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Un champ scientifique à l'épreuve de la Seconde guerre mondiale les revues de géographie françaises de 1936 à 1945

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par Laurent Beauguitte
Université Paris 7 - Master 1 2007
  

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2.5. L'obsession démographique et le « problème des étrangers »

Le caractère obsessionnel du déclin démographique français a été particulièrement étudié par les historiens (Tomlinson, 1985, Huss, 1990, Reggiani, 1996. Pour la propagande nataliste propre à Vichy, voir Jennings, 2002). La parfaite continuité des discours et des politiques est très clairement mise en évidence par tous ces auteurs, de la fin du XIXe siècle jusqu'aux débuts de la IVe République. Dès Émile Levasseur, ce déclin est considéré comme un problème angoissant (Noiriel, 1988, p.80). Albert Demangeon écrit en 1920 « la plus grande richesse d'une nation, ce sont ses hommes. Nous ne demeurerons pas une nation riche si nous n'augmentons pas notre capital humain. Depuis longtemps, la France n'a presque plus d'enfants » (Demangeon, 1975, p.294). L'intervention de l'État dans ces domaines ne débute pas avec Vichy. Le gouvernement crée un Conseil supérieur de la natalité en 1920 (Reggiani, 1996, p.728), la médaille de la famille française est instaurée au début des années 192020(*), la fête nationale des mères est créée en 1926 (Reggiani, 1996, p.733). Ce sujet est particulièrement propice aux anachronismes. Les discours natalistes de l'époque sont d'une virulence surprenante pour un lecteur contemporain, et certaines brochures font penser aux actuels mouvements anti avortement, mouvements qui sont clairement situés aujourd'hui à l'extrême droite (voir figure 15 p.64). Ce n'est pas du tout le cas à l'époque : un spécialiste reconnu comme Alfred Sauvy considère, en 1945, que lutter contre l'avortement est le moyen le plus efficace et le moins onéreux pour stimuler la natalité (cité par Watson, 1953, p.285). Le problème de « l'anémie de la race française » fait l'objet d'une unanimité politique complète à partir de 1936. À cette date, le PCF rejoint la campagne nataliste, Maurice Thorez expliquant que, si les ouvriers ne font pas assez d'enfants, ils ne pourront jamais remporter la lutte des classes - Staline a interdit l'avortement en URSS l'année précédente (Tomlinson, 1985, p.414).

L'auteur qui écrit pendant toute la période sur le sujet est Georges Mauco. Ce géographe soutient une thèse sur les étrangers en France en 1932, thèse réalisée sous la direction d'Albert Demangeon. Il continue à travailler avec ce dernier, notamment sur le rôle des étrangers dans les campagnes françaises. G. Mauco est le spécialiste des questions démographiques dans les Annales de géographie et sa compétence lui permet d'obtenir des fonctions au niveau national et international. Il rédige un rapport concernant l'assimilation des étrangers pour la Société des Nations en 1937, il est secrétaire général de l'Union scientifique sur les questions de population de 1937 à 1953 (Noiriel, 1988, p.121). Après guerre, il est nommé secrétaire général du Haut Comité consultatif de la Population et de la Famille, il exerce cette fonction jusqu'en 1970 (Weil, 2004, p.69). Les autres géographes traitent de l'immigration, ou de l'exode rural, mais la dénatalité, dont l'immigration est considérée comme la conséquence inévitable, n'est guère traitée que par G. Mauco et, de façon moins insistante, par A. Demangeon. Autant le signaler dès à présent, G. Mauco pose problème à un lecteur contemporain et c'est pour cette raison que j'ai choisi de considérer, outre ses articles parus dans les AG, les ouvrages qu'il a pu écrire dans les années 1930 et 1940. Outre certains écrits qui font plus que flirter avec la xénophobie et l'antisémitisme, écrits dont il sera question plus loin, son admiration pour les régimes totalitaires apparaît clairement dans plusieurs de ses articles. En 1938, dans un article des AG qui n'a qu'un très lointain rapport avec la géographie, il cache mal sa fascination pour le fascisme et le communisme « mots redoutables, dont la charge affective obscurcit le jugement ». Il poursuit ainsi :

« Ceux qui détiennent le pouvoir le doivent au bulletin de vote de l'électeur. Il faut séduire ce dernier, lui promettre un monde facile. Or les faits exigeraient au contraire que l'on proclamât la nécessité de disciplines nouvelles et d'un effort plus pénible. [...] L'abandon des anciennes lois exige l'acceptation de servitudes nouvelles. C'est une nécessité que les démocraties n'ont pas eu jusqu'ici la virilité de reconnaître. La pression de l'État doit remplacer celle de la nature. C'est que la vie n'est pas facilité, elle est effort » (Mauco, 1938, p.573-574).

En 1939, Georges Mauco loue la politique démographique allemande : elle est « la plus énergique et la plus efficace » (Mauco, 1939b, p.181) ; puis il expose les différentes mesures adoptées sans jamais exprimer la moindre réserve : « favoriser le mariage entre sujets sains », « restreindre, voire même prohiber, la procréation de sujets atteints d'une maladie héréditaire » (p.182). Il souligne « l'importance du revirement opéré dans l'attitude morale du peuple allemand »(p.183).

Son discours nataliste est d'une parfaite continuité tout au long de la période étudiée. Les comptes rendus, non signés, mais qui ressemblent à s'y méprendre aux articles de Georges Mauco, des ouvrages de Fernand Boverat21(*) parus respectivement en 1938 et 1943 ne montrent aucune différence de ton : « Éloquent plaidoyer contre la dénatalité, l'auteur en montre les nombreux dangers » (AG, 1938, p.516) ; « Lucide, courageuse et indispensable campagne pour le relèvement de la natalité en France [...] Il est bien évident qu'il est inutile de parler du redressement de la France s'il n'y a plus de Français » (AG, 1943, p.61). En 1939, Georges Mauco évoque « l'effondrement de la natalité », « le mouvement naturel de la population française [qui] tend fortement vers la régression » et « l'anémie démographique » (Mauco, 1939a, p.86-89). Les recommandations sont claires : « il est urgent que la France fasse passer le problème démographique au premier plan de ses préoccupations » (Mauco, 1939b, p.183). Il est donc logique de le voir applaudir aux dispositions du Code de la famille de 1939, y compris bien entendu aux sanctions aggravées en cas d'avortement : « le secret médical - qui masque parfois tant d'abus - est pratiquement supprimé en matière d'avortement, et la dénonciation est admise » (Mauco, 1941, p.74). Ce type de discours n'apparaît pas avec Vichy et ne disparaît pas à l'été 1944. Il suffira pour s'en convaincre de lire un manuel destiné aux maîtres de 1948 où on apprend que « fonder une famille est un devoir envers soi-même, envers la société, envers la Patrie » (Mauco, Grandazzi, 1948, p.67), « Fonder une famille d'au moins trois enfants est un devoir pour chaque jeune Français et chaque jeune Française. Prendre la résolution d'avoir plus tard au moins trois enfants est un devoir pour chaque élève de la classe »(p.104). Il est en outre essentiel d'habituer l'enfant à « CONSIDERER LA FAMILLE NOMBREUSE COMME LA FAMILLE NORMALE22(*) » (p.65). Et les exemples donnés de pays qui ont réussi à redresser la natalité , redressement qui suppose « le renoncement à l'égoïsme, le goût de l'effort et du sacrifice, le sens social et l'esprit de solidarité », sont l'URSS et l'Allemagne d'après 1933 (p.57)...

Les dérapages de Georges Mauco pendant l'Occupation sont connus (Noiriel, 1999, p.215-217 et 252-254 ; Weil, 2004, p.58-59). Il lui est principalement reproché d'avoir écrit dans L'Ethnie française, revue de propagande raciale créée par Georges Montandon en 1941 avec l'aide financière de l'occupant. Dans un article paru en 1942, Georges Mauco évoque notamment « les âmes [juives] façonnées par les longues humiliations d'un état servile où la haine refoulée se masque sous l'obséquiosité ». Les mêmes Juifs dont la « francisation restait superficielle, faute d'avoir vécu les travaux et les soucis du peuple, faute [...] notamment d'avoir senti, au contact de la terre et des paysans, l'atavisme français » (cité par Noiriel, 1999, p.216). Rappelons également qu'il vient témoigner devant la Cour Suprême de Justice à Riom le 3 septembre 1941 pour déclarer « les derniers apports (éléments coloniaux : Africains et Asiatiques, Juifs de toutes nationalités, Balkaniques et Levantins, Russes, Assyriens) apparaissent même non désirables, tant du point de vue humain que du point de vue économique » (cité par Weil, 2004, p.59). Il n'est pas question ici de jouer à l'avocat ou au procureur mais de chercher à évaluer si le discours scientifique de Georges Mauco se radicalise entre 1940 et 1944. Les deux faits signalés ci-dessus ont en effet lieu en dehors du champ scientifique. La comparaison entre sa thèse et ses articles parus dans les Annales de géographie de 1935 à 1939 d'une part, et ses articles parus entre 1940 et 1944 d'autre part, a paru un indicateur pertinent.

Avant guerre, du fait même de l' « anémie démographique française », la présence des étrangers dans l'agriculture et dans l'industrie est considérée comme nécessaire, utile et indispensable (Mauco, 1935, p.381 ; 1937, p.515 ; 1939c, p.293 ; 1939d, p.400). Mais il y a deux problèmes. Tout d'abord, les nouveaux venus (« africains, levantins, israélites de toutes nationalités ») sont d'une assimilation plus difficile par suite « de différences plus marquées de moeurs, de civilisation et de langue » (1935, p.382). Parfois même, « l'assimilation est impossible, et au surplus, très souvent, physiquement et moralement indésirable ». Il convient donc de limiter « le nombre déjà trop important des non-assimilables » (1932, p.523). En 1932, un aspect positif était souligné, cette diversification permettait de « diminuer le risque qu'entraîne le fait d'être tributaire d'un nombre trop réduit de sources d'immigration » (Mauco, 1932, p.147). Cet aspect ne sera plus mentionné par la suite. Deuxième problème, certains étrangers concurrencent de façon déloyale des travailleurs français. Les premiers visés sont les « levantins et les israélites », « inaptes au travail manuel et qui ne viennent en France que pour y employer leurs dispositions innées au trafic et au négoce ». La présence de ces « éléments improductifs » est estimée « plus préjudiciable qu'utile » (1932, p.467). Il convient de remarquer que « beaucoup d'entre eux, entrés en fraude, échappent d'ailleurs à tout contrôle et à tout recensement » (1932, p.196). Et « fréquentes sont les affaires véreuses, faillites frauduleuses, escroqueries où l'on retrouve de ces métèques23(*), souvent naturalisés de fraîche date » (1932, p.467). En 1939, le discours est le même, de nombreux israélites échappent à « tout contrôle professionnel efficace », ils « ignorent les lois sociales et les charges fiscales », beaucoup d'étrangers sont entrés en fraude et « contribuent pour une large part au peuplement des prisons, des hôpitaux et des asiles ». L'une des solutions proposées est de « tenter le placement dans l'agriculture de nombreux réfugiés israélites [...] les grandes associations israélites devront fournir les fonds nécessaires » (Mauco, 1939c, p.295). Le caractère peu amène de certains citations ne doit pas abuser, les années 1930 ne sont pas celles où le discours sur les étrangers a été le plus mesuré (voir Schor, « Le temps des crises : la montée de la xénophobie », p.547-709 et Laborie, 1990, p.125-131).

