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Le mercenariat en Afrique au sud du Sahara : approche endoscopique et perspectives

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par Ylliass Destin Lawani
Université d'Abomey Calavi - Diplôme du Cycle I de l'ENA en Diplomatie et Relations Internationales 2004
  

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B- Les Etats-Unis

Ils ont été les premiers à adopter vis à vis du mercenariat une attitude rigide de répression. Il serait alors plus entendu d'affirmer qu'ils ont beaucoup oeuvré pour l'apparition des Sociétés Internationales de Sécurité vis à vis desquelles les différents gouvernements américains ont une sympathie à peine voilée. C'est ainsi que par exemple au Nigéria, à la suite du rétablissement de la démocratie en 1999, après la mort du Général Sani Abacha, la société américaine MPRI a remporté le marché pour aider les responsables nigérians de la défense à élaborer un plan d'action en matière de défense, «le gouvernement américain et le gouvernement du Nigeria se partageant, de façon égale d'ailleurs, le financement des contrats qui lui sont confiés ».34(*)

De récentes études américaines concluent  qu'à un niveau international, les opérations d'assistance militaire actives menées par des Sociétés Internationales de Sécurité sont en effet légitimes bien que l'évaluation de leur légitimité reste contestable et qu'elles soient conduites dans un vide juridique international complet, sans aucune réglementation efficace.

Chapitre II : LES SOCIETES INTERNATIONALES DE SECURITE, NOUVEAU CADRE D'EVOLUTION DU MERCENARIAT

Au cours de l'histoire de nombreux Etats ont eu recours aux mercenaires par habitude ou par nécessité. Il n'en est pas moins vrai que ce phénomène progresse depuis une décennie de façon importante, tout particulièrement en Afrique au sud du Sahara. Au cours des années 1990, un grand nombre de sociétés internationales ont entrepris de fédérer et d'organiser l'activité mercenaire selon un model commerciale et légale, sous la forme de Sociétés Internationales de Sécurité (SIS)35(*). Certains auteurs parlent même de « mercenariat entrepreneurial ».36(*)

L'apparition des SIS répond à des conditions de fond (causes et conditions d'émergence) et elles ont des rapports tant avec les Etats qui les hébergent que ceux les employant, qui ne sont pas toujours reconnus du fait de certaines contingences de la vie internationale.

Section 1 : Causes et conditions d'émergence du marché des Sociétés Internationales de Sécurité en Afrique noire.

Le processus global de morcellement politique qui s'installe dès la fin de la guerre froide engendre de nombreux conflits armés. Décidées à toucher les dividendes de la paix, les grandes puissances deviennent plus réticentes à intervenir dans des guerres qu'elles ne considèrent plus comme les leurs. La majorité des Etats occidentaux jugent alors nécessaire de réduire substantiellement leurs budgets de défense et adaptent le format de leurs armées à ce qu'ils pensent être un nouvel ordre mondial. De 1987 à 1994 près de cinq millions de soldats sont rendus à la vie civile, et de nombreux matériels conventionnels prolifèrent sur les différents marchés.

Dès lors, les firmes exportatrices de main d'oeuvre militaire et d'expertise sécuritaire se positionnent sur un marché vierge, qui résulte de la rencontre d'une demande de plus en plus croissante et d'une offre diversifiée.

En favorisant le facteur économique par rapport au déterminant militaire de la puissance étatique dans la défense des intérêts nationaux, les Etats ont déclenché des mutations importantes au sein de leurs appareils de défense et dont les conséquences quant à l'émergence des Sociétés Internationales de Sécurité, sont évidentes.
 

Paragraphe 1 : Les armées face au libéralisme économique de l'après guerre froide

La fin de la guerre froide a vu le triomphe des Etats Unis sur l'Union Soviétique. Plusieurs Etats qui n'étaient pas du bloc capitaliste se sont retrouvés avec de réelles difficultés pour faire décoller leur économie et réaliser une certaine stabilité. Les grondes sociales et l'obligation de s'adapter aux exigences de l'économie de marché ont poussé les gouvernements à réduire les dépenses nationales en vue de mobiliser les fonds nécessaires au règlement des problèmes du moment. Plusieurs secteurs, dont celui de l'armée, connaissent alors une vague de privatisation et de licenciement. C'est ainsi qu'on assiste à une chute des budgets de défense suivie d'une privatisation de certains appareils de défense et de sécurité. De plus la démobilisation mondiale des troupes a mis sur le marché de l'emploi une main d'oeuvre qualifiée.

A- La baisse des budgets de défense et la privatisation des appareils de défense et de sécurité

La chute des dépenses militaires dans les pays impliqués dans la défense des blocs de la guerre froide (les pays de l'OTAN et du Pacte de Varsovie) a été spectaculaire.

Mais en Afrique subsaharienne les dépenses militaires baissent de 21,4% dans la période 1985-1996.37(*) Cela n'a aucune corrélation avec le retour à la stabilité politique : les montants des dettes publiques des pays africains expliquent en grande partie cette apparente réduction. La " mal gouvernance " a provoqué des interventions du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale : Programmes d'Ajustement Structurel avec leurs conditionnalités, rééchelonnements de la dette sous des conditions de gestion draconiennes et accords contraignants adoptés par les Clubs de Paris et de Londres.

Ces coupes budgétaires engendrent dans l'ordre interne une privatisation progressive des appareils de défense. Le processus est en marche dans la plupart des secteurs touchant au domaine de la défense et de la sécurité. L'industrie de défense d'Etat a été la première à connaître la privatisation et ceci pour des raisons tenant à la fois aux impératifs de rentabilité et à la concurrence farouche qui règnent dans ce secteur qui a pris de plein fouet la baisse des commandes militaires publiques et la réduction des marchés à l'export. Les entreprises de défense se tournent désormais vers les technologies duales et les domaines d'application civile. La plupart d'entre elles entretiennent désormais des activités militaires marginales dans leurs bénéfices, dont la justification économique n'est plus une évidence. Dassault Aviation, par exemple, assure sa rentabilité grâce aux jets d'affaires Falcon. La construction des matériels nationaux n'est plus une priorité et le manque de fiabilité des lois de programmations militaires tend à conforter les firmes dans leurs recherches de débouchés à l'exportation.

Ce phénomène est moindre en France en comparaison avec les comportements des pays de tradition plus libérale. En effet, si la France est réticente sur ce point, les pays anglo-saxons sont allés bien plus loin dans la privatisation qui touche de manière plus poussée des domaines stratégiques .

Les Etats font alors appel à des acteurs privés pour répondre à des tâches peu sensibles, techniques mais coûteuses telles que le déminage, la maintenance des matériels ou encore la logistique.

En France, les hélicoptères de la Marine Nationale sont entretenus par des sociétés de services privées sous contrat. L'armée de l'Air fait aussi appel à des avions appartenant à des compagnies de transport privées qu'elle loue pour augmenter ses moyens de projection (Antonov ou Boeing). Autre secteur délégué au privé : le déminage. Des sociétés spécialisées dans ce domaine assurent désormais ces activités au profit des Etats industriels (souvent premiers producteurs et exportateurs de mines antipersonnelles) et des Nations unies.

Le Département de la Défense américain (DoD) sous-traite toutes les tâches qu'il juge annexes. La sophistication et l'étendue des délégations américaines s'expliquent largement par l'immensité du marché intérieur de défense des Etats-Unis. Le budget fédéral ne pourrait pas supporter, à lui seul, une nationalisation de toutes les activités liées aux secteurs stratégiques. La sous-traitance est donc nécessaire. Ainsi la logistique et l'intendance des forces armées américaines sont en grande partie sous-traitées par des compagnies privées complètement associées aux opérations extérieures. Durant la première guerre du Golfe, la Defense Logistics Agency (D.L.A.) a négocié plus de 550 000 contrats pour un montant global de 760 millions de dollars avec des compagnies privées (Federal Express, AT&T, Evergreen, Southern Air Transport par exemple).38(*)

Une autre composante publique privatisable et privatisée de manière différenciée selon les pays est la sécurité des structures publiques. En France, certains maires ont réclamé la création de polices municipales et leur armement. La tendance, face à la pression politique des habitants, à créer des structures publiques décentralisées sous l'autorité des collectivités locales pour renforcer la sécurité est éminemment perverse. Poussé à l'extrême, ce phénomène aboutit aux milices d'autodéfense puis aux armées privées.

Aux Etats-Unis, les gardiens de prisons ne sont pas des fonctionnaires, mais des " matons " privés provenant de la puissante et énigmatique firme Wackenhut Corporation.39(*)

La compagnie anglaise Defense Systems Limited (DSL) assure quant à elle la sécurité des ambassades de nombreux pays : à Bahreïn au profit des Etats-Unis, en République Démocratique du Congo pour les Etats-Unis, la République Sud-Africaine et la Suisse et enfin en Angola pour les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l'Italie, la Suisse, la République Sud-Africaine et le Consulat de Belgique. En effet, l'instabilité de certains pays exige que l'on prenne des mesures de sécurité et les attentats du 7 août 1998, contre les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar es-Sallam (Tanzanie), de même que les nombreux attentats contre les intérêts américains à travers le monde après le 11 septembre 2001, montrent toute la légitimité de cette protection.

D'autres firmes assurent la sécurité d'installations stratégiques, comme les pipelines ou les gazoducs. La construction du gigantesque pipeline de 1100km reliant le champ pétrolifère in shore tchadien de Doba au port d'évacuation camerounais de Kribi (inauguré récemment) avait prévu un appel d'offre au privé pour sa sécurité durant les travaux et après la mise en service. Pour sa connaissance du terrain tchadien, la société de sécurité de Paul Barril a été évoquée comme la mieux placée pour le contrat. Executive Outcomes, la plus grande compagnie militaire privée du monde, avait déjà été sollicité pour la surveillance et la protection des structures gazières de la SONATRACH, dans le nord de l'Algérie, face à la prolifération des groupes islamiques armés mais les négociations avaient échoué.
 

Sous-traiter le maintien de l'ordre dans une structure publique est une chose courante dans certains pays. En Afrique du Sud, une des plus grandes entreprises de sécurité privée du pays, Combat Force Security, a été appelée en renfort par les responsables de l'Université de Durban-Westville pour assurer la fermeture du campus. Deux étudiants ont été blessés et des centaines intoxiqués par des gaz lacrymogènes au moment où les gardes ont pris le contrôle de l'université.

Le maintien de l'ordre (répressif et postérieur à une situation existante) ne suffit souvent pas aux gouvernements. Le volet préventif, qui comprend la surveillance des personnalités subversives influentes, peut aussi être sous-traité à des compagnies privées. Wackenhut a ainsi fournit au gouvernement fédéral américain, en pleine période MacCarthyste, un fichier de 2,5 millions de noms de personnes " subversives ou sympathisantes " présumées communistes.

B- La démobilisation mondiale des effectifs et ses conséquences

  L'autre phénomène structurel qui favorise le développement du « mercenariat entrepreneurial » réside dans l'immense " dégraissage " des armées nationales effectué au niveau mondial depuis la fin de l'affrontement Est-Ouest. La baisse des budgets de défense et des dépenses militaires ont permis une réduction, quelque fois drastique, des effectifs militaires dans la plupart des pays développés et dans les pays qui possédaient une instabilité entretenue par le " grand jeu " des puissances pendant la période de la guerre froide

Globalement, les effectifs mondiaux au service des forces armées ont diminué de plus de 5 millions de personnes entre 1985 et 199640(*).

Il est clair que ce n'est pas la démobilisation mondiale seule qui a permis la résurgence du phénomène du mercenariat et sa mutation en multinationales. Mais ce processus de réduction des effectifs a été plus ou moins bien conduit selon les pays. Si la France a contracté le format de son armée, elle l'a fait avec des mesures d'accompagnement économique et social. Dans d'autres pays, notamment à l'Est et en Afrique du Sud, le phénomène a été plus brutal et le retour à la vie civile de certains militaires s'est fait plus difficilement. La frustration engendrée par le sentiment de l'inutilité et de l'ingratitude, consécutives à l'explosion de certaines sociétés militaires, n'a pas eu les effets escomptés du point de vue de la paix : ceux qui rejoignent les rangs des firmes de sécurité sont en majorité des Ukrainiens, des Serbes, des Polonais, des Russes et des Sud-Africains.

Cela est d'autant plus vrai que cette démobilisation a coïncidé avec la fin des conflits régionaux, gros pourvoyeurs de main d'oeuvre, tels que l'Afghanistan et l'ex-Yougoslavie. L'afflux de mercenaires, immédiatement après l'arrêt d'un conflit, est un phénomène bien connu depuis longtemps. Il y a eu l'après Vietnam pour les Américains, les Malouines pour les Anglais, la guerre du Golfe et enfin la Yougoslavie qui a vu arriver sur le marché du recrutement des Français déçus et des Serbes vexés par la résolution de ce conflit.

  Qu'il soit volontaire ou imposé, le passage du secteur public au secteur privé de cette main d'oeuvre qualifiée au chômage technique, s'il est assez bien admis dans la fonction publique civile, pose quelques problèmes éthiques quand il s'agit de militaires redoutables, de hauts responsables de la défense ou des membres des services de renseignement, qui continuent d'exercer leurs compétences dans le même domaine d'activité mais à des fins commerciales.

Depuis que les mercenaires existent, ils sont issus des troupes les plus efficaces et reconnues comme telles. Les unités d'élite sont ainsi des réserves de premier choix pour les SIS. L'époque glorieuse des " Africains Blancs " a connu des contingents de " chiens de guerre " triés sur le volet : légionnaires et parachutistes coloniaux français, Royal Marines, bérets verts américains, pilotes de la Royal Air Force, pour ne citer que ceux-là.

Les troupes d'élite sont la base de l'expertise militaire vendue par les SIS. La " vieille école " s'en était servie de manière sporadique et individuelle, chacun étant susceptible de rejoindre les " Commandos " africains en fonction de sa nationalité. Actuellement, le recrutement est beaucoup plus systématique.

Chose plus inhabituelle et surprenante, le corps des officiers, plus marginalement attiré par le mercenariat, est de plus en plus tenté par le passage au privé. La firme américaine Military Professional Resources Incorporated en est l'archétype. Selon la formule consacrée, " elle possède plus de généraux quatre étoiles que le Pentagone ". Même si cela est une particularité américaine, le procédé a tendance à se développer au fur et à mesure que les soldes " privées " sont élevées.

Par ailleurs les hommes de renseignement passent au privé. Ce processus bien connu pour les soldats, est tout aussi vrai pour les membres éminents des services secrets et des hauts responsables politiques de la défense.

Mais contrairement à un recyclage vers le renseignement économique, les firmes de mercenaires demandent aux personnes qui les rejoignent une continuité totale de leur action et de leurs compétences mais cette fois au service d'intérêts privés et commerciaux. Ces hommes continuent à faire du renseignement militaire et des opérations spéciales, en tant qu'experts, pour le compte des compagnies de sécurité.

Là aussi le phénomène n'est pas nouveau. Les premières sociétés commerciales de mercenaires qui apparaissent en Grande Bretagne après la deuxième guerre mondiale sont fondées et constituées d'anciens SAS (Special Air Service), qui sont encore aujourd'hui l'un des principaux viviers du mercenariat. Par exemple le fondateur du redoutable Special Air Service, David Stirling, est à l'origine de Watchguard Organisation qui, à partir de 1967, entraîne des mercenaires et les déploie au gré des intérêts du Foreign Office.

Le phénomène n'est pas seulement anglais. Les autres pays possédant des structures de renseignement efficaces connaissent aussi cela. Les services sud-africains de renseignement sous l'apartheid ont fourni les cadres dirigeants de la plus importante société de sécurité mondiale : Executive Outcomes.

  

Les compagnies d'assistance militaire et de sécurité profitent pleinement de ces conditions. Des bases de données permettent aux firmes de posséder un réservoir d'hommes disponibles et contactables sans préavis. De même, les unités d'élite sont largement démarchées, voire débauchées, par des annonces qui circulent sur le Web ou dans des revues spécialisées. Executive Outcomes disposait d'une base permanente de 2 000 personnes mobilisables dans des préavis très courts. Eeben Barlow, fondateur et directeur d'Executive Outcomes jusqu'en juillet 1997, ajoute que sa firme remplit en cela un rôle social de recyclage des désoeuvrés et des laissés pour compte de la sécurité et de la défense.

La firme américaine Military Professional Resources Incorporated joue sur le même registre. En se présentant comme " le plus grand groupe d'expertise militaire dans le monde ", elle déclare posséder un fichier en croissance continue de plus de 2 000 noms d'officiers du Pentagone. Sur son site Internet41(*), la firme américaine met en avant le fait que " la communauté militaire à la retraite est une ressource nationale " à mettre en valeur.

Certaines revues spécialisées comme l'américaine Soldiers of Fortune (SOF) et la française SECURIMAG centralisent ces demandes d'emploi d'un genre spécial. La disponibilité du marché peut surprendre mais la plupart des annonces pour des activités de mercenaires ne transitent pas par ces publications. Les réseaux de contacts et les News Groups du Web sont beaucoup plus discrets. Les possibilités d'emploi sont d'autant plus alléchantes (financièrement) qu'elles sont aussi un moyen quasiment assuré de partir sur des théâtres extérieurs " chauds ", chose que les pays occidentaux sont de moins en moins enclins à faire avec leurs propres hommes...

 Paragraphe 2 : les calculs stratégiques des Etats et l'explosion de la demande

La nouvelle donne stratégique de la mondialisation et la divergence des intérêts économiques et commerciaux des Etats les ont amené à se désintéresser progressivement de l'action militaire pour leur propre compte. Ceci a eu pour conséquence de favoriser l'apparition sur le marché, des SIS qui prétendent remplacer ces grand Etats pourvoyeurs en éléments pour les interventions de l'ONU, dans leurs missions traditionnelles de gardiens de la sécurité collective, et même fournir des services plus compétitifs financièrement.

A- Les calculs stratégiques des Etats comme cause d'émergence des SIS

Le continent africain apparaît de plus en plus comme le théâtre des luttes stratégiques des pays développés. En effet la multiplication des conflits, la lutte contre le terrorisme, la mobilisation des opinions publiques nationales face aux images désolantes d'un continent qui se meurt et l'engagement militant des Organisations Internationales Non Gouvernementales, mais surtout la position géostratégique du continent noir et l'immense potentiel de son sous-sol, ont tôt fait d'attirer l'attention de ces Etats sur l'intérêt qu'ils ont de s'y investir.

Les chasse-gardées des grandes puissances impérialistes ne semblent plus résister aux désirs des dirigeants africains de diversifier leurs partenaires au développement. On assiste alors à un conflit d'intérêts parfois antagonistes comme ce fut la cas entre la France et les Etats-Unis par rapport à une force interafricaine de maintien de la paix. En effet « entre 1990 et 1994, la France, comptant sur un certain soutien européen, avait avancé de mettre sur pied une " force interafricaine de paix". En octobre 1996, avant le déclenchement du conflit du Kivu, le Président Clinton a envoyé son Secrétaire d'Etat, M. Warren Christopher, dans une tournée africaine afin de promouvoir la constitution d'une "force interafricaine de paix"; initiative très critiquée par des porte-parole français qui la décrivaient comme une "tactique électorale pour gagner les votes noirs". L'idée a gagné à nouveau en actualité avec le conflit du Zaïre. La force de paix africaine a déjà été un motif de discorde entre les deux puissances. La rivalité anglo-saxonne est une des raisons qu'exprime la paralysie d'une telle idée, laquelle existe, du côté africain, depuis la création de l'OUA42(*). »

C'est justement sur le terrain de la paix que se concrétisent les enjeux stratégiques des Etats. En effet le problème tenant aux risques politiques des opérations extérieures des Nations Unies (les échecs électoraux qui découlent des fiascos somaliens, rwandais et autres, tendent à mettre en difficultés les dirigeants politiques qui décident des interventions et en sont par la suite responsables politiquement ) se combine avec d'autres facteurs d'explication d'ordre économique pour amorcer peu à peu le désintérêt des membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies, pris individuellement, aux conflits mondiaux.

Les trois Etats de l'OTAN, traditionnels bailleurs de contingents pour le compte de l'ONU, semblent privilégier la décentralisation du maintien de la paix à toutes les opérations extérieures ne mettant pas directement en danger leurs intérêts stratégiques ou leurs ressortissants nationaux43(*). L'ONU légitime cette pratique en confiant certaines de ses Opérations de Maintien de la Paix à des coalitions interafricaines sous commandement d'une puissance régionale comme cela est le cas pour le Nigeria qui fut à la tête des opérations de l'ECOMOG au Libéria et en Sierra Léone.

Le caractère multinational implique constamment de ménager les susceptibilités nationales des petits pays qui entendent participer aux opérations alors qu'ils ne possèdent pas les matériels et la formation suffisants pour les mener correctement. Ces contradictions ont eu des conséquences opérationnelles et humaines importantes au sein de la population locale comme du côté des forces armées engagées par l'ONU. Mais le volet financier, aussi trivial qu'il puisse paraître, constitue un des griefs majeurs des Etats à l'encontre les Nations Unies. 

Du fait de leur prolongation dans le temps, de leur coût et du long processus décisionnel du conseil de sécurité des Nations Unies, les opérations de maintien de paix sont de plus en plus sujets à caution.

Les gouvernements légaux sont souverains et l'ingérence dans leurs affaires intérieures est proscrite. Le véritable problème est bien celui de la légitimité des contractants en matière de sécurité ou d'expertise militaire. En effet, il convient d'analyser précisément la demande et les besoins que satisfont les firmes privées en lieu et place des Nations Unies et de la Communauté internationale qui en a progressivement abandonné l'exclusivité.
 

B- L'explosion de la demande et la légitimité de l'offre

La multiplication des conflits régionaux a induit la croissance des besoins d'intervention de la communauté internationale. Le manque de capacité et de rapidité des Nations unies, la complexité du processus de décision de cette organisation et la réticence de certains États à se commettre sur certains terrains d'activité, ont mené à une régionalisation de la résolution des conflits et des opérations de maintien de la paix (OMP). Des quelques 75 000 Casques bleus déployés en 1994 sous l'égide des Nations unies, seulement 42 000 étaient encore en opération en octobre 2003. Incidemment, la majorité des conflits ont étés gérés non pas par l'ONU, mais par des organisations régionales de sécurité (OTAN, OUA, UE, OEA...)44(*). Cependant, malgré le désengagement de la communauté internationale, et ce particulièrement en Afrique, les besoins en matière de stabilisation et d'OMP n'ont pas disparu. On assiste même aujourd'hui à une forte augmentation du nombre des opérations de maintien de la paix de l'ONU en Afrique, qui nécessitent 2,9 milliards de dollars sur les 3,9 milliards du budget que cette institution a consacré au maintien de la paix45(*).

Malgré la compréhensible réticence de la communauté internationale à reconnaître l'apport des SIS, certaines d'entre elles ont démontré dans le passé leurs aptitudes à la stabilisation de la situation sur le terrain. En Sierra Leone, EO a joué un rôle instrumental dans l'altération du scénario du conflit, ce qui a obligé le RUF à s'asseoir à la table des négociations. La conclusion des accords de paix de novembre 1997 a suffisamment apaisé la situation pour permettre la tenue des premières élections en 27 ans. En Angola, les lourdes pertes de l'UNITA sur les champs de bataille, conjuguées à la reprise du contrôle de gisements  miniers par EO aidé des forces gouvernementales, furent les facteurs déterminants qui devaient mener à l'établissement des accords de Lusaka en 1994. L'entraînement militaire et les conseils stratégiques dispensés par EO renforcèrent les capacités de combat de l'armée angolaise. L'engagement de MPRI dans le conflit yougoslave aux côtés de la Croatie, bien que de nature beaucoup plus complexe que celui de EO en Afrique de l'Ouest, fut une incroyable démonstration de sa rapidité d'action et de sa capacité à élaborer des opérations d'un haut degré de complexité. En ce sens le Président de la sous commission américaine des affaires africaines de la Chambre des représentants affirmait le 8 octobre 2004 à ses paires que face aux crises dont de nombreux États africains sont la proie, «  il convient d'envisager de nouvelles mesures telles que le recours à des sociétés spécialisées dans la sécurité, étant donné que la sécurité est indispensable au développement de l'Afrique ». « Nous avons fait appel à de telles entreprises au Liberia et en Côte d'Ivoire pour la logistique (...) et je sais qu'elles s'occupent de la logistique au Darfour dans le cadre de la mission de l'Union africaine »46(*) ajoutera t-il par la suite.

Cependant tout ce qui entoure l'imputabilité des activités de telles entreprises est aussi à considérer. Bien qu'aucune SIS ne se soit dernièrement engagée dans la défense d'intérêts stratégiques allant à l'encontre des politiques de son gouvernement, les actionnaires (dont les objectifs sont essentiellement pécuniaires) sont ceux à qui elles doivent rendre des comptes. Une motivation de nature étatique, comparativement à une philosophie purement commerciale, incorpore au processus décisionnel des paramètres autres que le seul facteur de profitabilité. Néanmoins, le risque lié à l'exploitation des ressources minières et énergétiques dans un contexte d'instabilité s'avère un puissant incitatif pour maintenir la stabilité. Cette motivation entre en synergie avec les objectifs des gouvernements locaux. Il ne peut y avoir d'investissements  sans qu'un climat de stabilité s'installe. Les SIS, en plus de contribuer à la vitalité économique des États dans lesquels elles opèrent, s'assurent par le fait même que le client bénéficiera des ressources nécessaires pour s'acquitter de la facture.

Section 2 : Nature des relations entre les Etats et les Sociétés Internationales de Sécurité.

Le recours à des soldats « privés » (terme qui remplace celui de mercenaire jugé trop galvaudé) présente pour l'Etat hôte des avantages majeurs. Il l'exonère ainsi de tout contrôle démocratique, sans risque de froisser l'opinion publique et lui permets de payer de manière ponctuelle un service rendu. Cependant pour les Etats bénéficiaires (souvent africains) il existe des risques politiques bien précis.

Paragraphe 1 : les Sociétés Internationales de Sécurité comme outils de politique extérieurs des Etats hôtes

Les Etats hôtes sont, bien sûr, ceux qui hébergent les sièges sociaux des SIS. Afin de mieux étudier la question, nous prendrons deux cas illustratifs : la France et les Etats-Unis.

A- Le cas Français

La France, nous l'avons vu, ne cautionne pas les intervention des SIS dans des conflits internationaux tendant à faire croire à une privatisation de la violence par l'Etat.

L'absence de lien organique avec les mercenaires a souvent permis à l'Etat français de conduire une politique par procuration. De ce fait, tous les Présidents de la Vème République ont laissé faire sinon provoqué des opérations mercenaires : le général de Gaulle puis Georges Pompidou, du Katanga au Biafra ; Valéry Giscard d'Estaing, des Comores au Bénin ; François Mitterrand, du Tchad au Gabon. Sous la présidence de Jacques Chirac, plusieurs opérations ont été tolérées : Zaïre (1997), Congo-Brazzaville (1997-1998, 2000 ), Côte d'Ivoire (2000, 2002) 47(*)

Outre le fait qu'il peut constituer un signe politique de soutien, même minimaliste (comme ce fut le cas au Zaïre fin 1996-début 1997 avec la trentaine de mercenaires français chargés d'encadrer l'armée de Joseph Mobutu mise en déroute par les troupes de Laurent Désiré Kabila, équipées par le Rwanda et l'Ouganda), ce lien laisse transparaître la complicité entre le privé et l'Etat qui fait que les « coups » réalisés par les premiers ne sont en général pas remis en cause par les seconds48(*).

  On comprend aisément le grief que porte le gouvernement français contre la définition du mercenaire proposée par la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, en son article 1er alinéa 1 -e) qui dit que (Le terme «mercenaire» s'entend de toute personne) « Qui n'a pas été envoyée par un État autre qu'une partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État. ». En effet il considère qu'il fallait parler plutôt de « mission » tout court et que l'adjectif « officiel » était de trop. On pourrait avancer que cette position du gouvernement français n'était qu'un paravent pour les SIS qu'il emploie, de façon non officielle, dans certaines circonstances.

* 34 Jean-Pierre Plancade lors des débats sur le vote de la loi française sur la répression de l'activité de mercenariat, Sénat, 2001

* 35 L'expression Sociétés Internationales de Sécurité (SIS) ou Private Security Providers(PSP) pour sa variante anglo-saxonne, regroupe une multitude de sociétés associées au mercenariat, qui offrent des services très diversifiés et s'acquittent de tâches couvrant un vaste champ opérationnel. Il est extrêmement difficile d'arriver à une taxonomie exhaustive de cette nouvelle réalité. Généralement, les spécialistes s'entendent pour regrouper à une extrémité du spectre les Sociétés Militaires Privées (SMP) de leur acronyme anglaise Private Military Companies ou PMC, et à l'autre les Sociétés de Sécurité Privée (SSP) ou Private Security Companies, PSC en anglais. Les premières assurant principalement des activités de soutien et de participation aux opérations militaires, de conseil militaire (assistance et entraînement des forces gouvernementales, de l'acquisition d'armements et l'analyse stratégique des menaces) et de soutien logistique (transport de matériel, entretien des équipements, protection humanitaire, opération de maintien de la paix et activités post conflit). Les secondes se spécialisant dans la sécurité civile (protection de sites et d'entreprises et analyse des risques sécuritaires) et la prévention de la criminalité. Cependant, il est évident qu'une telle classification en fonction de la forme ignore une panoplie de facteurs déterminants, mais non essentiels à la compréhension de la réalité des usages privés. À des fins de simplification, il nous est donc plus pratique de désigner l'ensemble de ces entités par l'abréviation SIS. 

* 36 Jean Marguin, La privatisation des forces armées : une révolution inéluctable ? Revue L'Armement, no 69, mars 2000

* 37 Source : Military Balance, édition 1998

* 38 www.ifrance.com/intelligence/Mercenaires.htm

* 39 Avec 30000 employés de par le monde, 700 millions de dollars de chiffre d'affaires et 139 millions de dollars de bénéfices en 1996, Wackenhut est une vieille compagnie. Fondée en 1954 par un ancien agent du FBI, George Wackenhut, elle assure la protection de 13 ambassades américaines, de l'oléoduc d'Alaska et de la réserve stratégique de pétrole des Etats-Unis. Mais aux dires de son ancien avocat, Bill Casey devenu sous l'administration Reagan directeur de la CIA, la firme s'est livrée à des opérations beaucoup moins avouables. Wackenhut est le relais privé présumé de nombreuses " blacks operations " de la CIA

* 40 www.ifrance.com/intelligence/Mercenaires.htm

* 41 Pour plus d'informations, consulter www.mpri.com

* 42 . Clara PULIDO ESCANDELL, « Les nouvelles tensions France-Etats-Unis dans le pré carré Africain », Université de Bordeaux, disponible à l'adresse Internet http://www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol4n2/arti5.html

* 43 Au sommet de La Baule, François Mitterrand avait précisé que les pays africains pourraient compter sur la France s'ils étaient menacés de l'extérieur, mais non pour régler des conflits internes. Dans ce dernier cas, si les troupes françaises participaient, ce serait seulement pour « protéger ses ressortissants », au lieu des régimes amis (comme cela se passait avant)

* 44 http://etudiants.fsa.ulaval.ca/projet/gie-64375/mercenaires/accueil.htm

* 45 . Ed Royce (Président de la sous-commission des affaires africaines de la Chambre des représentants) cité par Jim Fisher-Thompson , « Maintien de la paix : les opérations de l'ONU en Afrique donnent peu de résultats » ,disponible sur le site du Département d'Etat américain www.usinfo.state.gov/francais/

* 46 Jim Fisher-Thompson, idem.

* 47 . François Dominguez et Barbara Vignaux, « La nébuleuse des mercenaires français », Le Monde diplomatique, octobre 2003.

* 48 . François Dominguez et Barbara Vignaux, idem.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon