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De la manoeuvre des moeurs et du silence des mots dans le lexique français


par Julie Mamejean
Faculté des Chênes, Cergy-Pontoise - DEA Lettres et Sciences du langage 2006
  

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II/ Aléas et dérives d'une pseudo bienpensance

Tout du long nous avons constaté que les liens entre le mouvement politiquement correct, et la société dans laquelle il se meut, sont très complexes.

Cette partie nous permet in fine, de prendre conscience de la puissance de ce phénomène sociolinguistique qui, au-delà de la forme de censure qu'il impose, semble instaurer son droit de veto sur ce qu'il considère comme ennemi de l'ordre et de son bon maintien.

Du ridicule au danger, petit relevé chronologique des anecdotiques excès du dictat politiquement correct...

1) L'incrédule déraison du politiquement correct

Le politiquement correct qui régente vie quotidienne et vie politique, nous laisse apercevoir l'étendue de sa force. Parmi les anecdotes relevées, certaines ne sont qu'un clin d'oeil au moralisme bien connu, d'autres entraînent plus de violence dans la mesure où elles se présentent comme de véritables dérives de ce phénomène. 

En 1991 tout d'abord, le gouvernement français publie une brochure décrivant les termes politiquement corrects autorisés pour décrire les maladies.

Ainsi, le très médiatisé débat sur le choix de la terminologie « sidaïques - sidéens... » prend place.

Outre, comme nous l'avons mentionné, les sigles ou périphrases employés pour évoquer certains actes ou faits tabous, il faut préciser qu'un certain stratège consista à l'époque à tenter de diminuer la souffrance en la dénommant.

Aussitôt, certaines phases de maladie furent désignées par des périphrases plus que discutables, comme par exemple « le stade Lune de miel » pour désigner une phase d'accalmie dans la maladie de Parkinson. Cohérence médicale ou non, le terme était extrêmement mal choisi.

Que le politiquement correct se risque à adoucir la réalité c'est une chose. Mais que par un cynisme involontaire il la ridiculise, cela en est une autre.

Un an plus tard, il fait parler de lui dans un autre domaine. L'époque, peu propice aux débats d'idées l'est plus au débat de mots.

Cela nous est confirmé par Pierre Merle qui, évoquant l'extrême vigilance des bien-pensants qui chassent la moindre faille sémantique, en vient à se demander si l'hymne nationale français n'est pas trop politiquement incorrect. Il illustre cette idée, plein d'ironie, en interrogeant les paroles brutales de la Marseillaise, entre soldats et sang impur239(*).

Puis, c'est en 1997 que la délicatesse linguistique atteint son comble : certains bouchers-charcutiers se réunissent pour fonder un collectif qui au nom du bien parler souhaite interdire l'usage du substantif « boucher » autre que dans son contexte premier. Autrement dit, cette confédération réclame le droit de restreindre l'usage de ce mot, pourtant polysémique, sous prétexte qu'il évoque la torture, comme lorsque nous nommons certains massacres, des « boucheries », connotation visiblement déplaisante et douloureuse pour cette communauté :

« Le boucher distribue la viande que l'on partage en même temps que le vin et le pain. Notre rôle évoque la paix et la fraternité. Il n'a rien d'un bourreau ou d'un tortionnaire »240(*).

Le problème ici est que l'acception rejetée par la confédération, celle associant le boucher à un homme cruel est un des sens principaux accordés au dit substantif, et ce depuis le 17e siècle.

P. Merle qui fait référence à cette dérive anecdotique la compare avec humour à une confédération de cuisiniers qui se plaindraient de l'usage abusif et malencontreux du verbe « cuisiner » dans le sens de « procéder à un interrogatoire musclé ». Et sur ce même schèma, l'auteur imagine également des dentistes protestant contre l'expression « menteur comme un arracheur de dents » ou des prostituées salies par l'expression « langue de pute ».

Toujours dans la même optique, c'est aux États-Unis cette fois que le langage est critiqué. Des agents immobiliers américains ont reçu pour ordre de ne plus indiquer que « telle maison à vendre se trouve à telle distance de l'école `` à pied'', parce que cela pourrait offenser les handicapés »241(*).

De même, en 1999, un instituteur américain est mis à pied pour avoir lu à ses élèves, Nappy Hair, l'histoire d'une petite fille noire qui a « les cheveux les plus crépus du monde ». Le terme, jugé trop injurieux par un collectif de parents bien-pensants, conduit finalement au renvoi du professeur242(*).

De retour en France quelques années plus tard, on apprend par le qu'en-dira-t-on qu'il est devenu trop grossier de parler « d'amuses gueules » et qu'il faut donc préférer « amuses bouches ». De la même façon on recommande de ne plus utiliser les trop triviales « gueules d'amour » et « gueules cassées »243(*). Les expressions reniées font florès.

En 2004, Claude Duneton dans un article du Figaro précise que la familière expression « avoir roulé sa bosse » se trouve glosée sous prétexte que c'est « une allusion à peine déguisée à la misère des infirmes d'antan ».

Mais lorsqu'il ne peut supprimer les mots dérangeants, le politiquement correct finit toujours par trouver une autre solution, et non des moindres.

Le 15 mai 2004 dans un article de l'Humanité, on atteint un stade critique, celui d'un fait divers où le politiquement correct révèle à la fois toute sa puissance mais aussi toute sa folie. Le journaliste Lionel Venturini nous apprend qu'un logiciel américain et politiquement correct vient d'être commercialisé. Plus précisément, ce logiciel permet de censurer « en direct », sur le moment même, les scènes mais surtout les mots tabous de films ciblés grâce à une base de données présélectionnées :

« Un nouveau copieur de DVD permet de supprimer les scènes violentes, érotiques ou argotiques. Ce « clear play », logiciel à 79 euros, propose donc des filtres éliminant les scènes critiques dans plus d'une centaine de films ».

Cette anecdote, dans son invraisemblance, illustre l'aspect effrayant que peut prendre le politiquement correct qui dans son omnipotence se révèle sans limites.

Et cette surpuissance tombe aussi parfois dans le burlesque comme le révèle une dépêche de l'AFP, daté du 6 avril 2006, intitulée « Les dérives du politiquement correct ».

Le titre évocateur ne relate pourtant à première vue qu'un fait divers : un jeune garçon âgé de 11 ans s'est disputé avec un autre enfant dans la cour de son école, et a traité ce dernier de « Ben Laden ».

Mais, c'est là que l'affaire prend une tournure nouvelle : les maîtresses présentes ont informé le directeur qui en a informé la police.

L'enfant, ou « l'agresseur » a été présenté au parquet de Salford (Nord de l'Angleterre) pour « injures racistes ».

Le juge en charge de l'affaire, Jonathan Finestein, s'est inquiété de ce « politiquement correct dingue qui dirige un système judiciaire stupide » et a ajourné le procès dans l'attente d'une décision du parquet.

Ce qui n'aurait pu être qu'une simple dispute de récréation est devenue, aux yeux d'une société ultra médiatique, un fait divers qui, pris dans la mouvance du politiquement correct, s'est transformé non pas en affaire d'État, mais en tout cas en querelle de quartier, en procès régional.

Ici, on ne peut que constater les dangers réels liés à l'omniprésence du politiquement correct qui s'impose comme unique juge.

2) Les excès de la féminisation

Toujours mu par son désir de fraternité, le politiquement correct ne cesse d'égaliser pour tous, la langue, avec en son sein, une grande oubliée, la place de la femme, même si cela doit entraîner certains excès.

S'il n'est pas question ici de plaider pour l'idéologie féministe, d'expliquer à quel point la femme depuis la nuit des temps est soumise, oubliée, secondée, par un Dieu, par un homme, par une société, il n'en reste pas moins évident que dans son intégralité humaine, dans son individualité, elle a souvent été présenté en seconde place, en fond de tableau. C'est donc eu égard au droit à la différence que des protestations vont naître.

Après avoir revendiqué en mai 1968 le droit à être libre de leurs actes et paroles tout simplement, les femmes ont décidé de saisir la balle au bond, celle d'un idéal sociopolitique qui permet de rétablir dans la langue et donc peut-être dans les mentalités, le peu d'importance qu'on leur accorde.

Pour répondre à l'idéologie du politiquement correct en tant que mouvement offrant aux communautés et aux minorités visibles le droit d'exister, les femmes vont s'empresser de s'imposer non pas en tant qu'être de sexe féminin, mais en tant qu'être de sexe équivalent à celui de l'homme. Et c'est tout simplement en féminisant les déterminants directs et indirects, que va se développer cette idée, rencontrant ici et là, « une maire, la gymnaste, une marionnettiste, la député ... ».

Les premières revendications de taille apparaissent aux États-Unis où les femmes investissent le Governement Printing Office (organisme fédéral chargé de la publication des documents officiels) pour mener court au langage sexiste.

Et le résultat est là, comme l'explique Pierre Merle :

« Cette éminente institution décida donc tout naturellement de supprimer de ses publications tous les mots commençant ou finissant par Man (homme), jugés discriminatoires vis-à-vis des femmes »244(*).

Dès lors, les mots « supprimés » vont devoir trouver des remplaçants, des substituts lexicaux dignes de revendications féministes et d'une langue bienpensante.

La tâche s'annonce alors difficile puisque par souci d'équité, un anglophone politiquement correct ne devra plus dire « There is a man in the street » (bien que « man » soit employé au sens d'homme en général), mais plutôt « There is a person in the street ».

Dans la même logique les noms composés du substantif « man » devront être transformés, « chairperson » remplaçant par exemple « chairman » (président d'une réunion de travail ou autre), et cela autant que faire se peut, même si on frôle le ridicule comme lorsque le bon usage a cherché à rebaptiser des expressions telles que « no man's land » ou « mankind ».

La féminisation est poussé à l'extrême avec la revendication de l'emploi de « womyn » en lieu et place de « women » permettant ainsi de distinguer les femmes (« women »), des hommes (« men ») desquels elles étaient jusque là, sémantiquement dépendantes.

Et dans ce même esprit, l'utilisation du pronom féminin « she » à côté de son compère masculin « he » est exigé dans les phrases où le sexe de sujet n'est pas précisé245(*).

Le phénomène bien évidemment s'étend, et c'est au Canada qu'on décide de bannir la « Déclaration des droits de l'homme » pour lui préférer la « Déclaration des droits de l'humanité ».

La dérive frappe également la France où « certains mots prennent l'allure d'inculpations incontestables »246(*). On bannit « l'homme d'affaire » pour lui préférer le risible « gens d'affaire ».

Bien que le terme « homme » vienne du latin « homo » et se réfère à l'humain au sens générique, le lexique politiquement correct qui s'impose sans se préoccuper de la langue française exige donc qu'on parle des « droits de la personne (humaine) » en non plus des « droits de l'homme ».

Suivant le même schéma, certains mots formés sur la racine latine Pater, entraînent une polémique. Peut-on réellement tolérer des mots tels que « patriotique » ou « parents » lorsqu'on sait que leur étymologie privilégie l'homme, au dépend de la femme ?

La démarche est donc claire : on substitue aux hommes et aux femmes tous les hommes et toutes les femmes, autrement dit l'espèce humaine dans son intégrité annihilant ici toute forme de différence. C'est donc cette configuration idéelle que souhaitent construire les féministes dans la langue.

Mais leurs revendications dépassent le simple refus des termes présentant l'homme dans son unicité (détenteur d'une loi, d'un titre, d'un rôle, d'un droit, d'un poste ...) pour s'attaquer plutôt à l'homme « grammaticalement » si l'on peut dire.

Ainsi, les femmes ne veulent pas simplement être « Madame le député », ou se présenter comme « femme médecin ».

Ce désir de féminisation des noms de métier est éminemment politiquement correct bien que l'idée surgisse quelque temps avant la naissance plus ou moins officielle du dit-phénomène en France.

C'est en mars 1986 qu'une circulaire sur la féminisation des noms de fonction est présentée.

Malgré la rectification de certains linguistes qui ont utilement précisé que la distinction entre genre masculin et féminin n'était pas le fait d'une différenciation sexuelle mais celui d'une opposition entre genre marqué et non marqué, la circulaire est tout de même présenté comme une solution à la lutte contre le lexique sexiste du français.

Ainsi, on va privilégier dans un premier temps, la féminisation « à la Québécoise » : on garde la terminaison en « EUR » à laquelle on ajoute seulement un E final.

On parlera alors dorénavant, d'une professeure, d'une auteure, d'une ingénieure, préférant cela à la féminisation française, imposant la terminaison en « EUSE », qui peut parfois se révéler délicate d'un point de vue sémantique247(*).

Le langage politiquement correct continue alors à suivre ce chemin, dépassant le simple stade des revendications féministes pour s'imposer comme une correction linguistique évidente.

Néanmoins, certains mots posent problème. Ainsi, comme le relève P.Merle248(*), le présentateur du flash-info sur France Inter en novembre 2001, s'emmêle les pinceaux en évoquant « la substitut du procureur »249(*) puis « la substitute du procureur ».

Le parti pris est délicat surtout quand il se mêle à la mode ou à l'humeur.

Les locuteurs du politiquement correct pêchent alors parfois sur certaines étourderies, tous n'étant pas à l'abris d'une inattention comme le montre l'anecdote relevée par P.Merle :

« Le 7décembre 1997 sur France-Inter, on nous apprend que la ministre de la Justice Elisabeth Guigou a été prise d'un léger malaise, et que par conséquent le garde des Sceaux a été transporté à l'hôpital du Val-de-Grâce »250(*).

L'usage du politiquement correct reste donc délicat puisque ici pour parler de la même personne, E.Guigou, deux genres sont utilisés, le féminin d'abord, puisqu'il s'agit d'une femme, et laissant en quelque sorte la nature revenir au galop, le locuteur oublie ses lois de bienséance et emploi le genre masculin.

Emprunte des attentes féministes, la bienséance tombe également dans quelques maladresses lexicales avec par exemple la féminisation du terme « sans-papier » datant de 1997 :

« Était-il bien normal (...) que seuls existent des sans-papiers (...) alors qu'il y a aussi des femmes qui sont sans papiers ? Non ! Alors furent créées les sans-papières »251(*)

L'une des autres astuces propres à la féminisation consiste à résider dans l'emploi permanent du substantif « femme », notamment devant des noms de métiers que la pensée commune voulait réserver aux hommes.

Si cette astuce a permis de justifier l'égalité linguistique, elle n'a pas empêché néanmoins la redondance des expressions telles que « femme policière, femme camionneure ... ».

Dans cette même optique, on notera quelques années plus tard, en 2001, une nouvelle trace de féminisation excessive avec l'emploi admis du terme « une temps partielle » pour désigner une employée à temps partiel, et celui de « pédégère », encore plus laid que son homonyme masculin.

Cependant, c'est en voulant prouver sa bonne foi envers la parité que le politiquement correct exerça une réciprocité lexicale envers les professions estampillées féminines, comme ce fut le cas notamment avec le titre de sage-femme qu'on pouvait devoir légitimement masculiniser en « homme sage-femme » « comme l'explique le Petit Larousse 1998, la profession étant devenue accessible aux hommes depuis 1982 »252(*).

Ainsi donc, les pressions faites sur la langue par les groupes féministes trouvent un écho retentissant grâce au pouvoir du politiquement correct qui dans un élan révolutionnaire d'égalité pour tous, désenclave la langue de tous les termes sexistes, et impose une reconnaissance légitime des femmes victimes de la société et jusque dans la langue, même si cela tend parfois au burlesque.

Mais si l'excès peut ici sembler plein de charmes, ce n'est pas toujours le cas.

Il trouve parfois place là où on ne l'attendait pas, entre étonnement et consternation.

3) Blanche-Neige sans les sept nains : Index des contes et de la littérature de jeunesse

La culture politiquement correcte ... culture infantile, processus d'édulcoration du réel, culte de la candeur, de la vie en rose...

Et pourtant.

Il est assez étrange que l'univers politiquement correct pour lequel on se plaît à employer autant de termes propres au domaine de l'enfance soit justement si peu apte à s'entendre avec ce dernier.

En effet, ce n'est pas un hasard si nous avons choisi de nous pencher en particulier sur le paradoxe qui existe entre le monde merveilleux pressenti et rêvé par le politiquement correct, et celui que nous offre la lecture des contes de fées ou des romans pour enfants.

Car si les deux acteurs tentent d'aboutir à un même scénario, celui d'un monde où « tout le monde est beau, tout le monde est gentil », il s'avère que l'entente n'est pas des plus cordiale.

Le conte pour enfant est probablement le dernier des domaines où l'on s'attendait à rencontrer les exigences du politiquement correct.

Que redire à un conte vantant les mérites d'un vaillant prince venu délivrer sa dulcinée des horribles griffes d'une vilaine sorcière ? De même quel problème peut bien poser l'amitié de Blanche Neige et des sept nains ? Que peut-on reprocher aux trois petits cochons qui se protègent du grand méchant loup ?

À priori rien n'est dérangeant, sauf qu'ici, aux yeux du politiquement correct, pratiquement tout est inacceptable.

Ce n'est pas tant les héros ou les situations qui le sont, que le vocabulaire employé pour en parler.

Car si la plupart du temps, « ils vécurent heureux, se marièrent eu eurent beaucoup d'enfants », avant tout cela, princes et princesses ont du affronter les aléas de la vie, incarné ici par des monstres, des sorcières, des animaux terrifiants, des pièges diaboliques, des péripéties infernales et parfois même ils se sont battus contre la maladie ou la mort.

Le politiquement correct étant l'affirmation d'un mode de pensée, c'est finalement aussi l'affirmation d'un choix d'expression opposant, fière d'un manichéisme récurrent, bonne et mauvaise lecture, autrement dit livres orientés ou tendancieux, bientôt censurés.

Ainsi, la purge commence très tôt, dès 1950 avec la série des Babar, roi des éléphants de Jean de Brunhoff 253(*) au sein de laquelle les trois premiers livres se présentent comme les victimes d'une morale extrémiste qui impose de supprimer tous les moments dramatiques.

Dans Babar le petit éléphant, la maladie du chef de la tribu ainsi que la mort de la mère du jeune héros par un cruel braconnier n'apparaissent plus ; dans Le Roi Babar on va même jusqu'à supprimer un incendie dans le camp des éléphants et les cauchemars du dit roi (Babar d'ailleurs n'a plus aucune raison de pleurer la nuit puisque la mort de sa mère n'a pas eu lieu).

Ces omissions volontaires, caractéristiques du règne de la censure, vont en se multipliant.

Quelques années plus tard, en 1980, alors que le politiquement correct en est encore à son éclosion, une action d'élus départementaux tente de faire retirer des rayons des bibliothèques une centaine de titres sous prétexte qu'ils peuvent perturber les plus jeunes, avec notamment en tête de liste, Un sac de billes de Joseph Joffo (la guerre en fond narratif serait susceptible de traumatiser le lecteur) et Mon ami Frédéric de Richter ( qui nous raconte la montée du nazisme).

Ce procédé appliqué à une littérature de jeunesse frôle ici le négationnisme.

Un autre sujet tabou est renié de beaucoup d'ouvrages, celui du sexe, et à travers lui, la reproduction, à tel point qu'on tente, comble du ridicule, d'en faire un phénomène inhumain au sens premier du terme.

Si l'on peut penser que ce moralisme fort discutable, est propre à une société où les moeurs étaient encore pudibondes, on est surpris de constater que l'évolution sociale ne change pas grand chose.

En effet, paraît aux éditions Gallimard en 1996 un atlas, La magie du corps humain, qui au chapitre « D'où venons-nous ? », traite de la conception en l'illustrant par la photographie d'une statue représentant un couple et son enfant avec comme légende : « L'élan vital soutenu par l'amour attire l'homme vers la femme pour créer ».

Ici, face à un sujet tabou empreint d'un moralisme rébarbatif, et qui est présenté en pleine vague du politiquement correct, la censure, bien que discrète, est réelle.

La même année, Nathan publie Mon grand livre du corps, et là encore, on frôle le ridicule avec le chapitre sur la digestion représentant par un dessein au combien discutable, l'appareil digestif, illustré par ce texte : « La digestion commence au niveau de la bouche et se termine au niveau du rectum »...dans le dessein il y a bien la bouche, mais de rectum point.

Le même oubli est visible dans le schéma de la vessie où l'on voit deux reins reliés à la vessie, mais rien ensuite, alors que le texte indique : « Quand ta vessie est pleine, tu vas aux toilettes pour la vider »...oui mais comment ?

Et tout le livre n'est qu'illustrations de corps asexués. Gageons que le politiquement correct y est pour quelque chose.

Quoi qu'il en soit, la punition est rude. Comment espérer mettre fin au mythe de la cigogne, de la rose ou du chou en ce début des années 1990, si ni les images, ni les mots, ne permettent à l'enfant de se représenter le réel.

Plus que la sexualité, c'est le corps entier qui est « taboué », censuré, terrain fertile au politiquement correct qui sème ses termes, ses lois, ses dictats. Malheureusement, il n'est pas la seule victime.

Le mal est plus profond, plus installé, à tel point que le politiquement correct, en toute impunité, présentant une sorte d'Index, en vient à reformuler les contes de notre enfance : les sorcières (qui ne doivent plus être nommées ainsi) ne sont plus ni laides ni cruelles, mais simplement esthétiquement différentes et en déficit d'affectivité.

J-P. Léonardini dans Sauve qui peut la langue, nous confie que La petite sirène d'Andersen n'est plus blanche (l'adjectif n'est plus mentionné nulle part dans le conte) et que La petite fille aux allumettes, quand à elle, ne meurt plus de faim puisqu'elle devient riche et donc heureuse. Si, si...

De même, le site Lmsi nous présente, après expurgation, une édition des contes de Grim où l'on retrouve une belle jeune femme à faible mélanine et ses sept amis à verticalité différée, version donc qui :

« (...) destitue Blanche-Neige et édulcore les sept nains pour ne heurter ni nos amis afro-américains, ni les personnes d'une taille alternative ».

C'est dans le même esprit que l'auteur James Finn Garner propose dans son Politically correct bedtime254(*), « tâche de salubrité publique », un aperçu des contes de notre enfance, enfin expurgé « de tous les préjugés odieux qu'ils véhiculaient ».

Ici, l'attitude politiquement correcte, appliquée aux contes les ridiculise, les destitue de leurs caractéristiques principales (il y a toujours dans les contes une sorcière, un ogre ou un « méchant » qui cherche à piéger ou tuer le héros, alors qu'ici, plus rien), et les dénature à tel point qu'ils en deviennent parfois incompréhensibles.

C'est d'ailleurs ce qu'illustre parfaitement le travail réalisé par des élèves de Terminale de l'académie d'Amiens, sur l'initiative de leur professeur de français.

Ce travail ironique offre une perspective très intéressante, puisqu'il traduit quatre grands classiques des contes pour enfants, en version politiquement correcte255(*).

On prend alors conscience, non seulement de l'ampleur du politiquement correct, mais aussi de sa pesanteur.

Le politiquement correct en s'imposant dans le monde des enfants crée un cercle vicieux.

En excluant des contes ou de la littérature de jeunesse tous les éléments perturbateurs jugés immoraux ou traumatisants (nains, sorcières, héroïne blanche comme la neige, monstres et décès), il propage l'idée d'un monde idéal, et reprenant le credo du « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes », impose une vision déformée de la réalité.

Sorte d'embrigadement, formatage de l'esprit, le politiquement correct oblige les enfants à croire en un monde parfait.

Dès lors, lorsqu'ils se retrouvent confrontés à la réalité, les enfants du politiquement correct s'étonnent de ce qu'ils ne connaissent pas, et, devenus jeunes adultes, s'insurgent contre une langue immodérée qui ne ménage personne, qui n'a de considération pour rien.

Enfants de Candide et de Pollyana, la boucle est bouclée, et les jeunes recrues ne parviennent que difficilement à s'échapper du joug parental, assurant ainsi au politiquement correct de beaux jours devant lui ou tout du moins une certaine cohérence, une utilité reconnue de droit public.

Limites, dérives, excès... peu importe les termes utilisés puisqu'ils révèlent tous une seule et même chose : le politiquement correct, caché par le masque de la bonne conscience est loin de toujours répondre à son idéologie première.

Face à cette abrupte constatation, comment croire encore en ce nouveau fait sociolinguistique ?

III/ Être ou ne pas être politiquement incorrect : la nouvelle donne existentialiste

Le politiquement correct qui semble avoir perdu ses lettres de noblesse, est abandonné et attaqué de toutes parts. Présenté comme expression repoussoir, symbolisant la rigidité, la pensée unique, il n'est plus simplement l'art de bien pratiquer la langue de bois, il devient, pour reprendre un néologisme charmant, l'art du « complexificationnage ».

Illustrant l'adage « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? », il n'est plus qu'une manipulation langagière.

Fondé sur un leitmotiv qui dit toute l'hypocrisie de son essence, ses opposants prouvent l'inutilité de sa démarche.

De fait, puisque le politiquement correct ne sert à rien et ne trompe plus personne, moqueries et injures coulent à flot.

1) De l'humour à l'ironie, le politiquement correct ridiculisé

«  Le politiquement correct est la meilleure des choses que l'on ait inventées pour permettre aux imbéciles de l'ouvrir, et obliger les gens de bon sens à la fermer » (P. Pigeolet)

A- Un jeu burlesque sur la langue

La dérision semble être la méthode la plus utilisée pour se démarquer des proclamateurs politiquement corrects256(*).

Lorsqu'on ridiculise la langue française à l'extrême, on est confronté à la vision la plus accablante du politiquement correct qui, dépassant le simple stade du parler hexagonal ou précieux, se présente comme la métamorphose pathétique d'une langue. Emmuré dans son utopie, le politiquement correct s'est déplacé sur le terrain d'une grotesque charité.

La bienséance, facilement ridicule parce que fondée sur un lit de bons sentiments, suscite aisément la moquerie, « discours emphatique bercé de litanies de causes altruistes (...) posture prométhéenne ». Elle incarne :

« L'ère du français phraseur et flatteur, une langue à l'esbrouffe faite de formules toujours plus nulles ou décalées »257(*).

C'est en tout cas cet aspect principal qui émerge lorsqu'on fait un tour d'horizon des sites Internet sur le sujet, puisqu'on constate que la plupart est consacré à l'aspect humoristique pour ne pas dire ridicule de ce langage taboué.

En effet, comment ne pas sourire lorsque pour parler d'une personne sensible on use de la périphrase « personne conditionnée émotivement » ? Comment ne pas rire lorsqu'on entend une institutrice dire à un élève « cesse tes métamorphoses posturales » au lieu du simpliste « arrête de bouger » ?

De même, comment ne pas être déstabilisé si notre chère et tendre nous déclare « tu es mon objet d'aimance », préféré à la trop classique déclaration « je t'aime »...

Si la vision que nous proposons ici du politiquement correct est très caricaturale et en une certaine mesure, faussée, c'est pourtant celle-ci que tendent à mettre en avant la plupart des sites consultés, et notamment les forums de discussion au sein desquels certaines personnes, jouant en quelque sorte aux devinettes, s'amusent à ne communiquer qu'en politiquement correct.

Ainsi par exemple, dans un chat où deux locuteurs s'entretenaient sur une auteure francophone, l'un d'eux écrivait « elle s'affirme dans son unicité, c'est une hexagonale convaincue (...) c'est un organisme explicite dans la réalité des vivants et dans la relation commune avec l'autre ».

Ici on est interloqué. Au prime abord, la séquence est quasiment incompréhensible.

Le même locuteur en donne la traduction dans les lignes suivantes : «elle est unique, c'est une vraie française (...) elle est spécialiste en ce qui concerne la vie et l'amour ».

Toujours sur le même site on trouve un peu plus loin différentes traductions de séquence d'hexagonal (comprenons ici de français bienséant) en phrases de langue française (sous-entendu de langage standard). Voici deux d'entre elles :

Séquence 1)

En hexagonal : « Ceci va faire naître des risques d'incertitudes dans l'esprit, au plus profond de votre âme (sa finalité est rationalisée) à vous d'y investir une somme de pensées convaincantes et pertinentes ... explication parvenue en sujets collectifs, je ferais découvrir l'explicite de cela »

En français : « Cette de vinette n'est pas si simple (c'est étudié pour) à toi de bien y réfléchir... donne ta réponse en commentaires et je donnerais la mienne ».

Séquence 2)

En hexagonal : « C'est un existant ambitieux de très haut rang, il m'accepte comme telle (lui étant l'unique fondateur de ce bien-être) quelque fois ses attitudes mentales m'échappent, jamais il ne me minimise, c'est un psychédélique convaincu et mon coeur l'accepte avec certitude comme le premier des existants ambitieux, par conséquent, ne le victimisez jamais ».

En français : « C'est un ami qui m'est cher, il me tolère et c'est bien un des seuls ! Jamais il ne me sous-estime, il est capable de tout quand il le veut vraiment, et je l'adore vraiment, donc ne lui faites jamais de mal ».

Ce site se conclue sur les commentaires d'un des visiteurs qui explique tout l'intérêt du politiquement correct. Selon lui c'est un jeu linguistique, une sorte de code, un peu comme le javanais des cours de récréation, en plus complexe bien sur.

Ici on est bien loin de l'utopie première du politiquement correct. Avec le temps, il s'est démocratisé, non pas dans sa forme, mais bien dans son usage, puisque tout le monde le parle pour être bien « vu ».

* 239 P. Merle, Le prêt à parler, p.100

* 240 id., p.121

* 241 Exemple donné par V.Volkoff, Manuel...

* 242 Anecdote relatée par Patrick Sabatier dans le Libération du 3 février 1999

* 243 Consulter à ce sujet l'article de C. Duneton, Le Figaro, janvier 2006

* 244 P.Merle, Le prêt à parler, p.92.

* 245 Anecdote relevée par A.Semrpini, Le multiculturalisme, p.43

* 246 P.Lemieux, La souveraineté...

* 247 A ce sujet consulter Le Nouveau Charabia de P.Merle : « La féminisation de certains noms donna lieu à de distrayantes empoignades sémantique (...) comme par exemple `` l'entraîneuse'' dont tout homme connaît le sens », p.94. 

* 248 P.Merle, Précis de langue..., p.59

* 249 Substantif qui pose déjà un problème orthographique : doit-on écrire « une substitut/e » ?

* 250 P.Merle, Le prêt à parler, p.95

* 251 Id. p.94

* 252 P.Merle, Op.Cit

* 253 Aux Éd. Hachette

* 254 1994, aux Ed. Grasset, 1995 pour la traduction française

* 255 Consulter Annexe n°2

* 256 Pour preuve, les illustrations humoristiques présentées en Annexe n°3

* 257 Site Internet www.ssjbmauricie.qc

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