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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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B- Une peur évidente du réel

Le politiquement correct illustre alors sa morale sous les traits d'un sophisme quelconque, dans la mesure où si on ne juge pas la vérité d'un discours à partir de la chose même dont il parle, alors il suffira de parler pour dire vrai, et il n'y aura plus de différence entre vrai et faux.

Dans ce brouillard antinomique entre réalité et mensonge, une question émerge : si l'idéal du politiquement correct tend à adoucir la langue, que dire de cet enjolivement incessant du réel ? Le politiquement correct entretient-il volontairement un rapport faussé à la société ?

Dépassant la simple hypothèse de J-L.Chiflet notamment, qui veut que le politiquement correct s'exerce pour diminuer et faire taire les inégalités, S.Brunet dans Les mots de la fin du siècle, résume plutôt la négation généralisée de la parole bienpensante en la présentant comme :

« Un métalangage artificiel et abstrait qui (...) permet de se voiler la face, de fuir la réalité, d'en masquer les désagréments ou la laideur ».

Se perçoit donc dans l'usage de cette langue, une manigance, une volonté réelle de modifier la réalité lorsqu'elle est cruelle, de la taire quand elle devient insoutenable.

Et cette coutume est ancestrale. Par une sorte de superstition, on a souvent cru que tant qu'on ne nommait pas l'objet de nos cauchemars, il ne pouvait se manifester. Ainsi, à l'époque médiévale, les gens redoutaient tant la Peste que son nom même était devenu imprononçable.

On retrouve cette même superstition dans le politiquement correct qui, sous prétexte de bonne foi, impose une réalité déformée qui crie en fait sa peur du monde extérieur, « rage issue de l'impossibilité de maîtriser le concret »206(*).

Le politiquement correct, pris d'une phobie du réel, choisit par un mécanisme d'autodéfense, d'occulter la réalité.

Non loin du Misanthrope de Molière, son usage, proche du travail de beaucoup d'artistes, prouve sa lâcheté à affronter le vrai :

« Il atténue la grimace de la douleur, l'avachissement de la vieillesse, la hideur de la perversité, quand il arrange la nature, quand il la gaze, la déguise, la tempère pour plaire (...) il a peur de la nature »207(*).

Ainsi, lorsqu'on préfère désigner l'homme qui dort dans la rue comme un SDF et non plus comme un clochard, c'est pour tenter d'adoucir la cruauté incluse dans le mot.

S.Desclous illustre d'ailleurs parfaitement cet aspect en expliquant que nommer « afro-américain » un noir ou « client du système carcéral » un prisonnier, n'a d'autres ambitions et d'autres desseins que de « mythifier la réalité » et d' « esthétiser le réel »208(*). Et cette volonté répond au principe de précaution qui semble s'être inscrit dans la constitution française.

Le politiquement correct a donc ici une fonction exorcisante.

Il conjure le mot brutal ou tabou. Tout ce qui peut être jugé comme traumatisant est remplacé, comme l'affirme J.Vendryes, « les noms de défauts, d'infirmité étaient particulièrement exposés aux interdictions »209(*).

Sont donc reformulés par euphémismes, les noms de maladie, tares physiques, tout ce qui est gênant et fait peur, comme on a vu s'imposer le « séropo » qui bannit par le biais de l'apocope l'insupportable contenu clinicien « positif ».

Néanmoins, en prônant l'atténuation de toute souffrance, le politiquement correct entraîne la disparition du vrai, de la connaissance, qui prisonnière d'un processus de socialisation n'a plus le droit de nommer :

« Le 20e siècle est le siècle de la propagande, du pouvoir des mots. Il y a la censure du politiquement correct, mais aussi une peur latente de ce que les mots peuvent déchaîner. Il est des mots qui font événement. Le politiquement correct les gomme »210(*).

Les mots dans leur vérité sonnante ne sont plus à l'honneur dans la mesure où le politiquement correct privilégie l'apaisement général :

« Nous voyons se généraliser la fausse monnaie d'un vocabulaire truqué qui donne les apparences de l'or à la réalité de plomb d'une dignité perdue »211(*).

Que dire alors de la belle idéologie du politiquement correct qui semble n'incarner in fine rien de plus que la peur véritable du réel ?

Et si toutes les astuces du politiquement correct pour camoufler la misère ambiante n'était que l'illustration d'une politique de l'autruche refusant de prendre à bras le corps, la réalité ?

Ici, nous sommes face à l'une des limites du politiquement correct, qui tend à prouver que la grande utopie qu'il incarne ne peut être que factice.

* 206 Philippe Muray, préfacier de l'ouvrage de B. de Koch, Histoire universelle de la pensée : de Cro-Magnon à Steevy, 2205

* 207 Auguste Rodin, L'Art

* 208 S.Desclous, Les mots..., p.42

* 209 J.Vendryes, Le langage, introduction linguistique à l'histoire, cité par S.Brunet, Les mots...

* 210 P.Guyomard cité par S.Brunet, id.

* 211 A.G.Slama, Le Figaro, 17 octobre 1997

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo