WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2) L'euphémisme, valet indispensable du politiquement correct

A- Un alliée de choix

Du grec euphêmein « dire des paroles de bon augure », puis « emploi d'une bonne parole», cette figure consiste à adoucir une idée déplaisante « antiphrase sans ironie, sans cruauté pour atténuer une idée trop brutale »129(*) .

Si l'euphémisme illustre parfaitement l'état d'esprit du politiquement correct c'est qu'il permet de réaliser son souci premier : celui de parler comme il faut.

Jouant une sonate en bémol pour éviter les fausses notes, l'art du bien parler n'est pas sans rappeler la lointaine science de la rhétorique pour laquelle la manière de dire importait souvent autant sinon plus que ce qui était dit.

On retrouve alors la terminologie barthésienne qui présente la rhétorique comme une sorte de métalangage puisque effectivement, l'éloquence rhétorique de l'euphémisme nous informe via un type de discours bien réfléchi sur le discours lui-même.

Dès lors, si l'euphémisme n'est rien de plus que le voile d'une réalité trop odieuse pourquoi ne pas s'y habituer ?

Cette figure dont le travail se résume à mettre un mot à la place de l'autre déguise en fait toute forme de gêne en la remplaçant aussitôt par ce qu'elle n'est pas.

Si « toute vérité n'est pas bonne à dire », l'euphémisme à défaut d'adoucir la réalité, adoucit le mot qui la désigne.

Définit par C.Fromilhage comme « l'atténuation non feinte d'une vérité que l'on déguise parce qu'elle renvoie à des domaines tabous »130(*), cet effacement lexical, s'il vise à atténuer certains propos contribue aussi parfois à les annihiler, « l'euphémisme n'est qu'une forme polie et cultivée de ce qu'on appelle l'interdiction de vocabulaire »131(*) .

Sorte de pansement verbal, il amoindrit la signification directe de l'énoncé et en ce sens impose sa propre norme, norme qui tend à devenir l'outil principal d'un tableau social qu'on adoucit à volonté.

L'euphémisme serait donc une figure quasiment mathématique qui, en diminuant l'impact des dires d'un locuteur offre à un autre, un discours travaillé, normé, qui correspond non plus à l'idéel du premier locuteur, mais bien à l'idéal du second.

Autrement dit, l'euphémisme est une sorte de compromis entre le discours d'un locuteur et le discours en tant que produit d'une société qui se fait instance linguistique des normes qu'il doit affronter :

« C'est la formation (...) résultant d'une transaction entre l'intérêt expressif (ce qui est à dire) et la censure inhérente à des rapports de production linguistique particulier »132(*).

Et c'est justement comme l'explique P.Bourdieu, cette synthèse, ces compromis qui sont à la base même du processus d'euphémisation, en tant que « produit de stratégies consistant à mettre en forme et à mettre des formes »133(*).

L'euphémisme est donc une figure de rhétorique classée par le linguiste A.Darmesteter dans la catégorie « mode de changement ».

Cette figure qui se refuse à traduire toute réalité déplaisante, grossière, crue, triste, a pour souci premier de renforcer la valeur dénominative de mots ou d'expressions taboués car jugés impropres.

Masquant donc certains aspects de la réalité par souci pour autrui ou au nom de la bienséance, l'euphémisme se présente sous différentes formes, et il intègre d'autres figures de style comme par exemple l'allégorie (en grec « je parle d'autre chose ») ainsi que la définit D.Arcand :

« Figure de l'euphémisation dans la mesure ou c'est une description mettant en scène des personnages ou des animaux pour représenter une idée, une abstraction de façon concrète et imagée ( la grande faucheuse pour parler de la mort) »134(*).

Le grammairien J-J.Robrieux135(*) précise quant à lui que l'euphémisme peut aussi se trouver dans la métonymie136(*) qu'il illustre du « faire cattleya » de Proust, ainsi que dans la métalepse ( « il a rejoint ses ancêtres » pour « il est mort »).

Toute cette délicatesse verbale sublime donc l'emploi de mots garantissant le respect du souci de décence, de politesse, de civilité, éléments indispensables au discours politiquement correct.

Pour ne blesser ou ne traumatiser personne on dira volontiers qu'un enfant quelque peu enveloppé souffre d'une surcharge pondérale, que tout cela est très pénible d'autant plus qu'il vit dans un quartier sensible depuis que son père, pardon, depuis que son géniteur s'est éteint dans les bras de la voyageuse de nuit et que son souvenir ne s'éveille plus qu'au champ du repos .

Ce type de segment phrastique nous permet de constater que le degré d'euphémisation du langage s'est intensifié au point de devenir banal et automatique.

D'autres procédés empruntés par l'euphémisme sont relevés dans le Dictionnaire d'analyse du discours : l'abréviation (avec l'exemple des fitures pour les « confitures » dans le jargon de la préciosité) et la métaplasme (déformation du signifiant dans le cas des jurons tel que « sapristi ; parbleu »).

Il faut également noter que certains termes ne sont considérés comme des euphémismes que dans un contexte donné. Pour exemple, les termes affaiblis de malentendant, mal-voyant...n'appartiennent pas à la catégorie des euphémismes s'ils désignent une personne dont l'acuité sonore ou visuelle est diminuée ; ils sont en revanche pressentis comme tels s'ils désignent une personne qui ne perçoit

aucun son ou aucune image et que le locuteur via leur emploi cherche à éviter l'usage de termes comme « sourd » ou « aveugle ».

L'euphémisme ne se réduit plus qu'aux occasions publiques ou officielles, mais trouve vie également dans les aléas de l'existence quotidienne.

De fait, peu importe que l'euphémisme engendre des effets comiques ou pathétiques ou qu'il soit incompréhensible à certains puisqu'il représente la nouvelle figure de proue du politiquement correct, et que dans ce flou artistique qu'il incarne, il se veut omniprésent, engagé dans un processus qui porte son nom, « l'euphémismomanie »137(*).

* 129 S.Hamon, op.cit

* 130 C.Fromilhage, Les figures de style, p.115

* 131 S.Brunet citant Joseph Vendryes, Le langage, 1923, dans Les mots ...

* 132 P.Bourdieu, Ce que parler ..., p.78

* 133 Id, p.167

* 134 D.Arcand, Les figures...

* 135 In Rhétorique et argumentation

* 136 « Procédé de langage par lequel on exprime un concept au moyen d'un terme désignant un autre concept qui lui est uni par une relation nécessaire (la cause pour l'effet, le contenant pour le contenu) », définition du Dictionnaire d'analyse du discours

* 137 Néologisme emprunté à J. Doyère, Le Monde, février 1993

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway