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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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CHAPITRE 3 :

De limites en excès, la lente décadence d'un système linguistique indestructible

I/ Limites et critiques d'une grande imposture

« La bienséance n'est que le masque du vice »(J-J. Rousseau)

Tout comme le signe est double, le langage l'est aussi dans la mesure où il présente des aspects opposés.

Comme nous avons tenter de le démontrer le discours politiquement correct constitue une sorte de sociolecte, et il est de fait, encore plus sujet aux changements, aux difficultés.

Puisqu'il n'est pas possible d'étudier un tel phénomène sans prendre en compte les conséquences qui en découlent, nous avons souhaité faire un été des lieux du politiquement correct, afin de mettre en avant ses limites.

1) Le politiquement correct, sentinelle des temps modernes

A- Le déni de l'individu

Il nous faut tout d'abord signaler un paradoxe propre au discours politiquement correct et qui nous est apparu, eu égard aux revendications de ce dernier, quelque peu insensé.

Nous l'avons constaté, ce discours se fonde sur l'utopique mise en application d'une égalité des hommes à travers le langage.

En effet, il cherche à passer pour un discours salvateur qui réunit grâce à un vocabulaire maîtrisé, travaillé, décent, communautés et minorités afin de confondre tout le monde en une unique et humble humanité.

Non loin d'un écho communiste « Frères de tous pays, unissez-vous ! », ce discours fédère par un altruisme grandiloquent, les marginaux et oubliés de jadis.

Cependant lors de nos recherches, un aspect relativement surprenant s'est dégagé de cet humanisme bienveillant.

En intégrant l'individu dans une communauté qui est sensé le représenter, on nie sa personnalité en l'exposant comme un tout, entrant dans une catégorie précise.

Ainsi par exemple, un homosexuel sera forcément représenté par la communauté « gay », un noir par la communauté « africano-américaine »...

Cette globalisation de l'humain s'effectue au dépend de son individualité propre. Et tout le paradoxe idéologique résulte en cela.

En refusant toute forme quelconque d'exclusion, on assimile par un automatisme, l'individu à la communauté qu'il est sensé intégrer et à la minorité qu'il est sensé incarner.

Et sous prétexte d'intégration volontaire, une dictature s'impose.

Au nom d'une morale politique, on inclue l'individu dans un ensemble d'individus lui ressemblant :

« Le politiquement correct s'appuie sur une culture dominante qui nie l'identité de l'individu au profit du groupe »185(*).

Dans ce paradoxe s'exprime à la fois le choix d'une pensée unique et dirigiste, mais également les ravages des stéréotypes entraînant le classement de chaque individu dans une caste bien précise.

Croyant échapper à la victimisation de certaines communautés, le discours et l'idéologie politiquement corrects basculent dans le repli identitaire.

Ainsi, comme le note A.Santini dans son dictionnaire :

« La revendication identitaire vient heurter de plein fouet notre credo fondateur, cet universalisme républicain selon lequel on est avant tout un citoyen »186(*).

Le discours politiquement correct, devenu donc anti-démocratique, débouche sur une intolérance reniant son essence, puisque au lieu de faire entendre les voix de la minorité, il s'illustre dans l'aseptisation linguistique de nouvelles pseudo majorités.

Le communautarisme vécu à l'excès crée la fin des idéaux humanistes.

Et c'est autour de cette même idée de déni de l'individu que S.Desclous s'insurge contre le politiquement correct qu'il accuse de produire l'inverse des effets recherchés :

« Favorisant l'émancipation des minorités en évitant une dénomination blessante, ce nouveau langage les enferme derrière une dénomination carcan, (...) redondante et discriminatoire»187(*).

Le politiquement correct apparaît ici complice d'une dégradation de l'ordre social en reniant tout individualisme. L'homme dans son unicité semble trop nocif. En prônant la pensée commune au dépend de la personne minoritaire, l'idéologie bienséante sacre volontairement le groupe en tant qu'instance :

« C'est une erreur de croire que la rectitude politique défend la personne minoritaire. Elle défend en fait des groupes abstraits au nom d'une idéologie de l'adulation du collectif et de la haine de l'individu. L'individu y est entièrement défini en fonction du groupe dont il fait partie »188(*).

Imposant la morale de groupe tel un prisme universel, la nouvelle doxa commet une erreur philosophique, celle qui consiste à s'entêter en opposant l'universel et le particulier, sans comprendre que les sujets existent en eux-mêmes et pour eux-mêmes.

L'universel qu'impose le politiquement correct devrait être « pensable et accessible que dans l'affirmation de soi »189(*). Il doit réaliser que les minorités défendues ne sont des communautés que parce qu'elles sont d'abord un ensemble d'individus.

Pour changer cette idéologie et se prémunir de toute faute, il faudrait commencer par considérer l'individu comme le primat de toute communauté, devenue alors secondaire :

« Si un Afro-américain doit être respecté, c'est non pas en sa qualité de noir, mais comme tout un chacun, en tant qu'être humain »190(*).

En jouant le déni de l'individu, le politiquement correct pratique une politique d'effacement des différences qui lui permet, en réunissant chaque personne d'une communauté pré-définie, de maîtriser toute sorte d'écart.

Si certains tendent à défendre cet aspect en préférant parler du rassemblement des individus en un seul et même groupe unificateur au nom du refus de l'égoïsme et de l'exclusion, ne soyons pas dupe.

Ne faut-il pas plutôt voir dans ce cloisonnement de l'individu une politique dictatoriale se mouvant dans le règne de la pensée unique ?

Enfermer l'individu dans une caste sociale, sexuelle, religieuse ... c'est maîtriser ce qu'il pense, ce qu'il dit, c'est le contraindre à une expression commune, à un conformisme évident, empêchant ainsi tout avis personnel, tout terme jugé trop subjectif.

De fait, dès qu'un membre d'une de ces communautés pense différemment, il est censuré. Et quiconque soupçonne la prestation des illusionnistes du politiquement correct est immédiatement renié, peu importe son éventuelle appartenance aux « minorités visibles ».

On peut donc penser que cette astuce consistant à créer des groupes humains au nom de l'altruisme est en fait toute calculée pour mener à une maîtrise des dires et des gestes des individus devenus bien plus contrôlables puisque rassemblés en une communauté.

L'histoire du politiquement correct à ce terme pourrait alors devenir celle d'un contrôle, d'une persécution envers celui qui ne dit pas ce qu'il faut dire.

Cinglant paradoxe qui s'impose céans, face à une idéologie qu'on pensait fondée sur la revendication de l'individu en tant que personne à part entière, quelles que soient ses origines, sa couleur, ses orientations religieuses ou ses préférences sexuelles.

La tolérance du politiquement correct en ce sens, devient une immonde charité, pensée et calculée, n'existant que dans le mépris de l'être humain :

« Mépris pragmatique en vertu duquel on manipule les individus en leur faisant croire qu'ils pensent et agissent librement »191(*).

Enfermé dans sa communauté, l'individu ne peut s'exprimer s'il n'entre pas dans la majorité qui lui est imposée. Chantage délicat, il est dupé par une idéologie promettant l'accès quotidien au bonheur.

L'épistémologie192(*) du discours nourrit ici l'objet de sa critique : le caractère biaisé des valeurs du politiquement correct présentées comme fondatrices, ne peut que le présenter comme un langage dominant et monoculturel.

Et cet aspect soudain que prend le politiquement correct, constitue l'une de ses principales failles.

Le politiquement correct qui se révèle à présent morale de groupe, pensée unique, contraint l'individu à s'effacer derrière l'attente vaine d'une liberté d'expression.

Et qu'il s'agisse du politically correct aux États-Unis, de la langue de bois ou de la préciosité française, il est un domaine dans lequel toutes ces formes de correction langagière se rejoignent, c'est celui de la censure, résolvant le problème de la libre confrontation des idées.

B- Contrôle des mots et des moeurs

« Il n'y a ni bn ni mauvais usage de la liberté d'expression. Il n'en existe qu'un usage insuffisant » (R.Vaneigem)

Dans la mesure où le simple fait de communiquer entraîne systématiquement par divers moyens, une forme de contrôle, nous ne pouvons qu'infliger aux différentes formes de bienveillance linguistique citées précédemment, la motion de langage dictatorial.

Il est indéniable qu'en pratiquant un contrôle des individus comme le fait le politiquement correct, une influence plus ou moins directe s'exerce sur les dires et sur la pensée.

À ce sujet, l'auteur d'un article dans le journal La Croix, établit un parallèle entre les astuces discursives de parti politique extrémiste tel que le Front National, et celles du langage politiquement correct. Dans les deux cas nous sommes confrontés à un discours travaillé qui crée son propre vocabulaire, n'utilise pas celui de l'opposant et refuse les propos outranciers. Et la manipulation des esprits est d'autant plus facile que s'applique une stratégie de brouillage du sens :

« Euphémismes, litotes, sous-entendus, placent le discours frontiste dans une gourmandise de l'implicite »193(*).

Si cette comparaison peut choquer ou sembler excessive, elle semble cependant mettre en place l'aspect adémocratique que peut aussi revêtir le politiquement correct.

L'hygiénisation lexicale qu'entame le politiquement correct dans la langue française se cache derrière une édulcoration permanente des lexèmes qui n'ont plus de mémoires sémantiques, plus d'essence.

Processus engageant, nous l'avons évoqué, litote et euphémisme en tout genre, on assiste à un séisme linguistique qui n'effraie guère.

Là est toute la force de ce phénomène qui, abusant de sa position dominante joue habilement sur le terrain de la manipulation, de la désinformation, de la remise en cause...mais avec un tel pouvoir de conviction que souvent, on ne voit guère le subterfuge.

Le politiquement correct, dans un fantasme d'omnipotence, s'annonce comme garant de la normalité.

Tout cet arrangement pseudo idéologique n'a pour unique dessein que la surveillance des interactions verbales de tout un chacun.

Devenant quasiment un phénomène comportemental, il contrôle la langue en contrôlant ses locuteurs.

Véritable police des moeurs, il s'est immiscé dans chaque parcelle du quotidien pour contrôler tout discours, « cette diverticulose du langage a peu à peu gangrené tous les secteurs de la société »194(*).

Cette volonté de ramener la langue à de la sémiotique déterminée contre la liberté de penser illustre parfaitement le propos de P.Bourdieu :

« Modèle freudien qui fait de toute expression le produit d'une transaction entre l'intérêt expressif et la nécessité structurale d'un champ agissant sous forme de censure »195(*).

Cette « équation » résumant le politiquement correct nous permet de comprendre que ce ne sont pas tant les mots que les opinions qui sont surveillés.

Bien que nous ne voulions pas présenter le discours politiquement correct comme ayant la main mise sur toutes les sphères de la société, il faut reconnaître qu'en se rapprochant de la pensée unique, il ne laisse pas présager des meilleurs augures pour la culture et la liberté d'expression.

C- Une censure légitimée

« Céder sur les mots c'est céder sur les choses» (S. Freud)

Pris dans un embargo anti-agora, les discours divergeant de la pensée unique, parce qu'ils risquent de créer un conflit, sont appelés à disparaître.

Cette crainte n'est pas sans rappeler la vision effrayante qu'offrait Tocqueville de la liberté dans De la démocratie en Amérique :

« Celui qui ne pense pas comme le maître est mis au ban de la société. Ce despotisme est plus lourd pour quelques-uns que celui de la tyrannie, mais il est moins odieux et avilissant pour le plus grand nombre »196(*).

La dictature, affirmée par un mécanisme mettant fin au pouvoir du peuple, entraîne la nouvelle pensée conseillée dans une incontinence verbale au sein de laquelle le roi, bienpensant, assure sa postérité par un accord sur l'évolution de la terminologie générale.

En instaurant un code de correction linguistique, le politiquement correct se présente comme le recteur d'un certain moralisme qui raye froidement du langage tous les termes ne lui plaisant pas.

On dépasse donc ici largement le cadre universitaire des origines. Instaurant un code de langage revu et corrigé, le politiquement correct présente un nouveau terrorisme verbal.

Les thèmes tabous en ligne de mire, les élites imposent aux groupes pré-construits un nouveau langage au moyen d'une réprobation publique des termes condamnés.

Et l'idéologie s'impose tout naturellement comme pleinement légale car appuyée par des textes de loi, ainsi que le révèle cet article :

« Le politiquement correct est un droit. Mieux : c'est un droit de l'homme. La cour européenne de Strasbourg, chargée de faire respecter la convention européenne des droits de l'homme de 1951, a en effet estimé, le 25 novembre dernier, que la liberté d'expression pouvait être légitimement restreinte au nom du respect des convictions morales ou religieuses d'autrui »197(*).

Arme majeure qui dans une extrême adresse se présente comme toujours légitime, l'idéologie bienséante confirme son aspect dictatorial :

« C'est l'ensemble des moyens (pénalisation, réprobation (...) légalisation d'une opinion ou d'un fait (...) employés pour restreindre le domaine de ce qui peut être dit (ou débattu) »198(*).

Cette répression qui s'est installée autour de nombreux thèmes jugés dérangeants, est relayée par un négationnisme (celui de l'individu notamment) propre au protectionnisme d'État engagé par le politiquement correct.

2) Le règne de la « vérité différée »

« La vérité est une chienne que l'on doit laisser au chenil » (Shakespeare)

Le règne de la liberté d'opinion et d'expression est indéniablement révolu et laisse sa place au règne de l'idéal politiquement correct qui, pour citer A.Dietrich, conduit outre la censure « à l'enseignement d'une vérité politiquement et socialement enseignable »199(*).

Dès lors, si un fait discursif est orienté de façon à sélectionner l'information diffusée, il ne s'agit plus seulement de maîtriser les codes ou les niveaux de langue.

Ici, la surnorme du politiquement correct semble mener à un discours ambigu qui, tellement surveillé, devient mensonger.

Le refus de toute spontanéité ne risque-t-il pas de mener à l'absence de vérité ? N'est-ce pas d'ailleurs là, l'un des desseins du politiquement correct ?

* 185 P.Lemieux, La souveraineté de l'individu...

* 186 A.Santini, De tabou à boutade ..., p.8

* 187 S.Desclous, Le politiquement correct, p.40

* 188 P.Lemieux, Op.cit

* 189 www.asmp.fr

* 190 Luc Ferry 

* 191 T.Mercury, Petit lexique..., p.134

* 192 « Étude critique des sciences, destinée à déterminer leur origine logique, leur valeur et leur portée », définition du Petit Robert 1975

* 193 Miche Hastings, La Croix, article de mars 1997

* 194 Luc Fayard, Les Echos, article du 8 juillet 2002

* 195 P.Bourdieu, Ce que parler ..., p.167-168

* 196 Tocqueville, t.1

* 197 Jean Quatremer, Libération, rubrique « culture », le 6 décembre 1996

* 198 Pierre Thibaud, site Wikipédia

* 199 Auguste Dietrich, penseur contemporain allemand, essentiellement connu pour ses traductions en français, de l'oeuvre philosophique de Schopenhauer.

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King