WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynos


par Nataly Villena Vega
Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

3.1.2 L'espace de convergence.

De la même façon que Nieto dans la deuxième partie de son livre, Chanove recrée la nouvelle vie urbaine du péruvien moyen ; la société qui nous est décrite est celle des migrants, de la polarisation et de l'abandon progressif de la campagne. Le paysan est devenu un étranger pour la nouvelle majorité métisse. Le visiteur venu d'autres pays en est évidemment un aussi et sa condition d'individu de passage se traduit par le changement continuel du cadre.

Une vision ironique et humoristique de la topographie souligne la vision stéréotypée que l'étranger a de la ville. Les descriptions de la ville et de la campagne dessinent un univers dominé par l'ignorance et la naïveté où l'espace a pour l'habitant local la valeur que l'étranger lui donne.

L'espace est fragmenté, possible influence du roman américain, et le narratif et le descriptif ne s'opposent pas. Grâce à ce procédé, la construction même de l'intrigue exprime le foisonnement nocturne de la ville, ses contrastes et la multiplicité des temps vécus qui s'y inscrivent.

Comme dans le roman moderne, il y a un effort pour rendre intime l'articulation entre le descriptif et le narratif ; le décor complètement divisé est intégré à la matière même du récit. Le rythme est donc trépidant, comme si le fait de promener le regard contemplatif pouvait faire perdre le fil de l'intrigue ; il est évident que le texte est articulé de façon à ne pas briser le mouvement et à ne pas casser le rythme. A la différence de l'atmosphère recréée par Nieto, celle de Chanove a, grâce aux notions spatiales, introduit une dynamique d'évasion.

L'espace de convergence de Nieto apparaît ainsi sous un point de vue différent. Fernando, le protagoniste de Dónde está la verdad Gadafito?, présente cet espace comme le symbole de la décadence de la société. Il décrit le lieu de façon péjorative :

« semipenumbra, música estridente, bancas, banquitos y mesas rústicas, dibujos harekrishna en las paredes y sobre todo esa sarta de autistas decadentes que entraban en trance a punta de contorsiones o brincos [...] ese antro que seguramente nunca hubiera pisado en otras circunstancias »62(*), et plus loin : « Era ése uno de los lugares que se debía borrar del mapa del Perú, ese antro que se proclamaba lugar de reunión de los locos responsables... »63(*).

Quand le protagoniste de la culture d'origine pénètre l'espace étranger, l'opposition entre le Je et l'Autre est évidente, mais l'incompréhension première de l'espace et de ses règles est finalement surmontée quoiqu'encore critiquée :

« La primera noche no pasó de la barra y de asomar con desconfianza, desde una de las dos puertas que daban acceso a ese ambiente alargado repartido mitad mitad entre el espacio ocupado por sillas y mesas y la pista de baile, a esa atmósfera saturada de emanaciones y vibraciones que le eran completamente extrañas. Luego, a punta de observar hora tras hora y cerveza tras cerveza ese caos, fue descubriendo las normas que lo regían... »64(*).

Si les territoires visités par les personnages étrangers d'Inka Trail se répètent, cette révélation progressive de détails ou de caractéristiques fait qu'ils sont en mutation permanente aux yeux du lecteur. L'image qu'on perçoit est enregistrée à grande vitesse et le monde auquel on a accès est trop éclaté et insaisissable, ce qui donne une sensation d'impuissance.

Le morcellement de l'espace permet d'observer l'étranger sous différentes facettes, l'espace fait le personnage et lui donne de l'épaisseur ; ainsi Manuel, le protagoniste du roman et barman de l'Enterprise, est, dans son domicile,un individu angoissé et tourmenté alors qu'il se montre audacieux et désinvolte au bar.

Dès le début du récit, l'idée de déplacement est instaurée, tous les personnages sont des étrangers, ils se sont tous déplacés pour se retrouver de manière fortuite à Cusco, à l'Enterprise ; ils viennent d'autres pays ou d'autres villes du pays. Ces personnages sont en mouvement continu, ils passent d'un lieu à l'autre dans des scènes qui se succèdent de façon presque vertigineuse mais les différents territoires que l'on observe trouvent leur point de convergence à l'Enterprise.

Malgré la claire délimitation de ce point de rencontre, il semble labyrinthique et difficile à maîtriser. Dans la foule d'images qui assaillent le lecteur, celui-ci ne retient que ce qui lui semble nouveau ou inquiétant et sa perception doit être à l'oeuvre pour lui permettre de trouver l'élément qui restructure tout.

L'Enterprise, l'espace du bonheur, est une sorte de zone affranchie que l'on trouve au-delà de la dernière frontière, le domaine de la liberté où celle-ci ouvre les portes de la lucidité et de la folie. L'Enterprise est « el mejor lugar para los que esta[n] hartos », c `est l'espace de l'étranger par excellence où toutes les histoires sont possibles mais où l'oubli est garanti, car il s'agit d'un vaisseau qui navigue toujours vers le présent.

Ce territoire présente néanmoins une particularité, il a un cycle vital qui se reproduit quotidiennement. L'Enterprise ouvre à la tombée de la nuit , le bruit, l'alcool et la foule en composent l'ambiance générale, une agitation dont le rythme progressif éclate au-delà de minuit, il attire toutes sortes de gens. Le petit matin est le temps de l'agonie et dans les premières heures l'espace meurt. « En el Enterprise todas las noches son iguales », dit l'un des personnages. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette répétition incessante n'a rien de monotone et apparaît même comme une nécessité. Par imitation, d'autres endroits similaires prolifèrent.

L'Enterprise rassemble une grande diversité d'individus venus d'ailleurs, c'est le territoire du hasard dans la mesure où des rencontres improbables s'y produisent. Le hasard est pourtant limité aux possibilités combinatoires et l'espace est régi par des codes stricts naturellement compris et appliqués par les uns et irrémédiablement incompris pour d'autres. Le lieu de la liberté est donc marqué par ces règles universelles (et non pas régionales) que certains comme Manuel, le protagoniste, choisissent de ne pas respecter. Il n'est pas gratuit que toutes les activités interdites ou illégales (le commerce et la consommation de drogues, la prostitution et l'assassinat) trouvent d'autres cadres pour être accomplies.

La fin de l'histoire marque aussi la fin de l'Enterprise, comme pour confirmer la narrativité de cet espace et son lien étroit avec le déroulement des actions. Le bar sera ainsi acheté par Alias, le seul personnage féminin local, et changera de nom : Inka Trail ; son ambiance, son décor et même son identité seront changés, l'espace du roman est aussi celui du changement. L'espace de l'Autre sera, symboliquement, incorporé à l'espace du Je.

* 62 Ibid., p. 127.

* 63 Ibid., p.131.

* 64 Ibid., pp.127-128.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon