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La conservation du dugong en Nouvelle-Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques relatifs à  une « espèce emblématique ».

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par Audrey Dupont
Université Aix-Marseille - Master Pro Anthropologie et Métiers du développement durable 2014
  

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IV.3.3. Gestion de l'espace maritime dans la tribu de Kélé : et les « savoirs traditionnels » dans tout cela ?

Parmi la population mélanésienne de la Zone Côtière Ouest76, les habitants respectent les zones taboues, même en milieu marin, qu'ils soient « Jeunes » ou « Vieux ». Il existe beaucoup d'histoires autour de ces lieux qui explorent différentes thématiques, comme l'indiquent Antoine Wickel et Jean-Brice Herrenschmidt dans leur rapport sur la toponymie maritime dans la région (GIE Océanide, 2009). Dans cette étude, dont l'objectif était de réaliser un état des lieux des zones taboues et de la toponymie maritime de la Zone Côtière Ouest, les sites font référence :

- pour 40% à l'histoire précoloniale ;

- pour 30 % à la ressource halieutiques et aux pratiques de pêche

76 Nous avons choisi d'utiliser les données récoltées dans la tribu de Kélé concernant les « savoirs tradtionnels » car nous avons plus d'informations sur cette thématique étant donné que nous sommes restée dans la tribu plus longtemps. Nous aurions voulu être équitable dans la description des « savoirs traditionnels » liés a la gestion maritime et exposer davantage les savoirs des Calédoniens d'origine européenne par exemple, mais nous n'avions pas suffisamment de données exploitables.

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

- pour 25 % à des mythes, légendes, histoires liées à des esprits surnaturels ;

- pour 5 % à l'histoire coloniale et contemporaine ; (Ibid. : 26)

Les auteurs insistent également sur le fait que les lieux « tabous » sont davantage associés à des lieux « sacrés » qu'il faut respecter, plutôt qu'ils ne constituent de réelles règles de conduite à observer. Autrement dit, ce sont simplement des lieux que les personnes évitent de fréquenter, et ce parce qu'ils ont souvent été marqués par la présence, la lutte, la mort d'un ancêtre (historique ou mythique). Par conséquent et par respect pour cet ancêtre, ces endroits deviennent « sacrés ». Ensuite, toujours selon le rapport du GIE Océanide, « le tabou désigne plus l'interdit qui accompagne le lieu que le lieu en lui-même » (Ibidem). Nos données de terrains semblent aller dans le sens de cette analyse, comme le suggère les propos d'un jeune homme d'une vingtaine d'années de la tribu de Kélé :

« Comme tabou, il y a l'île aux morts par exemple. C'est la grand-mère qui m'a expliqué cela. C'est un endroit où avant, ils laissaient les morts. C'est un endroit tabou où il ne faut pas aller, c'est dangereux si tu ne suis pas la règle. Moi je respecte, il ne faut pas jouer avec ces choses là [...] Il existe un autre endroit d'ailleurs où c'est tabou : c'est le coude de la rivière qui mène à la mer. Il y a un endroit où il ne faut pas plonger. Un jour, il y en a un qui a plongé et bien les Vieux ils l'ont retrouvé mort, accroché aux rochers ! C'est ma mère qui m'a raconté cela ».

Aussi les lieux tabous sont-ils respectés par les habitants qui ne s'y aventurent pas par peur des représailles ou de vengeance des esprits des Anciens présents dans les tabous. Contrairement à Pouébo, ces lieux ne semblent pas particulièrement significatifs de pratiques traditionnelles ou d'inscrits dans la tradition locale. Ils sont simplement la manifestation et la source de mythes, d'histoires et de diverses représentations liées à la culture locale. Ce sont peut-être là les seuls « vestiges » de pratiques et savoirs traditionnels concernant la gestion de la mer qui se sont fortement modifiées du fait de l'installation de la colonie pénitentiaire et des mélanges culturels profonds.

Puisque cette tribu est située en bord de mer, la majorité des habitants possède un bateau dès qu'ils peuvent se le payer et deviennent pêcheur occasionnel ou professionnel. Les plus jeunes pratiquent la chasse sous-marine en groupe car il s'agit d'une occasion pour s'amuser ensemble, de sortir s'aérer et de s'amuser à faire des concours, ou encore de rire gentiment les uns des autres. La pêche devient un loisir pour les jeunes Kanak, un peu à la façon des « coups de pêche » attribués aux Calédoniens d'origine européenne mais résolument broussards. Tl en va de même pour la chasse au cerf. D'ailleurs, certains partent chasser en bateau, afin de tirer sur les animaux qui se sont réfugiés sur les îlots alentours par temps de marée basse.

Comme dans la plupart des tribus de bord de mer, les habitants de Kélé possèdent une zone de pêche exclusive en face de la tribu, qui leur est spécialement réservée et dont ils s'occupent. D'après les entretiens, les habitants de la tribu de Kélé estiment que leur rôle est d'assurer eux-mêmes la protection de leur zone de pêche de l'invasion de potentiels fraudeurs ou d'autres pêcheurs venus profiter de leur abondance en poissons, conséquence d'un système de gestion efficace de la ressource basé sur leur vigilance. A ce propos, le discours d'un jeune pêcheur / chasseur est particulièrement révélateur de la manière de penser dans la tribu :

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pratiques pour la protection d'une espèce « emblématique » menacée

« Nous on protège notre lagon à Kélé. On prend le bateau, on a grandi ici, on sait comment cela se passe et on connait la mangrove par coeur et le lagon aussi. À Kélé, nous on sait comment protéger notre lagon, même les Vieux : on tire au fusil et on fait partir ceux qui ne viennent pas de là. C'est chez nous. Quand j'en vois un qui essaie de venir sur Kélé, sur nos lagons, je le vire ».

Il s'agit là d'une pratique qui n'est pas isolée mais qui existe ailleurs, dans des contextes différents et même en dehors des tribus. L'exemple donné par un habitant de Bourail d'une femme âgée calédonienne d'origine européenne qui protège sa propriété maritime confirme que cette pratique est répandue dans la Zone Côtière Ouest :

« J'ai vu les vieux pêcheurs qui voulaient pêcher à l'îlot XXX, vers XXX, chez Madame XXX. C'est elle qui fait la loi là-bas, elle tirait sur les bateaux à coups de fusils » (Bourail, homme à la retraite, 2014).

D'après ces interlocuteurs, cette pratique populaire locale reste la même pour la protection de toutes les espèces marines, y compris du dugong. Elle se confronte à plusieurs problèmes, dont celui lié à sa compatibilité avec le cadre législatif territorial. Nous avons des doutes quant à sa possible prise en compte par les politiques publiques puisqu'elle outrepasse le cadre de la loi qui interdit à chaque citoyen de faire justice lui-même. Les seules personnes qui peuvent représenter le pouvoir exécutif sont les agents assermentés des Provinces ou les agents des collectivités territoriales. Enfin, le caractère « traditionnel » de cette pratique pose question car elle est appliquée en dehors de la tribu, où l'autorité sur l'espace maritime des habitants des côtes n'est pas reconnue.

Pour conclure, par la création de l'association de la ZCO, l'UNESCO et la Province Sud ont tenu à former un comité de gestion de la Zone Côtière Ouest avec la population locale. Mais contrairement à l'association de gestion de l'aire marine protégée de Pouébo, la ZCO s'est formée avec la création du parc marin et son inscription au Patrimoine Mondial, mais surtout par le travail d'un agent de la Province sur place venu démarcher les potentiels participants parmi les habitants. L'association a donc suivi des directives qui lui ont été dictées « par le haut », par l'organisme international de l'UNESCO et surtout la Province Sud. Puisque la décision de réaliser ce projet de comité ne leur a pas appartenu, ses membres ont dû s'adapter fortement aux modes de fonctionnement et au vocabulaire de ces acteurs.

En ce sens, il n'est pas étonnant de constater que les savoirs et pratiques traditionnels de la population autour du dugong ou liés à la protection maritime ont moins été pris en compte dés le départ du projet par les gestionnaires que dans l'aire marine protégée de Hyabé/Lé-Jao. En outre, la problématique du patrimoine culturel lié à l'écosystème et aux espèces emblématiques qui fréquentent le « Bien-en-série » (les six sites classés au Patrimoine mondial de l'UNESCO) n'a pas été véritablement au coeur de la protection internationale du lagon. Ce sont les arguments de la biodiversité et du caractère exceptionnel de ces lieux qui ont décidé le comité d'évaluation de l'UNESCO à l'inscrire sur la liste. Pourtant, la ZCO comme la Zone du Grand Lagon Nord (où se trouve l'aire protégée de Hyabé) sont intégrées dans cet espace de conservation et leur

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gouvernance est déléguée aux services publics compétents, c'est-à-dire aux Provinces Nord et Sud. La seule explication concernant leur différence d'administration correspond aux priorités politiques de chacune des institutions provinciales.

Par conséquent, dans le contexte néo-calédonien, la question de l'intégration des savoirs et des pratiques locaux dans l'effort de conservation rejoint celle de la participation envisagée par les acteurs institutionnels responsables des programmes. Il faut souligner que les échelles et les contextes de protection entre les deux exemples donnés ne sont pas les mêmes. Il est sans doute plus difficile de mettre en oeuvre une démarche « participative » dans la Zone Côtière Ouest, dans cette région qui est plus vaste et surtout, qui abrite des conflits ethnico-culturels denses et complexes intervenant dans la problématique de la conservation de la biodiversité et du patrimoine culturel.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard