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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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C- Rhétorique et politiquement correct : l'impossible vérité

« Il n'y a qu'un monde et il est faux, cruel, contradictoire et dépourvu de sens. Un monde ainsi constitué est le monde réel. Nous avons besoin de mensonge pour conquérir cette réalité, cette vérité » (F. Nietzsche)

Dès lors que le politiquement correct choisit d'évaluer le réel au profit du convenable, la quête de la vérité semble impossible.

Reprenant l'hypothèse du « noyau au fond de vérité », de G.Amossy212(*), il est impossible qu'une image qui n'illustre en rien la vérité, puisse s'imposer avec persistance.

Si le sophisme antique présentait le langage comme l'outil qui, grâce à la disputatio menait à la vérité, il semble que le discours politiquement correct soit un leurre éternel au sein duquel « jamais la vérité en ce qu'elle a de décisif, de décapant, ne peut exister »213(*).

Et cette même idée nous la retrouvons dans la philosophie platonicienne : Platon oppose deux types de rhétorique : la rhétorique de droit et la rhétorique sophistique214(*). Cette dernière qui a pour objet l'illusion et s'intéresse à la manière d'y faire adhérer autrui, correspond à notre description du politiquement correct puisqu'en tant que forme d'élocution, la rhétorique sophistique use des même moyens langagiers que la bienséance pour se répandre : attention particulière portée au vocabulaire et aux registres de langue, jeu sur la structure des phrases, et usage intensif des figures de style.

Le politiquement correct qui ne laisse rien au hasard, s'éloigne alors de la fonction phatique du langage, fonction prédominée par le langage vrai. Et dans cette impossibilité qui le caractérise à dire le vrai, il fausse son rapport à la société, comme le faisait déjà la langue de bois :

« Langue conçue comme un miroir déformant pour donner à la réalité sociale une image rassurante mais inexacte et fausser ainsi le rapport entre la pensée et le réel »215(*).

Cette analyse est confirmée par les propos de J-F. Coppé216(*) qui distingue deux types de langue de bois : la langue de bois inévitable et la langue de bois insupportable, qui consiste à dire que tout va bien alors qu'il y a de réels problèmes.

Cette dernière prouve que toutes les formes de correction, de bienséance langagière, incluent un rapport faussé au réel.

De cette perte de contact direct entre la langue et le réel va alors résulter l'apparition d'une réalité illusoire et inventée dont l'unique existence sera verbale. Le discours politiquement correct, condamné à une inaccessible vérité n'est donc plus que parure pleine de rouille, fabulation dans la mesure où il n'existe et ne procède que par :

« Dissimulation, suppression ou atténuation (...) expression d'une conduite fallacieuse où le brouillage de sens y manifeste l'intention avérée de duper, d'exploiter »217(*).

En pesant sur les usages et en contrôlant le code du langage, la police mise en place finit par appauvrir la langue dont l'édulcoration permanente mène à sa perte. À trop user de l'art périphrastique, le politiquement correct a fait de la langue française, une langue lourde, froide, sans ambiguïté aucune. À force de remplacer chaque mot concret déplaisant par une idée abstraite, il a appauvri la langue française, empêchant la richesse de ses nuances sémantiques.

La phraséologie servile et bienséante, et la surveillance linguistique qu'elle impose, dessert les subtilités de la langue française qui, étouffée dans des formules écoeurantes, est condamnée à sa propre desémantisation.

Le travail d'épuration linguistique engagé aux prémisses du politiquement correct se heurte donc à cette réalité prévisible : il ne peut se réaliser sans supprimer le langage libre pour exister. Simple intolérance ou prémisse d'un fascisme langagier ?

« Comment ne pas voir que (...) le nivellement des énoncés, recteur et facteur d'une pensée unique, s'en va (...) rejoindre les pires erreurs des régimes totalitaires ?»218(*).

Ici, on se retrouve confronté à un discours qui finalement n'est plus lui, à une langue déformée.

Le politiquement correct empêche toute ethnologie de la conversation : la politique linguistique mise en place dit des choses mais en signifie d'autres. Le lien entre analyse conversationnelle et discours politiquement correct est donc entièrement faussé : tout le monde est amené à parler en version politiquement correcte, sans toujours comprendre le sens qui en découle.

Caractéristique de la rigidité de ce type de discours, la conversation politiquement correcte n'existe plus que sous la forme d'une rectitude linguistique qui ignore les sujets polémiques, empêche de dire ce qui est, et rend caduque toute conversation. La pensée unique menace la liberté sous toutes ses formes. Et elle entretient les correspondances d'une liaison dangereuse avec le politiquement correct : tant que la démagogie fait loi, le champ du dicible reste prisonnier du mensonge. Et le politiquement correct créa la non-langue ...

3) Nihilisme de la langue et de la pensée

« Le politiquement correct c'est le discours du fast-food-thinking » (P-E. Saubade)

Par opposition à la parole libérée, le dictat du politiquement correct rejoint la tradition du parler pour ne rien dire, et muré dans des commodités linguistiques se voulant rassurantes, le langage s'amenuise et s'anémie :

« Comme d'habitude dans la phraséologie politiquement correcte, on s'enferre, on s'empêtre, on a tellement noyé le poisson (...) on ne dit finalement rien ! »219(*).

Omerta culturelle et politique, imposant triomphalement le goût du fade, le politiquement correct dans son conformisme stérilise l'imagination, anéantit toute possibilité de débat, de polémique.

Mécanisme d'engourdissement de la pensée par la langue, il a construit à force de voiler la réalité, un univers du faux dans lequel plus rien ne se nomme, plus rien ne subsiste.

Emprunt cependant de bonne conscience, il semble irréprochable et trie au grand jour les mots exclus :

« Il  finit ou plutôt commence par enlever aux mots toute image, toute couleur, toute saveur, et c'est bien embêtant, tout sens »220(*).

Le politiquement correct est allé trop loin et se voulant idéologie de l'ouverture à l'Autre, est en fait devenu idéologie de fermeture au monde.

Ici, nous sommes arrivés à un tel extrême que tout chemin inverse semble impossible.

Le mythe imposé devient oubli de la pensée, et dans le schème jakobsonien de la communication, le politiquement correct n'est plus qu'un parasite.

Détournant la création verbale, il impose une phraséologie pré-construite qui empêche tout esprit d'analyse :

« Instrument de formation de la conscience, au moyen de phrases rabâchées et dénuées de sens, qui ne communiquent rien, servent à faire un bruit de fond, bloquent l'espace qu'aurait pu remplir une information authentique (...). Il détruit la sensibilité au mot, l'habitude d'écouter, l'attention, la concentration, et forment des gens qui ne pensent plus »221(*).

Sorte de gangrène, la langue de la propagande politiquement correcte pénètre la langue commune de ses formules toutes faites. Nous l'avons constaté, il existe un réel décalage entre le discours politiquement correct et la réalité, et c'est justement ce décalage qui va entraîner une réelle pollution de la langue, menant jusqu'au non-sens.

Et par cette « recherche frénétique d'un consensus sur les termes acceptables »222(*), la rectitude lexicale annihile le langage en le contraignant à une unicité de ton, à une similitude de pensée qui, couverte de paroles vaines, signe son absence.

L'unicité sémantique qui émerge de ce système lexical figé, aboutit à un totalitarisme de la pensée. Plus le choix des mots se réduit, plus la tentation de réfléchir s'affaiblit :

« À vouloir aseptiser le vocabulaire pour conjurer le risque d'irriter les épidermes, on finit par réduire à néant ses plus vives facultés d'expression »223(*).

Se voulant majoritaire, la pensée unique renie tout ce qui n'est pas elle « le politiquement correct exclut toutes les exclusions de qui que ce soit d'où que ce soit »224(*), s'affirmant ainsi comme une doctrine sans essence, comme une forme intégrale de censure et de nihilisme.

Pour J-M.Rouart, journaliste au Figaro Littéraire, on peut même évoquer un massacre linguistique tant la bienséance a affadi tous les mots non convenus, « l'histoire de la langue c'est un peu la lente domestication des mots violents, sauvages, impudiques »225(*). S'il proteste ici contre l'insignifiance de toute une partie du lexème c'est que l'affaiblissement de celle-ci est également lié à la mort de nombreux mots :

« (...) Quel appauvrissement ! Quel cimetière pourrait abriter les cadavres de tous les mots qui ont disparu sans sépulture, abandonnés, délaissés (...) »226(*).

En voulant imposer sa morale, le politiquement correct crée un conformisme bien pensant qui annule tout espoir d'analyse, de jugement critique, de débats « Meccano des idées toutes faites, le politiquement correct pratique le rejet forcené de tout esprit critique »227(*).

S'établissant dans un no man's land représentant la déliquescence de la démocratie contemporaine, il étrangle le débat et ne dit plus rien. Sans essence, sans substance, il n'est plus qu'un :

« Ectoplasme idéologique tendant toujours à remplacer le concret par l'abstrait, lequel s'infiltre d'autant mieux dans les édifices lézardés de la pensée humaine »228(*).

Ainsi personne n'est à l'abri.

Puisque tout acte langagier peut être considéré s'il est mal appliqué, comme une attaque volontaire, le discours neutre et neutralisé gagne en puissance, à tel point que la langue n'émet plus aucuns sons.

Règne du silence forcé et de la phrastique mesurée, raisonnée, le politiquement correct annihile toute nouvelle pensée.

« Forteresse du royaume de l'indicible » selon la jolie formule de A.Dietrich, la censure du politiquement correct s'applique aux gestes, aux actes et aux dires, et s'impose comme le nouvel opium de ce siècle à en croire la règle des composantes de V.Volkoff :

« Le politiquement correct participe  premièrement, de l'entropie ambiante, puis de la manipulation désinformante de l'opinion, dernièrement, de la tendance au nivellement absolu »229(*).

Et c'est effectivement sous la forme d'une hiérarchie que le politiquement correct par son omniprésence, s'impose comme un nouveau dictat.

Il y a donc dans cette manipulation et dans l'anéantissement linguistique qu'elle entraîne, un aspect écoeurant à se présenter toujours comme l'essence d'un phénomène langagier purificateur..

Cette idéologie se sert de l'individu, des minorités et de leurs faiblesses pour pouvoir imposer un langage jugé non discriminatoire, donc à vertu déculpabilisante, qui au nom d'un altruisme bienveillant prescrit ses règles et ses lois à une société déstabilisée.

Terrorisme politique et intellectuel qui s'introduit par une préméditation perçue comme légitime, le politiquement correct se présente dans ses paradoxes et ses limites, comme un mouvement dangereux reposant sur un espoir qu'il semble difficilement combler.

Utopie mornée, « comportement étriqué, anti-intellectuel et pesant qui pourrit l'atmosphère »230(*), le politiquement correct n'est plus à ce stade qu'un avorton inqualifiable qui porte en lui les gênes du mensonge et de l'avilissement.

Et s'il reste pour certains le symbole d'une révolte utopiste, avec l'idée qu'on ne peut changer les choses que si on s'attaque aux mots qui les désignent, d'autres vont largement s'y opposer.

4) La difficile quête de légitimité de « la langue de sucre »

Entre attente et désillusion, deux visions diamétralement opposées s'affrontent. Si certains continuent à prôner le pouvoir guérisseur du politiquement correct, d'autres ont compris qu'il ne pouvait peut-être pas répondre à toutes ses exigences. Le langage « commun » semble alors se rappeler aux esprits qui, même sans le percevoir distinctement, commencent à souhaiter son retour.

A- Un nouveau regard sur le politiquement correct : la théorie d'A.Semprini

Parce que les polémiques sur les fonctions du langage ont toujours existé, nous avons choisi de nous pencher sur l'analyse d'A.Semprini, présentée dans son ouvrage, Le multiculturalisme.

Cette analyse a pour particularité de mettre en avant deux clans : d'un côté les partisans du politiquement correct qui vont voir dans son usage le recours à un langage devenu décadent ; de l'autre côté, les résistants qui vont le condamner au nom de ses vices.

Le premier clan qui représente ceux convaincus que le politiquement correct a réellement le pouvoir, non pas de changer le monde, mais au moins de modifier les comportements, s'oppose au second pour qui le dit phénomène n'a aucun avenir, n'est qu'un espoir vain.

Autrement dit, si les premiers espèrent trouver dans le politiquement correct la solution au malheur des êtres, les seconds savent pertinemment que le langage n'a pas la capacité de modifier l'état du monde.

Le clan des partisans du politiquement correct, considérant que le langage peut avoir les moyens de faire changer les choses défend en fait selon A. Semprini, une conception constructiviste.

Pour eux, le langage est une entité en construction, un outil qui influence notre perception externe du monde et des rapports humains qui s'y jouent :

« Le langage est identifié comme le lieu où les rapports de domination et d'exclusion se cristallisent ».

Sans le langage nous ne serions pas à même de nous représenter la réalité puisqu'on ne pourrait pas la nommer :

« D'un point de vue cognitif, le langage joue un rôle actif dans la production de la réalité, car il fournit l'outillage conceptuel sans lequel la réalité (...) ne serait ni identifiable, ni compréhensible ».

Dans cette conception constructiviste, langage et réalité du monde sont étroitement liés. Ils se construisent en réciprocité.

Dès lors, l'évolution du langage se fait en parallèle de l'évolution de la société qu'il a intégré.

Si cette dernière décide alors de modifier l'une de ses réalités, le langage sera apte à le faire et le changement de sens des mots entraînera successivement le changement des regards portés jusqu'alors sur ces dits mots.

Ainsi par exemple, refuser l'emploi du grossier terme « pédé » pour lui préférer le décent « homosexuel » ou le politiquement correct « gay »contribuera non pas à modifier le statut individuel de la dite personne, mais autorisera certainement une intégration plus réussie dans la réalité sociale.

L'hypothèse constructiviste tend donc à adopter et à légitimer le politiquement correct qui offre la possibilité d'une (r)évolution des mentalités :

« Un aveugle ne sera pas moins aveugle du fait d'être appelé mal-voyant. Ce terme, néanmoins, peut modifier la perception que les individus ont de la cécité ».

Ici à priori, l'usage d'un terme bienséant permettrait de déplacer l'accent cognitif de la cécité comme caractéristique première de l'individu, comme résumé de son identité, à l'handicap qu'il subit.

Opposés à cette vision du langage, se trouvent les réfractaires du politiquement correct, ceux considérant qu'il n'y a dans ce phénomène linguistique pas plus d'espoir que dans un autre, dans la mesure où le langage ne peut aucunement influencer la réalité des choses.

Ce point de vue, toujours pour citer A.Semprini, est propre à une conception référentielle.

Selon eux le langage n'est qu'un outil vide de sens comme de substance, dont l'unique fonction est de désigner les référents du monde qui l'entoure mais auquel il n'appartient pas.

Ainsi donc, le langage est « une technologie cognitive » qui permet de nommer (c'est pourquoi cette vision est également appelée conception nominaliste) et voilà tout.

Le langage se trouve donc être indépendant de toute évolution sociale, « dans une perspective référentielle, une démarche volontariste d'amendement de la lange est inutile ».

Ici les inventions ou les mutations linguistiques sont autonomes.

Si l'on suit l'idée de cette conception, préférer parler d'un « gay » plutôt que d'un « pédé » ne changera rien à la réalité de la personne.

Le politiquement correct ne permet pas d'expurger de la langue ses aspects désagréables. Un homosexuel ne sera pas mieux intégré si on le désigne comme « gay ». La société a ses propres moeurs, et le langage n'y changera rien.

Le langage rapporte un fait sans prendre partie, contrairement à ce que pensent les partisans de la bienséance qui voient dans son refus, les conséquences dramatiques d'une société déboussolée, et qui entrevoient dans son acceptation, la cause merveilleuse d'une société nouvelle.

La fonction référentielle du langage ne fait qu'enregistrer une situation existante. Il la décrit, il la nomme, mais jamais ne la transforme.

Dès lors, considérer que le langage est responsable des mots employés pour désigner telle ou telle réalité, affirmer qu'il est complice des situations qu'il décrit, c'est commettre une grave erreur selon les opposants du politiquement correct, puisque prêter au langage le statut d'une entité vivante et pensante c'est « se tromper sur la direction de la chaîne causale ». Si le langage dit le réel il ne le légitime pas pour autant.

B- De l'inutilité du langage politiquement correct

Prise dans un complexe de culpabilisation, la langue par les mots soignés qu'elle impose, tente de se déresponsabiliser du sexisme, du racisme et autres formes de discrimination.

Cet aspect quelque peu romantique, revêtit par le langage bienséant, nous fait cependant prendre conscience d'une réalité : s'il est évident que le langage dans son évolution peut contribuer à changer les mentalités, il ne peut modifier la réalité des choses.

Un aveugle que tout le monde nommera « mal-voyant » sera peut-être moins blessé, mais ne retrouvera pas pour autant la vue. Bien que les appellations changent, la réalité elle, reste la même.

Le langage, s'il cache un aspect déplaisant de la réalité n'a pas a lui seul, le pouvoir d'améliorer cette dernière. La bêtise, la pauvreté, l'ignominie ne se découragent pas en interdisant leur expression.

Parce que « nègre » est insultant car il rappelle à chaque prononciation le drame de l'esclavage et de la colonisation, et que « noir » n'est pas plus doucereux, la bienséance, poussée à l'extrême, propose l'expression « personne à forte mélanine ». Mais là encore, le vocable ne suffit pas à combler le traumatisme.

Le politiquement correct n'est peut-être pas un recours suffisant à la discrimination.

L'insertion sociale des exclus, des minorités ne se fera pas en les protégeant par un imperméable linguistique.

Cette croyance faisait déjà bondir R.Barthes il y a plus de dix ans, lorsqu'il s'inquiétait « d'une société qui consomme si avidement l'affiche de la charité » :

« De façon générale, les gens qui n'apprécient pas les assistés sociaux n'apprécient pas plus les bénéficiaires du bien-être social »231(*).

Ce que nous cherchons donc à mettre en avant, ce n'est pas tant l'incapacité du pouvoir du langage, que l'inutilité du politiquement correct.

Et bien que ce phénomène linguistique cherche toujours à faire mieux, on peut légitimement se questionner sur sa capacité à créer un univers meilleur.

Beaucoup de journalistes, d'écrivains vont d'ailleurs s'interroger à ce sujet, plein de pragmatisme ou d'ironie :

« Le sans-papiers est un immigré en situation irrégulière et non plus un expulsé du territoire français, est-ce pour autant qu'il est ramené en voiture à la frontière et qu'on lui tient la main ? »232(*) .

« L'invalide accepte-t-il plus souriant d'être cloué à son fauteuil, sous prétexte qu'on a décidé d'en faire une personne physiquement défiée ? L'homosexuel a-t-il l'impression qu'on le déteste moins parce qu'on l'appelle gay ? »233(*).

Alors si les pauvres ne paraissent pas moins pauvres sous le label « économiquement marginalisés », à quoi bon enrubanner les mots ?

L'usage automatique de l'euphémisme comme moyen de protection semble considérablement s'affaiblir :

« L'exclu n'est pas d'avantage considéré sous prétexte qu'il est sociologiquement répertorié, dénombré et siglé comme un proche enrégimentement : RMI, SDF... »234(*).

Ici nous sommes donc confrontés à un paradoxe : pourquoi écarter de la nomenclature les mots que le politiquement correct rejette, et risquer de brouiller des repères pré-établis, si l'on sait qu'on ne parviendra pas à enrayer les jugements négatifs, les stéréotypes et amalgames habituels ?

Débaptiser les faits ne résolve pas et ne résoudra jamais les conflits.

L'aspect constructiviste du langage, qui permet de faire croire à une amélioration des choses, est très vite rattrapé par la conception nominaliste du langage, seule description objective et sincère de la réalité, qui condamne alors l'embellissement des moeurs, à l'éphémère.

Dès lors, s'il est admis que le langage ne peut changer les esprits, on peut s'inquiéter du pseudo bien fonder du politiquement correct ? Quel est l'intérêt d'un tel martèlement, d'une telle pression, si la visée utopique n'est pas atteinte ?

Parce que transformer la langue, même d'une manière volontariste et réfléchie ne peut suffire à améliorer les réalités sociales, le politiquement correct perd tout son pouvoir :

« Si ces contorsions maniérées amenaient les gens à faire preuve de plus de courtoisie les uns envers les autres, elles pourraient se défendre. Mais les glissements linguistiques ne pourront jamais réduire les intolérances »235(*).

Et c'est cet aspect affaibli de la bienséance langagière qu'E. Dupin, écrivain, conteste. La langue de bois est en copeau, elle n'a plus rien à voir avec l'orthodoxie communiste. Ce qu'il faut combattre aujourd'hui c'est « la langue de sucre »236(*), langue doucereuse qui n'ose plus dire et ne sert donc à rien.

Le politiquement correct qui justifiait le mensonge pour faire naître l'espoir, n'a plus aucune excuse, et nous apparaît aussi exténué que la langue de bois :

« Victimaire et lacrymale, confite de bons sentiments, obsédée de préventions, de protection et de précaution »237(*)

De plus, n'est-ce pas finalement dangereux d'utiliser un langage bienséant à tort et à travers, lorsque l'on sait qu'il n'a aucune efficacité ? Comme tout médicament non adapté au symptôme qu'il souhaite guérir, la maladie risque d'empirer.

La dérive était pourtant tangible comme le prévenait Constantin Leontniev, penseur russe du 19e siècle, qui redoutait cette société dans laquelle nous risquions de sombrer :

« Une telle société, une fois constituée sous la forme d'un état universel (...) on enseignera à chacun à s'auto détruire, tout à fait légalement et avec beaucoup de savoir-faire »238(*).

Non content de se présenter pour beaucoup comme un phénomène dangereux et inutile qui ne justifie aucunement ses modifications à outrance dans le vocabulaire de la langue française, le politiquement correct affaiblit, finit d'accabler sa réputation eu égard aux dérives qu'il entraîne.

* 212 In Stéréotypes et clichés..., p.36

* 213 T.Mercury, Petit lexique..., p.134

* 214 À ce sujet, consulter Wikipédia.org/wiki/Rhétorique

* 215 T.Mercury, op.cit, 4e de couverture

* 216 Interviewé pour l'émission « Cultures et Dépendances », Fr.3, avril 2006

* 217 J-P.Léonrdini, Sauve qui peut ..., p.116

* 218 www.asmp.fr

* 219 P.Merle, Le prêt à parler

* 220 P.Merle, Le dico du français..., p.13

* 221 J. Puzynina, cité par P. Sériot dans la revue Mots.

* 222 P.Merle, Le dico du français..., p.22

* 223 www.asmp.fr

* 224 V.Volkoff, Manuel..., p.76

* 225 J-M.Rouart,article du 2 avril 1998

* 226 id.

* 227 V.Volkoff, Manuel.., p.167

* 228 V.Volkoff, Manuel..., p.165

* 229 Vladimir Volkoff, Id.

* 230 Philippe Roth, Le Monde, novembre 1992

* 231 J-C.Boulanger, Aspects de l'interdiction...

* 232 S.Brunet, Les mots...

* 233 R.Hughes, La culture gnangnan..., p.35

* 234 R.Barthes, cité par A.G.Slama, Le Figaro, 17 octobre 1997

* 235 R.Hughes, La culture gnangnan..., p.38

* 236 E. Dupin, auteur de Une société de chiens. Petit voyage dans le cynisme ambiant. Invité à l'émission « Cultures et Dépendances », Fr.3, avril 2006

* 237 M. Richard, La République compassionnelle, cité lors de la même émission

* 238 C. Leontiev cité par V. Volkoff, Manuel..., p.171

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