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Cusco et l'image de l'étranger dans Inka Trail et Senores destos Reynos


par Nataly Villena Vega
Université Paris III - Maitrise en Littérature Générale et comparée 2001
  

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2.2.4 Symbolique onomastique

Le choix du nom propre revêt une importance capitale dans la littérature réaliste. En effet, au-delà de la fonction de désignation, le nom propre de l'étranger est aussi porteur de connotations de caractère symbolique.

Les noms et prénoms attribués aux personnages des deux oeuvres portent en eux les échos des langues étrangères ou des temps anciens. Le personnage étranger subit ainsi une sorte de dissolution de sa particularité individuelle car son nom propre est associé à une communauté.

Lorsque nous considérons la question du nom propre des personnages étrangers dans nos deux oeuvres, force est de souligner, tout d'abord, que le 45 % des personnages étrangers n'ont ni prénom ni nom, 5 % n'ont qu'un prénom, 2 % ont seulement un nom de famille et 48 % ont et un nom et un prénom.

Dans le choix d'un nom propre, deux types de mécanismes sont mis en oeuvre : sa configuration phonique, qui se limite à mettre en évidence l'appartenance de ce nom à une certaine langue étrangère et, par ce biais, à une certaine communauté d'origine ; et ses connotations associatives, qui inscrivent le nom propre (donc le personnage qu'il désigne) dans certains réseaux sémantiques de la langue castillane.

Les noms propres des personnages des oeuvres étudiées ont une configuration phonique telle que le lecteur est capable d'identifier immédiatement leur communauté d'origine.

Certains noms et prénoms font référence aux communautés étrangères : allemande (Heide, Siggi Haas), française (Helène), hollandaise (Katja, Marion), anglo-saxonne (April, Stephen, Oliver), et aussi aux groupes régionaux du pays : de la côte (Arturo, Manuel) et de la sierra (Pascucha, Carmena, Agripina, Adela, Malisco). Dans ce dernier cas, le caractère métis de la combinaison de prénoms et noms sert à différencier les personnages d'origine Quechua et, à quelques exceptions près, l'habitant rural (Adriana Condori, Teodomiro Gutiérrez, Benito Kana, Josefa Chillo, Túpac Velásquez) de l'habitant de la ville (Gerardo Villegas, Manuel Zapata).

La fonction du nom propre n'est pourtant pas seulement celle d'identifier le personnage en tant qu'individu et, dans le cas de l'étranger, en tant que membre d'une communauté d'origine. Les sèmes que le nom possède ou évoque par association avec certains mots de la langue espagnole y ajoutent d'autres connotations.

Ce mécanisme, dénommé, « motivation » du nom, cherche à renforcer certains aspects de la caractérisation d'un personnage et rend le texte « lisible » (selon les termes de Roland Barthes) 41(*), cette « légibilité » étant l'objectif essentiel de la fiction réaliste.

Philippe Hamon affirme que dans la fiction réaliste « la famille forme une sorte de champ dérivationnel `motivé', `transparent' (Saussure), où les noms jouent un rôle de radicaux véhiculant une certaine information [...] et les prénoms, celui d'une sorte de flexion apportant une information complémentaire [...], structures fonctionnant comme une sorte de `grammaire' des personnages (mode de classement, restrictions sélectives, prévisibilité de comportement, etc.)42(*)»

Dans Inka Trail la motivation du prénom est particulièrement importante car il préfigure les traits de caractère des personnages que le lecteur découvre progressivement dans la lecture. Cette motivation explique le prénom du protagoniste : Manuel, (du latin manualis ou manuarius : main, symbole de la force et de l'autorité maritale sur la femme, et voleur), qui s'enferme dans sa chambre pour écrire, qui aime les femmes et qui finit par causer la mort de son rival pour lui prendre la sienne. Arturo (de arto : étroit, serré, réduit), est le machiste vantard, affectueux et profiteur, propriétaire de l'Enterprise, son petit monde, en dehors duquel il n'« existe » pas. Gerardo Villegas (de villa, nom lié à l'idée d'une ville dans son acception de lieu qui jouit de petits privilèges) est le jeune cadre aisé et talentueux qui laisse ses commodités et son ambiance à la mode à Lima pour reconstruire sa vie à Cusco. Túpac Velásquez dont le nom même signale son hétérogénéité est à la fois descendent direct d'un Inca, brichero professionnel, trafiquant de drogues et grand voyageur.

Le prénom a la même importance lorsqu'il s'agit des personnages féminins. Hélène43(*) est ainsi l'étrangère mariée à un habitant local dont l'union enflammée bascule entre l'ici et l'ailleurs et sépare le Je de ses semblables. April44(*), l'étrangère dont la beauté et la féminité séduisent le Je, découvre et fait découvrir à ses partenaires une seconde vie. Alias45(*) est la jeune et mystérieuse fille du pays, insaisissable et étrangère à tous les autres personnages, qui finira inexplicablement par s'approprier l'Enterprise et le renommer Inka Trail.

Dans la première partie de Señores destos Reynos, Nieto met en scène des personnages historiques et choisit de conserver leurs noms et prénoms. Dans la deuxième partie, l'onomastique des personnages est aussi évocatrice que celle d'Inka Trail. Nous avons ainsi Laura Cristóbal, dont le nom nous rappelle évidemment le prénom de Christophe Colomb, ce qui instaure l'idée de la découverte, et Gonzalo, prénom du « dernier inca », est aussi celui de Gonzalo Pizarro, l'un des premiers conquistadores arrivés à Cusco.

Il est évident que dans les oeuvres étudiées la signification du nom renforce et arrive même à synthétiser ou condenser le jugement de valeur que le texte assigne au personnage

* 41 Barthes, Roland, S/Z, Paris, Seuil, 1970.

* 42 Hamon, Philippe, « Un discours contraint », Poétique N°16, Paris, Seuil, 1973, p. 425.

* 43 Du grec Helenêa ou helios : torche, corps enflammé, brandon et par extension du sens, brandon de discorde ce qui nous rapproche de la figure mythique d'Hélène de Troie.

* 44 De aprilis, dérivé du mot indo-européen áparah et Apollo : avril, postérieur par rapport à l'autre ou être dont la beauté est éblouissante.

* 45 De alius, alter, alienus : autre, différent, celui qui s'oppose aux autres, d'autrui, étranger, hostile.

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