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Pouvoir politique et parenté dans le système Mossi.

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par Ndigue Faye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master II 2011
  

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2- Parenté et exercice du pouvoir

« ...C'est avec raison qu'on a distingué l'économie publique de l'économie particulière, et que l'état n'ayant rien de commun avec la famille que l'obligation qu'ont les chefs de rendre heureux l'un et l'autre, les mêmes règles de conduite ne sauroient convenir à tous les deux »68 s'indignait Rousseau quant à la non recevabilité de la genèse de l'Etat dans la famille. Ces propos illustrent bien la distance opérée par les théoriciens du droit politique sur la question de la genèse de l'État, de ses fondements et des modalités de sa gestion depuis la fin du XVIe siècle avec les penseurs comme John Locke - qui critique la théorie sur la monarchie du droit divin telle que élaborée dans le Patriarcha de Robert Filmer- jusqu'aux Lumières avec Rousseau et ses contemporains.

Cette nouvelle approche du politique rompt avec une ancienne conception laquelle faisait dériver l'Etat de Dieu ou de déduire la manière d'exercer le pouvoir étatique à celle du pouvoir familial. Suivant ces auteurs en l'occurrence Rousseau, la famille est par excellence le domaine de la vie privée, du coeur, de « l'économie domestique et patrimoniale » tandis que l'Etat est celui de la raison, du public, de la volonté générale. Dés lors le chef de famille ne saurait se concevoir comme un chef d'Etat. Ainsi, même si les fonctions du père de famille et du prince tendent vers une seule finalité à savoir le bonheur, la nature des voies suivies et les mécanismes d'administration restent différents. Aux dires de Rousseau, « quoique les fonctions du Père de famille et du prince doivent tendre au même but, c'est par des voyes si différentes ; leurs devoirs et leurs droits sont tellement distingués qu'on ne peut les confondre sans se former les plus fausses idées des principes de la société... ».69

Pourtant, il semble que ce soit dans cette même logique que s'inscrivait Hegel dans sa définition de l'Etat et de ses fondements. Si pour lui, l'Etat constitue ce solide édifice dont « l'architectonique de sa rationalité [...] fait reposer la solidité du tout sur l'harmonie des parties », alors il ne saurait s'édifier à travers ce qu'il appelle « la bouillie du coeur, de l'amitié et de l'enthousiasme »70. En principe ceci reviendrait donc à faire de celui-ci, non plus une instance basée sur la dimension privée, des sentiments, mais ancrée substantiellement dans une sphère publique régie par des lois en tant qu'expression de la volonté générale.

68 Rousseau, J.J. « Discours sur l'économie politique » In Du Contrat Social ou Principes du Droit Politique. Op.cit. p.66

69 Rousseau, J.J. « Du Contrat Social ou Essai sur la Forme de la République, Premier version. Livre I « Premières notions du corps social », chap. V «Fausses notions du lien social». In Du Contrat Social. P.122

70 Hegel, G. W. F. Principes de la philosophie du droit, préface, traduit, présenté et annoté par Robert Dérathé, seconde édition revue et augmentée. Paris : Librairie philosophique J. VRIN, 1986, p.50

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Mais si la dimension privée est si différente de celle publique, comment peut-on concevoir l'harmonie sociale dés l'instant qu'au sein de l'Etat se trouve imbriqués en l'individu le sujet et le citoyen lesquels se trouvent en situation conflictuelle? Comment peut-on équilibrer cette disharmonie entre ces deux dimensions, entre l'intérêt particulier et l'intérêt général ? Comment ce dualisme s'effectue t-il chez les mooses ? Existe-t-il chez eux une politique tendant à corréler ces deux dimensions ? Qu'en est-il exactement de la perception de la parenté chez les Mossi et quel est son rapport à la politique ? Que représente-t-elle et quels en sont les modalités d'exercice et les enjeux ?

Autant de questions qui, nous semble t-il, à travers leurs réponses, seront en mesure de satisfaire les attentes concernant les enjeux sous-jacents aux rapports entre parenté et pouvoir dont cette deuxième partie s'intitule. Nous entendons ici par « politique de la parenté » le système politique de gestion et de délégation du pouvoir fondé sur la parenté ou le lignage telle que nous le manifesterons dans la structuration du corps politique. Elle consiste chez les Mossi à attribuer aux membres de la classe royale dominante ou des groupes affiliés la liberté d'administrer les circonscriptions locales et à leur laisser la plénitude de leur pouvoir dans l'exercice de leur fonction afin d'assumer le destin du peuple.

Les provinces, les cantons et les villages sont sous la conduite de descendants de la famille royale comme l'atteste ici ce propos de Skinner : « les Mossi réservaient toutes les positions importantes dans l'organisation politique traditionnelle à ceux qui prétendaient descendre en droite ligne de Ouédraogo et d'Oubri, les fondateurs de la nation Mossi ».71 La parenté, comme nous l'avons définie tantôt et cadrée contextuellement, renvoie ici à un mécanisme d'exercice du pouvoir et de gestion du politique.

Dans les sociétés africaines, à régime monarchiques, le pouvoir parental et plus particulièrement du père jouit d'une suprématie légitime au niveau des rapports sociaux de base comme au sein de la famille et au niveau étatique. Il est légalisé du fait de son ancienneté car provenant des ancêtres et se caractérise d'une autorité juridique au sein de la communauté. Faisant de la paternité et de son autorité le fondement de la société et du droit, VAN EETVELDE dira : « le père tient son autorité de ses ancêtres, dont il poursuit la tâche. Il est un chaînon qui relie les vivants au monde des aïeux décédés. Lorsqu'il parle, il exprime des volontés ancestrales ».72

71 Skinner. Op.cit. p.49

72 VAN EETVELDE. Op.cit. p.75

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Cette conception du Père est quasi généralisée en Afrique. Elle manifeste les idées d'engendrement, de fondation, d'autorité concernant tout ce qui fait allusion à l'exercice d'un pouvoir. Il est dés lors au début comme à la fin de la réalité sociopolitique et du droit. C'est d'ailleurs en ce sens que juridiquement le vocable «paternat» est utilisé pour caractériser ce système juridique, où la source des rapports de droit entre les individus du même groupe socio-biologique se trouve dans l'autorité du père. Dans les Etats Mossi, ce genre d rapport entre parenté et pouvoir est fortement visible dans l'architecture politique et étatique.

La parenté ou encore le système de lignage constitue un cadre de référence à la compréhension et à l'analyse de la structuration du mode de gouvernance et de gestion du pouvoir des rois Mossi. Elle représente le socle de la fondation des Etats et le point focal sur lequel repose toute la disposition des corps politique et étatique. En effet l'administration traditionnelle est structurée de manière pyramidale et sur la base d'une filiation à la fois patrilinéaire et matrilinéaire. Les Nanamsé c'est-à-dire les chefs principaux, descendants de la famille royale, occupent les premières fonctions en se plaçant à la tête des quatre grands royaumes. A ce niveau Skinner montrera que chez les Mossi, les plus hautes positions dans la hiérarchie administrative sont détenues par les héritiers directs de Ouédraogo et d'Oubri, les fondateurs de la nation Mossi. Ceci est également attesté par ces propos des Archives : « le chef de Tenkodogo était le Saamba (oncle ou père) de celui de Ouagadougou. Les chefs du Yatenga et du Boussouma étaient aussi issus de la lignée royale de Ouagadougou ».73

Qu'il s'agisse d'une affiliation linéaire ou collatérale, la prédominance de la gestion parentale aussi bien du pouvoir politique que du religieux dans la hiérarchisation pyramidale des fonctions politiques et étatiques de cette société ne fait l'ombre d'aucun doute. A quelques exceptions prés, les Naaba sont naturellement issus de la famille conquérante qui a édifié l'Etat ; les charges gouvernementales et administratives, aussi bien au niveau central qu'au niveau local, sont affectées à ses membres et à ceux des familles avec qui l'on a conclut le pacte- les gens de la terre- mais aussi à ceux qui ont accepté de se soumettre à la volonté du conquérant en adoptant sa vision de l'Etat et du monde, sa langue, sa culture.

73 Archives. Op.cit. p.178

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Néanmoins, les hautes fonctions les plus stratégiques constituant le socle de la force sécurisante et de la stabilité quant à la gestion de l'Etat et de ses démembrements sont détenues par la classe sacerdotale. C'est pourquoi les différentes composantes de la nation Mossi : principautés, provinces, cantons, villages sont sous l'empire d'un représentant de la famille royale ou des apparentés. Cette politique de la parenté dans l'affectation des charges administratives est quasi générale dans l'univers négro-africain et cela du fait des structures sociopolitiques fondées sur des systèmes de lignage et d'alliance. Chez les Mossi, le pouvoir est souscrit dans une logique de filiation patrilinéaire. La plupart des chefs était des descendants de la lignée royale d'Ouédraogo et d'Oubri. Les royaumes, les provinces, les cantons et les villages sont respectivement gérés par les Morho Nanamsé, les Dimdamba, les Kombemba et les Tense Nanamsé, tous de classe noble.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle Skinner considérait que la parenté constituait la base de la classe dirigeante. Cette idée est également partagée par H. Baumann et D.Westermann. Ces auteurs considèrent qu' « Oubri a été le premier Morho Naba à diviser le pays en provinces subdivisées en districts et en villages. Il a mis de ses parents à la tête de toutes ces unités, de sorte qu'il se trouvait être au sommet d'une hiérarchie fixe ».74 Cette représentation parentale au sein de la segmentation de l'Etat en institutions autonomes fait que l'on assiste à une première approche de partage politique du pouvoir lequel sera effectif dans l'exercice authentique et proprement dit de la chose publique et du choix des mécanismes de gestion des intérêts privés et publics de la part des rois moose.

Cette approche de la parenté dans la question du pouvoir est en partie liée à la conception que les mooses se font de la notion de chef ou de souverain, détenteur de pouvoir et d'autorité. Le pouvoir se ramène chez les Mossi à cette force divine qu'ils nomment Nam ou Naam. C'est à partir de cette notion que se mesure la capacité de gouverner d'un chef, de tout Naba, de son degré de légitimité et justifie sa suprématie devant les autres. Cela se comprend mieux si l'on se réfère à sa double origine telle qu'elle est mise ici en évidence par Alassane Ndaw : « il renvoie au pouvoir qui a été mis en place par les fondateurs afin d'édifier l'Etat, mais il se réfère aussi à la puissance divine dont le chef est le dépositaire »75.

74 Baumann, H. et Westermann, D. Les peuples et les civilisations de l'Afrique suivi de Les langues et l'éducation. Paris : Payot, 1962, p. 403-404

75 Ndaw, A. Op. cit. p.189

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L'enjeu fondamental autour du Nam, symbole du pouvoir, concerne moins l'aspect possession perpétuelle de l'autorité que la capacité et le savoir de l'acquérir et de le conserver car elle fait l'objet de lutte et de conquête et l'échec entrainant en même temps sa perte. Ici l'autorité du souverain est en permanence à risque. L'on cherche toujours par tous les moyens à la fragiliser, à la mettre en déroute. C'est pourquoi tout un arsenal étatique et juridictionnel à la fois politique et religieuse va être mis en place pour parer ou pour contrecarrer cette course prétentieuse et acharnée pour le pouvoir.

Le Nam constituant un principe de domination et surtout de légitimation et d'appartenance à la classe aristocratique avec tous les privilèges dont elle regorge, il est aisé de voir et de comprendre cette lutte ambitieuse pour la conquête du pouvoir comme d'ailleurs il se fait remarquer dans nos Etats dits modernes. Cette course ou encore cette compétition pour l'exercice d'une quelconque entité étatique se solde parfois, dans le phénomène de délégation du pouvoir, par des injustices et des discriminations quant à la possession du Nam d'un fils ou petit fils de rang royal. Ce qui entraînait ainsi la résignation et l'exile ou la conquête, par les déchus, de nouveaux espaces.

