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La nomination des animaux par Adam, dans l'Occident latin du XIIe au XVe siècle. Etude iconographique

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par Maÿlis Outters
Université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines - Master 2 d'histoire médiévale 2006
  

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Première partie : L'image d'Adam par la nomination des animaux

Le passage de la nomination des animaux est l'un des rares où l'on voit Adam hors du contexte du péché. Si dans l'imaginaire médiéval Adam est avant tout le premier pécheur, il est aussi le premier homme. A travers l'iconographie de la nomination des animaux nous pouvons identifier d'autres facettes d'Adam. Il est pleinement homme quand il parle mettant ainsi son intelligence à l'épreuve, c'est un modèle pour les savants car il a élaboré la première nomenclature. C'est aussi un souverain, le seigneur du Paradis, et enfin il prépare la venue de la femme en refusant de s'identifier aux animaux.

Chapitre 1 : Homme par la parole

1. Le geste et la parole

Le face à face d'Adam avec l'animalité le fait devenir homme de parole, il n'est plus seulement créature parmi les créatures, il est celui qui parle, celui dont l'intelligence s'exprime.

Par la nomination Adam accomplit son premier acte de parole. Pour représenter la parole les enlumineurs n'ont pas eu recours a des transformations au niveau de la bouche d'où sont émis les sons de la voix. La tapisserie de Gérone13(*) (ill. 1) en cela fait exception, celle qui confirme la règle : Adam ouvre la bouche. Or dans les enluminures «les personnages de condition n'ouvrent pas la bouche»14(*) pour s'exprimer. En règle générale, la parole s'exprime à travers les gestes de celui qui la profère. Il est aisé d'expliquer le choix de représenter la parole par des gestes pour l'iconographie, pour une raison pratique, de larges gestes se repèrent plus facilement qu'une bouche ouverte. Cependant la parole ne s'exprime pas seulement par des gestes dans les enluminures, mais aussi dans la vie réelle. Pour Grégoire de Nysse (†395), les mains sont faites, en premier lieu, pour la parole :

Les mains peuvent prêter leur utilité pour tout art, toute activité, [...]. Mais c'est avant tout pour la parole que la nature a ajouté les mains à notre corps, [...]. Les oeuvres des mains sont une aide nécessaire à l'élocution. C'est pourquoi, si quelqu'un dit qu'elles ont été données à la nature douée du langage afin de parler, il ne s'éloigne vraiment pas de la vérité [...]. Les hommes parlent en lettres, mais vraiment ils s'entretiennent entre eux, d'une certaine façon, par les mains qui saisissent les voix mêmes par les notes des lettres.15(*)

Le geste d'Adam qu'on pourrait appeler le geste de la désignation, est revêtu d'une certaine autorité grâce à la présence de Dieu qui confirme son acte. Cette présence est plus ou moins explicite. Dieu, assis sur un trône, est imposant dans la mosaïque de Saint-Marc16(*) (ill. 6), et Adam le regardant, donne leur nom aux animaux. Dieu moins majestueux dans le bestiaire de Guillaume le Clerc17(*) (ill. 11), n'en est pas moins le supérieur (de par sa taille) de qui vient le pouvoir. Enfin une présence simplement suggérée dans le bestiaire de Saint John's College18(*) (ill. 23), où Adam a déplié trois doigts de sa main gauche, le pouce l'index et le majeur, rappelant l'unité de la Trinité. Dieu est plus présent dans les enluminures de la bible qui représentent plus systématiquement la scène dans son «environnement».

La parole s'incarne parfois en un phylactère, dans le bestiaire de Saint-Pétersbourg19(*) (ill. 4), Adam tient un phylactère de sa main gauche, qui symbolise sa parole. Le phylactère, «symbole de la Vérité et de la Sagesse»20(*) est un élément essentiel aux prophètes ou aux apôtres transmettant le message divin. Ici, Adam accomplit un acte d'autorité, un acte divin. Dans le bestiaire de la Boldeian Library21(*) (ill. 18), le phylactère est comparable à une bulle de parole, il y est inscrit : Hic dat nomina bestiis Adam. Les autres phylactères sont vierges (ill. 4 et 10), leur seule présence suffit à évoquer la parole d'Adam, sa parole divine empreinte d'autorité.

La parole est donc très codifiée, que ce soit par le geste ou par le phylactère. Le XIIIe siècle est une époque qui voit les progrès de l'écriture, de la lecture, du livre manuscrit, en d'autres termes on assiste au chant du cygne de l'oralité. La parole éclate à travers la prédication des ordres mendiants mais aussi par le biais des universitaires, des laïcs qui se livrent à une véritable prise de parole. La parole se codifie, les «péchés de la langue» sont répertoriés22(*). Il n'est pas étonnant alors de voir se multiplier la scène de la nomination, où la parole tient une première place, dans les bibles et les bestiaires.

Les gestes d'Adam deviennent de plus en plus conventionnels. Nous avons identifié plusieurs gestes liés à la nomination. Les deux principaux sont ceux de l'imposition et de la désignation. Adam fait le geste de l'imposition lorsqu'il étend sa main en direction des animaux, la paume tournée vers le sol (9 occurrences). En trois occasions cette imposition du nom se fait sur un animal spécifique : le mouton (ill. 3), la licorne (ill. 27) et le lion (ill. 6), mais l'élection d'un animal lors de l'imposition des noms est plutôt rare. La désignation se caractérise par un index tendu horizontalement en direction des animaux, il est exclusivement fait de la main droite (9 occurrences)23(*). Ce geste est à rapprocher du geste d'autorité (6 occurrences), l'index étant cette fois pointé vers le haut, c'est le geste que font les prédicateurs ou clercs lorsqu'ils enseignent. Trois gestes accomplis par Dieu lorsqu'il est présent. Ainsi la parole d'Adam est assimilée à trois gestes spécifiques, trois codes.

Au Moyen Âge toute parole s'accompagne d'un geste, et tout geste s'accompagne d'une parole, ne serait-ce que dans la liturgie24(*) ou les sacrements25(*). La parole n'a pas de valeur sans geste et réciproquement. L'acte d'Adam pourrait s'apparenter en cela à un acte liturgique, le sacrement du baptême comme nous le verrons plus loin.

Dans la tradition orientale qui se reflète dans la Caverne des Trésors26(*), Adam est prêtre, au même titre que prophète et roi, les trois fonctions religieuses de l'Ancien Testament. Cette idée s'est exportée en Occident par le biais de l'influence byzantine. Ce que nous constatons dans l'iconographie du XIIIe siècle : lorsqu'Adam est vêtu, il l'est à la façon des patriarches byzantins. Soit Adam est assis de profil drapé dans son manteau (ill. 4, 5, 7, 18) soit il est debout dans un style très byzantin entre deux femmes couronnées comme dans dans le bestiaire d'Alnwick Castle27(*) (ill. 10). Mais si Adam est considéré comme prêtre, prophète et roi dans la littérature orientale, il reste dans l'iconographie la créature nue au milieu des autres créatures. La manière de représenter Adam comme un prophète est orientale. Cette grandeur d'Adam est frappante dans le bestiaire d'Aberdeen28(*) (ill. 5) et son jumeau de la Boldeian Library (ill. 18) : la figure élégante et élancée d'Adam, assis sur un trône au dossier allongé se distingue nettement sur le fond d'or. Adam a la même position que Dieu créant les animaux29(*) dans les bestiaires respectifs, mais plus largement il a la pose des patriarches et des évangélistes des siècles précédents.

Notons aussi la présence des deux femmes couronnées qui encadrent Adam dans le bestiaire de Northumberland (ill. 10), leur présence pour le moins originale pourrait symboliser deux vertus d'Adam, comme sa sagesse, son intelligence ou sa science. Elles tiennent des phylactères vierges de toutes inscription, mais leur présence renforce néanmoins la sainteté, la grandeur d'Adam.

* 13 Il s'agit de la tapisserie de la Création conservée à Gérone en Catalogne et composée vers 1100

* 14 Fr. Garnier, Le Langage de l'image au Moyen Âge, t. 1: Signification et symbolique, Paris, 1989, p.135.

* 15 Grégoire de Nysse, La Création de l'homme, J.-Y. Guillaumin (trad.), Paris, 1982, p. 82.

* 16 Mosaïque de la Création, dans le narthex de Saint-Marc de Venise, vers 1230.

* 17 Guillaume le Clerc, Bestiaire divin, Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. fr. 1444, fol. 244v, (v. 1250-1300).

* 18 Bestiaire, Oxford, St John's College, Ms. 178, fol. 172 v, (XIIIe, XIVe s.).

* 19 Saint-Pétersbourg, Rossiiskaia Natsionalkaia Biblioteka, Saltykov-Shchedrin Q.v.V1, fol. 5, (fin XIIe s.).

* 20 Fr. Garnier, Le langage de l'image au Moyen Âge, t.2, op. cit., p. 172.

* 21 Bestiaire, Oxford, Boldeian Library, ms. Ashmole 1511, fol. 9, (v. 1311).

* 22 Voir C. Casagrande, S.Vecchio, Les Péchés de la langue. Discipline et éthique de la parole dans la culture médiévale, Paris, Le Cerf, 1991.

* 23 Ce geste est plus généralement défini par Fr. Garnier comme le geste de l'enseignement, dans Le Langage de l'image..., op. cit., p.170.

* 24 H. Cazelles, «Gestes et paroles de prières dans l'Ancien Testament» dans Gestes et paroles dans les diverses familles liturgiques, conférences Saint-Serge, 24e semaine d'études, (Paris 1977), Rome, 1978, pp. 87-94.

* 25 Voir entre autre : I. Rosier-Catach, La Parole efficace. Signe, rituel, sacré, Paris, 2004.

* 26 A. Su Min-Ri, Commentaire de la caverne des trésors. Étude sur l'histoire du texte et de ses sources, Louvain, 2000, p149.

* 27 Bestiaire du duc de Northumberland, Alnwick Castle, coll. du duc de Northumberland, Ms. 447, fol. 5v, (v. 1250-1260).

* 28 Bestiaire, Aberdeen, University Library, Ms. 24, fol. 5, (v. 1200).

* 29 Pour le bestiaire d'Aberdeen voir l'annexe p. 89, où l'on voit qu'Adam a le même vêtement et le même visage que Dieu et il accomplie le même geste de bénédiction. Mais son humanité se manifeste par ses pieds chaussés et son trône qui le confirment dans son pouvoir terrestre. Alors que Dieu voit sa divinité soulignée par une auréole

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon