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Pouvoir politique et parenté dans le système Mossi.

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par Ndigue Faye
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Master II 2011
  

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TROSIEME PARTIE :

DE LA « PHILOSOPHIE MOSSI » DE LA GOUVERNANCE

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Chapitre A : De l'effectivité de l'Etat et du système de dévolution du pouvoir

A priori l'expression « philosophie mossi » de la gouvernance inciterait à une compréhension partielle de la vocation de l'intitulé de cette partie. Elle pourrait faire allusion à un mode d'être ou de pensée spécifique, à une manière spéciale de réfléchir ou d'appréhender le concept de «gouvernance» propre aux mossi et en en faisant un peuple archétypal, une référence dans son mode d'être politique par rapport à tous les types d'organisation qu'a connu l'Afrique traditionnelle. Il s'agit plutôt pour nous d'une tentative de mise en exergue d'un ensemble de structures politiques et étatiques, d'une déclinaison de son système de gouvernance et de juridiction, de ses d'institutions établies en vu d'exercer et de transmettre le pouvoir, de gérer la chose publique comme d'ailleurs cela a existé chez les autres peuples.

En effet, si gouverner c'est conduire, régir ou diriger un peuple ou un Etat pour une finalité quelconque, sa pratique ne saurait être efficace sans instruments politiques rigoureuses, sans appareils étatiques conséquents susceptibles de rendre manifeste sa présence dans la sphère publique. Et c'est justement pour cela que cette partie essaiera de faire apparaitre la manière dont l'Etat mossi, en tant qu'édifice, est construit et structuré ; entendant par là son effectivité c'est-à-dire son mode de fonctionnement à travers ses institutions. Il s'agira également de voir comment s'effectue le phénomène de délégation du pouvoir en tant que paramètre dans la démocratisation d'un système politique ? En quoi consiste t-il et quels sont les paramètres intervenant dans son opération ?

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1-De l'agencement du corps politique

En son sens étymologique, la politique désigne une science ou un art de gouverner, de conduire les affaires publiques d'une cité, d'un Etat. Etat en tant que structure ou corps politique organisé ou association de peuples dont le chef prend le dessus sur les groupements familiaux. Ainsi il renverrait à tout mode d'organisation politique dont la finalité est la sauvegarde et la garantie, par le biais de lois légales et légitimes, un patrimoine commun. Dés lors la politique semblerait déterminer le type de gouvernance ou de régime d'un pays, d'un empire ou, pour ainsi dire, de toute société.

Cependant aborder le problème de la structuration politique de l'Etat moose, de son organisation et de son mode de transmission du pouvoir sans, au préalable, donner un contenu sémantique ou expliciter ce qui, au fond, constitue son point d'ancrage, serait un travail sans logique et suivrait un chemin inconsistant. Le « Naam » ou pouvoir dont il s'agit ici a une double origine : il désigne d'abord ce pouvoir dont les fondateurs se sont usés pour fonder l'Etat mais aussi cette force divine qu'incarne le Chef et qui lui permet d'asseoir et d'affirmer sa domination sur les autres, donc de gouverner. Pour plus d'éclaircissement à cet effet, lisons ces explications de Michel Izard :

« Il y a au départ le naam, le « pouvoir », et un naaba, un « chef ». Le naam, que les Moose se donne pour vocation de détenir, est l'avatar humain du wendnaam, pouvoir émanent d'un principe divin de nature céleste, personnifié sous l'appellation de « Naaba » Wende : le dieu des Moose est un « chef ». Du « monde » (dunya) régi par le wendnaam est né le « monde » (moogo) régi par le naam ».109

En effet l'aspect fondamental qui semble faire l'unanimité chez les auteurs sur le système politique de gouvernance moose est cette « distinction qui est faite dans la société entre les détenteurs de la maitrise de la terre (têngsobôndo) et ceux du pouvoir (naam) »110 dont hérite le monarque. Cette dichotomie entre le spirituel et le temporel, entre le monde du de la terre et celui du pouvoir régit a priori les fondements politiques de l'Etat. Ainsi elle constituera un support efficient dans l'organisation de l'Etat et de la société.

109 Izard, M. L'odyssée du pouvoir. Op.cit. p.8

110 Comité scientifique international pour la rédaction d'une histoire générale de l'Afrique. HISTOIRE GENERALE DE L'AFRIQUE, tome IV « L'Afrique du XIIE au XVIE siècle », dirigé par Djibril Tamsir Niane. Unesco/NEA, 1985, p.256

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Elle se caractérise surtout de cette interdépendance des deux mondes. Le premier, à savoir celui des maitres de la terre, les indigènes ou encore les « premier occupant »,111 leur rôle est fondé ici sur la concession de droits fonciers et de fonctions religieuses. Ils confèrent au pouvoir temporel une sacralité. Ses dépositaires, véritables paysans, lui pourvoient les ressources matérielles et humaines nécessaires à sa subsistance. Quant au second, résultant de la conquête, il représente l'instance administrative dés lors que ses membres incarnent le Naam. Leur titre émane du droit de conquête.

Il justifie en ce sens cette conviction qu'ont tous les descendants de la lignée royale laquelle consiste à les destiner à l'exercice d'un pouvoir, à constituer la classe dominante. Ils paraissent devant la communauté comme des agents qui, par nature, sont destinés à la gouvernance et développe cette image dominatrice à travers leurs actes et leur manière de vivre. Ils se différencient des autres même dans leur physionomie et les symboles rituels et scarificateurs qui matérialisent leur appartenance à la famille conquérante ou à l'Etat mossi. Ces pratiques ont des visées à la fois religieuses, sociales et politiques.112 Cette philosophie de l'apparaitre n'est pas à négliger car elle constitue le noeud de l'assujettissement et de la fondation de l'État mais aussi et surtout constitue l'idéologie fondatrice qui sert de légitimation de l'acquisition et de la conservation à vie du pouvoir.

Cependant, au regard de cette position réconfortante et dominatrice dont jouit cette classe sacerdotale, il ne faudrait pas penser à une soumission totale de la part des aborigènes. Ces derniers, comme nous l'avons déjà dit, jouent un rôle central dans la légitimation de l'autorité gouvernementale. Qu'on se rappelle tout simplement du processus rituel qui précède l'intronisation de tout Naba. Avant d'exercer officiellement son pouvoir, tout chef se doit d'effectuer un périple qui le mènera au niveau des grands autels des différents prêtres afin de bénéficier du `tom' - cendre de tige du mil dont on enduit le front du Roi- dans le but d'acquérir une légitimité et une reconnaissance de son pouvoir. Ceci est d'autant plus vrai dans la mesure où le royaume mossi a toujours élaboré une politique d'insertion sociale dans sa gestion politique de l'Etat.

111 Voir pour cette expression Rousseau dans le Contrat Social, op.cit. Chap. IX « Du domaine réel », p.187

112 Pour plus de détails sur les significations de ces cicatrices, cf. Balima, op.cit. p.81-84

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C'est cette politique assimilatrice dont fait usage les `gens du pouvoir' qui fonde l'hétérogénéité social, corollaire de la rigueur et du manque d'indulgence des lois à l'égard des fautifs et devant les erreurs. Chacun de ces deux forces incarnant une fonction spécifique, la corrélation des deux régit l'unité nationale. Néanmoins cette puissance de ces deux classes est loin d'être absolue et arbitraire car elle est sous le contrôle d'un système politique hiérarchisé et actif dont les différents dépositaires, les Ministres, jouissent d'une légalité et d'une légitimité qui leur garantissent une autonomie dans l'exercice de leur fonction et une influence considérable dans les prises de décisions qui concernent l'intérêt social.

Mais avant d'en arriver aux fonctions ministérielles, jetons un regard d'abord sur les premiers démembrements de l'articulation politique de l'Etat. Au sommet de la hiérarchie mossi, se manifeste sous la forme d'un « Dieu » le Moogo Naaba, maitre de l'univers, chef suprême du monde. Il a, de par sa stature divine et sacrée, une autorité politico-religieuse. Il incarne la puissance divine sur terre et en ce sens manifeste une certaine transcendance par rapport aux Naba, à la masse populaire et légitime du même coup le rapport de force et de domination qui existe entre l'empereur, entre tous les Naba et entre les sujets.

Ceci semble n'être guère un attribut que le souverain imposerait de l'extérieur à la population mais relèverait d'une quelque appréhension mossi, d'une propre perception de la nature du chef : il est, selon Balima « un être hors de l'ordre commun. Le Nâba est Dieu et il est César. Il vit abrité, non de la vue, mais du regard du vulgaire parce que l'homme ordinaire, le peuple ne craint, ne respecte et n'obéit que quand il se sent dominé, surpassé par un être qui le fait frissonner »113.

Structuré de manière pyramidale donc, le pouvoir politique présente donc à son sommet des rois ou chefs appelés Dimdamba c'est-à-dire « des rois à l'image de Dieu » des quatre principaux royaumes : Tenkodogo au sud, Ouagadougou au centre, Yatenga au nord et Fada N'gourma (Boussouma) au nord-est. Ces entités étaient autonomes néanmoins que leurs chefs aient en commun l'origine, la langue, les us et coutumes. Ils jouissent d'une autorité et d'une puissance à l'image du « Maitre du Monde » et cela à cause de leur position hiérarchique et de leur légitimité.

113 Balima. Op.cit. p.95.

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C'est justement cette conception de la supériorité qui, fondamentalement, semble justifier la quasi impossibilité de la démission ou de la destitution du chef : tout Naba l'est à vie même après la perte d'une principauté. En tant que «père du peuple» et justicier, il régit les institutions : sa famille, sa cour, ses fonctionnaires sont sous ses ordres et constituent les agents de l'Etat ; il détient le pouvoir central. Il s'agit alors d'une soumission sous l'angle d'une reconnaissance à une puissance comme instance de validation et de détermination des décisions. On pourrait de ce fait parler de monarchie constitutionnelle.

A l'intérieur de la cour royale se trouve une horde de personnalités qui composent le Conseil. En effet, ce collège des fonctionnaires, suivant leur ordre d'importance dans la hiérarchie gouvernementale, constitue le Grand Conseil sur lequel s'appuie le suzerain pour gouverner. Il s'agit du Premier ministre Togo Naba ou Ouidi Naba suivant les auteurs. Si on se réfère à Cheikh Anta, il sort d'une famille ordinaire et représente la population- l'ensemble des citoyens- au niveau de la cour royale. C'est à travers lui, selon Pathé Diagne, que le système moose se voit comme une oligarchie monarchique. De ses propres mots il dira : «c'est le Ouidi Naba en tant que premier oligarque qui propose à l'investiture le candidat au trône, de concert avec le Larhalle Naba, autre élément de sa lignée... ».114

Il y a ensuite le rassam Naba ou larhalle Naba, gardien des sépultures et chef des esclaves de la couronne qui dirige le Ministère des finances. Il est chargé aussi, selon les Archives, du protocole d'Etat. Etant d'origine esclave, il est, selon Cheikh Anta, celui qui exécute les hautes oeuvres et procède à la mise à mort des condamnés. Aussi règne t-il sur les hommes de condition libre et administre des citoyens de plein droit. Le baloum naba ou intendant en chef de la maison royale, quant à lui, est chargé d'introduire les ambassadeurs et visiteurs importants ; il est aussi appelé maire du palais et chef des pages. Enfin on retrouve dans cette architecture politique le kidiranga naba qui dirige la cavalerie. Ces grands dignitaires ou ministres représentent symboliquement « les forces des quatre éléments : la terre, l'eau, l'air et le feu. Ils veillent sur les quatre grandes portes par lesquelles le Moro Naba entre en relation avec les forces tutélaires. En vertu des forces qu'ils représentent et qui sont appelées « forces-mères », ils ont le droit de décider, en réunion secrète, qui sera le Moro Naba suivant ».115

114 Diagne, Pathé. Pouvoir politique traditionnel en Afrique traditionnelle. Essais sur les Institutions politiques précoloniales. Paris : Présence africaine, 1967, p.229

115 Bâ, A. H. Oui mon commandant! Paris : Actes Sud, 1994, p.162-163

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Au dessous des ministres on retrouve la classe des serviteurs et celle des catégories socioprofessionnelles composée du samande Naba, général de l'infanterie, du kom Naba, chef des soldats esclaves, du tom Naba chef du « sable d'investiture »... Ce qu'il convient de soulever à ce stade de l'analyse c'est la perception que l'on se fait du Ministre et de son rôle dans l'administration. Fondamentalement les Mossi conçoivent le Ministre comme celui qui est au service du peuple auprès de l'empereur. Il est la servante du Roi et ne dispose pas d'une quelconque subdivision territoriale déterminée. Sa fonction essentielle est d'être toujours à l'écoute du monde afin de mieux tenir au courant le Naba des événements internes et externes de la cour et pour cela il dispose d'une multitude d'agents secrets pour la transmission des nouvelles.

Malgré le fait qu'ils soient membres de ce grand conseil et étant de grands personnages, les ministres ont aussi pour tâche de servir d'intermédiaires entre non seulement le Mogho Naba et son peuple mais également entre lui et les Kombeemba ou chefs de province ou de canton. Enfin l'on retiendra dans la suite de cette présentation et par ordre les provinces, les cantons, les villages, les quartiers, les lignages... avec un model d'organisation presque calqué de l'administration centrale et par rapport au degré de pouvoir et des prérogatives attribués à leurs chefs.

Cette subordination de l'ensemble des représentants à la personne du souverain illustre bien cette idée de centralisation du pouvoir absolu et global qui se manifeste à travers toutes les actions et décisions posées relatives aux problèmes inhérents à la société. C'est justement à cette question de l'autocentrement, c'est-à-dire de cette attitude du roi consistant à se poser comme instance suprême a partir duquel l'Etat, seule force légale et légitime, peut se concevoir en tant que tel, qu'essaiera de traiter ce second chapitre. Il s'agira donc d'analyser les différentes composantes du corps étatique et montrer leur impact et leur mode d'exécution à l'intérieur du système politique.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon