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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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A- L'ambiguïté du politiquement correct : flou artistique, abstraction des sens ou manipulation ?

Les tenants du politiquement correct pour garantir la fiabilité de leur combat vont invoquer la théorie destructionniste qui tend à prouver que les mots en eux-mêmes ne correspondent à aucune réalité matérielle.

Au milieu de ce débat sur les mots et les choses, les pro-politiquement correct en imposant l'idée d'une langue incapable de dire le vrai, privent les mots de tous sens métaphysique.

Faisant écho au philosophe G.Berkeley qui attribuait au langage une voix émettant des mots forcément trompeurs, il y a dans la volontaire reformulation linguistique du politiquement correct, l'esquisse d'une violation de sincérité : en effet, si les mots sont maîtrisés puis remplacés par d'autres, le sens premier est indéniablement modifié, parfois même étouffé, et l'emploi du discours politiquement correct revient à légitimer des artifices langagiers qui imposent une certaine trahison sémantique.

P.Merle à ce sujet donne l'exemple du mot « tolérance » qui depuis le début des années 1990 est devenu un polysème pouvant désigner à la fois l'adhésion, l'accord, l'encouragement...

Ce type d'exemple est fréquent et tend à prouver que le détournement du sens des mots est chose courante dans cet univers.

Cette manoeuvre permet de garder un même mot, mais avec un sens différent.

Les exemples proposés par V.Volkoff à ce sujet sont nombreux : « complice » a pris le sens d'« ami », la « discrimination » n'est plus que synonyme de l'« exclusion », le verbe « gérer » signifie dorénavant « diriger », tout comme le verbe « investir », s'« engager ». De même le « nazi » est simplement « raciste », le « misogyne », un homme qui « aime les femmes de façon politiquement incorrecte », et tout cela n'est plus un « problème », au pire, une « difficulté »200(*).

Le discours politiquement correct ici empêche volontairement toute clarté, toute précision à tel point qu'on oublie le sens premier de chaque mot.

La suppression ou le changement arbitraire des significations permettent à l'émetteur de manipuler la langue, en effaçant le sens des mots dans une appellation différente.

Cela contribue à créer un flou linguistique qui offre une place de choix à la déformation, « la franchise n'est pas vraiment le fin du fin en matière de politiquement correct »201(*).

Et cette déformation n'est pas sans influer sur la désinformation, processus qui manipule distinctement l'opinion publique, puisque l'information y est traitée de façon détournée, et/ou en tout cas, sous le joug de la bienséance :

« Le politiquement correct défriche le terrain pour la désinformation (...) d'où il fait disparaître les obstacles naturels (...) la désinformation fait régner ce qu'on appelle la pensée unique, elle rend pour ainsi dire, la politesse au politiquement correct en lui préparant les voies par lesquelles il pourra se répandre à son tour »202(*).

De fait, c'est par un schème circulaire et dépendant que le politiquement correct se lie à une volonté d'abstraction de déni du sens commun pour reconstruire, avec la désinformation, une réalité nouvelle baignant dans une atmosphère permanente de déformation du réel.

Le politiquement correct et la désinformation forment un couple mythique qui participe au non arbitraire de la langue.

Ainsi que l'a analysé le linguiste Ihanar Evan-Zohar, tout code sémiotique transmet des renseignements sur le monde réel au sein d'un « répertoire ». Ce dernier se fonde sur les conventions culturelles de sa société.

Ici c'est le politiquement correct qui est responsable du tenu sémantique de ce répertoire, de ces « réalèmes », qui deviennent rapidement, suite à un filtrage excessif du lexique, des « idéologèmes »203(*), répertoire du réel soumis aux jugements de valeur.

Mais dès lors que le politiquement correct manipule la langue, il se joue également de ses usagers.

S'il ne s'agit pas de faire croire à autrui, grâce à une rhétorique finement choisie, que ce que l'on affirme est vrai, puisque l'intention du locuteur n'est ni de faire croire à une vérité, ni de mentir de façon éhontée, le discours politiquement correct qui s'oppose à la manipulation, acte rhétorique par lequel on cherche à imposer une parole, poursuit néanmoins sa quête d'embellissement du réel.

Et force est de constater que ce discours s'exerce, pour illustrer ses idéaux, à construire une parole convenable et convaincante pour ses futurs locuteurs.

Reprenant l'hypothèse du Père Malgarida, jésuite du 18e siècle cité par Stendhal dans Le Rouge et Le Noir, l'homme dès qu'il surveille son expression, par gêne, par peur, par intérêt, par honte... cesse d'utiliser la langue comme un miroir, et la manie tout naturellement comme un leurre, « la parole a été donné à l'homme pour cacher sa pensée ».

Écarter tous les mots porteurs d'une trop lourde charge émotionnelle ou connotative ne serait donc que le fruit d'une éthique sans limites.

Et les pratiques mises en place pour y parvenir évoquent étrangement celles relevées par P.Breton qui voit dans le 20e siècle, le siècle où sonne « l'heure de gloire des techniques manipulatoires », et l'une d'elles justement se rapproche curieusement des techniques du politiquement correct, « l'usage des figures de style littéraire est un des ressorts les plus fréquents de la manipulation »204(*).

De l'euphémisme on passe au mensonge ou plutôt à une affirmation « en dessous de la vérité », car à trop enjoliver la réalité, on modifie ses caractéristiques. L'expression voilée du réel finit par le travestir.

Et sous prétexte de toujours utiliser le politiquement correct, on finit par tout dire, même si plus aucun terme n'a conservé son sens originel. Dès lors, on peut dire ce qu'on veut, peu importe l'adéquation au réel, tant que c'est bien dit.

Le politiquement correct rejoint là le dessein de la manipulation, « force de séduction démagogique »205(*).

* 200 Ces exemples sont tirés du Manuel ... de V.Volkoff, p.52-53

* 201 P.Merle, Le prêt à parler

* 202 V.Volkoff, Manuel..., p.50-51

* 203 Cette terminologie, empruntée à I. Even-Zohar, est détaillée sur le site Wikipédia, à l'article « doxa ».

* 204 P.Breton, La parole manipulée, p.83

* 205 P. Breton, id., p.104

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