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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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B- Un discours emphatique

« Il faut dire les choses simplement, sans les augmenter » (Préface de l'Académie française, 1694)

a- la litote

C'est tout d'abord la litote qui va se présenter comme aide à la norme imposée par le politiquement correct.

Figure d'atténuation (en grec, litotes, simplicité) elle «consiste à dire moins pour faire entendre plus »120(*).

Servant l'ironie elle est également parfois utilisée dans son aspect précieux pour éviter toute forme de provocation ou de gêne. Elle relève d'un calcul, de stratégies du langage. On l'utilise aussi souvent par modestie, par égard.

Sa culture est celle de l'à-peu-près, qui s'accommode du flou plus ou moins artistique. Aussi, pour admettre l'intérêt caché que l'on porte par exemple à une personne, la litote s'incarnera dans la célèbre exclamation « Va, je ne te hais point ! »121(*).

Son usage est très fréquent lorsqu'il s'agit de répondre aux demandes du politiquement correct.

« Art de la litote généralisée » ou « litotomania » pour reprendre les expressions de J.Doyère122(*), cette figure de style s'incarne dans la périphrase avec pour unique but d'adoucir une réalité.

b- l'oxymore

L'oxymore est une des autres figures de style qui se présente comme la possibilité d'une éventuelle déformation linguistique propre au politiquement correct.

« Oxymore, ou oxymoron : figure qui consiste à allier deux mots de sens contradictoires pour leur donner plus de force expressive »123(*).

Si la définition ci-dessus n'appelle pas plus d'exemples que le fameux « clair-obscur » du 17e siècle, l'oxymore par son aspect de fourre-tout sémantique est devenu « une sorte de bouée de sauvetage »124(*), prête à triompher.

Ainsi, on connaît le goût de l'ambiguïté que manifeste le politiquement correct et on ne s'étonne pas de voir fleurir des locutions à tendance « oxymorique » telles que « les exilés de l'intérieur ; le vieillir-jeune ; les prises de conscience confuses ; les immobilismes actifs ; les solitudes interactives,  et autres discriminations positives ».

c- la périphrase

Cependant, à ce stade de la reformulation c'est sans doute la périphrase (elle-même insérée dans d'autres figures de style puisqu'elle est souvent euphémistique ou hyperbolique) qui sert le mieux notre jargon normatif :

« La périphrase naît (...) à l'époque des Lumières lorsqu'un arrêt du conseil du parlement de Rouen en date du 12 juin 1787 interdit d'appeler bourreaux les `exécuteurs des jugements criminels' (...), et que l'Assemblée nationale recommande, le 24 décembre 1789, de les appeler `citoyens exécuteurs' »125(*).

Cette opération unique pour l'époque va laisser ses traces.

Les premières influences se perçoivent dans la littérature lorsque Voltaire décrivit la prison où l'on jeta Candide et Pangloss en ces termes, « appartements d'une extrême fraîcheur, dans lesquels on était incommodé du soleil » ou bien encore lorsque P.Loti représenta un cadavre comme une « chose couchée et refroidie que l'on conserve et regarde quelques heures encore, mais qu'il faut se hâter d'enfouir sous la terre »126(*).

La périphrase selon l'analyse de S.Hamon127(*) est en quelque sorte une reformulation synonymique enrichissante au sein de laquelle un mot seul se voit remplacer par tout un groupe de mots de sens équivalent.

De façon plus caricaturale, un mot A remplace une expression B dont elle souligne au moins l'une des caractéristiques.

La périphrase (en grec, périphrasis, parler de façon détournée) est le remplacement de mots propres par une suite de mots imagés ou descriptifs, pour désigner une réalité. Du reste pour évoquer l'Himalaya on périphrasera par « le toit du monde » ou pour désigner un lion on ajoutera « le roi des animaux ».

Également appelée « pronomination », elle tente d'incarner les exigences de la préciosité ou de la décence, dessein qu'elle remplie souvent, comme le prouvent ces relevés : « la dame aux camélias », référence littéraire, évoque par analogie une prostituée, et « les dernières faveurs » désignent la sexualité128(*). Bienvenu donc au royaume du cliché.

Parfois la périphrase fait simple et fabrique de nouveaux mots politiquement corrects grâce à deux préfixes, « anti » et « pro », construit sur le modèle américain. Se rapprochant une fois de plus de la tautologie emphatique du politiquement correct, on dira qu'on est « pro-vie » si l'on est contre la pratique de l'avortement ou que l'on est « pro-choix » si l'on est pour.

L'emploi le plus fréquent de la périphrase s'exerce dans un but « apaisant », lorsque celle-ci, confrontée à des sujets sensibles, doit tenter de transformer une réalité pénible (on préférera évoquer « une personne au physique particulier » que nommer « un laideron ») devenue insupportable.

Il arrive alors que dans cette transformation la périphrase change de statut.

Ainsi par exemple, utiliser l'expression métaphorique « la grande faucheuse » pour évoquer la mort, n'est plus tant une périphrase qu'un euphémisme.

Il est vrai que les deux se confondent volontiers comme tend à la prouver le classement effectué par V.Volkoff qui dans son manuel propose à l'article « périphrase » des exemples s'approchant plus d'euphémismes.

La différence réside donc ici. Tant que la périphrase, comme le prouvent analyses et définitions, sert les principes de la politesse ou de la pudibonderie, elle conserve son aspect de reformulation, d'expansion lexicale.

En revanche, lorsqu'elle vient à illustrer des propos jugés choquants ou blessants, elle rentre dans un processus d'embellissement de la réalité se mouvant dans une langue très flexible.

Dès lors, elle dépasse le simple stade de périphrase. Elle est autre.

Désignée par le Petit Larousse 2005 comme un « détour de langage », elle répond parfaitement à l'étymologie de la notion de circonlocution (en latin, circum, autour, et locution, parole) puisqu'en tournant en quelque sorte autour du mot, elle prouve sa cohérence et sa force de potentialité à enjoliver la réalité, comme à la voiler.

Il semble donc ici que la périphrase prenne une nouvelle forme et qu'elle s'incarne dans une autre figure de style plus adéquate, cavalière de choix faisant honneur au règne du politiquement correct.

* 120 Petit Larousse 2005

* 121 Corneille, Le Cid, litote servant ici un amour impossible

* 122 Article du Monde, février 1993

* 123 P.Merle, Précis de langue..., p.37

* 124 P.Merle, Op.cit

* 125 V.Volkoff, Manuel..., p.131-132

* 126 Ces deux exemples sont cités par D.Arcand

* 127 Thèse datant de 1996, présentée par Sophie Hamon

* 128 Ces périphrases sont abordées dans la thèse de S.Hamon

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera