voilà. Euh... avec nous deux nous avions l'intention euh... à peine déguisée d'essayer de nous rejoindre. C'était une sorte de pont qui était jeté. En fait ce pont que Jérémie BOROY a entamé du côté de la Fédération et moi du côté du Mouvement des Sourds de France n'a jamais été un pont bien solide. C'était un pont provisoire et euh chacun dans son coin et personne bouge. Voilà, hein... C'était un peu ça. Alors que nous nous étions prêts à faire des actions communes et tout, on n'a jamais eu de réponse, on n'a jamais eu de retour là-dessus.

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L'UNISDA a été créée...

Alors l'UNISDA a été créée, alors je vais y venir, l'UNISDA a été créée voici plus de trente ans, et dont la Fédération Nationale avec le BUCODES (Bureau de Coordination des Associations de Devenus Sourds et Malentendants), avec euh... l'Association Nationale des Parents euh l'ANPEDA (Association Nationale des Parents d'Enfants Déficients Auditifs) étaient fondateurs. Malheureusement il s'est trouvé qu'il y a eu un... des problèmes. La Fédération a posé des problèmes à l'intérieur de l'UNISDA, c'était en 98, euh elle ne payait pas ses cotisations. Malgré qu'elle ait de l'argent elle ne voulait pas payer des cotisations. A fait une sorte de discrimination négative en disant qu'elle ne voulait pas être avec des Entendants ou des Malentendants parce qu'ils n'étaient pas vraiment sourds. Et puis bah y a eu alors, une autre chose, c'est qu'il était prévu qu'il y ait un poste tournant de président au sein de l'UNISDA mais ça ne s'est pas fait quand ça a été au tour de la Fédération. Là aussi effectivement ils avaient raison quand même de protester parce que bon euh à l'époque ceux qui étaient à la Fédération n'étaient pas crédibles. Et on sait une chose, c'est que pour prendre des responsabilités au sein de l'UNISDA il faut être crédible.

Pourquoi ils n'étaient pas crédibles ?

Bah parce que les comptes n'étaient pas nets. Tout le temps en redressement judiciaire, avec des problèmes financiers quoi, bon. Donc ceux qui étaient vraiment les gardiens de l'UNISDA ont dit on ne va pas confier la responsabilité de l'UNISDA à des gens qui ne savent pas gérer leur propre association. De la sagesse, hein, bon. Bref, alors la Fédération a claqué la porte et nous, nous avons posé notre candidature et nous sommes rentrés à l'UNISDA en 1998. Donc c'est nous qui avons remplacé la Fédération, puisque eux représentent les Sourds gestuels et que nous aussi on représente les Sourds gestuels. Et le premier représentant à l'UNISDA, c'était moi. Ensuite on a eu droit à un siège supplémentaire. Nous sommes deux à siéger au sein

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de l'UNISDA en tant qu'administrateurs. Dont le vice président est Jacky CORREIA, qui était ancien président du Mouvement des Sourds de France et qui est maintenant vice-président du Mouvement des Sourds de France. Donc nous nous avons toujours un travail parallèle : un travail commun avec l'UNISDA et qui n'est pas du tout contradictoire parce qu'il est complémentaire, dans notre spécificité, puisque l'UNISDA regroupe toutes les personnes sourdes ou malentendantes, y compris les parents d'enfants sourds.

C'est la raison pour laquelle dans le mot UNISDA on retrouve Déficient Auditif et pas Sourd ?

La surdité c'est une déficience auditive, après c'est un catalogue d'échelles.

Alors c'est quoi justement être sourd ? Etre sourd c'est de plus rien entendre. C'est être handicapé, malade...

C'est l'équivalent d'aveugle et de malvoyant hein. On est malvoyant on voit mal euh... Si j'ai des lunettes c'est parce que je vois mal hein. Je suis malvoyant jusqu'à un certain degré. Mais je ne suis pas malvoyant tel que d'autres qui pourraient à peine distinguer des visages ou distinguer des ... Ils voient que des ombres. C'est des malvoyants. Mais ils voient quand même quelque chose, alors que l'aveugle vous pouvez mettre dans les yeux le phare de je ne sais pas quel coin de France, il ne verrait rien du tout. Bon. Un Sourd vous pourriez le mettre au pied de la cloche de Notre Dame, il entendrait pas la cloche. Il la sentirai puisque ça vibre, avec la caisse de résonnance de l'air dans les poumons, enfin ils entendent avec leurs pieds on dit, on dit qu'ils entendent avec leurs pieds. Mais ils entendraient pas la cloche. Bon, donc, ça c'est les Sourds. Le Sourd il est sourd. C'est comme si il n'avait pas du tout

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de conduit auditif. Parce que malentendant, c'est celui qui a des restes auditifs, le malentendant.

La FNSF est très attachée quand même à ce...

Alors voilà. Elle dit que les vrais Sourds ce sont eux et les autres ce sont des faux Sourds. Bah oui euh... le vrai français c'est celui qui est depuis cinquante générations sur le territoire français, celui qui y est que depuis quatre, cinq générations, c'est pas un vrai français. On pourrait raisonner de la même manière. Euh... nous on appelle ça de la discrimination, de la ségrégation, nous ne l'acceptons pas ça. Nous disons bah on naît sourd, on naît sourd mais on le devient aussi... avec l'âge, on devient sourd par accident, par maladie euh pour différentes raisons. Mais quand on est sourd on est sourd. On est confronté exactement aux mêmes problèmes. On recherche pas l'origine. Et eux ils ont tendance à dire, non le vrai Sourd c'est celui qui est sourd de naissance.

Ils considèrent qu'ils appartiennent à une minorité linguist...

Mais on est tous des minorités. Euh, le, le... Il y a environ 10% de la population française qui est malentendante. Et dans ces 10%, il y en a 0,5%, je dis bien 0,5% de ces 10% qui pratique la langue des signes française. Donc qui sont sourds profonds. On peut considérer 99% qui sont sourds profonds, de naissance. Voilà.

Est-ce que vous considérez qu'on peut tout de même parler des Sourds comme d'une catégorie qui relèverait de la médecine. Est-ce...

Non, le Sourd n'est pas un malade. Il va falloir un jour que ça cesse. Le Sourd c'est pas un malade. C'est un sens qu'il n'a plus. C'est pas une maladie qu'il traîne. La surdité n'est pas une maladie. C'est un handicap de naissance que la personne elle a,

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hein. Il y a le toucher, l'odorat, la vue, l'ouïe euh... le cinquième, le cinquième... Et le goût, voilà. Bah là c'est l'ouïe, point, c'est tout. C'est pas une maladie.

D'acc...

Donc, euh, vous m'excuserez parce que là vous touchez à l'endroit où je suis très sensible. Moi les docteurs je veux les voir à 50 000 kilomètres d'ici. Je ne veux pas voir un seul médecin s'occuper des Sourds. Ils s'occupent des Sourds quand... « ah oui, vous êtes sourd à 70%, à 70 décibels, à 90 décibels... », là d'accord. Les audiogrammes c'est leur secteur, ok. Ils évaluent et puis après : « au revoir ». Ils ne sont pas chargés d'éducation, ils ne sont pas chargés... rien ! Et l'orthophonie, ok. Bah les Sourds sont pas obligés de passer par l'orthophonie, s'il a pas envie de parler. Vous allez pas obliger quelqu'un à parler si il a pas envie de parler, bon. Quelque part, on a tendance à imposer sous prétexte que, que... Moi je comprends qu'une opération du coeur à un enfant en bas âge, parce que si il a plus de coeur il meurt, il n'existe plus. Mais un Sourd, alors quand il naît sourd, bah... des Sourds toute leur vie, ça les empêche pas de vivre comme tout le monde. J'ai des tas de preuves, des wagons de preuve moi, hein. Alors quand on dit il faut les implanter très jeunes : dégagez là. Vous voulez faire du fric sur la surdité parce que je sais, moi j'ai vu des films et tout. J'ai discuté avec le professeur MORGON de Lyon... Il en arrive même à dire : « bah on leur apprend quand même la langue des signes parce que de toutes façons ça nous aide ».

Quel est l'intérêt d'implanter alors ?

Bah de faire du fric. Ca coûte très cher à la sécurité sociale, la rééducation c'est cinq ans. Un enfant qui est opéré, il est pris pendant un mois à l'hôpital, il sort mais bon, c'est tous les jours pratiquement. Mais un enfant, il ne vient pas tout seul par taxi, il vient avec ses parents, alors sa mère ou son père peu importe. Mais si elle travaille, c'est pris en charge par la sécurité sociale. Ensuite, c'est tous les mois pendant un an,

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c'est tous les jours, ensuite c'est tous les deux mois, ensuite c'est tous les trois mois, après tous les six mois et après tous les ans. Pendant cinq ans. La rééducation, les réglages et tout. Alors rééducation orthophoniste, réglage des appareils, et après qu'est-ce qui se passe ? On vous dit, bon, c'est réussi, tant mieux. C'est pas réussi, tant pis on recommence. Et n'oubliez pas que l'implant cochléaire, on met un fil qui vibre à l'intérieur de la cochlée. Et ces appareils sont garantis dix ans. Un enfant qui naît et qui vit jusqu'à quatre-vingt ans, c'est huit fois sur le billard. Vous pensez qu'au bout de huit fois la cochlée elle est encore intacte ? On nous prend pour quoi là ? Pour des imbéciles. Par contre, il y en a qui se sont fait du fric pendant ce temps là. Ca coûte, un enfant euh... une fois implanté jusqu'au moment où il est censé être en autonomie complète, c'est de trente mille à quarante mille euros, que ça coûte à la sécurité sociale.

Et le dépistage précoce, qu'en pensez-vous ?

Alors le dépistage, ça peut avoir un avantage, alors là, là... je serais très favorable, je vais vous dire pourquoi très, parce que un enfant qui naît, quand il ne parle pas, on dit : « ah bah tiens, il fait de l'autisme ». Combien d'enfants sourds ont été pris pour des autistes. C'est pour ça qu'il est nécessaire de dépister. S'il entend, même si il veut pas parler, il réagit aux sons. Vous savez comment ça se passe, quand on fait du dépistage de surdité, on leur fait passer des fréquences, on leur fait passer... et puis bon ils ont des réactions, on voit avec l'histoire du ludique, du jeu, du train qui passe dans un tunnel, qui ressort ou qui ressort pas... y a un petit « tut tut », vous regardez les yeux de vos enfants, bon il entend ou il entend pas. Il y a d'autres tests aussi, hein, bon. Déjà voir ça. Si il entend, bon là il peut y avoir un problème d'autisme, d'accord. Mais si le môme il est distrait pas autre chose et pis que bon... il entend pas point. Moi j'ai ma... ma fille, qui a eu ma petite fille qui a sept ans maintenant. Parce que ma fille elle travaille... Vous allez rester longtemps ici ?

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Non, non, je repars demain.

Parce que ma fille, elle exerce à la Salpêtrière. Elle fait l'accueil sourd ma fille. J'aurais des tas de choses à vous raconter là-dessus. Bref. Ce monde des Sourds j'y vis depuis ma naissance, parce mes parents étaient sourds-muets, et j'ai ma technique perso pour savoir si l'enfant est sourd ou pas, parce que je connais bien la réaction d'un enfant sourd.

(Le téléphone sonne, la discussion est interrompue)

Donc, dans l'idée du dépistage précoce il y a l'intention de faire un dépistage immédiatement, dès la naissance.

Oui, dans la semaine, dans les semaines qui suivent, dans les semaines... hein, bon. C'est pas à un jour près. Oui, mais moi je pense que c'est nécessaire. Parce que la surdité, plus tôt on la prend en charge, mieux ça vaut pour l'enfant. Le prendre en charge, ça veut dire on considère que l'enfant il est sourd mais on sait pas à quel niveau de surdité. Après on peut lui faire des tests, des tests pour savoir bah... il réagit à telle fréquence, il réagit à telle hauteur de décibel, bon vous voyez... parce qu'il y a un problème de fréquence et un problème de puissance, hein, dans le petit test. Donc ils peuvent entendre certaines fréquences et pas d'autres, hein. C'est pas linéaire, hein. Ca fait comme ça, hein. Ils ont parfois des courbes descendantes, hein. Ca c'est une chose. Et à partir de là vous pouvez adapter son éducation. L'éducation orale moi je suis pour. Mais il faut pas que ce soit la priorité. Parce que le côté cognitif d'un enfant, avant qu'il parle, avant qu'il comprenne, il a ses yeux. Il comprend par les yeux. Vous savez un enfant qui a un mois, deux mois, vous lui faîtes voir un biberon, hein, et vous lui dîtes rien. Il sait que c'est pour boire, il sait bien que c'est pas... bon. Donc les yeux, pour un enfant sourd, c'est très, très important. Tout ce qu'il voit, il l'enregistre et il lui donne une signification. Donc la communication elle doit passer par le geste. C'est ce que je défends depuis des

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décennies parce que je sais, et de toute façon, je ne changerai pas là-dessus, parce que je sais que c'est pas par la parole puisqu'il n'entend pas. C'est pas en parlant, parlant, parlant... en croyant qu'il va comprendre. Bon, c'est tellement simple que de parler, hein. Vous savez c'est par les yeux, c'est la communication par les yeux et par l'image, par l'image en fait.

Alors justement, la loi de 2005 elle reconnaît la langue des signes...

Alors là la loi de 2005. Alors je vais vous raconter quand même parce que c'est très important. Bon, il y en a quelques uns qui savent, parce qu'ils ont été aussi partie prenante avec moi. Mais bon, il s'est trouvé que depuis la loi de 2005 j'ai préparé, enfin avec les députés et tout... j'ai été en amont de cette loi de 2005 avant qu'elle soit présentée d'abord au Sénat, puis elle a été présentée à l'Assemblée Nationale. Elle a été présentée en première lecture au Sénat, ensuite elle est venue à l'Assemblée Nationale, et en deuxième lecture au Sénat et après retour à l'Assemblée Nationale. C'est l'opération inverse qui s'est fait, bon. Donc, quand nous sommes allés pour la présentation au Sénat, donc la Fédération avait proposé, on avait rencontré, moi j'étais pour, on était pour, la reconnaissance officielle de la langue des signes. Euh, c'est un député du Loiret, euh... monsieur... je ne me rappelle plus de son nom, enfin bref, qui est député du Loiret, qui avait fait la proposition... euh qui était sénateur du Loiret, pas député mais sénateur du Loiret, qui avait fait la proposition, nous on va pas faire une deuxième proposition du moment qu'il y a une proposition, nous on est pour. Effectivement, le projet de loi avait été accepté. Verdict : donc la reconnaissance officielle de la langue des signes. Moi je dis bah c'est très bien, bon. C'est arrivé sur le bureau de l'Assemblée Nationale, bon très bien. Moi j'ai participé pratiquement à tous les débats. J'y allais presque tous les jours. Et bon, des fois c'était le matin, des fois c'était l'après-midi parce qu'il y avait un truc urgent alors il faisait passer ça le lendemain, mais bon. Des fois c'était pas toujours facile d'y aller. Donc euh... j'y suis allé et, bah puisqu'elle avait été votée, connaissant pas trop les

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méandres de... Elle a pas été citée à l'Assemblée Nationale. Donc je me suis dit bah si elle n'a pas été citée, c'est parce que on revient pas dessus. Ca a été voté, ils vont pas la rediscuter. Discuter de cet article reconnaissant... En fait ils l'avaient escamoté. Et je m'en suis pas rendu compte tout de suite. Ce n'est que trois jours avant l'ouverture au Sénat en deuxième lecture, quand j'ai regardé la présentation au Sénat de tous les textes, je me suis rendu compte que la langue des signes elle était squizzée.

Et vous avez eu des explications ?

Aucune... Quand j'ai vu ça j'ai prévenu monsieur FOURASTIE, qui était le président de la Fédération à l'époque. Et monsieur FOURASTIE était surpris lui aussi parce qu'il ne s'en était pas rendu compte. C'est moi qui l'avais averti. Et avec l'ancien président du Mouvement des Sourds qui était Patrick LIGER, euh, moi j'ai dit il faut qu'on se batte là-dessus. Donc euh... nous sommes allés au Sénat le jour où la loi a été... le premier jour nous sommes allés. J'ai rencontré la, comment dire euh... un sénateur du... ancien maire d'Orléans... euh Monsieur SUEUR, Jean-Pierre SUEUR, qui est sénateur maintenant. Je l'ai rencontré accidentellement. Il était en train de manger, de boire son petit café et de manger ses petits croissants dans un bistrot juste devant le Sénat. Le connaissant puisque j'allais souvent à Orléans, le connaissant j'ai été le trouver. Je lui ai dit « voilà le problème », je lui explique. Il m'a dit « mais mon bon monsieur, vous me prenez en retard là, c'était il y a quinze jours, il y a quinze jours j'aurais pu réclamer, demander à ce que ce soit rajouté, mais moi en tant que sénateur je ne peux plus du tout intervenir là-dessus. Si l'Assemblée Nationale s'est prononcée, c'est terminé. Ca a été retiré, personne n'a rien dit, à moins que nous quinze jours avant... on dit on rajoute, on rétablit ». J'ai dit « attendez euh... ». Il a dit « bon, je vais essayer de voir ce que je peux faire pour vous ». Très bien. On rerentre au Sénat et avant de rentrer au Sénat, moi je connais bien le groupe communiste, parce que bon, j'ai des affinités de ce côté-là, vous m'excuserez hein... euh... depuis très longtemps d'ailleurs. Donc j'ai été voir Michelle DEMESSINE, qui est sénatrice,

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et Michelle je lui ai exposé exactement la même chose que Jean-Pierre SUEUR et elle m'a dit « je veux bien moi t'aider à essayer d'intervenir auprès... Y'a que le gouvernement qui peut faire quelque chose. Si le gouvernement dit il faut le rétablir, il peut le faire ». Seul le gouvernement pouvait le faire ça. Et alors euh... et à l'époque c'était Madame MONTCHAMP et j'étais très bien avec son Cabinet et Monsieur MILANO qui était son Chef de Cabinet. Serge MILANO. Et je suis aussi toujours très bien d'ailleurs, oui, toujours, Madame MONTCHAMP aussi, bien qu'on n'ait pas la même couleur politique mais on s'entend très bien. Et monsieur euh... Patrick GOHET (Délégué Interministériel aux Personnes Handicapées). Et donc il y a eu une interruption de séance en matinée et donc Michelle DEMESSINE, d'en bas, elle me fait signe pour que je descende. Donc je suis descendu, j'étais dans les tribunes, je suis descendu et elle m'a dit : « on va aller au bar pour essayer d'arranger ça. On va voir s'il y a du monde qui puisse... ». Effectivement, nous on peut pas rentrer au bar mais si on est invité on peut y aller au bar. Alors le bar... Vous l'avez jamais vu le bar ?

Non.

Bon, le bar du Sénat, c'est euh... cinquante mètres de long hein. Bah oui, il y a quand même quatre cents sénateurs, s'ils doivent tous se mettre au bar... hein, bon, bref. C'est un bar. Et donc on commence à étudier le dossier et tout. Elle me dit je ne peux absolument rien faire, il va falloir qu'on voit. Et moi j'aperçois donc Monsieur GOHET et Monsieur MILANO, Serge MILANO, qui était le Chef de Cabinet de Madame MONTCHAMP. Alors je lui dis « mais y a du ponte là, on pourrait peut-être voir avec eux ? ». Elle m'a dit « Oui, bonne idée ». « Vous les connaissez ? ». « Ah bah oui je les connais ». Hop, j'prends le dossier sous le bras, j'vais au bout du bar, ils étaient au fond, carrément au fond hein. J'y vais. Bon, salut tout. « Ah bah qu'est-ce que vous faîtes là ? ». « Bah vous savez la loi... ». « Bah oui c'est vrai ... » Voilà, très bien. Monsieur MILANO, je lui dis voilà y a un problème, comment se fait-il que - et

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là je ressors bien sûr le texte qui avait été voté au Sénat - et là, il a l'air... tombé du ciel apparemment. Bon, tombé du ciel. Monsieur GOHET dit « oui, c'est pas normal, c'est pas normal. Les sénateurs ont voté et là ça a été supprimé, on sait pas pourquoi. Il y a eu un squizzage quelque part, je voudrais pas accuser qui que ce soit, je ne sais pas hein, mais ça a été squizzé quelque part, y a quelque chose... ». Bon. Alors je lui dis « écoutez qu'est-ce qu'on fait maintenant ? ». J'ai dit « maintenant... d'après ce que je sais.. ». Alors Madame euh... comment dire euh... Michelle DEMESSINE me rejoint, elle me rejoint avec le président, d'ailleurs le président de la Fédération FNSF était là, et le président du Mouvement des Sourds était là. Alors j'ai dit « voilà, y a deux président de deux importantes associations nationales, ils sont pas contents du tout ». Alors MILANO il dit « bon bah oui, oui, non, mais... attendez... nous on y est pour rien, y a quelque chose. Je vais en parler à la ministre. Vous pouvez me laisser vos dossiers ? ». « Pas de problème, je vous laisse mes dossiers, tout ». Et je lui en parle à savoir ce qu'on peut faire. Il va la trouver, on voit d'ailleurs en haut des tribunes, on voit, il discute avec elle sur le banc là, du gouvernement. Il discute, il ressort tout. Trois minutes après, il était déjà arrivé... un huissier vient me chercher : « Monsieur BRUNEAU, y a monsieur MILANO il veut vous parler ». Donc Monsieur MILANO il me dit « Bon bah écoutez, Madame euh... Madame MONTCHAMP est d'accord, elle veut bien rétablir mais elle ne sait pas exactement dans les termes. Faudrait que vous puissiez faire les termes exacts et on discutera sur les termes exacts. » Donc c'était nous qui étaient chargés de la rédaction qu'on voulait ! ». Bah oui... Ce qui y a, c'est que vous êtes au Sénat, pas d'ordinateur sous la main, rien du tout, vous faîtes quoi ? Quand vous voulez rédiger quelque chose. Elle dit vous l'envoyez, une fois que vous l'avez rédigé vous l'envoyez par fax au ministère et le ministère vous renvoie le texte, parce qu'on ne pouvait pas directement. Donc il fallait envoyer ça au ministère pour qu'il nous le renvoie. Bon... on avait de la chance, c'est que parmi les visiteurs sourds, un monsieur Jean-François LABBE, vous n'en avez pas entendu parler de Jean-François LABBE ? Toujours un monsieur entre deux eaux hein... ça c'est mon neveu par alliance. Mais bon, je vais pas raconter toute

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ma famille. Et alors donc Jean-François il monte et il dit « alors ? ». Je lui dis « écoute je suis emmerdé » en expliquant. Il me dit « ah ! j'connais une sourde qui travaille au Sénat, dans un bureau, on va aller la voir ». Je lui dis « bah attend euh... ». « Mais te casse pas la tête, allez suivez moi ». On est sorti du Sénat, passé le côté de la rue, dans les bureaux du Sénat, elle s'occupe de la vérification des dépenses des sénateurs pour les rembourser. Bon, un rôle subalterne. Donc, on va, on monte, bon elle parle la langue des signes, tout. Donc on bavarde. Et elle me dit « bon, bon, pas de

problème ». « On peut accéder à internet ? ». « Oui, oui ». Moi sur internet j'ai tout de suite retrouvé les textes et tout, j'ai pu reprendre, j'ai fait un copier-coller comme on dit, j'ai repris un texte avec word. J'ai fait lire aux deux présidents du Mouvement des Sourds et de la Fédération. Ils m'ont dit « ouais, ouais, très bien. Bon bah faudra peut-être rajouter ça ». Bon j'ai rajouté pour que ce soit bien, bien dans le contexte quoi. Et avec le numéro de fax qu'on m'a donné, moi j'ai dit j'vais voir parce que je voulais savoir où il atterrit. Je compose le numéro et puis je prends le téléphone. Et j'entends quelqu'un qui décroche. Oui ici le ministère de la Santé, enfin bon, personnes handicapées, à l'époque c'était ça. J'ai dit « bah je suis monsieur BRUNEAU euh... Monsieur MILANO m'a demandé de vous transmettre un fax parce que... ». « Ah bah oui justement on l'attend, dépêchez-vous, avant midi », qu'elle me dit. Donc, il y avait quand même une continuité, hein. « Je vous l'envoie tout de suite. Je raccroche et je vous l'envoie ». « Pas de problème ». Je l'envoie, bon, très bien. L'après-midi, on reprend à trois heures, parce que les sénateurs il faut qu'ils aient le temps de manger hein. Ils arrêtent à midi et ils reprennent à trois heures. C'est trois heures... ah oui... bon. Et alors à trois heures tout le monde reprend et tout. Et vers quatre heures et demie, cinq heures, je vois Monsieur... Madame euh... Michelle DEMESSINE me fait un signe, elle me fait comme ça (pouce en l'air), Jean-Pierre SUEUR il fait comme ça (pouce en l'air), alors les huissiers distribuent des papiers dans tout l'hémicycle, à tous les sénateurs. Bon très bien et puis bon, mais Monsieur MILANO rien, il ne nous regardait pas, rien du tout. Par contre j'ai bien vu qu'il y avait quand même avec Monsieur MILANO et puis

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Madame MONTCHAMP, que ça discutait entre eux. Et arrive eux... huit heures moins le quart du soir euh... Madame MONTCHAMP prend la parole et dit :

« Mesdames, Messieurs les Sénateurs, il s'est trouvé que vous avez voté en première lecture la reconnaissance de la langue des signes article tant... », enfin bon je me rappelle plus. Enfin, elle fait tout son exposé, moi je l'ai encore ce texte, je l'ai pas là mais je l'ai chez moi, je pourrais vous l'envoyer ce texte. J'ai tout... la minute comme on l'appelle, l'extrait. Je l'ai hein. Oui, oui, non mais c'est intéressant à lire, hein. Vous allez voir. Elle dit « voilà alors écoutez Mesdames, Messieurs les Sénateurs euh... d'ailleurs les président des associations de Sourds sont actuellement dans les Tribunes en train de vous regarder ». Et moi j'étais là je traduisais en langue des signes, hein. « Alors je vous demande de bien vouloir rétablir le texte que vous ont distribué les huissiers, de bien vouloir rétablir parce que c'est pas normal. A l'Assemblée Nationale il semblerait que ça a été supprimé, on ne sait pas à quel moment. Et on aimerait que votre premier vote soit confirmé par un deuxième vote, pour remettre cette loi de reconnaissance de la langue des signes ». Et tout le monde a dit « ah oui bien sûr ». Y'en a même un il a dit oui et il faudrait même reconnaître le braille ! On voit à quel niveau ça plane des fois, hein. Oui, oui, non mais c'est comme ça. Faudrait même reconnaître le braille ! J'vois pas. J'vois pas la logique, bref. Et donc, très bien, et ça a été voté je vous jure, à l'U-NA-NI-MI-TE, pas une seule abstention. Pas une seule abstention, ni un vote contre. A l'u-na-ni-mi-té. Il était vingt heures dix, du soir. Et puis il y a eu même des applaudissements en plus de ça. Alors bon bah nous on était... Et alors, et ben on est descendu comme ça a dû se clôturer, il était... D'ailleurs après ils ont été mangé parce qu'après, c'était le dernier article qui passait, après il fallait qu'ils aillent manger parce que là...euh, bon. Après ils reprenaient, hein, ils reprenaient dans la nuit hein parce que... ils ont tendance quand même à aller tard, hein, jusqu'à deux heures du matin des fois, quand même hein. Ils reprennent à dix heures jusqu'à deux heures du matin. Bon, et là donc à huit heures alors Monsieur Jean-Pierre SUEUR et comment elle s'appelle, Michelle DEMESSINE, nous ont attendu en bas, nous ont félicité, et tout, et tout... Et monsieur

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Jean-Pierre SUEUR nous a offert une bouteille de champagne qu'on a bu au bar. Et j'ai même des photos, faut que je les retrouve d'ailleurs. On est en train de boire le champagne avec eux. Voilà la petite histoire de cette reconnaissance de la langue des signes.

Merci.

Donc, j'ai été largement bah... parce que j'ai jamais accepté qu'on puisse comme ça, d'un coup de trait de plume ou je ne sais pas trop quoi euh... supprimer quelque chose où je me battais moi déjà depuis le début quoi... voilà, ça s'est passé comme ça.

Et les conséquences alors de cette reconnaissance... (Le téléphone sonne, Monsieur BRUNEAU décroche).

On parlait donc de la reconnaissance de la loi de 2005 et de la langue des signes. Quelles conséquences a la reconnaissance de la langue des signes au niveau de l'éducation des enfants sourds ?

Alors là, bonne question. Je vais encore broder parce que c'est utile. C'était encore le sujet d'hier soir chez Madame euh...Machin.

Madame LETARD ?

Madame LETARD, euh... l'Education Nationale veut bien enseigner la langue des signes à l'école parce que la loi l'y oblige. Par contre elle ne veut pas enseigner le LPC (Langage Parlé Complété).

D'accord.

