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Le face à  face dans totalité et infini d'Emmanuel Levinas: Essai de lecture du rapport entre le retraitant et Dieu dans les Exercices spirituels de saint Ignace

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par Jean-Luc Malango Kitungano
Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - baccalauréat philosophie programme spécial 1 2006
  

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II. 2 : Visage et infini

Le visage renvoie le plus souvent à la sensibilité, à un visage qui me fait face ; visage d'un homme, d'une femme, d'un enfant, visage du pauvre et du riche, un visage dont on jouit. Ce sens n'est pas celui que Levinas donne au visage. Pour Levinas, le visage est de l'ordre de l'éthique et non de la sensibilité. Le visage comme sensibilité s'offre à l'analyse, à la description. Le visage dans son sens éthique est parole, synonyme des yeux qui me regardent, même quand ces yeux sont ceux d'un aveugle. La vision, qui renvoie au visage suppose l'en dehors de l'oeil et de la chose. Mais le visage dans son sens éthique déchire les formes plastiques du visage comme forme qui s'offre à ma vision.

Le visage est extériorité car de l'ordre de l'éthique et non de la sensibilité. Le visage est ouverture sur l'infini. Le visage, où se produit l'épiphanie d'autrui et qui en appelle comme langage au Même, rompt - en même temps - avec le monde qui peut leur être commun. Le langage du visage est la possibilité d'accomplir une relation entre des termes qui n'ont pas la communauté de genre. La parole, en effet, tranche sur la vision. Parler, au lieu de laisser être, sollicite autrui. L'écart s'accuse, inévitablement, entre autrui comme thème du Même et Autrui comme interlocuteur. La structure formelle du langage propre au visage annonce l'inviolabilité éthique d'autrui, sa « sainteté » ou son caractère sacré. La relation éthique n'est donc pas une variété de la conscience dont le mouvement partirait du Même.

En fait, ce qui est la source de toutes les relations ne peut qu'être du côté de l'infini, du côté du visage d'autrui. En appelant le même à la responsabilité, autrui instaure sa liberté et la justifie à la manière de la mort qui prend un homme sans lui laisser la chance de lutter. L'accueil du visage se comprend , néanmoins, comme la possibilité pour l'être séparé de s'ouvrir, dans une relation qui déborde sa capacité finie. La relation éthique à travers le visage est également extérieure à l'idéalisme d'une conscience où la lutte morale, au sein du Même, serait issue du Même.

Autrui par son visage s'impose comme éthique ; une résistance éthique luit dans son visage, dans la nudité totale de ses yeux sans défense. En se manifestant comme visage, autrui s'impose par delà la forme : il en appelle par sa misère, sa faim, sa nudité et sa hauteur, au Même, sans que ce dernier puisse être sourd à son appel. Aucune intériorité ne permet plus de se soustraire à la responsabilité qu'il éveille. Devant la faim des hommes, la responsabilité du Même est irrécusable.

La relation éthique tranche aussi sur toute relation qu'on pourrait appeler mystique: le discours s'y réduirait en incantation, la prière y deviendrait rite ou liturgie, on y pressentirait la peur du Même, sa fusion ou son enivrement par l'être originel25(*). L'épiphanie du visage est la non-violence par excellence : le visage où se présente autrui ne nie pas le Même, ne le violente pas comme l'opinion ou l'autorité du thaumaturge. Il reste à la mesure de celui qui accueille, il reste terrestre. Comme non-violence, la pluralité du Même et d'autrui est maintenue. Le Même se reconnaît dans sa suffisance, comme arbitraire, coupable et timide ; mais dans sa culpabilité il s'élève à la responsabilité. Le sens premier dans cette relation asymétrique entre le même et autrui, c'est le visage d'autrui, tout recours au mot supposera, derechef, l'intelligence de cette première signification26(*). La signification - c'est l'infini, mais l'infini ne se présente pas à une pensée transcendantale, ni même à l'activité sensée, mais en autrui ; il me fait face et me met en question et m'oblige de par son essence d'infini. Le langage, comme présence du visage, n'invite pas à la complicité avec l'être préféré, au « je-tu » se suffisant et oublieux de l'univers ; il se refuse dans sa franchise à la clandestinité de l'amour où il perdrait sa franchise et son sens en se muant en artifices d'amoureux.

Le langage du visage est aussi justice car il ouvre à l'humanité par son épiphanie de l'autre. Le tiers qui apparaît, comme toute l'humanité qui me regarde, me regarde dans les yeux d'autrui. Comme relation sociale, le langage du visage instaure ainsi une relation , au-delà de la communauté biologique du genre humain ou de la fonction commune que les hommes peuvent exercer dans le monde comme totalité : les interlocuteurs restent en effet absolument séparés. Le fait originel de la fraternité surgit donc dans la responsabilité en face d'un visage me regardant comme absolument étranger27(*).

Il s'agit d'une asymétrie dans le rapport interpersonnel, rapport impensable pour la logique formelle. Le monothéisme comme idée éthique signifie, par ricochet, la parenté humaine remontant, à l'abord d'autrui dans le visage, dans une dimension de hauteur, dans la responsabilité pour soi et pour autrui. Volonté et raison situées dans un tel rapport s'abordent comme conditions de la pensée, dans le discours dont l'éthique est l'essence. Le visage n'est pas uniquement un concept . Il est l'intelligence qui énonce comme raisonnable l'extériorité inviolable en proférant le « tu ne commettras pas de meurtre ».

En énonçant cette thèse, Levinas refuse l'idéalisme. L'intelligence idéaliste constitue un système de relations idéales cohérentes dont la présentation devant le sujet, équivaut à l'entrée du sujet dans cet ordre et son absorption dans ces relations idéales28(*).

Paul Ricoeur estime que l'hyperbole est exagérée en ce qui concerne la relation asymétrique entre le Même et Autrui. L'accueil dont parle Levinas n'a pas véritablement le sens de l'accueil ; mieux, il s'agit d'un accueil incomplet. Ne faut-il pas joindre à cette capacité d'accueil une capacité de discernement et de reconnaissance, compte tenu du fait que l'altérité de l'autre ne se laisserait pas résumer dans ce qui paraît bien n'être qu'une des figures de l'autre29(*) . Que dire de l'autre quand il est le bourreau ? Il faut également que la voix de l'autre soit faite mienne, au point de devenir ma conviction qui égale l'accusatif du « Me voici » avec le nominatif du : « ici je me tiens »30(*). Le langage du visage doit pouvoir apporter ses ressources de communication, donc de réciprocité à l'intériorisation du Même. L'éthique pour Ricoeur revêt comme, affection de soi par l'autre, une dimension où le même n'est pas passivité. La définition de l'éthique qu'il propose est le suivant, « bien vivre avec et pour autrui dans des institutions justes ». Il y a donc une dialectique de l'estime de soi et de l'amitié, avant même toute considération portant sur la justice des échanges31(*).

II.3. De Dieu qui vient à l'idée

Comment situer Dieu dans une relation où autrui est l'autre par excellence ? C'est dans De Dieu qui vient à l'idée que nous trouvons une référence explicite à Dieu. Mais ce Dieu est une extériorité totale, il est l'au - delà de l'asymétrie entre le Même et Autrui. Dieu, comme concept, permet cependant de relier la pensée religieuse et celle de la philosophie. Une pensée religieuse qui se réclamerait d'expériences prétendument indépendantes de la philosophie, serait déjà, en tant que fondée sur l'expérience, référée au « Je pense » et entièrement branchée sur la philosophie.

Le récit de l'expérience religieuse, pour sa part, n'ébranle pas la philosophie et par conséquent, ne saurait rompre la présence et l'immanence dont la philosophie est l'accomplissement emphatique. Il est possible que le mot Dieu soit venu à la philosophie à partir d'un discours religieux. Mais la philosophie - même si elle le refuse - entend ce discours comme celui de propositions portant sur un thème, c'est-à -dire comme ayant un sens se référant à un dévoilement, à une manifestation de présence32(*).

La « révélation » religieuse est d'ores et déjà assimilée au dévoilement philosophique. Qu'un discours puisse parler autrement que de dire ce qui a été vu ou entendu au-dehors, ou éprouvé intérieurement - demeure insoupçonné. D'emblée donc le sujet religieux interprète son vécu comme expérience. A son corps défendant, il interprète déjà Dieu dont il prétend faire l'expérience, en termes d'être, de présence et d'immanence. Partant de l'idée de l'infini, Descartes a dessiné dans sa méditation sur l'idée de Dieu, le parcours extraordinaire d'une pensée allant jusqu'à la rupture du « Je pense ». En s'interrogeant sur la façon dont le sujet a acquis cette idée, il répond dans la 3ème méditation : je n'ai l'ai pas reçue par les sens et jamais elle ne s'est offerte à moi contre mon attente ainsi que font les idées des choses sensibles, lorsque ces choses se présentent ou semblent se présenter aux organes extérieurs de mes sens. Dans les idées des choses sensibles la surprise de l'expérience s'assume par l'entendement qui extrait des sens l'intelligible clair et distinct. L'idée de l'infini, elle, n'est pas aussi une pure production ou fiction de mon esprit ; car il n'est pas en mon pouvoir de la diminuer ou d'y ajouter quelque chose. Et par conséquent, il ne reste plus aucune chose à dire sinon que, comme idée de moi-même, elle est née et produite avec moi dès lors que j'ai été créé33(*).

La question des preuves de l'existence de Dieu ne préoccupe pas Levinas. Il se réfère à la dimension de la rupture de la conscience, qui n'est pas un refoulement dans l'inconscient mais un dégrisement ou un réveil secouant le « sommeil dogmatique » qui se dort au fond de toute conscience reposant sur l'objet34(*). Ce qui est capital dans la fondation d'une éthique du visage, à partir de l'idée de l'infini en nous, est justement de montrer que l'idée de Dieu en nous force les barrières du Même, dans la mesure où l' « inenglobable » déjoue l'obligation d'agréer ou d'adopter tout ce qui entre en nous à partir du dehors : la mise en nous d'une idée inenglobable, renverse cette présence à soi qu'est la conscience, forçant ainsi le barrage et le contrôle, déjouant l'obligation d'agréer ou d'adopter tout ce qui entre du dehors35(*). Cette idée rompt avec la coïncidence de l'être et de l'apparaître36(*) où, pour la philosophie occidentale, réside le sens de la rationalité. L'idée de l'infini opère ainsi une « remise à sa place »37(*) du Même. L'amour lui-même n'est plus possible que grâce à cette idée de l'infini en moi, au-delà même d'autrui. Dieu est un surplus croissant de l'Infini que Levinas appelle Gloire38(*) . Dieu a une signification dans la réponse, sans dérobade possible, à l'assignation qui vient du visage du prochain.

L'éthique devient alors appel à la substitution39(*) à autrui dans la mesure où l'infini n'est pas « devant » moi ; c'est autrui qui l'exprime. Et le Même en donnant signe de la donation du signe, devient le Même- pour- autrui ; le sujet répond alors comme dans la bible « Me voici », me voici sous votre regard pour répondre de vous et au nom de Dieu. Levinas démasque ici une insuffisance, mieux, une méprise dans l'énoncé du credo : « La phrase où Dieu vient se mêler aux mots n'est pas « je crois en Dieu ». Le discours préalable à tout discours religieux n'est pas le dialogue. Il est le « Me voici » dit au prochain auquel je suis livré et où j'annonce la paix, c'est-à-dire « ma responsabilité pour autrui »40(*). L'éthique du visage serait-elle alors un cri prophétique, puisque Levinas explore les expériences des prophètes dénonçant la totalité du Même, et appelant à la responsabilité pour autrui, puisqu'il explore ces paroles des prophètes qui disent Dieu?41(*) Levinas cite un texte du prophète Amos (Amos, 2, 8.) : « Dieu a parlé qui ne prophétisera pas ». Le prophétisme devient ainsi un témoignage pur de la responsabilité pour autrui. Car dans le prophétisme, Dieu signifie: « il signifie au sens où on dit signifier un ordre ; il ordonne»42(*). En dessinant derrière la philosophie où la transcendance est toujours à réduire, les contours du témoignage prophétique, Levinas se retient d'entrer dans ce qu'il appelle le « sable mouvant de l'expérience religieuse »43(*). Pour notre part, nous décidons d'y pénétrer avec le risque de nous y enliser. Nous nous efforcerons de penser l'intelligibilité d'une transcendance qui n'est pas ontologique. Une transcendance qui selon Levinas, ne peut se dire : "La transcendance de Dieu ne peut ni se dire ni se penser, en termes de l'être, élément de la philosophie, derrière lequel la philosophie ne voit que nuit "44(*). La transcendance de Dieu reste pour lui signification d'un ordre donné à la subjectivité avant tout discours45(*).

* 25 Cette thèse de Levinas se place à l'antipode de celle que nous tenterons de démontrer dans l'expérience des Exercices Spirituels où à travers l'expérience mystique, le sujet ne s'évanouit pas en Dieu mais est mis en question par autrui qui est le Christ, contemplé ou médité à travers le récit de sa vie, de sa mort et de sa résurrection.

* 26 T.I., Ibid., p. 171

* 27 Ibid., p. 189

* 28 Ibid., p. 191

* 29 Ricoeur P. , Op. Cit. , p. 391

* 30 Idem

* 31 Ibid., p. 381

* 32 DQVI, ibid., p. 103

* 33 Nous nous référons à la troisième méditation cartésienne que reprend Levinas dans De Dieu qui vient à l'idée. p. 105

* 34 Ibid., p. 105

* 35Ibid., p. 107

* 36 "Dieu qui n"apparaît"jamais, qui n'est pas "phénomène", qui ne prend jamais corps dans une quelconque thématisation ou objectivation. C'est là probablement le sens de l'indétermination où se tient, au sujet de Dieu, la formule Inyan Elohi de Jéhuda Halévi. "Entretien" in Revue de métaphysique et de morale, ibid., p.308

* 37 Cette expression désigne une mise en question de la liberté du Même.

* 38 DQVI, ibid., p. 120

* 39 A propos de la substitution chez Levinas, Paul RICOEUR formule à nouveau la critique de l'hyperbole à outrance dont fait montre Levinas : « c'est finalement dans le thème de la substitution, où culmine la force de l'hyperbole et s'exprime dans sa plus extrême vigueur la philosophie de l'altérité, que je perçois une sorte de renversement du renversement opéré dans Totalité et infini . L'assignation à la responsabilité, issue de l'interprétation par l'Autre, et interprétée dans les termes de la passivité la plus Totale...Cette dialectique croisée du soi-même et de l'autre que soi n'avait-elle pas été anticipée dans l'analyse de la promesse ? Si un autre ne comptait sur moi, serais-je capable de tenir ma parole, de me maintenir ? Paul RICOEUR , Op.Cit. , pp. 392-393.

* 40 Ibid., p. 123

* 41 Cette question est nôtre et vise à passer à un registre proprement religieux, comme à l'au-delà de la philosophie. Néanmoins, en y répondant nous cheminons avec Levinas.

* 42 Ibid., p. 124

* 43 Ibid., p. 124

* 44 Ibid. p. 125

* 45 « Je ne pars pas de l'existence d'un être très grand ou très puissant. Tout ce que je pourrai en dire viendra de cette situation de responsabilité qui est religieuse en ce sens que le Moi ne peut pas l'éluder. Si vous voulez, c'est Jonas qui ne peut pas s'enfuir. Vous êtes devant une responsabilité à la quelle vous ne pouvez pas vous dérober...voilà en quel sens j'accepterais le mot religieux que je ne veux pas employer, parce qu'il est tout de suite source de malentendu. Mais, c'est cette situation exceptionnelle, où vous êtes toujours en face d'Autrui, il n'y a pas de privé, que j'appellerai situation religieuse. Et tout ce que je dirai après, de Dieu...partira de cette expérience - là, et non pas inversement. L'idée abstraite de Dieu est une idée qui ne peut pas éclairer une situation humaine. C'est l'inverse qui est vrai » E. Levinas, Liberté et commandement, op.cit, p. 95

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