Dans ses grandes lignes, le discours de Georges Mauco ne change ni pendant l'Occupation ni après. Le manuel à l'usage des maîtres de 1948 (Mauco, Grandazzi) rappelle par exemple que la venue de millions d'étrangers a posé de « multiples problèmes d'importance nationale » (p.45), et que, s'il s'agit d'un « appoint indispensable à la vie démographique et économique du pays » (p.47), « il reste le danger de l'invasion pacifique » (p.51). La nécessité de choisir ses immigrés, des immigrés culturellement proches et destinés à travailler dans certains secteurs seulement, sera d'ailleurs explicitement formulée dans une lettre souvent citée du Général de Gaulle adressée au Ministre de la Justice en 1944 :

« Sur le plan ethnique, il convient de limiter l'afflux des méditerranéens et des orientaux qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié la composition de la population française [...] Pour conserver au pays son pouvoir d'assimilation, il est nécessaire que les professions libérales, commerçants, banquiers, ne soient pas largement ouvertes aux étrangers » (cité par Noiriel, 1988, p.39 et par Drouard, 1992, p.1458-1459).

Pour en revenir à Georges Mauco, les deux dérapages signalés plus hauts l'ont été en dehors du cadre des revues scientifiques. Mais le même type d'outrance se retrouve dans les AG en 1941 :

« Quant au Statut des Étrangers, un effort avait été amorcé pour dégager le peuple français de l'invasion étrangère et le protéger contre l'influence déliquescente24(*) d'apatrides inassimilables. Mais ici le mal était déjà trop profond, et les mesures de salubrité ne purent être prises. L'intérêt général du pays fut tenu en échec par les intérêts des étrangers indésirables et par leur influence sur les pouvoirs publics »(Mauco, 1941, p.75).

Les termes employés ne le sont pas pour la première fois, il était déjà question auparavant d'invasion, d'apatride et d'inassimilables, mais c'est la première fois - et d'ailleurs la seule - qu'un article de Georges Mauco se transforme en quelques phrases en un tract xénophobe.

Les autres géographes évoquant le « problème des étrangers » le font de façon plus mesurée. Dans le Languedoc, nécessité fait vertu : « puisque l'immigration est, pour le département, une nécessité vitale, il est bon que l'étranger s'incorpore définitivement à nous » (Azeau, 1936, p.30). Dans le bassin houiller de la Mure, les Italiens « ont fait souche » et se sont « fondus dans la population », seuls les Polonais restent « réfractaires à l'assimilation [...] cependant, eux comme les autres se fixent au pays » (Angelier, 1940, p.300). Dans une région alpine, « grâce à eux [les étrangers] subsistent, souvent prospères, nombre de communautés rurales qui, sans leur secours, se seraient depuis longtemps éteintes dans la région » (Mercier, 1941, p.688). Des expressions plus douteuses apparaissent sous la plume d'Henri Onde : certaines communes subissent une « grave altération de leur caractère primitif » parce qu'elles ont une proportion d'étrangers « comprise entre 10 et 24% » (Onde, 1942a, p.60). Heureusement, les hautes vallées, grâce à l'absence de l'industrie, échappent à « l'invasion des éléments allogènes » (id., p.61).

* 20 Elle récompense par une médaille de bronze, d'argent ou d'or, les mères de respectivement 5, 8 et 10 enfants.

* 21 Fernand Boverat est le propagandiste nataliste le plus actif et le plus virulent pendant tout l'entre-deux-guerres.

* 22 Le texte original est en majuscules, voir note 1 p.3

* 23 Dans sa thèse, Mauco emploie le plus souvent l'expression métèque entre guillemets.

* 24 L'adjectif est déjà présent dans sa thèse : « Non moins pernicieuse est la déliquescence morale de certains Levantins, Arméniens, Grecs, juifs et autres « métèques » négociants et trafiquants » (Mauco, 1932, p.558).

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984