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Un champ scientifique à l'épreuve de la Seconde guerre mondiale les revues de géographie françaises de 1936 à 1945

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par Laurent Beauguitte
Université Paris 7 - Master 1 2007
  

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2.6. Des articles vichystes ?

Le champ scientifique obéit à ses logiques propres. Un sujet politique ne sera exprimé que retraduit selon les préoccupations de ce champ. Philippe Pinchemel signalait déjà que, dans les congrès internationaux de géographie, l'actualité est présente « filtrée par la curiosité scientifique d'alors, ajustée à l'état présent de développement de la géographie, adaptée à la perception, au savoir, à la sensibilité du temps » (Pinchemel, 1972, p.191). Il est donc logique de trouver peu de traces de vichysme dans les articles de l'époque. Pourtant, certains articles s'inscrivent plus ou moins clairement dans cette idéologie composite. Il est possible de distinguer deux types d'articles, ceux où se manifestent des tendances politiques nettement conservatrices, ceux qui s'approchent des discours anti-urbains et anti-industriels chers au Maréchal.

L'article de Paul Guichonnet publié dans la RGA en 1943 est tiré de son mémoire de DES. Il est clairement orienté politiquement à droite. Les catholiques ont une « attitude ferme et fidèle » (p.63). Voter à droite indique des « idées politiques stables et bien dessinées » (p.66). Le vote de gauche obéit à des logiques bien différentes. Il prospère dont les villes où « la vie privée est très blâmable. Les gains sont dévorés en quelques jours. Immoralité des familles » (p.64). Le radicalisme est le résultat de « dépit, de revendications et de jalousie envers les possédants » (p.76). « Née de l'activité industrielle, ou d'une mauvaise humeur héritée d'un passé politique orageux, elle [la gauche] occupe les cluses et guette tous les secteurs instables d'économie bâtarde » (p.85). Quant aux poussées de communisme, elles s'expliquent par « des manoeuvres locales de quelques meneurs » (p.68). Les idées de gauche en général, et l'anticléricalisme en particulier, sont des « idées extrémistes » (p.79). Si l'orientation politique de l'auteur est évidente, nous sommes pourtant loin des excès de la propagande anticommuniste et anti-bolchevique du régime en place. Signalons que l'auteur de ces lignes s'engage dans les F.T.P. à la fin de la guerre (Blanchard, 1945, p.329). Les monographies de géographie religieuse présentées par l'abbé Etienne Delaruelle dans la RGPSO, revue qui est pourtant celle où un esprit résistant est le plus lisible, illustrent également des tendances très nettement conservatrices. Deux types de comportement sont distingués. D'un côté, « un comportement religieux remarquable » (Delaruelle, 1943, p.53), « une population restée attachée à son sol et fidèle à ses traditions » (p.53). De l'autre, « un relâchement des anciennes moeurs » (p.53), des « nouvelles générations moins saines » qui subissent l'influence démoralisante d'un cabaret (p.62). L'influence des gens de la plaine est ainsi décrite : « légèreté des moeurs, confort amollissant, exploitation moins routinière et plus rationnelle » (p.60). Les coupables sont selon les cas l'industrie, elle a « ruiné complètement la fidélité morale et religieuse » (p.52), ou les étrangers (p.59). Cet article détonne dans la production habituelle de la RGPSO, pourtant là encore, l'auteur apparaît plus conservateur que partisan de la Révolution nationale. Et l'auteur qui présente ces travaux peut difficilement être suspectée de vichysme comme nous le verrons plus loin.

Des sentiments anti-urbains s'expriment nettement dans certains articles, et des arguments sexistes apparaissent, ce qui est une nouveauté. L'auteur d'un DES publié dans la RGA peut ainsi écrire : « les villes, avec leurs attraits fallacieux, mais irrésistibles, surtout pour les jeunes filles » (Bozon, 1943, p.126), « seuls la route et le chemin de fer surtout pouvaient permettre aux jeunes filles de faire le trajet que les hommes accomplissaient à pied, et d'autre part les voies de communication amenaient les touristes et les estivants, qui par leur exemple et, parfois leurs propositions, étaient une tentation de départ » (id., p.128). L'auteur a dû oublier qu'au printemps et à l'été 1940, un grand nombre de femmes a su parcourir de grandes distances en marchant. Un autre auteur de DES parle de « ces villes dont la mentalité paysanne se faisait encore, en 1939, une idée enchanteresse, mirage enfantin vers lequel le paysan et surtout la paysanne gardent les yeux obstinément fixés, sans prendre en compte le repos de l'hivernage, les substantiels profits des foins ou de la lavande, au prix de quelques semaines de gros travail » (Sauvan, 1942, p.350). Elle dénonce également, parlant des effets du tourisme et des transports, « l'influence impie [qui] a mis sur les toits des vermillons criards ou les tôles ondulés d'allure banlieusarde » (id., p.359). Décalage chronologique oblige entre écriture et publication, c'est un article paru en 1945 dans la BSLG qui, à deux reprises, reprend des thématiques pétainistes. L'auteur (l'une des deux seules femmes publiant dans la revue en dix ans) écrit que l'avenir du cerisier « ne s'avère pas brillant. Le responsable de cet état de fait, c'est l'homme, qui ne veut plus fournir le travail lent, minutieux, bien fait, que réclame le greffage sur merisier et refuse de consacrer son temps à donner aux arbres les soins assidus qu'ils exigent » (Passe, 1945, p.128). Elle conclut son article avec ces phrases : 

« malheureusement, il est à craindre que la principale originalité de la région sauvaine et ce qui fait son importance, la fabrication des fourches, voit son avenir menacé par la paresse et l'incurie de ses habitants qui désertent les campagnes pour la ville. Peut-être le retour actuel à la terre ramènera-t-il aussi les paysans de Sauve à leurs « essarts », peut-être comprendront-ils que là seulement, dans cette culture d'arbres à fourche, est le salut de leur pays » (id., p.140). 

Dans ce dernier cas, les expressions utilisées indiquent clairement les sources idéologiques de l'auteur. Dans les cas précédents, il est difficile de faire la part entre éloge des traditions et pétainisme. Ainsi, l'un des plus beaux exemples de glorification du travail paysan, travail évidemment opposé au travail en usine, date de 1939. L'article contient les phrases suivantes : « sages sont ceux qui restent à la terre. Là du moins on ignore le chômage, on ignore la sujétion et l'automatisme de l'usine, pour régler sa vie sur la marche du soleil et ses travaux sur le cours des saisons » (Chaumeil, 1939, p.145), « l'électricité dissipe les ombres où s'agitait le monde fantastique des contes d'antan dont la tradition n'est pas perdue » (p.148), « le paysan n'est pas comme le riveur d'un chantier normal, qui répète toujours les mêmes gestes » (p.159). Il s'agit d'ailleurs du seul auteur qui utilise le mot progrès entre guillemets, pour le déplorer (p.152). Nul doute que s'il avait été publié deux ans plus tard, je l'aurais rangé sans hésiter dans la catégorie pétainiste.

Tous les articles évoqués jusqu'à maintenant présentent la même particularité, ils sont écrits par des auteurs non intégrés dans le champ scientifique. La plupart sont des auteurs de DES qui abandonnent ensuite la recherche pour enseigner en lycée25(*). De surcroît, il s'agit d'étudiants jeunes, qu'il est permis de supposer plus influençable à l'intense propagande de Vichy. Je cherchais à vérifier deux hypothèses. Premièrement, les évènements politiques ont un impact marginal sur la production géographique, et je pense l'avoir montré dans les chapitres précédents. Deuxièmement, la « contamination » des idées vichystes ne concerne que des articles dont les auteurs sont marginaux dans le champ scientifique. Là encore, l'hypothèse se vérifie. Il y a une exception de taille, celle de Marcel Blanchard. Cet historien universitaire, en poste à Montpellier jusqu'en 1940, est très proche des géographes. Ses engagements politiques sont connus, il s'agit d'un des universitaires qui s'est le plus compromis avec le régime de Vichy (Singer, 1997, p.283). Ses articles publiés dans le BSLG ou dans la RGA ne portent pas la marque de cet engagement, ils traitent presque exclusivement de sujets historiques, et son beau-frère, Raoul Blanchard, intervient peut-être pour maintenir cette retenue. La supposée neutralité du savant s'écroule pourtant à la lecture de sa Géographie des chemins de fer parue en 1942 dans la collection « Géographie humaine » dirigée par Pierre Deffontaines. La description des moeurs démocratiques n'est pas élogieuse : « politiciens de l'opportunisme »(p.61), « jeux de démagogie » (id.), « cette époque [...] où quelque sordidité égalitaire était tenue pour vertu nationale » (p.158), la France étant « figée dans le culte des droits acquis, même de fraîche date » (p.210). Fort heureusement, après « un demi-siècle de démagogique obstination dans l'erreur », une occasion unique se présente grâce aux « méthodes salvatrices d'une quasi dictature financière de salut public » (p.210-211). Les marques de soutien à Vichy et à sa politique s'expriment dans les revues de façon très marginale, et elles sont exprimés par des auteurs situés eux-mêmes dans une position marginale dans le champ scientifique. De façon surprenante, les marques de défiance sont beaucoup plus nombreuses.

* 25 Paul Guichonnet devient ensuite professeur à l'université de Genève.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry