WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le Roman français et l' Avenir de la littérature francophone, face au Manifeste pour une littérature Monde

( Télécharger le fichier original )
par Mame Diarra DIOP
Université Paris IV La Sorbonne - Master 1 de Lettres Modernes Appliquées 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

- Quelques intellectuels analysent le manifeste 

Commençons avec Achille Mbembe, l'un des intellectuels africains les plus en vue aujourd'hui. Il est professeur d'Histoire et de Sciences Politiques à l'Université du Witwatersrand à Johannesburg et directeur de Recherches au Witwatersrand Institue for Social and Economic Research (WISER)...

Dans l'analyse qu' il livre du manifeste, Achille Mbembe commence d'abord par opposer la France et l' Amérique en précisant les atouts de cette dernière: « Le premier, c'est leur capacité presque illimitée de capter et de recycler les élites mondiales. Au cours du dernier quart du vingtième siècle, leurs universités et centres de recherche sont parvenues à attirer presque tous les meilleurs intellectuels noirs de la planète - ceux d'entre eux qui avaient été formés en France, voire des universitaires français noirs auxquels les portes des institutions françaises sont restées hermétiquement fermées... »

Un commentaire qui rejoint celui de Nicolas Sarkozy, même si ce dernier n'est pas homme de lettres mais avocat en premier lieu. Il n'empêche que la France souffre de ne pas savoir valoriser et retenir ses intellectuels d'origine étrangère, ce qui les amène à être sollicités par le pays de l'Oncle Sam et son « éthique de l'hospitalité », poursuit Achille Mbembe, une éthique qui serait rare en France... : «  Ceci dit, c'est cette éthique de l'hospitalité qui fait défaut à la France contemporaine. Son absence explique, en partie, l'incapacité française à penser ce qu'Édouard Glissant appelle le « Tout Monde». Et cela en raison de bien de facteurs historiques liés à la langue française :

« Ce rapport métaphysique à la langue s'explique lui-même par la double contradiction sur laquelle repose l'Etat nation français. D'une part, les noces de la langue et de l'État trouvent une partie de leur origine dans la Terreur (1793-1794) durant la Révolution. C'est de cette époque que date le réflexe du monolinguisme - cette idée typiquement française selon laquelle la langue française étant une, indivisible, et centrée sur une norme unique, tout le reste n'est que patois. Il s'agit, d'autre part, de la tension, elle aussi héritée, du moins en partie, de la révolution de 1789, entre le cosmopolitisme et l'universalisme... »

Là encore, Achille Mbembe, même s'il n'a pas signé le manifeste, évoque «  ce centre » tourné vers lui-même et qui a longtemps rejeté toute forme de métissage ou réappropriation de la langue française...

Or ce qui veut prévaloir de nos jours, c'est le « Tout Monde », un terme dont la paternité revient au romancier antillais Edouard Glissant, Docteur ès Lettres, Prix Renaudot 1958 pour son roman La LézardeDistinguished Professeur of French, à la City University de New York ( CUNY) et surtout poète reconnu :

«  J'appelle Tout-monde notre univers tel qu'il change et perdure en échangeant, et, en même temps la « vision » que nous en avons ».

« Le divers du monde a besoin des langues du monde », affirme aussi Glissant dans son  Traité du Tout Monde57(*).

Dans La Poétique de la Relation58(*), il va plus loin :

« Véhiculaire ou non, une langue qui ne se hasarde pas au trouble du contact des cultures, qui ne s'engage pas à l'ardente réflexibilité d'une relation paritaire aux autres langues, me paraît, peut-être à long terme, condamnée à l'appauvrissement réel ».

Il ne faut plus s'attarder sur la Francophonie, mais parler d'une francopolyphonie du Tout-Monde ou les expressions multiples d'une appartenance commune à travers le vecteur de la Langue, seraient frottés à des facteurs culturels, destinés à enrichir la langue.

Pour Pierre Assouline, écrivain, journaliste et auteur du blog très fréquenté de la « République des Lettres », il n' était peut être pas nécessaire de faire autant de bruit autour de cette littérature monde, qui selon lui était déjà en marche et à l'insu des auteurs :

« Etait-il indispensable de l'officialiser avec tambours et trompettes ? Malgré les ravages de l'autofiction, le nombrilisme bien connu des écrivains métropolitains, le ronronnement de la francophonie institutionnelle et le centralisme de l'édition germanopratine, ils sont tout de même un certain nombre depuis un certain temps, les écrivains de langue française qui font de «la littérature monde»sans le savoir comme M.Jourdain de la prose ».

Alain Diassé, un autre critique littéraire et Docteur en Sciences du Langage et Analyse du Discours, voit en la littérature monde une notion vide de sens : « Je trouve que c'est une autre manière de nommer la francophonie ou la littérature francophone. Je crois qu'il est important pour les signataires de ce manifeste de se penser comme des écrivains d'expression française qui veulent s'adresser au monde sans pour autant se prévaloir de la francophonie. Ce qui est différent de cette notion barbare de ''littérature monde'' en français.  Je crois que se réclamer de la ''littérature monde'', est une façon de se renier ! ».

Un avis pour le moins tranché et pour l'intellectuel Romuald Fonkoua qui s'exprimait  à l' Ecole Normale Supérieure : « le manifeste se trompe de cible et il existe une grande confusion entre France et Francophonie : Le titre même du manifeste, qu'il traduit par World Literature in French, reste ambigu. » S'il est certain qu'en France, il y a un déficit de l'enseignement des littératures francophones, un terme qui ne semble pas gêner Fonkoua car le débat est ailleurs, il faut que la littérature française prenne conscience de ses  « excroissances » et cela en terme d'Histoire Littéraire. A titre d'exemple, Fonkoua cite les littératures émergentes comme celles dites de banlieue. En conclusion, il ajoute qu'il faut penser la littérature dans ses formes multiples et la sortir des terminologies douteuses.

Romuald Fonkoua est éditeur chez Présence Africaine. Universitaire reconnu, il est aujourd'hui professeur de Littérature Française et Francophone à l'Institut de Littérature Française de l'Université Marc Bloch de Strasbourg II, après avoir été Maître de Conférences à l'Université de Cergy Pontoise, en littérature générale et comparée.

Pour Léonora Miano, lauréate 2006 du Goncourt des Lycéens pour Contours du jour qui vient59(*), le manifeste présente quelques faiblesses :

« Il ne m'a pas été demandé de signer le manifeste. J'ai été approchée pour participer à l'ouvrage qui a suivi, mais mon texte n'a pas été retenu. On m'a expliqué qu'il était trop court...Ce que je pense de ce manifeste, c'est que ses intentions sont louables, mais qu'il n'est pas de nature à influencer vraiment les pratiques du milieu littéraire français. Or, après avoir entendu Michel Le Bris dans l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut, l'objectif premier de ce manifeste (et du livre qui a suivi), était de mettre fin au complexe de supériorité qu'affiche le microcosme littéraire, vis à vis des auteurs francophones non occidentaux... ».

Léonora Miano poursuit en fustigeant Gallimard, une maison pourtant indépendante :

« Il me semble que pour atteindre des telles visées, il aurait fallu commencer par publier le manifeste ailleurs que chez Gallimard. Cette maison qui est la plus prestigieuse de ce pays, est la seule à publier des auteurs noirs écrivant directement en français dans une collection où seule la couleur de leur peau les rassemble. Continents Noirs ne reconnaît pas les univers d'auteurs, et présente l'origine ethnique comme vectrice d'un corpus. C'est aberrant, pour dire le moins. Le manifeste se saborde lui-même, en paraissant chez ceux qui procèdent de cette façon. Comment faire après cela, pour que les auteurs noirs de langue française soient mieux considérés ? »

Elle pose ensuite la question de la reconnaissance des auteurs et réfute l'accusation du manifeste sur la supposée tendance nombriliste de la littérature française contemporaine :

« En outre, le manifeste, si mes souvenirs sont bons, fustige la littérature française écrite de nos jours, pour son côté centré sur elle-même, sa propension à se regarder le nombril plutôt qu'à prendre le monde en compte. Là encore, je ne suis pas d'accord. Il existe un grand nombre d'auteurs français contemporains qui écrivent sur le monde qui les entoure. Ce n'est pas parce qu'ils sont mal promus, qu'on peut prétendre qu'ils n'existent pas ».

Quant à la notion de littérature monde, Léonora Miano pense que chaque auteur représente le monde à sa façon et quel que soit ce qu'il écrit :

« Ensuite, parler du monde, en littérature, c'est toujours et avant tout parler de soi. L'écriture est un acte intime, solitaire. Lorsque l'auteur choisit un sujet, quel qu'il soit, il le traite en fonction d'un point de vue particulier. Si on admet cela, il est raisonnable de postuler que ces auteurs qui semblent parler d'eux-mêmes, parlent aussi des autres. Parce qu'ils sont des humains. Leur expérience recoupe celle des autres, et touche, de ce fait, à l'universel. On ne peut pas dire aux gens sur quoi écrire, et comment le faire ».

Pour conclure son propos, Léonora Miano déplore le côté compassé et bourgeois de toute cette affaire :

« Enfin, je regrette beaucoup le côté compassé et bourgeois de cette affaire. Il me semble qu'on tente, en prétendant s'ouvrir, de créer un autre sérail. Un sérail coloré, mais quand même... Je ne sais pas ce que les lecteurs peuvent en tirer. Je crois que les universités continueront d'enseigner séparément littérature française et littératures francophones, et que les libraires ne modifieront pas leur organisation ».

Ici, se pose la question de l'organisation de la base de la chaîne du livre : les libraires. Et cela, même si on a tendance à se précipiter vers les rayons Meilleurs Ventes des grandes surfaces commerciales. Car une fois les auteurs publiés, comment ceux qui sont chargés de les mettre en valeur, font-ils leur classement sur les rayons ? Je me suis rendue à la Fnac Montparnasse et à celle des Halles pour étudier le compartimentage des auteurs et entendre l'avis de responsables dans plusieurs librairies parisiennes. Je leur ai aussi demandé leur avis sur le manifeste pour de la littérature monde.

* 57 Traité du Tout Monde, ed Gallimard, 1997.

* 58 Poétique de la relation, Gallimard, 1990

* 59 Contours du jour qui vient, Plon,2006.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore