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Collectes de fonds humanitaires (fundraising) : comment élaborer une stratégie de communication digitale adaptée aux nouveaux profils de donateurs particuliers.


par Guillaume Dubus
Université Jean Moulin Lyon 3 - IAE Lyon - Master 2 Management et Communication 2019
  

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5. Les composantes de la communication humanitaire

Dans cette partie, nous examinerons le message en profondeur. Après avoir expliqué quel rôle tient le marketing dans la communication humanitaire, nous décomposerons à titre d'exemple un journal des donateurs pour comprendre comment ce genre d'outils parvient à créer des émotions et à renforcer la confiance des donateurs. Nous détaillerons ensuite les différentes composantes qui structurent la majorité des communications et qui en font des outils convaincants : l'utilisation d'images, de victimes, d'influenceurs ou encore l'évocation des droits fondamentaux. Enfin nous expliquerons pourquoi le discours s'appuie sur des modèles qui ont pour conséquence d'uniformiser le message.

5.1 Le marketing social

Le marketing peut être défini comme « l'ensemble des actions ayant pour objectifs d'étudier et d'influencer les besoins et comportements des consommateurs68 ». Par extension, le marketing social désigne des actions marketing ayant pour but de promouvoir des causes sociales ou d'intérêt général. L'humanitaire se situe en plein dans ce champ et en utilise pleinement les rouages.

L'enjeu du marketing social est de comprendre qui sont les sympathisants, quels sont les objections et les blocages au soutien d'une cause et comment les dépasser. Ces freins peuvent être de nature technique dans le cas d'un mauvais fonctionnement des plateformes de soutien, ou liés au message et à sa compréhension (la communication tient alors un rôle déterminant). De plus, les convictions des sympathisants peuvent être un obstacle à leur appui car certains sont réfractaires à certaines causes. La segmentation de la base de données permet dans ce cas d'adresser le bon message aux bonnes personnes. Cette technique appelée marketing direct est très utilisée dans l'humanitaire et a fortement développé la collecte de fonds. D'après une définition, « le marketing direct est une démarche marketing qui consiste à collecter et à exploiter systématiquement dans une base de données des informations individuelles sur une cible et à gérer une transaction personnalisée69 ». Le marketing direct touche directement la cible et cherche à obtenir un résultat immédiat et mesurable.

67 Damien Roustel, « Humanitaire. Retour sur ces crises les plus oubliées et négligées en 2016 », L'Humanité, 20 janvier 2017, (consulté le 22 avril 2019),

https://www.humanite.fr/humanitaire-retour-sur-ces-crises-les-plus-oubliees-et-negligees-en-2016-630792

68 B Bathelot, « Définition : Marketing » Définitions marketing », 25 septembre 2017, (consulté le 27 mars 2019), https://www.definitions-marketing.com/definition/marketing/

69 Pierre Desmet, « Marketing fondamental », in Aunege, (consulté le 10 mai 2019), http://ressources.aunege.fr/nuxeo/site/esupversions/83e876d5-3c45-45cb-a888-2af03045ca8e/co/L8_4_2_marketing_direct.html

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PARTIE I - État de l'art de la communication humanitaire

Grâce aux études statistiques marketing, il est facile de connaître les caractéristiques sociales, les préférences politiques et religieuses des donateurs ou des prospects et d'utiliser le canal le plus adapté pour communiquer avec lui. Nous étudierons le sociotype des donateurs dans le second audit dédié au don.

Un des principes fondamentaux du marketing est la promesse qui est faite de la satisfaction des besoins exprimés par le client. Dans un texte sur le marketing social et le fundraising, Antoine Vaccaro, président du CerPhi, explique que dans le cas spécifique du marketing social, cette promesse est difficile à vérifier pour le client - le donateur - car il n'est pas bénéficiaire du service délivré par l'ONG. En échange de sa participation, « le donateur reçoit une contrepartie : sa satisfaction morale70 ». Mais il doit être en mesure de vérifier que la promesse est bien tenue.

La communication tient aussi cette fonction de mettre en forme des outils dans le but de rendre des comptes. C'est le cas des rapports annuels, du journal des donateurs, des pages dédiées sur des sites Internet ou des publications sur les réseaux sociaux... Chaque somme dépensée doit être justifiée et présentée aux donateurs qui exigent une transparence totale sur la manière dont sont utilisés les fonds.

En plus d'informer les donateurs sur les actions menées, le journal des donateurs a aussi la vocation de cultiver un sentiment de confiance en rapportant des résultats concrets. Pour comprendre comment se construit cet outil, nous pouvons analyser la revue AGIR de l'organisation UNICEF, trimestriel adapté au digital depuis septembre 2012 71. Sa ligne éditoriale utilise trois registres :

§ Tout d'abord, un discours éditorial rappelant les valeurs de l'organisation. Dans son introduction, la présidente de l'UNICEF France, rappelle les missions globales de l'organisation qui sont de « pointer du doigt les inégalités qui mettent en danger la vie des enfants [et] opérer sur le terrain pour l'accès des plus vulnérables aux droits fondamentaux que sont la santé, la nutrition, l'éducation et la protection ».

§ Ensuite, le discours est orienté vers les victimes, mettant en scène des enfants à travers le storytelling. Ceci permet d'ajouter de la compassion et de l'émotion : « Il y a quelques mois encore, Oumar, 12 ans, vivait heureux avec sa famille, dans le sud-ouest du Niger [...] Il a dû abandonner l'école et partir pour la capitale trouver du travail ».

§ Un discours d'expertise apporte des informations concrètes, des chiffres, des statistiques, ce qui permet de replacer la mission dans un contexte : « 306 millions d'enfants de 5 à 17 ans, selon le dernier rapport du Bureau International du Travail (BIT), sont "employés économiquement" pour survivre et faire vivre leurs familles. » Ces chiffres nourrissent aussi des schémas comme « Comprendre : la vaccination ».

§ Enfin, la réponse apportée par l'UNICEF grâce aux dons est mise en avant tout au long du document, notamment dans les paragraphes « Que fait l'UNICEF ? » ou « Actions sur le terrain ». Pour convaincre les donateurs connectés, la revue est enrichie de contenus multimédias, de QR codes et d'une application iPad qui donnent la possibilité d'en savoir plus. « Nous avons souhaité enrichir le journal d'un dispositif digital simple, interactif et incitatif pour ouvrir à un nouveau mode de communication : plus direct, plus proche et plus impliquant !72 ».

70 Antoine Vaccaro, La communication des ONG humanitaires (Paris: Ed. Pepper: L'Harmattan, 2010), p.85

71 « UNICEF-France_Journal-AGIR-01(1).pdf », (consulté le 28 mars 2019), https://www.unicef.fr/sites/default/files/userfiles/UNICEF-France_Journal-AGIR-01(1).pdf

72 « Agir, le nouveau journal des donateurs de l'UNICEF France ! », UNICEF France, 20 septembre 2012, (consulté le 23 juillet 2019), https://www.unicef.fr/article/agir-le-nouveau-journal-des-donateurs-de-l-unicef-france

PARTIE I - État de l'art de la communication humanitaire

Intéressons-nous maintenant à la personne qui écrit le journal des donateurs. Dans cet exemple, Corinne T. (nom volontairement omis dans ce mémoire), est une journaliste qui a écrit pour Libération, Marie Claire, Télérama, L'Express. En utilisant le style rédactionnel d'une journaliste, l'organisation conforte son lecteur dans une tonalité qui lui est familière, articulée autour de faits, propres au style journalistique. De plus, le fait que le document soit écrit par une personne externe, qui plus est, soumise à un devoir déontologique lié à sa profession, apporte de la crédibilité aux informations données.

Jouer le jeu de la transparence peut être une stratégie payante pour les organisations afin de susciter la confiance. Le digital facilite la collecte et la diffusion de données du terrain (nombre de bénéficiaires aidés, part du budget dépensé...) mais l'affichage systématique des comptes au public, sous la pression permanente des bailleurs et des donateurs, est devenu une norme compliquée à gérer pour les organisations. Dans le sillage des plus importantes, toutes les ONG ont dû s'aligner et montrer patte blanche pour ne pas avoir l'air de cacher quelque chose. Cette obligation a aussi accéléré la professionnalisation des associations qui ont dû se donner les capacités d'avoir une traçabilité, une gestion financière et un reporting transparent. Pour cela, elles ont revu leurs processus et embauché une armée de personnes qualifiées, chargées de s'en occuper.

Rendre des comptes aux donateurs permet aussi de garder une communication active avec eux en vue de motiver le prochain don. La fidélisation est un élément essentiel de la relation donateurs car il s'agit avant tout de créer un attachement fort et continu entre un donateur et une cause.

Il est intéressant de noter le lien que la communication humanitaire crée à travers ces outils. Pour Anne Fouchard, journaliste et ancienne directrice de la communication de l'UNICEF France, elle tient « une position unique entre le bénéficiaire et le donateur » mais elle poursuit en soulignant : « à partir de cette posture avantageuse, beaucoup de rédacteurs et de fabricants de mailings ont cédé à la tentation de raconter de belles histoires »73. Elle décrit les campagnes humanitaires comme des produits de communication qu'il faut savoir utiliser avec parcimonie au risque « d'être contre-productif et de desservir la cause74 ».

Tout l'art des rédacteurs est de continuer à capter l'attention du lecteur en utilisant le bon dosage d'information et d'émotion. En effet les lecteurs, sollicités de toutes parts et rompus aux publicités commerciales, savent désormais décoder les messages et n'hésitent pas à rompre les liens s'ils se sentent manipulés. L'esprit éthique prend alors tout son sens car il empêche théoriquement tout débordement, nous y reviendrons.

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73 Anne Fouchard, La communication des ONG humanitaires (Paris: Ed. Pepper: L'Harmattan, 2010), p.134

74 Fouchard, La communication des ONG humanitaires, p.143

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PARTIE I - État de l'art de la communication humanitaire

5.2 Des images pour créer l'émotion

La multiplication des images dans notre vie quotidienne apportée par la télévision, Internet ou encore la publicité a transformé la façon de communiquer. Il est désormais indispensable d'associer une image à un message pour le rendre plus riche, plus percutant et plus facile à comprendre. Montrer ce qui est dit, est devenu une norme car cela apporte en premier lieu de la crédibilité à l'information : les gens croient ce qu'ils voient.

Ensuite, et c'est un élément essentiel, l'image crée de l'émotion chez le receveur, ce qui a un impact plus fort en termes de communication. Cette émotion qui peut se traduire par divers sentiments (compassion, envie, rejet...), déclenche une sorte de dépendance chez l'homme qu'il va chercher à retrouver. Une audience va donc naître du besoin de l'homme de ressentir des émotions. Les médias l'ont bien compris et exploitent ce créneau : la presse papier utilise abondamment des images pour illustrer son propos ; la presse digitale en fait de même avec l'apport de supports audiovisuels ; le concept de la télévision est entièrement basé sur l'image; quant à la radio, elle est désormais filmée et diffusée en direct sur Internet.

L'humanitaire n'échappe pas à cette logique mais encore faut-il définir un cadre pour déterminer ce qui peut être montré, nous y reviendrons plus tard.

5.3 Une communication centrée sur la figure victimaire

La plupart des communications humanitaires actuelles sont centrées autour d'une victime. Dans cette sous-partie, nous expliquerons les raisons d'un tel choix et la manière dont elle est mise en scène pour que les humanitaires y aient un rôle à jouer.

5.3.1 Une mise en scène arrangeante

Dans un texte sur la communication humanitaire, Denis Maillard démontre que le discours humanitaire s'articule autour de trois registres : « un discours politique qui rappelle les valeurs et les principes de l'action humanitaire ; un discours d'expertise qui vient restituer l'action dans son environnement géopolitique ou médical; un discours compassionnel qui met en scène l'action à travers les victimes.» Il ajoute qu'il n'y a pas de communication humanitaire « sans émotion, sans victime et sans compassion »75. Ce choix de présenter l'action humanitaire autour d'une victime constitue aujourd'hui un axe majeur de la communication humanitaire et particulièrement de la collecte de fonds car cela présente plusieurs avantages :

§ Premièrement, centrer le message autour de la victime permet de proposer un récit illustré de cas particuliers qui va utiliser du vocabulaire affectif pour créer de l'empathie et de la compassion chez le receveur.

§ Ensuite, dans une logique où la communication doit être vulgarisée pour être comprise, montrer des victimes est plus facile et plus efficace que de montrer la complexité d'un conflit ou les causes d'une injustice. Il est en effet plus simple d'expliquer ce que vit une personne que le contexte et les raisons qui ont provoqué la situation. Pascal Dauvin insiste sur l'importance de la victime dans les énoncés humanitaires et démontre que « l'impossibilité d'ajuster le message à tous les profils recommande d'axer les stratégies de collecte sur le plus petit dénominateur commun : des victimes universelles, innocentes et ne laissant aucune prise aux jugements politiques76 ». Il y a donc dans ce choix une question de commodité pour s'adresser au plus grand nombre.

75 Maillard, La communication des ONG humanitaires, p.69

76 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.163-64

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PARTIE I - État de l'art de la communication humanitaire

§ Enfin, cela permet de se détourner des causes politiques des problèmes et de faire l'impasse sur l'origine des conflits, leur légitimité ou les raisons structurelles des crises. Pascal Dauvin explique que souvent, le message est centré autour d'une victime sans s'attarder « ni sur les conditions qui créent l'injustice, ni sur la pertinence politique de l'action qui suit l'indignation77 ». En prenant cet angle, les ONG évitent de pointer du doigt les responsables, ce qui pourrait avoir des conséquences en termes de sécurité vis à vis de leur équipe sur place, et une implication sur les autorisations nécessaires pour pouvoir travailler légalement sur le terrain.

5.3.2 Montrer une victime acceptable et conforme à l'esprit occidental

La victime est présentée comme une « individualité souffrante, un personnage générique de l'humanité. Elle est donnée à voir comme une figure pure, délestée de ce qui pourrait heurter: les variables sociales (l'ethnie, la religion, la classe sociale) ou une quelconque responsabilité dans le malheur ». Pascal Dauvin, l'auteur de ce propos, poursuit : « l'efficacité de cette mise en scène tient à la capacité de véhiculer une sémantique de la douleur familière et accessible au public occidental »78. Le constat de ce maître de conférence nous indique que pour avoir un effet positif sur ce qu'elle véhicule, il faut que la victime soit conforme à l'esprit commun et qu'elle ne choque personne pour être acceptée. Le message doit être suffisamment émouvant pour interpeller mais pas trop choquant pour ne pas repousser le lecteur. Le risque, c'est que ce type de discours crée, chez les personnes vulnérables, un sentiment de peur, de crainte voire d'angoisse par mimétisme émotionnel avec la victime.

5.3.3 La concurrence des victimes

Il est surprenant de constater que les victimes n'ont pas toutes la même résonnance. Dans une perspective de marché, Denis Maillard évoque « la concurrence des victimes79 » alors qu'Anne Fouchard les classe, dans un texte sur l'Éthique et communication, selon une échelle de popularité:

«[...] les pures, celles de catastrophes naturelles qui n'y peuvent rien, les innocentes, l'enfant au milieu d'un groupe de sauvages irresponsables, celles qui ont quelque chose à se reprocher, l'Afghan, le Palestinien ou le malade du sida, et les désespérantes, les civils de RDC, les Tchétchènes, dans les guerres auxquelles on ne comprend rien80. »

D'un point de vue de fundraiser, les victimes et les différentes crises qui y sont associées n'ont donc pas toutes le même écho. Leur choix va générer différents sentiments chez les receveurs, ce qui va avoir un impact direct sur leur générosité. Dès lors, les « entreprises de charité », pour reprendre un terme utilisé par Bernard Kouchner, sont confrontées à un enjeu majeur : le choix des causes à promouvoir. Communiquer sur telle cause parce qu'elle est porteuse ou sur tel sujet parce qu'il est de leur devoir d'informer. Ce dilemme pourrait pousser les communicants à ne parler que des sujets qui apportent des résultats en termes de collecte. C'est en tout cas un risque qu'il faut envisager pour ne pas être tenté de favoriser une cause juste parce qu'elle apporterait un meilleur retour sur investissement.

77 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.170

78 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.21-22

79 Maillard, La communication des ONG humanitaires, p.67

80 Fouchard, La communication des ONG humanitaires, p.139

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PARTIE I - État de l'art de la communication humanitaire

5.3.4 Médiatiser la victime et son sauveur

Nous pouvons pousser la réflexion autour de la victime avec Denis Maillard car selon lui, « donner à voir la victime permet de se donner à voir en train de la secourir81 ». Dans un premier temps, les ONG, dans leur volonté de témoigner, montraient des victimes ignorées ou oubliées. L'objectif était plus politique que lié à la communication. Mais au fur et à mesure que le domaine s'est professionnalisé et que les médias se sont structurés, l'acte politique initial s'est transformé en un « positionnement de marque nécessitant une narration particulière82 ». Donner à voir est devenu un acte médiatique qui a permis aux organisations de se positionner comme sauveur ou du moins comme une entité active qui tente de changer la réalité.

De plus, la médiatisation en tant que vecteur de l'information tient un rôle déterminant. Dans son ouvrage intitulé La souffrance à distance, Luc Boltanski raconte l'histoire du Bon Samaritain pour montrer que c'est seulement en étant informé d'une situation, qu'un sauveur potentiel peut agir:

« Ce qui est à portée de vue est également à portée de main et c'est précisément cette conjonction entre la possibilité de connaître et la possibilité d'agir qui définit une situation caractérisée par le fait qu'elle propose un engagement83. »

Autrement dit, l'engagement devient possible à partir du moment où une personne est confrontée à une situation, soit parce qu'elle se déroule devant lui, soit parce qu'elle en a pris connaissance. L'importance de la médiatisation des actions humanitaires prend alors tout son sens car c'est le seul moyen de présenter aux citoyens ce qui se passe à distance et de déclencher un acte d'engagement.

5.4 Une communication qui s'appuie sur les droits fondamentaux

Dans un contexte délicat, où les communicants pèsent chacun de leurs mots par peur d'écorner l'image de leur association, il y a un autre thème sur lequel la communication humanitaire s'appuie : les droits fondamentaux comme les droits de l'homme, véritable pilier moral commun à tous. Référer à cette valeur universelle irréfutable est pratique pour plusieurs raisons :

§ elle permet, d'une part de s'adresser au plus grand nombre en utilisant des arguments compris et acceptés par tous;

§ d'autre part, c'est une thématique refuge dont on peut parler simplement sans prendre de risques. Au niveau rhétorique, les arguments vont s'axer sur la morale, le devoir, le civisme que chaque être humain est censé porter;

§ enfin, elle met les États et la communauté internationale devant leurs responsabilités, ce qui donne un certain écho à l'heure où les institutions comme les Nations Unies font de moins en moins autorité et sont de plus en plus critiquées pour leur inertie ou leur inaction.

D'autres thématiques sont aussi utilisées pour être audibles, c'est le cas des valeurs démocratiques, du droit humanitaire, de la Convention relative aux droits des enfants, du droit des réfugiés ou encore de la Convention de Genève dont nous avons parlé en préambule.

81 Maillard, La communication des ONG humanitaires, p.66

82 Maillard, La communication des ONG humanitaires, p.67

83 Luc Boltanski, La souffrance à distance: morale humanitaire, médias et politique, Nouv. éd., Folio essais 488 (Paris: Gallimard, 2007), p.30

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5.5 L'utilisation d'influenceurs

La communication humanitaire fait souvent appel à des célébrités pour augmenter la visibilité de l'association, gagner en notoriété, conquérir de nouveaux publics et avoir une chance d'être citée dans la presse. Avoir une personne connue comme porte-parole, appelée parfois ambassadeur(rice) de bonne volonté, décuple la portée du message et facilite son adhésion par ses fans.

L'UNHCR par exemple utilise le potentiel de ces influenceurs depuis de nombreuses années. Parmi les stars les plus connues, figurent Angelina Jolie, Cate Blanchett ou encore Ben Stiller. Tous ont une portée mondiale, ce qui a un impact direct sur les retombées médiatiques ou sur l'effet buzz que cela peut engendrer. Lorsque Cate Blanchett a pris la parole devant le conseil de sécurité de l'ONU en 2018 pour défendre la cause des réfugiés rohingyas, l'information a été reprise par de nombreux organes de presse et la magie des réseaux sociaux a opéré pour démultiplier les sources de diffusion du message.

Bien que l'utilisation d'influenceurs stars existe déjà dans le domaine, cette pratique s'ouvre aujourd'hui grâce aux possibilités apportées par le digital. De nouveaux influenceurs ou micro-influenceurs émergent sur les réseaux sociaux et les résultats constatés permettent de croire en son fort potentiel. Se référer à la Partie III, sous-partie 4, Les formes émergentes de communication humanitaire et de collecte digitale pour plus de détails sur cette pratique.

5.6 Une rhétorique basée sur des modèles

Comme nous l'avons expliqué, les différents acteurs de la communication humanitaire circulent d'un espace à un autre. Ce fort turn-over des professionnels au sein des agences, des ONG et des organes de presse contribue à l'uniformité des messages car les acteurs « transportent des modèles qui finissent par aller de soi84 ». Le discours centré sur la victime en est un parfait exemple : les communicants reproduisent d'une structure à l'autre les mêmes messages qu'ils ont appris et fabriquent un message standardisé auquel la cible est accoutumée. Ce choix a pour conséquence d'appauvrir le propos et de freiner toute évolution.

L'uniformisation du message a aussi une autre cause. D'après Pascal Dauvin, dans les années 90, les communicants plaidaient plus « la défense de la cause que l'orthodoxie professionnelle de la communication85 », cependant, la génération suivante a eu une approche différente : « Ce qui les différencie de leurs aînés, c'est le titre universitaire. Ils sont socialisés à la communication par le biais de leur formation, ils se conforment plus aux règles et aux réflexions éthiques codifiées par la profession86 .» En plus d'une formation universitaire standardisée où ils ont appris des méthodes de communication applicables au secteur marchand, l'engagement initial des humanitaires « sans-frontiéristes » et leur volonté profonde d'informer et de témoigner ne sont plus l'aspiration première des professionnels de la communication humanitaire, qui exercent désormais ce métier comme ils le feraient pour une société commerciale.

Pour nuancer cette idée, il est important de prendre en compte l'avis de Jean-Baptiste Legavre, professeur en sciences de l'information et de la communication, qui a réalisé des entretiens sur le parcours de plusieurs travailleurs humanitaires.

84 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.21

85 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.15

86 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.15

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PARTIE I - État de l'art de la communication humanitaire

Dans un chapitre sur les ressources sectorielles, il indique que le diplôme est une ressource mais ne suffit pas pour intégrer le monde humanitaire. Il faut aussi « des socialisations antérieures qui peuvent rendre possible une entrée dans la carrière de la communication humanitaire87 ». Pour lui, l'humanitaire est un domaine particulier au même titre que la communication sportive, culturelle ou financière. Avant la maîtrise technique de la communication acquise grâce au diplôme (faire un communiqué de presse, un plan de communication), il faut démontrer qu'on connaît le secteur et justifier d'une expérience terrain pour asseoir sa crédibilité (lire à ce propos le chapitre Les raisons de l'engagement). Ce prérequis a des conséquences sur le recrutement car il diminue considérablement le nombre de candidats potentiels. Ainsi, et nous en venons à notre propos, la communication humanitaire est devenue un métier de niche qui fonctionne en circuit fermé, où les communicants appliquent les mêmes recettes et reproduisent les mêmes schémas qu'ils ont appris dans leur poste précédent. C'est une autre raison qui explique pourquoi les énoncés sont souvent similaires, pour ne pas dire standardisés, d'une campagne à une autre.

L'application de modèles digestes pour le public et approuvés par la direction est parfois arrangeante face à la complexité du sujet ou aux contraintes des supports. L'enjeu pour le communicant est de refuser la facilité de la simplification du message. En faisant des raccourcis sur une cause et son effet, en simplifiant l'origine d'un mal ou en ne mettant en lumière qu'une seule facette du problème, le communicant s'éloigne de la vérité. Or parfois, les supports tels que les réseaux sociaux, les annonces SEA ou les emails, contraignent les rédacteurs à donner une information condensée dans un nombre de caractères limités. C'est ainsi que des aberrations peuvent apparaître. Anne Fouchard donne un exemple auquel elle a été confrontée : « Ces enfants vont mourir de la rougeole sans votre aide88 .» Pour éviter les simplifications parfois trompeuses, elle préconise : « l'abandon des fables pour partager la complexité du réel peut être une attitude éthique payante89. »

Enfin, le discours humanitaire reste statique car les acteurs humanitaires ne vont généralement pas à l'encontre de l'esprit consensuel et s'attachent à présenter une information claire sur la situation. Prendre le risque d'être incompris par leurs soutiens ou les surprendre en leur délivrant un message contradictoire avec celui qu'ils pourraient entendre d'autres structures, n'est pas une bonne stratégie car elle risquerait de créer de la méfiance et ou de l'incompréhension. À ce propos, Pascal Dauvin avance que « les ONG peuvent prendre des risques dans leur discours mais le contre-pouvoir s'exerce toujours dans une arène sans danger pour le don et l'action90 ». Rony Brauman, lui, dénonce le fait de « laisser passivement un discours dominant orienter le sens du discours humanitaire91 ».

La communication humanitaire, qu'elle ait pour objectif d'informer, de sensibiliser, d'engager, de dénoncer, de convaincre reste bien souvent dans un spectre bien défini, convenable pour tous. Elle engage de « façon neutre sans désigner le méchant92 » car les responsables des atrocités sont, d'une manière générale, exclus du récit.

87 Legavre, La communication des ONG humanitaires, p.34

88 Fouchard, La communication des ONG humanitaires, p.140

89 Fouchard, La communication des ONG humanitaires, p.145

90 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.160

91 Brauman, La communication des ONG humanitaires, p.156

92 Dauvin, La communication des ONG humanitaires, p.165

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera