WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Externalisation des politiques migratoires européennes au Niger: reconfigurations des lieux et des trajectoires des migrants


par Bachirou AYOUBA TINNI
Université Abdou Moumouni de Niamey - These de Doctorat  2021
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion partielle :

En définitive, il ressort que les personnes en quête d'asile à Agadez sont majoritairement jeunes et de nationalité soudanaise. C'est une population vulnérable comprenant des enfants séparés ou non accompagnés et des femmes cheffes de ménages.

Les mobiles de la demande de protection englobent le conflit au Darfour, la diminution de l'assistance dans les camps, l'absence de travail, la sécurité, les conflits communautaires et l'opportunisme. Le choix du Niger comme destination relève de la contrainte au travers les expulsions en provenance de l'Algérie. D'autres avancent les conditions sécuritaires favorables pour justifier le choix. Pour le troisième groupe, c'est un appel d'air. Les itinéraires sont complexes avec un départ des camps (réfugiés ou IDPs) pour finir dans un camp à Agadez.

En termes de dispersion géographique les migrants africains y compris Soudanais préfèrent s'installer au sud de la Libye où est installée déjà une forte diaspora africaine. Cette stratégie permet de faciliter l'accès au logement, à l'emploi et les envois au pays d'origine. Une chaine de solidarité locale existe dans les villes du sud : Sebha et Al Gatrone. Elle se développe dans un contexte de baisse du racisme qu'on retrouve dans les villes de Tripoli. Le sud est dominé par des Toubous qui ont des ramifications familiales au Niger, au Tchad et Soudan. C'est pourquoi les migrants de ces pays préfèrent fuir les humiliations du Nord bien que cette région offre plus d'opportunités et d'emploi. Cependant, au sud comme au nord la situation est marquée par la persistance des emprisonnements et des kidnappings de migrants.

Dans une Libye en plein désastre sécuritaire, politique et économique le kidnapping est devenu une activité rentable à laquelle s'adonnent avec aisance les milices et des personnes privées en l'absence de perspectives locales.

258

Conclusion générale

Le présent travail d'étude et de recherche a permis de mettre en évidence la place de choix qu'occupe la migration dans les relations entre l'UE, ses États membres et le gouvernement du Niger. Cette collusion s'accompagne d'un durcissement de la législation migratoire au Niger. Ainsi, entre 2010 à 2020 le pays a élaboré et adopté plusieurs textes dans ce sens. Il s'agit de l'ordonnance sur la traite des personnes, la loi 2015-36 sur le trafic illicite des migrants, la stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière et la politique nationale de migration.

Sur le plan institutionnel, au registre des changements enregistrés, figurent la mise en place de l'agence nationale de lutte contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants, la commission nationale de lutte contre la traite de personnes, le cadre de concertation sur la migration dotée d'un secrétariat permanent, les sous-groupes : migration et sécurité, migration et protection, groupe de travail sur la migration. Notons en sus l'adoption d'un nouveau format de rencontre incluant une réunion préparatoire, une réunion technique et une réunion politique. L'objectif de cette approche est d'ouvrir un espace de discussion entre le Niger et l'Union européenne ou ses pays membres sur les progrès réalisés dans le cadre de l'endiguement de la migration de transit, les défis et les perspectives.

Côté force de défense et de sécurité, il est noté la mise en place de l'Unité GARSI au niveau de la gendarmerie nationale, la division investigation spéciale en charge de la lutte contre la migration irrégulière, les compagnies mobiles de contrôles des frontières (CMCF). Ces éléments qui paraissent isolés constituent la machine mobilisée pour lutter contre la migration dite irrégulière de transit. Cette injonction de l'UE se traduit par une focalisation sur la migration de transit au Niger en direction de la Libye et de l'Algérie reléguant au second rang le fait que le pays soit avant tout un espace de départ. Elle réoriente de facto les modalités de gestion de la migration au Niger. Par-delà, il est noté une évolution des pratiques administratives marquée par des arrestations, des emprisonnements, la promotion du retour volontaire des migrants et le refoulement aux frontières de personnes dites en situation irrégulière. Ces constats confirment notre première hypothèse de travail qui postule que la collaboration entre l'UE et le Niger vise à endiguer la migration de transit en direction de la Libye et l'Algérie.

Avec l'opérationnalisation du fonds fiduciaire, il est noté sur le terrain la présence de plusieurs acteurs oeuvrant dans le domaine de la migration. Il s'agit des acteurs étatiques qui s'approprient de plus en plus la thématique (la commission nationale des droits de l'Homme, la Médiature de

259

la République, les ministères de l'Intérieur, de la Justice, de la promotion de la femme et la protection de l'enfant), les organisations non gouvernementales internationales :IRC, MDM, CRN, MSF, APBE, COOPI, INTERSOS, MEDU, CIAUD-Canada, AIRD, des agences de développement : GIZ, AFD, Lux dev et des agences onusiennes OIM, HCR, HCDC, PNUD. Ces acteurs interviennent avec des projets spécifiques souvent avec des financements de l'UE et/ou ses États membres. On note aussi la mise en place de projets transnationaux dans le but de combattre la migration dite irrégulière. Ces interventions sur une petite ville comme Agadez avec le déploiement de staffs sur le terrain ont conduit à une prolifération des acteurs oeuvrant dans le domaine de la migration. Ainsi, l'analyse de la dimension économique met en exergue une économie de transit anéantie par les mesures de lutte contre la migration irrégulière. C'est un business animé par des acteurs multiples comme le connecteur international, le coxeur, le gérant de ghetto, les transporteurs, les vendeurs de bois, turban, lunettes, des taxis motos. Ces acteurs ont pour trait commun l'offre de service aux migrants. Cela inclut, le transport, l'hébergement et le convoyage des migrants, et la vente d'article comme le turban, les lunettes et le bois. Il est également noté l'émergence d'une économie de l'anti transit et une économie de l'humanitaire. Cette économie est une interaction entre l'humanitaire-le développement et une élite économique et intellectuelle pouvant mettre à disposition des maisons en location, exécuté des appels d'offres ou ayant le profil pour se faire recruter dans une agence humanitaire.

En lien avec la collaboration de l'UE, le Niger a mis en place un dispositif pour lutter contre la migration de transit. Celui-ci implique le renforcement du contrôle aux frontières, le refoulement, la reconduite aux frontières et le démantèlement des réseaux. Une telle dynamique a participé aux reconfigurations d'une ville de transit comme Agadez. Celle-ci peut s'apprécier par la prolifération des gares. En effet, de moins de 5, il y a quelques années, Agadez compte aujourd'hui plus de 10 gares modernes. Même si, cela n'est pas uniquement lié à la migration, les changements dans le secteur du transport ont contribué à son développement. Ces compagnies de transports convoient les migrants de leurs pays d'origine (Mali, Burkina Faso, Togo, RCI et Sénégal) jusqu'à Agadez. Cette offre de transport permanente a facilité la liaison entre les villes de l'Afrique de l'ouest et Agadez. Par-delà, la prolifération des gares de transport est le reflet de l'intense mobilité qui caractérise cet espace. En effet, elle a donné lieu à la prolifération des gares informelles spécialisées dans le transport sur des longues distances (vers la Libye ou l'Algérie), mais aussi des courtes distances (vers Tabelot). Dans ces espaces sont souvent embarqués les migrants vers les communes voisines de la commune urbaine d'Agadez. Cette stratégie s'inscrit dans une logique de se soustraire aux contrôles des forces de l'ordre

260

mais aussi pour échapper aux taxes. Les véhicules Hiace occupent ces gares informelles en général car ils sont moins suspects que les voitures talibanes. Ils font donc l'objet de moins de contrôle. Pour les migrants, il faut à tout prix sortir d'Agadez pour être dans les communes voisines ou les jardins afin d'attendre le transporteur. Il y a donc un changement des lieux d'embarquement des migrants de la gare classique vers les gares informelles et puis vers la périphérie de la ville et les communes voisines. Les embarquements deviennent alors plus clandestins.

L'impact des politiques d'externalisation sur le parcours individuel des migrants et des lieux traversés s'apprécient aussi à travers les lieux d'hébergement dans les villes de transit notamment à Agadez. Ces espaces appelés couramment ghettos ou foyers servent de lieux d'hébergement aux migrants durant leur transit vers l'Afrique du Nord. Pour le besoin de l'organisation du voyage vers le Nord, les foyers constituent des lieux d'attente des migrants. Les foyers étaient localisés un peu partout dans la ville : centre, zone intermédiaire et périphérie. Ils étaient connus et tolérés. L'embarquement des migrants se faisait dans les rues ou les gares classiques. Les occupants sont également visibles puisqu'ils passent le matin ou l'après-midi à patienter, discuter devant la porte. Ce sont donc des espaces ouverts connus de tous. Leurs occupants entretiennent également des relations commerciales avec le voisinage à travers l'achat de glaces, cigarettes, allumettes, médicaments, riz ou autres condiments nécessaires à la cuisine.

Dans la dynamique des lieux, notons également la baisse des flux ascendants vers le Nord, selon l'OIM en 2016 le nombre de migrants entrés dans la région était de 111 230 personnes. Ce nombre correspond au pic des flux entrants. Il chute en 2017 à 99 455 pour tomber à 18 093 personnes au premier semestre de l'année 2018. Ces chiffres ne sont pas exempts de critique quand on sait que depuis l'application de la loi 2015-36 la tendance des migrants, des passeurs est à la clandestinisation.

À Agadez, un changement important est à souligner, celui des moyens de transport avec l'introduction des véhicules de type Hilux. Sur les destinations en direction de l'Afrique du Nord, les voitures talibans surnom donné à ce type de véhicules ont révolutionné le transport. Les voitures-talibans ont réduit la durée du voyage entre les deux espaces de 6 à 7 jours auparavant, à 2 à 3 jours aujourd'hui. Légers, pouvant contenir 20 à 25 personnes, il est très adapté à la traversée du désert. Les voitures-talibans ont permis une réorganisation de la chaine de transport, mais aussi du coût du voyage.

261

Les politiques en cours dans le domaine de la migration ont donné naissance également à des nouvelles aires d'embarquement des passagers. Certes dans certains cas, les chargements ont toujours lieu à la gare ou dans les ghettos mais force est de constater qu'il n'y a plus de transport de migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de la gare d'Agadez. La loi 2015-36 a eu cette lourde conséquence sur l'Ecogare. Toutefois, certains propriétaires notamment ceux chargeant dans les gares continuent d'opérer dans la clandestinité passant ainsi du transport irrégulier au transport dans la clandestinité. Ainsi, on note des cas où les départs de migrants ont lieu sur la route de Zinder en périphérie d'Agadez à destination de la Libye ou l'Algérie. D'Agadez, les migrants sont transportés par des motos jusqu'à la sortie de la ville. Une fois hors de la ville, ils sont hébergés dans des jardins pendant quelques jours avant d'être repris par les passeurs. En somme, les politiques en cours ont donné lieu aux déplacements des espaces de chargements des migrants hors de la ville ou bien avant Agadez. Dans certains cas, le mode opératoire des passeurs consiste à contourner la ville d'Agadez. Sur le terrain, il y a une invisibilité totale des transports des migrants internationaux vers l'Afrique du Nord à partir de cette ville.

L'analyse des actions de lutte contre la migration de transit à travers le Niger a eu des répercussions sur les trajectoires des migrants. Ainsi, il est signalé de plus en plus l'émergence de routes secondaires. Les migrants utilisent ces trajectoires afin d'échapper aux contrôles de la police.

Cette pratique de contournement des postes de police s'inscrit dans une dynamique d'adaptation face aux contraintes de mobilités. Elle rend de plus en plus vulnérable les migrants, car leur parcours se fait dans la clandestinité. Le contournement des postes de polices transfrontaliers est très développé en particulier au niveau du poste de Maymoujiya. Cette situation peut être liée à la dépendance des convoyeurs, à l'absence de documentation et au passage de migrants non ressortissants de la CEDEAO. Sur cet axe l'évitement des postes débute au nord du Nigéria.

Sur cet axe la nouvelle route consiste à éviter les postes de police tout au long de la route entre Zinder et Agadez. Les transporteurs sont contraints d'abandonner la route bitumée dans certains cas pour éviter les FDS. Une autre stratégie, est de déposer les migrants à quelques kilomètres de la ville d'Agadez.

Sur l'axe Tahoua-Agadez la même pratique est en vigueur. Les migrants choisissent de voyager par Hiace et non via les bus pour être moins visibles. À quelques kilomètres de la ville, avec la

262

complicité des chauffeurs, ils changent de moyen de transport. La moto est alors préférée pour contourner le poste, et rentrer à Agadez.

Dans la ville d'Agadez aussi plusieurs stratégies sont développées par les passeurs pour faire sortir les migrants. Certains sortent à l'aube, d'autres en journée notamment aux heures de prières comme celle du vendredi.

Aussi, avec la promotion du retour volontaire, émerge le phénomène de migration inversée. L'ouverture de l'espace d'asile est accompagnée de l'afflux à Agadez de personnes en quête de protection. Dans ce contexte, les parcours des migrants se reconfigurent donnant lieu à des trajectoires complexes prenant naissance dans les camps de réfugiés ou déplacés du Tchad ou du Darfour pour terminer dans les cases de passages des demandeurs d'asile à Agadez. La trajectoire des migrants inclut également les pays d'Afrique de l'Ouest, du Centre, l'Afrique du Nord pour se retrouver à Agadez. Cette reconfiguration des trajectoires migratoires confirme notre deuxième hypothèse de travail selon laquelle l'externalisation des politiques migratoires européennes au Niger reconfigure les parcours des migrants.

Dans ce contexte, Agadez ville de transit se reconfigure en espace d'attente. L'attente comprend l'attente institutionnelle pour laquelle on dénombre d'une part les candidats au retour volontaire et les prétendants à l'asile, d'autre part, des personnes coincées à Agadez en raison des politiques restrictives ayant pour conséquence la rareté de l'offre de transport. L'attente a transformé la ville avec la mise en place de dispositifs d'accueil. Il s'agit du centre de transit de l'OIM, le centre humanitaire régional, les cases de passages, l'espace d'hébergement solidaire et enfin les ghettos de plus en plus localisés en périphérie. Notons également une mutation dans les espaces d'embarquement des migrants de la gare aux ghettos, garages, ménages et les jardins situés à la périphérie de la ville. Ces éléments participent à la transformation de la trame urbaine d'une ville de transit comme Agadez. Par-delà, le cantonnement et éloignement des migrants suscitent des tensions à Agadez de la part de la population hôte, des migrants et demandeurs d'asile. Ces éléments confirment notre troisième hypothèse qui soutient que la collaboration entre l'Union européenne et le Niger dans le domaine de la migration reconfigure les lieux de transit.

En termes de perspectives, nous comptons consacrer nos prochains travaux aux déplacements forcés de population. Avec la dégradation de la situation sécuritaire aux frontières et dans certaines parties du territoire, il est noté une augmentation du nombre de personnes en quête d'asile et des déplacés internes au Niger. Il parait utile de comprendre le mécanisme de

263

protection de ces groupes, leur insertion dans les espaces d'accueil et le retour dans les zones de départ.

264

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand