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L'individu devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme. Cas de la cour ADHP et de la CJ CEDEAO.


par Gildas Hermann KPOSSOU
Université d'Abomey-Calavi (UAC)  - Master 2 Recherche en Droit International et Organisations Internationales  2015
  

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Section 2 : Des conditions substantielles de recevabilité

Il est évident que pour être recevable devant les juridictions africaines de protection des droits de l'homme, la requête individuelle doit répondre à certains critères matériels bien définis. Ces critères concernent d'une part le principe de l'épuisement des voies de recours internes (paragraphe 1) et d'autre part, la qualité du requérant individuel pour agir (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'épuisement des voies de recours internes

Les juridictions africaines de protection des droits de l'homme notamment la Cour africaine et la Cour de justice de la CEDEAO sont des juridictions subsidiaires, le juge interne (national) demeurant le juge de droit commun de la Charte196(*). A cet effet, elles ne devraient être saisie qu'après épuisement préalable des voies de recours internes par le requérant. Si cette exigence est d'application devant le juge de la Cour ADHP (A), le juge de la CEDEAO lui sort de cette exégèse et déroge à ce principe (B).

A. Une contrainte devant le juge de la Cour ADHP

Au demeurant, l'article 56. 5) de la Charte africaine subordonne la recevabilité de la requête à l'épuisement préalable des recours internes par le requérant, « s'ils existent, à moins qu'il ne soit manifeste (...) que la procédure de ces recours se prolonge d'une façon anormale ». La règle vise à garantir que l'Etat ait eu connaissance de la violation et ait pu tenter d'y remédier197(*). Cette obligation cède toutefois lorsque les recours ne présentent pas les qualités indispensables à leur efficacité.

La règle de l'épuisement des voies de recours internes permet de ménager le rôle premier des autorités nationales dans la prévention et le redressement des violations alléguées de la Charte. En ce sens, la Cour n'a qu'un rôle subsidiaire, ce qui emporte deux conséquences. Primo, seuls les recours « internes »doivent être épuisés et non tous les autres recours prévus dans le cadre d'organisations internationales. Secundo, seuls sont visés les recours internes « ordinaires », entendus comme « toute action juridique interne pouvant donner lieu à la résolution de la plainte au niveau local ou national »198(*). En pratique, la règle vise donc l'ensemble des recours juridictionnels, qu'ils soient civils, pénaux ou administratifs199(*). Si le requérant dispose éventuellement de plus d'une voie de recours pouvant être effective, il est uniquement dans l'obligation d'utiliser l'une d'entre elles : l'usage d'une autre voie dont le but est pratiquement le même n'est pas exigé.

Cependant, la Cour comme la Commission n'exigent pas du requérant qu'il épuise les recours extraordinaires, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas de droit, qui ne peuvent être exercés qu'à titre exceptionnel et dans des conditions restrictives prévues par la loi200(*). Il s'agira notamment des recours qui dépendent de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire dont les archétypes sont les demandes en révision judiciaire et les recours gracieux et hiérarchiques201(*). L'obligation d'épuiser les recours constitutionnels dépendra largement des particularités du système juridique de l'État défendeur202(*). L'épuisement du recours en inconstitutionnalité tanzanien n'est ainsi pas exigé, la Cour y voyant une voie de recours extraordinaire. Au sens du droit interne pertinent, « la Haute Cour n'exerce pas sa compétence en vertu de cet article dès lors qu'elle est convaincue que les moyens de recours adéquats pour redresser la violation alléguée sont ou étaient disponibles dans le cadre de toute autre loi ou que la requête est simplement fantaisiste ou vexatoire »203(*). Pour la Cour, « ces dispositions démontrent que les recours en inconstitutionnalité pour faire reconnaître des violations des droits de l'homme ne sont examinés que lorsque d'autres voies de recours ne sont pas disponibles, et qu'il s'agit de recours extraordinaires »204(*).

En outre, le requérant doit apporter la preuve d'une tentative, fructueuse ou non, d'épuisement des recours internes pertinents205(*). Cet élément ne doit pas être entendu dans un sens étroit, la preuve attendue étant tant de nature procédurale que substantielle. Au plan procédural en effet, la condition ne sera remplie que si tous les degrés de juridictions ont été utilisés dans le système national, sauf si tout ou partie de ces recours ne présentent pas les qualités exigées par la Cour. Mais l'utilisation des recours internes ne libérera le requérant que lorsque le juge aura pu connaître et trancher le fond du différend : ils ne sont pas réputés épuisés lorsque les actions introduites sont rejetées ou radiées pour des questions de forme ou de procédure206(*). La solution a été critiquée car elle alourdit singulièrement le fardeau de la charge de la preuve des requérants207(*) et fait peu de cas de leur situation personnelle in casu208(*).

A ce volet procédural de l'épuisement s'ajoute donc un versant substantiel qui fait obligation au requérant de soulever les griefs pertinents devant le juge interne. L'identité des griefs soumis au juge interne et à la Cour est donc obligatoire, tout moyen surabondant présenté pour la première fois risquant d'entraîner l'irrecevabilité de la requête. La règle est toutefois appliquée avec une certaine souplesse209(*).

Toutefois, cette souplesse ne s'étend pas jusqu'à accepter que l'Etat défendeur puisse renoncer au bénéfice de la règle de l'épuisement lorsqu'il apparaît que le requérant n'a pas saisi toutes les juridictions concernées. Cette hypothèse s'est présentée pour la première fois dans l'affaire Urban Mkandawire c. République du Malawi. Cette affaire est singulière car elle a mis en prisme la Commission et la Cour africaine210(*). Ainsi, relevant que « le fait pour le défendeur de ne pas soulever la question de la non-conformité avec les exigences inscrites dans le Protocole et la Charte ne peut pas rendre recevable une requête qui est autrement irrecevable », la Cour procède d'office à cette vérification et conclut au rejet211(*). Cette retenue contraste avec la position de la Cour européenne, qui accepte cette renonciation à l'appui d'une pratique internationale bien établie en la matière212(*). La Cour semble avoir préféré faire preuve de fermeté et ne pas envoyer de signal d'une trop grande ouverture, quitte à freiner à court terme l'accès de l'individu à son prétoire213(*). En revanche, la CJ CEDEAO déroge à ce principe de l'épuisement des recours internes.

* 196 KAMTO (M.), « Charte africaine, instruments internationaux de protection des droits de l'homme, constitutions nationales : articulations respectives », in FLAUSS (J.-F.), LAMBERT-ABDELGAWAD (E.) (dir.), L'application nationale de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, Bruylant, 2004, pp. 11-47 ; pour une approche globale ; voir également LAGRANGE (E.), « L'efficacité des normes internationales concernant la situation des personnes privées dans les ordres juridiques internes », RCADI, vol. 356, 2011, pp. 243-552.

* 197 Commission ADHP, Communications 25/89, 47/90, 56/91, 100/93, Free Legal Assistance Group, Lawyers Committee for Human Rights, Union Interafricaine des Droits de l'Homme, Les Témoins de Jéhovah c. Zaïre, 9e rapport annuel d'activités, Recueil africain des décisions des droits humains, 2000, par. 45, pp. 303-304 : l'épuisement des recours internes a une finalité procédurale, « fondé(e) sur le principe qu'un gouvernement devrait être informé des violations des droits de l'homme afin d'avoir l'opportunité d'y remédier avant d'être appelé devant une instance internationale ».

* 198 Commission ADHP, Communication 299/05, Anuak Justice Council c. Ethiopie, 39e session ordinaire, mai 2006, 20e rapport annuel d'activités, African Human Rights Law Reports, 2006, par. 50, p. 106.

* 199 Commission ADHP, Communication 304/2005, FIDH, Organisation nationale des droits de l'homme (ONDH) et Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme (RADDHO) c. Sénégal, 40e session ordinaire, novembre 2006, 21e rapport annuel d'activités, African Human Rights Law Reports, 2006, par. 44, p. 127.

* 200 Cour ADHP, Mohamed Abubakari c. Tanzanie, préc., par. 72 ; Tanganyika Law Society, The Legal and Human Rights Centre, Révérend Christopher R. Mtikila c. République de Tanzanie, requêtes n° 009/2011 et n° 011/2011, arrêt au fond du 14 juin 2013 : la Cour fait notamment référence à la jurisprudence de la Commission (Communications n° 147/95 et 147/96, Sir Dawda Jawara c. Gambie) selon laquelle « les recours doivent être disponibles, efficaces et suffisants » ; Communication 221/98, Cudjoe c. Ghana (sur la notion de recours internes qui vise les recours judiciaires). La Cour fait également référence à la jurisprudence de la Commission interaméricaine (Commission IADH, Velasquez-Rodriguez c. Honduras, 29 juillet 1998, Série C, n° 4, p. 64 : sur le caractère adéquat des recours internes, ces derniers ne devant pas être épuisés en cas contraire) ainsi qu'à la Cour européenne (Cour EDH, Akdivar et autres c. Turquie, requête n° 21893/93, 16 septembre 1996, § 66 : sur la notion de recours disponible et suffisant devant permettre à l'individu d'obtenir réparation des violations qu'il allègue). Pour plus d'éclairage sur l'ensemble de la jurisprudence de la Commission, voir ONORIA (H.), «The African Commission on Human and People's Rights and the exhaustion of local remedies under the African Charter », African Human Rights Law Journal, vol. 3, n° 1, 2003, pp. 1-24.

* 201 C'est le cas du recours en révision prévu par le droit tanzanien, qui doit être porté devant le même juge interne que celui qui a rendu la décision contestée, qui est tranché par les mêmes juges et qui ne peut être intenté que dans des cas limitatifs : Cour ADHP, Alex Thomas c. Tanzanie, requête n° 005/2013, arrêt au fond du 20 novembre 2015, par. 64 : « The Court is persuaded by the reasoning of the African Commission in Southern African Human Rights NGO Network v. Tanzania, where it stated that the remedies that need to be exhausted are ordinary remedies ». La solution a été reconduite à l'identique dans Cour ADHP, Wilfred Onyango et al. c. Tanzanie, requête n° 006/2013, arrêt au fond du 18 mars 2016, § 95 ainsi que dans Cour AfDHP, Mohamed Abubakari c. Tanzanie, préc. par. 71-73. Pour un parallèle, voir l'interprétation de la Commission de ce recours : Commission ADHP, Communication 243/2001, Women's Legal Aid Center (on behalf of Sophia Moto) c. Tanzanie, 36e session ordinaire, Recueil africain des décisions des droits humains, 2004, par. 24-31, pp. 83-84 et par. 47, p. 127.

* 202 Voir, par exemple, Cour ADHP, Alex Thomas c. Tanzanie, requête n° 005/2013, arrêt au fond du 20 novembre 2015, par. 64-65.

* 203 Article 8, 2), de la Loi tanzanienne sur la mise en oeuvre des droits fondamentaux et des devoirs.

* 204 Cour ADHP, Mohamed Abubakari c. Tanzanie, préc., par. 68-70.

* 205 Règlement intérieur de la Cour, art. 34, para. 4 : « La requête doit indiquer la violation alléguée et comporter la preuve de l'épuisement des voies de recours internes ou de leur prolongation anormale, ainsi que les mesures attendues ou injonctions sollicitées (...) ».

* 206 Cour ADHP, Peter Joseph Chacha c. Tanzanie, requête 003/2012, arrêt du 28 mars 2014 (irrecevabilité de la requête faute d'épuisement des recours internes au titre de l'article 56, 5) de la Charte), par. 129-144. L'unité d'interprétation est assurée par un renvoi à la jurisprudence de la Commission sur le sujet. La Cour cite les communications 263/02, Kenyan Section of the International Commission of Jurists, Law Society of Kenya and Kituo cha Seria c. Kenya, 18e rapport annuel d'activités, juillet 2004 - décembre 2014, par. 41 et surtout 299/05, Anuak Justice Council c. Ethiopie, 20e rapport annuel d'activités, janvier 2006-juin 2006, par. 54.

* 207 Cour ADHP, Peter Joseph Chacha c. Tanzanie, préc., opinion dissidente du juge F. OUGUERGOUZ, par. 18-32 et par. 52-75.

* 208 Voir utilement les critiques du juge Ouguergouz : le requérant « détenu, indigent, vraisemblablement analphabète et sans être assisté d'un avocat, a fait tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes de l'Etat défendeur » : Ibid., par. 54. Voir dans le même sens, l'opinion dissidente commune aux juges Sophia A. B. AKUFFO, Elsie N. THOMPSON et Ben KIOKO, par. 1-22.

* 209 D'abord, il n'est pas nécessaire que le droit consacré par la Charte ou par tout autre instrument entrant dans la compétence matérielle de la Cour soit explicitement invoqué dans la procédure interne. Le requérant peut donc soulever des moyens d'effet équivalent ou similaire fondés sur le droit interne, pour autant que le grief soit soulevé en substance. Ensuite, l'identité des arguments soulevés devant le juge interne et la Cour doit être assurée, mais n'a pas à être parfaite. Pour plus d'éclaircissements, voir Cour ADHP, affaire Mohamed Abubakari c. Tanzanie, préc., par. 75-76.

* 210 En effet, le requérant avait d'abord saisi la Commission, qui avait conclu à la recevabilité de la requête, avant de retirer sa plainte et de saisir la Cour. Lors des débats, le Malawi avait reconnu que le requérant avait épuisé les recours internes, la Commission concluant immédiatement à la satisfaction de cette condition de recevabilité. Une fois la plainte retirée et la Cour saisie, l'Etat défendeur ne souleva plus d'exception d'irrecevabilité en ce sens. La requête sera pourtant déclarée irrecevable, faute d'épuisementdes voies de recours internes. Voir Commission ADHP, Communication n° 357/2008, Urban Mkandawire c. République du Malawi, par. 102.

* 211 Cour ADHP, Urban Mkandawire c. République du Malawi, préc., par. 37.

* 212 Cour EDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, arrêt du 18 juin 1971, par. 55 : « En outre, rien n'empêche les Etats de renoncer au bénéfice de la règle de l'épuisement des voies de recours internes, qui a pour but essentiel de protéger leur ordre juridique national. Il existe à ce sujet une longue pratique internationale à laquelle la Convention n'a sûrement pas entendu déroger car elle se réfère, en son article 26, aux principes de droit international généralement reconnus. Si pareille renonciation intervient devant la Commission, on n'imagine guère que le gouvernement intéressé puisse la rétracter à sa guise après la saisine de la Cour ».

* 213 De l'aveu de la Cour, « l'épuisement des recours internes est une règle fondamentale dans les relations entre les Etats parties avec le Protocole et la Charte, d'une part, et avec la Cour, d'autre part. Les Etats parties ratifient le Protocole en tenant pour acquis que les recours internes doivent d'abord être épuisés avant que la Cour ne soit saisie : la déclaration prévue à l'article 34, 6) du Protocole est également faite sur cette base ». Voir Cour ADHP, Urban Mkandawire c. République du Malawi, préc., § 37 ; voir également sur ce point les critiques formulées dans l'opinion dissidente commune des juges G. NIYUNGEKO et E. H. GUISSE, para. 11-15.

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