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L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.


par Gildas Hermann KPOSSOU
Université d'Abomey-Calavi (UAC)  - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales  2015
  

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CHAPITRE II : LA RECEVABILITE, UNE EXIGENCE POUR L'EXAMEN AU FOND DE LA REQUÊTE INDIVIDUELLE

L'effectivité de la protection juridictionnelle de l'individu dépasse le strict cadre de son accès aux juridictions ; encore faut-il franchir l'obstacle de la recevabilité qui concerne essentiellement les vices formels ou matériels de la requête. Rien ne sert ainsi d'ouvrir l'accès au prétoire de la juridiction internationale si les herses de la recevabilité sont trop hautes à franchir et deviennent des obstacles dirimants à la suite de la procédure.

A cet effet, le Protocole renvoie à l'article 56 de la Charte qui fixe sept conditions cumulatives de recevabilité devant la Commission. Ce renvoi est logique, compte tenu de la coexistence de la Commission et de la Cour et leur interdépendance : en alignant les conditions de recevabilité des communications et des requêtes, les rédacteurs du Protocole cherchaient à assurer l'égalité d'accès de l'individu devant les deux organes. Cette complémentarité n'est toutefois pas parfaitement éclaircie, le Protocole disposant que la Cour « tient compte » des exigences de l'article 56 de la Charte, ce qui implique qu'elle dispose d'un certain pouvoir discrétionnaire pour envisager d'autres conditions de recevabilité143(*). L'adoption de son Règlement intérieur a dissipé ces doutes, son article 40 reproduisant fidèlement les conditions de l'article 56 de la Charte : six d'entre elles subordonnent la saisine de la Cour au respect de conditions formelles et substantielles de la requête. La septième condition vise quant à elle à préserver le rôle subsidiaire de la juridiction en imposant au requérant d'épuiser les recours internes.

En outre, l'élément fondamental de rivalité entre la Cour ADHP et la CJ CEDEAO réside dans la recevabilité des requêtes individuelles. En effet, la concurrence la plus sérieuse pour la Cour africaine provient de la Cour de justice de la CEDEAO144(*) dont les attributions ont été successivement précisées par le Protocole du 6 juillet 1991145(*) et le Protocole supplémentaire du 19 janvier 2005146(*). Ce dernier lui confère une compétence explicite en matière de protection des droits de l'homme147(*). Compétente au même titre que la Cour africaine pour connaître de l'interprétation et de l'application de la Charte, la Cour de justice de la CEDEAO s'est également émancipée des conditions de recevabilité exigeantes fixées par la Charte148(*). Nul besoin pour accéder à son prétoire de satisfaire aux conditions cumulatives de l'article 56 de la Charte : il suffit que la requête ne soit pas anonyme et qu'elle n'ait pas été soumise à une autre juridiction internationale149(*). Saisir la Cour africaine impose au contraire, en sus de la démonstration de sa compétence, la réunion de sept conditions cumulatives de recevabilité qui s'ajoutent au filtre de la déclaration de l'article 34, 6) du Protocole.

De ces analyses, il ressort que, les conditions de recevabilité d'une requête individuelle, notamment devant les deux juridictions africaines dont la présente étude fait cas, sont non seulement formelles (section 1), mais aussi substantielles (section 2).

Section 1 : Des conditions formelles de recevabilité

Avant d'apprécier le contenu substantiel de toute requête, les deux Cours comparées dans la présente étude doivent vérifier que les exigences formelles requises pour la mise en oeuvre de leur juridiction sont satisfaites. En raison des conditions qui sont souples pour l'une et relativement rigides pour l'autre, on déterminera ainsi une recevabilité adoucie au prétoire du juge communautaire (paragraphe 1), mais conditionnée pour le juge de la Cour africaine (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Une recevabilité adoucie au niveau de la CJ CEDEAO

La souplesse des conditions résultant de la Charte africaine (A) ainsi que l'autonomie du juge communautaire dans l'application des modalités de cette Charte (B) sont des facteurs déterminants pour la recevabilité de la requête individuelle au prétoire du juge de la CEDEAO. Elles constituent également des critères de dissemblance avec la Cour ADHP dont le juge communautaire rivalise la compétence en matière de protection des droits de l'homme.

A. La souplesse des conditions résultant de la Charte africaine

La grande accessibilité du juge communautaire par les victimes de violations des droits humains est aussi l'émanation de la Charte africaine. En raison de la spécificité de la protection qu'elle offre, les requérants individuels ont la facilité d'évoquer ses dispositions pour dénoncer les violations dont ils auraient été victimes. A la lumière de ses dispositions, on constate avec aisance que les conditions qui émanent de la Charte sont assez explicites et suffisamment souples pour promouvoir et protéger efficacement les droits de l'homme. Aussi laisse-t-elle la latitude aux juridictions notamment africaines d'interpréter ses dispositions à leur propre guise150(*), pourvu que l'objectif de protection et de promotion des droits de l'homme soit atteint.

Or, d'après les articles 4.g) du traité révisé et 9. 4) du Protocole additionnel de 2005, la CJ CEDEAO fait de la Charte africaine une partie intégrante de son droit applicable en statuant conformément à ses clauses. Ainsi, dans sa décision rendue le 27 octobre 2008 dans l'affaire Dame Hadijatou Mani Koraou contre la République du Niger, la Cour confirme que l'article 4.g) du Traité révisé qui précise que les Etats membres adhèrent aux principes fondamentaux de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, est le souhait du législateur communautaire d'intégrer cet instrument dans le droit applicable devant la Cour. Il sied, par ailleurs de préciser que cette juridiction n'applique pas les conditions de recevabilité des communications telles que portées par l'article 56 de la Charte, jouissant ainsi d'une autonomie dans l'utilisation des modalités de la Charte151(*). Dans son arrêt de principe par lequel la CJ CEDEAO est entrée dans l'histoire en matière de protection des droits de l'homme sur le continent africain, ladite cour statue sur l'autonomie de son utilisation de la Charte152(*). Dès lors que la Partie II de la Charte concerne les modalités de son application par la Commission africaine, qui en outre, n'est pas une juridiction, il est logique qu'elles ne s'appliquent à la CJ CEDEAO. Ainsi, la République du Niger affirme que la CJ CEDEAO doit se référer à l'article 4. g) du traité révisé de la CEDEAO pour appliquer l'article 56, al. 7 de la Charte africaine153(*). Il s'agit bien d'une utilisation pragmatique de la Charte, texte qui ne saurait en revanche ajouter des contraintes procédurales à celles du système de la CJ CEDEAO.

Bien que contrairement au juge de la Cour africaine, le juge communautaire n'applique pas à la lettre les conditions de recevabilité prévues à l'article 56 de la Charte, il reste à relever que ce dernier s'est fondé sur les droits garantis par la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples dans deux affaires importantes, concernant la détention arbitraire d'un journaliste gambien et la condition de servilité d'une nigérienne154(*). Le premier cas (affaire Chief Ebrimah Manneh c/ la République de Gambie) portait sur l'arrestation le 11 juillet 2006 et la détention d'un journaliste gambien du Daily Observer par les services secrets. Les avocats du requérant fondaient leur saisine sur le caractère arbitraire de l'arrestation et de la détention de leur client (art. 6 et 7 de la Charte africaine)155(*). La Cour a jugé que la Gambie était responsable de l'arrestation et de la détention arbitraire du requérant, enfermé in communicado sans jugement.

Quoique particulièrement régentée par des instruments juridiques exogènes156(*) dont notamment la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, il est évident que la CJ CEDEAO se veut indépendante dans l'application des modalités de celle-ci.

* 143 Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, préc., art. 6, 2) : « la Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte ».

* 144 Traité révisé de la CEDEAO, 24 juillet 1993, art. 6 et 15.

* 145 Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice de la CEDEAO, 6 juillet 1991.

* 146 Supplementary Protocol A/SP.1/01/05 amending the Preamble and articles 1, 2, 9 et 30 of Protocol A/P.1/7/91 Relating to the Community Court of Justice and Article 4, § 1, of the English version of the said Protocol.

* 147 Supplementary Protocol A/SP.1/01/05, art. 4, d). V. not. MCALLISTER J. R., « A New International Human Rights Court for West Africa : the ECOWAS Community Court of Justice », American Journal of International Law, vol. 107, n° 4, 2013, pp. 737-779 ; ADJOLOHOUN H. S, « The ECOWAS Court as a Human Rights Promotor ? Assessing Five Years' Impact of the Koraou Slavery Judgment », Netherlands Quarterly of Human Rights, vol. 31, n° 3, 2013, pp. 342-371 ; EBOBRAH S. T., « A Rights-Protection Goldmine or a Waiting Volcanic Eruption ? Competence of, and Access to, the Human Rights Jurisdiction of the ECOWAS Community Court of Justice », African Human Rights Law Journal, vol. 7, n° 2, 2007, pp. 307-329.

* 148 Voir infra l'analyse des conditions de recevabilité structurant l'accès de l'individu à la Cour africaine.

* 149 Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice de la CEDEAO, tel que révisé par le Protocole supplémentaire, art. 10.

* 150Sur l'application des dispositions de la Charte, voir ZAKRI (B. E.), « L'application de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples dans les Etats d'Afrique noire francophone », Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest- Unité Universitaire d'Abidjan (UCAO-UUA), Master 2 Recherche Droit public fondamental, 2014, 76 p.

* 151 Certes, la CEDEAO affirme l'intégration de la Charte africaine dans le droit qu'elle applique (et ce d'autant que tous les États membres de la CEDEAO ont aussi ratifié la Charte africaine), mais elle affirme également l'autonomie de la CJCEDEAO dans les modalités d'utilisation (partie I de la Charte), qu'elle distingue des principes fondamentaux (partie II de la Charte). Voir infra, nos développements sur la question.

* 152 D'ALLIVY KELLY (D.), « Le juge africain est entré dans l'Histoire (Cour de justice de la CEDEAO, 27 octobre 2008, Hadijatou Mani Koraou c/ Niger) », publié le 10 mai 2009, pp. 6-7.

* 153Cet article dispose en effet que les communications visées à l'article 55 reçues à la Commission et relatives aux droits de l'homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir les conditions ci-après : « Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine et soit des dispositions de la présente Charte ».

* 154 Cette affaire concernant Hadijatou Mani Koraou c/ Niger a été abondamment analysée dans cette étude, notamment pour avoir été à l'origine de la propulsion de la CJ CEDEAO en matière de droits de l'homme.

* 155Aux termes des dispositions de ces articles : art. 6 : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement » ; art. 7 : al. 1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend:

a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur;

b. le droit à la présomption d'innocence, jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente;

c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix;

d. le droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».

al. 2. « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n'a pas été prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant ».

* 156 Il faut noter que la CJ CEDEAO n'a pas ses propres instruments juridiques de protections des droits de l'homme. Cette question sera abordée dans nos développements à suivre.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote