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Contribution aux études méditerranéennes: les relations turco-tunisiennes (1956-2001)

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par Meriem JAMMALI
INALCO - Maîtrise de langue et de civilisation turques 2003
  

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2. Islam et modernité chez Atatürk et Bourguiba

Lors de la construction de leurs Etats respectifs, Atatürk et Bourguiba durent prendre en compte la question de la place de la religion musulmane dans la vie politique et sociale dans leurs pays respectifs. Les régimes mis en place par les deux leaders se ressemblent de beaucoup de points. Ainsi l'enseignement, la laïcisation et le modernisation du pays étaient les principaux objectifs des deux hommes. Cependant, une divergence non moins importante différencie les deux hommes. Il s'agit de la place que doit occuper l'islam dans l'une et l'autre société toutes deux en quête de modernité.

Afin d'initier son peuple aux valeurs de l'Occident -vainqueur de l'Empire ottoman- Atatürk a voulu se débarrasser du poids de la religion musulmane dans la vie politique et publique turques, tandis que Bourguiba a tâché d'employer l'islam à ses fins politiques, en interprétant le texte coranique, quitte à provoquer la sensibilité populaire. Citons à ce propos l'intervention de l'ex-président tunisien à la télévision, en 1960, où il a pris un verre d'eau en pleine période de jeûne du ramadan.20(*) Selon lui, la pratique de la religion ne doit pas freiner la bonne marche de l'économie tunisienne quitte à ne pas observer le mois du ramadan !

Cette divergence entre Bourguiba et Atatürk quant à la place de l'islam dans la société s'est trouvée répercutée dans l'une et l'autre constitution. Pour ce qui concerne la constitution turque, il y est stipulé que la Turquie est un Etat laïc. L'islam n'est plus la religion de l'Etat dès 1928 contrairement à ce qu'était prévu par la constitution de 1921-1924. En revanche, dans le préambule de la constitution tunisienne, on commence toujours par la formule coranique « Au nom de Dieu, Clément et Miséricordieux ». On mentionne plus loin la nécessité de « demeurer fidèle aux enseignements de l'islam ». L'article 1er de la constitution tunisienne déclare que « la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain ; sa religion est l'islam, sa langue est l'arabe et son régime est la République. » La religion du président de la République étant obligatoirement l'islam (article 38).

C'est Atatürk qui s'est attaqué en premier à la question du poids de la religion musulmane. Considérant que l'islam est la cause directe de la décadence de l'Empire ottoman, l'idéologie kémaliste ne peut pas pour autant maintenir cette religion profondément présente dans les rouages de l'Etat. Par conséquent, Atatürk a voulu créer un islam d'inspiration laïque. C'est-à-dire lui accorder uniquement une dimension spirituelle en tant que foi et pratique religieuse. De ce fait, dépouillé de son pouvoir politique, il perd son aptitude à gérer la vie publique et privée de la société turque.

La femme, sujet tabou dans la religion musulmane, retrouve progressivement sa place à côté de l'homme et partage son univers. Mais l'émancipation de la femme turque fut lente. La Turquie a commencé par l'adoption en 1924 d'un code civil contenant un droit de la famille égalitaire. Mais jusque-là, aucune loi turque ne réglait certaines questions liées au statut de la femme, tel que le port de voile. En 1937, la femme turque devient électrice et éligible. En effet, « L'émancipation des femmes alla de pair avec la réforme de l'enseignement. C'était un domaine auquel le Ghazi attachait une extrême importance. Il a voulu les associer étroitement à la vie du nouvel Etat. »21(*)

Trente ans après les réformes engagés par Mustafa Kemal, la Tunisie allait connaître un parcours similaire à la jeune République turque. Dès son indépendance, le pays allait voir se succéder une fringale de réformes. Une Assemblée constituante fut élue le 25 mars 1956 ; la République étant proclamée le 25 juillet 1957. La constitution du 1er juin 1959 établit un régime politique basé sur la séparation des pouvoirs, l'égalité devant la loi et « la garantie des libertés d'opinion, de réunion et d'association ». Avec la promulgation du Code du Statut Personnel le 13 août 1956, la polygamie fut abolie, le divorce réglementé ce qui constitue une révolution culturelle en soi, dans la mesure où ce code met définitivement fin à près de quatorze siècle de pratique sociale, basée sur l'islam, dans le domaine civil.

Si l'émancipation de la femme turque était longue et progressive, la femme tunisienne a trouvé dans Bourguiba un homme d'Etat éclairé et surtout courageux pour engager des réformes institutionnelles pour libérer la femme tunisienne du poids des traditions et de la charia. Ce décalage d'ordre , il convient de rappeler que le contexte des années 20 et 30 n'autorisait aucune comparaison avec celui des années 50 et 60. Et si Atatürk a divorcé avec la religion, Bourguiba en s'attaquant aux mouvements traditionalistes, a adopté une attitude conciliatrice entre le loi coranique et la législation occidentale. Cela s'explique par le fait que les deux hommes ne se sont pas confrontés aux mêmes problèmes.

En dépit de son influence par l'idéologie kémalienne, le bourguibisme a su garder son esprit critique envers le kémalisme. En 1973, Bourguiba critique implicitement l'idéologie d'Atatürk au sujet de sa rupture radicale avec la religion.22(*) Cette critique était source de mécontentement de la classe politique turque vue que l'idéologie d'Atatürk est sacrée. Enfin, cette divergence s'explique aussi par le décalage temporel entre l'expérience turque et l'expérience tunisienne23(*).

* 20 Jean GANIAGE, Histoire contemporaine du Maghreb de 1830 à nos jours, Paris, Fayard, 1994, p. 667.

* 21 BENOIST-MECHIN, Mustafa Kemal ou la mort d'un empire, Paris, Albin Michel,1954, p. 406.

* 22 Fathi KASMI, « Hal al-bourguibia t'aadyloun lil-kamaliyaah ? » (en arabe) (= « Le bourguibisme est-il une réforme du kémalisme ? », dans Vérités, n° 682 du 7 au 13 janvier 1999.

* 23 Menter SAHINLER, Origine, influence et actualités du kémalisme, Paris, Publisud, 1995, p. 163.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon