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Le pouvoir dans l'institution. Essai d'anthropologie politique à  Christiania.

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par Pierre Vasseur
Université Lille 2 - Master science politique, spécialité Métiers de la Recherche  2012
  

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1.2 Souder le groupe dans une cause commune : la sauvegarde de la communauté

Après plusieurs décennies d'existence, l'institution prend un caractère immuable et dépasse, nous l'avons vu, le particularisme naissant des provinces (ici les aires locales) qui se sont formées lors de la fixation du contrat fédératif, si bien que les institués prennent conscience du devoir qu'ils ont en tant que membre de l'institution. Ce devoir consiste notamment à maintenir ce système de croyances ainsi que les pratiques qui y sont développées depuis sa création. L'institution prend ainsi un caractère sacré, devant demeurer intact malgré les dangers qui la guette. Or, nous savons que cette institution était dès sa naissance en danger147, c'est pourquoi les individus y passent les uns après les autres et développent pour la plupart un sentiment aigu d'engagement dans la défense d'une cause commune : « sauver Christiania » (Bevar Christiania). Cette phrase apparaît comme un leitmotiv, prenant peut-être même plus de sens que la devise officielle que nous avons évoqué un peu plus tôt (Christiania du har mit hjerte).

147 Cf. « I) Phase n°1 : les premières années - création et consolidation de la commune libre », in VASSEUR Pierre, mémoire dirigé par DERVILLE Grégory, Christiania : monographie d'une utopie communautaire, op.cit., p.18-23

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Joker: «I couldn't find any place on earth that could be better than here

Tout comme l'a exprimé Joker, bien des christianites sont convaincus que l'expérience communautaire qu'ils vivent est une chance, et l'histoire de la commune libre apparaît comme une traversée interminable, où Christiania serait une coquille de noix élancée au milieu d'un océan qui symboliserait la société ordinaire :

Joker: «See Christiania like a ship.» _ «Yeah

Joker: «We have survived from the storm, but the master is broken, and the sails are apart, the captain is hurt and... But you know, it's not that bad, we're still floating. And we have an island in there with water and so on. We will survive! But it's not a victory. Or maybe it was a victory to survive because it was a heavy storm

A cette comparaison qu'employait Joker pour exprimer le fait que chaque jour est un combat pour que les christianites parviennent à sauver leur communauté, peut-être devrions-nous remplacer son capitaine par un équipage faisant corps face aux dangers de la mer148. Or, si nous considérons les tempêtes comme les tentatives initiées par le gouvernement danois pour soumettre Christiania à la norme149, alors la mer se forme bien souvent et ses vagues sapent chaque jour un peu plus le frêle esquif sur lequel se sont embarqués les christianites, que les pionniers avaient tant bien que mal réussi à façonner. Alors, le groupe serait représenté par cet équipage travaillant de concert au maintien du navire au milieu des flots peu accueillants. Sur ce navire, chaque génération apporterait du sang neuf150, et ce renouvellement générationnel serait la condition sine qua non pour qu'il soit maintenu à flot. Tous unis, chaque individu à chaque génération devrait donner le meilleur de lui-même pour sauver le navire et le transmettre intact à ses futurs occupants. C'est à travers cette image que nous pouvons entrevoir l'idée de solidarité qu'essaye de transmettre l'institution à ses membres, dont il est demandé d'être les acteurs du sauvetage perpétuel de leur communauté151. La poursuite de l'idéal démocratique tel que l'avons décrit un peu plus tôt à travers l'exemple de Joker est certainement l'une des valeurs que les christianites cherchent à transmettre aux générations futures. Ainsi, il appartient au groupe de prolonger l'existence de

148 Puisque nous supposons qu'il n'y a pas de hiérarchie, pourquoi mettre un capitaine à la barre de ce navire ?

149 Cf. « III) Phase n°3 : des années 1990 à aujourd'hui - Résister à la normalisation » in VASSEUR Pierre, mémoire dirigé par DERVILLE Grégory, Christiania : monographie d'une utopie communautaire, op.cit., p. 3340

150 Certaines familles installées à Christiania depuis sa fondation en sont à leur troisième génération.

151 Ce qui nous renvoie encore une fois à l'idée d'autogestion.

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cette expérience communautaire, pour laquelle bien des observateurs promettaient le destin funeste de « l'éclatement » de la communauté152.

Mais force est de constater que la commune libre est toujours là, et la fête du quarantième anniversaire de la communauté qui eut lieu le 26 septembre dernier vient donner plus d'épaisseur à l'idée de victoire qu'évoquait Joker. En témoigne l'affiche du quarantième anniversaire sur laquelle est représentée une main faisant le signe de la victoire sous laquelle est inscrit : « Les gouvernements vont et viennent - La meilleure année de Christiania - Quarante [années] de liberté populaire »153. Chaque année passée tous ensemble sur ce navire est donc considérée comme une petite victoire sur le temps ; c'est pourquoi l'anniversaire de cette institution est célébré chaque année avec autant de ferveur et d'enthousiasme car cela illustre la volonté du groupe à rester uni face dans l'adversité. D'ailleurs, l'histoire a démontré que c'est quand le destin du groupe vacille que les liens se resserrent et que la conscience d'appartenir à un seul et même groupe se fait le plus ressentir. Enfin, au-delà de la valeur symbolique de l'anniversaire, revenons une dernière fois sur les propos de Joker, pour qui survivre à la tempête n'est pas une victoire car ce n'est qu'un simple répit en attendant la prochaine houle :

Joker: «But I don't feel it like a victory.» «What would be a victory then?»

Joker: «It would be a victory if we sale enough shares to reach these fifty million Kroners or whatever [actually, the amount of money that Christiania owes to the State to buy the land is seventy-six millions Kroners.] «This year, it would be a victory.»

D'après lui, la véritable victoire finale serait celle qui conduirait l'Etat danois à céder définitivement le terrain à Christiania, de manière à ce qu'enfin l'existence de la commune libre ne soit plus remise en cause et que le groupe puisse voir l'avenir avec plus de sérénité. Toutefois, atteindre cette mer d'huile signifierait que les christianites aient été capables de collecter la somme fixée lors des négociations entre le groupe de contact154 et les représentants de l'Etat au printemps 2011, suite au procès perdu par Christiania devant la

152LACROIX Bernard, L'utopie communautaire : mai 68 : histoire sociale d'une révolte, op. cit., p.65

153 Cf. annexe n°17, p.203: « affiche du quarantième anniversaire »

154 Le groupe de contact est une donnée très importante pour la suite de ce mémoire, puisqu'il s'agit d'un petit groupe (dont seule une minorité de christianites composent ce groupe), ayant été créé par l'institution de manière à faciliter les négociations avec l'Etat, dans le cadre du rachat de ce terrain de 35 hectares contre la somme fixée lors des négociations : 76 000 000 de couronnes, soit environ 10 221 882 euros.

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Cour Suprême155. Cette tâche difficile, rendue possible grâce à la création de la fondation Christiania dans laquelle sont reversés les dons collectés par l'Action du Peuple de Christiania (Christiania FolkeAktie), constitue le nouveau défi, la nouvelle tempête dans laquelle le navire s'est engagé puisque les christianites sont désormais soumis à des délais pour verser la somme due à l'Etat, réel propriétaire du terrain156.

Tanja: «If we open up and if everybody pays something, then the feeling will be Christiania is for everybody.»

Tanja, responsable de la collecte des dons au Christiania FolkeAktie

Nous savons que racheter le terrain n'était pas le souhait des christianites qui, après avoir perdu leur procès, se sont retrouvés en position de faiblesse face à l'Etat qui a eu la sollicitude d'accorder de nouvelles négociations avec Christiania pour enfin trouver une issue à ce conflit permanent. La seule issue laissée aux Christianites fut le rachat du terrain qu'ils utilisent, c'est pourquoi l'institution a décidé de créer ce nouveau bureau dans lequel nous avons rencontré Tanja. Rémunérée par l'institution pour la tâche qu'elle accomplit, avec l'aide de nombreux volontaires christianites ou de simples sympathisants, elle réalise un véritable travail de fourmi qui consiste à collecter des dons contre laquelle le donateur se voit remettre un share qui symbolise son engagement pour la sauvegarde de la communauté157. Donc ce n'est pas la propriété du navire que cherchent à obtenir les membres de son équipage, mais la chance de laisser Christiania telle qu'elle est actuellement : un espace ouvert d'expérience sociale. Le but de cette démarche est de faire de la commune libre un espace ouvert à tous, qui serait en somme un héritage. Alors ce devoir qui consiste à transmettre ce projet de vie collective intact aux générations à venir, serait accompli.

Pour résumer, l'exemple de Christiania vient confirmer l'idée que bien souvent, c'est en période de crise, lorsque l'avenir du groupe s'assombrit que la conscience nationale, ou plutôt pour notre cas, la conscience d'appartenir à un groupe se fait le plus ressentir. Or, l'histoire de Christiania n'est que le long récit d'une crise permanente, ce qui amène les esprits les plus idéalistes à continuer à croire qu'à Christiania, ce sont les membres de l'institution qui travaillent dans ce qui serait une incroyable solidarité pour parvenir à sauver

155 Cf. « C) Quand les squatteurs assignent le propriétaire du terrain en justice : le procès entre les christianites et l'Etat » » in VASSEUR Pierre, mémoire dirigé par DERVILLE Grégory, Christiania : monographie d'une utopie communautaire, op.cit., p. 39-40

156 Un premier acompte de 50 000 000 de couronnes devait être versé au premier juillet 2012, une somme qui n'a bien entendu pas pu être rassemblée grâce aux dons, mais a semble-t-il pu être complétée grâce à un prêt.

157 Cf. annexe n°18, p.204 : « le share de l'Action du Peuple de Christiania (Christiania FolkeAktie) »

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Christiania. Vu sous cet angle, le « nous » prend tout son sens et tout semble indiquer que le groupe détient le pouvoir de mener à bien cette mission. Dès lors, c'est peut-être dans cette perpétuelle adversité que le groupe parvient à tirer sa capacité à rester uni ; alors, nous pourrions imaginer que si Christiania parvenait à ses fins (s'affranchir de sa lutte face à l'Etat), peut-être le groupe perdrait le sens de son unité. Seulement, la suite de ce mémoire va démontrer que derrière l'illusion d'unité et d'équité dans la répartition du pouvoir entre ses membres, se cache une réalité institutionnelle bien plus complexe et bien moins enchantée.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard