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Contribution aux études méditerranéennes: les relations turco-tunisiennes (1956-2001)

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par Meriem JAMMALI
INALCO - Maîtrise de langue et de civilisation turques 2003
  

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3.1. La visite de Bourguiba

Il a fallu attendre la visite officielle que le président Bourguiba a effectuée à Ankara en mars 1965, et l'arrivée au pouvoir du Parti de la Justice (Adalet Partisi), pour voir les contacts se renouer entre les deux pays. Lors de cette visite, le président tunisien, voulant tourner la page des soubresauts des relations entre les deux pays, s'adressa aux députés turcs en ces termes : « [...] laissez-moi vous dire que cet épisode [l'abstention de la Turquie] ne pouvait altérer durablement le sentiment que nous portons à la Turquie.. Il conclut son discours en saluant « la fraternité retrouvée entre le peuple turc et le peuple tunisien. » 36(*) 

Au cours de cette visite les responsables turcs et tunisiens se sont montrées optimistes quant à l'avenir de leurs relations bilatérales. Ils ont affirmé qu'ils allaient serrer les coudes pour promouvoir une coopération très étroite dans les domaines culturel, technique et économique. A l'issue de cette visite, les deux parties ont décidé de mettre en place des programmes d'échanges supervisés par une commission mixte dont la mission principale consistait à développer les échanges entre Ankara et Tunis.37(*)

Cependant, cette visite n'a pas donné lieu à la signature d'accords bilatéraux. Il faut noter que le déplacement du président tunisien en Turquie eut lieu alors que la Turquie traversait la crise chypriote. Interrogé par les journalistes, Bourguiba n'a pas révélé clairement la politique suivie par la Tunisie vis-à-vis du problème chypriote. Il a laissé entendre que son pays se tient neutre dans cette affaire. Et d'ajouter que prendre parti pour la Grèce ou pour la Turquie ne servirait pas la résolution du problème.38(*)

Cette neutralité s'affirma quelques mois plus tard, lorsque la Commission de politique spéciale et de décolonisation de l'ONU a voté, le 17 décembre 1965, un texte réaffirmant l'indépendance et la souveraineté de Chypre et refusant toute intervention étrangère. Le même texte préconisait l'annulation des accords de Londres et de Zürich de 196039(*). A l'exemple de tous les pays arabes, sauf la Libye qui a voté pour, la Tunisie s'est abstenue. Cette abstention ne peut qu'enchanter la partie grecque. Quant à la Turquie, elle a exprimé sa déception de voir des pays musulmans -y compris la Tunisie - soutenir son rival « chrétien ». La question qui se pose est de savoir si cette abstention tunisienne pouvait être interprétée comme monnaie de retour que la Tunisie aurait voulu rendre à la Turquie qui, autrefois, s'est abstenue lors d'un vote onusien relatif à la cause tunisienne. Ou s'agissait-il tout simplement d'une lecture politique propre à Bourguiba selon lequel, en matière de politique, il faut savoir distinguer « l'important de l'essentiel » ?40(*)

L'examen des propos de Bourguiba sur la crise chypriote, tenus à Ankara lors de sa visite officielle de 1965, laisse penser que l'abstention tunisienne lors de ce vote était dictée par des impératifs d'ordre purement diplomatique. En effet, en réponse à une question posée par un journaliste sur la position tunisienne vis-à-vis du problème chypriote, le président tunisien, après avoir passé en revue les différents épisodes de ce problème, a laissé entendre que le problème chypriote était tellement compliqué qu'il ne supportait une prise de parti supplémentaire. De même, il a déclaré que son pays possède de bonnes relations avec la Grèce et la Turquie41(*). Selon lui, ce qui urgeait c'était de trouver et de toute urgence une solution au problème chypriote en tenant compte des intérêts de toutes les parties. Et d'ajouter que prendre une position pour tel protagoniste ou tel autre ne ferait qu'empirer le problème. Enfin, le président tunisien résume la position de son pays en une phrase mystérieuse : « Il arrive un moment où les hommes raisonnables doivent choisir entre l'important et l'essentiel ».42(*) Pour lui, « l'essentiel » consiste à trouver une solution à la crise chypriote. Quant à « l'important », c'est le fait de ne pas compromettre les relations de son pays avec la Grèce et la Turquie !

Il apparaît ainsi que la visite présidentielle de Bourguiba a marqué une nouvelle ère dans l'histoire des relations diplomatiques entre les deux pays. De surcroît, elle a été l'occasion de discuter des problèmes affectant les relations turco-arabes. En effet, Bourguiba s'est fait le porte-parole de ses homologues arabes en affirmant que ces derniers étaient prêts à comprendre les positions, les mobiles et les objectifs de la politique turque. En contrepartie, il espérait que les dirigeants turcs se montreront plus compréhensifs à l'égard des Arabes et de leurs problèmes légitimes, notamment la cause palestinienne43(*). La visite de Bourguiba a en quelque sorte brisé le mur de glace qui s'est établi entre Arabes et Turcs depuis 1916.

De leur côté, les dirigeants turcs ont vu dans cette visite un signe réconfortant de la part des pays arabo-musulmans. Ce qui allait apaiser la crainte d'Ankara de se voir gérer, seule et sans aucun soutien international, certains dossiers sensibles comme la crise chypriote et la menace soviétique. D'ailleurs, peu après la visite de Bourguiba, Süleymen Demirel alors premier ministre, a déclaré que la Turquie sera compréhensive à l'égard des problèmes des pays arabes et surtout ceux du Maghreb. Un an plus tard, en décembre 1966, la visite du président turc Cevdet Sunay à Tunis est venue consacrer une nouvelle étape dans le dialogue tuniso-turque.

Par ailleurs, notons que Bourguiba s'est rendu encore une fois en 1968 en Turquie mais dans le cadre d'une visite privée. Obsédé par le mythe de l'histoire et des grands hommes, il décida de se recueillir devant la tombe d'Hannibal, située sur les rives des Dardanelles. Il a été reçu avec le protocole d'une visite d'Etat. Il voulait ramener en Tunisie les cendres du général carthaginois. Gênés, les responsables turcs ont essayé dans un premier temps de contourner son souhait. Mais à son insistance, il ont accepté de construire un mausolée pour Hannibal qui, en outre, symboliserait la fraternité entre les deux peuples. Déception du chef d'Etat tunisien !

* 36 L'allocution du président tunisien devant les députés turcs, le 25 mars 1965, a été considérée à l'époque comme une première, dans la mesure où c'était la première fois dans l'histoire de la Turquie moderne qu'un dirigeant arabe s'adressait directement aux députés turcs.

* 37 Cf. Conférence de presse de Bourguiba du 26 mars 1965 à Istanbul.

* 38 Cf. Discours de Bourguiba de 1965.

* 39 Rappelons qu'en vertu des ces accords, les trois pays signataires (Grèce, Turquie et Royaume-Uni) se réservaient le droit d'intervenir en Chypre s'ils constataient que l'application des accords mettaient en cause ce qui a été convenu. Mais peu après l'indépendance de Chypre, prévue par ces accords, les deux principaux protagonistes de l'affaire chypriote, en l'occurrence la Grèce et la Turquie, ont usé de ce droit d'intervenir pour multiplier les actions d'ingérence dans les affaires de l'île. C'est ce qui a poussé la commission onusienne à préconiser l'annulation des accords de Londres et de Zürich, tout en réaffirmant l'indépendance de l'île.

* 40 Cette expression a été prononcée par Bourguiba même lors d'une conférence de presse donnée lors de sa visite à Ankara en mars 1965.

* 41 Discours de Bourguiba de 1965 : « Chef d'Etat, ami des Turcs et des Grecs, je n'ai pas le droit de prendre une position nette qui risquerait de rendre difficile tout compromis ».

* 42 Cf. Discours de Bourguiba de 1965.

* 43 Rappelons que la Turquie est le seul pays musulman qui ait reconnu, très tôt, la création de l'Etat d'Israël en 1948.

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