Et le LPC gueule, ils disent « pourquoi vous faîtes de la discrimination ? » « C'est pas nous c'est la loi. La loi elle vous a oublié » donc euh..., a dit que il faut respecter

toutes les formes de communication et dans l'éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre, entre... mais euh...

C'est le bilinguisme langue des signes, français écrit.

Voilà, voilà. Et donc euh... voilà. Alors donc l'éducation a été posée par le représentant de la LPC, en disant euh... « c'est pas normal, il y a une

discrimination ». Voilà. Moi j'y peux rien, c'est le législateur. A moins qu'on change la loi, mais... tout au moins l'article de la loi qui... de l'éducation. Mais pour l'instant l'Education Nationale ne veut pas... elle veut rien faire. Et c'est vrai, hein.

Et l'Education Nationale vous la sentez motivée, prête à agir sur...

Obligée, pas motivée, obligée. Donc euh... elle passe que la première, elle veut pas passer la seconde.

Il semblerait qu'il y ait des pôles ressources qui soient envisagés dans chaque...

Oui

... au niveau de chaque académie.

Oui, oui, ils ont des tas de projets, oui. Mais bon, il faut donner les moyens pour les faire fonctionner. Ils ne les donnent pas. Y'a toujours de bonnes raisons pour dire « bah non, c'est pas... c'est l'année prochaine ». Oui, oui, y'a pas... et bon... ils sont assez... c'est le mammouth hein, j'suis désolé hein... mais bon... j'pourrais faire bouger là d'dans moi, pfff....

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Et l'intégration individuelle, vous en pensez quoi ? Parce que, en fait, cette loi...

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Le mot intégration ça veut dire beaucoup de choses et rien dire à la fois. On intègre quoi euh... Vous mettez un chien avec un chat, c'est deux mammifères, bon... et on voit ce que ça donne hein. Non, moi l'intégration je suis pour... le vivre ensemble je suis pour, mais à partir de là, après du moment... Alors après si vous voulez faire la ghettoïsation... On va pas faire la ghetto... On va pas mettre euh... trois portugais, trois chinois, et trois je sais pas trop quoi ensemble, ils discuteront jamais ensemble si ils ne connaissent que leur propre langue. Un moment, on a beau les mettre ensemble, ils vont pas, bon... On va essayer de voir, vivre un peu ensemble mais ils communiqueront dans leur langue maternelle, c'est pareil les personnes sourdes euh... Bon, alors donc moi je suis pour l'intégration mais à certaines conditions. C'est-à-dire que, il faut euh qu'il y ait euh... euh... des enfants... on sait au départ que c'est un enfant sourd, il faut lui donner une éducation. La priorité c'est ça. Bon. Qu'ils comprennent, parce que, ça suffit pas souvent, les Sourds lisent mais ça veut pas dire qu'ils comprennent. Ils savent lire, ah oui, donc ils savent lire donc il va comprendre. Bah non, j'suis désolé. Même un Entendant, il sait lire des lignes. Il va dire blablablablabla... Ca veut dire quoi ? Euh, bah euh...Voilà. Alors un Sourd c'est pire. Donc c'est pas le tout de leur apprendre à lire. Faut leur apprendre à comprendre, ce qu'ils lisent. Et ça c'est pas évident. Et c'est pas en articulant, en articulant à un Sourd, c'est la langue des signes, c'est une langue unique, c'est une langue imagée, comme une communication qui est vraiment bien adaptée pour comprendre les choses. Alors j'ai des Sourds des fois ils me demandent un texte en français, je leur traduis en langue des signes et après je rajoute ce qu'il faut pour compléter et après ils ont compris, ils ont compris le sens. Même le sens figuré. Alors que le sens figuré, ils le comprennent pas, hein, en lecture, les Sourds. Le sens figuré, les sous-entendus tout ça, ils comprennent pas. Donc il faut leur expliquer. C'est d'ailleurs le but ici. Je vais les former, on va travailler avec internet, google... un mot, n'importe quoi, on va travailler... vous voulez le savoir, vous allez cliquer et vous avez les explications éventuellement et tout et tout.

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Et cette loi c'est d'une part la reconnaissance de la langue des signes et du bilinguisme à l'école et d'un autre côté elle prévoit d'intégrer les enfants, j'utilise ce mot d'intégration parce que c'est celui qui est employé dans la loi, elle prévoit que chaque enfant soit intégré individuellement. Est-ce qu'on peut...

Oui, c'est ça...

Est-ce qu'on peut en faire autant pour les Sourds ?

Bah oui, mais non. Qu'est-ce qui va se passer ? On va intégrer un Sourd, allez deux, allez trois Sourds, dans une classe de trente élèves. Bon, allez, on en met vingt. Ca existe pas déjà au départ, hein. Trois Sourds dans une classe de vingt. Qu'est-ce qui va se passer ? L'enseignant, qu'est-ce qui va faire ? Il va dispenser son cours d'une manière oralisée. Les personnes sourdes, elles vont pas pouvoir suivre. Si un élève au fond de la classe qui pose une question, l'enfant sourd il sait pas qu'y a une question qui est posée. Tout de suite, l'enseignant il va dire, oui bah écoute euh... ta question est bonne, viens ici l'expliquer. Et là ils auront pas compris. Donc c'est pas... non, l'intégration j'en veux pas moi, j'en veux pas. Ils participent pas... C'est pas possible. Alors, ils ont eu l'idée de créer des AVS, j'étais là moi il y a trois ans, au ministère de l'Education Nationale, sous la direction d'ailleurs de Patrick GOHET, qui était là aussi. Ils ont dit « on va embaucher des AVS, des Auxiliaires de Vie Scolaire, alors soixante heures de formation, euh voilà, nien nien... ». Soixante heures, moi je lève le petit doigt : « Et concernant les enfants sourds, la formation est de combien ? ». « Ah la formation elle est de quatre heures ». Alors là j'ai dit : « non, écoutez on n'en veut pas ». « Bah, c'est-à-dire que les handicapés... c'est des enfants handicapés ». « Oui mais les Sourds, non. Quatre heures, c'est pas une formation. C'est la communication chez eux, c'est pas... il s'agit pas de pousser le petit chariot ou de leur donner euh... le petit livre qu'ils ont besoin. C'est la communication. Si vous avez pas de personnes compétentes pour communiquer avec eux, pour aider à la communication, c'est pas

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la peine ». Alors, voilà. C'est ça, ça a commencé comme ça il y a deux ans. On s'est battu, on a même été reçu par le ministre, comment... je pêche... Qui a pris une veste d'ailleurs, il était, il s'est présenté comme député dans la Manche, et il a pris une veste...

Philippe BAS...

Voilà... C'est Philippe BAS. Dans le bureau, dans son propre bureau, au cinquième étage du ministère de la Santé, sixième étage c'était. Philippe BAS qui était là. Y avait Jérémie BOROY et y avait moi : « Monsieur BOROY je souhaiterais que vous fassiez un effort de signer le papier ». Il voulait nous faire signer un papier pour les AVS ! Y a trois associations qui ont signé, y'en a qu'une qui n'a pas signé, c'est l'UNISDA. On n'a jamais accepté de signer ce papier. Jamais on n'a accepté. Jamais, aucun. Y'a bien quatre cases, trois de signées mais pas notre signature. Non, non... Nous ce qu'on veut c'est réellement des euh... des enseignants ou des anciens qui maîtrisent la langue des signes, qui connaissent bien la communication envers les enfants sourds quoi, suivant le libre choix des parents euh... Le fameux questionnaire « Projet de Vie » pour les Maisons Départementales, le précédent questionnaire il y avait alors... « faîtes votre projet de vie », tout, et puis et bon, voilà. Mais à aucun moment on disait euh... si vous voulez, dans l'éducation des jeunes sourds, alors que la loi le dit bien, la liberté de choix et tout dans l'éducation de leur enfant, et bien c'était même pas porté dans ce projet de vie. On a obligé la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie), mais il a fallu l'attaquer. Moi j'ai fait partie de la commission au CNSA pour qu'ils le mettent dans les nouveaux questionnaires qui sont en fonction depuis le mois de janvier là.

Une dernière question ? Votre sentiment sur l'avenir de la langue des signes en France... c'est quoi ?

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Bah, j'ai de l'espoir, beaucoup d'espoir. Sauf que, bah ça suffit pas, l'espoir d'une chose, mais il faut mettre les moyens derrière. Si y a pas des moyens pour que la langue des signes elle puisse se faire accep... être connu de tous, quoique il y a de plus en plus de... d'émissions qui ... « L'oeil et la main »... on en parle de plus en plus de cette langue. Ce qu'il faudrait c'est qu'il y ait de plus en plus d'émissions à la télévision, en langue des signes, pour pouvoir justement vulgariser cette langue qui est une langue de la communication, que je dirais universelle, parce que de toute façon même si on ne parle pas la même langue des signes en France, qu'en Allemagne, en Italie ou dans d'autres pays, euh, au bout de vingt minutes on se comprend. Moi je suis allé, je sais pas si on peut le mettre ça, m'enfin... je suis allé il y a quinze ans en Thaïlande, et je parle pas le Thaï ! Avec ma femme on a rencontré à Bangkok des Sourds, un groupe de Sourds, donc j'ai dit on va aller les trouver. « Bonjour vous êtes Sourds ? ». « Ah oui, oui ». Alors ça c'est facile à se comprendre. Voilà, au bout de vingt minutes on se comprenait, je savais s'ils avaient du boulot ou pas, s'ils avaient des enfants ou pas, s'ils étaient mariés, tout et tout, je savais tout, au bout de vingt minutes, et j'parle pas l'thaï. Voilà, c'est un bon exemple. Mais oui, non mais, les gens me... quand je leur dis... mais la langue des signes c'est une langue universelle, on se comprend. Parce que les gestes sont pratiquement les mêmes et on arrive à se comprendre. La vue, les mimiques, ça y est, on a trouvé le geste qui correspond à ce qu'on avait besoin quoi. Ah non, non. Moi je suis un ardent, un fervent défenseur de la langue des signes, moi de toutes façons, là-dessus...

Vous l'aimez cette langue.

Ah oui, oui... ah oui, oui, oui. Je l'ai toujours aimé et puis bon, je la défends parce que s'il y avait pas ça euh... faut quand même penser... c'est que quand la langue des signes elle est arrivée, bon l'abbé de l'Epée, je vais pas refaire son histoire mais, à l'époque, on considérait les Sourds comme des imbéciles, comme des idiots. L'abbé de l'Epée qui est le premier instituteur gratuit pour les Sourds, hein, euh... Bien sûr

enseignait la bible, bien sûr les prières, mais on s'est rendu compte qu'il les a démutisés d'une certaine façon, c'est-à-dire qu'ils ont pu communiquer. Et on s'est rendu compte qu'ils étaient pas bêtes, qu'il suffisait d'adapter le langage avec eux et on pouvait se comprendre. Bon, voilà. Et ça, l'abbé de l'Epée a su le faire, y'en a eu d'autres hein, des sommités au XIXème siècle, des sommités... Laurent CLERC qui est parti aux Etats-Unis, c'était quand même quelqu'un d'important. Y'a eu SICARD, l'abbé SICARD, qui étaient vraiment des gens compétents en Sourds et tout hein. Alors euh... bon maintenant un peu moins parce qu'il y a eu le Congrès de Milan en 1880 qui a fait que, qu'il y a eu carrément le noir quoi, l'obscurité. Mais les Sourds ont continué à communiquer en langue des signes. Ce qui prouve que... à travers les associations sportives surtout. Parce que bon, il y avait pas encore la loi de 1901 sur les associations, alors ils étaient mis dans des associations sportives parce qu'ils voulaient communiquer en langue des signes entre eux, et échanger entre eux. Sans ça c'était interdit quoi. Dans les écoles et tout, hein. Moi j'ai ma belle-mère qui était du Nord, elle était d'Arras, quand elle était petite on lui attachait les mains dans le dos pour pas qu'elle parle en langue des signes. Chez les bonnes soeurs c'était ça. Elle prenait des coups de règle sur les mains et tout, à chaque fois qu'elle était surprise en train de parler en langue des signes. Ma belle-mère... c'était comme ça. En Bretagne, beaucoup, Fougères euh... il y avait beaucoup d'écoles... d'ailleurs ils sont très oralisés en Bretagne, mais maintenant la langue des signes elle revient en Bretagne. Et pendant longtemps ils étaient oralisés hein. Y'a que dans les INJS où on pouvait autoriser la langue des signes. Dans les INJS c'était toléré. Mais dans les écoles privées euh... c'était des écoles de curés... parce que le Congrès de Milan c'est des sommités catholiques qui, en Italie, qui... qu'ont dit « non, il faut... c'est la langue des singes, la langue des signes c'est la langue des singes »...

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Il y a eu du chemin de fait...

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Oh oui, il y a eu du chemin, et puis il faut que ça continue, hein. Faut que ça continue, hein...

ANNEXE 5

Mouvement OSS (Opération de Sauvegarde des Sourds)

Patrick BENISSEN
Jean-François BURTIN
Eric DALOZ
Jeudi 2 avril 2009
Durée
: 1h15

Comment est né le mouvement OSS, pourquoi une grève de la faim en juin 2007 ?

Les manifestations, c'est bien mignon mais jusqu'à présent elles n'ont rien changé pour les Sourds. Après le vote de la loi de 2005, les Sourds étaient plutôt contents. Mais, dans les faits, la reconnaissance de la langue des signes n'existe toujours pas. C'est même pire qu'avant avec l'intégration individuelle des enfants à l'école. Et puis, il y a toute cette agitation autour du dépistage précoce, et l'image de la déficience qui va avec, la promotion des implants...

La loi de 2005 n'est qu'un mensonge. La promotion de la LSF (Langue des Signes Française), c'est tout le contraire de la loi. En fait, on est aujourd'hui dans la même logique qu'avec la loi Fabius de 1991, tout est fait dans l'urgence et au final, il ne se passe rien.

Au moins, la grève de la faim nous a permis d'ouvrir des portes. On a rencontré Patrick GOHET de la DIPH (Délégation Interministérielle aux Personnes Handicapées). Notre objectif c'est la mise en place d'un Observatoire des Affaires Sourdes, avec des groupes de travail sur la LSF, qui traiterait des problèmes de communication et d'information, d'éducation.

Il existe d'autres associations représentatives des Sourds. Pourquoi avoir créé votre propre mouvement ?

Si tu étais membre du MLF, tu accepterais d'être représentée par un homme toi ? Je ne crois pas non...

Et bien nous c'est pareil. On ne veut pas être représenté par des entendants.

A l'UNISDA (Union Nationale pour l'Insertion Sociale du Déficient Auditif)... Ils s'appellent les déficients auditifs... Mais nous, nous ne sommes pas des déficients auditifs ! En fait on a voulu se démarquer de ceux qui défendent la loi de 2005 et ses concepts de déficience, d'intégration individuelle et de ceux aussi qui font la promotion de l'implant. Le gouvernement ne connaît rien aux Sourds et il est conseillé par l'UNISDA, les déficients auditifs. Notre objectif, c'est de franchir deux étapes : changer la loi puis travailler ensemble à l'amélioration de la condition des Sourds.

Et dans l'éducation des jeunes Sourds, la loi elle ouvre des perspectives ?

Il y a une chose à ne pas confondre, c'est le choix de communication et le choix d'éducation. La loi offre un choix de communication, mais qui décide de l'éducation dans une école ? Qui décide que l'enseignement se fera en langue des signes ? Certainement pas les Sourds, ni leurs parents.

Cette idée de parler d'école bilingue aussi, ça porte à confusion. Quand on pense bilinguisme, on pense oral. Si on parlait d'une école sourde, ce serait plus clair. Et puis, il y a trop de choix : la langue des signes, le LPC, l'oral, avec même la possibilité de changer en cours de route. Il n'y a pas de continuité. Dans ces conditions, l'éducation des Sourds, elle ne va pas s'améliorer.

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Il y a moins de Sourds qui signent ?

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Dans les années 1970, il y a eu le « réveil Sourd ». Les Sourds apprenaient la langue des signes, défendaient leur langue. Quand on se promenait on rencontrait partout des Sourds qui signaient. Aujourd'hui, c'est différent, c'est comme une maison qui s'écroule. Les jeunes Sourds ne signent pas tous. Notre langue est en train de disparaître.

Votre grève de la faim a été particulièrement médiatisée. Vous avez gardé des contacts avec des journalistes ?

Non, les journalistes ne font rien. Pour eux, la grève de la faim c'est terminé. Et puis, de toute façon, les Sourds apparaissent toujours comme ceux qui ont des problèmes. Mais c'est quoi notre problème, c'est quoi ce handicap ? Pourquoi on dit toujours que c'est le Sourd qui a besoin d'un interprète ? Et pourquoi on ne dit jamais que c'est l'entendant qui a besoin d'un interprète, pour nous comprendre ? Ce serait bien de renverser les rôles. Le problème c'est que, dans les Instituts, les Sourds sont sous tutelle des entendants. On ne leur a jamais appris à faire de la politique.

Opération de Sauvegarde des Sourds

Monsieur le Président de la République

Palais de l'Elysée

55, rue du faubourg Saint-Honoré

75008 Paris

Quincay le 9 mai 2008

Monsieur le Président de la République,

Vous êtes le Président de tous les Français. Vous êtes aussi le Président des Sourds.

Dans votre allocution à l'occasion du 47ème congrès de l'UNAPEI, le 9 juin 2007, au Palais des Congrès de Tours, vous avez dit une parole essentielle pour penser le handicap :

« Le handicap c'est la rencontre entre deux réalités. Entre un individu et la société. Il y a, d'un côté, les incapacités qu'une personne peut connaître. Mais il y a également, de l'autre côté, et on ne le dit pas suffisamment, l'inadaptation de l'environnement, c'est-à-dire l'inadaptation de la société. Le handicap c'est donc, avant tout, l'attention portée par la société à l'ensemble de ses citoyens. »

C'est sur cette pensée que nous interpellons votre haute autorité sur notre situation de personnes Sourdes.

En ce qui nous concerne, la société est inadaptée. En témoigne le mal-vivre que nous expérimentons dans notre quotidienneté et notre difficulté à exercer véritablement notre citoyenneté. Et, pour cause, les chiffres de l'échec de l'éducation dispensée parlent d'eux-mêmes : 80 % d'entre nous avons un niveau de CE2 en langue française (selon le rapport « Les 115 propositions pour le droit des sourds » de GILLOT).

Et, ce n'est que la face reconnue. Nous sommes pour la plupart en situation de semi-linguisme. Cela veut dire que nous ne possédons même pas la langue des signes. Or, c'est la seule langue qui nous soit pleinement accessible, qui nous permet de développer au plus haut point notre potentiel de pensée, de parole et d'action. Elle permet donc l'exercice plein de notre citoyenneté.

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Et, aussi, ce n'est que la face émergée. Car les aspects cachés, en tout cas moins facilement repérables, de l'échec se traduisent en somme dans notre vécu par de grandes difficultés à vivre dans le monde : manque d'autonomie, rapport conflictuel à soi-même et à l'autre, troubles psychologiques, socialisation problématique, etc.

Cette situation n'est pas inéluctablement liée à notre surdité. D'autres pays l'ont compris. Leurs citoyens Sourds ont un niveau socioprofessionnel nettement meilleur. Curieux revers de l'Histoire, ces pays suivent l'exemple de l'Abbé de l'Epée, premier pédagogue au monde à avoir utilisé, au 18ème siècle, la langue des signes pour l'instruction des jeunes Sourds. Il avait compris que pour en faire de « bons chrétiens et de bons travailleurs », la meilleure façon, c'est justement d'utiliser leur « langue gestuelle ».

La raison de notre situation est que notre langue, appelée officiellement langue des signes française, n'est pas vraiment reconnue.

Votre gouvernement a enterré l'héritage de notre illustre bienfaiteur en 1884 quand le gouvernement a entériné les conclusions du congrès de Milan en 1880 en posant l'interdiction de la langue des signes et l'injonction de « la méthode orale pure » comme principes directeurs de l'éducation des Sourds.

Cela a duré un siècle. Nous avons été interdits de vivre pendant un siècle !

Cette interdiction a été à peine levée dans le courant des années 1970 sous la pression d'un mouvement militant de Sourds, professionnels et parents, auquel se sont joint quelques chercheurs de diverses branches acquis au bien-fondé de la langue des signes dans le développement des Sourds. Pourtant, nous ne sommes pas encore arrivés à sa reconnaissance pleine et entière et encore moins à son application étendue dans l'enseignement. Depuis lors, ce n'est que timidement que cette langue a fait son entrée dans les textes législatifs par la loi 1991 de Fabius (article 33) qui prône le libre choix des parents entre une éducation bilingue ou une éducation oraliste. La loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées confère à notre langue le statut de langue à part entière.

Cette reconnaissance inscrite dans les textes ne se traduit pas dans la pratique par l'obligation de l'enseignement et le développement des lieux d'usage de cette langue notamment pour les enfants Sourds. En effet, la politique de l'intégration scolaire en écarte un nombre croissant d'enfants et les empêche de s'épanouir dans un environnement linguistique approprié à leurs capacités perceptives et communicationnelles. Au nom d'un désir légitime d'intégration sociale, cette pratique les place dans une situation constante d'efforts qui constitue une « désintégration » identitaire.

La loi est en principe favorable au bilinguisme, mais dans les faits, l'oralisme associé presque systématiquement à l'implant cochléaire est souvent prôné comme la meilleure solution par les médecins. Mais force est de constater que cette « solution » a souvent une incidence néfaste pour l'intégrité physique et psychologique de l'enfant et elle n'apporte pas les résultats qu'on serait en droit d'exiger d'une intervention lourde. En effet, l'interaction homme-machine est encore mal maîtrisé par la science et peut engendrer de graves problèmes de santé.

Monsieur le Président, ce que nous vous disons là est très grave. Ce sont des vérités, c'est notre parole. Les pratiques institutionnelles conçues pour nous, nous les avons expérimentées dans notre chair et notre âme et si nous donnons notre verdict, c'est que

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nous savons de quoi nous parlons. Si nous n'avons rien dit jusqu'à présent, ou seulement murmuré, c'est que justement à cause d'une éducation hautement déficitaire, nous avons été amputés de nos outils pour penser, parler et agir normalement.

L'erreur de base du système éducatif français qui est source non seulement d'un amoindrissement de nos capacités à l'autonomie et à la citoyenneté, mais aussi d'une grande souffrance est de nous considérer exclusivement, comme c'est la tendance actuelle, comme des malades, des déficients auditifs. Cette focalisation sur notre déficit sensoriel occulte les ressources extraordinaires de notre vision et notre corporalité dont la langue Sourde est la pierre angulaire. Une erreur qui, il faut bien le dire, a un coût exorbitant pour le budget de l'Etat. La prise en compte des dimensions linguistiques et culturelles des Sourds comme éléments fondateurs de leur insertion dans le réel et dans la société est le gage de la simplicité, de l'efficacité et aussi de l'économie pour le traitement institutionnel du public Sourd.

L'Abbé de l'Epée, figure emblématique de la France, l'avait compris. D'autres pays l'ont compris et poursuivent la voie qu'il a tracée. La Fédération Mondiale des Sourds qui représente 123 pays, à laquelle la Fédération Nationale des Sourds de France est affiliée, prône la reconnaissance pleine et entière de la langue des signes dans tous les aspects de la vie des Sourds, y compris notamment dans l'éducation.

En somme, nous refusons l'arbitraire éducatif, la confusion et la barbarie dans lequel sont placés les enfants Sourds quand on les empêche d'accéder à la langue source de leur développement. Nous refusons l'hégémonie de la médecine qui, au mépris de nos réalités de vie, en occultant nos dimensions linguistiques et culturelles, détruit nos vies.

Alors, Monsieur le Président, écoutez-nous, les Sourds, plutôt que les « spécialistes et les experts entendants de la surdité ». Nous sommes bien placés pour proposer un modèle d'éducation, qui soit digne du pays des droits de l'homme et permette aux enfants Sourds de devenir des citoyens à part entière, pleinement conscients et de prétendre au bonheur.

Nous attendons :

? que l'Etat s'engage dans la réforme en profondeur, et dans leurs multiples aspects, des pratiques institutionnelles concernant la population Sourde, notamment celles de l'éducation. Cet engagement se concrétisera par la création d'un Observatoire des Affaires Sourdes, sous l'autorité de la Fédération Nationale des Sourds de France, dirigé par parité de chercheurs de toutes disciplines (scientifiques, philosophes, juristes, etc.), indépendants de tout rattachement commercial et médical, et de représentants de la communauté Sourde. Cet observatoire aura pour mission de faire une étude approfondie, exhaustive et basée sur le long terme, sur les pratiques existantes. Cette recherche en dégageant les principes fondamentaux d'une conception saine (non médicale !) de la personne Sourde dans sa globalité et son écologie, servira de base pour l'élaboration d'une nouvelle politique permettant aux Sourds une véritable citoyenneté par l'exercice du plein potentiel de pensée, de parole et d'action.

? que l'Etat encourage la création et le développement, sur tout le territoire français, de lieux d'enseignement où cette langue peut être pleinement enseignée et pratiquée pour que tous les enfants Sourds puissent recevoir une éducation digne de ce nom.

Monsieur le Président, nous vous demandons de nous accorder votre attention. Nous vous demandons votre haute protection.

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Monsieur le Président, cette lettre est un appel. Nous sommes déterminés à ce qu'il aboutisse.

Dans l'attente de votre réponse, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, en notre dignité et en notre profond respect.

Pour l'équipe OSS-2007 PatrickBELISSEN

TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS 2

INTRODUCTION 3

PARTIE 1 : LA NATURALISATION DES SOURDS 6

CHAPITRE 1 : L'INVENTION D'UNE CATEGORIE. 6

I- LA REVOLUTION FRANCAISE ET LE PARADIGME DE L'INCLUSION

SOCIALE. 7

A- De l'unité républicaine à l'unification linguistique. 8

1/ L'égalité ou « la passion de l'inclusion ». 9

2/ La politique d'unification linguistique. 10

B- Le projet de l'abbé de l'Epée, conforme au nouvel ordre. 12

1/ L'instruction au service de l'unification. 13

2/ La méthode gestuelle, une méthode révolutionnaire. 14

II- LA CONSOLIDATION DE L'INCLUSION. 16

A- La « biologisation » de la politique. 16

1/ Emergence de l'éducation spécialisée. 16

2/ De la surdité à la déficience intellectuelle. 18

B- Le congrès de Milan et l'interdiction des signes 20

1/ La proclamation de la parole pure. 21

2/ Le réorganisation des Instituts. 22

CHAPITRE 2 : LA REVENDICATION D'UNE IDENTITE SINGULIERE. 24

I- UN COMBAT POLITIQUE POUR L'INTEGRATION. 25

A- Un problème porté dans l'espace public. 26

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1/ Contre l'universalisme républicain. 26

2/ Pour une meilleure représentation politique. 27

B- L'invention des Sourds. 29

1/ Le sourd, un déficient auditif. 30

2/ Le « Réveil Sourd », une action collective pour la reconnaissance. 32

II- LA RECONNAISSANCE DE LA LANGUE DES SIGNES. 33

A- Une reconnaissance encadrée en 1991. 35

1/ Un problème porté par le politique. 35

2/ Une reconnaissance limitée et extrêmement encadrée. 36

B- Une reconnaissance influencée en 2005. 38

1/ L'inscription de la langue des signes sur l'agenda politique 38

2/ Le rôle des porteurs d'intérêts. 39

PARTIE 2 : QUEL CHANGEMENT POUR LA LANGUE DES SIGNES ? 44

CHAPITRE 1 : LA LOI DU 11 FEVRIER 2005. 44

I- UNE LOI POUR L'INCLUSION SOCIALE. 45

A- Une loi globale. 45

1/ La définition médicale du handicap. 46

2/ Une particularité fondue dans la globalité. 47

B- Une loi pour l'inclusion sociale. 48

1/ Du Welfare State au Workfare State. 49

2/ Une rénovation du paradigme de l'inclusion. 51

II- LA MISE EN OEUVRE DE LA DECISION. 52

A- La nouvelle gouvernance. 53

1/ Un « gouvernement à distance » ? 54

212

2/ Des institutions locales déstabilisées. 55

B- L'inertie politico-administrative. 56

1/ Une politique des priorités. 57

2/ Les relations interministérielles. 58

CHAPITRE 2 : LES RESISTANCES AU CHANGEMENT. 59

I- L'ECOLE, LE LIEU DE L'INCLUSION. 61

A- L'école de la République. 62

1/ Une liberté de choix encadrée. 63

2/ Une mise en oeuvre retardée. 64

B- Le secteur médico-social. 66

1/ Bilinguisme contre rééducation. 67

2/ Des établissements subsidiaires. 68

III- LA BIOLOGISATION DE LA POLITIQUE. 70

A- La surdité, un problème de santé publique. 71

1/ Le dépistage précoce de la surdité. 72

2/ La science au service de l'inclusion. 73

B- Un déni de reconnaissance. 75

1/ Le choix des acteurs dans les consultations. 76

2/ Le déni de reconnaissance de la langue des signes. 78

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§ unesco.com

§ vie publique.fr






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