Un tel ravissement du pouvoir à certains ayant droits était en partie lié au fractionnement lignager en segments de lignages et favorisait en général l'extension du Mögo. En ce sens Skinner fera remarquer que : « la segmentation du lignage faisait que certains segments avaient plus facilement accès au nam et c'est aux conflits de souveraineté qui en résultèrent que l'on doit attribuer la création des divers royaumes, principautés et même de certains cantons Mossi »76.Cette privation ne consiste pas à une perspective arbitraire de transmission du pouvoir mais se justifie par cette approche qu'ont les mooses et qui concerne la dimension et le statut que revêt l'autorité, le chef. Celui-ci incarne aussi bien la force puissante et le respect mais aussi le savoir et la sagesse, inspirateurs de la peur et de la méfiance, facteurs de la soumission et de la souveraineté gages de l'assurance du destin collectif et individuel. Dés lors ce dernier ne doit souffrir d'aucune imperfection: infirmité, déficience mentale, faiblesse physique et psychique entre autres.

76 Skinner. Op. cit. p.50

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Néanmoins il arrivait que certains fils légitimes renoncent volontairement aux charges gouvernementales en se taillant de nouveaux fiefs tandis que d'autres perdaient le pouvoir à la suite d'une défaite à un duel pour l'hégémonie. Ainsi ils se disposaient d'eux-mêmes et édifiaient de nouveaux royaumes. C'est ainsi que la province de Boulsa a été instituée par Naba Namende, fils, selon Skinner, de Oubri. Il a délibérément décidé de devenir Kourita77 de son père en acceptant l'exile au profit de son frère. Quant à celle de Mane, elle fut fondée par Nyaseme, fils de Koudoumie. Estimant à la suite de sa défaite devant son frère que le Nam devait lui revenir, ce dernier s'empara des Ninisi autochtones et les domina. En rompant avec la mère patrie, Ouagadougou dés lors dirigé par un certain Koudoumie, ces princes établirent des royaumes intermédiaires et se mesurèrent à la souveraineté suprême du Mogho Naba en se définissant sous le titre de Dim c'est-à-dire ceux là qui ne doivent soumission qu'à Dieu.

Au regard de cette apparente politique parentale qui ne concerne que le partage et la gestion de sphères politico-géographiques, il ne faudrait pas se hâter d'en conclure qu'il s'agit d'une liaison intrinsèque et irréversible entre pouvoir et parenté ou d'une gestion absolue et autoritaire des affaires de la cité. Il s'agirait plutôt de saisir les enjeux politiques et philosophiques qu'ils sous-tendent dans l'exercice du pouvoir et les stratégies politiques mises en place pour conduire librement et surement l'intérêt général. Comme nous le verrons, d'ailleurs, dans la schématisation de la structure politique et étatique et de tous les mécanismes qui interviennent dans la transmission du pouvoir, il existe chez les Mossi une part faite entre parenté et pouvoir, entre privé et public, entre spirituel et temporel pour ce qui concerne la direction de l'Etat et de ses institutions.

Il ne s'agira pas d'une soustraction radicale ou d'un rapport de rejet mutuel ou d'incompatibilité entre les deux domaines mais d'une relation de corrélation nécessaire au sein de la société. En d'autres termes il sera question de déceler les rapports qui existent entre la personne publique et la personne privée, entre l'Etat et les citoyens et entre les dirigeants eux-mêmes d'abord et entre le peuple ensuite mais aussi de voir la manière de concevoir les intérêts particuliers et généraux. Aux travers de cette politique de séparation ou d'harmonisation de ces deux sphères pourront donc se lire les enjeux étatiques et politico-philosophiques susceptibles de faire constater les bases de la stabilité du pays.

77 Il désigne selon Skinner un jeune fils d'un Morho Naba décédé choisi pour représenter son père sur terre. Il est banni de la capitale et il lui est interdit sous peine de mort de voir le nouveau Morho Naba.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams